L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 4 Mai 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 *Générique*
00:06 Dans son allocution du lundi 17 avril, Emmanuel Macron reconnaissait une certaine crise des
00:11 services publics qui ne donnerait plus, selon lui, satisfaction.
00:14 Français, éducation, transports, soins mais aussi services postiers.
00:18 Tout ce qui fait l'état social est en effet aujourd'hui sous pression.
00:21 Entre logique d'entreprise, souffrance des fonctionnaires qui s'estiment mal payés,
00:26 fractures numériques et territoriales plus ou moins marquées, notre Simstem centenaire
00:32 porte ensemble dans l'impasse.
00:33 Comment en est-on arrivé là ? Notre modèle historique du service public est-il menacé ?
00:40 Bonjour Christian Othier.
00:41 Bonjour.
00:42 Dans cette semaine que les matins consacrent à la réforme de la France, je me suis dit
00:46 qu'il était important de consacrer une place à la Poste et vous publiez Poste restante
00:51 aux éditions Flammarion.
00:53 C'est un livre qui mêle autobiographie, la vôtre et celle de vos parents, puisque
00:59 vos parents travaillaient à la Poste, mais aussi une réflexion plus large sur l'avenir
01:05 de la Poste et la manière dont celle-ci a évolué dans la période restante.
01:09 Qu'est-ce que ça vous fait alors Christian Othier d'être un enfant de la Poste, d'avoir
01:14 été l'enfant de deux postiers ?
01:16 Je crois que ça m'a donné une approche concrète de ce qu'a été la Poste, ce qu'est
01:23 la Poste et surtout, j'ai écrit ce livre à plusieurs titres.
01:28 D'abord en tant qu'usager, en tant que citoyen, en tant effectivement de fils de
01:34 postier, en tant que postier éphémère, puisque durant ma jeunesse, quand j'étais étudiant,
01:39 je travaillais l'été dans la Poste principale de Toulouse.
01:42 Et enfin en tant qu'écrivain qui se sent forcément attaché à la civilisation de
01:46 l'écrit, à la civilisation épistolaire, aux lettres, aux cartes qu'on continue d'envoyer.
01:51 Et par ailleurs, ce lien familial ou charnel m'a permis, grâce à mes petits séjours
02:00 de travailleur, de manutentionnaire au PTT, qui ont dû faire à peu près, qui ont dû
02:04 composer une période d'un an, d'avoir une vision au ras des lettres et au ras des
02:09 paquets qui est parfois, qui dépasse certains discours convenus sur la fonction publique
02:14 et ceux qui travaillent à la Poste.
02:16 L'enfant que vous étiez, Christian Outier, comment voyait-il le travail de vos parents
02:22 à la Poste ?
02:23 Le travail de mes parents, je le trouvais pas forcément exaltant, mais je le trouvais
02:28 utile et les gens avec lesquels je travaillais, moi j'ai beaucoup travaillé à la manutention,
02:34 c'est-à-dire au tri des lettres, au maniement des sacs et des containers remplis de lettres.
02:43 Là j'ai senti, j'ai compris ce qu'était en fait le service public, c'est-à-dire un
02:49 enchaînement de petites tâches qui se répondent les unes les autres et si on ne l'accomplit
02:58 pas, c'est tout un système qui ne va pas fonctionner et on était très consciencieux
03:03 pour justement que les lettres arrivent, les paquets partent et arrivent le plus vite possible.
03:08 Quelle était l'atmosphère à la Poste ? Parce que vous décrivez dans Poste Restante, le
03:11 livre que vous publiez chez Flammarion, une atmosphère de travail, peut-être même de
03:17 pression, voilà, ça n'était pas un travail facile et évident, Christian Outier ?
03:22 Non, mais on s'y pliait justement avec cette idée que, par exemple, moi je me souviens
03:26 de ces objectifs, à 19h, il ne fallait plus qu'une lettre soit dans les casiers ou dans
03:31 les boîtes aux lettres et à 19h15, il fallait que les camions soient chargés, prêts à
03:34 partir et donc il y avait cette pression par moment dans la journée, mais il y avait aussi
03:38 une certaine, beaucoup de convivialité, de solidarité, de conscience dans le travail,
03:45 là encore loin des clichés, même s'il pouvait y avoir effectivement des gens plus
03:50 ou moins concernés, mais oui, c'était une ambiance.
03:54 J'imaginais, enfin le bureau dans lequel je travaillais à l'époque était un peu
03:58 vétuste, je pense que le cadre n'avait pas dû changer depuis les années 50 et pourtant
04:04 l'ambiance était plutôt bonne, il y avait beaucoup de solidarité, de rire et de plaisir
04:11 à travailler.
04:12 Vous racontez l'épopée également de la poste de l'aéropostale, notamment Christian
04:16 Outier, rappelez-nous en quelques mots justement en quoi consistait cette épopée, une épopée
04:22 dont les promoteurs d'ailleurs disaient eux-mêmes que celle-ci était injouable, irréaliste.
04:27 Oui, ce sont des aventuriers qui se sont lancés dans cette idée un peu folle, c'est-à-dire
04:33 de transporter le courrier par-delà l'Atlantique avec des avions.
04:37 On connaît les noms les plus célèbres, Mermoz, Latécoère, Saint-Exupéry.
04:42 Et là, c'est vrai que ce qui était amusant, je me suis amusé avec ce chapitre, à rappeler
04:46 qu'à une époque pas si lointaine, c'était il y a à peine un peu moins d'un siècle,
04:51 transporter du courrier avait aussi une dimension héroïque et épique.
04:55 Donc on est effectivement bien loin de cela aujourd'hui.
04:58 Bien loin de cela aujourd'hui parce que, vous le dites Christian Ottier, il y a une
05:03 diminution évidemment du nombre de courriers que nous envoyons.
05:09 Internet est passé par là, le numérique également.
05:13 Mais pour autant, vous remettez en cause la stratégie qui a été suivie par La Poste.
05:19 Expliquez-nous pourquoi.
05:20 Oui, bien sûr.
