L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 31 Janvier 2024)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 * Extrait de la vidéo *
00:06 En Bretagne, en Normandie, dans les bouches du Rhône, que demandent les agriculteurs français ?
00:10 Pour le savoir, nous avons invité des agriculteurs et la première agricultrice, c'est vous Véronique Lefloch.
00:18 Bonjour, vous êtes éleveuse laitière en Bretagne, prête qu'un père, mais vous êtes aussi présidente de la coordination rurale.
00:26 La coordination rurale, qu'est-ce que c'est ?
00:28 Bonjour, alors la coordination rurale, c'est le premier syndicat agricole français 100% agriculteur,
00:36 entièrement indépendant de toute organisation commerciale ou ONG.
00:42 Nous défendons l'exception agriculturelle, le président a parlé d'exception agricole.
00:47 Nous sommes pour des prix rémunérateurs, des prix, pas des primes, et nous cultivons l'indépendance pour récolter la liberté.
00:53 Alors, on va parler prix, lorsque j'ai regardé les prix du litre de lait au supermarché, le pack de 6, il se vend 5,70€ et dessus.
01:04 Dans tous les supermarchés, il y a marqué sur le pack de lait que l'on soutient nos agriculteurs. C'est vrai ou c'est de la flûte ?
01:12 Alors, ce prix-là, c'est le prix qui aurait dû être affiché en magasin déjà il y a quelques années.
01:17 Quand on voit l'augmentation du prix d'un litre, parce qu'on ramène au litre, le litre de lait a augmenté environ de 30 centimes, nous n'en avons récupéré que 7 centimes.
01:29 Donc, on voit bien que la part de la matière est moins rémunérée que ce qui revient au distributeur et à l'industriel.
01:37 Donc, aujourd'hui, la part qui devrait revenir à un agriculteur est d'au-dessus de 50 centimes pour couvrir ses charges,
01:44 et même encore plus, il faut en général 10 centimes de plus quand vous vous installez, parce que vous avez les frais de reprise.
01:50 Et donc, le compte n'y est pas, surtout en ce début d'année où des gros faiseurs comme Lactalis annoncent des prix autour de 41 centimes. Donc, on est loin du compte.
02:00 Pour que je comprenne bien, il faudrait que vous vendiez 60 centimes le litre, Véronique ?
02:05 Pour un jeune, il faut 60 centimes aujourd'hui.
02:07 Mais dans ce cas-là, ça veut dire que le consommateur ne peut pas payer le litre de lait moins d'un euro ?
02:12 En fait, le prix qui est aujourd'hui facturé aux citoyens, il devrait pouvoir permettre de payer les agriculteurs.
02:21 C'est un produit qui ne fait que sortir de l'usine pour être mis en rayon.
02:25 Donc, dans ce litre de lait, la matière grasse...
02:29 Ça laisse 30 centimes pour faire la brique, pour le distribuer, pour la marge de l'hypermarché ?
02:35 Tout à fait, 30 centimes, mais plus le prix de la matière grasse et de la matière protéique qu'ils ont retiré de notre litre de lait.
02:42 Donc, nous, quand ils nous le paieraient 50-60 centimes pour un jeune, vous déduisez là toute la matière grasse.
02:50 Par exemple, moi, mon lait fait 54 pour 1000 de matière grasse.
02:55 Votre lait entier, il est ramené à 36 pour 1000.
02:59 Donc, tout ce différentiel-là, il l'a valorisé à travers le prix du beurre.
03:04 Et la protéine, il la valorise à travers la poudre.
03:07 Donc ça, c'est des valorisations dont on ne parle pas.
03:10 Donc ne croyez pas qu'avec 30 centimes, il n'y arrive pas.
03:14 Il y a 30 centimes plus la valorisation des coproduits.
03:17 - Véronique Lefloque, qu'avez-vous pensé hier du discours de Gabriel Attal ?
03:23 Ses annonces ou les esquisses d'annonce ?
03:27 - Véronique Lefloque, le discours de Gabriel Attal était un discours de politique générale, donc très général au niveau de l'agriculture aussi.
03:34 Rien de concret pour nous.
03:36 Même s'il a dit qu'il agirait pour les indépendants,
03:39 il a parlé de notre système social et de revoir l'asset social de nos indépendants.
03:45 Mais quand un asset social pour des agriculteurs est négatif,
03:50 proche de zéro ou très faible,
03:52 on ne peut pas tolérer que les charges sociales vous privent encore de ce revenu.
03:58 Donc pour vous donner une idée,
04:00 quand vous avez un revenu social de 20 000 euros, vous avez 8 500 euros de charges sociales.
04:05 Donc c'est vrai que pour un agriculteur,
04:08 réformer l'assiette, c'est rien quand l'assiette est vraiment plate.
04:13 - Et les autres revendications, puisqu'on a cru comprendre en particulier
04:18 que chez les agriculteurs, il y avait beaucoup de colère parce que vous estimez être soumis à des normes
04:23 qui sont des normes supérieures à celles d'autres pays, par exemple dans le domaine du lait,
04:27 puisque vous êtes éleveuse laitière.
04:30 Le lait que l'on importe, il est moins tracé, moins soumis à contrôle ?
04:38 - Alors pour le lait, c'est moins vrai dans le sens où les produits rentrent essentiellement sous forme de poudre.
04:44 On ne fait pas, bien sûr, voyager du lait liquide.
04:47 Mais pour des produits comme de la viande, comme des légumes,
04:51 je prendrais par exemple les lentilles qui viennent du Canada.
04:54 En France, la limite maximale de résidus de glyphosate, par exemple,
04:59 elle est très minime parce qu'elle est de 0,01 milligramme par kilo de produit.
05:04 Et elle est 100 fois à 200 fois supérieure.
05:08 Et c'est une norme qui est validée par l'Europe pour rentrer en France.
