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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 21 Juin 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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Transcription
00:00 *Générique*
00:04 Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Ils sont plus de 1000 à avoir démissionné depuis leur élection en 2020.
00:10 Les maires de France en ont parfois ras le bol et le font savoir.
00:14 Incivilité, violence, sentiment d'être abandonné par l'État ou au contraire,
00:18 40 ans après les premières lois de décentralisation, encore trop contraints par ce dernier.
00:23 Comment expliquer, décrire aussi ce malaise grandissant chez ses élus locaux et quelles difficultés affrontent-ils au quotidien ?
00:32 La démocratie locale est-elle en train de tanguer ?
00:35 Pour en parler, nous sommes avec vous dans ce studio Martial Foucault.
00:39 Bonjour.
00:40 Bonjour.
00:41 Vous êtes professeur de sciences politiques, directeur du Centre de recherche politique de Sciences Po
00:45 et on vous doit un ouvrage consacré à cette crise mère au bord de la crise de nerfs aux éditions de l'Aube.
00:53 Et puis nous sommes en duplex avec Dorothée Pacot. Bonjour.
00:59 Bonjour.
01:00 Vous êtes maire de Saint-Brévin-les-Pins en Loire-Atlantique et puis Philippe Pelletier.
01:05 Bonjour. Vous êtes maire de Lalaigne en Charente-Maritime.
01:09 Bonjour Philippe Pelletier.
01:11 Bonjour.
01:12 Votre commune a été victime d'un tremblement de terre.
01:16 Cela fait partie du métier de maire, faire face par exemple aux catastrophes naturelles.
01:23 Aujourd'hui, quelle est la situation à Lalaigne ?
01:27 Écoutez, la situation est assez catastrophique puisque d'heure en heure, on découvre des choses.
01:33 Donc d'heure en heure, on ferme des rues.
01:35 D'heure en heure, on évacue des gens parce que des maisons,
01:38 même s'il n'y a plus de secousse actuellement, aujourd'hui, depuis deux jours, trois jours,
01:41 il n'y en a pas eu depuis samedi, mais des murs continuent de se fissurer,
01:46 des façades menacent de s'écrouler.
01:48 Donc les pompiers sont là et les services de secours et surtout de prévention
01:52 et des experts du bâtiment font les maisons les unes après les autres.
01:56 Et petit à petit, il faut qu'ils reviennent réexpertiser.
01:59 Hier, on a dû faire évacuer toute une rue et on ferme les rues.
02:03 Donc certaines rues ne sont même plus accessibles aux piétons.
02:06 Seuls les pompiers peuvent y aller.
02:07 Les gens ne peuvent plus aller chez eux récupérer des affaires.
02:10 Et c'est donc très compliqué.
02:12 Je ne sais plus, sur un village de 500 habitants,
02:15 je ne suis pas sûr qu'on va être une centaine à la fin de semaine à pouvoir y rester.
02:19 Mais question naïve, monsieur le maire,
02:21 est-ce que c'est un risque auquel vous songiez auparavant, le risque sismique ?
02:26 Ecoutez, absolument pas.
02:27 Je n'avais jamais entendu parler.
02:29 Moi, je suis né dans le village.
02:30 Mon grand-père a été maire autrefois.
02:32 Jamais, jamais, je n'en ai entendu parler.
02:34 Il y a eu bien quelques secousses, mais très, très faibles parfois dans le passé.
02:38 Mais une secousse, je viens d'apprendre qu'on était sur un épicentre.
02:42 Je n'avais jamais entendu parler de ça.
02:43 Je ne savais absolument pas.
02:45 Et oui, mais alors lorsqu'une commune est frappée par un tremblement de terre,
02:49 comme c'est le cas de la vôtre, donc de la laigne en charante marron intime,
02:53 qu'est-ce qui se passe ?
02:54 Est-ce qu'il y a des aides spécifiques de l'État ?
02:57 Est-ce que les assurances prennent en charge le relogement des habitants ?
03:02 Question qu'on est obligé de se poser aujourd'hui en ce qui vous concerne.
03:07 Philippe Pelletier.
03:08 Aujourd'hui, on a plusieurs sortes d'aides ou d'interventions.
03:12 D'abord, d'une part, on a la gendarmerie qui est présente
03:15 et qui reste très présente jour et nuit,
03:17 et qui va l'être certainement longtemps,
03:18 puisque des maisons ne peuvent plus fermer les portes, des gens n'y sont plus.
03:21 Donc, il y a des risques de pillage.
03:23 Déjà, on voit des gens qui commencent à venir traîner.
03:27 Voilà, c'est comme ça que ça se passe.
03:30 Ensuite, on a bien entendu les services de secours, les pompiers qui sont là.
03:35 Et les assurances interviennent, sauf que pour beaucoup de gens,
03:38 souvent c'est compliqué, les assurances payent trois jours d'hôtel,
03:42 cinq jours au maximum.
03:44 On est dans une région qui est en crise de logement.
03:47 Depuis samedi, j'ai trouvé une seule maison allouée,
03:51 j'ai pu reloger qu'une seule famille.
03:53 Les gens, pour l'instant, bien sûr, sont dans les familles, chez des amis,
03:56 mais c'est extrêmement compliqué.
03:58 Alors, comment ça va se passer après ?
04:00 Est-ce que vous avez des interlocuteurs, le préfet par exemple ?
04:04 Bien sûr, on a le préfet qui s'est déplacé,
04:06 M. le ministre François Mechut est venu,
04:09 enfin, on voit en dessous, on a eu des visites.
04:11 Mais si vous voulez, c'est pas trop ça qui m'inquiète,
04:14 quand on est sur le moment, sur le feu de l'action,
04:16 c'est après, qu'est-ce qu'il va se passer.
04:18 C'est toujours ça qui me tracasse, c'est la suite.
04:21 Et la suite, ce qui vous tracasse, c'est la reconstruction des maisons,
04:27 la manière dont le village va vivre.
04:29 J'imagine que parmi les bâtiments touchés, il y a peut-être l'école,
04:34 peut-être même la mairie d'ailleurs.
04:36 Comment la vie du village va-t-elle se poursuivre ?
04:39 Nous, la mairie est un petit peu touchée, pas trop, donc ça va.
04:42 Tous nos bâtiments communaux sont touchés.
04:46 L'église et le clocher menacent de s'effondrer.
04:50 L'école, comme elle est à côté, est fermée.
04:52 De toute façon, il y a un grand mur qui risque de s'écrouler aussi.
04:55 Donc évidemment, tous les experts vont passer et tout ça,
05:00 les assurances vont réagir là-dessus.
05:03 Mais après, il va falloir reconstruire.
05:05 On est déjà dans un...
