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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 3 Juillet 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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Transcription
00:00 France Culture, les matins d'été.
00:03 Guillaume Erner.
00:04 Et pour évoquer ces violences avec, comme le dit l'humanité, des mères en première
00:12 ligne, nous sommes en compagnie ici dans ce studio de Marouane Mohamed.
00:16 Bonjour.
00:17 Vous êtes sociologue chargée de recherche au CNRS, au centre Maurice Albwax.
00:21 Et puis nous sommes en duplex avec Philippe Riau, le maire de Grigny.
00:26 Bonjour monsieur.
00:27 Philippe Riau, je sais que vous êtes là.
00:34 Je vous entends.
00:35 Et nous aussi, nous vous entendons.
00:38 Monsieur le maire, j'aimerais avoir votre sentiment sur l'agression dont a été victime
00:45 le maire de Laillier-Rose.
00:47 A quoi pense-t-on lorsqu'on entend une nouvelle pareille et qu'on est maire ?
00:51 Inacceptable.
00:56 C'est le premier mot qui vient.
00:59 Et puis, bien évidemment, nous avons une crainte parce que nous avons rencontré des
01:08 situations les uns les autres compliquées.
01:10 Et puis, ces derniers temps, il y a des violences faites envers les mères.
01:15 Je pense au maire de Saint-Brévin, je pense à des collègues de Calac en Côte d'Armor.
01:20 Et pas plus tard qu'hier, j'avais aussi le maire de Mont-Saint-Martin, près de Longuy,
01:25 qui a subi des violences et qui a dû être exfiltré de chez lui par la gendarmerie.
01:31 Et donc, il y a un phénomène jamais connu en France jusqu'aujourd'hui où les maires,
01:37 c'est Hussard de la République, à l'heure où nous sommes les Casques Bleus, subissent
01:42 des violences inouïes, disproportionnées, qui mettent à mal et qui montrent comment
01:46 notre République est à bout de souffle.
01:48 Comment l'analysez-vous ? Qu'est-ce qui se passe ?
01:53 Pourquoi, effectivement, jadis, cela n'arrivait quasiment pas ?
01:57 Il y avait eu, effectivement, des agressions violentes, mais elles étaient isolées.
02:02 Et là, on a l'impression que c'est un phénomène qui prend de l'ampleur.
02:06 Pourquoi, selon vous, Philippe Riau ?
02:08 - C'est toujours multifactoriel, ce genre de choses.
02:11 La société est violente.
02:16 Nous avons perdu énormément de repères.
02:19 Vous savez, les maires sont des artisans de la République.
02:22 Mais nous n'avons plus les moyens d'agir.
02:25 Depuis maintenant 15 ans, nous sommes en restrictions budgétaires.
02:29 Nous sommes des personnes du lien.
02:33 Et si je prends le parallèle avec l'hôpital, qui est le lieu du soin, on voit bien que
02:40 notre pays, notre République, ne prend plus de temps pour le soin et pour le lien.
02:48 Les restrictions budgétaires, encore une fois, l'ambition pour les collectivités
02:53 locales n'existe plus dans ce pays.
02:56 Rendez-vous compte, nous devions, aujourd'hui, fêter les 40 ans de la décentralisation.
03:01 C'est-à-dire d'un rapport de confiance entre l'État et les collectivités locales.
03:05 Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
03:06 Nous ne parlons même pas des 40 ans des lois de décentralisation, qui a été une grande
03:11 avancée démocratique dans notre pays.
03:12 Et donc, il y a besoin, urgemment, de repenser cette décentralisation, de nous reconnecter
03:21 avec nos concitoyens, même si nous le sommes toujours, y compris dans les moments de crise
03:25 comme aujourd'hui.
03:26 En tout cas, la démission d'un maire, c'est un peu un orchestre sans chef.
03:31 Mais nous sommes toujours là, nous résistons et nous pensons, déjà, à l'après et à
03:38 chercher des solutions pour que notre République tienne toujours debout.
03:41 Et que ses promesses républicaines soient d'actualité, ce qui n'est plus le cas.
03:46 - Marouane Mohamed, vous êtes en studio avec moi.
03:51 Vous êtes sociologue.
03:52 Votre regard sur ce phénomène, ou peut-être plus généralement, sur cette période que
03:59 la France est en train de traverser ?
04:00 - On est en train de vivre quelque chose de très intense.
04:08 Qu'on n'a, à mon avis, jamais vécu depuis la Seconde Guerre mondiale.
04:15 Alors, bien sûr, il y a eu les révoltes de 2005 qui nous servent souvent de point
04:18 de repère.
04:19 Mais j'ai le sentiment qu'il y a des choses qui s'inscrivent dans la continuité des révoltes
04:26 précédentes.
