Irlande : vingt-cinq ans d’une paix fragile

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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 12 Avril 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
Transcript
00:00 *-Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:05 -Le président américain Joe Biden est en Irlande du Nord,
00:08 25 ans après les accords de paix du vendredi saint
00:11 qui ont mis fin à trois décennies de violence entre protestants
00:14 attachés à la couronne britannique
00:16 et catholiques souhaitant s'unir à la République d'Irlande.
00:20 La paix fragile obtenue grâce à cet accord va-t-elle perdurer ?
00:24 Alors que le Brexit sème la discorde,
00:26 l'Irlande du Nord est-elle condamnée à vivre
00:29 avec les fantômes de la guerre civile qui a secoué la région
00:33 pendant 30 ans et fait 3500 morts ?
00:35 Pour en parler, nous sommes en duplex avec Agnès Maillot.
00:39 Bonjour. -Bonjour.
00:40 -Vous êtes à Dublin et professeure en études culturelles
00:44 à Dublin City University,
00:46 où on vous doit notamment l'Ira et le conflit nord-irlandais
00:50 aux presses universitaires de Caen.
00:52 Et ici, dans ce studio, Klianaani Riordoin,
00:56 professeure à l'Institut du monde anglophone de la Sorbonne Nouvelle,
01:00 traductrice et critique littéraire.
01:03 On vous doit notamment Irlande Histoire Société Culture
01:06 aux éditions de La Découverte.
01:08 Peut-être déjà nous donner le sens de quelques mots
01:12 et pour clarifier les choses, notamment,
01:15 on parle d'Irlande du Nord et de République d'Irlande
01:19 et non d'Irlande du Sud.
01:21 Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
01:23 -Oui, bien sûr.
01:25 Je pense que même on pourrait dire
01:27 qu'on ne parle pas de République d'Irlande.
01:30 Les noms officiels de l'Etat irlandais sont "Ireland" et "Eire",
01:36 donc la traduction angaélique ou le nom d'origine en "vo" du pays.
01:42 Cette appellation Irlande du Nord, Irlande du Sud,
01:46 c'est venu en tant que binarité d'une certaine façon.
01:51 Et l'Irlande du Nord n'a été établie qu'en 1922.
01:55 Et c'est le nom officiel,
01:57 mais on l'appelle beaucoup d'autres choses
02:01 en fonction de sa position politique.
02:04 Donc, pendant très longtemps,
02:07 on parlait du Nord et du Sud comme étant les "six counties"
02:12 et les "twenty-six counties",
02:14 parce qu'il y a 32 comtés en Irlande.
02:16 Et si on disait "six counties",
02:19 ça voulait forcément dire qu'on était du côté nationaliste
02:22 et qu'on était contre la frontière qui avait été établie.
02:26 Donc les mots "contre",
02:27 ne serait-ce que votre collègue qui a utilisé le terme "Londonderry" ce matin,
02:32 en Irlande, d'où je viens, on ne dirait pas "Londonderry",
02:38 on dirait toujours "Derry".
02:39 - Pourquoi ?
02:41 - Parce que Londonderry,
02:42 London a été accolé au nom de la ville de Derry
02:47 après un très long siège
02:53 et s'est utilisé comme titre de gloire
03:00 et de...
03:02 C'est l'équivalent de la victoire sur le peuple de Derry
03:08 qui ont été soumis.
03:11 - On a donc des mots qu'il faut définir
03:16 avec des usages politiques.
03:18 L'autre usage politique,
03:20 c'est la visite des présidents américains en Irlande.
03:23 Agnès Maillot, il y a eu une diaspora irlandaise importante,
03:27 et notamment aux États-Unis.
03:29 On parle de 30 millions de personnes d'origine irlandaise.
03:34 C'est une sorte de passage obligé.
03:37 Il y a eu des précédents.
03:38 Cette visite est-elle particulièrement importante ?
03:42 Expliquez-nous.
03:43 - Alors, il y a eu des précédents
03:46 puisque d'abord la plupart des présidents américains
03:50 sont d'origine irlandaise ou disent être d'origine irlandaise.
03:55 Donc dans l'histoire,
03:56 il y a une forte majorité de présidents américains
04:00 d'origine irlandaise.
04:02 Ce n'est ni la première visite ni la plus importante.
04:07 On considère que la visite de Bill Clinton en 1995
04:10 a été fondamentale
04:11 puisque les États-Unis, à l'époque,
04:14 ont été littéralement partie prenante du processus de paix.
04:18 Ils ont même présidé les négociations
04:20 à travers leur envoyé spécial qui était George Mitchell,
04:25 qui était un représentant de la Chambre américaine.
04:32 Et ils ont aussi, évidemment, incité leurs investisseurs
04:36 à redonner à l'économie nord-irlandaise,
04:43 qui à l'époque était quand même très endommagée
04:47 par 30 ans de guerre civile,
04:49 mais aussi par un manque d'investissement,
04:52 d'infrastructures, etc.
04:54 Donc les investisseurs ont été invités
04:56 à venir s'installer en Irlande du Nord.
04:59 Donc on peut dire que les États-Unis
05:01 ont eu un rôle fondamental politique,
05:03 mais aussi économique.
05:04 La visite de Joe Biden, elle est à la fois symbolique
05:09 parce que ce sont les 25 ans de l'accord de 1998.
