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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 23 Août 2022)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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Transcription
00:00 *Générique*
00:06 Pays parmi les plus désindustrialisés d'Europe, la France serait à en croire Emmanuel Macron
00:12 sur la voie de la réindustrialisation.
00:14 Ce dernier s'est d'ailleurs exprimé la semaine dernière pour annoncer investissement,
00:18 relocalisation dans les secteurs clés comme l'intelligence artificielle, le secteur pharmaceutique.
00:24 Sur ce dernier point, la France connaît en effet depuis quelques mois des pénuries de
00:28 médicaments, comment en est-on arrivé là ? La réindustrialisation de la France est-elle
00:34 vraiment en marche ? Pour en parler, nous sommes avec vous Nicolas Dufourque, bonjour.
00:39 - Bonjour.
00:40 - Vous êtes directeur général de la Banque Publique d'Investissement qui est un acteur
00:44 clé dans ce domaine.
00:45 Vous publiez la désindustrialisation de la France 1995-2015 aux éditions d'Ile Jacob.
00:53 Avant d'évoquer cette question, peut-être quelques mots pour présenter la Banque Publique
00:57 d'Investissement.
00:58 - Oui merci.
00:59 La Banque Publique d'Investissement a été créée au 1er janvier 2013, donc elle a 10
01:04 ans.
01:05 Et son rôle est d'accompagner les entrepreneurs français, quel que soit le stade de leur
01:09 développement, de manière à leur permettre d'accomplir un peu leurs rêves entrepreneuriaux.
01:15 Et donc j'ai tendance à dire qu'on est un peu un éditeur d'entrepreneurs.
01:19 Vous voyez, ils nous proposent leurs manuscrits, on les lit, on les aide, on les accompagne,
01:23 on les publie.
01:24 On fait tout pour qu'ils réussissent.
01:25 Avec nos moyens, qui sont des moyens financiers, mais également des moyens humains.
01:29 C'est-à-dire que nous avons maintenant une grosse activité de conseil à leur côté.
01:31 - Mais alors comment fait-on ça, tout en ayant en tête, bien sûr, les normes édictées
01:37 par Bruxelles ?
01:38 - Ah c'est tout à fait possible.
01:40 Il ne faut pas croire que Bruxelles nous empêche de vivre.
01:42 On a une activité de crédit très importante.
01:46 On fait 15 milliards d'euros de crédit par an avec des crédits qui sont pour une partie
01:49 bonifiés par l'État, des crédits dans lesquels on ne demande pas de garantie aux entrepreneurs,
01:54 pas d'hypothèque, donc ils sont évidemment très désirés et on peut tout à fait le
01:57 faire.
01:58 Par ailleurs, on fait une grosse activité d'investissement en fonds propres.
02:01 Ce que la commission de Bruxelles nous demande de faire et de vérifier, c'est de ne pas
02:06 investir en fonds propres dans des entreprises qui sont en train de tomber.
02:08 Donc ça, ça s'appelle une aide d'État.
02:11 On peut le faire, mais il faut notifier.
02:13 Le fait est qu'on le fait assez rarement.
02:14 - Les médicaments, aujourd'hui, c'est une priorité, Nicolas Dufour, que l'on réussisse
02:20 donc à ne pas manquer de pracédamol, par exemple.
02:23 D'antibiotiques pour les enfants, comment expliquer que cette industrie pharmaceutique,
02:29 qui a priori se porte bien en France, fabrique de moins en moins en France, si bien que
02:35 l'on peut manquer de stock ?
02:36 - C'est la conséquence directe de l'arrivée des génériques sur le marché.
02:40 À partir du moment où, pour faire des économies complètement légitimes et nécessaires
02:45 dans les plans de financement de la sécurité sociale des années 2000, on a décidé de
02:49 passer au générique, c'est-à-dire de couper très fortement le prix des médicaments,
02:54 toute la production de ces médicaments est partie en Inde et en Chine.
02:57 Toutes, à peu près 100%, il faut se le dire.
03:00 Et donc c'est la conséquence d'une décision absolument rationnelle d'équilibre budgétaire
03:05 de la sécurité sociale française.
03:07 Le résultat, c'est que quand on tombe sur une crise pandémique ou sur une crise géopolitique,
03:12 tout d'un coup on se souvient qu'il faut quand même passer son coup de téléphone
03:16 à Chennai ou à Shenzhen.
03:17 - Ce qui est un peu problématique.
03:19 - Nous avons décidé de rapatrier une partie de cette production.
03:21 Et PPFrance joue son rôle, puisque nous avons investi dans la société Séquence, qui rapatrie
03:26 dans son usine de Roussillon la production de paracétamol.
03:29 - C'est-à-dire qu'il faut des génériqueurs.
03:31 - Français.
03:32 - Et ces génériqueurs ne font que cela.
03:35 Mais alors, on se pose la question suivante lorsqu'on lit votre ouvrage "La désindustrialisation
03:40 de la France".
03:41 Vous citez un auteur qui est aujourd'hui un peu oublié, Jean Fourastier, qui était
03:47 le créateur du terme "Les 30 glorieuses".
03:50 Et vous expliquez qu'au lendemain de la guerre, Fourastier pensait qu'on allait tout fabriquer
03:57 sans une seule intervention humaine, que les robots allaient tout faire.
04:01 Alors on se dit que ce n'est pas encore le cas.
04:03 Néanmoins, ces usines sont des usines très automatisées.
04:07 Est-ce que les différences de salaire entre la France, l'Inde, la Chine expliquent en
04:13 soi le fait que la France n'est plus aujourd'hui d'usine capable de fabriquer des médicaments ?
04:19 - Alors à cette époque-là, dans les années 2000, oui en effet c'était le cas.
04:23 Mais vous avez répondu à la question.
04:25 En effet, l'automatisation aujourd'hui permet de redevenir compétitive.
04:29 Pour peu que, tout de même, la Sécurité Sociale française et les hôpitaux acceptent
04:34 de payer un petit prix.
04:36 - Supplémentaire.