04:27 Depuis les années 70, il y a des mobilisations, il y a des révoltes contre les violences,
04:31 contre les crimes policiers, etc.
04:33 Et donc, il faut inscrire 2023 dans cette séquence et dans cette succession de séquences.
04:38 Et on ne comprend pas pourquoi il y a autant d'intensité.
04:41 Je pense que dès lors qu'on est monté crescendo en 2005 avec des grandes attentes, notamment
04:47 des grandes attentes sur des modifications du comportement de l'État à travers sa police.
04:53 Et autant, il y a eu des réponses sur la question de la restructuration européenne
04:56 après 2005, où il y a eu des modifications au niveau de la loi pour la lutte contre les
05:02 discriminations.
05:03 Donc, il y a eu des petits débouchés politiques, plus ou moins importants, selon le domaine.
05:07 Mais là où il y avait le plus d'attentes, c'est-à-dire dans la modification radicale
05:11 du comportement des policiers à l'égard d'un certain nombre de ces citoyens, notamment
05:17 des classes populaires, notamment des populations issues d'immigration postcoloniale.
05:22 De ce point de vue-là, les attentes ont été déçues.
05:25 À l'inverse, les choses se sont clairement aggravées.
05:28 Et ce n'est pas qu'une question de loi de 2007 qui assouplit les conditions d'usage
05:32 des armes et de la légitime défense.
05:34 Les relations se sont clairement dégradées, avec systématiquement d'une génération
05:39 sur l'autre, d'un gouvernement sur l'autre, un pouvoir étatique qui prenait la position
05:46 pour les policiers.
05:47 Et j'ai envie de dire pas pour les policiers, mais pour les syndicats de policiers de la
05:52 force publique.
05:53 Et je pense que là, on est face à… on arrive au bout, en fait, de ce positionnement-là.
05:58 Donc oui, moi, je suis frappé par ce qu'a vécu ce maire-là.
06:01 Il y a eu une espèce de radicalisation dans le passage à l'acte, dans les passages
06:07 à l'acte.
06:08 Et je pense que c'est beaucoup plus intense que depuis 2005.
06:10 Quand on regarde le nombre de policiers mobilisés, c'est plus de trois fois plus.
06:13 Quand on regarde le nombre de policiers blessés, c'est beaucoup plus.
06:15 Alors que ça a démarré au bout d'une semaine, vraiment, en 2005.
06:19 Alors que là, au bout d'une semaine, on est déjà dans un reflux.
06:21 Donc ce n'est pas les mêmes séquences, mais on paye finalement.
06:23 Mais pourquoi s'en prendre à un maire, selon vous ?
06:26 Mais la question, ce n'est pas pourquoi s'en prendre seulement à un maire.
06:29 C'est aussi pourquoi est-ce qu'il y a une telle intensité ?
06:31 Et je pense qu'il faut resituer cette violence qu'a subie ce maire et sa famille dans une
06:38 forme de surenchère entretenue à la fois par les non-réponses gouvernementales ou
06:45 le mépris gouvernemental.
06:46 Et Philippe Riau l'a dit, il n'y a pas que les populations qui sont méprisées
06:50 par l'État ou qui sont un peu laissées à l'abandon par l'État.
06:53 Il y a aussi les élus locaux.
06:55 Il y a aussi les collectivités qui n'ont plus les moyens d'agir.
06:57 Donc ça, c'est le premier point qui me semble important.
06:58 Il y a cette brutalisation de la société progressive qui amène à ça.
07:04 Et puis surtout, je veux dire, il y a eu énormément de mobilisation conventionnelle
07:09 entre chaque période.
07:10 Il y a eu énormément de mobilisation de collectifs contre les violences policières qui se sont
07:13 montées, de manifestations, de lettres, de pétitions, de livres blancs, d'organisations
07:17 de débats.
07:18 Et en fait, toutes ces personnes qui se sont mobilisées, la plupart d'entre elles ont
07:22 été stigmatisées, criminalisées et mises de côté.
07:25 Mais si on n'a plus d'interlocuteurs, si on n'a plus d'interlocuteurs, on a ce
07:29 qu'on est en train de vivre là, c'est-à-dire des grappes de jeunes en colère qui se mobilisent,
07:33 qui se greffent à d'autres personnes et qui n'ont plus aucun adulte en face d'eux.
07:38 Et même la police est dépassée.
07:39 Qu'est-ce que vous en pensez, Philippe Riau, vous qui êtes maire de Grigny ?
07:42 Je partage l'analyse, notamment sur le fait que depuis 2005, l'intensité est tout autre,
07:52 le contexte est tout autre, les inégalités ont explosé avec la crise Covid et l'inflation
07:58 qui ont été des accélérateurs d'inégalités et d'injustices.
