• il y a 2 ans
L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 27 Janvier 2023)
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00:00 Elle a occupé les postes de ministre de la Santé, des Sports, de la Solidarité ou
00:03 encore de l'écologie mais c'est pour votre mandat de ministre de la Culture que
00:08 j'ai décidé de vous inviter.
00:09 Bonjour Roselyne Bachelot.
00:10 Bonjour Guillaume Erner.
00:11 Vous publiez « 682 jours, le bal des hypocrites » aux éditions Plon.
00:16 C'est un ouvrage qui a souvent été commenté dans la presse pour les quelques pics que
00:21 vous lancez à tel ou tel.
00:22 On en parlera peut-être mais moi en fait ce n'est pas du tout ce que j'ai retenu
00:26 à la lecture de votre livre.
00:27 Je me suis dit que nous avions enfin l'opportunité de faire venir au micro une ancienne ministre
00:32 de la Culture pour qu'elle explique quel était son quotidien, peut-être aussi la
00:37 fascination qu'exerce cette rue de Valois pour les politiques.
00:41 Vous vouliez devenir ministre de la Culture Roselyne Bachelot.
00:44 Pourquoi donc ?
00:45 Je baigne dans la culture, c'est ma vie.
00:49 En tant qu'élu local, je me suis occupé de culture.
00:54 Je suis ce dossier depuis pratiquement presque un demi-siècle, pas tout à fait.
00:59 C'est vrai que c'était un fantasme que ce ministère de la Culture.
01:02 Quand Jean Castex me demande au mois de juillet 2020, alors qu'il vient d'être nommé
01:08 premier ministre, de rentrer au gouvernement, je lui dis non.
01:11 Quand il me dit « et si c'est pour la culture ? » parce qu'il me connaît le
01:16 bougre.
01:17 On a parlé longtemps ensemble de son festival de Prades.
01:23 Et là, je craque alors que j'avais décidé de ne pas revenir.
01:28 Je craque pour deux raisons.
01:29 D'abord, c'est vrai, vous l'avez dit, c'est une sorte de désir inassouvi.
01:33 Et puis parce que j'ai le sentiment que je ne serais sans doute pas revenu s'il
01:39 s'était agi de faire du business à Zoujouol, comme on dit en bon français.
01:44 Mais j'étais comme le vieux soldat qui a remis son fusil dans l'armoire et qui
01:50 néanmoins regarde s'il est toujours en position de tirer.
01:53 NICOLAS : Comment expliquez-vous que depuis 2007, il y en ait eu 7 des ministres de la
01:58 culture ? C'est-à-dire que c'est un poste probablement très recherché, mais où les
02:03 séjours sont des séjours bien souvent de courte durée.
02:05 MATHIEU : Oui, on a à peu près la durée de survie qu'on a sur la bande d'arrêt
02:08 d'urgence de l'autoroute.
02:09 Mais pour être tout à fait vrai, c'est pas seulement le ministère de la culture.
02:17 Il y a une sorte de valse des ministres en France, que je trouve d'ailleurs tout à
02:21 fait regrettable, en particulier sur les questions européennes.
02:25 NICOLAS : Pas tous, pas tous.
02:26 Revenons à la culture.
02:27 MATHIEU : Revenons à la culture, mais et dont la culture effectivement.
02:31 C'est ce qui sans doute aussi explique que les deux ministres qui ont eu une vraie longévité,
02:37 c'est-à-dire André Malraux et Jacques Lang, puisque la caractéristique c'est qu'ils
02:41 sont tous les deux restés dix ans ministres de la culture, sans doute restent des figures
02:46 tutélaires de ce ministère.
02:48 Mais trois ministres sous le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, trois ministres sous le
02:56 quinquennat de François Hollande.
02:59 C'est une valse des ministres et c'est extrêmement dommageable.
03:04 NICOLAS : Pourquoi ? Parce que ça veut dire que c'est un strap-on.
03:06 On dit souvent que le ministère de la culture c'est ou bien le ministère des artistes
03:12 ou bien le ministère du public.
03:13 Pour vous c'était quoi ? Le ministère des artistes ou le ministère du public ? Vous
03:19 n'avez pas le droit de me dire les deux Roselyne Bachelot.
03:21 ROSELYNE BACHELOT.
03:22 J'ai dit quand je suis rentré, c'est mon discours de prise de pouvoir à Valois, j'ai
03:29 dit je serai le ministre des artistes et des territoires.
03:31 Pour moi c'est d'abord le ministère des artistes.
03:37 C'est vraiment pour moi c'est cela.
03:40 NICOLAS.
03:41 C'est comme François Hollande l'avait dit à Fleur Pellerin, il faut leur dire qu'on
03:44 les aime, il faut sortir le poids.
03:46 NICOLAS.
03:47 C'est ça, vraiment dans un film absolument extraordinaire d'Yves Jelan qui sait chaisir,
03:52 Yves Jelan vraiment le côté un peu ridicule des débats.
03:56 Il y a Hollande et Valls qui disent à la pauvre Fleur Pellerin, tu sors tous les soirs
04:03 et tu leur dis que tu les aimes.