05:06 J'ai contacté plusieurs artisans,
05:07 voire pour faire un petit peu le point avec eux.
05:09 Les maisons sont absolument débordées,
05:12 ont déjà un an de travail d'avance.
05:14 Ils me disent tous qu'ils ne trouvent personne à embaucher,
05:17 ils n'arrivent pas à recruter, alors que là, ils ont à voir maintenant,
05:21 je dirais, avec trois ans de travail d'avance.
05:24 Certaines entreprises me disent qu'ils commencent à faire appel
05:26 à de la main-d'œuvre étrangère,
05:27 parce qu'il n'y a personne sur place, sur le territoire,
05:30 ou même en France, je tentais de dire.
05:32 Donc c'est compliqué, c'est vraiment compliqué.
05:35 Mais est-ce que vous avez la sensation d'être seul dans cette épreuve,
05:39 Philippe Pelletier ?
05:41 Non, je ne suis pas seul.
05:42 Non, non, les pouvoirs publics nous ont aidés.
05:44 Monsieur le Préfet est très présent.
05:46 Non, je ne peux pas dire ça.
05:48 Non, ils ont été présents.
05:49 Monsieur le Préfet est déjà venu deux ou trois fois.
05:51 Non, Madame la députée est venue.
05:53 Demain, je vois M. le Sénateur, Mikaël Vallée.
05:56 Les parlementaires nous ont aidés.
05:57 Madame la présidente du Conseil départemental...
06:00 D'accord, donc la solidarité joue à plein.
06:02 Les assurances, est-ce que là aussi, elles remplissent leur rôle
06:05 ou est-ce que c'est compliqué parce que...
06:08 Alors les assurances, je ne suis pas dedans.
06:12 Certaines...
06:13 Vous pouvez, vous pouvez.
06:16 Et certaines ont tendance à traîner,
06:19 exigent que l'arrêté de catastrophe naturelle,
06:21 qui ne va pas sortir tout de suite, et qui ne veulent rien faire avant.
06:24 Bon, c'est plutôt compliqué, les assurances.
06:28 Certaines, ça va très bien.
06:29 Moi, personnellement, à titre personnel, je suis assuré,
06:32 ils ont réagi tout de suite.
06:33 Ils m'envoient même un expert ce matin,
06:35 parce que ma maison est fixée dans le rouge, je peux plus y habiter.
06:38 Nous, la commune, c'est la SMAC, SMAC Élégricole.
06:41 L'expert était déjà là hier, il a déjà tout inspecté, les bâtiments.
06:45 Donc on a aussi eu la visite de M. l'architecte des bâtiments de France.
06:49 On a quand même voué pour l'instant, on est aidés.
06:51 Ça, je peux vous dire, ça se passe très bien.
06:54 Dorothée Pacot, alors une situation complètement différente,
06:57 puisque vous, vous êtes maire de Saint-Brévin-les-Pins,
07:00 vous êtes la nouvelle maire de Saint-Brévin-les-Pins.
07:03 On se souvient que votre prédécesseur avait démissionné
07:08 suite aux menaces, aux exactions qui avaient été commises contre lui.
07:14 Et on a appris, Dorothée Pacot, que vous aviez déposé quatre fois plainte
07:20 suite à des menaces dont vous avez été l'objet.
07:25 Là aussi, une situation très particulière.
07:27 Comment vivez-vous ce moment, Dorothée Pacot ?
07:31 La première chose, déjà, je voudrais apporter mon soutien à M. le maire
07:35 et à tous les habitants de la Lagne, parce que je pense que quand on est maire,
07:37 c'est vrai que ce sont des situations extrêmes et qui doivent mobiliser à plein
07:42 et qui sont très inquiétantes pour tous les habitants de la commune.
07:48 Moi, effectivement, je suis maire depuis une dizaine de jours
07:50 et j'ai effectivement déjà dû déposer des plaintes
07:53 suite à des courriers reçus en mairie, des articles injurieux.
07:59 Et c'est vrai que moi, je suis quand même première adjointe depuis six ans.
08:03 Donc j'étais aux côtés de Yannick Maures, j'ai vu la pression à laquelle il a été soumis.
08:07 Et j'ai vu aussi ce qui est arrivé le 22 mars,
08:10 lorsqu'il a subi un incendie criminel à son domicile.
08:13 Donc forcément, moi, je suis déterminée à ne rien laisser passer.
08:17 Donc je le vis, je m'y attendais.
08:19 Je veux dire, ça fait presque 18 mois qu'on subit ça.
08:23 Donc voilà, mais je pense qu'à un moment donné, il faut que ça s'arrête
08:27 parce que c'est allé très, très loin pour Yannick Maures.
08:29 Et vous vous êtes dit "je dois y aller"
08:32 lorsque il a été question d'opérer la succession de Yannick Maures.
08:38 Est-ce que c'est quelque chose auquel vous avez réfléchi, hésité ?
08:45 Bref, qu'est-ce qui vous a incité, Dorothée Paco,
08:48 connaissant le climat actuel dans la commune,
08:51 à vouloir finalement relever ce défi ?
08:56 C'était la poursuite d'un engagement que j'ai depuis 9 ans quand même
09:00 au service de la commune et depuis 6 ans en tant que première adjointe.
09:04 Donc c'est vrai que logiquement, le maire démissionne.
09:09 Forcément, je faisais partie des personnes qui pouvaient se poser cette question-là.
09:13 Donc je me la suis posée et j'y ai réfléchi,
09:15 d'autant plus que le contexte était particulier.
09:19 Et puis j'ai senti un grand soutien de la part de toute mon équipe
09:22 et de la part de mes proches également.
09:23 Donc c'est ça qui m'a convaincue que oui, il ne fallait surtout pas renoncer,
09:28 ce qui était déjà ma conviction profonde.
09:30 Et les habitants de Saint-Brévin, parce que c'est une commune de taille humaine,
09:37 donc j'imagine que vous devez connaître les gens,
09:40 donc ceux qui vous soutiennent,
09:41 ceux aussi peut-être qui sont en désaccord avec la politique menée,
09:45 ceux peut-être également qui vous menacent.
09:48 Bref, comment ça se passe ? Comment voyez-vous les choses ?
09:52 On est quand même une commune de près de 15 000 habitants
09:54 et en plus une station balnéaire avec 3 à 4 fois plus de monde l'été.
09:59 Donc ça fait quand même beaucoup de monde,
10:01 mais évidemment, je connais déjà beaucoup de monde depuis 9 ans que je suis élue.
10:06 Les habitants, il y a effectivement un petit groupe,
10:10 qui c'est un collectif qui s'est créé,
10:12 mais qui s'était déjà créé en fait en 2016,
10:14 quand on a accueilli nos premiers réfugiés
10:16 et qui là s'est réactivé avec le déplacement du centre.