05:15 Elle est aussi un signe d'un redémarrage
05:21 entre le Royaume-Uni et les États-Unis,
05:24 dont les relations ont été quand même relativement endommagées
05:27 pendant toute la période de Boris Johnson.
05:31 Et puis c'est aussi la visite de Joe Biden,
05:34 c'est surtout une visite, un retour aux sources pour lui,
05:37 un retour dans sa ville natale,
05:40 qui est à l'ouest de l'Irlande, à Balina.
05:43 25 ans donc de paix, même si la paix est fragile.
05:46 En 1998, Klyana Neri-Erdzine,
05:49 vous n'étiez pas en Irlande,
05:52 mais j'imagine que cette date est malgré tout
05:55 une date importante pour vous.
05:57 Oui, je n'étais pas en Irlande,
05:59 mais j'ai quand même pris un billet
06:01 pour rentrer en Irlande, voter dans le référendum,
06:04 parce que je trouvais que c'était tellement important
06:06 que les Irlandais à l'étranger n'ont pas le droit de vote.
06:09 Cet accord de paix, il portait sur quoi, Agnès Maillot ?
06:13 Pouvez-vous nous rappeler la manière dont l'Ira,
06:16 c'est un terme peut-être qu'il faudrait définir
06:19 pour les plus jeunes qui nous écoutent,
06:21 comment l'Ira et le conflit nord-irlandais
06:26 a été une étape à la fois violente, sanglante,
06:31 depuis 1969, donc jusqu'à cet accord de paix en 1999.
06:36 Je pense qu'il faut rappeler que le conflit nord-irlandais
06:40 c'est un conflit tripartite, c'est-à-dire qu'il y a
06:43 d'un côté les Républicains de l'Ira,
06:47 de l'autre côté il y a les unionistes
06:49 et surtout les loyalistes qui sont leur représentation armée,
06:53 et puis il y a les Britanniques évidemment.
06:55 La lutte de l'Ira s'est avant tout focalisée
07:00 contre les Britanniques, même si elle a fait énormément
07:03 de morts parmi les civils.
07:06 Donc en fait on avait d'un côté les nationalistes républicains
07:10 qui voulaient un rattachement de l'Irlande du Nord
07:13 à la République d'Irlande, donc la réunification,
07:16 de l'autre côté les unionistes qui sont viscéralement opposés
07:20 à toute idée de réunification,
07:22 et les Britanniques qui eux veulent maintenir
07:25 l'Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni,
07:29 mais qui cherchent une solution négociée
07:31 qui permette à l'Irlande du Nord d'avoir un gouvernement autonome.
07:34 C'est ce qu'on a obtenu avec les accords de 1998
07:38 qui ont instauré une coalition forcée
07:41 entre nationalistes et unionistes
07:44 au sein du Parlement de Stormont.
07:47 Ils sont obligés de gouverner ensemble.
07:50 Il y a eu par ailleurs des mécanismes de paix,
07:57 par exemple la libération anticipée des prisonniers,
08:00 le désarmement de toutes les organisations paramilitaires,
08:05 et puis aussi des institutions transfrontalières,
08:09 et ça c'est très important,
08:11 des institutions qui permettent aux deux côtés de l'Irlande
08:14 de travailler au cadre institutionnel.
08:17 Donc tout ça a permis à l'Irlande du Nord
08:21 de passer d'une situation de violence,
08:26 c'est un conflit qui a été très violent,
08:30 3 600 morts c'est beaucoup,
08:32 mais qui s'est installé dans le temps,
08:34 qui a duré très très longtemps,
08:36 donc qui a marqué plusieurs générations de Nord-irlandais.
08:39 Donc ça a permis cette transition vers la paix,
08:41 mais une paix toujours fragilisée
08:43 par des questions qui ne sont toujours pas résolues,
08:46 notamment on voit bien en ce moment
08:48 qu'il n'y a pas d'accord pour reformer un gouvernement
08:52 et donc on est dans un vide politique
08:54 depuis plus d'un an maintenant.
08:56 - On se souvient, Cliana Nieri-Hördin,
08:57 on se souvient de scènes extrêmement violentes,
09:01 de scènes que l'on montrait à la télévision en Europe,
09:05 en France en particulier,
09:07 on se souvient aussi d'une sorte de facilité
09:11 qui consistait pour nous Français par exemple
09:13 à considérer qu'il y avait une dimension religieuse
09:16 très forte dans ce conflit entre catholiques et protestants,
09:19 vous pour les Irlandais, comment viviez-vous cela ?
09:24 - Je pense qu'il y avait certes cette dénomination
09:28 et ce partage facile entre protestants et catholiques,
09:31 je pense que c'est beaucoup plus compliqué que ça
09:34 et il y a aussi des dimensions qui ont eu des liens
09:40 avec une question de classe, de classe sociale aussi
09:45 et je pense qu'on voit l'arrivée
09:48 des mouvements pour la paix dans les années 60
09:53 quand toute une génération d'Irlandais du Nord
09:56 ont pu bénéficier du "The Education Act"
09:59 qui a été introduit en Grande-Bretagne en 1944
10:02 et qui a permis à tous les Irlandais du Nord
10:05 qu'importe leur religion d'aller à l'école secondaire
10:09 et de pouvoir accéder à l'université.
10:12 - Vous, votre famille par exemple,
10:14 vous étiez catholique, protestante,
10:16 est-ce que ça comptait, est-ce que ça n'avait pas d'importance ?