05:11 Donc tout ça, c'est de la concurrence déloyale qui en plus est validée par nos politiques
05:17 et qui n'est pas transparente vis-à-vis des consommateurs que nous sommes tous.
05:22 - Vous, vous passez beaucoup de temps en paperasse ?
05:24 - Ben écoutez, trop, trop, on ne s'y retrouve plus.
05:28 Cette paperasse-là, elle évolue au jour le jour.
05:32 Et un jour, vous vous croyez en conformité et en fait, vous ne l'êtes pas.
05:36 Les contrôleurs, quand ils viennent, ils ne peuvent pas vous expliquer.
05:39 Donc la preuve en est qu'on est allé trop loin.
05:42 - Mais alors donnez-moi un exemple. Qu'est-ce que ça veut dire la paperasse pour vous ?
05:45 Vous avez 100 vaches, donc c'est déjà une exploitation de taille conséquente.
05:52 Qu'est-ce que vous avez à faire ?
05:53 - Alors, bon, pour les animaux, c'est s'il y a un traitement.
05:56 Bon, moi, je suis en bio, donc moins concernée.
06:00 Donc c'est déclaration de produits, c'est regarder les numéros de l'eau,
06:04 c'est indiquer les doses utilisées, indiquer les délais d'attente pour retraire une vache,
06:13 reprendre son lait, les délais d'attente pour commercialiser la viande.
06:18 Au niveau des cultures, c'est déclarer quand vous semez, quand vous récoltez.
06:21 C'est respecter des dates début et de fin pour des couverts végétaux qui ont des dates imposées.
06:30 Franchement, alors qu'on est tributaire du temps, on ne peut pas tout faire.
06:34 Tout peut être décalé.
06:35 - C'est vrai que le lait bio est en surproduction et qu'il y en a qui est vendu de manière déclassée, Véronique ?
06:41 - Alors tout à fait, et c'est là l'aberration du système.
06:45 Dans le Green Deal, ce qu'on appelle le pacte vert et sa déclinaison agricole,
06:50 notamment pour les aspects santé, de la ferme à la fourchette,
06:55 on voudrait un système qui pour eux est un système vendu pour être plus vertueux
07:01 et donc une évolution vers 25% des surfaces européennes en bio.
07:06 En France, nous sommes autour de 10% avec un objectif à 18% en 2027,
07:12 alors même que nous n'arrivons plus à commercialiser nos produits.
07:16 Je peux vous donner un exemple d'un jeune qui vient de s'installer.
07:19 Donc il y a trois ans, il fait son prévisionnel.
07:22 Donc le sédant vendait ses céréales à 500 euros.
07:26 Aujourd'hui, il les vend deux fois moins, 200-250 euros, le même prix, voire inférieur au prix du conventionnel.
07:32 Il payait le carburant, son sédant, à 75 centimes.
07:37 Lui, il le paye 1,10 euros.
07:39 Il achetait de la fiente de volaille, donc la matière organique,
07:42 le langret pour nourrir les terres.
07:46 Le prix a doublé aussi, donc des charges qui doublent et des prix de vente deux fois.
07:50 - Et les aides de la PAC ?
07:52 - Alors les aides de la PAC, nous voulons des prix, pas des primes.
07:55 - Non, non, mais votre jeune, il en touche, des aides de la PAC.
07:58 - Eh bien justement, là, aujourd'hui, la conséquence,
08:00 c'est que lui et sa femme retournent travailler à l'extérieur,
08:03 tout en devant, continuer à maintenir la ferme.
08:07 Donc c'est travailler deux fois...
08:09 - C'est-à-dire qu'il ne touche rien de la PAC ?
08:10 - Eh bien il touche, mais en fait, on voit bien, dans beaucoup de productions...
08:13 - Vous voulez dire que c'est insuffisant ?
08:14 - Ah c'est... Enfin non, en fait, nous, on n'ira pas réclamer plus d'aides.
08:18 Nous, ce qu'on veut, c'est que déjà, nous vivions de notre métier.
08:21 Mais quand vous avez des productions, notamment les productions bovines,
08:24 pour lesquelles vous avez 8 années sur 10, le revenu, c'est...
08:29 Les aides de la PAC, c'est plus de 100% du revenu.
08:32 Donc il y a un malaise.
08:34 - Je vous propose de rester avec nous, Véronique Leflocq.
08:37 Je rappelle que vous êtes éleveuse laitière et présidente de la Coordination Rurale.
08:41 On est en duplex avec Romain Blanchard. Bonjour Romain.
08:46 Vous êtes viticulteur, vous et céréalier dans les bouches du Rhône.
08:51 En tant que viticulteur, est-ce qu'il y a une situation, malgré tout,
08:56 plus favorable que d'autres agriculteurs ?
09:01 - Ça dépend du territoire. La viticulture est diverse.
09:05 Vous savez que la France a un rapport particulier au vin et à son milieu.
09:09 Et donc, vous savez qu'il y a beaucoup de vins différents,
09:13 dans beaucoup de gammes de prix différents.
09:14 Et comparer les Champenois, qui sont des viticulteurs,
09:19 aux viticulteurs bordelais, par exemple, aujourd'hui,
09:21 qui traversent une terrible crise, je crois que ça n'a pas de pertinence.
09:24 - Et alors, pour vous, pour la situation,
09:27 je rappelle que vous êtes dans les bouches du Rhône,
09:29 vous êtes aussi secrétaire général adjoint de la FNSEA.
09:33 - C'est ça. Alors, pour moi, on a la chance d'être dans une appellation
09:38 qui s'appelle Coteau d'Aix-en-Provence,
09:40 et qui bénéficie de ce magnifique mot qui est Provence.
09:44 Et donc, avec ça, on a un rayonnement à l'international
09:46 qui nous permet d'aller chercher des marchés
09:48 que certains de nos confrères ne peuvent pas aller chercher eux.
09:53 Donc on va chercher de la valeur ajoutée à l'étranger.