04:05 Il ne s'agit pas de ça, il s'agit évidemment de les soutenir et sans doute aussi la raison
04:10 de mon choix c'est que j'avais le sentiment dans cette crise épouvantable qui était
04:14 celle des artistes parce qu'il ne suffit pas.
04:18 J'ai donné des aides inédites et qui n'ont eu d'équivalent nulle part dans le monde
04:25 mais la privation du public, la privation de la rencontre avec le public c'est une
04:30 souffrance incroyable.
04:31 Et puis des territoires, pourquoi ? Parce que je suis une élue locale, j'ai vu la
04:36 montée à travers les politiques de décentralisation, j'ai vu la prise de pouvoir des élus locaux
04:42 sur un certain nombre de dossiers culturels, ils ont eu du mal à s'en saisir.
04:46 J'ai été élue en 82 dans un conseil général, on l'a dit départemental maintenant,
04:52 puis en 86 dans un conseil régional.
04:54 Vraiment, ce n'était pas l'intérêt principal.
04:58 Et puis petit à petit, ils se sont rendus compte que c'était un élément de soft power
05:03 et là il y a des liens à retisser et à clarifier avec les collectivités locales.
05:08 C'est particulièrement important, c'est en cela que j'ai dit aussi que j'étais
05:13 la ministre des territoires, parce que c'est un enjeu de démocratisation aussi.
05:17 Alors ça, ça fait partie des choses que vous expliquez, ou vous les expliquez très
05:22 bien dans votre livre Roselyne Bachelot.
05:24 Il y a des décisions en matière culturelle qui relèvent des autorités locales, maires,
05:30 régions et vous dites que ce n'est pas forcément idéal, pas toujours idéal en
05:35 tout cas, cette répartition du pouvoir culturel.
05:38 Alors donnez-nous des exemples de quoi décident les maires, par exemple le classement.
05:43 Je vais prendre un exemple très précis à travers d'ailleurs une polémique qui
05:46 a surgi sur le patrimoine.
05:50 Par exemple, l'État évidemment s'occupe du patrimoine protégé, le patrimoine classé
05:59 ou inscrit.
06:00 Mais avec une loi qui date du 13 août 2004, les collectivités locales ont la responsabilité
06:08 du patrimoine non protégé, en particulier des églises qui sont la propriété des
06:14 communes.
06:15 Vous avez vu que j'ai porté l'alerte sur cette affaire en disant on ne pourra pas
06:21 tout sauver, il faudra faire des choix.
06:24 Et j'ai été catalogué de destructrice d'église.
06:28 Vous avez obtenu un peu moins de 700 millions de crédits pour le patrimoine.
06:34 C'est-à-dire qu'il y avait les crédits courants qui sont à peu près à hauteur
06:37 de 450 millions, c'est ce qu'on appelle l'action 1 du programme 175 si on veut un
06:44 petit peu aller dans les détails.
06:48 Et puis dans le plan de relance, 614 millions supplémentaires, ça ne s'était jamais
06:52 vu sur le patrimoine.
06:55 Et avec ça on ne peut pas tout sauver ?
06:56 Écoutez, il y a eu un chiffre très intéressant dans le journal Le Monde, je crois que c'est
07:01 lundi.
07:02 Le journal Le Monde a indiqué que le patrimoine public dans notre pays qui est détenu par
07:09 l'État et par les collectivités territoriales, et en majorité par les collectivités territoriales,
07:16 les trois quarts, rien que pour répondre à l'enjeu du réchauffement climatique,
07:21 à la lutte contre le réchauffement climatique, Le Monde dit 500 milliards d'euros nécessaires.
07:29 Et on ne parle ni de la mise en sécurité, ni de l'accessibilité et encore moins des
07:35 rénovations patrimoniales.
07:36 Tout est dit, tout est dit dans ce chiffrage absolument incroyable.
07:43 Alors c'est vrai qu'on a un pays qui a beau se décentraliser de plus en plus, il
07:49 a dans sa tête l'idée que l'État doit s'occuper de tout.
07:54 Mais dans cette affaire, on va être obligé de clarifier qui fait quoi dans cette sauvegarde
08:01 du patrimoine.
08:02 On a beau dire aux collectivités territoriales "mais c'est votre responsabilité",
08:11 elles disent "on n'y arrive pas" et elles tendent la main vers l'État.
08:14 Donc il faut clarifier.
08:15 Parce que c'est vrai aussi que les collectivités territoriales, elles ne pourront pas assurer
08:19 qu'elles travaillent seules ces centaines de milliards d'euros nécessités par le
08:24 patrimoine.
08:25 Y a un sigle très étonnant pour ceux qui ne sont pas ministres de la culture ou qui
08:29 ne travaillent pas dans le secteur, ce qu'on appelle les "dracs".
08:31 Ça sert à quoi les dracs ? Qu'est-ce que c'est une drac ?
08:34 Ce sont les directions régionales des affaires culturelles.
08:37 Comme dans tous les ministères, il y a donc une administration centrale, des directions
08:43 d'administration centrale avec trois grandes directions.