05:21 Il est évident que l'on écrit moins depuis, en particulier depuis l'apparition et la
05:25 démocratisation, le développement d'Internet et des nouveaux moyens de communication.
05:30 Ce qui m'a frappé en me penchant sur le cas de La Poste, c'est que La Poste a anticipé
05:34 cette crise.
05:35 C'est-à-dire qu'elle s'est désintéressée depuis une vingtaine d'années, alors que
05:38 les flux de courriers étaient encore très hauts.
05:40 Et ils sont encore très hauts malgré tout, malgré les discours officiels.
05:42 Je rappelle dans le livre qu'en 2020, la lettre représente 7 milliards à peu près
05:48 de chiffre d'affaires, contre 2 milliards pour Colissimo et 1 milliard pour Chronopost.
05:53 Donc ce n'est pas rien.
05:54 Il y a des volumes encore très importants de lettres qui se sont acheminées.
05:58 Mais La Poste en est désintéressée très vite parce qu'elle avait compris que c'est
06:01 tout de même une fonction, une mission qui mobilise beaucoup de ressources humaines pour
06:06 assez peu de profit.
06:07 Et donc elle s'est diversifiée.
06:08 Elle a tenté de manière, il faut dire, très efficace de décourager les Français d'envoyer
06:12 des lettres avec une politique tarifaire notamment totalement délirante.
06:16 Oui, alors ça a beaucoup augmenté.
06:18 Il y a eu une inflation du timbre poste.
06:20 Vous le retracez dans Poste restante.
06:23 Ces dix dernières années, le prix du timbre a doublé.
06:25 Et par ailleurs, pour un service, comme chacun a pu le constater, de plus en plus dégradé.
06:29 C'est-à-dire que la lettre urgente censée être livrée en 24 heures n'arrivait pas
06:32 forcément et la lettre verte de 48 heures dépassait aussi les délais.
06:36 Donc on payait toujours plus cher.
06:37 Vous avez noté d'ailleurs un Versailles-Toulouse en un jour.
06:40 Oui, c'était même un mois, 28 jours.
06:44 Il y a quelques années, effectivement, la lettre avait mis 28 jours pour faire Versailles-Toulouse.
06:47 Et au même moment, ce qui était amusant, j'avais reçu une carte postale du Mali qui
06:51 avait mis 15 jours.
06:52 Donc la poste malienne, en l'occurrence, était peut-être plus efficace que la poste
06:55 française.
06:56 Mais au-delà de la boutade, oui, ce qui est fascinant, c'est que la Poste a s'aborder
07:00 volontairement le courrier.
07:02 Ça ne l'intéresse plus.
07:03 Pourquoi ?
07:04 Encore une fois, c'est parce qu'il y a d'autres activités de diversification qui sont beaucoup
07:08 plus rentables.
07:09 Le colis et puis toutes les... ou du moins qu'elle pense plus rentable.
07:13 Et puis tous les nouveaux domaines qu'elle investit.
07:15 Oui, parce que quand vous dites plus rentable, on a tous assisté et vous le résumez dans
07:20 votre livre, Christian Hottier, à cette disparition, cette métamorphose plus exactement du timbre
07:26 rouge dont il faut nous rappeler d'ailleurs les contours parce que c'est une réforme
07:30 complexe à expliquer.
07:32 Oui, mais elle est très intéressante et très révélatrice, justement, de la stratégie
07:35 de la Poste.
07:36 Donc depuis le 1er janvier dernier, le fameux timbre rouge, la lettre urgente, censée être
07:41 délivrée en 24 heures, n'existe plus ou du moins a été remplacée par une version
07:45 numérique.
07:46 Alors extrêmement complexe et plus chère de 6 centimes.
07:50 Donc en fait, la Poste, en 2023, a inventé en quelque sorte l'email payant.
07:54 Ce qui est une abortion hardie.
07:57 Il paraissait évident que cette réforme allait être un fiasco, ce qui s'est confirmé par
08:03 les chiffres que la Poste a donnés elle-même.
08:05 Et le PDG de la Poste, qui est apparu devant une commission du Sénat quelques semaines
08:11 plus tard, confiait qu'environ 3 000 lettres, e-lettres rouges, donc cette version numérique
08:17 du timbre rouge, étaient envoyées chaque jour.
08:19 Et il faut rappeler par exemple qu'en 2020, il y a eu 380 millions de courriers prioritaires
08:26 qui ont été envoyés.
08:27 Et en 2021, 275 millions.
08:30 Donc en fait, si on suit les chiffres qu'a donnés la Poste, il y aurait à peu près
08:35 1 million de lettres e-lettres numériques qui seront envoyées en 2023.
08:39 C'est-à-dire qu'elle est passée de 300 millions à 1 million à un tour de main.
08:42 Donc soit c'est de l'incompétence absolue, ce que je me refuse à croire, c'est donc
08:47 une politique délibérée qui vise à supprimer le courrier urgent.
08:51 Et de fait, s'il n'y a plus de courrier urgent, et c'est là où on entre dans la
08:54 logique très particulière de la Poste, on n'aura plus à le distribuer.
08:56 Alors la Poste se défend en disant voilà, il y a le timbre vert, il est écologiste,
09:02 le timbre vert, Christian Routhier.
09:04 Il permet donc à la Poste d'acheminer le courrier, mais effectivement de l'acheminer
09:10 moins vite, peut-être parce que je ne sais pas, lorsqu'il s'agit d'une lettre maintenant,
09:14 on peut attendre et peut-être aussi parce que les facteurs ont des tournées différentes.
09:20 Qu'est-ce qui a changé dans l'intervalle de temps entre l'époque où vous avez travaillé
09:25 à la Poste, où vos parents ont travaillé à la Poste, et aujourd'hui ?
09:28 Oui, alors le facteur aussi, c'est un sujet très intéressant.
09:32 Certains facteurs sont affublés de nouvelles tâches totalement inédites.
09:38 Alors certains sont chargés de collecter les papiers, les cartons pour le recyclage,
09:45 d'autres d'aider certaines personnes à remplir leur déclaration d'impôt sur Internet,
09:49 d'autres, ou parfois les mêmes, doivent repérer les tags sur les murs ou les mobiliers
09:55 urbains pour les signaler.