09:56 Mais je crois qu'on s'éloigne un peu des problématiques agricoles.
09:59 C'est des marchés très particuliers, les marchés export.
10:01 Aujourd'hui, on est en train de parler de la souveraineté alimentaire française.
10:04 Et même si certaines de nos filières d'excellence
10:06 nous permettent de rayonner à l'international,
10:08 ce n'est pas le nœud du problème.
10:09 - Et alors, justement, qu'est-ce que vous demandez, vous, Romain ?
10:15 - À la FNSEA, vous voulez dire ?
10:17 - Oui.
10:18 - On demande d'abord de la considération.
10:22 C'est-à-dire qu'on nous considère pour ce que nous apportons à la nation.
10:27 Alors, il y a l'autonomie alimentaire, bien sûr, la souveraineté,
10:30 puisqu'on a collé ce mot à notre ministère de tutelle.
10:33 Mais ce n'est pas que ça, l'agriculture.
10:35 L'agriculture, c'est une activité économique non délocalisable.
10:38 L'agriculture, c'est une part importante de l'aménagement du territoire.
10:43 Et puis, je crois qu'on contribue très largement au tourisme,
10:46 qui est une activité importante dans notre pays,
10:48 en entretenant tous les paysages et les écosystèmes de notre territoire.
10:52 - Et alors, concrètement, comment cela pourrait se traduire en annonces ou en mesures politiques ?
11:00 - Ça va être un peu long et difficile.
11:02 Pour avoir rencontré l'administration récemment,
11:05 je crois que les serviteurs de l'État n'ont pas encore bien saisi le nœud du problème.
11:10 Il faut aujourd'hui qu'on nous écoute.
11:13 Parce qu'on ne peut pas avoir, vous parliez tout à l'heure, du Green Deal,
11:17 du programme de la fourche à la fourchette.
11:19 Ce sont des choses qui sont décidées dans des bureaux très loin de chez nous,
11:22 en l'occurrence à Bruxelles pour l'instant,
11:24 et qui sont un peu déconnectés des réalités de terrain.
11:27 Si on considère les agriculteurs, on va nous écouter.
11:30 C'est-à-dire qu'on va pouvoir co-construire une politique agricole nationale ou européenne,
11:35 il n'y a pas de sujet avec ça,
11:36 qui sera en cohérence avec ce que nous vivons et avec les marchés auxquels nous sommes soumis,
11:40 parce que nous sommes aussi des chefs d'entreprise.
11:42 Et à partir de là, je crois que le revenu va en découler très naturellement.
11:46 Qu'est-ce que vous en pensez, Véronique Lefloch ?
11:48 Eh bien nous, à la coordination rurale, ce qu'on veut, c'est des prix, pas des primes.
11:52 Pour avoir les prix et du revenu, c'est la loi EGalim
11:56 qui nous a été vendue comme étant la solution.
11:59 Et aujourd'hui, elle ne marche pas.
12:00 Pardonnez-moi Véronique, mais je ne comprends pas,
12:03 parce que lorsque j'achète de la viande au supermarché,
12:05 le prix de vente est parfois le tiers du revenu nécessaire à l'agriculteur.
12:11 Ça veut dire que si vous voulez cesser d'avoir des primes, comme vous le dites,
12:15 il va falloir que je paie la vente de viande 2 fois, 3 fois plus cher ?
12:20 Non, pas du tout.
12:20 En fait, quand un hypermarché ou une boucherie vend de la viande,
12:26 elle équilibre entre les différents morceaux.
12:29 Donc vous avez les morceaux nobles qui seront vendus plus cher
12:32 et les autres moins cher.
12:34 Par contre, on a quand même aujourd'hui la viande qui rentre dans le steak haché,
12:40 qui est relativement bien valorisée parce qu'il y a une demande.
12:44 Et c'est là qu'on ne peut pas comprendre que le prix nécessaire aux agriculteurs,
12:49 qui est, selon les calculs des instituts de l'élevage notamment, de 6,12 euros.
12:55 Donc il faudrait au moins ce prix-là au kilo carcasse,
13:00 donc la bête avec ses os, pour l'agriculteur.
13:05 Or, on était monté pas loin de 6 euros, certains en ont eu un peu plus.
13:10 Mais aujourd'hui, si on prend les cours, de la viande on baissait et on réforme les tiers.
13:17 Donc nos vaches qui vont aussi à l'abattoir, on est descendu en dessous des 4 euros.
13:21 Donc il en manque de plus en plus de nouveaux.
13:23 Merci Véronique Leflocq.
13:25 Je rappelle que vous êtes présidente de la coordination rurale Romain Blanchard,
13:29 secrétaire général adjoint de la FNSEA.
13:32 On se retrouve dans une vingtaine de minutes avec d'autres agriculteurs.
13:37 On va aller à nouveau en Bretagne dans un élevage bovin et également on évoquera la situation des céréaliers.
13:45 Et nous retrouvons nos agriculteurs qui sont Véronique Leflocq,
13:55 présidente de la coordination rurale.
13:57 Vous êtes éleveuse laitière en Bretagne près de Quimper.
14:01 Stéphane Gallet, bonjour.
14:02 Vous êtes éleveur bovin en Ile-et-Vilaine à Dôles-de-Bretagne.
14:06 Vous êtes aussi secrétaire national de la Confédération Paysanne.
14:10 Et nous sommes en duplex avec Romain Blanchard, secrétaire général adjoint de la FNSEA.
14:16 Romain Blanchard, vous qui êtes viticulteur mais aussi céréalier dans les Bouches-du-Rhône,
14:21 j'imagine que vous êtes largement impacté par la question de l'eau, du manque d'eau.
14:27 Comment faites-vous aujourd'hui avec cette question ?
14:32 Alors nous dans les Bouches-du-Rhône et dans la région PACA en fait,
14:37 on était très impacté bien avant tout le monde.