10:20 La plupart des habitants que je rencontre ou qui m'écrivent
10:23 me témoignent quand même de leur soutien.
10:26 Tout le monde voit bien qu'il n'y a pas eu de problème
10:29 avec l'accueil des réfugiés sur notre commune depuis 2016.
10:32 Il y a eu une très forte solidarité d'ailleurs qui s'est manifestée
10:35 par des associations ou tout simplement des habitants
10:39 qui sont venus apporter spontanément leur aide dans l'apprentissage du français,
10:43 pour le prêt de vélo,
10:44 pour proposer des activités sportives aux personnes accueillies.
10:48 Donc voilà, effectivement on connaît les personnes de ce petit collectif,
10:51 mais ils sont quand même ultra minoritaires.
10:53 - Oui, parce qu'on était venu avec les Matins de France Culture à l'époque, en 2016,
10:58 lorsqu'il y avait eu effectivement les débuts de cet accueil.
11:04 On avait constaté qu'il y avait un climat relativement serein.
11:08 Et alors dans ces conditions, vous vous dites Dorothée Paco,
11:12 vous qui êtes maire de Saint-Brévin, qu'il s'agit d'une minorité active,
11:16 ceux qui sont hostiles à cette décision,
11:19 qu'il ne faut pas se laisser impressionner justement par ces gens,
11:23 même s'ils veulent s'y faire ?
11:25 - Oui, je pense en fait.
11:27 Peut-être qu'il y a des gens qui ne l'expriment pas
11:29 et qui ne sont pas forcément favorables.
11:33 Je ne peux pas prétendre dire ce que pensent les 15 000 habitants de Saint-Brévin.
11:37 Par contre, ce que je sais, c'est qu'il y en a énormément qui sont favorables
11:41 et qui me disent de ne pas lâcher.
11:42 Et que par contre, ce petit collectif a pour moi franchi la ligne rouge,
11:46 puisqu'ils sont tombés dans l'invective, l'insulte,
11:49 qu'ils publient régulièrement des choses sur des sites d'extrême droite
11:53 et que derrière leur idée que c'est la nouvelle localisation
11:57 à proximité d'une école qui leur pose problème,
12:00 quand on lit un peu ce qu'ils publient,
12:03 on voit bien que c'est au-delà de ça et que ce sont vraiment des idéologies racistes.
12:08 D'autant que plusieurs personnes de ce collectif étaient déjà là à s'opposer en 2016,
12:12 alors que la localisation était différente.
12:14 - Martial Foucault, vous qui êtes directeur du Cévi-Pov,
12:18 professeur de sciences politiques, qu'en pensez-vous ?
12:22 - Sur le sujet de Saint-Brévin, radicalement différent de celui de cette commune de Charente-Maritime,
12:29 je pense que la maire a raison.
12:31 C'est vrai que sur l'objet, le thème qui a conduit à ces violences,
12:38 à Saint-Brévin, on est sur un sujet très politisé
12:40 parce que le déménagement d'un centre d'accueil pour demandeurs d'asile,
12:45 on voit bien, dépasse largement le champ de compétence d'une commune, tout d'abord.
12:48 Donc, un, une maire ne peuvent pas seule gérer une situation
12:55 qui, encore une fois, dépasse largement le champ de compétence d'un maire.
12:59 Et pour moi, ce qui est frappant dans cet événement tragique,
13:04 c'est à la fois la très très grande difficulté à pouvoir,
13:10 au sein d'une population contrôlée, comme vous l'avez dit Guillaume Erner,
13:13 peut-être une minorité active,
13:16 mais aussi, ce sujet, c'est un sujet sur une question de politique d'immigration.
13:21 Or, on voit bien que c'est un thème, c'est un enjeu qui est traité au niveau national.
13:27 Et lorsque les élus locaux doivent se saisir de ces questions,
13:30 parfois, effectivement, ils peuvent se retrouver seuls.
13:33 Et même, je dirais, en contradiction avec une volonté de pouvoir agir au plan local,
13:42 une volonté qui peut être en porte à faux avec une politique nationale.
13:46 Et donc, dans ces circonstances, j'ai été très surpris en tout cas que
13:52 ces éléments n'aient pas pu être mieux anticipés par l'ensemble des services de l'État
13:57 et pas simplement l'État déconcentré et les services de la préfecture.
14:01 Parce que je crains que dans une société française,
14:05 de plus en plus polarisée sur des questions idéologiques et politiques,
14:10 et l'immigration est un sujet fortement politisé.
14:13 Donc, ça a des répercussions dans la cohésion de territoire,
14:17 y compris d'une commune qui n'est pas petite, 15 000 habitants, comme le rappelait la maire.
14:21 Votre réaction, Dorothée Pacot ?
14:24 Oui, je suis d'accord. Je sens bien qu'il y a une récupération politique bien au-delà de la commune.
14:29 D'ailleurs, ce collectif, voyant qu'il n'arrivait pas à mobiliser les parents d'élèves
14:34 et les nombreux riverains du quartier, à part quelques-uns,
14:37 est allé chercher du renfort auprès de partis extrémistes.
14:41 Donc, voilà, et clairement, ça dépasse tout à fait les compétences du maire.
14:46 Mais, au-delà de ça, il y a eu une polémique pour savoir si Yannick Morès avait été soutenu ou non par l'État.
14:54 Votre point de vue à ce sujet ?
14:57 Moi, j'étais à ses côtés. Je vois bien, effectivement, il y avait déjà des menaces, des intimidations.
15:01 Et c'est vrai qu'on ne se sentait pas forcément écoutés. Les relations étaient difficiles avec la sous-préfecture.
15:08 Voilà. Après, depuis mon élection, les choses ont changé.
15:11 Pardonnez-moi. Ça veut dire qu'il ne tenait pas compte ? Les services de la préfecture
15:17 ne prenaient pas au sérieux les menaces dont était l'objet Yannick Morès ?
15:22 En fait, on avait le sentiment qu'elles étaient minimisées.
15:24 C'est-à-dire qu'il y avait des tracts anonymes dans la boîte aux lettres, mais on nous disait qu'à partir du moment où c'est anonyme,
15:29 bon, voilà, on ne peut rien faire, que les propos sur des sites d'extrême droite où il y avait des commentaires vraiment qui appelaient au meurtre et à la haine,
15:37 bon, que c'était des gens... Voilà, c'était des paroles en l'air, quelque part. C'est ça qu'on avait consenté, en fait.
15:43 Alors qu'aujourd'hui, en fait, quand on a malheureusement vécu ce qui s'est passé le 22 mars avec l'incendie criminel,
15:51 on a tous été d'abord très, très choqués, bouleversés. Et on se rend compte que malheureusement,
15:55 toute cette parole débridée peut entraîner des actes très, très graves.