04:37 - Très légèrement supplémentaire.
04:41 - Ça veut dire quoi concrètement par exemple ?
04:43 - On parle d'un centime, ou de 0,5 centime, ou de 0,01 centime.
04:47 C'est tout à fait dérisoire.
04:48 Mais c'est à cette échelle-là que se joue la compétitivité de la France.
04:54 C'est ça qu'il faut comprendre.
04:55 Donc la France peut redevenir compétitive, y compris sur des industries de volume, grâce
05:00 à l'automatisation en effet.
05:01 - Mais alors ça c'est un exemple parfait parce que ça signifie qu'aujourd'hui, à
05:07 condition d'avoir des investissements suffisants, puisque j'imagine que fabriquer une usine
05:11 de médicaments, cela requiert des capitaux importants.
05:17 Donc à partir du moment où on réussit à les réunir, on a la possibilité d'avoir
05:22 une industrie qui est compétitive en matière de médicaments, Nicolas Dufourque ?
05:26 - La réponse est oui.
05:28 Encore une fois, c'est un arbitrage entre les prix des centrales d'achat du système
05:33 de santé français et les implantations industrielles du pays.
05:36 Le tout avec une intervention publique qui peut prendre la forme d'accompagnement et
05:41 parfois de subvention.
05:42 Mais on sait bien que les subventions ne sont pas tenables dans la durée.
05:45 Donc il faut un équilibre prix-production.
05:47 Et le fait est qu'il est atteignable.
05:50 Et c'est ce que le président de la République a annoncé l'autre jour, puisqu'il a parlé
05:54 d'une cinquantaine de médicaments critiques qui allaient être relocalisés en France.
05:57 - Sur quel calendrier est-on ?
05:58 - Alors on est sur des calendriers en trimestre, et pas en année.
06:04 C'est ça qu'il faut retenir.
06:06 Typiquement, l'usine de séquence, nous l'avons financée l'année dernière, et elle démarre
06:13 sa production.
06:14 Et ça n'est que le début d'une aventure, puisqu'il y a d'autres entreprises françaises
06:18 qui sont également parties dans cette direction.
06:20 Vous prenez un spin-off de Sanofi qui s'appelle Euro API, au capital duquel nous sommes également
06:25 et que nous soutenons.
06:26 - Et dans ce secteur-là, donc le secteur du médicament, est-ce que là aussi les mentalités
06:34 changent-elles, Nicolas Dufourc ?
06:36 - Les mentalités des acheteurs, vous voulez dire ?
06:39 - Des industriels, les mentalités aussi des capitaux qui sont investis, puisque j'imagine
06:44 que ce centime de différence y fait aussi ou bien le bonheur des actionnaires, ou bien
06:50 éventuellement un surcoût pour ceux qui achètent les médicaments.
06:53 - C'est un choix collectif, c'est un peu ce que je dis dans mon livre.
06:57 C'est-à-dire que si on veut rester fier d'une industrie qui est restée pour partie française,
07:02 et si on veut être fier de ne pas être totalement dépendant de mains étrangères qui sont
07:06 souvent des mains très lointaines, et qui ne sont pas forcément extraordinairement
07:10 amis de la France, eh bien il faut qu'on s'y mette tous et que chacun fasse sa part
07:14 du chemin.
07:15 Donc ça répond à votre question, une petite part de prix, une grosse part de productivité.
07:20 - Aujourd'hui, l'autre thème dont on a beaucoup parlé Nicolas Dufourc, c'est celui de l'intelligence
07:28 artificielle avec là aussi un chantier dans ce domaine-là pour que la France n'ait pas
07:34 de retard, ou n'ait pas trop de retard, je ne sais pas quel terme d'ailleurs employer.
07:38 Est-ce qu'on a aujourd'hui des compétences des entreprises en matière d'intelligence
07:43 artificielle qui peuvent permettre de peser dans la concurrence internationale ?
07:47 - On a d'excellents ingénieurs qui nous sont enviés dans le monde entier, et qui sont d'ailleurs
07:53 parfois souvent même dans les cellules d'intelligence artificielle des GAFA américains, on les
07:59 retrouve partout.
08:00 Donc on a une école d'intelligence artificielle française, c'est absolument incontestable.
08:05 Ensuite, qu'est-ce qui coûte très cher dans l'intelligence artificielle générative,
08:09 celle de Chad GPT-4, c'est l'infrastructure sous-jacente, qui sont, il faut imaginer,
08:14 des fermes de serveurs très complexes, très chères, et extraordinairement volumétriques.
08:20 On parle d'une dizaine de milliers de ce qu'on appelle des CPU.
08:24 Et donc ces investissements initiaux, seuls les américains les ont faits aujourd'hui.
08:29 Et ils ont pris de l'avance.
08:30 - Ça veut dire que c'est impossible de les rattraper ?
08:33 - Alors, ça n'est jamais impossible, et d'ailleurs BPI France a décidé d'investir
08:38 dans la société Mistral, nous l'avons annoncé l'autre jour, et qui est une société française
08:42 créée par des anciens ingénieurs, précisément de la société MetaFacebook, et qui veut
08:48 se donner la chance de construire une infrastructure d'origine française.
08:51 - Mais alors, se donner la chance, parce que j'ai le souvenir, quand j'étais petit,
08:55 il y avait, par exemple, des ordinateurs français.
08:59 Aujourd'hui, ça n'existe plus.
09:01 Comment est-on arrivé à une situation, Nicolas Dufour, où l'ordinateur n'est plus français ?
09:10 Alors, on fabrique encore des microprocesseurs, il y a des usines en France qui parviennent
09:15 à en fabriquer, très importantes.
09:17 Je suis d'ailleurs moi-même le président de STMicroelectronics, donc ce sont des usines
09:22 qui sont à Grenoble, qui sont à Rousset, à côté d'Aix-en-Provence, et qui sont à
09:25 Tours, et qui sont des leaders mondiaux.
09:28 Et vous retrouvez leurs produits dans les produits américains que vous consommez chaque
09:32 jour.