14:40 En fait, nos prédécesseurs se sont organisés.
14:43 Nous on a une retenue d'eau qui s'appelle le barrage de Serre-Ponçon qui,
14:47 si je ne me trompe pas, est la plus grande retenue d'eau artificielle d'Europe
14:50 pour nous distribuer de l'eau.
14:52 Le problème c'est que comme on a cru qu'on s'était équipé de manière suffisante et en abondance,
14:58 tout le monde est venu taper dans cette eau qui à la base était destinée à l'agriculture
15:03 et à l'abduction d'eau potable pour les habitations.
15:08 Aujourd'hui on a le tourisme qui vient se greffer dessus,
15:10 on a la production d'électricité avec le turbinage et beaucoup d'autres choses.
15:15 Et en fait, la ressource aujourd'hui n'est plus suffisante pour tout le monde.
15:18 On en a assez pour l'agriculture, ce n'est pas un sujet,
15:21 on en a assez pour donner de l'eau potable à nos concitoyens.
15:25 Mais si on commence à multiplier les usages avec la même réserve,
15:29 ce n'est pas compliqué de comprendre qu'on va finir par manquer de stock.
15:33 Véronique Leflocq, sur l'eau, votre syndicat La Coordination Rurale
15:39 considère qu'il faut des mesures radicales.
15:43 En tout cas, il faut permettre aux agriculteurs de stocker l'eau de l'hiver pour l'utiliser l'été.
15:49 Il faut faire en sorte que nos sols soient au maximum couverts
15:54 avec des plantes qui contribuent à l'évapotranspiration.
15:58 On sait que 60% des pluies viennent de cette évapotranspiration.
16:04 C'est pour ça que l'idée qui nous est parfois présentée comme une solution,
16:08 à savoir de trouver des variétés végétales qui seraient moins consommatrices d'eau,
16:14 n'est pas réellement la solution.
16:17 Pour vous, par exemple, les mégabassines, c'est une solution ?
16:19 Il faut surtout des solutions de stockage qui soient réfléchies.
16:26 Quand il s'agit de retenue collinaire, ça ne pose pas de problème.
16:30 Et quand il s'agit de bassines qui s'alimentent à partir des nappes phréatiques,
16:36 elles respectent des normes et des niveaux de prélèvement de pompage
16:41 qui sont dictés par rapport au BRGM, donc le bureau de la Géo...
16:48 Je ne vais pas pouvoir vous aider, mais je vais pouvoir vous poser une question.
16:51 Sur ces retenues d'eau, vous êtes en désaccord avec beaucoup d'écologistes ?
16:57 Disons que si nous n'avons pas l'eau pour produire l'alimentation française sur nos territoires,
17:04 ce qui sera importé aura été produit avec de l'eau, et c'est de l'eau importée.
17:09 Qu'est-ce que vous en pensez, Romain Blanchard ?
17:12 Je vais revenir sur ce que vous avez dit.
17:14 Vous savez que l'agriculture, on travaille sur du vivant.
17:16 Regardez aujourd'hui, j'entendais sur vos antennes qu'on parlait de la conquête de Mars.
17:20 Quand on veut trouver de la vie sur une nouvelle planète, on cherche d'abord s'il y a de l'eau.
17:23 Donc le lien est vachement simple à faire.
17:26 Vous parlez de méga-bassines, c'est des mots marketing.
17:29 Je crois qu'il faut aller au-delà des statistiques et des sites qui font piquer.
17:32 C'est des mots qui font un peu peur, surtout.
17:34 Voilà, aujourd'hui, il faut qu'on parle de contexte global, je crois,
17:38 pour que nos concitoyens comprennent ce qui se passe.
17:40 Il nous faut de l'eau, particulièrement dans nos régions méditerranéennes, là où j'habite.
17:45 Mais aujourd'hui, avec le changement climatique, un peu partout en France.
17:48 Donc il faut qu'on arrive à s'organiser.
17:50 Il tombe aujourd'hui, par le biais des précipitations, suffisamment d'eau pour tout le monde en France.
17:54 Comment est-ce qu'on fait pour gérer cette ressource qu'on n'avait pas à gérer avant ?
17:58 Parce qu'on était un pays vraiment favorisé de ce côté-là.
18:01 On n'a jamais vraiment manqué d'eau, à part dans certaines régions.
18:03 Et je vous dis encore, on s'est organisé il y a très longtemps pour la gérer.
18:07 Je pense qu'il faut qu'on remette un peu de bon sens, qu'on réfléchisse à quelles sont nos priorités.
18:12 Et si jamais on n'a pas aujourd'hui assez d'eau stockée pour les priorités,
18:16 améliorer les conditions de stockage.
18:18 Ce n'est pas plus compliqué.
18:19 Je pense qu'aujourd'hui, en France, on a les ingénieurs,
18:21 on a les membres de la société civile, nous les agriculteurs,
18:26 qui sont capables de réfléchir à un système équilibré et pérenne.
18:29 Stéphane Gallet, vous êtes avec nous, vous êtes secrétaire national de la Confédération paysanne.
18:36 Vous êtes d'accord avec ce qu'on vient de dire sur les questions du stockage de l'eau ?
18:40 Pour nous, la priorité, c'est prioriser.
18:43 C'est-à-dire prioriser les usages et penser global sur les usages, pas que agriculture.
18:49 L'agriculture, c'est une priorité.
18:51 On n'est pas contre l'irrigation, on n'est pas contre l'usage de l'eau.
18:54 Bien au contraire, il faut que tous les paysans et paysannes puissent vivre de leur métier
18:58 et avoir accès à l'eau.
18:59 C'est une notion évidente.
19:02 Mais après, il faut faire aussi avec le vivant.
19:03 Et puis, il faut surtout déterminer pour quelle finalité on utilise l'eau.
19:08 Si c'est pour accélérer sur l'agro-industrie, on n'est pas d'accord avec ça.