08:02 Et que depuis 2005, je partage l'idée selon laquelle la rénovation urbaine et la politique
08:07 de la ville ont été les seules réponses qui ont été apportées.
08:09 Et que la chose sur laquelle nous n'avons pas apporté de réponse, c'est celle de
08:15 la doctrine policière.
08:16 La rénovation urbaine et la politique de la ville ne tue pas dans notre pays.
08:21 Parce qu'il y a un débat qui s'installe selon lequel on aurait dépensé trop d'argent.
08:26 Ce n'est pas vrai.
08:27 C'est un mensonge.
08:30 L'autre sujet, c'est la fin de ce cycle de la stratégie du Karcher, portée en 2008
08:37 par le président Sarkozy, qui est au cœur de cette doctrine policière.
08:41 Et qui a d'abord été un mensonge, puisqu'il y a eu une suppression du service public,
08:47 de la sécurité et de la tranquillité publique, avec la suppression de 10 000 agents de police.
08:54 Et nous n'avons fait que rattraper ce retard, ce qui fait qu'aujourd'hui, nous sommes
08:58 l'un des pays où les policiers sont les plus mal formés.
09:02 Et donc, si on ne remet pas sur la table, au sortir de la crise, une nouvelle doctrine
09:09 policière avec un sujet extrêmement qui me tient à cœur, la justice des mineurs,
09:15 qui est en voie de clochardisation dans notre pays.
09:18 Les magistrats, l'accompagnement éducatif de celles et ceux qui, mineurs, commettent
09:26 des infractions et des délits, ils sont dans un état véritablement catastrophique.
09:32 Et donc, on a besoin de services publics.
09:33 L'autre élément, c'est, je crois, ça l'a été dit, faisons grande cause nationale
09:38 de l'enfance et de la jeunesse.
09:40 Enfin, dans notre pays, Grigny, deux exemples, 50% des élèves sortent du système scolaire
09:48 sans diplôme.
09:49 Le problème, ce n'est pas la politique de la ville ou la rénovation urbaine, c'est
09:53 l'éducation nationale qui doit se réinterroger.
09:55 En matière de santé mentale, je prends un deuxième exemple, pardon.
09:59 En matière de santé mentale, 250 enfants sont traités pour des soins.
10:04 Il y en a 250 autres qui attendent.
10:06 Mais ce sont des gens qui sont dans l'échec, dans l'attente d'un soin.
10:11 - Marouane Mohamed, une réaction à ce que vient de faire comme constat Philippe Riau,
10:20 le maire de Grigny.
10:21 - Il a le mérite de poser la réalité telle qu'elle est, telle qu'on ne veut pas la
10:26 voir.
10:27 C'est ça qui est extrêmement important.
10:29 Et puis, c'est cette réalité qu'on ne veut pas voir qui s'est rappelée à nous,
10:32 brutalement, violemment.
10:34 Et c'est important de le rappeler en sachant que ce qui est en train de se passer aujourd'hui,
10:40 les formes que prennent, les manifestations de violence qui se sont passées et qui continuent
10:46 ces dernières nuits et probablement les prochaines avec une moindre intensité, divisent les
10:53 quartiers populaires, divisent les habitants des quartiers populaires.
10:55 Il y a un vrai débat sur...
10:58 Il y a un consensus sur la colère.
11:00 Il y a un consensus sur la légitimité de la révolte.
11:03 Mais il y a un dissensus très, très clair sur les modalités que prennent ces violences.
11:07 - Alors justement, parce que vous avez raison Marouane Mohamed, c'est vrai qu'on n'a
11:11 pas voulu la voir ou en tout cas, on n'a pas voulu la voir ainsi, cette colère et cette
11:17 situation.
11:18 Et puis ensuite, il y a des manifestations diverses.
11:21 Il y a donc des protestations.
11:23 Ça, on les comprend.
11:24 Et puis, il y a eu des scènes de pillage, des scènes de violence que là, on a vraiment
11:30 du mal à comprendre.
11:31 - Alors la sociologie, puisque vous êtes sociologue, justement, ça permet de comprendre
11:35 ce qui ne veut pas dire justifier.
11:37 - En pleine thèse, en 2005, on était une poignée de chercheurs à être sur le terrain
11:42 en 2005 pour observer vraiment ce qui se passait.
11:44 Et en fait, les révoltes qu'on observait, elles ont toujours été hybrides.
11:49 C'est à dire, il y a eu de locomotive, il y a eu un souffle.
11:54 C'est la protestation contre les pratiques policières, la protestation contre les pratiques
12:00 de rejet, d'exclusion contre la situation sociale.
12:04 C'est ça le souffle de ces révoltes là.
12:06 Et ça reste ça le souffle de ces révoltes là.
12:08 Mais les révoltes, elles sont hybrides.
12:10 Elles ont toujours été hybrides.