09:57 Voilà, tout un tas de...
09:59 Certains font passer le frotte de la route.
10:01 Et puis il y a surtout un système qui a été instauré en 2016, moi, qui m'a particulièrement
10:06 frappé, qui s'appelle Veiller sur mes parents.
10:08 Donc ça consiste, selon des formules payantes, à tarifer la visite, soit hebdomadaire ou
10:16 voire jusqu'à quotidienne, chez des personnes âgées ou isolées.
10:20 C'est-à-dire que là, la Poste a réussi à marchandiser ce qu'on appelle le fameux lien
10:25 social que le facteur, notamment dans les zones rurales, mais pas seulement, a complicé
10:29 tout à fait naturellement, puisque effectivement le facteur, et c'est pour cela que le facteur
10:34 est un des personnages, un des métiers les plus populaires auprès des Français.
10:37 Le facteur, ce n'est pas seulement la personne qui amène des lettres, des factures ou des
10:41 magazines, c'est la personne qui va prendre des nouvelles, qui va échanger, qui va en
10:44 apporter, qui va rendre un service annexe.
10:47 Ça, la Poste, en 2017, a réussi à le faire payer.
10:52 Et là aussi, d'ailleurs, ça a été un fiasco, ça ne marche pas, a constaté la Cour des
10:56 Comptes.
10:57 Mais bon, ça en dit quand même beaucoup, je crois, sur le degré...
11:01 J'emploie des mots peut-être un peu fort, mais je trouve de déliquescence morale quand
11:05 on en vient à faire payer des choses aussi élémentaires.
11:07 Peut-être qu'un jour, ils feront payer les sourires ou les bonjours.
11:09 Beaucoup de bureaux de poste ont disparu.
11:12 Christian Othier, je ne sais pas si c'est le cas du bureau de poste Vétuste ou Vieillot
11:18 que vous évoquez.
11:19 En tout cas, on les a vus disparaître.
11:23 Certains demeurent, mais ils ont des horaires d'ouverture qui sont extrêmement restreints.
11:30 Alors il y en a d'autres qui sont devenus au contraire extrêmement rutilants dans l'intervalle.
11:34 Oui, il y a une politique de modernisation des bureaux de poste et là aussi qui est
11:42 révélatrice des tendances à la fois à l'œuvre, au sein de la poste, mais plus largement dans
11:48 l'époque et dans notre société.
11:50 C'est-à-dire qu'il y a une place démesurée donnée à la numérisation des services.
11:54 Pour résumer, pour traduire, on enlève de la présence humaine, on enlève des agents
12:00 et on met des robots.
12:01 On appelle ça, moi j'aime beaucoup le langage communicationnel de la poste, on appelle ça
12:07 plus d'autonomie.
12:08 L'usager a plus d'autonomie, c'est-à-dire qu'il va tout seul vers sa machine pour
12:13 rafranchir le temps.
12:14 Il n'y a personne pour l'aider à faire des opérations.
12:17 Et moi dans ma ville, encore une fois de Toulouse, depuis plusieurs années, j'ai
12:22 assisté à un spectacle qui me fascine.
12:24 Il y avait un petit bureau de poste au cœur de la ville, très pratique, puisqu'il
12:28 évitait d'aller dans la grande poste.
12:30 Et il a été entièrement automatisé, c'est-à-dire qu'il n'y a plus aucune présence humaine
12:34 dans ce petit bureau, qui par ailleurs, dont les fonctionnalités sont plutôt défaillantes.
12:39 Donc il est très peu fréquenté, contrairement à l'ancien bureau quand il y avait des
12:43 agents.
12:44 Et là aussi, on trouve, j'allais dire, une des stratégies de la poste, c'est-à-dire
12:48 que ce bureau à terme sera fermé parce que personne n'y va.
12:50 Et ça montrera bien, par l'absurde, qu'on avait eu raison d'enlever les agents de
12:55 ce bureau auquel plus personne ne va.
12:56 Et vous évoquez justement, Christian Outier, le malaise des personnes qui travaillent à
13:03 la poste, avec là aussi des moments parfaitement dramatiques.
13:09 Rappelez-nous lesquels ?
13:10 Oui, alors la situation à la poste a été moins dure, moins violente qu'à France
13:16 Télécom, qui a longtemps fait partie de…
13:19 Est-ce qu'en fait, vous racontez la manière dont l'entreprise s'est transformée,
13:23 a changé de nom et est devenue donc une entreprise avec des missions distinctes ?
13:29 Oui, mais il y a eu aussi des pressions sur les conditions de travail qui se sont énormément
13:35 dégradées.
13:36 De toute façon, ce qui est lié évidemment, c'est un processus classique, il y a une
13:40 réduction des effectifs, un accroissement des tâches et des cadences et des objectifs.
13:44 Donc c'était particulièrement vrai, pas seulement j'imagine, mais pour les facteurs.
13:49 Et je cite, je me suis intéressé à la… parce que la poste, comme beaucoup de services
13:54 ou d'entreprises, est soumise à d'incessantes réformes et réorganisations.
13:57 Et les facteurs sont en première ligne de ces fameuses réorganisations, c'est-à-dire
14:01 tous les deux ans environ, on retrace leurs tournées, leurs itinéraires.
14:05 Donc on leur demande de faire plus avec moins de moyens.
14:09 Et ce qui est quand même très, enfin j'allais dire amusant, je ne sais pas si c'est le
14:13 terme, mais c'est un logiciel qui réalise ces tournées, qui s'appelle Géoroute,
14:19 si je me souviens bien.
14:20 Et certains facteurs se sont étonnés, ont demandé des explications, il y a eu des procédures
14:26 en justice et on s'est rendu compte que ce logiciel faisait traverser des murs, des
14:31 murs d'immeubles aux facteurs pour accomplir leurs tournées, ou leur faisait traverser
14:34 des fleuves là où il n'y avait pas de pont.