19:12 Et surtout faire avec le vivant.
19:14 L'endroit où l'eau est le mieux stockée, c'est encore dans les sols.
19:18 Bon, vivre de son agriculture.
19:20 Alors vous, vous êtes à Dolles-de-Bretagne.
19:22 Vous avez une exploitation de 25 hectares.
19:25 Vous faites de la production laitière en vente directe et du maraîchage.
19:30 Et d'après ce que j'ai compris, vos revenus sont aujourd'hui insuffisants.
19:36 Oui, c'est vrai. Comme beaucoup de paysans et de paysannes en France.
19:39 C'est d'abord la première des revendications sur lesquelles on appuie.
19:43 Nous, c'est que chacun puisse vivre de son métier correctement et accéder à un revenu correct.
19:47 Je peux vous demander, Stéphane, qu'est-ce que ça veut dire insuffisant aujourd'hui
19:51 pour qu'on comprenne bien votre situation ?
19:53 Pour ma situation personnelle, je ne vais pas rentrer dans les détails.
19:56 Mais quand on est en dessous du SMIC, je pense que c'est insuffisant.
19:59 Bon, et puis il y a 18%.
20:02 Ça, je préfère parler largement pour les paysans et les paysannes qui sont concernés.
20:06 Il y a 18% qui sont en dessous du seuil de pauvreté.
20:11 Vous êtes endetté ?
20:12 Nous, on n'est pas très endetté.
20:14 Donc, on a plutôt fait le choix d'une agriculture sobre.
20:18 Donc, on vit bien, on vit correctement.
20:20 On n'a pas d'ambition énorme.
20:25 Vous venez de me dire que vos revenus sont insuffisants.
20:27 Mais c'est tendu.
20:28 Oui, c'est tendu.
20:28 C'est tendu depuis quelques années parce que forcément, on est dans un contexte économique compliqué.
20:34 Mais voilà, on arrive à s'en sortir quand même.
20:36 Je ne veux pas faire du risque.
20:38 Non, mais je veux essayer de comprendre quelle est votre situation.
20:42 Ça veut dire que vous ne vendez pas assez, vous ne vendez pas assez cher.
20:45 Pourquoi vos revenus sont-ils insuffisants ?
20:49 Nous, on a la chance quand même d'être en vente directe, donc de pouvoir maîtriser nos prix.
20:53 Ça veut dire que vous vendez du lait aux consommateurs.
20:56 Oui, on vend des fromages.
20:58 La difficulté, c'est que...
20:59 Donc, vous vendez des produits transformés.
21:00 On valorise, oui.
21:02 On vend des produits transformés.
21:02 La difficulté, c'est qu'on subit comme tous les autres l'augmentation des matières premières, l'inflation.
21:09 Et puis surtout, on a peu d'aide publique, en fait.
21:13 Il faut le dire quand même.
21:14 Ça, c'est une des conditions sine qua non du revenu.
21:16 C'est que la PAC, elle a largement orienté l'agriculture vers un modèle agro-industriel.
21:22 Et donc, nous, on est en agriculture paysanne.
21:24 Le pourcentage de PAC, moi, sur ma ferme, qui participe à mon revenu, il est très faible.
21:29 Et ça, c'est particulièrement injuste.
21:31 Et ça, c'est vrai pour beaucoup, beaucoup de paysans et de paysannes en France, et particulièrement en élevage.
21:36 Ça veut dire quoi ?
21:37 Ça veut dire que vous touchez combien ?
21:39 Puisque donc, le litre de lait, vous le valorisez, donc vous le transformez en fromage.
21:44 Donc, la PAC ne concerne pas ceux qui transforment eux-mêmes leur matière première, Stéphane Gallet ?
21:51 Nous, la part de la PAC qu'on touche, elle est surtout liée au deuxième pilier.
21:56 Donc, celle qui concerne les mesures agro-environnementales.
22:01 Et on s'est battu particulièrement pour ça, nous, en Bretagne, pour pouvoir les toucher.
22:05 C'est-à-dire qu'on a contractualisé avec l'État pour assurer de la biodiversité sur nos fermes,
22:11 pour assurer un bocage qui correspond aussi aux enjeux sociétaux actuels.
22:17 Et on s'est battu pour qu'on puisse toucher cette PAC.
22:19 Mais à chaque fois, c'est un peu remis en question.
22:22 Et à chaque fois, on ne va pas dans cette direction.
22:24 Nous, ce qu'on remet en cause, c'est justement cette PAC à la surface,
22:28 qui favorise, encore une fois, ce modèle industriel et qui favorise les grandes fermes.
22:33 Moi, j'ai 25 hectares, forcément, vous imaginez bien que...
22:36 - C'est beaucoup 25 hectares ? - Oui, c'est beaucoup et peu, en fait.
22:39 Et puis, toutes mes surfaces ne sont pas éligibles.
22:44 Donc, je peux vous dire, sur ce que je touche sur le premier pilier,
22:47 ce qui est celle qui est directement concernée par la surface, je touche moins de 2000 euros.
22:51 Je ne sais pas si vous vous rendez compte, on est deux UTH,
22:53 c'est-à-dire deux personnes à travailler sur la ferme, c'est vraiment très, très peu.
22:57 Donc, ça, c'est des choses qui sont particulièrement injustes,
22:59 qu'il faut rectifier pour que, si on veut quand même aller dans le bon sens,
23:02 c'est-à-dire répondre aux problèmes sociétaux et puis répondre aux problèmes environnementaux aussi.
23:09 - Alors, Véronique Le Floch, je ne veux pas vous opposer à notre camarade Stéphane,
23:14 mais vous aussi, vous êtes un éleveur laitier, vous faites du lait,
23:20 vous ne transformez pas les produits, vous avez 100 bêtes,
23:24 c'est un élevage de type différent,
23:26 ça veut dire que c'est votre type d'élevage qui fait que les agriculteurs s'en sortent mieux ?