08:48 Bien sûr, la direction des patrimoines et de l'architecture, la direction de la création
08:53 artistique, disons pour simplifier, c'est le spectacle vivant.
08:57 Je fais ça à grands traits.
08:59 Et puis, la direction des médias et des industries culturelles qui prennent de plus en plus d'importance
09:04 et tout ce qui va gérer la transition numérique, mais aussi beaucoup d'autres choses, le
09:09 livre, l'audiovisuel.
09:11 C'est votre direction.
09:13 La direction des médias et des industries culturelles.
09:16 On la salue.
09:18 Il faut toujours être bien avec la dégémique.
09:21 Et puis, bien sûr, également tout ce qui concerne la francophonie, la langue française,
09:27 etc.
09:28 Voilà, ce sont les directions d'administration centrale.
09:30 Et puis, il y a des directions régionales des affaires culturelles qui gèrent, bien
09:34 sûr, la proximité avec le terrain et un certain montant de crédits qui sont des crédits
09:40 déconcentrés.
09:41 C'est-à-dire que si vous êtes patron d'un festival de musique baroque dans une petite
09:48 église romane d'Humain-et-Loire, vous allez vous diriger vers la drague pour demander
09:54 une aide.
09:55 Et justement, est-ce que cette répartition, cette fois-ci, puisqu'on voit bien qu'il
10:01 y a dans votre livre « 682 jours » Roselyne Bachelot, une lutte entre les élus locaux,
10:07 l'État, les artistes, chacun tirant la couverture à soi.
10:10 Est-ce que cette organisation du pouvoir culturel en France, elle est valide ? Les dragues sont
10:15 souvent accusées de faire des choix discutables.
10:19 Tout choix est discutable.
10:20 Mais après votre séjour à la rue de Valois, que peut-on dire sur cette gouvernance de
10:27 la culture ?
10:28 Alors d'abord, il y a une question qui se pose.
10:33 C'est que le ministère de la Culture, c'est 28 000 agents publics.
10:37 Il y en a 23 000 qui sont dans ce qu'on appelle les grands opérateurs, qui sont des
10:42 États dans l'État.
10:43 C'est aussi bien le Louvre, la Comédie française, la Bibliothèque nationale de
10:48 France, les écoles d'architecture.
10:50 Et toutes ces structures, elles marchent finalement en autonomie.
10:55 C'est-à-dire que c'est un ministère qui en quelque sorte a perdu une grande partie
10:58 de son pouvoir politique pour faire fonctionner les grands outils culturels.
11:02 23 000 agents qui sont donc dans les opérateurs.
11:08 Sur les 5 000 restants, il y a évidemment quelques services à compétence nationale
11:13 qui eux aussi sont très autonomes.
11:15 Et puis 2 500 personnes, je ne fais pas les dizaines, je situe en grande masse, 2 500
11:22 personnes dans les dragues dont vous parlez et 1 500 en administration centrale.
11:26 Donc on se rend compte que c'est un ministère dont le pouvoir est morcelé, émietté, qui
11:33 a été dépecé au fur et à mesure des ans et d'une certaine façon qui a perdu son
11:38 pouvoir.
11:39 Il y a une sorte de hiatus entre ce qu'il représente dans l'imaginaire collectif
11:45 et la réalité de son pouvoir.
11:47 C'est aussi un ministère qui finalement, si on met de côté l'audiovisuel public,
11:53 je ne mets pas de côté l'audiovisuel public, mais on dit souvent grosso modo que le ministère
12:00 de la culture c'est environ 8 milliards d'euros.
12:03 En fait sur la mission culture c'est 4 milliards d'euros.
12:06 Donc au niveau du budget de l'État, ce ne sont pas des sommes mirifiques.
12:11 Justement puisqu'on parle d'argent, on va beaucoup parler d'argent, tous les deux
12:14 Roselyne Bachelot, vous expliquez comment vous avez dû faire une lettre manuscrite
12:18 à Jean Castex pour lui dire "bon, tu m'as choisi comme ministre de la culture, maintenant
12:24 il va falloir que j'ai le budget parce que je ne suis pas là en substance pour faire
12:29 de la figuration".
12:30 Ce ne serait pas un ministre rayon à qui on jette des cacahuètes à travers les grilles
12:33 du zoo.
12:34 Mais alors plus que des cacahuètes, ça veut dire quoi Roselyne Bachelot ? Vous avez obtenu
12:38 combien d'argent et surtout donnez-nous des ordres de grandeur pour qu'on comprenne
12:43 en fait quels sont les enjeux véritables parce que évidemment ça se chiffre en millions
12:47 tout de suite, là en l'occurrence en milliards, mais on voit mal finalement à quoi ça correspond.
12:52 Je me trouve devant un secteur qui est complètement en position de mort clinique parce que quand
13:01 une structure de spectacle vivant ferme ses portes pendant plusieurs mois, le risque est
13:06 immense et je dois dire qu'on a sauvé tout le monde.
13:10 J'étais encore il y a deux jours chez un grand syndicat d'organisateurs de spectacles,
13:18 ils m'ont dit "on a sauvé tout le monde grâce à vous".
13:21 Mais on voit tout de suite qu'il y a deux choses.