14:36 Et là au-delà de l'anecdote ou du sourire, c'est quand même très intéressant parce
14:41 que moi j'imaginais qu'on se penche sur ces réformes, sur ces réorganisations, on
14:45 imagine des logiciels imparables, une rigueur et une froideur autant technocratiques que
14:52 mécaniques et on découvre en fait des logiques qui sont illogiques, une rationalité totalement
14:58 irrationnelle et c'est ça qui est fascinant.
15:01 À un moment j'ai dit c'est Monty Python revu par Kafka, mais c'est ça qui est vertigineux,
15:06 c'est qu'il y a un côté totalement absurde.
15:09 - Absurde et parfois aussi dramatique.
15:14 Là c'est le cas de France Télécom qui a donné lieu à un procès avec là aussi son
15:21 dirigeant dont vous vous rappelez quelques expressions à cette époque, Christian Hantier.
15:28 - Oui Didier Lombard, il y a eu je cite de mémoire je crois une trentaine de suicides,
15:32 de cas considérés selon la justice qui étaient directement liés à une politique de management
15:38 et de pression sur des employés pour qu'ils partent et le PDG de l'époque avait utilisé
15:45 le mot "mode", c'était la mode du suicide.
15:47 Ensuite il s'était corrigé en disant qu'il avait songé au mot anglais "mood", tendance,
15:52 ce qui me paraît à peine moins obscène.
15:54 Mais oui France Télécom aussi, ça a été là pour le coup démontré et condamné en
16:00 justice, c'était là aussi une politique délibérée de pression très très forte
16:05 sur des employés.
16:06 - Comment voyez-vous l'avenir de la Poste, Christian Hantier ?
16:10 - La raison me conduirait à la voir de manière plutôt sombre, c'est-à-dire qu'on peut
16:17 craindre qu'elle aille toujours vers cette, je mets le terme entre guillemets "modernisation
16:23 à marche forcée" et ensuite le cœur me pousse à ne pas désespérer jusqu'au bout
16:29 et justement j'espère que les gens vont continuer à écrire des lettres, à envoyer
16:34 des cartes postales puisque la Poste ne veut plus les distribuer, ne veut plus qu'on
16:39 en écrive, donc c'est un petit acte de résistance qui est à la fois ludique et
16:44 utile.
16:45 - La réforme des services publics, on se retrouve dans une vingtaine de minutes pour
16:50 continuer d'en parler, Christian Hantier, Poste restante, c'est le livre que vous publiez
16:55 aux éditions Flammarion et vous serez rejoint par Claire Lemercier, elle est historienne
17:00 chargée de recherche au CNRS, au Centre de Sociologie des Organisations et elle est la
17:06 co-autrice de la valeur du service public aux éditions La Découverte.
17:10 Il est 8h sur France Culture.
17:12 * 7h-9h, les matins de France Culture, Guillaume Erner *
17:19 Et nous poursuivons dans les matins cette semaine consacrée aux réformes, à réformer
17:24 la France.
17:25 On a évoqué le sort de la Poste avec vous Christian Hantier, vous êtes journaliste
17:29 écrivain, vous publiez Poste restante aux éditions Flammarion, c'est une autobiographie
17:35 et puis une biographie de la Poste puisque vous êtes enfant de la Poste et vous-même
17:38 y avez travaillé et nous accueillons Claire Lemercier, bonjour.
17:43 - Bonjour.
17:44 - Claire Lemercier, vous êtes historienne chargée de recherche au CNRS, au Centre de
17:47 Sociologie des Organisations, on vous doit la valeur du service public publié aux éditions
17:52 La Découverte et vous faites partie du collectif du Printemps des services publics créé en
17:57 2022 qui organise des journées de rencontres et des ateliers au sujet du sort de ces services
18:04 publics.
18:05 Justement, si vous deviez qualifier l'état de nos services publics, l'école, les hôpitaux,
18:10 les transports, que diriez-vous ?
18:11 - Je vais prendre les deux côtés des services publics, du côté des agents et agentes publics,
18:17 l'un des faits qui domine c'est la souffrance au travail du fait qu'ils et elles sont empêchés
18:21 de bien faire leur travail, c'est vraiment ça qui remonte.
18:23 Du côté des usagers et usagères, je prendrai une photo qui est dans notre livre prise par
18:29 Clara Deville en 2016, mais ça s'est aggravé depuis, devant une caisse d'allocations familiales.
18:35 D'un côté l'espace rendez-vous, il faut avoir pris rendez-vous sur internet, on est
18:39 vérifié par un agent de sécurité, personne n'est là.
18:41 De l'autre côté, l'espace libre-service, une queue qui serpente et des gens qui n'auront
18:46 pas forcément de réponse à leurs problèmes.
18:48 - Donc une situation qui est préoccupante, une situation qui est, semble-t-il, et c'est
18:54 cela qui est particulièrement étonnant, disons que si l'on prend une position aux
19:01 antipodes de la vôtre, Claire Lemercier, celle d'Agnès Verdier-Mollinier qui vient
19:08 récemment de publier un ouvrage consacré justement à l'état de nos finances et de
19:16 nos prélèvements publics, elle semble d'accord avec vous sur le fait que la situation des
19:21 services publics en France est une situation préoccupante, mais dans le même temps, elle
19:26 dit que ce qui cloche, c'est que les dépenses publiques ont explosé, elles sont passées,
19:32 si t'elles, de 800 milliards à environ 1 500 milliards d'euros, alors que cette
19:37 explosion des dépenses n'est pas accompagnée d'une amélioration, voire même d'une
19:43 stabilisation de l'état de nos services publics.
19:46 Qu'est-ce que vous en pensez, Claire Lemercier ?
19:47 - Alors d'abord, ce qui est important, c'est de se rendre compte que la dépense publique
19:50 ne va pas que dans les services publics.
19:52 C'est d'ailleurs bien normal, mais l'argent public va à beaucoup d'autres choses, y
19:56 compris des aides aux entreprises, certaines justifiées sans doute d'autres moins, car
20:00 sans contrepartie, mais quand on parle de dépenses publiques, il faut bien voir que
20:04 ça ne va pas du tout que dans les services publics.