23:32 - Alors, je ne dirais pas, je pense que de toute manière, aujourd'hui,
23:35 quelle que soit la taille des exploitations, vous en aurez toujours qui y arrivent et d'autres moins.
23:40 Ça dépend du stade d'investissement.
23:43 Quand moi, je me suis installée, il faut dire qu'avec l'investissement plus la reprise,
23:50 c'est impossible de vivre.
23:51 Si vous n'avez pas des revenus extérieurs, c'est impossible de vivre.
23:55 Donc, vous passez 15 années, là, on vient de finir de payer,
23:58 il y a 3-4 ans, mon installation.
24:01 L'an passé, il y a bientôt un an, l'investissement pour les vaches laitières,
24:06 qui était financé sur 15 ans.
24:09 Et bien, vous êtes un peu soulagé, mais cette charge en moins, de près,
24:15 elle est vite fait confondue ou perdue, évaporée,
24:19 parce que l'augmentation des charges est telle que vous n'y voyez jamais rien.
24:24 Donc, c'est une machine sans fin.
24:27 Justement, la question des revenus, nous sommes avec François-Xavier Huppin.
24:32 Vous connaissez cette question, François-Xavier, parce que vous êtes un ancien maraîcher,
24:38 vous êtes devenu céréalier, vous êtes en Normandie,
24:40 vous êtes aussi secrétaire adjoint national des jeunes agriculteurs.
24:44 Et si vous avez cessé le maraîchage, c'est parce que celui-ci ne vous permettait pas
24:49 là aussi de vivre, alors même que vous avez, vous aussi, une grande surface.
24:57 Bonjour. Oui, alors, sur la partie maraîchage, j'avais 3 hectares quand je me suis installé.
25:04 Ce n'était pas une grande surface.
25:06 Alors, 3 hectares de maraîchage, quand vous êtes seul dessus,
25:09 si, ça fait quand même un très gros jardin.
25:12 Oui, c'est un très gros jardin.
25:13 Voilà, si on peut l'imager comme ça.
25:15 Mais non, aujourd'hui, c'est vrai que la surface de l'exploitation, elle est de 135 hectares,
25:20 puisque j'ai repris l'exploitation de mes parents.
25:24 Je suis dans un secteur Normandie où la pression foncière est quand même assez importante.
25:28 Donc, il fallait que je trouve une solution pour pouvoir m'installer sans attente de foncier,
25:33 qui est des choses très rares, on va dire vraiment sur le secteur où je suis.
25:37 Et pour pouvoir me développer, on avait déjà commencé avec mes parents à faire de l'asperge verte.
25:45 Mes parents avaient commencé.
25:47 Et on s'était dit, il faut réussir à tirer des avantages de nos inconvénients.
25:53 Moi, aujourd'hui, je suis la ferme à la ville.
25:57 Les maisons côtoient mon corps de ferme.
25:59 La première maison, elle est à 10 mètres de mon corps de ferme et j'en ai tout autour.
26:03 Et donc, on s'était dit, il y a un vivier important de personnes, de clients potentiels.
26:10 Alors, ça fonctionne très bien pour l'asperge verte.
26:12 Alors aujourd'hui, on en tire moins de revenus parce qu'on est comme tout le monde,
26:15 on subit les augmentations, les augmentations de salaires et autres,
26:19 et ce qui est normal aussi pour tout le monde.
26:21 Mais du coup, c'est beaucoup moins rentable de faire de l'asperge aussi,
26:24 parce que très gourmand en main d'œuf.
26:26 Et au final, le Covid a révélé beaucoup de personnes dans le fait de faire du maraîchage,
26:33 bio, conventionnel et autres.
26:35 Des personnes qui se sont dit aussi, on va faire des magasins parce qu'il manque de nourriture pour les gens,
26:40 parce que c'était la sortie des gens.
26:41 Nous, on n'a jamais vu une telle influence pendant le Covid.
26:44 En vente directe.
26:45 Voilà, la vente directe, les gens sortaient avec leur papier et ils étaient contents.
26:49 Ils venaient nous voir. Moi, je n'ai jamais vu une telle queue à la ferme.
26:53 On avait 50 mètres de queue devant la porte du magasin.
26:57 Et donc, c'est vrai que pour nous, c'était vraiment très beau.
27:01 Et on s'est dit, bon, on avait bien fait de jouer cette carte-là.
27:03 Moi, je m'étais installé en 2011 et je faisais...
27:07 Quand j'ai arrêté, j'avais à peu près 45 légumes différents en production.
27:11 Donc, le panel était quand même assez large.
27:14 Donc, à l'époque, ça marchait bien.
27:15 Mais alors, pourquoi y a-t-il eu un retournement ?
27:17 Pourquoi vous avez été obligé de vous tourner vers les céréales ?
27:21 Moi, la seule réponse aujourd'hui que je donne, c'est un après Covid avec,
27:25 justement, toutes les personnes qui sont parties dans la création de magasins.
27:30 Et plus de concurrence par rapport à ça.
27:33 Beaucoup plus de concurrence.
27:35 D'autres personnes qui s'y sont installées, et ça, je ne le critiquerai pas,
27:39 parce que étant jeune agriculteur, c'est très bien qu'il y ait des agriculteurs
27:42 qui s'installent dans des productions comme ça.
27:45 Mais multipliez le nombre de points, les gens ne mangent toujours que 3 fois par jour, maximum.
27:50 Donc, ça a fait effectivement une concurrence plus forte.
27:53 Stéphane Gallet, vous vendez directement vos fromages.
27:56 Vous avez vu aussi cette évolution-là ?
27:59 On a vu cette évolution-là, mais je voudrais quand même dire que le gros problème,
28:02 c'est comment les gens accèdent à une alimentation de qualité ?
28:04 Parce qu'en fait, moi, je ne critique pas le fait qu'il y ait des gens à s'installer.