09:33 - Et justement, comment a-t-on réussi à laisser à un certain nombre d'autres pays
09:40 des secteurs aussi importants que l'informatique, l'ordinateur, les composants ?
09:47 - Il y a toute une histoire à faire de ça.
09:49 Effectivement, vous avez le souvenir comme moi de Thomson, qui avait le TO7 à l'époque,
09:54 et puis vous aviez en Allemagne Nixdorf, et puis vous aviez en Italie Benedetti, Olivetti.
09:58 Donc il y a eu une industrie européenne de l'ordinateur qui a été totalement lessivée
10:02 par l'industrie américaine, laquelle a ensuite totalement transféré son industrie de construction
10:07 d'ordinateur à la Chine.
10:08 Ça a été la grande transition entre...
10:09 - Mais je crois qu'ils ont conservé des marques...
10:11 - Entre IBM et Lenovo.
10:12 Voilà.
10:13 Donc vos laptops, là, comme on dit dans le jargon, sont pour l'essentiel fabriqués
10:17 en Chine.
10:18 Non, ce que les Américains ont gardé, c'est une préeminence incroyable et radicale dans
10:23 le domaine du software.
10:24 Et ça, il faut dire qu'il y a des effets d'échelle liés à la profondeur des écosystèmes.
10:31 Ils ont tellement de sociétés qui interagissent les unes avec les autres.
10:34 Il faut imaginer une fourmilière grouillante de sociétés de software aux États-Unis
10:38 que nous n'avons pas assez.
10:40 - Donc c'est l'écosystème qui pêche ici ?
10:41 - C'est très clairement l'écosystème du software européen qui pêche.
10:45 L'une des batailles qui a été vraiment perdue et qu'on peut imaginer regagner, mais ça
10:52 demandera de très nombreuses années, c'est la bataille du cloud.
10:54 - C'est-à-dire ? Pourquoi a-t-on perdu cette bataille du cloud ? Il faut dire en deux mots,
11:00 c'est la possibilité de stocker des données sur des serveurs qui sont des serveurs éloignés
11:06 de l'ordinateur où vous travaillez.
11:08 - Oui, oui.
11:09 Donc ce sont des fermes de serveurs de taille quasiment kilométrique.
11:12 Et donc ce sont des investissements initiaux absolument gigantesques.
11:17 Et par ailleurs, dans ces serveurs fonctionnent des couches de software qui ont été développées
11:22 depuis des années par des armées de développeurs avec des budgets de développement que l'Europe
11:27 n'a pas mobilisés.
11:28 - C'est quand même un bon exemple, le cloud, puisqu'on dit que dans des activités comme
11:33 Amazon, puisqu'Amazon a un grand cloud, même si c'est parfois peu connu, eh bien la profitabilité
11:39 d'Amazon vient principalement de son cloud.
11:41 Ce qui veut dire que l'activité est rentable.
11:43 Et donc même sur une activité aussi rentable que celle-là, on n'a pas réussi à réunir
11:47 les capitaux pour que l'on puisse avoir en France des clouds significatifs, suffisants
11:53 à notre souveraineté nationale, puisqu'il y a aussi un impératif de souveraineté nationale
11:57 là-dessus.
11:58 - Écoutez, c'est comme à la course, quand vous avez des acteurs qui courent extrêmement
12:02 vite avec des moyens extrêmement importants, c'est difficile de les rattraper quand vous
12:06 partez très en retard.
12:07 Et quand vous êtes divisé, il ne faut pas oublier que l'Europe, c'est 27 États.
12:10 Ce n'est pas un marché complet avec la possibilité de faire émerger très rapidement dans une
12:15 langue unique des acteurs de taille mondiale.
12:17 C'est bien notre problème.
12:18 - Mais alors, ça veut dire que par exemple, cette bataille-là, elle est aujourd'hui perdue
12:22 ou est-ce que l'on peut...
12:24 On a le devoir d'être optimiste.
12:27 J'imagine quand on préside la banque publique d'investissement Nicolas Dufourc.
12:31 Mais aujourd'hui, est-ce qu'il faut malgré tout être réaliste sur ce type de sujet ?
12:36 - Pour d'abord, dans les quatre valeurs de la BPI, il y a la volonté et il y a l'optimisme.
12:41 Donc il y a deux valeurs psychologiques.
12:44 Vous avez tout à fait raison, c'est fondamental.
12:46 Donc je pense que les auditeurs doivent comprendre qu'on ne peut pas forcément livrer toutes
12:50 les batailles.
12:51 Ce n'est pas absolument nécessaire d'ailleurs.
12:53 Mais on peut en livrer beaucoup et en gagner beaucoup.
12:56 Et c'est ce qui est en train de se passer d'ailleurs.
12:59 Après tout, il faut peut-être aussi rappeler que le luxe n'est pas un secteur si facile
13:04 que ça.
13:05 Et ce sont des batailles que la France a décidé de livrer avec des entrepreneurs exceptionnels
13:10 et qu'elle a non seulement gagné, mais gagné de manière écrasante sur l'économie mondiale.
13:15 Donc des grands groupes qui nous sont enviés et qui ont des tailles en capitalisation boursière
13:19 des plus beaux groupes de technologie américains.
13:21 Donc on peut gagner beaucoup.
13:24 Le semi-conducteur par exemple, après tout, c'est bien que ceux qui nous écoutent ce
13:29 matin repartent en se disant "je ne savais pas que nous avons des leaders mondiaux du
13:33 semi-conducteur en France".
13:34 Et c'est le cas.
13:35 Mais on a aussi des entreprises qui sont revenues à un niveau international important.
13:42 Vous évoquez dans la désindustrialisation de la France la manière dont l'industrie
13:46 automobile française s'est progressivement laissée aller, laissée dépasser par d'autres
13:53 industries.
13:54 Aujourd'hui on voit par exemple que Renault, ou plus précisément Dassien, est une marque
13:58 qui compte.
13:59 Oui, l'industrie automobile française, c'est une des plus vieilles industries automobiles
14:04 du monde.