20:06 L'autre chose, c'est en effet, par exemple, à effectifs jusqu'à aujourd'hui relativement
20:13 constants des agents et agents de public, contrairement à d'autres pays où il y a
20:17 eu vraiment des coupes sombres, on a un mal-être des agents et des services publics qui se
20:22 dégradent, et ça peut être lié à l'accélération des réformes, à la fois le fait qu'on les
20:29 enchaîne sans jamais en faire le bilan, en courant toujours plus vite vers la suivante,
20:34 et puis les objectifs de ces réformes qui sont tout à fait décalés par rapport à
20:39 ce qui correspondrait à de meilleurs services publics reconnus par la population.
20:43 A quoi servent-elles ces réformes ? Que visent-elles ?
20:45 Elles visent des objectifs extrêmement abstraits en fait, une conception hors sol de l'efficacité
20:52 du bon management par exemple, et des conceptions qui sont censées s'appliquer également
20:57 dans tous les services publics et qui sont de plus en plus décidées par des gens qui
21:01 ne connaissent pas réellement les secteurs qu'ils et elles réforment ou dirigent.
21:06 Et donc souvent avec les meilleures intentions du monde, des intentions d'efficacité,
21:10 d'amélioration du service, on tape complètement à côté parce que ce qu'on vise à améliorer
21:14 c'est un indicateur.
21:15 Donnez-nous des exemples justement de ces tentatives.
21:19 L'exemple peut-être le plus flagrant c'est la marche forcée vers la dématérialisation
21:25 qui a été lancée en 2012 avec l'objectif tous les services numérisés en 2022, on
21:30 n'y est pas fort heureusement, mais qui a été faite en dépit des avertissements
21:35 répétés en particulier de la défenseur des droits qui a je crois là rendu son troisième
21:39 rapport sur le sujet, qui a des remontées de problèmes rencontrés par des usagers
21:45 et usagères à qui l'accès aux droits était tout simplement coupé par la dématérialisation.
21:49 Et ça ne concerne pas du tout que les personnes âgées, il y a de nombreuses autres raisons
21:53 d'avoir un problème avec ça.
21:55 Et donc je pense que les gens qui ont décidé la dématérialisation, et c'est un peu
21:58 tout le problème, étaient de bonne foi convaincus que ça allait simplifier les démarches.
22:03 Puisqu'il y a quelque chose qui pouvait effectivement s'envisager avant, maintenant
22:09 tout le monde est effectivement confronté à un moment ou un autre à la complexité
22:13 des démarches dématérialisées.
22:15 Mais alors c'est un bon exemple, Claire Lemercier, parce qu'on voit bien à la fois
22:19 la logique de la chose, on voit bien aussi au problème auquel on peut être confronté
22:24 avec cette dématérialisation, mais c'est un peu le sens de l'histoire, non ? Qu'en
22:29 pensez-vous ?
22:30 Alors en tant qu'historienne, je confirme qu'il n'y a pas de sens de l'histoire.
22:34 C'est assez rassurant.
22:35 Tout n'était pas mieux avant non plus, mais on n'est pas condamné à une certaine
22:40 forme de modernisation des services publics.
22:43 M.
22:44 Ottier évoquait une autre forme de modernisation dans son livre, qui était la mise en place
22:47 de TGV postaux dans les années 80.
22:49 C'était le top de la modernité technique à l'époque.
22:52 Et puis à un moment, on y a renoncé, pas du tout parce que c'était plus le top de
22:56 la modernité technique, mais parce qu'on n'avait plus pour objectif de livrer le
23:00 courrier plus rapidement.
23:01 Aujourd'hui, on peut moderniser autrement qu'en dématérialisant, ou surtout, et c'est
23:05 ce que dit la défenseure des droits, on peut dématérialiser parce que pour certaines
23:08 situations particulières, ça peut présenter une amélioration, mais sans enlever les autres
23:13 canaux d'accès aux services publics.
23:15 Qu'est-ce que vous en pensez, Christian Ottier ?
23:17 - Oui, moi j'ai été frappé, Claire Lemercier, par l'évoquation de cette espèce d'idéologie
23:22 managériale à l'œuvre dans les services publics.
23:25 Moi, je l'ai étudiée particulièrement à la poste, mais on l'a vu à l'œuvre
23:29 évidemment à l'hôpital, on le voit un peu partout, et y compris d'ailleurs dans
23:33 le secteur privé.
23:34 Et c'est effectivement, enfin moi je cite dans le livre en moment les travaux de Philippe
23:39 Diribard, mais il y en a beaucoup qui réfléchissent, qui mettent en relief les ravages de ces pratiques.
23:46 C'est-à-dire qu'on dévalue le travail, on parle beaucoup du sens du travail, etc.
23:49 On dévalue des compétences, des savoir-faire, voilà, tout simplement, qui sont ancrées
23:55 chez des salariés depuis des dizaines d'années, et il y a des espèces d'experts, de cabinets
24:01 d'expertise hors sol qui au-dessus vont leur expliquer comment on fait leur travail.
24:05 Pour élargir au-delà de la poste, j'ai été frappé ces derniers mois par la réforme
24:09 de la police judiciaire, qui n'est pas a priori un repère de syndicalistes forcenés.
24:14 Ils sont vent debout contre la réforme qu'on veut leur imposer en leur disant "mais on
24:18 retrouve ça dans énormément de corps de métier, vous allez casser notre outil de
24:22 travail arrêté".
24:23 Et il y a l'espèce de machine qui se met en place au nom d'une rationalité qui hélas
24:29 est irrationnelle et qui surtout est inefficace et destructrice.
24:32 Claire Lemercier, vous opinez du chef sur la réforme de la police judiciaire ?
24:36 Oui tout à fait, c'est un bon exemple parce qu'en effet les syndicats de policiers, qui
24:41 ne sont quand même pas toujours réputés pour leur islamogochisme, critiquent les réformes
24:45 de leur métier dans les mêmes termes finalement que peut-être SudPTT pour la poste, etc.
24:51 D'autres syndicats dans d'autres branches.