10:18 - Je viens du Sud,
10:21 mon nom de famille est un nom de famille angaélique,
10:26 donc je viens d'une famille catholique
10:29 avec une forte culture gaélophone.
10:34 Je pense que ça comptait dans ma famille
10:38 parce que c'est peu habituel,
10:42 j'ai grandi dans la ville de Cork,
10:44 c'est peu habituel dans une grande ville comme Cork
10:47 d'avoir une famille gaélophone.
10:49 De manière générale, les gaélophones
10:52 vivent dans des endroits qu'on appelle les "Guelthortes".
10:56 Et donc j'étais consciente de cette différence.
10:59 - Et s'agissait-il d'une société extrêmement clivée
11:03 où protestants et catholiques avaient peu de rapport
11:06 ou bien au contraire d'une société mélangée
11:09 mais dès lors que le conflit a débuté en 1969,
11:12 les deux communautés se sont éloignées ?
11:15 - Alors, dans le Sud,
11:17 je pense que le clivage se voit au niveau de l'enseignement.
11:21 L'enseignement se fait toujours,
11:24 pour la plupart, dans des écoles confessionnelles.
11:28 Donc je suis allée dans une école
11:31 à confession catholique,
11:34 mais j'avais des voisins protestants,
11:38 des amis protestants.
11:40 Mais je pense que toute cette situation-là,
11:43 vous parlez du siècle dernier,
11:46 l'Irlande a changé.
11:48 L'Irlande est devenue un pays séculier
11:51 où la religion compte beaucoup moins,
11:54 où un enseignement intégré est ouvert maintenant.
12:00 Et donc la société que j'ai quittée
12:03 quand je suis venue habiter en France n'existe plus.
12:06 - Oui, parce que parmi les clichés qu'on a sur l'Irlande,
12:09 il y a le fait qu'il s'agit d'un pays extrêmement religieux
12:13 où la religion domine les pratiques,
12:17 les croyances, même les lois.
12:19 - Alors, on parle de la croyance et des lois
12:23 parce que la constitution de 1937,
12:26 qui est la deuxième constitution de l'Irlande
12:29 après le traité de 1921,
12:33 cette constitution a été rédigée par Eamon de Valera,
12:38 qui était le Premier ministre de l'époque,
12:40 mais rédigée, on dit, main dans la main,
12:43 avec l'archevêque de Dublin de l'époque, Archbishop McQuaid.
12:47 Donc il y avait des éléments dans cette constitution
12:49 qui reconnaissaient, par exemple,
12:51 le rôle de la femme qui était primordiale
12:54 comme mère au foyer.
12:56 - Est-ce que ces choses-là, Agnès Maillot,
12:59 vous qui êtes professeure en études culturelles à Dublin,
13:02 ont considérablement évolué désormais ?
13:05 Est-ce qu'on a encore un clivage entre protestants et catholiques,
13:09 même s'il y a eu un processus de sécularisation ?
13:12 Est-ce que ces frontières se sont effacées en l'espace de 25 ans ?
13:16 - Alors, ce qu'on peut dire, en Irlande du Nord, en tout cas,
13:19 c'est que la démographie, elle bouge,
13:22 et elle bouge considérablement.
13:24 Donc l'État nord-irlandais, qui au départ,
13:26 quand il a été dessiné,
13:28 quand les frontières ont été dessinées,
13:31 a été conçu pour qu'il y ait une majorité protestante.
13:36 Donc il y avait à peu près deux tiers de protestants
13:39 pour un tiers de catholiques.
13:41 La mainmise des unionistes protestants sur le pouvoir
13:44 et sur les institutions,
13:46 et d'où cette discrimination institutionnelle
13:49 qui s'est établie pratiquement
13:51 dès la fondation de l'État nord-irlandais.
13:53 Actuellement, le dernier recensement qui date de 2021
13:57 nous donne une majorité catholique
14:00 de à peu près 48 % de personnes
14:03 contre à peu près 45-46 % de protestants,
14:06 ce qui est un bouleversement énorme,
14:08 mais surtout, on a environ entre 15 et 18 % de personnes
14:14 qui ne se reconnaissent plus ni dans l'autre identité.
14:19 Donc la démographie, elle bouge,
14:21 elle bouge aussi dans les mœurs.
14:23 En République d'Irlande,
14:25 on a eu quand même en 2015, puis en 2018,
14:28 des référendums qui ont été très très forts, très puissants,
14:33 qui ont envoyé un message très puissant
14:35 à la société et à l'Église,
14:37 parce qu'en 2015, c'était sur le mariage pour tous,
14:40 le seul pays au monde à avoir fait passer
14:43 une législation sur le mariage pour tous par référendum,
14:46 et puis en 2018, pour abroger la clause de la Constitution
14:52 qui interdisait l'avortement.
14:54 Donc on a eu des rats de marée vraiment très très puissants
15:00 et très significatifs dans une société
15:03 qui effectivement en République d'Irlande
15:06 est devenue une société quasiment laïque,
15:10 avec encore, malgré tout,
15:12 la mainmise de l'Église sur certains secteurs
15:15 comme l'éducation, qui n'est pas encore complètement laïque,
15:20 loin sans faux, mais enfin, ce côté-là se développe.
15:23 En Irlande du Nord, c'est beaucoup plus compliqué,
15:26 parce que malgré tout, ces identités restent très très liées
15:31 aux choix politiques que font les gens.