13:25 Il y a d'abord la montée des industries culturelles qui fait qu'il y a une véritable lutte entre
13:33 le ministère d'entre Bercy pour des raisons financières mais aussi pour des raisons de
13:39 pouvoir.
13:40 Les financiers, les grands argentiers pensent que les industries culturelles doivent ne
13:47 plus ressortir finalement du ministère de la culture mais revenir dans un giron économique
13:53 classique.
13:54 Et là on a eu évidemment, on a et on aura toujours de grandes difficultés à ce niveau-là.
13:59 Et puis effectivement devant ce monde en perdition et j'y reviens, on a toujours tendance à
14:07 trouver que la culture ça coûte beaucoup d'argent.
14:10 Pour reprendre la phrase de Maurice Druon célèbre "le monde de la culture s'avance avec la
14:16 sébie dans une main et le cocktail molotov dans l'autre".
14:20 Je le sais ça mais ce monde il devait l'aider, on m'avait donné des chiffres qui ne nous
14:27 convenaient pas.
14:28 Et j'ai dit à Jean Caspec qu'il me faut deux milliards et j'ai eu les deux milliards.
14:33 Donc il faut du poids politique aussi au ministère de la culture.
14:36 Deux milliards c'est… En plus du budget !
14:38 Bien sûr, du budget habituel.
14:40 Mais alors ces deux milliards en plus ils vous ont permis de dispenser des aides pour
14:47 un secteur qui à l'époque du Covid, puisque vous avez été en grande partie ministre
14:52 du Covid.
14:53 Ah oui vous avez raison, j'ai été ministre du Covid.
14:57 Cette somme elle y allait à des artistes qui n'étaient pas tous contents.
15:01 Non bien sûr, c'est sans doute pour cela que le bandeau, le bal des hypocrites trouve
15:09 sa raison d'être.
15:10 C'est-à-dire que devant cette souffrance qui était vraiment très forte et que j'ai
15:16 comprise, il y avait une sorte de torsion.
15:20 Il y avait bien sûr une reconnaissance qu'on m'exprimait en secret et une agressivité
15:27 qu'on m'exprimait en public.
15:28 Jamais l'inverse ?
15:29 Non.
15:30 Non, en fait…
15:31 Oh c'est le jeu, écoutez, j'en suis pas mort.
15:38 Pour vous parler d'artistes qui sont des artistes connus, qui a priori ont eu une carrière
15:47 qui est entourée de succès, par exemple Benjamin Abiolet ou bien encore Clara Luciani
15:54 qui vous ont reproché de ne pas les aimer assez.
15:58 Vous savez, le problème dans l'amour c'est les preuves d'amour.
16:01 Ou c'est le bachelot.
16:02 Oui, et puis il y a quelque chose aussi d'assez spécifique au monde de la culture, c'est
16:08 que dans un autre secteur, on peut parler à des organisations constituées, des syndicats,
16:14 des groupes professionnels qui s'expriment au nom d'un groupe et c'est tout à fait
16:19 important d'avoir ces interfaces.
16:21 Ça existe dans le monde de la santé, dans le monde économique.
16:26 Mais un artiste ne se sent jamais représenté par une organisation professionnelle.
16:31 Et tant mieux d'ailleurs ! Un artiste c'est vraiment une démarche individuelle.
16:35 Donc je me suis trouvé devant cette multiplicité d'identités, d'artistes qui ont, on le
16:44 comprend, qui peuvent avoir un égo à la hauteur de leur talent et qui ne comprenaient pas
16:48 que…
16:49 C'est un peu langue de bois quand même.
16:51 Non, il y a une certaine malice dans ce que je dis.
16:54 Quand on me connait, je ne suis pas langue de bois.
16:59 On va dire encore que je pique.
17:03 Quand je dis un égo à la hauteur de leur talent, vous trouvez que c'est une gentillesse.
17:09 Oh là là là là.
17:11 Moi je suis là pour vous écouter.
17:13 C'est ça, voilà, exactement.
17:14 Très bien, continuez.
17:16 Et donc, il y a eu quelques dérapages de leur part, mais vous savez, tout ça n'a
17:24 guère d'importance.
17:25 On continue d'évoquer ces 682 jours que vous avez passés au ministère de la Culture,
17:31 Roselyne Bachelot.
17:32 C'est le titre de votre ouvrage publié aux éditions Plon.
17:36 Vous nous direz effectivement ce qui a été fait concrètement pendant la période du
17:41 Covid et puis aussi les différentes initiatives qui ont été lancées.
17:45 On a parlé il y a quelques instants, c'est la une, du journal La Croix aujourd'hui
17:49 sur le pass culture, sur le coût des institutions culturelles.
17:53 Il y a des choses tout à fait surprenantes.
17:55 On apprend par exemple le coût des opéras parisiens dans votre ouvrage et on sait à
18:00 quel point ces budgets sont des budgets discutés.
18:05 On se retrouve donc dans quelques instants, Roselyne Bachelot.
18:07 En attendant, il est 8h sur France Culture.
18:09 Oui, les questions de politique culturelle, Roselyne Bachelot.