15:59 Philippe Pelletier, vous, vous n'êtes pas du tout dans la même situation, puisque votre commune a été victime d'un tremblement de terre.
16:04 Mais est-ce que le discours de Dorothée Paco, finalement, les menaces dont peut-être victime un maire,
16:12 est-ce que ça, ça fait sens pour vous ? Parce que j'ai l'impression que beaucoup d'élus aujourd'hui sont exposés à cela.
16:20 Tout à fait. Je vais quand même vous expliquer quelque chose. Je n'ai pas eu de problème aussi important qu'à Saint-Brévent,
16:25 qu'aux élus de Saint-Brévent. Mais ce qu'il faut bien savoir, c'est que la justice ne nous suit absolument pas.
16:32 Je ne sais pas combien je vais porter de plainte pour des incivilités, des infractions d'urbanisme.
16:37 Et à ce qu'il y ait éventuellement un retour de Raphaël Allalot, les 90 %, on n'a même pas une réponse.
16:46 On ne sait jamais rien. Le procureur ne répond jamais à rien. Jamais, jamais.
16:50 C'est-à-dire quoi ? Qu'il ne répond pas ?
16:52 Il ne répond pas parce que tout est classé. Il ne nous répond jamais. Nous, la relation justice-élu n'existe pas.
17:00 Moi, je n'ai jamais eu de retour, rien du tout. Et pourtant, je dis que je suis à des plaintes.
17:04 Les infractions d'urbanisme, il les classe. Tout est classé. J'ai eu deux ou trois fois des retours en disant
17:12 « On a fait un rappel à la loi. » Enfin, on va faire faire un rappel à la loi. Le reste, on n'a même pas de retour.
17:18 Maintenant, je ne porte plus de plainte, rien du tout. De toute façon, je sais que ça ne sert absolument à rien.
17:22 Et on passe notre temps à se courir.
17:24 Philippe Pelletier, maire de Laleigne, en Charente-Maritime, la commune qui a été victime d'un tremblement de terre.
17:29 Dorothée Pacot, maire de Saint-Brévin-Lépin, en Loire-Atlantique.
17:34 Et enfin, Martial Foucault, professeur de sciences politiques.
17:37 On vous doit notamment maire au bord de la crise de nerfs.
17:40 Aux éditions de l'Aube, on continue d'évoquer ce malaise des élus dans une vingtaine de minutes.
17:46 Il est 8h sur France Culture.
17:48 * 7h-9h, les matins de France Culture. Guillaume Erner. *
17:56 Et ce malaise des maires, il est parfaitement quantifiable puisque depuis la dernière élection,
18:00 ils sont 1300 à avoir jeté l'éponge. 1300, c'est un chiffre qui fait effectivement réfléchir
18:07 sur cette crise démocratique que l'on traverse.
18:10 Ce n'est pas votre cas, Catherine Arénoud. Bonjour.
18:13 * Bonjour. *
18:15 Vous êtes maire d'Yverdroite de Chanteloup-Lévine.
18:19 Vous n'avez donc pas aujourd'hui renoncé à votre mandat.
18:22 Est-ce que c'est une pensée qui vous a traversée d'ores et déjà, Catherine Arénoud ?
18:27 Ou bien vous considérez vous comme une combattante et donc vous n'avez jamais eu cette idée en tête ?
18:36 Non, je n'ai quasiment jamais eu cette idée en tête, sauf fugitivement lorsque la violence était trop importante.
18:43 Enfin, vous savez, ça fait humain.
18:45 Non, je pense qu'on est là avec une équipe pour une mission,
18:49 puisque je suis persuadée que l'être maire, c'est accomplir une mission au service de l'intérêt général.
18:54 Et cet intérêt général, fatalement, il est confronté à une succession d'intérêts particuliers
19:00 qu'il nous faut confronter, agglomérer.
19:03 Il faut expliquer, il faut faire comprendre pourquoi on est là, pour vivre tous ensemble sur un territoire.
19:08 C'est ce qui donne la force et l'envie.
19:11 La force et l'envie, il en faut effectivement pour être maire.
19:15 On l'a vu, Martial Foucault, vous qui vous êtes penché sur cette question des maires,
19:21 comment analyser la situation de ces élus ?
19:25 Il y a donc un certain nombre de questions qui sont des questions générales à la société,
19:30 comme la question du harcèlement, la question de la violence,
19:33 une violence qui peut s'exprimer directement ou en ligne.
19:37 Il y a des questions liées à leur propre responsabilité.
19:40 On l'a entendu tout à l'heure avec Philippe Pelletier, le maire de La Lagne,
19:44 la commune en Charente-Maritime, l'une des communes qui a été victime de ce tremblement de terre.
19:49 Mais au-delà de ça, qu'est-ce que cette crise des élus municipaux révèle ?
19:56 Il y a plusieurs sujets qui s'entrecroisent et parfois on a tort de penser que tout cela
20:04 produise un paysage ou certaines causes.
20:09 Vous avez parlé des violences, vous avez parlé d'une relation parfois abîmée à l'État,
20:14 l'État central, problème de reconnaissance de la fonction de maire.
20:17 Et elle produirait forcément des conséquences comme celle des démissions.
20:21 À vrai dire, je crois qu'il faut rester très prudent parce que tout d'abord,
20:25 là, je parle en tant que chercheur, on a un mal fou à obtenir un travail
20:30 et des données fiables et documentées sur les causes de démission.
20:36 Ça, c'est un premier sujet. Vous parlez des maires, des centaines.
20:39 C'est vrai qu'on est sur une tendance près de 400 démissions par an depuis 2020,
20:44 alors que ce n'était que 250 le mandat précédent et une centaine il y a plus de 10 ans.
20:52 Donc, oui, il y a une tendance qui est indéniable.
20:55 Mais on pourrait aussi parler des conseillers municipaux.
20:58 Ce sont des milliers de conseillers municipaux qui ont démissionné depuis 2020
21:02 et cela passe quasiment sous le radar.
21:05 Donc, il y a bien un phénomène.
21:07 Je ne sais pas, les économistes américains ont beaucoup parlé de la grande démission
21:11 pour parler du marché de l'emploi après la crise Covid.
21:13 Je ne crois pas qu'on soit dans une séquence de grande démission,
21:16 mais on aurait tort de penser que c'est un phénomène qui, s'il traverse la société,
21:20 il n'y a pas de raison de penser que les élus ne seraient pas eux-mêmes
21:24 exposés à ces situations de tension.
21:28 Moi, je vois deux causes principales.