14:05 C'est une manière de rappeler aussi que ce sont des entrepreneurs qui ont créé ces
14:07 entreprises-là il y a un siècle, partis de rien, de leur garage.
14:10 C'est ça la France.
14:12 C'est un pays qui est profondément, profondément entrepreneurial et qui adore se mettre en
14:17 déséquilibre avant.
14:18 On le voit en ce moment dans le domaine du spatial par exemple, aujourd'hui au Bourget.
14:21 Et donc les groupes automobiles français sont des groupes mondiaux.
14:25 La Dassia, celle à laquelle vous faites référence j'imagine c'est la Dassia Spring.
14:29 Autrement dit l'électrique.
14:30 Qui est la Dassia électrique, elle est fabriquée en Chine.
14:33 Mais on dit qu'une partie pourrait être rapatriée en France.
14:37 Donc il y a toute la question de savoir comment est-ce que sur le segment dit B, c'est-à-dire
14:42 le segment d'entrée de gamme de la classe moyenne européenne, on va pouvoir fabriquer
14:46 ces voitures en Europe, ces voitures électriques.
14:49 La voiture électrique elle est structurellement plus chère puisqu'il faut rajouter une batterie
14:52 et la batterie est chère.
14:53 Et donc l'équation n'est pas totalement trouvée pour être honnête aujourd'hui.
14:57 Ni en Allemagne, ni en France.
14:59 - Pourquoi ? - Ni en Italie.
15:00 - Là encore on a affaire à des industries de main d'oeuvre ?
15:03 - On a affaire à des industries où le mix main d'oeuvre robotisation est tel que la
15:09 compétitivité est un défi.
15:11 Mais c'est surtout que les automobiles chinoises qui arrivent sur le marché sont à des prix
15:16 qui défient toute concurrence.
15:17 Donc il y a un vrai sujet quand même, qui est celui de la concurrence chinoise sur l'automobile
15:23 d'entrée de gamme électrique.
15:24 Sujet dont, à mon sens, la communauté européenne et la Commission très précisément vont
15:29 devoir s'emparer.
15:30 - Vrai sujet pour un banquier, ça veut dire vrai problème ?
15:32 - Oui, c'est-à-dire que quand vous avez des véhicules qui sont à des prix, encore une
15:41 fois...
15:42 - Donnez-moi un ordre d'idée justement.
15:45 - De prix ?
15:46 - Oui, de prix, je veux dire, quel est le pourcentage d'une voiture chinoise, le pourcentage
15:53 en termes de prix, inférieur à ce que serait son équivalent produit en France ?
15:59 - Alors en segment B, une voiture chinoise peut arriver à Rotterdam en étant pas loin
16:07 de 40% moins chère qu'une voiture produite dans un pays de l'Union Européenne.
16:12 - Oui, effectivement.
16:13 - Donc là, on est sur des deltas qui sont des deltas très importants et qui sont aussi
16:17 la conséquence du fait que l'industrie chinoise a été très largement aidée et subventionnée
16:22 par l'État chinois.
16:23 - Et c'est peut-être toute la question qui se pose aujourd'hui en France et en Europe.
16:29 On se retrouve Nicolas Dufour, vous êtes directeur général de la Banque publique
16:34 d'investissement.
16:35 On vous doit notamment la désindustrialisation de la France aux éditions Odile Jacob.
16:39 Vous serez rejoint par Nadine Levrateau, économiste et directrice de recherche au CNRS.
16:45 On va justement essayer de comprendre comment on en est arrivé là.
16:48 Il est 8h sur France Culture.
16:50 - 7h, 9h.
16:51 Les matins de France Culture.
16:57 Guillaume Erner.
16:58 - Le terme est dans toutes les bouches.
16:59 Il faut réindustrialiser la France.
17:01 Comment faire ? Avec quelle difficulté à surmonter pour en parler ? Nous sommes en
17:06 compagnie de Nicolas Dufour.
17:07 Vous êtes directeur général de la Banque publique d'investissement, la BPI.
17:11 Vous avez notamment publié la désindustrialisation de la France aux éditions Odile Jacob.
17:16 Et nous accueillons Nadine Levratau.
17:18 Bonjour.
17:19 - Bonjour.
17:20 - Vous êtes économiste, directrice de recherche au CNRS.
17:23 Nadine Levratau, votre regard sur les annonces faites par Emmanuel Macron en matière de
17:28 réindustrialisation de la France ?
17:30 - Alors mon regard est plutôt favorable, bien sûr.
17:33 A priori, comme celui de la plupart des commentateurs, puisque après avoir vécu 30 voire 40 années
17:42 d'industrie bashing, dirais-je, on est aujourd'hui sur un discours de réhabilitation des activités
17:50 de fabrication, de production et sur des logiques de maintien ou de réimplantation
17:59 d'industrie en France.
18:02 Maintenant, si tout le monde est d'accord ou presque pour dire qu'il faut réindustrialiser
18:09 ou cesser de désindustrialiser le pays, la question c'est de savoir avec quels dispositifs
18:17 d'action publique, quels sont les outils que l'on peut mobiliser pour cela.
18:22 Très manifestement, ceux qui ont été choisis par le gouvernement actuel, ce sont les subventions.
18:29 Je regardais la Gigafactory de microprocesseurs de STM Electronics et Global Foundries dans
18:38 l'ISER dans le cadre du plan France Relance, 2,9 milliards d'euros.
18:50 Même chose pour ACC, vers Dunkerque, là aussi d'importantes subventions françaises
18:57 et européennes, Prologium travaille avec le gouvernement pour déterminer le montant
19:03 de subventions.
19:04 Donc à chaque annonce, ce sont des milliards d'euros qui sont annoncés pour être déversés
19:11 sur les entreprises.
19:12 Donc il y a des aides véritables.
19:15 Ces aides véritables peuvent-elles suffire ? Est-ce que c'est uniquement une question
19:18 d'argent ? Est-ce que si l'industrie française traverse une mauvaise passe, Nadine
19:24 Vratos, c'est parce que nous manquons d'investissement ?