18:18 Vous décrivez votre quotidien d'ancienne ministre de la Culture dans un ouvrage intitulé
18:23 682 jours aux éditions Plon.
18:26 Vous décrivez les décisions qu'il faut prendre, la manière dont les individus selon
18:32 vous sont ingrats, hypocrites parfois, intéressés, également humains finalement.
18:41 Ça résume assez bien cette situation.
18:43 Justement, puisque l'on parle d'humains et d'émotions humaines, c'est quand même
18:49 drôle de décision de vouloir devenir politique.
18:53 Les politiques considèrent par exemple que les électeurs, les gens sont souvent ingrats.
18:57 C'est un métier difficile.
18:59 Il semblerait qu'on soit rarement récompensé.
19:01 Que vous en pensez ?
19:02 Le métier, si tant est que c'est un métier, de faire une carrière politique, disons
19:07 plutôt que ce sont des fonctions, c'est vrai, la considération dont on bénéficie,
19:17 l'amour qu'on vous porte a considérablement diminué.
19:20 Je suis moi-même rentrée en politique, j'ai été élue, ça fait 40 ans.
19:24 En mars 1982, je ne peux que constater la détérioration de tout cela.
19:32 Mon père était député avant moi.
19:35 Alors là, quand on se réfère à la considération dont il jouissait, c'est tout à fait incroyable.
19:43 Pourquoi ? Les raisons sont connues.
19:45 L'interdiction du cumul des mandats, sur lequel je me suis lourdement gaufré, parce
19:50 que j'étais une militante de l'interdiction du cumul.
19:53 Je considère que c'est une faute d'avoir milité pour cela.
19:59 C'est bon de reconnaître ses erreurs.
20:01 Le fait qu'effectivement, les métiers de l'économie sont nettement plus rémunérateurs,
20:08 deuxième raison.
20:09 Et puis, troisième raison, une sorte d'animosité de l'opinion publique à votre endroit.
20:17 Là, on le voit sur le débat sur les retraites, c'est tout à fait considérable.
20:21 On agresse même physiquement un certain nombre d'élus.
20:26 Ça existait aussi de mon temps.
20:27 Là, ça prend quand même des proportions considérables.
20:29 Vous, vous avez connu une histoire assez singulière lors de l'épidémie de grippe
20:36 H1N1 en 2009.
20:37 Vous avez été raillé pour vos décisions qui ont été jugées alarmistes.
20:41 Et puis alors, lorsque l'épidémie de Covid a débuté, vous êtes devenu une sainte.
20:46 C'est ça.
20:47 Je pense même que je dois avoir des nicones avec des petites plujis allumées.
20:52 Non, mais c'est très intéressant.
20:54 Je savais qu'on me rendrait justice.
20:56 Je pensais que ce serait après ma mort.
20:57 J'ai eu la satisfaction de voir que j'étais de mon vivant.
21:00 C'est assez signifiant et c'est plus sympathique.
21:04 Non, mais c'est vrai que j'ai vu aussi dans cette crise que j'ai regardé d'abord
21:09 comme simple citoyenne et puis ensuite en rentrant dans le ventre du monstre, en étant
21:13 ministre et en assistant à tous ces comités qui décident de la politique sanitaire, j'ai
21:21 vu que les principes qui m'avaient guidé étaient plus que jamais d'actualité, c'est-à-dire
21:26 le principe de prévention, de précaution et d'avoir des politiques finalement qui
21:32 sont à la croisée des chemins.
21:34 La politique culturelle, la politique sanitaire, la politique d'administration globale de
21:39 l'État.
21:40 Jean Lemarie, notre éditorialiste politique, veut vous poser une question.
21:42 Au début de la pandémie, là je parle du Covid, vous racontez aussi dans le livre
21:47 que vous êtes effaré, c'est-à-dire que vous constatez que dans plusieurs domaines
21:51 essentiels, on n'a fait aucun progrès.
21:54 Et vous le dites.
21:55 Oui, c'est vrai.
21:56 Alors ce qui est même tout à fait, Jean Lemarie, incroyable, c'est qu'on m'a reproché
22:00 d'être à l'origine de ces déficiences.
22:02 En disant, comme on a estimé que vous en aviez fait beaucoup ou trop au moment de l'épidémie
22:09 de la grippe A H1N1, trop, la terreur des ministres qui m'ont succédé a été de
22:16 se dire qu'il ne faut surtout pas en faire trop, il ne faut pas faire de catastrophisme.
22:21 Mais il faut obligatoirement en faire trop par rapport à l'évolution d'une pandémie
22:26 parce que si on n'en fait pas assez et que la pandémie est grave, on se trouve évidemment
22:31 en état d'impuissance.
22:33 Mais c'est curieux.
22:34 On a parlé d'un syndrome Bachelot, j'ai trouvé ça tout à fait étonnant.
22:38 Alors les Français sont ingrats, c'est ce que disent les politiques.
22:41 Vous dites qu'en politique, le niveau a baissé.
22:44 Oui, c'est pour les raisons que je viens d'évoquer.
22:48 On a perdu ces animaux politiques.
22:52 Je raconte mon arrivée à l'Assemblée Nationale en 88.