21:30 La première, c'est que, et vous avez parlé tout à l'heure,
21:33 Guillaume Erner, d'une période de célébration des 40 ans de loi de décentralisation
21:38 chère à Gaston Defert en 1982.
21:40 On a pensé que ces lois de décentralisation allaient donner un souffle nouveau
21:46 à l'action publique locale.
21:48 La réalité, c'est qu'on a donné beaucoup de compétences, des champs d'action.
21:51 Et dans le même temps, on a, j'allais dire,
21:54 recentralisé l'action financière des élus.
21:57 Et ça, c'est un premier sujet de malaise.
21:59 Et puis, un deuxième sujet très important, c'est que la fonction de maire,
22:03 elle est aujourd'hui profondément à la fois connue des Français.
22:07 Les Français adorent leur maire.
22:09 C'est l'élu préféré.
22:10 Et dans le même temps, on voit bien qu'il y a eu une mise à distance
22:14 de l'ensemble des autres élus, conduisant les maires à être,
22:17 comme vous l'avez dit, en première ligne.
22:19 Être en première ligne ne veut pas dire avoir réponse
22:22 à toutes les demandes sociales qui peuvent leur être exprimées.
22:25 Jean Lemarie, pourriez-vous aller plus loin sur cette situation paradoxale
22:28 que vous montrez bien, effectivement, dans vos enquêtes, dans vos travaux au Cevipof ?
22:31 Les maires sont simultanément de plus en plus exposés
22:35 et de plus en plus appréciés, encore plus depuis la pandémie.
22:39 Comment est-ce que ces deux points-là peuvent coexister ?
22:42 Ils peuvent coexister.
22:44 Et d'ailleurs, ce n'est pas forcément une contradiction.
22:46 Ils sont appréciés souvent à défaut d'autres représentants.
22:50 Donc là, c'est la question de la proximité.
22:52 On est dans un moment où aujourd'hui, le jeu politique nécessite,
22:58 on l'a bien vu après le mouvement Gilets jaunes et le débat national,
23:02 ce retour parfois de citoyens qui n'avaient pas l'habitude
23:05 d'être dans des réunions publiques, avoir envie de discuter.
23:08 Et nous n'avons pas des institutions qui, aujourd'hui,
23:11 facilitent ces moments de discussion.
23:13 Et donc, ce n'est pas une contradiction dans le sens où on peut apprécier un élu
23:16 et en même temps estimer que c'est le seul élu visible.
23:20 C'est le seul élu que l'on peut rencontrer à tort ou à raison.
23:25 Et donc, il est, oui, bien sûr, une forme de paratonnerre
23:28 de toutes les demandes qui peuvent s'exprimer.
23:30 Catherine Arrénoud, vous qui êtes maire de Chanteloup-les-Vignes,
23:34 justement, l'évolution des pouvoirs du maire,
23:35 comment les vivez-vous concrètement ?
23:38 Qu'est-ce que ça veut dire sur le terrain ?
23:42 Alors, qu'est-ce que ça veut dire sur le terrain ?
23:44 Ça veut dire que d'abord, les habitants n'ont pas changé leur regard,
23:47 mais devant ce qu'il leur ressemble comme une étatisation,
23:51 enfin, tout est toujours plus loin, l'administration est plus lointaine,
23:55 tout est dématérialisé.
23:57 La seule personne physique qu'ils connaissent, qu'ils reconnaissent,
24:00 qu'ils peuvent rencontrer, c'est le maire.
24:02 Et du coup, le rencontrant en proximité, il lui donne tous les pouvoirs.
24:08 Tout le monde le sait, ce qui est faux.
24:11 Donc, en fait, ça met le maire en position un peu paradoxale.
24:14 Il est à la fois celui qui est censé tout faire, et dans la vraie vie,
24:19 le rôle de maire, c'est de plus en plus technique,
24:21 c'est de plus en plus professionnel.
24:23 Et du coup, plus on apprend, plus on s'aperçoit qu'on ne sait pas,
24:26 enfin, c'est un grand classique,
24:27 et plus on s'aperçoit qu'en fait, on est quand même,
24:31 quelquefois, dans l'impossibilité de prendre des décisions
24:34 parce que ça ne relève pas de notre compétence.
24:36 Mais ça ne veut pas dire pour ça que la relation avec l'habitant
24:39 doit être exclusive.
24:41 Savoir dire qu'on ne peut pas parce que ça ne relève pas de notre compétence,
24:44 c'est d'abord dire, c'est aussi avoir ce dialogue,
24:47 peut-être à la fois compris.
24:48 Et puis, le maire n'est pas obligé de faire,
24:50 il n'est pas obligé de savoir faire,
24:52 il peut accompagner l'habitant dans un certain nombre de démarches,
24:55 dans un certain nombre de compréhensions de la société.
24:57 Mais alors, Catherine Arénoud, on avait tout à l'heure, par exemple,
25:00 le maire de Laleigne, Philippe Pelletier, en Charente-Maritime.
25:04 Alors lui, il disait, voilà, moi, je ne suis pas suivi par l'administration
25:08 lorsqu'il y a des infractions au droit de l'immobilier.
25:10 J'imagine que ça fait partie de vos activités,
25:14 voir comment on construit bien ou mal dans la commune.
25:19 Je saisis le parquet et les plaintes, généralement, sont classées sans suite.
25:24 Alors, par exemple, est-ce que ça, c'est aussi une situation que vous vivez ?
25:28 Oui, ça, je vis et j'en ai vécu.
25:31 C'est effectivement un peu désespérant,
25:32 puisque lorsqu'on lance des procédures comme ça,
25:36 c'est parce qu'il y a un particulier qui a considéré qu'il était seul sur terre
25:39 et que le voisinage, que la vie en général, ne l'intéressait pas.
25:44 Donc, en fait, ce qu'on fait, ce qu'on essaye de faire valoir,
25:47 c'est justement l'intérêt général.
25:49 Quand le parquet ne nous suit pas, c'est désespérant,
25:51 parce que les habitants ont vraiment l'impression que, du coup,
25:55 tout le monde peut tout faire,
25:56 puisque même le maire n'a pas la possibilité d'arrêter ce qui n'est pas normal.
26:00 Et ça, c'est un peu insupportable.
26:01 C'est fréquent ?
26:03 Parce qu'à entendre Philippe Pelletier, c'était très, très fréquent.
26:09 Alors non, ça n'est pas si fréquent,
26:10 parce que je pense qu'il y a plein de choses qu'on peut essayer d'anticiper,
26:13 prévenir.
26:14 La discussion, souvent, aboutit à des compromis qui sont tolérables par tous
26:20 avant d'aller dans une procédure.
26:22 Non, mais il faut avoir l'œil partout.
26:24 Il faut être en grande proximité.