19:26 La question est compliquée.
19:30 Alors il y a effectivement beaucoup d'argent qui est déversé, mais il y en avait déjà
19:35 beaucoup.
19:36 Je rappelle que suivant les sources, on estime entre 170 et 207 milliards d'euros par an
19:45 le montant des aides publiques directes ou indirectes, exonération fiscale et sociale
19:52 aux entreprises.
19:53 Donc les moyens sont mis, et depuis bien longtemps, pour soutenir les entreprises.
19:59 La question c'est de savoir, est-ce que l'argent suffit à la réalisation et à la durabilité
20:06 des investissements ? Ou est-ce qu'il faut autre chose ?
20:09 On va se tourner vers un banquier.
20:11 C'est compliqué de demander ça à un banquier.
20:12 Est-ce que l'argent suffit ?
20:13 Oui, non, mais la réindustrialisation ça va être trois choses.
20:18 Ça va être des cathédrales, c'est ce que disait Nadine Vratos à l'instant.
20:21 C'est une très grosse usine.
20:23 Pourquoi est-ce qu'il faut les subventionner au début ?
20:25 Pourquoi est-ce que tout le monde le fait ?
20:26 Les Chinois le font, les Américains le font, les Européens le font, les Polonais l'ont
20:30 fait.
20:31 Parce que quand vous ouvrez une très grosse usine, dans un premier temps elle est vide.
20:34 Et il faut des années pour la remplir.
20:36 Et pendant ces années, elle pèse sur le compte d'exploitation de l'entreprise, souvent
20:40 ce sont les entreprises cotées qui ont du mal à présenter ça.
20:43 Donc la subvention sert à ça.
20:44 Ces grandes cathédrales, il en faut.
20:47 Elles représentent à elles seules une proportion significative du commerce extérieur.
20:52 Donc, typiquement l'usine dont on parle, la Kroll, elle va exporter 4 milliards par
20:55 an.
20:56 Et donc 4 milliards sur un déficit commercial de 100 milliards, c'est pas négligeable.
21:00 Et c'est tout à fait nouveau.
21:01 Donc il faut des cathédrales.
21:03 Ensuite il faut des PME innovantes.
21:05 C'est ce qu'on appelle la "French Fab".
21:07 C'est-à-dire c'est toute l'économie de l'industrie des territoires.
21:11 L'industrie c'est la province.
21:12 Donc c'est ce qu'on trouve dans toutes les vallées italiennes, les vallées autrichiennes,
21:16 les territoires allemands, et qui avait pour l'essentiel disparu une grande partie des
21:21 territoires français, puisqu'on fermait 300 usines par an quand même à la haute époque.
21:25 Et puis enfin il faut des start-up industriels.
21:28 Start-up industriels c'est des chercheurs issus du monde scientifique français qui ont
21:33 inventé des produits complexes.
21:34 Par exemple celui qui est devant moi, là, Gorgi Timing, c'est typiquement ça.
21:37 C'est-à-dire une horloge de très très grande qualité.
21:40 À un moment il faut la fabriquer.
21:41 Jusqu'ici, il n'y avait pas de doute, on allait la fabriquer en Chine.
21:44 Maintenant on se dit "et pourquoi pas la France ?" Ça c'est les start-up industriels
21:48 qu'on finance aussi.
21:49 Si on fait les trois, non seulement on peut stopper la désindustrialisation, mais on
21:53 peut réindustrialiser.
21:54 Alors pas énormément, il ne faut pas croire qu'on va doubler la taille de l'industrie
21:58 française.
21:59 Pas du tout, naïf.
22:00 L'idée c'est de gagner deux points de PIB.
22:02 C'est déjà beaucoup.
22:03 Deux points de PIB en minimum dix ans.
22:06 Pour ça il faut un paquet de tranches nucléaires et il faut 500 000 emplois.
22:10 - Ah oui, donc c'est un objectif modeste avec des efforts importants néanmoins.
22:15 Parce que tout à l'heure on parlait par exemple de l'industrie automobile chinoise et je crois
22:20 que cette industrie n'est pas soumise aux mêmes droits de douane que nos produits lorsqu'ils
22:27 arrivent en Chine.
22:28 Est-ce que ça par exemple c'est normal ? Est-ce que le levier des droits de douane n'est pas
22:32 un levier qu'on peut actionner finalement de manière assez simple, en tout cas sur le
22:38 plan fiscal c'est simple, pour rééquilibrer la compétitivité d'une industrie ?
22:42 - On est dans un paysage qui est un paysage évidemment polychromatique si je puis dire
22:50 puisque il y a l'industrie automobile mais il y a plein d'autres industries.
22:52 Et donc c'est toujours la même chose quand on remonte les droits de douane il y a des
22:55 rétorsions.
22:56 Maintenant la question va se poser pour les 27 états de savoir ce qu'on fait en matière
23:01 de déséquilibre des droits sur l'industrie automobile chinoise en Europe et européenne
23:07 en Chine, ça c'est sûr.
23:09 - Nadine Le Brateau.
23:10 - Il existe déjà un mécanisme, alors pas à l'échelle de la France mais à l'échelle
23:14 européenne qui ne cible pas exclusivement les droits de douane mais qui s'appelle le
23:20 mécanisme d'ajustement carbone aux frontières qui permet de taxer les produits, certains
23:28 produits qui entrent en Europe et qui risqueraient de se substituer à des productions.
23:35 Alors le choix qui a été fait n'est pas forcément le plus judicieux puisque ce sont
23:40 les matières premières qui sont taxées et donc à court terme on risque de se trouver
23:44 dans une situation de renchérissement des coûts de production des industries européennes
23:50 utilisant des produits comme l'acier par exemple.
23:53 Donc on peut se dire que c'est un début, que l'Europe va pouvoir aller plus loin mais
24:02 ce que l'on observe ce sont des contradictions internes comme le mentionnait Nicolas Dufourcq
24:08 pour l'industrie par exemple automobile, et bien il y a ces tensions entre l'objectif
24:17 allemand et l'objectif de protection.