22:56 Quels sont les personnages que j'ai devant moi ? Chirac, Baladur, Pasquois, Séguin,
23:03 Juppé, Toubon, Michel Aliaumari, Michel Barzac.
23:06 Derrière ces types, il y a 30 gars du même calibre.
23:11 Maintenant, on est bien obligés de considérer… J'arrive devant le groupe LR, je ne vais
23:17 pas reciter les noms parce que ce serait d'une cruauté totale.
23:20 Il paraît que c'est la journée de la bienveillance aujourd'hui.
23:23 C'est toujours la journée de quelque chose.
23:24 Oui, c'est toujours la journée de quelque chose.
23:26 Et j'ai donc décidé d'être bienveillant.
23:29 On peut considérer que sans doute les meilleurs seront de moins en moins intéressés par
23:36 la politique.
23:37 Vous dites pas seulement ça, vous donnez une cause sociologique.
23:40 Vous dites finalement que les politiques capables se sont planquées en région.
23:43 Oui, alors il y a effectivement… Vous parliez au début de notre entretien de la valse des
23:50 ministres.
23:51 Le fait qu'on avait eu en 10 ans pas moins de 6 ministres de la culture.
23:57 Quand vous êtes élu dans votre région, un mandat de 6 ans, vous êtes tranquille.
24:03 Vous êtes là.
24:04 Vous êtes le chef de votre administration locale.
24:08 En général, les gens vous aiment beaucoup mieux que les ministres parce que vous avez
24:12 des politiques de proximité qui sont immédiatement détectables par le citoyen.
24:18 Vous pouvez créer aussi des systèmes de consultation locale qui donnent l'impression,
24:24 pas toujours réelle en fait, d'une démocratie participative.
24:29 Effectivement, les grands ténors préfèrent être à la tête de leur conseil régional,
24:35 départemental ou de leur grande mairie.
24:38 On le constate.
24:39 Chez les républicains, c'est particulièrement visible.
24:42 Finalement, toutes les stars des républicains, quasiment, sont à la tête d'une collectivité
24:47 territoriale.
24:48 Et quand on vous propose par exemple d'être ministre, je sais que le président de la
24:53 république a essuyé plusieurs refus quand il a demandé lors de la constitution du
24:57 casting de 2022 à un certain nombre de grands élus locaux de rejoindre son équipe.
25:03 Puisque l'on parle de politique culturelle et d'Emmanuel Macron, comment définiriez-vous
25:08 la politique culturelle poursuivie par Emmanuel Macron ?
25:13 C'est à ses fruits qu'on juge un arbre.
25:16 D'abord, je crois qu'il y a quelque chose de très signifiant dans la politique d'Emmanuel
25:22 Macron.
25:23 C'est que chaque président a souhaité en quelque sorte qu'une structure emblématique
25:29 porte sa signature politique.
25:32 C'est le musée du Quai Branly pour Jacques Chirac.
25:36 C'est évidemment les grands travaux de François Mitterrand, le centre Pompidou pour
25:41 Georges Pompidou.
25:42 Même si ce n'est pas lui.
25:44 Évidemment, pour les raisons qu'on connaît, il l'a inauguré.
25:46 Pas plus que le musée d'Orsay pour Valéry Giscard d'Estaing.
25:49 Quelle est la caractéristique de tout cela ? C'est que ces structures sont toutes à
25:53 Paris.
25:54 Qu'a choisi Emmanuel Macron ? De faire un centre de la francophonie et de la langue
26:00 française à Villers-Cotterêts, dans la région de France la plus démunie, les Hauts-de-France,
26:05 et dans la partie des Hauts-de-France qui est la partie la plus pauvre.
26:09 Ça, c'est un acte politique extrêmement signifiant pour Emmanuel Macron.
26:14 La deuxième action qui me paraît aussi extrêmement parlante, c'est le pass culture, dont La
26:21 Croix, je crois, fait le bilan aujourd'hui.
26:23 Elle fait la une sur le pass culture.
26:27 C'est cette volonté de démocratisation culturelle axée sur la jeunesse.
26:32 Et c'est vrai que nous avons pu faire des évolutions considérables sur le pass culture
26:38 pour faire en sorte que, je suis moi-même une militante du pass culture, puisque quand
26:42 j'étais conseiller régional, nous avions déjà un pass culture dans notre région
26:47 des Pays de la Loire, pour faire en sorte que ce ne soit pas un simple chéquier qui
26:50 permette des achats de biens culturels, mais qu'il y ait des accompagnements pour faire
26:57 en sorte que cette démocratisation ne soit pas une démocratisation en peau de lapin.
27:02 Ces deux choses sont signifiantes.
27:05 Et puis, quand je dis, Guillaume Erner, que nous avons fait ce qu'aucun autre pays n'a
27:12 fait pour soutenir la culture, oui, bien sûr, j'ai porté ces dossiers, mais celui qui
27:18 in fine l'a décidé, c'est Emmanuel Macron.
27:21 Mais une partie des milieux culturels disent que le pass culture, c'est une manière d'acheter
27:26 des mangas, ce qui est une bonne chose pour ceux qui vendent les mangas.