12:11 - Mais ça veut dire quoi que vous avez des gens qui se grèvent, qui sont uniquement
12:13 là pour piller ?
12:14 - Exactement.
12:15 Alors, ce n'est pas des gens qui se grèvent, qui sont uniquement là.
12:17 C'est que les révoltes, quand on regarde en détail, c'est aussi un moment qui est
12:22 un espace d'opportunité.
12:23 Il y a à la fois des gens qui trouvent ça ludique.
12:26 Il y a aussi des gens qui c'est un espace d'opportunité.
12:28 On peut augmenter notre pouvoir d'achat, récupérer quelques biens de consommation.
12:32 C'est aussi un moment dans lequel certains règlent leur contentieux avec tel commerçant,
12:37 tel élu, telle autre personne.
12:39 Il ne faut pas l'oublier ça.
12:40 Et ça, c'est un vieil acquis de la sociologie et des études sur les révoltes.
12:44 Donc, c'est hybride une révolte.
12:47 Et il faut éviter pour les adultes de plaquer sur des adolescents des rationalités qui
12:53 sont celles des adultes.
12:54 Les adolescents, ils ont leur vision quand on les écoute et très peu de journalistes
12:59 sont allés leur parler, leur donner la parole, les écouter.
13:02 J'ai vu un article du Bondy Blog, je n'en ai pas vu beaucoup d'autres.
13:04 Alors que c'est les principaux concernés par ce qui se passe.
13:07 En fait, la révolte, elle est hybride.
13:09 Et puis, ce n'est pas contradictoire.
13:11 Ça veut dire qu'on peut être en colère et être dans le ludique.
13:16 On peut être en colère et également récupérer un téléphone portable ou un bijou ou je
13:20 ne sais quel autre bien de consommation.
13:22 Ces choses là ne sont pas contradictoires, mais dès lors qu'on plaque un mode de raisonnement,
13:26 qu'on a une vision un peu essentialiste de la révolte et de la rationalité de la révolte,
13:30 on s'y perd.
13:31 Un dernier mot, Philippe Riau, vous qui êtes maire de Grigny, est-ce que vous aussi, vous
13:37 avez cette vision composite que vient de développer Marouane Mohamed ?
13:41 Je suis d'accord à 300% avec les propos qui viennent d'être prononcés sur une révolte
13:48 hybride, sur un noyau dur, sur la nature de cette colère.
13:53 Il n'y a pas les émeutes de 2005 s'il n'y a pas Zied et Bouna.
13:57 Il n'y a pas les émeutes de 2023 s'il n'y a pas Nahel.
14:00 Soyons clairs.
14:01 Et effectivement, on voit des profils très différents, des profiteurs de crise, des
14:07 règlements de comptes, des opportunités pour régler un certain nombre de choses.
14:12 Il y a des gens diplômés qui font ce qui est arrivé, par exemple, ou qui sont dans
14:16 des processus de réussite, mais qui sont entraînés par ce qui se passe et pour régler
14:22 des comptes.
14:23 Donc oui, moi, je suis le témoin de cette complexité, en tout cas de cette révolte
14:31 hybride qui est, me semble-t-il, la bonne analyse.
14:34 Merci beaucoup Philippe Riau.
14:37 Vous êtes maire de Grigny.
14:39 On a envie, hélas, de vous dire "mon courage" aujourd'hui.
14:43 Marouane Mohamed, vous êtes sociologue chargée de recherche au CNRS.
14:47 On se retrouve dans une vingtaine de minutes et puis on verra en compagnie d'un autre
14:53 maire également quelle est la situation aujourd'hui dans d'autres villes de France.
15:00 En attendant, il est 7h54 sur France Culture.
15:03 7h09, les matins d'été.
15:06 Guillaume Erner.
15:09 Faut-il parler d'impuissance sociale, d'impuissance politique face à ce qui se déroule en France
15:15 depuis quelques jours ? Nous sommes en compagnie du sociologue chargé de recherche au CNRS
15:20 au centre Maurice Halvax, Marouane Mohamed et puis nous accueillons en duplex Emmanuel
15:27 Denis.
15:28 Bonjour.
15:29 Bonjour.
15:30 Vous êtes maire de Tours.
15:32 Quelle est votre réaction à ce qui se déroule depuis quelques jours et qui frappe également
15:37 votre ville, monsieur le maire ? On est abasourdi par la violence que l'on a pu constater dans
15:46 les rues.
15:47 On a ce sentiment un peu d'impuissance vis-à-vis de ces émeutes nocturnes.
15:56 Voilà, donc on est un peu dans ce moment un peu de sidération et puis déjà on essaye
16:02 de réfléchir à la suite comment sortir de tout ça.