15:33 Donc si on est protestant, on ne vote pas nationaliste,
15:38 et si on est catholique, on ne vote pas unionniste.
15:41 Et puis il y a ceux qui sont au milieu,
15:43 qui pour l'instant votent pour un parti
15:45 qui s'appelle le Parti de l'Alliance,
15:47 qui n'est ni l'un ni l'autre,
15:49 et qui est en train de gagner en représentation.
15:53 Mais en fait, malgré tout,
15:55 on a encore cette binarité politique
15:58 entre unionniste d'un côté et nationaliste de l'autre.
16:01 - C'est à ça, Klyana Neri-Hordin,
16:04 dont on pense lorsqu'on évoque l'Irlande
16:07 et le processus de sécularisation,
16:09 le mariage pour tous,
16:11 l'autorisation de l'avortement,
16:14 alors que bien souvent, on évoquait cette interdiction,
16:18 l'interdiction de l'avortement,
16:19 comme étant le signe qu'on avait encore à faire
16:21 à une société très religieuse.
16:23 - Oui, c'est le cas.
16:24 Mais comme Agnès a souligné,
16:27 on voit l'évolution,
16:29 ne serait-ce qu'en 10 ans,
16:31 l'ouverture du pays
16:33 et la richesse du pays aussi.
16:36 Le PIB, qui est quand même,
16:40 par rapport à quand moi,
16:42 j'ai quitté l'Irlande en 90,
16:44 les bons en avant
16:47 qu'a pris un pays qui est devenu
16:50 une force économique et qui a continué...
16:53 - Qui n'est plus un pays d'émigration, dès lors.
16:55 - Non, c'est plutôt un pays de migration.
16:57 - Ce qui, là aussi, est une nouveauté,
17:00 puisque l'Irlande, la diaspora irlandaise,
17:03 est le signe qu'il s'agissait d'un pays pauvre
17:05 qu'on avait tendance à fuir.
17:07 - Et cette migration fait aussi que l'Irlande
17:11 essaye en tout cas de devenir
17:14 une société multiculturelle.
17:16 - On va évoquer ces changements irlandais,
17:19 la culture irlandaise, Joyce,
17:21 sur laquelle vous avez travaillé,
17:23 Klyana Njirjordvin.
17:25 Je rappelle que vous êtes professeure
17:27 de l'Institut du monde anglophone de la Sorbonne-Nouvelle.
17:30 Vous êtes également traductrice critique littéraire
17:32 en voudois Irlande Histoire Société Culture
17:35 aux éditions La Découverte avec Maurice Goldring.
17:38 Agnès Maillot, on se retrouve dans quelques instants.
17:41 Vous avez publié "L'Ira et le conflit nord-irlandais"
17:44 aux presses universitaires de Caen.
17:46 Il est 8h sur France Culture.
17:48 - 7h-9h.
17:50 Les matins de France Culture.
17:54 Guillaume Erner.
17:55 - Oui, à l'occasion de la venue de Joe Biden en Irlande,
17:59 on évoque 25 ans d'une paix fragile.
18:02 La politique, la culture irlandaise.
18:04 Nous sommes en duplex de Dublin avec Agnès Maillot,
18:08 professeure en études culturelles à l'université de Dublin.
18:11 On vous doit notamment "L'Ira et le conflit nord-irlandais"
18:14 aux presses universitaires de Caen.
18:16 Et puis, ici même, dans ce studio,
18:18 la traductrice critique littéraire,
18:20 professeure à l'Institut du monde anglophone de la Sorbonne-Nouvelle,
18:23 Klyana Njirjordvin.
18:25 Ce lien entre les Pays-Bas et l'Irlande.
18:30 - Oui, c'est Guillaume d'Orange.
18:33 Guillaume d'Orange qui a été appelé à la rescousse
18:36 par la famille royale britannique
18:39 parce qu'il ne voulait pas d'un nouveau roi catholique.
18:43 Donc, ils ont fait appel à Guillaume d'Orange,
18:45 qui était Maryam.
18:48 Et c'est lui qui est allé batailler
18:50 à la bataille de la Boeing en Irlande
18:54 et qui a vaincu James II, Jacques II,
19:01 qui a couru jusqu'à Paris
19:04 et qui a dit au roi
19:07 "Les Irlandais m'ont déserté, ils ont couru"
19:11 et lui aurait dit "Mais vous avez gagné la course".
19:15 - Vous voyez, Jean Lemarie, votre transition, elle était toute trouvée.
19:19 - Je suis impressionné.
19:20 - Elle était toute trouvée.
19:21 - Et il y a un autre catholique dans l'histoire,
19:24 l'histoire présente dans l'actualité, c'est Joe Biden.
19:28 Le fait qu'il y ait un président américain en Irlande,
19:31 c'est un exercice courant du fait de l'importance de la diaspora irlandaise aux Etats-Unis.
19:38 Je l'ai dit, 30 millions d'Américains sont d'origine irlandaise.
19:41 Le fait qu'il soit catholique, il y en a ?
19:43 - C'est le deuxième président irlandais qui soit de confession catholique.
19:47 Le premier étant John F. Kennedy.
19:50 - Donc ça, c'est quelque chose de moins courant.
19:52 Est-ce que ça a des répercussions politiques ?
19:55 - Je pense que quand Kennedy était venu en Irlande,
19:59 ça avait une dimension très importante.
20:02 Je pense que ça l'est beaucoup moins maintenant.