27:30 Mais toujours des visions extrêmement larges et bienveillantes.
27:35 On en a l'habitude.
27:36 Alors, moi, je continue dans ce cas là sur les visions bienveillantes de Roselyne Bachelot,
27:41 parce que dans certaines pages, je vous ai gratiné quand même les choses.
27:43 Sinon, c'est pas drôle de faire des trucs à l'eau de rose.
27:47 Vous parliez des grands travaux, vous disiez d'ailleurs il y a quelques instants que ces
27:51 grands travaux étaient représentatifs finalement de ce que les grands présidents avaient fait.
27:56 Les grands travaux de Mitterrand sont assassinés dans votre livre.
27:59 Ils ne sont pas assassinés, ils sont réinterrogés.
28:02 Et je dis par exemple à quel point j'aime les colonnes de Buren qui ornent maintenant.
28:09 Dieu sait s'ils ont fait l'objet de débats et que je voyais tous les jours dans la cour
28:13 du Palais Royal.
28:14 Mais je dis qu'il y a un certain nombre de choses qui évidemment n'étaient pas prises
28:19 en compte.
28:20 Et en particulier le sujet majeur qui nous interpelle tous les jours, celle de la transition
28:26 écologique et de la lutte contre le réchauffement climatique.
28:28 Et on a effectivement dans ces grands travaux, mais ce n'est pas un reproche que je fais,
28:34 c'était l'époque.
28:35 Ce sont des passoires thermiques et ce sont maintenant des choses qui laissent le ministère
28:42 de la Culture de façon considérable.
28:43 On parlait au début de notre entretien de ces 500 milliards d'euros nécessités par
28:48 la transition écologique, la lutte contre le réchauffement climatique dans les bâtiments
28:52 publics.
28:53 Mais c'est incroyable.
28:55 Et quand on regarde tous ces grands travaux, on ne peut que considérer cela.
29:01 Et justement lorsqu'on parle des grands travaux, notamment de l'opéra Bastille,
29:06 mais aussi des deux opéras parisiens, on découvre dans votre livre que ces deux institutions
29:13 pèsent d'un poids particulièrement élevé dans les financements qui sont dévolus à
29:19 la culture.
29:20 Et c'est quand même que, pour le dire de manière large et bienveillante, ce sont plutôt
29:26 des institutions destinées à la culture des vieux.
29:31 Ce sont une grande bienveillance chez vous.
29:34 Donc comment fait-on pour défendre ces institutions qui coûtent beaucoup d'argent et qui sont
29:43 là aussi destinées à une petite partie de la population ?
29:46 Vous savez, de toute façon, et il faut bien resituer le spectacle vivant, il y a plus
29:53 de 50% de nos compatriotes qui ne vont jamais dans un lieu de spectacle vivant.
29:58 Que ce soit un théâtre, un opéra, une salle de concert, un cabaret, un cirque, même
30:07 certaines études mettent 58%.
30:10 Et dans les gens qui fréquentent les lieux culturels de façon régulière, on dit 10
30:17 fois par an, c'est-à-dire à peu près une sortie par mois, c'est moins de 10% des
30:21 Français.
30:22 Donc la question de la démocratisation de la culture, elle est devant nous puisque finalement
30:27 les politiques culturelles ont été constituées depuis 60 ans par le fait de poser sur la
30:33 table du banquet des mets de plus en plus nombreux et de plus en plus savoureux et de
30:38 ne pas changer les convives autour de la table.
30:41 Donc la question de la démocratisation, c'est à ça aussi que doit servir le Passe
30:45 Culture, c'est d'accompagner des jeunes vers des théâtres, vers des concerts, etc.
30:51 Et l'opéra, d'abord c'est un art majeur qui doit être soutenu, démocratisé, et
30:59 Dieu sait si les grands patrons et les équipes des opéras et en particulier de l'Opéra
31:06 de Paris s'y emploient, et c'est une fantastique vitrine pour la France.
31:11 Il ne s'agit pas de se priver de cette vitrine.
31:14 L'Opéra de Paris, c'est une des plus grandes maisons d'opéra du monde.
31:18 Il ne s'agit pas de la fermer, au contraire, j'ai voulu la soutenir parce qu'elle était
31:22 en état de cessation de paiement avec la crise.
31:26 NICOLAS ROCHEFORT - Personne ne veut soutenir l'opéra, mais vous connaissez…
31:29 NICOLAS ROCHEFORT - Personne ne veut le fermer.
31:32 C'est un absurde parce que la suite de ma question consistait à dire que lorsque l'opéra
31:40 est attaqué, il l'est tout simplement parce qu'il représenterait une institution culturelle
31:47 pour les élites.
31:48 Vous avez vu la décision par exemple de la municipalité de Lyon d'arrêter les crédits
31:54 à cette institution lyonnaise.
31:55 NICOLAS ROCHEFORT - De diminuer fortement les crédits de l'Opéra de Lyon.
31:58 Ça, c'est l'une des preuves que finalement on assiste à un débat au sein des milieux
32:04 culturels entre la culture dite cultivée et la culture dite populaire.