16:06 Comment sortir de tout ça en attendant qu'il puisse y avoir une page de tournée ? Monsieur
16:13 le maire, par exemple, ce couvre-feu, est-ce que vous l'avez décidé à Tours ? Est-ce
16:17 que c'est utile ? À quoi ça sert ? Comment ça fonctionne ?
16:20 Alors, le préfet a décidé d'un couvre-feu pour les mineurs.
16:24 Donc à partir de 22h sur les trois dernières nuits.
16:29 On verra ce soir, enfin dans la journée, s'il est reconduit.
16:32 L'idée c'est d'essayer de faire en sorte que les enfants, les jeunes restent chez
16:41 eux et puis aussi d'interpeller les parents et de les mettre en responsabilité aussi
16:47 vis-à-vis des jeunes.
16:49 L'objectif c'était clairement d'essayer de retrouver, on a une nuit de jeudi à vendredi
16:53 qui a été assez terrible ici avec des pillages, avec une trentaine de voitures brûlées.
16:59 Donc il fallait trouver les moyens pour essayer de créer un choc un peu psychologique chez
17:09 les uns et les autres.
17:10 Donc il y a eu bien sûr des moyens mis en œuvre en termes de maintien de l'ordre supplémentaire
17:16 qui ont permis aussi, je pense, une vraie dissuasion.
17:18 Depuis, on a eu trois nuits relativement calmes.
17:23 Mais pour autant, je pense que les problèmes ne sont pas résolus.
17:27 On reste très attentif en tous les cas.
17:30 Mais pour ce qui concerne le couvre-feu, effectivement, ça a permis.
17:36 Alors est-ce que c'est ça qui a changé les choses ? Je ne sais pas.
17:39 Mais l'objectif c'était vraiment de sensibiliser, d'avoir un choc au niveau des familles pour
17:45 que ces jeunes qu'on a vus dans les rues commettent des méfaits, des dégradations
17:55 généralisées puissent rester chez eux et que les parents réagissent.
18:01 En tout cas, Mohamed, quand on compare la situation actuelle avec celle de 2005, on
18:07 voit qu'on a un niveau de violence, de dégradation qui est beaucoup plus élevé sur un laps de
18:13 temps évidemment plus court.
18:14 Oui, c'est clair.
18:15 Quand on regarde un petit peu les bilans de l'époque, il y avait par exemple eu 217
18:21 blessés chez les fonctionnaires de police et de gendarmerie.
18:23 Et là, selon les chefs du ministère de l'Intérieur, on est à plus de 700 déjà.
18:27 En quelques jours, il y avait eu au pic de 2005 11 500 policiers et gendarmes mobilisés.
18:33 Et là, on est à plus de 45 000.
18:34 Et ce qui est frappant, c'est qu'avec plus de 40 000 policiers et gendarmes, il y a eu
18:40 une vraie difficulté à gérer le maintien de l'ordre.
18:44 Et dans beaucoup de villes, les policiers ont été dépassés.
18:47 Et aussi parce que ces révoltes-là, ces mobilisations ont pris d'autres formes.
18:52 C'est plus un grand groupe dans un quartier donné qui affronte les forces de l'ordre.
18:58 Il y a eu un nombre extrêmement élevé de petites grappes, très mobiles dans les villes,
19:05 qui ont, sans se coordonner nécessairement, qui ont fait ce qu'ils avaient voulu faire.
19:10 La coordination, je n'en sais rien, mais le rôle des réseaux sociaux justement dans
19:15 la constitution de ces petites grappes, ou bien le mimétisme, ou bien la concurrence
19:19 entre les zones ?
19:20 Mais ça, c'est sans...
19:21 Enfin, je veux dire, le rôle des réseaux sociaux, notamment de Snapchat ou de certaines
19:26 boucles de Télégram ou de TikTok, ça joue un rôle sans aucun doute.
19:33 Après, j'ai bien peur que si on s'enferme, on enferme la discussion, la réflexion sur
19:37 ce que font les parents, font pas les parents, le rôle des réseaux sociaux, où j'ai même
19:40 entendu parler de jeux vidéo du point de vue du président de la République, on s'éloigne
19:43 de l'essentiel qui a été rappelé par Jean Lémarie juste avant.
19:47 L'essentiel, c'est qu'on est dans une dynamique de révolte.
19:50 Il faut faire attention et je pense qu'on se trompe et on entretient l'espèce de
19:53 déni et on pose les graines des prochaines révoltes si on commence à se focaliser sur
20:00 des logiques qui peuvent être peut-être plus secondaires ou des explications plus
20:03 secondaires et qu'on ne va pas aller s'écher, on essaie pas d'affronter l'essentiel.
20:08 Jean Lémarie.
20:09 Vous prononcez un mot important, le mot "révolte".