24:21 Jusqu'ici le pari qui a été fait par l'Allemagne c'est de passer des accords avec la Chine,
24:29 on commence aujourd'hui à voir les effets négatifs voire dangereux de ce choix puisque
24:35 les transferts de technologies qui ont été faits font que depuis l'an dernier l'Allemagne
24:41 est importatrice nette de véhicules automobiles.
24:44 C'est la première fois que cela se produit et ces véhicules viennent de Chine.
24:48 Donc il y a vraiment des questions à se poser sur la stratégie de contrôle et de protection,
24:55 lâchons le mot, des marchés qui aujourd'hui restent encore embryonnaires.
24:58 L'autre question Nicolas Dufourcq au-delà de la question de l'argent et des investissements
25:03 c'est la question culturelle.
25:05 La réindustrialisation de la France, vous le dites dans le livre que vous avez publié
25:11 la désindustrialisation de la France, elle suppose là aussi une évolution des mentalités.
25:16 Complètement.
25:17 En fait le livre que j'ai fait c'est d'une certaine manière une histoire intellectuelle
25:21 de toute une génération qui est la génération qui a vécu les années 85-2015.
25:26 C'est ma génération, tout simplement.
25:30 Et ça m'a intéressé de tenter de prouver que les phénomènes économiques, microéconomiques
25:35 et macroéconomiques sont souvent la conséquence d'une histoire intellectuelle.
25:39 En l'occurrence l'histoire de l'opinion publique dirigeante, on va l'appeler comme
25:43 ça, de toute cette période, c'est celle d'un pays qui se détourne de son industrie.
25:49 Pas de manière d'ailleurs objective, c'est simplement que ça se fait comme ça.
25:53 On ne la regarde plus et on n'entend absolument plus sa souffrance.
25:57 On n'entend absolument pas la souffrance des territoires.
25:59 Et je parle vraiment, je dis ce mot là, car ça a été une souffrance.
26:02 Quand vous avez 300 usines qui ferment, c'est 300 communes qui meurent par an sur 36 000
26:06 communes pendant des années.
26:08 Et ça continue et ça dure.
26:09 Alors ce qui est très intéressant c'est d'essayer de comprendre pourquoi il y a eu
26:12 tant de dénis.
26:13 Il y a eu toute une machine de dénis quand même qui s'est mis en mouvement au début
26:18 des années 2000 pour essayer d'expliquer qu'en fait c'était pas ça, que c'était
26:21 pas grave, que si c'est ça.
26:22 - On allait passer à une économie de service.
26:25 - On allait passer à une économie de service, que d'ailleurs Apple l'avait montré, que
26:28 Nike l'avait montré, que tout le monde le faisait aux Etats-Unis.
26:30 On avait l'œil tourné vers l'Atlantique, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
26:34 Et certains tiraient la corde de rappel en disant "mais regardez quand même du côté
26:38 de l'Italie du Nord et du côté de l'Allemagne qui font pas du tout ce choix là".
26:40 Et pourtant non, toute l'opinion dirigeante avait envie d'être atlantique dans cette
26:44 affaire.
26:45 Le côté le plus contrasté finalement, et finalement incroyable en réalité de ce qui
26:52 s'est passé, c'est la concomitance entre l'entrée de la Chine dans l'OMC, 15 décembre
26:57 2001, et les 35 heures dans les PME, 1er janvier 2002, 15 jours plus tard.
27:03 C'est-à-dire qu'au moment où la Chine entre, et c'est quand même la guerre, on le voit
27:07 dans tous les salons industriels, les Chinois sont partout, des petites PME chinoises qu'on
27:11 n'avait jamais vues, et qui viennent d'abord honnêtement dérober un paquet des technologies
27:16 européennes, ça il faut le dire, et puis manger des parts de marché immédiates avec
27:23 des baisses de prix de 50, 60, 70%.
27:25 15 jours plus tard, 35 heures dans les PME.
27:28 Déstabilisation totale du tissu productif français.
27:30 Mauvais calendrier Nadine Le Nevrato.
27:34 Mauvais calendrier peut-être, mais au-delà de cela, c'était l'époque, comme l'a
27:41 rappelé Nicolas Dufourcq, de la désindustrialisation triomphante, et de l'entrée dans le tertiaire
27:47 avec la servitisation de l'économie qui était revendiquée, et même construite, accompagnée
27:52 par les pouvoirs publics, souvenez-vous, dans les années 80, début des années 90, il
28:02 faut réformer les marchés financiers pour mettre la finance au niveau de ce qui se produit
28:08 en Grande-Bretagne, c'est le règne de ce qu'on appelait les nouvelles technologies
28:14 de la formation et de la communication, et vous étiez bien placé pour vous souvenir
28:20 que Wanadu, que vous avez construit, dirais-je, à l'époque, était l'un des fleurons
28:27 de l'industrie française.
28:29 Il fallait se débarrasser de l'industrie, d'aucuns disent que c'était aussi parce
28:34 que c'était les grands bastions du syndicalisme qui étaient dans l'industrie, et que politiquement,
28:40 il était peut-être intéressant de le faire.
28:43 Donc aujourd'hui, le discours s'est complètement renversé, on voit les effets délétères
28:49 sur le commerce extérieur, en particulier, de cette perte de substances industrielles,
28:55 sur les territoires bien entendu.
28:57 Mais rappelons que quand même, l'industrie n'est pas à la campagne, l'industrie
29:01 est à la périphérie des villes de grande et de moyenne dimension.
29:06 Donc les usines ne sont pas dispersées sur l'ensemble du territoire, il y a ce qu'on
29:09 appelle des écosystèmes industriels qui sont localisés à proximité des villes parce
29:14 qu'elles ont besoin de certains types de services.