20:05 En raison, comme Agnès l'a souligné,
20:09 du fait que l'Irlande est devenue un pays presque laïque maintenant.
20:12 - Agnès Maillot, un pays de plus en plus séculier,
20:17 un pays, alors là je vais me faire disputer si je dis que c'est un paradis fiscal,
20:21 une terre d'optimisation fiscale.
20:24 En revanche, ça on peut le dire, qui a accueilli de nombreux sièges de grandes entreprises,
20:28 notamment des GAFAM, ce qui a accéléré sa prospérité économique.
20:34 - Absolument, absolument.
20:36 Vous pouvez le dire, puisqu'on mentionne souvent l'Irlande
20:40 comme faisant partie des paradis fiscaux en Europe.
20:43 Alors l'Irlande est dans une situation un petit peu compliquée
20:47 puisqu'elle est sous pression de l'Europe.
20:48 On se rappelle notamment du fait que Apple,
20:51 qui est installée à Dublin dans un quartier qui est un petit peu à part,
20:57 c'est le quartier des GAFAM, donc tout est un petit peu très moderniste,
21:03 un quartier très très différent du reste de l'Irlande.
21:06 Apple doit théoriquement à l'État irlandais,
21:09 ou devait il y a quelques années, 9 milliards en impôts non payés
21:14 que l'État irlandais ne voulait pas accepter,
21:17 de peur en fait de voir ces GAFAM et toutes ces autres entreprises,
21:21 il y a par exemple le secteur pharmaceutique qui est aussi très présent en Irlande,
21:25 de les voir quitter le territoire irlandais
21:28 pour aller délocaliser ailleurs où ça serait encore très bénéfique.
21:34 L'argument de ceux qui sont contre cet état de choses en Irlande,
21:39 c'est de dire que l'Irlande a une population qui est très jeune,
21:43 qui est très formée, puisque la majorité des jeunes Irlandais
21:46 font des études supérieures, et qui est anglophone.
21:49 Et en plus c'est un pays qui a des infrastructures relativement développées maintenant
21:55 par rapport à ce que c'était il y a 30 ans,
21:57 donc ça restera de toute manière une destination attirante
22:03 pour des multinationales qui peuvent arriver et en fait s'installer
22:08 et se mettre à fonctionner pratiquement immédiatement.
22:13 Bien entendu il y a d'autres embûches,
22:17 on parlait tout à l'heure de toutes ces personnes qui viennent s'installer en Irlande
22:21 parce que c'est devenu une terre d'immigration,
22:26 il y a d'autres questions qui se posent, comme celle du logement
22:30 qui est un petit peu le serpent de mer dont on discute en Irlande depuis des années
22:36 mais qui là a atteint son... la crise a atteint un paroxysme,
22:40 on ne sait plus du tout où loger ces nouveaux arrière-plan et les Irlandais,
22:43 mais en tout cas l'Irlande effectivement est un paradis fiscal, un pays très moderne,
22:48 très tourné vers l'avenir et très tourné vers les États-Unis.
22:51 Liana, un commentaire ?
22:53 Oui, je pense qu'Agnès a raison quand elle dit que la crise du logement est aiguë.
22:58 Je pense qu'il y a des jeunes de nouveau qui vont migrer
23:02 parce qu'ils n'arrivent pas à trouver de logement.
23:05 C'est extrêmement difficile,
23:08 les files d'attente à Dublin devant des appartements à louer sont énormes.
23:15 C'est vraiment le marché des propriétaires
23:19 et qui peuvent exiger des preuves et des éléments biographiques
23:26 sur leurs locataires qui sont surdimensionnés.
23:31 La question cette fois-ci de l'Europe, de l'appartenance à l'Europe,
23:35 le rapport complexe au Brexit, Agnès Maillot.
23:38 En Irlande, comme on dit communément,
23:45 il y a un fort soutien pour l'Union européenne
23:49 qui ne s'est pas du tout démentie au moment du Brexit, au contraire,
23:53 puisqu'on a vu à ce moment-là les tensions que pouvait susciter
23:57 un tel mouvement de la part du Royaume-Uni.
24:00 En Irlande du Nord, évidemment, c'est beaucoup plus compliqué
24:03 puisqu'on a toujours cette division bipartisane.
24:06 On a d'un côté des unionistes qui sont partagés,
24:10 il y a à peu près 50 % d'unionistes qui ont voté contre le Brexit
24:14 et 50 % qui ont voté pour le Brexit.
24:16 Il faut dire que les unionistes, et en particulier ceux du DUP
24:20 qui est le parti majoritaire dans la famille politique unioniste,
24:24 sont et ont toujours été eurosceptiques.
24:27 Ils sont alignés avec la frange eurosceptique
24:32 du parti conservateur britannique.
24:34 Donc ce n'était pas surprenant qu'ils votent pour le Brexit.
24:38 Ce qui était très surprenant, c'est qu'ils n'avaient pas semblé
24:42 accorder beaucoup d'attention à la question épineuse de la frontière.
24:47 En revanche, de l'autre côté, du côté nationaliste,
24:49 on a voté massivement contre le Brexit parce qu'on sait
24:53 que l'Union européenne a été un facteur de progrès,
24:57 a été un investisseur énorme dans le processus de paix.