20:11 Est-ce que vous arrivez, vous qui avez l'expérience du terrain, l'expérience des dernières
20:15 années, à la cerner plus précisément ?
20:17 Pourquoi employez-vous ce mot-là, "révolte", plutôt qu'un autre aujourd'hui ?
20:21 Parce qu'il faut juste tendre l'oreille et parler aux principaux concernés.
20:24 Pourquoi est-ce qu'ils se sont mobilisés ?
20:26 Au début, ces derniers jours, ils se sont mobilisés par solidarisation avec ce qui
20:30 est arrivé à Nahel.
20:31 Parce que ce qui est arrivé à Nahel, il ne leur est pas arrivé avec un tel niveau
20:35 d'intensité, mais il leur est tous arrivé, ou bien arrivé à des proches, une confrontation
20:41 extrêmement désagréable, des contrôles d'identité dont vous avez rappelé que
20:44 ces contrôles sont beaucoup plus fréquents pour les jeunes noirs et arabes que pour ceux
20:49 du même âge qui sont blancs.
20:51 Et la multiplication de ces micro-humiliations, voire de coups de blessure de propos racistes,
20:58 crée une colère à l'égard des policiers, un ressentiment à l'égard de l'État
21:03 qui a été activé à ce moment-là parce que la vidéo existait, mais aussi on l'oublie,
21:09 il y a un effet de calendrier.
21:10 Cette vidéo apparaît, cette mort arrive le jour de la fin de l'année scolaire.
21:17 Emmanuel Denis, vous qui êtes maire de Tours, votre regard et votre analyse par rapport
21:24 à ce que l'on vient d'évoquer, une révolte, des moments d'opportunité, des
21:30 pillages, bref, quels mots posez-vous sur les phénomènes qui ont eu lieu dans votre
21:35 ville de Tours, à côté ? On sait qu'à Saint-Pierre-des-Corts, il y a eu aussi un
21:40 certain nombre d'exactions et de protestations.
21:42 - Moi, je confirme ce qui vient d'être dit.
21:46 Sur la forme des émeutes et de la révolte, effectivement, c'est des petits groupes et
21:54 clairement les services de maintien de l'ordre ont été complètement débordés, en tous
21:59 les cas, la nuit de jeudi ici à Tours.
22:01 Sur le fond, je suis également assez d'accord.
22:03 Tout ça, c'est quand même le reflet de vrais problèmes de fond.
22:08 C'est sûr que ce ne sont pas juste les problèmes de parentalité, ce ne sont pas juste les
22:11 problèmes de réseaux sociaux, même si forcément, ça amplifie les problématiques.
22:15 Mais au départ, c'est vraiment, je pense, le résultat de politiques publiques qui n'ont
22:20 pas été menées ou qui ont été malmenées et qui font qu'aujourd'hui, on a ce sentiment
22:26 chez les jeunes.
22:27 J'ai eu l'occasion d'en rencontrer quelques-uns et c'était assez intéressant parce que justement,
22:31 c'était des témoignages où on ressentait fortement cette ségrégation, cette exclusion
22:37 finalement de ces jeunes par rapport au reste de la société.
22:42 Et puis, il y avait des travailleurs sociaux qui étaient présents aussi, qui mettaient
22:47 en avant certaines initiatives qui fonctionnent.
22:49 On a ici eu une initiative autour qu'on appelle le PIC.
22:53 C'est une initiative d'insertion par le sport où on prend en charge une dizaine de jeunes
22:59 qui sont suivis par un coach sportif, qui sont suivis par des travailleurs sociaux qui
23:04 essayent de faire un CV, d'aller vers l'emploi, de retrouver confiance en eux, de retrouver
23:09 un sens aussi.
23:10 Et là, l'assistante sociale que j'ai croisée par hasard a justement interpellé quelques
23:17 enfants qui avaient participé, quelques jeunes qui ont participé à ce programme et leur
23:21 a rappelé toute l'implication qu'ils avaient mis dans ce programme.
23:26 Elle leur a rappelé le sens et elle les a aussi complimentés sur toutes les qualités
23:33 qu'ils avaient.
23:34 On a senti dans leur regard que quelque chose se passait.
23:38 Je pense que ce type de dispositif, clairement ça fonctionne, mais c'est une goutte d'eau
23:43 dans ce qu'il faudrait faire.
23:45 En tous les cas, retrouver confiance en soi, retrouver de la solidarité, retrouver l'esprit
23:49 de groupe, retrouver un avenir et du sens.
23:53 C'est forcément sur ces leviers-là qu'il faut agir.
23:57 Et ces jeunes-là, ils sont rentrés chez eux.
23:59 Elle les a presque pris par la main pour leur dire "mais rentrez chez vous.
24:02 Cette nuit, ça va chauffer.
24:05 Ne prenez pas de risques.