29:17 Et la perte de l'industrie, c'est aussi tout ce qu'on appelle la géographie du
29:20 mécontentement, avec ces votes dits populistes, qui correspondent à des travaux de la London
29:29 School of Economics et d'autres centres de recherche, qui ont très clairement montré
29:34 la concomitance, la corrélation entre les disparitions d'emplois industriels et la
29:41 montée de l'extrême droite.
29:42 Vous pensez à quelle région par exemple ?
29:43 Je pense à des régions comme le Nord-Pas-de-Calais, l'ancien bassin minier, la perte de Flodor
29:55 à Péronne.
29:56 Ce sont des exemples, mais il y a des travaux à grande échelle sur les territoires européens
30:02 qui font un lien et qui sont extrêmement robustes statistiquement entre les deux phénomènes.
30:09 Justement, Nicolas Dufour, vous expliquez qu'on a laissé filer l'industrie française.
30:15 A l'époque, on pensait quoi ? On pensait finalement que la France allait demeurer pro-business,
30:21 mais en accueillant des services, que l'industrie c'était finalement quelque chose de sale,
30:26 de ringard ?
30:27 On pensait qu'effectivement, en se limitant à être concepteur de produits, à être
30:32 dans le design, dans l'intelligence, le modèle Apple, tout simplement.
30:35 Mais ça, ça ne fonctionnait pas pour l'automobile.
30:36 On en parlait tout à l'heure par exemple.
30:38 Et vous expliquez dans votre livre.
30:40 Précisément, l'automobile n'a pas désindustrialisé au début des années 2000.
30:43 Elle a plutôt bien tenu, notamment grâce à la famille Peugeot qui a absolument tenu
30:48 à soutenir le territoire.
30:49 Louis Schweitzer, tant qu'il était président de Renault, l'a également fait.
30:53 Ensuite, les choses ont basculé.
30:54 Pourquoi ont-elles basculé ?
30:56 Elles ont basculé, alors beaucoup pour l'automobile, qui a été la dernière industrie à tomber,
31:02 avec la crise financière en 2008.
31:03 Pourquoi ? Parce que l'automobile dépend beaucoup de la finance.
31:05 Vous achetez vos automobiles à crédit.
31:06 Et quand le crédit tombe, l'automobile tombe.
31:09 Et c'est parce que l'automobile est tombée en 2008-2009 que toute la classe politique
31:14 s'est réveillée, en panique d'ailleurs, sur l'idée "mais qu'est-ce qui s'est passé ?
31:17 L'industrie française a disparu, on ne s'en est même pas aperçu".
31:20 Il a fallu que l'automobile tombe pour qu'on s'en aperçoive.
31:23 Mais ce que dit Nadine Lévatos, très important, l'industrie c'est les territoires et c'est
31:28 le périurbain des métropoles, effectivement, et des "gros bourgs", on va les appeler comme
31:31 ça.
31:32 Et c'est un marqueur de fierté locale, fondamental.
31:36 Fierté, c'est le mot de l'année pour la BPI, j'en profite pour le dire.
31:38 On a un mot par an.
31:39 Bon, cette année c'est la fierté.
31:41 Et ces fiertés de territoire sont fondamentales, notamment pour tenir politiquement le territoire.
31:45 Et effectivement, la géographie des mécontentements, c'est la géographie de la fierté perdue.
31:48 L'autre jour, quand on a inauguré l'usine ACC de Batterie à Douvrin, on a été accueillis
31:55 par des ouvriers de l'usine qui nous ont dit "bienvenue, nous reconstruisons le bassin
32:01 minier de Lens, le bassin minier du Nord".
32:04 Nous en sommes fiers.
32:05 C'est fondamental.
32:06 Nadine Le Brateau, ce qui s'est passé en France, ça ne s'est pas passé en Italie,
32:11 ça ne s'est pas passé non plus en Allemagne.
32:13 Pourquoi ? Qu'est-ce que notre classe politique, notre classe dirigeante, je ne sais pas qui
32:17 nommer d'ailleurs, a fait pour qu'on prenne manifestement ce mauvais chemin ?
32:22 Alors, ça ne s'est pas passé en Italie du Nord, parce que l'Italie du Sud, la question
32:27 ne se posait pas.
32:28 Mais c'est aussi lié à la structure financière des entreprises.
32:34 Quand on regardait dans les années 1980, comment étaient composés les bilans des
32:42 entreprises françaises, allemandes, italiennes, il y avait finalement une assez grande ressemblance.
32:48 On avait des hauts bilans des capitaux propres qui étaient assez étoffés et beaucoup de
32:55 crédits bancaires.
32:56 C'est bien les crédits bancaires, vous savez que vous avez un banquier en face de vous.
33:01 J'en suis convaincue aussi, en plus ça permet aux entreprises de ne pas avoir de pression
33:06 d'apporteurs de capitaux extérieurs, puisque par nature le crédit ne permet pas d'intervenir
33:12 dans la gestion des entreprises.
33:14 1985, la France fait son big bank financier.
33:17 Financiarisation à tout va de l'économie, développement de l'equity finance, des financements
33:25 en fonds propres et il faut créer la modernité, là encore comme pour le tertiaire, créer
33:32 une finance qui investisse directement dans l'industrie.
33:36 C'est la grande époque des fonds d'investissement, certains plus ou moins Vautour.
33:41 Et donc on voit arriver au capital des entreprises des investisseurs, institutionnels ou non
33:46 institutionnels, qui veulent réaliser des profits.
33:49 C'est le grand règne des rachats d'entreprises sous forme de leverage buyout, donc une holding
33:54 qui s'endette pour détenir une entreprise et il faut que les cibles fassent remonter
33:59 de l'argent.
34:00 Et donc tout cela, ça se traduit par des réorganisations pour pouvoir faire remonter
34:05 du cash auprès des actionnaires.
34:07 Ça veut dire qu'il y avait pire que les banques des investisseurs ? Les investisseurs
34:11 ont fait plus de mal à l'industrie si on vous suit que les banques ?
34:14 Certains investisseurs, bien sûr, regardez la Vallée de l'Arve, grand fleuron de la
34:18 micro-mécanique en France, qui a été démantelée par les fonds d'investissement américains
34:25 notamment.