24:53 Bon mais ça montre bien là aussi que cette réforme est peut-être faite avec de bonnes
24:57 intentions puisque la police a été plusieurs fois soulignée, a généralement été épargnée
25:03 par certaines réformes qui pourraient paraître douloureuses.
25:06 Claire Lemercier ?
25:07 Oui, enfin je ne pense pas que l'enjeu d'égalité ce soit de faire le mal partout de la même
25:11 manière.
25:12 Ce qui se passe avec l'APJI c'est quand même cette idée de rendre tout le monde interchangeable
25:17 finalement et de mutualiser des moyens.
25:19 C'est-à-dire que vu de loin dans un tableau Excel, mettre des heures de n'importe quel
25:24 policier c'est pareil que de mettre des heures d'un ou une membre chevronné de l'APJI.
25:28 Ce n'est pas le cas.
25:29 Mais c'est ce qu'on retrouve partout.
25:31 Alors vous évoquiez les consultants, on évoque l'exemple repéré par un sociologue sur
25:36 le terrain de consultant qui descend sur un hôpital, c'est comme ça que c'est vécu
25:39 par les personnels, et qui s'attaque à une infirmière d'un service de réanimation
25:44 médicale qui en pose depuis 15 ans, ce qui est très rare.
25:46 On connaît le turnover des personnels hospitaliers.
25:48 Et donc c'est la personne de référence de son service, même les médecins lui demandent
25:52 conseil sur tout ce qui se passe.
25:55 Et les consultants arrivent et lui disent "il faut sortir de votre zone de confort".
25:58 Et ce ne sont pas que des paroles.
26:00 Suite à cette audite, elle se retrouve obligée d'aller passer un jour par semaine dans d'autres
26:04 services.
26:05 Vous parlez de la santé, on a parlé de l'éducation hier, donc on ne va pas y revenir.
26:10 Mais sur la santé, justement, ce qui a été souligné plusieurs fois, c'est le fait
26:16 que le niveau des dépenses à l'échelle collective est important et qu'il y a beaucoup
26:21 de regrets sur l'hôpital d'avant parce que l'hôpital d'aujourd'hui semble largement
26:30 inadapté aux besoins de la population.
26:32 Claire Lemercier, est-ce que ça ne s'explique pas par l'importance prise par les services
26:39 bureaucratiques au sein de l'hôpital qui pèseraient au détriment des soignants qui
26:44 auraient la portion congrue ?
26:46 Alors tout dépend de ce qu'on appelle les services bureaucratiques.
26:49 Parce qu'on a un certain nombre de personnes qui dénoncent l'idée qu'il y aurait trop
26:52 de personnel administratif dans l'hôpital.
26:54 Ce n'est absolument pas le cas.
26:56 Au contraire, ce que disent les personnels soignants, c'est qu'ils et elles sont obligés
26:58 de passer du temps à une tâche administrative au dépend du soin.
27:02 Et puis il faut voir ce qu'on appelle la bureaucratie.
27:04 Effectivement, ce qui pèse de plus en plus sur l'hôpital, c'est le remplissage de grands
27:09 tableaux qui visent à mesurer la rentabilité, qui est une rentabilité fictive puisque l'hôpital
27:14 n'a pas été privatisé.
27:16 Bienheureusement, l'hôpital public existe toujours en France et il ne rend pas les mêmes
27:20 services que les cliniques.
27:21 C'est très complémentaire.
27:22 Il fait les opérations à risque, il fait le suivi des maladies chroniques, il fait
27:25 les urgences ouvertes pour tout le monde.
27:27 Mais on a instauré cette fiction de comparaison de rentabilité avec les cliniques, qui est
27:33 très dure moralement, puisque ces personnels sont soumis à des injonctions contradictoires.
27:38 Comment peut-on à la fois soigner tout le monde, toutes les pathologies les plus difficiles,
27:43 les plus chroniques, et faire du profit ? Et puis très concrètement, ça leur prend du
27:47 temps.
27:48 C'est-à-dire que remplir toutes ces fiches sur combien de temps on passe à quel soin,
27:52 combien ça rapporterait dans un monde comptable fictif, ça prend du temps, qui est pris sur
27:56 du temps de soin, puisque comme la plupart des autres services publics d'ailleurs, ceux-ci
28:01 sont plutôt sous-encadrés en personnel administratif, puisque dans tous les ministères, en fait,
28:06 quand on a dit "vous devez faire plus à moyen constant", et c'est le cas aussi au
28:10 CNRS où je travaille, on a tous et toutes dit "bah oui, mettez-nous plus de chercheurs/chercheuses
28:14 et moins de personnel administratif", parce qu'on voulait faire de la recherche.
28:17 Mais à un moment, l'absence de personnel administratif, ça finit par poser problème,
28:22 par exemple aux patients et patientes à l'accueil à l'hôpital.
28:25 Mais alors, si on poursuit l'exemple de l'hôpital, alors il y a des pays, à juste titre ou pas,
28:29 d'ailleurs Claire Lemercier, vous allez nous le dire, qui sont des pays repoussoirs.
28:32 Je pense que les États-Unis ne font envie à personne, y compris au sein même des États-Unis,
28:39 où on voit qu'il y a un prix du service de santé qui est très important, alors même
28:45 qu'une grande partie des Américains en sont privés.
28:48 Si on sort de ces exemples repoussoirs, est-ce qu'il y a des hôpitaux aujourd'hui qui vont mieux
28:56 dans d'autres pays, alors même qu'on a affaire à des situations qui sont des situations générales,
29:02 vieillissement de la population, augmentation des maladies chroniques, bref,
29:05 les hôpitaux ont de plus en plus de charges à remplir.
29:09 Oui, vous avez raison de le rappeler, la hausse des dépenses de santé, elle est avant tout liée
29:12 à la fois au vieillissement et puis au fait qu'on soigne mieux, au fait qu'on est capable de faire
29:17 des triple greffes qu'on ne faisait pas avant, les gens mourraient, ça coûtait peut-être moins cher.
29:20 Moi je préfère plutôt qu'on fasse des triple greffes.
29:23 Après les États-Unis sont un bon exemple puisque les dépenses publiques de santé sont particulièrement élevées.