26:26 Il faut être attentif à tout, dans le droit de l'urbanisme,
26:30 comme dans tous les droits de la vie dans une cité.
26:32 Mais le droit de l'urbanisme, effectivement, c'est un petit peu particulier,
26:35 parce que c'est l'ambiance française.
26:37 Chacun chez soi, je fais ce que je veux.
26:39 - Jean-Louis Marie, si je vous comprends bien,
26:41 vous vous sentez comme maire, souvent en porte à faux.
26:45 Est-ce que des habitants vous reprochent finalement votre impuissance
26:48 en tant qu'élu et élu de proximité ? C'est ça ?
26:51 - Oui.
26:53 Oui, il faut admettre que lorsqu'on reçoit des habitants
26:55 et qu'on n'a pas la solution, ou plus exactement,
26:58 qu'on n'a pas, on ne peut pas mettre en œuvre la solution qu'ils veulent.
27:01 Et ce n'est pas tout à fait la même chose.
27:04 Effectivement, le propos qui est "bon, alors vous êtes maire et vous servez à rien",
27:09 on l'entend très régulièrement.
27:10 Il faut l'admettre.
27:11 Il faut l'admettre parce que ça relève du fait que les habitants considèrent
27:15 que nous avons tous les pouvoirs.
27:16 Or, ce n'est pas vrai.
27:18 - Merci, Al Foucault.
27:19 - Oui, je retiens une contradiction peut-être autour de ce témoignage
27:24 et ce que vous disiez, Jean Lemariès, c'est-à-dire que,
27:27 d'une certaine manière, les maires peuvent assumer une responsabilité
27:32 du tout dans la cohésion d'un territoire.
27:35 Mais s'ils sont responsables du tout, ils ne veulent pas
27:38 et ne souhaitent pas être responsables de tout.
27:40 Et le de tout, c'est tous les problèmes.
27:42 Et là, effectivement, je pense qu'il y a un besoin
27:46 d'évolution institutionnelle indéniablement.
27:50 Parce qu'en même temps, on voit ces problèmes grossir.
27:54 Et je crois que la question des violences est un sujet de grande préoccupation.
27:59 Mais dans le même temps, il ne faut jamais oublier que la France
28:03 est un pays très singulier dans le monde.
28:05 C'est le seul pays capable, lors des élections municipales,
28:09 de rassembler près de un million de citoyens qui vont s'engager
28:13 sur des listes électorales.
28:14 Certes, il y a 35 000 communes, mais rapportées à la population,
28:18 c'est un engagement très, très fort.
28:20 Donc, la démocratie municipale, elle n'est pas totalement en danger.
28:24 En revanche, ces sujets sont nouveaux et à l'échelle locale,
28:28 ils n'existaient pas, ou très, très peu.
28:30 C'était globalement le fait divers.
28:33 Aujourd'hui, ça devient un fait de société.
28:35 Donc, manifestement, les réponses adaptées à la question des violences
28:38 et vous parliez de la justice.
28:41 Moi, je pense qu'on est même peut-être à un niveau bien inférieur
28:45 à la réalité des violences, parce qu'il ne faut pas oublier que
28:47 la décision d'un maire ou d'une maire de porter plainte,
28:52 ce n'est pas naturel.
28:53 C'est quelque chose qui, finalement, met à mal l'idée de l'autorité municipale.
28:57 Donc, probablement, certes, il y a eu des efforts, des accompagnements,
29:00 mais on est peut-être en dessous d'une situation réellement vécue.
29:04 Et aujourd'hui, la réponse, elle ne peut pas être simplement
29:07 dans l'arsenal répressif.
29:08 J'entends l'idée d'aller encore un peu plus loin sur les peines
29:15 encourues par les auteurs de ces victimes.
29:17 Je crois qu'il faut prendre le problème en tant que tel,
29:20 c'est-à-dire un problème global.
29:21 Si on est sur des incivilités, c'est une question d'éducation.
29:24 Donc, on voit bien que ça mêle au-delà de la question
29:28 à la fois justice et police.
29:30 Mais qu'est-ce que vous en pensez, Catherine Arénault ?
29:32 Est-ce que c'est un problème d'éducation ?
29:34 Parce qu'aujourd'hui, les gens ont beaucoup plus tendance
29:37 à menacer leurs prochains qu'auparavant.
29:39 Est-ce que c'est lié aussi au pouvoir que vous avez
29:43 ou qu'on vous prête ?
29:44 Et alors, quand les gens n'ont pas ce qu'ils veulent,
29:47 du coup, ils se mettent à menacer
29:51 ou bien au contraire, au pouvoir que vous n'avez pas
29:54 parce que vous êtes de plus en plus impuissant
29:57 à obtenir ce que les gens voudraient.
30:00 Qu'est-ce qui pourrait aujourd'hui éclairer cette question ?
30:03 Puisque c'est un discours qui est, semble-t-il, majoritaire
30:06 parmi les mères, les violences, les menaces
30:09 dont ils sont l'objet aujourd'hui.
30:12 Je crois qu'une ville, c'est jamais qu'une petite société
30:15 avec tout type d'action et d'engagement
30:19 et de violences qui s'exercent.
30:22 Notre société a évolué.
30:23 Il faut qu'on considère aussi que les relations entre élus
30:26 et habitants ont évolué.
30:28 Qu'il faut, du coup, peut-être apprendre.
30:31 Vous savez, quand on devient maire,
30:33 on n'a pas appris, c'est un métier qu'on n'a pas appris.
30:35 Quand on devient conseiller municipal,
30:36 c'est un métier qu'on n'a pas appris.
30:37 Et c'est d'ailleurs une des premières raisons des démissions.
30:41 C'est la déconnexion entre ce qu'on imaginait du poste
30:44 et ce qu'il y a vraiment.
30:46 Et puis, c'est le conflit avec, naturellement,
30:48 une vie professionnelle, une vie privée.
30:49 C'est surtout ça.
30:50 C'est rarement les violences qui nous font lâcher vraiment.
30:53 C'est quelques exemples rares.
30:54 C'est souvent le conflit d'un métier,
30:57 d'une espèce de métier qu'on n'avait pas appris.
30:59 Entre autres, il va falloir apprendre, nous élus,
31:01 comme on apprend dans un certain nombre de situations,
31:04 il va nous falloir apprendre à gérer
31:05 cette nouvelle société de violence
31:07 et à apprendre à ne pas la déclencher,
31:11 mais aussi à savoir la réguler,
31:14 à savoir réguler le dialogue,
31:16 à transformer ce dialogue de violence
31:18 en un vrai dialogue de partage.
31:20 C'est assez compliqué, mais par exemple, on fait faire ça.
31:23 On fait je ne sais combien de séances de formation
31:25 à nos administrations,
31:27 pour apprendre à communiquer intelligemment
31:30 et d'une façon paisible avec les administrés.