28:09 Nous, à la Confédération Paysanne, on participe à ce qu'il y ait des jeunes,
28:13 des jeunes paysans et paysannes à s'installer partout sur le territoire.
28:15 C'est une bonne chose, c'est une bonne nouvelle,
28:17 parce qu'ils participent à créer une alimentation de qualité.
28:19 La vraie question, c'est comment les gens y accèdent ?
28:21 Si ça s'est tendu aussi sur la vente directe comme sur les filières,
28:25 c'est parce qu'il y a une difficulté dans le porte-monnaie des gens
28:29 pour accéder à l'alimentation de qualité.
28:31 Donc ça, ça doit être soutenu par l'État, ça doit être soutenu par une politique publique
28:34 qui permette à chacun de pouvoir manger correctement
28:38 et d'accéder à une alimentation de qualité.
28:40 Il ne doit pas y avoir une alimentation à deux vitesses, et ça, c'est un vrai problème.
28:43 Parce que dans le même temps qu'il y a des difficultés peut-être sur la vente directe,
28:47 sur les filières bio, il y a une augmentation de la vente de produits ultra transformés,
28:52 de produits qui viennent de l'étranger, et puis des produits de basse qualité.
28:58 Donc ça devrait vraiment interroger collectivement
29:02 comment on fait pour que tout le monde puisse manger correctement.
29:04 - Et alors les fromages que vous vendez, vous les vendez à quel prix ?
29:07 Qu'est-ce que vous faites comme fromage ?
29:09 - Nous, on fait beaucoup de yaourts.
29:10 On a le prix standard pour les yaourts bio et qu'on vend sur le marché direct.
29:16 - C'est-à-dire le prix standard ?
29:17 - Oui, c'est 80 centimes pour un yaourt.
29:21 Mais on les vend directement sur les marchés, avec une clientèle
29:25 qui n'a pas tellement évolué avant ou après Covid,
29:29 parce que ça fait longtemps qu'on est sur le marché.
29:32 - Véronique Leflocq.
29:33 - Moi, je voulais réagir sur la vente directe, sur des productions comme les asperges.
29:39 Un des problèmes en France pour nous agriculteurs, c'est la main d'œuvre, le coût de la main d'œuvre.
29:45 Et le rapport Duplon, du sénateur, disait lui-même qu'en 7 ans,
29:49 le coût de la main d'œuvre avait augmenté de 58% de plus en France par rapport à l'Allemagne.
29:54 Et donc, ça a pour conséquence des diminutions de surface en termes de production.
29:59 Et si on prend l'asperge, en 20 ans, en France, on a perdu la moitié des surfaces,
30:05 alors qu'en Allemagne, ils doublaient.
30:08 Et donc, il y a 20 ans, les Allemands avaient comme nous 10 000 hectares.
30:11 Aujourd'hui, en France, il en reste 4 000.
30:14 Et en Allemagne, il y a plus de 22 000 hectares.
30:16 Donc, les Allemands doublent et galopent dans la production.
30:19 - Pourquoi ? Parce qu'ils ont plus de main d'œuvre ?
30:21 - Eh bien, il y a une distorsion de concurrence intra-européenne
30:25 et des facilités qui ne sont pas ici, même si ça évolue
30:29 et qu'on a un système pour les travailleurs saisonniers.
30:32 Mais force est de constater que ce n'est pas suffisant.
30:37 - Stéphane Gallet ?
30:38 - Il ne faudrait quand même pas aller vers la politique du mois d'hiver
30:40 en termes de rémunération des travailleurs et des travailleuses de la terre.
30:45 Un paysan et, j'ai envie de dire, un salarié, pour moi, c'est le même combat.
30:49 C'est qu'il faut que tout le monde puisse vivre correctement de son métier.
30:52 Donc, la mise en concurrence par ce volet-là, elle me paraît très délétère.
30:57 En fait, il faut qu'on s'organise pour justement qu'il n'y ait pas de concurrence entre pays
31:01 et puis qu'on puisse faire vivre correctement les paysans et les paysannes
31:05 et aussi ceux qui travaillent dans nos fermes.
31:07 - Mais Véronique Lefloch, je vais vous embêter,
31:10 mais on dit souvent que la coordination rurale est proche du Rassemblement national,
31:14 une partie qui ne se démarque pas par sa volonté d'accueillir plus de migrants.
31:21 Est-ce que là, il n'y a pas une contradiction dans ce que vous dites ?
31:24 - Alors, on n'est pas proche du Front national puisqu'on est apolitique, apartisan.
31:28 Je pense qu'il y a beaucoup de personnes qui veulent nous coller une étiquette.
31:34 Non, pour nous, l'essentiel, c'est qu'un agriculteur gagne plus que le salarié.
31:40 Dans quel autre domaine d'activité, le patron gagne moins que le salarié, finalement ?
31:46 Au final, il n'y en aura plus.
31:47 Donc non, non, il faut qu'on ait cette politique de développement.
31:51 Et aujourd'hui, en France, en fruits et légumes,
31:55 on a beaucoup recours à cette main d'œuvre étrangère,
31:58 faute de personnel sur le territoire.
32:01 - Stéphane Gallé.
32:01 - Je ne voudrais pas qu'on laisse croire que la faute, elle est au consommateur
32:06 ou qu'elle est au coût du travail des salariés dans les fermes.
32:10 La faute, c'est qui capte la valeur ajoutée du travail des salariés dans les fermes
32:14 et des paysans et des paysannes ?
32:15 On le sait, en fait, c'est l'agro-industrie.
32:17 Mais c'est là qu'il faut aller chercher la problématique.
32:19 En fait, là, il y a un peu un effet de diversion.
32:21 On dit que les consommateurs ne consomment pas assez français,
32:24 ne consomment pas assez d'une alimentation de qualité.
32:27 On a un coût de travail trop élevé.