29:28 Il y a quand même des gens qui ont une couverture sociale et les prestataires privés font payer
29:34 très largement les fournisseurs publics de santé.
29:38 Je ne suis pas sûre qu'il faille chercher un paradis des services publics ailleurs.
29:41 Y compris en France, en fait, on peut trouver des services hospitaliers qui s'en sortent.
29:45 Le problème c'est qu'ils doivent faire leur travail contre les injonctions liées aux différentes réformes,
29:50 en quelque sorte en fraude, pour continuer à faire du bon soin, à faire du soin universel.
29:56 Mais on a des exemples de services qui fonctionnent mieux que d'autres, au sens où les usagers-usagères
30:01 et les agents-agents de public sont plus heureux, finalement, c'est un critère comme un autre qu'ailleurs.
30:06 Mais il n'y aurait pas, je suis surpris que vous n'ayez pas en tête un modèle alternatif
30:14 que vous ne citiez pas, par exemple les pays nordiques en matière de services publics
30:19 qui sont souvent cités en exemple, Claire Lemercier.
30:22 Oui, ça dépend des services publics. Il y a certainement des choses à y prendre sur beaucoup de services publics.
30:26 Mais je pense que c'est un parti pris qu'on a aussi dans le livre, c'est de ne pas faire des généralités comptables
30:32 et de ne pas faire du benchmark international. Parce que c'est ça qui nous perd aujourd'hui,
30:36 c'est toujours se demander si on est au-dessus ou en dessous de la moyenne de l'OCDE.
30:39 À la limite, peu importe, en fait. Moi, ce qui me pose problème dans le salaire des enseignants,
30:43 ce n'est pas les comparaisons internationales, c'est qu'il n'est pas adapté à leur tâche.
30:47 Pour l'hôpital, clairement, tout n'était pas mieux avant et il faut vraiment regarder quand c'était avant.
30:53 Parce que l'hôpital avec première classe, deuxième classe, selon votre argent,
30:57 il a très longtemps existé en France. Mais ça peut être quand même intéressant de revenir aux réformes de Bray,
31:02 qui paradoxalement sont des réformes de Gaulliste, le de Bray médecin main dans la main avec le de Bray politique,
31:08 qui visait à avoir un hôpital plus universel, en fait, qui puisse accueillir tout le monde.
31:13 Et dans cette utopie techniciste, mais qui était une utopie techniciste avec de l'accès,
31:18 de donner accès aux soins les plus modernes à toute la population.
31:22 On peut trouver quelques exemples dans le passé, on peut trouver quelques exemples à l'étranger,
31:26 mais je pense qu'on n'a même pas besoin de ça, en fait. Ce qu'il faudrait faire, c'est juste qu'on s'arrête, on réfléchit,
31:31 et on demande leur avis aux personnes, aux personnes soignantes et aux patients, patientes, à leurs associations, etc.
31:37 Et on trouvera très facilement quoi faire. Après, on peut aller voir à l'étranger aussi, mais
31:41 c'est aussi un petit peu une démarche de consultant, en fait, de dire forcément ailleurs c'est meilleur.
31:46 Nous avons évoqué la poste, les hôpitaux, hier l'éducation. Quels sont les autres services publics, Claire Lemercier,
31:53 qui vous paraissent importants, sur lesquels on pourrait se pencher aujourd'hui,
31:58 à l'heure où il est question, nous dit Emmanuel Macron, d'améliorer les services publics ?
32:03 En fait, c'est systémique. Donc, les endroits où il y a des problèmes, alors que ce serait crucial,
32:09 je pense à deux qui sont tout petits en effectif, la météorologie et les forêts.
32:15 Face au changement climatique, ces services sont un petit peu importants quand même.
32:19 On ne cesse de réduire leurs moyens. En pourcentage, le ministère qui a le plus perdu de moyens,
32:25 c'est le ministère de l'écologie, depuis 10-15 ans. Et on a vu l'été dernier, avec les incendies,
32:30 des agents de l'ONF démunis, parce que les titulaires ont été remplacés par des contractuels.
32:35 Les contractuels ne sont pas assermentés, ne peuvent pas verbaliser les propriétaires privés de forêts
32:39 qui ne débroussaillent pas. C'est des petites choses comme ça, dans tous les services publics,
32:44 y compris ceux qui ne sont pas de taille gigantesque, je ne parle même pas de Radio France.
32:49 Mais la destruction est systémique, et la manière de s'en sortir est assez simple en fait.
32:56 On s'arrête, on réfléchit, on écoute.
32:58 - Christian Routier ?
32:59 - Oui, au-delà de la question des moyens, je voulais rebondir sur la notion de polyvalence
33:04 que Claire Lemercier évoquait tout à l'heure, parce qu'elle me semble effectivement cruciale.
33:08 Et moi je me suis intéressé, on évoquait tout à l'heure effectivement les nouveaux rôles du facteur,
33:12 qui en fait doit... On nous a dit en gros dans les années 80, qu'il faudrait s'habituer,
33:17 certains discours nous ont dit qu'il faudrait s'habituer à faire plusieurs métiers au cours de sa vie.
33:20 Bon, les gens n'avaient pas attendu d'ailleurs cette invitation, certains, pour le faire.
33:24 Et on en est arrivé aujourd'hui à la réalité qu'il faut faire en fait plusieurs métiers en même temps.
33:29 Donc le facteur, comme je vous le disais, il doit collecter les tags, faire passer le code de la route,
33:33 surveiller nos parents.
33:35 Et on retrouve ça effectivement dans énormément de services.
33:40 Et on en revient à ce rêve d'un employé flexible,
33:46 un homme ou une femme à tout faire.
33:49 Moi je parle de couteau suisse,
33:51 qui est le rêve d'une espèce de société enfin flexible, souple et libéralisée.
33:58 Et je crois que là encore, une fois là aussi, on tue le travail et l'estime de soi,
34:04 puisque si on sait tout faire, on ne sait rien faire en fait.
34:06 Et on tue donc la qualité d'un travail et surtout l'estime aussi du travailleur ou du salarié.