34:26 Et pas par concurrence par exemple de semblables activités en Chine ?
34:31 Certains produits ont intérêt à être produits à proximité parce qu'il y a des contrôles
34:37 qualité, parce qu'on a besoin surtout pour l'industrie de précision d'importants
34:42 contrôles.
34:43 Donc il vaut mieux être près de son fournisseur pour cela.
34:48 Mais aujourd'hui on arrive à une situation complètement folle où ces entreprises,
34:54 ces PME, ces belles PME familiales, sont en train de s'endetter pour essayer, et je
34:59 crois que BPI France y participe, pour racheter aux fonds d'investissement les investissements
35:05 qui ont été perdus.
35:07 Donc cette financiarisation de l'économie française qui a été exceptionnelle par
35:12 rapport à tous ses voisins européens explique aussi ce mouvement de désindustrialisation
35:17 en France.
35:18 Nicolas Dufour, c'est ce que vous avez observé ?
35:20 Je pense que ça explique une partie.
35:22 C'est vrai qu'il y a eu une partie de belles PME familiales qui se sont vendues à des
35:26 fonds.
35:27 Il faut essayer de comprendre pourquoi elles se sont vendues à des fonds à l'époque.
35:30 C'est aussi parce que l'impôt sur la fortune était déplafonné.
35:33 Il n'était pas sur l'outil de travail.
35:36 Il avait été déplafonné par Juppé.
35:39 Et donc il fallait faire remonter des dividendes conséquents pour désintéresser les frères,
35:44 les sœurs du dirigeant.
35:45 Il n'y avait que le dirigeant qui était en outil de travail.
35:46 Les actionnaires minoritaires.
35:47 Mais il y avait toutes les familles derrière.
35:49 Et donc il y a beaucoup d'entreprises, des ETI familiales, qui ont vendu.
35:54 Et elles ont vendu effectivement à cette première génération de fonds que cite Nadine.
35:57 Je dois dire qu'aujourd'hui les fonds se comportent de manière totalement différente.
36:01 Tout évolue dans la vie.
36:03 Des faillites liées à des "wage buy out" comme l'évoquait Nadine Levrade.
36:08 Ou par exemple Rivarté.
36:10 Toute la saga où la France s'est vue dépossédée de son industrie d'habillement.
36:15 Tout ça sont liés à des LBO qui se sont mal passés.
36:18 Dans l'industrie, ça ne s'est pas passé exactement de la même manière.
36:22 C'est-à-dire que vous avez des groupes américains qui ont racheté des PME familiales françaises.
36:26 Et les groupes américains, le jour où ils ont commencé à avoir des difficultés,
36:29 quel est le pays qu'ils ont fermé le premier ? La France.
36:31 Et pourquoi ils ont fermé la France le premier ?
36:33 Parce que la France était le pays le plus anti-industriel de tout leur portefeuille.
36:36 C'est une question culturelle.
36:38 Et c'est à nouveau une question culturelle.
36:39 Alors là pour le coup c'est une question de perception à l'étranger.
36:41 Mais il n'y avait pas que ça.
36:43 Le fait est que les cotisations sociales patronales
36:46 ont continué d'augmenter pendant toute la désindustrialisation.
36:49 C'est-à-dire que la France n'était pas compétitive.
36:51 Eh bien, Agir Carco, donc patronat et syndicat, décidaient ensemble d'augmenter.
36:57 Imaginez qu'au-dessus de 4 SMIC,
36:59 pendant la désindustrialisation, on a augmenté de 7 points.
37:02 7 points les cotisations Agir Carco.
37:05 En même temps on a augmenté les taxes de production.
37:07 On a augmenté la taxe professionnelle.
37:09 Enfin tout était fait pour qu'on désindustrialise en réalité.
37:11 C'est ce que vous racontez effectivement dans "La désindustrialisation de la France".
37:15 Le livre que vous avez publié chez Odi Jacob.
37:18 On est en train de revenir là-dessus Nadine Lebrateau.
37:20 On a compris que tout ceci avait eu des conséquences néfastes sur l'industrie française.
37:25 Tout ceci, je ne sais pas ce que vous mettez dans le paquet.
37:30 Ce phénomène culturel est fiscal.
37:32 Le phénomène culturel, oui, on en revient.
37:36 Et le rapport de 2012, produit par Louis Gallois,
37:40 a beaucoup fait pour transformer l'image de l'industrie au-delà des crises.
37:45 Et les images violentes de médecins en sac poubelle,
37:51 parce qu'il n'y avait pas de blouse, le manque de linge,
37:54 les tensions sur les médicaments,
37:56 font qu'aujourd'hui il y a une prise de conscience très générale
38:00 des dangers de perte d'indépendance
38:03 que provoque cette perte d'industrie.
38:06 Ensuite, la question des politiques publiques.
38:10 Au-dessus de 4 SMIC, on est déjà sur des très gros salaires
38:14 que les ouvriers de l'industrie ne gagnent pas forcément.
38:19 Mais on a aujourd'hui un besoin d'un socle industriel
38:24 qui est vendu par Business France,
38:27 c'est-à-dire de la formation, un environnement de qualité
38:31 qu'il faut construire, et cela suppose des dépenses publiques,
38:34 donc des moyens pour l'organiser.
38:36 - Nicolas Dufourc, on va y arriver aujourd'hui à avoir cela ?
38:39 Est-ce que ce socle-là est en passe d'être reconstruit ?
38:42 Vous évoquiez donc avec des efforts 2% de points de PIB supplémentaires ?
38:47 - C'est un contrat social, il faut qu'on s'y mette tous.
38:49 C'est-à-dire que si, merci de nous inviter aujourd'hui ce matin
38:52 pour parler de l'industrie sur France Culture, par exemple.
38:54 - Nicolas Dufourc, la désindustrialisation de la France,
38:58 aux éditions Odile Jacob, merci.
39:01 Nadine Levrateau, dans quelques secondes,
39:04 le point sur l'actualité, le 8,45.

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