24:06 Vous avez des compétences, vous avez un avenir, mais votre avenir, ce n'est pas dans ces
24:10 émeutes qu'il se joue".
24:11 C'était un témoignage très fort et qui s'est passé par hasard.
24:15 Mais je pense que c'est une illustration qu'il y a dans ces quartiers.
24:21 Nous, on a un quartier qui fait partie des 12 quartiers les plus pauvres de France.
24:27 On concentre à cet endroit de nombreuses difficultés, une grande précarité et vraiment
24:34 ce sentiment d'exclusion, de ségrégation.
24:37 Et vous avez fait allusion tout à l'heure au plan Borloo.
24:41 Bien sûr que ça a été un renoncement terrible de ne pas aller vers les propositions de Jean-Louis
24:47 Borloo.
24:48 Je pense qu'il y avait plein de choses très bonnes.
24:50 Il va falloir remettre ça sur la table et agir dans ce sens-là.
24:54 Marwan Mohamed ?
24:55 Oui, ça a été mentionné, mais je pense qu'il faut quand même dire un mot de ce
25:00 que sont en train de vivre aujourd'hui beaucoup d'animateurs, d'éducateurs, de médiateurs,
25:05 d'enseignants dans ces quartiers populaires, de responsables associatifs qui ont pour certains
25:08 vu leur outil de travail partir en fumée, leur école, leur collège et qui peuvent se
25:13 sentir, c'est les échos que j'ai eus, extrêmement troublés, désenchantés et qui s'interrogent
25:20 vraiment sur la signification et sur le lien, sur le fait qu'ils se posent la question
25:25 si ces révoltes-là, ces violences-là, les ciblaient eux également.
25:29 Et je pense que ça, c'est des effets vraiment invisibles dont on ne va pas trop parler dans
25:33 les prochaines années, mais qui se vivent aujourd'hui.
25:36 Autre chose, les parents.
25:38 J'ai entendu le ministre de l'Intérieur se gargariser d'une baisse de l'intensité
25:42 des violences, etc.
25:43 Moi, mon hypothèse est que la baisse de l'intensité des violences dans beaucoup de quartiers,
25:49 elle découle de la mobilisation spontanée de beaucoup de familles, de beaucoup de parents,
25:54 de beaucoup d'acteurs associatifs qui sont passés sur le terrain et aussi par le fait
25:59 qu'un certain nombre des adolescents qui étaient là, dans l'ambiance au début,
26:03 qui étaient là dans la montée en puissance, sont rentrés d'eux-mêmes de chez eux, mais
26:08 parce qu'ils n'ont pas suivi le cuir solide pour rester et pour durer pendant des semaines
26:13 et des semaines dans la rue, dans une confrontation avec la police.
26:16 Ils n'ont pas le profil, certains jeunes n'ont pas le profil de rester aussi longtemps,
26:19 donc ils se sont effacés par eux-mêmes.
26:21 - Marwan Mohamed, en 2005, on avait dit que les quartiers où le trafic de drogue était
26:26 le plus présent n'avaient pas participé au mouvement parce que ça gênait le business.
26:31 Vous avez travaillé là-dessus.
26:33 Qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce qu'aujourd'hui, par exemple, ça gêne moins le business,
26:37 c'est pas dans les lieux où il y a du business, alors que pour la première fois à Marseille,
26:41 il y a des émeutes importantes ?
26:44 - Déjà, les premières révoltes sont apparues dans les Hauts-de-Seine et notamment dans
26:49 des quartiers qui sont bien connus pour être des points d'ancrage en détail, en semi-gros
26:52 et en gros, de la distribution de cannabis ou de cocaïne aujourd'hui en France.
26:57 Et déjà dès 2005, moi j'étais très critique de cette thèse-là qui consistait à dire
27:01 que ça n'a pas pété là où il y avait du trafic qui était implanté.
27:04 Quand on regarde la carte des quartiers dans lesquels il y a eu des révoltes de forte
27:09 intensité, on avait déjà des lieux où il y avait un trafic de stup qui était extrêmement
27:13 bien organisé.
27:14 Bien sûr qu'il peut y avoir des interférences à un moment donné, il peut y avoir des régulations,
27:19 mais ce type de révolte-là, ce type de colère-là, elle est partagée entre différentes générations
27:24 et y compris ceux qui ont des intérêts économiques dans la rue.
27:27 - Jean-Lesmarie ?
27:28 - Je voudrais ajouter une information qui vient de nous parvenir, c'est le ministre
27:31 de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui la donne, un mort.
27:35 La mort d'un pompier cette nuit en Seine-Saint-Denis qui luttait contre des feux de voiture.
27:40 On a beaucoup parlé de dégradation de biens, d'attaques de maisons, de lieux publics,
27:47 de magasins.