25:01 Il y a eu trois programmes qui s'appellent "Peace I", "Peace II", "Peace III",
25:05 qui ont été des programmes, des subventions énormes accordées
25:10 par l'Union européenne à des programmes promouvant la paix en Irlande du Nord
25:14 et bien entendu les subventions considérables de l'Union européenne
25:18 à l'agriculture nord-irlandaise qui reste quand même malgré tout
25:21 un secteur économique vital pour cette région.
25:25 C'est très compliqué parce que d'un côté on veut rester dans le Royaume-Uni,
25:31 d'un autre côté on ne veut pas complètement quitter l'Union européenne
25:35 et c'est là en fait qui est vraiment le talon d'Achille du Brexit,
25:40 c'est de n'avoir accordé aucune attention, ni en Irlande du Nord,
25:46 ni en Grande-Bretagne, à la question qui allait inévitablement se poser
25:49 qui est celle de la frontière et qui en fait empoisonne les débats depuis 2016.
25:53 - Kliana Njiri-Ordin, votre appartenance à l'Europe,
25:57 justement la manière dont cette appartenance se joue,
26:00 non pas seulement sur le plan politique mais aussi sur le plan culturel,
26:04 comment la voyez-vous ?
26:05 - Je pense que l'Irlande a progressé énormément grâce à l'Europe.
26:10 On n'a qu'à regarder le statut des femmes quand l'Irlande est entrée
26:14 dans l'Union européenne.
26:15 Avant l'entrée, les femmes mariées qui faisaient partie du secteur public
26:22 devaient à leur mariage démissionner.
26:27 Donc cette "marriage ban" comme on l'appelait,
26:31 a été abrogée à la fin des années 70 en préparation de l'entrée
26:36 de l'Irlande dans l'Union européenne en 73.
26:39 Le statut des femmes a énormément changé.
26:42 Il faut se rappeler que l'Irlande a eu deux présidentes femmes
26:46 et que cette libération de la femme, me semble-t-il,
26:57 est directement liée à la présence de l'Union européenne
27:01 et à notre adhésion à l'Europe.
27:03 - Et pour continuer sur l'importance de l'Irlande dans l'Europe,
27:10 dans la culture européenne, il fallait évidemment que l'on évoque Joyce.
27:16 Il fallait notamment qu'on évoque Joyce parce que vous avez travaillé
27:20 sur les traductions de Joyce, Clianane et Riordan.
27:23 Je vous propose d'entendre la voix de Joyce.
27:28 - Well, you know, don't you, Kenneth, or haven't I told you,
27:31 every telling has a tailing, and that's the he and the she of it.
27:34 Look, look, the dust is growing.
27:36 My branches lofty are taking root, and my cold chair is gone ashen.
27:41 Feel, oh, feel, oh, what age is that?
27:45 It soon is late.
27:46 'Tis endless now since I arrived at one last saw-water-house's clock.
27:50 They took it asunder, I heard them sigh.
27:53 - La voix de Joyce, quelques mots, Clianane, sur ce que l'on entend.
27:57 - Je pense que ce qu'on entend dans Finnegan's Wake,
27:58 c'est toutes les langues de l'Europe mélangées.
28:01 Et c'est ça, la force de Joyce.
28:03 Et je pense que Joyce a fui l'Irlande
28:07 parce qu'il trouvait que c'était une île inhospitable.
28:11 Pour quelqu'un qui était très ouvert, très tourné vers l'autre,
28:19 je pense qu'il ne reconnaîtrait pas le pays maintenant.
28:22 Et je pense que ce qui est très emblématique,
28:26 c'est que l'année dernière, quand on a fêté le centenaire de l'État libre de l'Irlande,
28:29 on a aussi beaucoup fêté le centenaire de la publication d'Ulysse.
28:34 Comme quoi l'Irlande voulait se racheter en mettant en avant ce personnage haut en couleur,
28:43 mais aussi très ouvert, innovant, moderniste.
28:46 Et c'est ce à quoi l'Irlande aspire aujourd'hui.
28:50 - Joyce, il a un peu fait comme vous, il est venu à Paris.
28:52 - Oui.
28:54 - Il est venu pour un petit moment, il est resté finalement 20 ans ?
28:58 - Il est resté, il a fait des va-et-vient.
29:00 Il est venu au départ pour faire des études de médecine
29:03 parce que ça coûtait trop cher en Irlande.
29:06 Mais c'était trop difficile et il est rentré chez lui.
29:09 Et puis il est revenu après être passé par l'Italie
29:14 et sur les conseils de son ami Ezra Pound.
29:19 - Et comment faire pour expliquer à quel point Joyce est aussi important aujourd'hui
29:27 dans l'image de l'Irlande, de Dublin ?
29:30 Il y a un jour consacré à Joyce en Irlande.
29:34 Expliquez-nous pourquoi il y a une telle importance de cet auteur en Irlande, Diana.
29:40 - Je pense qu'il y a plusieurs raisons.
29:41 Le jour qui est consacré à Joyce est Bloomsday, c'est le 16 juin.
29:44 - Et alors qu'est-ce qu'on y fait ?
29:47 - On se déguise, on s'habille comme des personnages du roman.
29:51 On mange ce que les personnages du roman ont mangé.
29:56 On mange de la gorgonzola, on mange des tripes.
30:00 - Mais quand vous dites "on", est-ce que c'est, j'allais dire,
30:04 des intellectuels littéraires ?
30:06 - Alors c'est devenu une fête populaire.
30:08 Je pense que beaucoup de gens qui se déguisent n'ont jamais lu le livre.