31:32 Je pense qu'il va falloir qu'on apprenne,
31:34 les associations d'élus, comment faire ces formations,
31:37 parce que ça va être une de nos missions.
31:41 Alors après, bien évidemment,
31:42 tout ça c'est aussi une question d'éducation.
31:43 C'est pour ça qu'il ne faut pas en être arrivé.
31:47 Vous savez, c'est un échec.
31:48 Quand on est obligé d'aller porter plainte,
31:49 moi je considère ça comme un échec.
31:50 C'est-à-dire qu'à un moment donné,
31:52 il y a une relation qui n'est pas normale
31:55 et qu'on contaste.
31:57 Alors, 99 fois sur 100, c'est un classement sans suite,
32:00 parce que généralement les auteurs ne sont pas connus,
32:02 ne sont pas retrouvés,
32:03 ce qui fait que les sanctions,
32:05 vous pouvez les majorer, ça ne changera rien à mon avis.
32:07 Mais effectivement, tout ça, c'est un travail d'éducation,
32:10 c'est un travail de citoyenneté
32:12 et il faut la commencer très, très tôt.
32:13 Il faut la commencer dès la petite enfance.
32:16 C'est comme ça peut-être qu'on aura des adultes
32:18 qui savent se parler.
32:19 Qu'est-ce que vous en pensez, Martial Foucault ?
32:21 Oui, je suis d'accord sur le propos
32:24 consistant à dire que la raison principale,
32:26 dont j'avais pu le constater par le passé,
32:29 la raison principale des démissions des maires en France,
32:32 reste la très grande difficulté à concilier la fonction de maire
32:37 et celle d'une vie professionnelle.
32:39 Rappelons qu'un maire sur deux en France
32:41 a une activité professionnelle en parallèle de cet engagement.
32:45 Et puis, deuxième conciliation quasi impossible,
32:49 c'est celle avec une vie personnelle.
32:51 Et quand on parle des violences
32:52 qui ne sont pas simplement adressées aux maires,
32:54 mais parfois à leurs entourages familiaux,
32:57 on voit bien que c'est là une des raisons essentielles
33:00 qui font qu'un maire va décider de renoncer.
33:04 Mais on a aussi des situations extrêmement variées
33:07 sur tout le territoire.
33:09 Vous avez des démissions qui sont parfois liées
33:11 à une impossibilité de travailler avec une opposition.
33:14 Vous avez également des tensions au sein d'une même majorité.
33:19 Et puis, tout à l'heure,
33:21 il était évoqué la question à la fois de la vocation de maire,
33:26 bien souvent dans des petites communes de moins de 1000 habitants.
33:29 Quand se constitue un conseil municipal,
33:31 lors de l'élection, on a une sorte de division des tâches.
33:34 On va choisir sur une liste une personne qui va être capable
33:38 de lire l'ensemble, j'allais dire, des règlements,
33:41 des décrets qu'il faut connaître.
33:42 Une autre personne en charge du budget de la commune,
33:45 d'autres en charge des associations culturelles et sportives.
33:47 Donc, il y a une vraie répartition des rôles.
33:49 Lorsque un des chaînons de cette alchimie est manquant,
33:55 bien souvent, c'est l'ensemble du conseil municipal qui perd sa logique.
33:59 Mais je rajouterais un élément.
34:02 Au fond, on se dit que c'est une médiatisation des difficultés
34:05 d'émission et violence qui, aujourd'hui, remet à l'avant
34:10 cette question de la démocratie municipale.
34:13 N'oublions pas un point, moi, qui me semble essentiel.
34:17 C'est que, certes, la société évolue.
34:19 La question des violences a été d'une tension, une polarisation.
34:23 Moi, j'ai été frappé en 2022, lorsqu'on a mené cette enquête,
34:26 qu'un maire sur deux décrit son territoire, sa commune,
34:30 avec des citoyens qui ont de plus en plus de difficultés
34:34 à discuter sur des sujets parfois, on va dire, très politiques.
34:40 Et donc, ça veut bien dire que le maire est à la fois le spectateur
34:44 de ces tensions et donc, installer un dialogue,
34:48 c'est une belle parole, c'est très compliqué avec notre arsenal institutionnel.
34:52 Donc, il faut faire preuve parfois d'imagination, d'expérimentation.
34:56 Et à défaut, on voit que le maire ne peut plus prendre,
35:01 en quelque sorte, la température de sa commune et se retrouve démuni.
35:06 Oui, il y a très peu de formation pour les élus.
35:08 Et je crois que d'ailleurs, un des éléments nouveaux,
35:11 que moi, j'ai pu observer, ce sont les violences à la fois symboliques,
35:15 au-delà des insultes, des menaces, les violences symboliques
35:18 qui sont diffusées sur les réseaux sociaux.
35:20 Et là, je dois vous dire que beaucoup de maires sont dans l'incapacité
35:24 d'apporter les réponses à ce qu'il faut faire ou ne pas faire
35:28 sur un réseau social de la commune, un réseau social personnel.
35:32 Et on voit de plus en plus de maires, d'ailleurs, renoncer,
35:35 fermer leur compte sur les réseaux sociaux parce que c'est peut-être
35:40 une bonne santé.
35:42 - Qu'est-ce que vous faites, vous, Catherine Arénoud, à cet égard,
35:44 vous qui êtes maire de Chanteloup-Lévine ?
35:47 Vous êtes sur les réseaux sociaux ?
35:49 - Oui, mais relativement peu.
35:51 J'ai un principe, c'est que je ne réponds jamais.
35:54 Quand vous n'entretenez pas un débat qui part en vrille,
35:59 c'est toujours plus simple, je ne réponds jamais.
36:01 Mes réseaux personnels et la ville sont des réseaux d'information.
36:06 Quand on veut discuter, on se regarde les yeux dans les yeux,
36:09 on ne passe pas à travers un téléphone portable.
36:11 Donc, ne lisant très peu les commentaires des uns et des autres
36:15 et ne répondant jamais, je trouve que je suis plutôt épargnée.
36:19 Ça, c'est peut-être demain, je vais peut-être dire le contraire.
36:21 - Et au-delà de ça, ce que décrivait Martial Foucault,
36:24 l'incapacité des individus aujourd'hui à avoir un discours pacifié
36:30 sur certains thèmes, est-ce que c'est quelque chose que vous observez ?
36:34 - Ah oui, les gens montent en vrille très, très rapidement.
36:39 Et c'est ça aussi, lorsqu'il y a des débats publics,
36:42 lorsqu'il y a des confrontations,
36:45 elles ne sont pas toujours dirigées contre les élus.