34:11 Parce que si je suis capable de faire passer le permis de conduire, d'être infirmier,
34:17 parce que pour rester dans la poste, la poste investit énormément aussi dans la santé,
34:20 c'est au final que je ne suis bon à rien.
34:23 - Mais alors, ça c'est ce que vous retracez dans votre livre, Christian Hautier,
34:28 "Poste restante", publié aux éditions Flammarion.
34:30 La défense de la direction de la Poste consiste à dire, Claire Lemercier,
34:35 qu'il s'agit de trouver une solution face à une situation qui n'est pas évidente,
34:40 la diminution du courrier, le fait que la Poste, avec la numérisation,
34:44 bref, des phénomènes que tout le monde connaît,
34:46 eh bien aurait son heure de gloire derrière elle. Qu'en pensez-vous ?
34:51 - C'est un cas classique, en fait, de mise en faillite des services publics.
34:55 C'est la formule qu'emploient les sociologues pour en parler.
34:58 C'est-à-dire qu'on enlève des moyens ou on les met à des endroits non pertinents.
35:03 Pour ce qui est de la Poste, on fait comme s'il n'y avait plus de lettres,
35:05 alors qu'il y en a encore énormément.
35:07 Mais on les distribue de moins en moins bien, on met les moyens ailleurs,
35:11 et au bout d'un moment, en effet, les lettres étendent de plus en plus mal distribuées,
35:14 les termes étendent de plus en plus cher, les gens n'en utilisent plus.
35:17 Et on retrouve ça dans des tas de services publics.
35:20 On dégrade l'accueil, on y met des personnels précaires, on réduit les horaires, etc.
35:25 Et on finit par fermer le guichet en disant que plus personne n'y vient.
35:28 - À quel service public pensez-vous ?
35:30 - Là, c'est vraiment très général sur cette question des guichets.
35:33 Je pense que c'est un point clé des métiers aujourd'hui.
35:36 Pas seulement vis-à-vis de la dématérialisation, mais même là où il y a des personnes.
35:39 On voit le développement des Maisons France Service comme étant la solution à tout.
35:44 Elisabeth Born l'a encore évoqué la semaine dernière.
35:47 - C'est un peu le problème, justement, c'est que personne ne sait.
35:50 C'est-à-dire que ces Maisons France Service sont déjà changées de trois ou quatre fois de nom.
35:53 Elles sont dans des lieux qui ne sont pas individualisés comme tels.
35:57 Or, les bâtiments publics, c'est très important comme point de repère.
36:00 Elles sont censées être des points d'accès, des guichets universels.
36:02 - C'est-à-dire qu'elles peuvent se trouver n'importe où ?
36:04 - Elles squattent différents bâtiments publics qui existaient auparavant,
36:08 typiquement une perception récemment fermée ou autre chose de récemment fermée.
36:13 Elles sont mal individualisées.
36:15 Vraiment, le fait de changer tout le temps de nom et de logo,
36:18 ça fait que les gens qui en auraient besoin ne savent pas que ça existe, ne savent pas où c'est.
36:22 Mais, mettons que ces personnes y arrivent,
36:24 donc c'est censé être des guichets universels d'accès à tous les services publics.
36:28 Avec deux problèmes.
36:29 D'abord, les personnes qui les tiennent sont très peu précaires, très peu formées.
36:34 On leur demande à des couteaux suisses, pour le coup, elles n'en ont pas les moyens.
36:38 Et d'autre part, ces personnes, en fait, sont essentiellement dans un rôle de poteau indicateur,
36:43 mais n'ont pas les pouvoirs de rendre la plupart des services publics,
36:46 notamment parce que pour ça, il faut pouvoir assurer la confidentialité des données,
36:53 il faut avoir des pouvoirs juridiques.
36:55 Et donc ces personnes sont structurellement en train de décevoir les usagers,
36:58 et de se rendre malheureuses elles-mêmes.
37:00 C'est vraiment la fausse bonne solution,
37:02 mais c'est ce qui permet de dire, en regardant une carte de France de très loin,
37:05 "non, non, il y a des points d'accès aux services publics, donc il n'y a pas de problème".
37:09 En fait, le problème, c'est cette polyvalence obligée,
37:12 qui fait que ces personnes ne peuvent pas être bonnes dans les 30 métiers
37:16 qu'elles sont censées rendre, puisqu'elles sont censées répondre à des questions parfois compliquées,
37:21 sur les impôts, sur les allocations familiales, sur l'assurance maladie, sur l'emploi,
37:25 et initier les gens à Internet dans le même temps.
37:28 Un mot de conclusion, Christian Authier, lorsque l'on voit l'avenir de la Poste,
37:35 son passé aussi que vous restituez dans Poste Restante aux éditions Flammarion,
37:40 quel regard portez-vous sur les services publics en France ?
37:43 Je crains que cela ait été parfaitement résumé.
37:46 C'est exactement la démonstration que je réalise dans le livre.
37:50 La logique à l'œuvre, c'est qu'on dévalue un service,
37:53 on le rend inefficace, les gens s'en détournent,
37:56 et par la démonstration, par l'absurde, vous voyez bien qu'il était inutile,
37:59 puisque les gens ne s'en servent plus.
38:00 Donc c'est cette logique, en même temps très grossière, qu'il faut démonter,
38:04 à laquelle il faut s'opposer, et je pense peut-être un des moyens de résistance
38:09 ce sont peut-être les élus locaux.
38:10 Je crois que l'une des rares choses censées que contient le rapport Loney
38:14 consacré à la Poste, qui est un ancien député qui a été missionné par Bruno Le Maire,
38:18 c'est des revendications de l'Association des maires de France
38:22 qui veulent plus de présence humaine, plus de mission de service public,
38:25 que la Poste revienne à ses métiers fondamentaux.
38:28 Donc je crois que ça peut être un début de reconstruction.
38:31 Merci Christian Authier, je renvoie donc à votre livre Poste Restante.
38:35 Et au vôtre, Claire Lemercier, la valeur du service public, c'est aux éditions La Découverte d'Auvergne.