30:11 Mais c'est devenu une fête populaire
30:16 et ça fait partie aussi du "soft power" irlandais.
30:19 Je pense qu'on est très au courant de cette figure emblématique
30:24 et de ce qu'il représente
30:26 comme quelqu'un qui a révolutionné le roman en anglais.
30:30 - Qu'est-ce qu'il y a justement de révolutionnaire dans ce livre
30:33 et qu'est-ce qu'il y a d'irlandais aussi ?
30:36 - Ce qu'il y a de l'irlandais, c'est la langue,
30:39 c'est cet anglais irlandais,
30:43 "High Burno English" ou "Irish English".
30:46 C'est la promenade,
30:51 c'est ce qu'on appellerait en Irlande aujourd'hui le "crack",
30:56 c'est-à-dire les échanges, la moquerie, la jovialité.
31:02 Je pense qu'on retrouve tout ça.
31:04 Et c'est un livre qui a révolutionné la littérature
31:11 parce que c'est un livre qui ne correspond pas du tout
31:13 au canon du roman tel qu'il était conçu à cette époque-là.
31:18 - C'est-à-dire en quoi est-il révolutionnaire ?
31:21 La langue dans tous les sens du terme
31:24 parce qu'il y a beaucoup d'origine gaélique dans cette langue-là.
31:28 Il faut que vous nous expliquiez
31:30 pourquoi vous avez travaillé sur les traductions de Joyce
31:34 et pourquoi la langue de Joyce est une langue si particulière.
31:40 - C'est une langue où on a beaucoup de jeux de mots,
31:44 c'est une langue où Joyce lui-même est très attaché à l'étymologie
31:49 et à la variation linguistique.
31:52 C'est un défi énorme pour les traducteurs.
31:56 Et donc l'année dernière au Centre culturel irlandais
31:59 et en lien avec la Sorbonne Nouvelle,
32:01 nous avons organisé une série de lectures
32:03 où on a fait venir les traducteurs,
32:05 notamment le traducteur italien Enrico Territoni
32:09 qui a traduit Joyce deux fois en dix ans.
32:11 Et ce qui est formidable en Italie,
32:13 c'est que contrairement à la France
32:15 où je pense que Ulysse est devenu un livre peut-être d'élite,
32:23 en Italie c'est un livre qui reste populaire.
32:27 - Pourquoi ? Parce que le traducteur italien est meilleur que les traducteurs français ?
32:30 - Non, pas du tout.
32:31 - Ça arrive parfois.
32:33 - Il y avait Joyce qui était impliqué dans la première traduction.
32:37 On ne peut pas dire que les traductions françaises soient mauvaises.
32:40 Je pense simplement que les intellectuels français
32:47 se sont emparés de Joyce.
32:50 On a le souvenir de Jacques Lacan, du Saint-Thom.
32:54 Et donc c'est devenu quelque chose qui est devenu obscur et élitiste
32:59 alors que c'est tout le contraire de ce que voulait Joyce pour son livre.
33:04 - Agnès Maillot, vous qui êtes en duplex de Dublin,
33:06 vous habitez Dublin,
33:08 est-ce que vous avez la sensation en tant que française
33:11 d'habiter dans une nation plus littéraire
33:15 avec un autre rapport à la littérature,
33:17 avec l'ombre de Joyce comme cela ?
33:20 - De Joyce et de bien d'autres
33:22 puisqu'il y a évidemment Samuel Beckett,
33:25 il y a Seamus Heaney,
33:27 ils sont très nombreux.
33:28 Et il y a aussi, et il faut le souligner,
33:31 beaucoup de femmes qui écrivent et qui publient des choses extraordinaires.
33:35 On a une autrice contemporaine qui s'appelle Claire Kagan
33:39 qui écrit des livres magnifiques
33:41 dont l'un d'ailleurs a été adapté au cinéma
33:44 et sélectionné pour l'Oscar du meilleur film étranger.
33:47 Et ce qu'il faut souligner sur ce film
33:49 que je recommande vivement,
33:52 qui s'appelle "The Quiet Girl",
33:54 et je laisserai à Cliona le soin de le prononcer en irlandais,
33:59 c'est que ce film est en gaélique.
34:00 Il est en gaélique, sous-titré en anglais
34:03 et c'est un film absolument remarquable.
34:05 Donc il y a effectivement une vie culturelle qui est très importante.
34:10 C'est vrai que le 16 juin,
34:13 non seulement on se déguise,
34:15 mais on fait le parcours,
34:16 on retrace les pas des personnages de Joyce dans "Ulysse".
34:20 Donc ça dépasse l'étude littéraire
34:27 et qu'on la conçoit de façon plus académique.
34:30 Pour toucher la population entière,
34:32 c'est un pays où par exemple à la mort de Seamus Heaney,
34:35 qui est un poète,
34:36 il y avait un deuil national.
34:38 Il n'y a pas une seule personne qui n'ait pas été affectée
34:41 par la mort de ce poète,
34:44 qu'ils n'avaient peut-être même pas lu d'ailleurs,
34:46 mais qui fait partie de l'identité,
34:48 tout comme cette tradition littéraire,
34:51 cette tradition orale, qui est très puissante aussi,
34:56 une tradition musicale qu'on voit dans les pubs,
34:59 dans la multitude de salles de concert qu'il y a sur Dublin
35:04 et dans les autres villes.
35:05 Il y a des festivals partout.