36:46 Les habitants eux-mêmes, entre eux, peuvent manifester d'extrême violence
36:50 et d'extrême violence dans le débat.
36:52 C'est aussi, quand on met en place des débats publics,
36:55 quelque soit la taille, c'est aussi un de nos enjeux d'arriver
37:00 à ce que les gens acceptent le propos de l'autre et de ne pas…
37:03 Après, moi, j'ai un principe.
37:05 D'abord, je ne fais que des réunions thématiques
37:07 parce que je pense que les gens doivent venir parler d'un sujet
37:10 et pas du tout en général.
37:11 Et puis, il y a un principe aussi dans ces réunions
37:14 qui ne sont pas obligatoirement importantes, 70, 80 personnes.
37:17 Je ne mets pas fin à la réunion
37:18 tant que tout le monde n'a pas trouvé un serein de consensus.
37:22 - J'en ai marre. - Ce n'est pas toujours très simple,
37:23 mais ça oblige, mais tout le monde s'oblige.
37:27 - J'en ai marre.
37:27 - Mais comment faites-vous très concrètement pour instaurer,
37:30 pour favoriser ce dialogue les yeux dans les yeux ?
37:33 Je reprends l'expression que vous avez employée il y a quelques instants.
37:37 - Il faut être…
37:38 Alors d'abord, il faut être en proximité avec les habitants
37:41 pour pouvoir les recevoir énormément,
37:43 pouvoir les écouter, les mettre quelquefois face à face
37:47 sans être un juge de paix.
37:49 Et puis après, travailler des réunions de taille moyenne
37:55 pour que les gens se parlent et se connaissent.
37:57 Alors, ce n'est pas obligatoirement très facile,
37:59 mais je pense qu'on a un rôle.
38:04 L'habitant ne peut pas être que juste face à l'administration
38:07 ou à ce qu'il repense de l'élu.
38:09 Il doit aussi pouvoir dire et il doit pouvoir entendre.
38:12 Moi, j'ai été médecin généraliste pendant 30 ans.
38:14 Et donc, le débat singulier entre le médecin et son patient,
38:19 c'est aussi la capacité d'entendre et de faire entendre.
38:21 Et donc, je l'exerce beaucoup dans mon métier de maire.
38:24 Je veux que les gens disent,
38:27 mais qu'ils prennent le temps d'entendre le propos de l'autre.
38:30 Ça donne des temps de pause et ça évite souvent des propos d'une grande violence.
38:35 Alors, ce n'est pas la panacée, ce n'est pas universel.
38:37 Je pense que localement, on doit trouver des solutions locales pour un climat apaisé.
38:41 Ça veut dire, Catherine Arénoud, que vous êtes aujourd'hui maire à temps plein,
38:45 parce que Martial Foucault l'évoquait tout à l'heure.
38:47 Ça aussi, ça fait partie des problèmes.
38:49 Comment on organise sa vie entre son mandat, son métier éventuel ?
38:55 Bref, ça fait partie des problèmes auxquels sont confrontés les maires.
39:00 Oui, oui, le statut de l'élu doit être revu complètement.
39:03 C'est à la fois...
39:04 Et ce serait pourtant très nécessaire qu'on puisse garder une activité professionnelle
39:08 qui nous mettrait un pied à la fois dans la vraie vie,
39:11 dans la vie de tous les jours, et un pied dans la fonction d'élu.
39:14 Sauf que le statut de l'élu ne le permet à grand monde.
39:18 Alors après, ça dépend aussi de la taille de la collectivité.
39:21 Mais c'est vrai que c'est un vrai problème.
39:23 Maintenant, je suis maire à temps plein,
39:25 mais j'aimais beaucoup ce passage de la vie professionnelle à la vie publique,
39:30 qui remettait en fait quelquefois les pendules à l'heure.
39:33 Puis ce n'est pas le fait que des maires, c'est le fait de tous les élus municipaux.
39:36 Le statut de l'élu municipal actuellement, il est très insatisfaisant.
39:41 La majorité des conseillers municipaux n'ont pas d'indemnisation, donnent du temps,
39:45 ne sont pas reconnus comme tels.
39:47 Et à un moment donné, il faut se poser la question de...
39:52 Si on donne du temps à sa collectivité,
39:55 on doit ne pas en contrepartie prendre des risques dans sa vie professionnelle, par exemple.
40:00 Donc le statut de l'élu, il faut le revoir.
40:02 - Marcial Foucault.
40:03 - Oui, c'est vrai qu'il y a aujourd'hui un certain nombre de progrès,
40:06 d'améliorations à envisager sur le statut de l'élu.
40:09 Curieusement, dans les travaux que j'ai pu mener,
40:12 la question de l'indemnité de l'élu
40:15 n'apparaît pas comme étant la difficulté à la fois de l'engagement,
40:20 mais aussi du renouvellement de son action,
40:25 soit de maire, soit d'adjeint ou de conseiller municipal.
40:29 Et c'est intéressant parce que si l'indemnité n'est pas au cœur des difficultés,
40:34 beaucoup de maires expriment avant tout,
40:37 parfois une lassitude liée à l'absence de reconnaissance,
40:42 reconnaissance des administrés.
40:44 On a beaucoup parlé de cette forme de consumérisme municipal
40:47 qui s'installait au gré des molibilités résidentielles
40:50 de nouveaux citoyens qui arrivent dans des communes
40:52 et qui, finalement, font souvent de ces communes, des communes dortoirs,
40:56 sans vouloir s'impliquer nécessairement.
40:58 Et puis aussi, au-delà du consumérisme,
41:00 un problème de reconnaissance par les maires de l'exécutif.
41:04 Et ça, j'ai été frappé, notamment, on l'a vu dans le cas de Saint-Brévin,
41:10 mais l'action du président de la République, de la première ministre
41:15 et d'une certaine manière, l'ensemble de la représentation nationale
41:19 est parfois vécue comme étant finalement des élus
41:24 qui viennent au chevet des maires lorsqu'il y a une difficulté.
41:28 Mais dans le temps long, sans crise, il est quand même souvent présent,
41:34 il n'y a pas de reconnaissance.
41:35 Et ça, c'est une véritable souffrance partagée par les maires.
41:40 - Merci à Catherine Arénoux.
41:43 Je rappelle que vous êtes maire d'Yverdroite de Chanteloup-Lévin.
41:46 Merci, Martial Foucault.
41:48 Je rappelle que vous êtes professeur de science politique,
41:50 directeur du Cévi-Pof et on vous doit notamment maire au bord de la crise de nerfs.
41:55 Aux éditions de l'Aube, on se retrouve dans quelques instants
41:58 pour le point sur l'actualité de l'UBIT45.
42:02 France Culture
42:04 L'esprit d'ouverture
42:06 d'ouverture.

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