32:28 Mais moi, je n'oublie pas qu'en ce moment, il y a des négociations avec l'ACTALIS
32:32 et que le PDG de l'ACTALIS, c'est une des plus grosses fortunes de France.
32:35 Donc, collectivement, salariés, paysans et paysannes,
32:38 c'est là qu'il faut aller les taper, c'est là qu'il faut aller regarder.
32:41 - Qu'est-ce que vous en pensez, François-Xavier Huppin,
32:44 vous qui faites à la fois des céréales et du maraîchage ?
32:49 - Moi, je vais nuancer un propos.
32:52 Ce n'est pas le salaire qu'on donne aux salariés qui pose problème,
32:56 on va dire aujourd'hui, dans l'agriculture.
32:57 Je pense que c'est surtout l'envie du salarié de venir travailler.
33:03 Malheureusement, et je le dis bien malheureusement,
33:05 parce que nous, des fois, on peut quand même compter
33:08 entre 4 et 600 chômeurs sur notre commune.
33:10 Je n'ai jamais une candidature au moment des asperges
33:15 pour venir ramasser des asperges.
33:16 Alors, c'est vrai que ce n'est pas le métier le plus facile du monde,
33:19 ce n'est pas le plus sympathique.
33:21 Moi, je fais toute la partie "transformation" avec ma mère,
33:26 qui est encore sur l'exploitation.
33:28 C'est le conditionnement, calibrage, recoupes et bottelages des asperges
33:33 pour la mise en vente.
33:36 Donc, c'est un travail difficile, j'imagine.
33:39 Combien c'est payé ?
33:41 Les personnes qui sont au champ sont au SMIC.
33:44 Et aujourd'hui, si on a plus de tout entre la personne qui travaille au SMIC,
33:49 le temps qu'on ait à pouvoir les rentrer, les mettre en frigo,
33:54 les ressortir, les travailler, les remettre en frigo
33:57 pour ensuite les remettre à l'étal,
33:59 et ainsi que de suite sur toute la chaîne.
34:01 Et encore pire, si on faisait les marchés,
34:03 parce qu'il y a encore le déplacement en plus, la place de marché et j'en passe,
34:08 il ne faut pas spécialement compter son temps dessus.
34:11 Si nous, on a plus de la main d'œuvre dessus, ça ne passe pas.
34:15 Mais il y a aussi la volonté des personnes à vouloir le faire.
34:18 J'ai d'autres personnes qui travaillent aussi en maraîchage,
34:22 eux par contre sur un modèle industriel pour faire de la salade en sachet,
34:28 sur une équipe de 30 personnes qu'ils ont besoin pour ramasser les salades,
34:34 ils passent à peu près 90 personnes dans leur saison.
34:38 Parce qu'il y a des personnes qui viennent,
34:41 ils tiennent 2-3 jours et ils arrêtent.
34:43 - Stéphane Gallet.
34:44 - Il vient bien de résumer le problème en fait.
34:47 C'est que c'est l'industrialisation qui a détourné le sens du travail dans l'agriculture en fait.
34:54 Sur une ferme maraîchère telle que la mienne, en polyculture et levage,
34:57 en fait ça a un vrai sens de travailler.
34:59 On ne fait jamais la même tâche.
35:01 Il y a une vraie qualité au travail, il y a une vraie qualité au produit,
35:04 il y a une vraie qualité à la relation nature.
35:07 Dans le champ d'à côté, moi je suis en pleine baie du Mont-Saint-Michel,
35:10 il y a effectivement des productions légumières industrielles.
35:12 Je vois les conditions de travail des salariés et des paysans et des paysannes,
35:17 ça ne fait pas rêver en fait.
35:19 Parce que c'est des conditions qui sont proches de l'industrie.
35:22 Donc redonner du sens au travail, c'est remettre en cause justement cette industrie.
35:26 Donc c'est gagnant-gagnant, remettre en cause l'industrie,
35:30 c'est remettre en cause la captation de la valeur ajoutée du travail,
35:34 mais c'est aussi redonner du sens à ce qu'on fait dans nos fermes.
35:38 Véronique Lefloque, un mot de conclusion.
35:40 Alors il faut élargir le problème des industries aux coopératives,
35:44 parce que ce système qui était la solution pour les agriculteurs,
35:49 est aujourd'hui à revoir aussi parce que justement les coopératives dévient
35:53 sur une industrialisation et un développement à l'international.
35:57 Donc elles s'éloignent des agriculteurs,
35:59 et donc la valeur ne revient pas comme elle devrait revenir.
36:02 Le dernier mot, François-Xavier Upin.
36:05 Juste renoncer le propos, je n'ai pas dit que c'était de la faute de l'industrie,
36:09 je ne suis pas sûr d'un modèle industriel,
36:11 et le boulot n'est pourtant pas facile quand même pour l'asperge,
36:15 et je le comprends, mais voilà, moi j'avais développé pour avoir plein de choses,
36:19 pour faire plein de choses et ne pas faire que la même chose dans une journée.
36:22 Et ce n'est pas pour autant que les gens sont plus attirés pour venir.
36:25 Donc oui, il y a des choses à faire évoluer.
36:28 Moi ça a été un crève-cœur de me dire j'arrête le maraîchage,
36:31 mais il y a des chiffres qui parlent aussi, et moi quand je regarde debout...
36:35 Vous avez été contraint de le faire, merci beaucoup François-Xavier Upin.
36:41 Je rappelle que vous êtes secrétaire adjoint national des jeunes agriculteurs.
36:45 Stéphane Gallet, éleveur bovin en Ile-et-Vilaine à Dolles-de-Bretagne,
36:49 secrétaire national de la Confédération Paysanne,
36:52 et Véronique Le Floch, présidente de la Coordination Rurale Éleveuse Laitière en Bretagne,
36:58 ainsi que Romain Blanchard, secrétaire général adjoint de la FNSEA,
37:02 viticulteur et céréalier dans les Bouches-du-Rhône.