35:07 Donc oui, il y a une vie culturelle qui est très importante
35:12 et qui est très locale aussi
35:14 et qui perpétue les traditions.
35:16 - Liana, il faut que vous nous parliez de la poésie en gaélique
35:19 parce que vous êtes venue avec un énorme livre de poésie gaélique.
35:23 Vous en avez sur votre passeport aussi ?
35:25 - Oui, je pense que c'est le seul pays au monde
35:28 où on a des poèmes sur notre passeport.
35:30 - Quel poème ?
35:31 - On a trois poèmes.
35:32 On a un poème du grand poète irlandais prix Nobel, W.B. Yeats,
35:37 auquel votre collègue Miley C.Bestry a consacré un roman.
35:41 Ensuite, nous avons un poème...
35:42 - Vous êtes aussi la traductrice de Miley C.Bestry.
35:44 - Entre parenthèses.
35:46 Il y a un poème de Nulani Gondal,
35:50 une poétesse de langue gaélique.
35:54 Et puis on a un poème en Ulster Scots,
35:57 du "Rhyming Weaver" tradition,
36:00 des personnes qui sont venues d'Ecosse s'installer en Irlande du Nord.
36:04 Et c'est une façon aussi de représenter les traditions,
36:07 les différentes traditions sur l'île.
36:09 - Est-ce que vous pouvez nous lire deux ou trois vers en gaélique ?
36:13 - Bien sûr.
36:14 Je peux vous citer un poème célèbre de Patrick McPeers,
36:20 l'un des signataires de la déclaration d'indépendance de l'Irlande
36:26 pendant l'insurrection de Pâques.
36:28 C'est un poème très court qui s'appelle "Mische Eire".
36:31 "Je suis l'Irlande".
36:33 "Mische Eire, schenne mein an Kailer Päire,
36:37 mör mövröm,
36:40 Mische Eire, uigne mein an Kailer Päire".
36:45 - Qu'est-ce que ça veut dire ?
36:46 - Ça veut dire "Je suis l'Irlande".
36:48 Je suis plus vieille que la Kailer Päire,
36:51 c'est-à-dire une figure mythique d'une vieille dame
36:55 qui est réincarnée tous les ans.
36:59 Et je suis plus âgée qu'elle, je suis plus triste qu'elle
37:04 parce qu'on m'a désertée
37:08 et je suis plus seule qu'elle.
37:12 - On voit cette identité culturelle irlandaise très forte.
37:18 Agnès Maillot, sur le plan politique, Joe Biden va repartir.
37:22 Cette paix aujourd'hui est une paix à la fois douloureuse,
37:26 une paix fragile.
37:27 Qu'est-ce que l'on peut imaginer pour les années à venir en Irlande ?
37:32 - Déjà, je pense que la priorité en Irlande du Nord,
37:35 c'est de faire en sorte que les institutions puissent se remettre à fonctionner,
37:40 c'est-à-dire qu'il y ait un accord pour former un gouvernement
37:43 entre le DUP et le Schenfeld.
37:45 Pour l'instant, les négociations n'aboutissent pas,
37:50 principalement et officiellement du fait que le DUP
37:53 n'accepte toujours pas le nouvel accord sur le Brexit.
37:59 On estime aussi que le DUP a du mal à envisager de partager le pouvoir
38:07 avec le Schenfeld, non pas parce qu'ils ne l'ont pas déjà fait,
38:10 ça a déjà eu lieu,
38:11 mais parce qu'ils auraient la deuxième place dans cette organisation bicéphale
38:20 où il y a un Premier ministre et un vice-Premier ministre.
38:23 Et pour la première fois dans l'histoire de l'Irlande du Nord
38:27 et même de l'Irlande,
38:28 ça serait le Schenfeld qui serait aux manettes du gouvernement.
38:31 Et ça, pour le DUP, c'est très compliqué à envisager.
38:34 - Un mot de conclusion, Klyana, parce qu'il y a ces divisions politiques,
38:38 mais en revanche, il y a une forme d'unité culturelle entre les deux Irlandes.
38:42 - Et pour fêter les accords de paix,
38:45 il y a eu un grand spectacle qui a été organisé à The Abbey Theatre à Dublin
38:50 où on a fait venir les gens de toute l'Irlande.
38:53 Et je trouve qu'un très bel exemple,
38:56 c'était une chanson qui vient du sud du Munster,
39:00 la région dont je suis originaire,
39:02 "Roscaha on the Moon",
39:04 et qui a été accompagnée au Lambag Drum
39:07 par quelqu'un d'Irlande du Nord.
39:09 Le Lambag Drum, c'est l'énorme tambour
39:12 qu'on voit pendant les défilés des orangistes.
39:15 Et c'était une représentation très physique
39:19 de cette unité, de cette notion qu'on peut partager l'île.
39:24 Et c'est l'idée que nous avançons maintenant, je pense.
39:28 C'est l'idée d'avoir l'île en partage.
39:31 - Merci beaucoup à toutes les deux.
39:33 Agnès Maillot, je rappelle le titre de votre ouvrage,
39:36 "L'Iraï, le conflit nord-irlandais",
39:38 aux presses universitaires de Caen.
39:40 Et merci à vous, Klyana Njeri-Odoin.
39:43 Votre livre "Irlande, histoire, société, culture",
39:47 avec Maurice Goldring,
39:48 est publié aux éditions de La Découverte.
39:51 Dans quelques instants, le point sur l'actualité, le 8.45.

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