27:48 Là, voilà, on est sur un décès, sur un mort.
27:50 Est-ce que ça peut être un point de bascule politique également ?
27:53 - Emmanuel Denis, vous qui êtes maire de Tours.
27:55 - Un pompier décédé, je n'avais pas l'information non plus, c'est juste terrible.
28:03 Franchement, c'est… vous évoquiez tout à l'heure le fait que certains lieux des
28:09 centres sociaux ont été attaqués.
28:12 Nous, on a eu une crèche qui a été endommagée.
28:15 C'est totalement incompréhensible.
28:17 Et ça, c'est vrai que ça risque de déguiser encore plus les tensions.
28:23 C'est totalement déplorable.
28:26 Ces services, je veux rendre hommage bien sûr aux services de secours et aux services
28:32 de maintien de l'ordre qui, en tous les cas à Tours, ont fait le boulot sur les dernières
28:39 nuits, qui sont vraiment dévoués.
28:41 Il ne faut surtout pas qu'on attise les tensions et qu'on exacerbe les tensions entre les
28:46 uns et les autres.
28:47 Ça serait aller clairement vers une guerre civile ou une révolte qui serait difficile
28:56 à maîtriser par la suite.
28:57 M. le maire, est-ce que vous avez eu l'occasion de discuter avec certains de ces jeunes pour
29:03 comprendre comment on en vient à s'en prendre à une crèche, à des établissements scolaires,
29:10 que s'age ?
29:11 Je pense qu'il y a un moment des phénomènes de groupe et finalement, il n'y a plus de
29:17 conscience de ce qu'ils font.
29:20 Ils sont sur les symboles de la République.
29:22 Ils voient Ville de Tours à l'entrée de l'équipement du bâtiment et ils s'en tiennent
29:31 à ça.
29:32 Il y a une histoire de défi, de compétition qui n'a aucun sens.
29:38 J'ai bien peur que ce soit sans réellement des fondements derrière et simplement qu'ils
29:45 soient dans une espèce de course-poursuite ou de concours à la plus grosse bêtise,
29:53 si je puis parler ainsi.
29:54 Mais là, ce ne sont pas des grosses bêtises, ce sont des drames.
29:56 Je suis assez d'accord, il y a eu une mobilisation très forte de certains parents, bien sûr
30:06 de tous les acteurs sociaux qui sont aussi dans l'incompréhension.
30:08 Il faut réussir à retrouver le calme et l'apaisement et puis penser à la suite et
30:15 là je reviens aux politiques publiques qu'il va falloir développer massivement.
30:19 Merci M.
30:20 le maire d'avoir été avec nous ce matin.
30:22 Un mot de conclusion Marouane Mohamed ?
30:24 Alors sur la question est-ce que ça va être un point de bascule, c'est un tournant.
30:27 Je pense que ce drame, la mort de ce pompier est un tournant.
30:31 Il y en a eu d'autres mais ça c'est un tournant, c'est évident.
30:34 Et sur la question de pourquoi est-ce qu'ils brûlent les crèches ?
30:39 C'est-à-dire que là encore on plaque beaucoup de rationalisation.
30:42 Le premier principe pour choisir les cibles c'est la proximité.
30:46 Pas que Marouane Mohamed.
30:48 Alors c'est le premier principe.
30:50 Très souvent quand vous regardez la carte des véhicules, des poubelles, des établissements
30:54 qui peuvent être brûlés, c'est un principe de proximité.
30:57 Ça ne voyage pas très très très loin.
30:59 Le deuxième principe il y a la question des symboles.
31:02 Des symboles d'institutions avec lesquels il y a un contentieux.
31:06 Les commissariats, ça semble évident pour tout le monde.
31:08 Parfois les municipalités, même si ça peut nourrir des interrogations.
31:12 Et puis des fois vous avez les crèches et vous vous posez pourquoi est-ce que les crèches
31:15 mais est-ce qu'ils se posent la question ?
31:16 Très souvent ils ne se posent pas la question.
31:18 Ils ne se posent pas la question, ils ne délibèrent pas pour savoir quel commerce ou quel établissement
31:25 ils vont prendre.
31:26 Il y a un établissement, ils sont à côté et il y en a un qui prend l'initiative sans
31:29 avoir concerté les autres.
31:31 Et ça suit.
31:33 Donc il faut, je pense qu'il faut éviter à chaque fois d'aller chercher une rationalité
31:38 hyper développée derrière le choix de telle ou telle cible quand on parle d'adolescents
31:42 de 15, 16, 17 ans qui ne sont pas très au clair des fois avec eux-mêmes.
31:47 Merci beaucoup Marouane Mohamed d'avoir été avec nous ce matin.
31:51 Je rappelle que vous êtes sociologue et chercheur au CNRS au centre Maurice Halbwachs.

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