32:09 Prenez les termes que vous voudrez, mais en tout cas c'est cela que ça veut dire.
32:12 NICOLAS ROCHEFORT - Tout le monde comprend ce que vous voulez dire.
32:14 D'abord, il y a, et j'ai trouvé que c'était évidemment dangereux et méritait d'être
32:23 évoqué, un certain nombre de collectivités territoriales ont revisité le soutien à
32:31 des institutions culturelles.
32:33 Et pour être tout à fait juste, il y a eu aussi bien la baisse des crédits voulues
32:38 par Grégory Doucet sur l'Opéra de Paris, mais il y a eu par exemple, pour parler de
32:44 Laurent Wauquiez, pour faire l'équilibre entre les deux, ne plus soutenir la Ville
32:50 et Dieu sait si c'est une institution culturelle auquel je pense vous et moi sommes profondément
32:58 attachés, étant donné le boulot remarquable qui est fait.
33:01 Donc on voit que la crise, hélas, avec les difficultés qu'ont rencontré les collectivités
33:08 territoriales, je suis tout à fait prête à en convenir, mais on a considéré que
33:13 finalement c'était quelque chose de secondaire que de soutenir les institutions culturelles.
33:17 On a souvent utilisé des arguments de démocratisation que je ne partage pas.
33:25 Finalement, je ne peux que regretter ces positions, mais aussi en quelque sorte, devant les difficultés
33:31 de l'époque, de voir que pratiquement on ne parle pas de culture dans le débat public.
33:38 Vous parliez tout à l'heure de la disparition, du chômage, du débat public.
33:43 On pourrait parler aussi de la disparition de la culture dans le débat public et je
33:48 trouve cela extrêmement dommageable.
33:50 Finalement, est-ce que ce sont seulement les Ukrainiens qui vont nous parler de culture ?
33:54 Nicolas Demorand : il y a en tout cas eu un terme malheureux, c'est le terme de secteur
33:58 non essentiel pendant la période de Covid.
34:00 Charline Vanhoenacker : oui, alors bien sûr, je m'en suis expliqué.
34:04 C'est vrai que la définition de culture essentielle en termes administratifs, ça
34:11 décrit les commerces de subsistance.
34:13 Nicolas Demorand : voilà, pour simplifier, on mange tous les jours, on ne va pas au
34:17 théâtre tous les jours, mais dans un monde qui était avif, avif de souffrance, de frustration,
34:27 d'inquiétude, le terme utilisé par le président de la République en disant « oui, les commerces
34:33 essentiels vont rester ouverts, sous-entendus, ensuite, il énumère les structures fermées
34:40 et il parle des structures culturelles », ça a été une sorte de coup de poignard pour
34:47 beaucoup.
34:48 Charline Vanhoenacker : mais ce coup de poignard, il signifie aussi peut-être, Roselyne Bachelot,
34:53 que au fond, dans l'inconscient des politiques, on a affaire à des femmes, des hommes qui
35:00 sont peut-être cultivés à titre personnel, mais qui considèrent que l'État doit se
35:07 désengager de ce secteur de plus en plus.
35:10 Alors vous posez une question philosophique de fond.
35:13 Est-ce que la culture fait partie de la vie privée ? Et que la culture est une démarche
35:22 essentiellement personnelle, basée sur des goûts personnels, l'État étant un simple
35:29 prestataire de services qui offre un certain nombre, qui a une offre culturelle.
35:36 Ou alors, est-ce que l'État est responsable d'une politique culturelle qui est en dialogue
35:43 avec la société civile et qui ne se contente pas d'être un offreur de services, mais
35:49 qui agit comme une véritable intermédiation, et même mieux, qui décide par ses choix
35:57 politiques de quelle culture on va avoir ?
36:00 Vous voyez que là, on rentre dans un débat déjà beaucoup plus affiné.
36:06 Moi je suis clairement pour la deuxième chose, c'est-à-dire que la culture c'est une politique
36:13 culturelle, avec le bémol qu'il faut respecter l'intégrité des artistes et ne pas se comporter
36:19 justement comme un décideur de ce qui est beau et de ce qui est bien.
36:24 NICOLAS ROSIN-BACHAUD, je ne peux pas vous laisser partir sans vous parler de l'audiovisuel
36:28 public, puisque quand on parle de politique culturelle à France Culture, on est…
36:32 C'est la moitié du budget de la culture en Europe.
36:35 C'est une partie du budget de la culture, mais vous savez que les sources de financement
36:40 sont différentes, ou plutôt étaient différentes.
36:42 La suppression de la redevance.
36:43 Pour être tout à fait clair, j'étais contre la suppression de la redevance.
36:48 Oui, pourquoi ?
36:49 Alors, je pense que l'audiovisuel public doit avoir un financement parfaitement identifié.
36:57 Et que la budgétisation porte en elle le risque de considérer que le budget de l'audiovisuel
37:05 public peut être une variable d'ajustement d'autres politiques.
37:09 C'est très important de garder une identité.
37:13 Alors, la budgétisation, est-ce qu'elle est actée actuellement comme définitive,
37:20 ou est-elle une budgétisation transitoire vers l'imagination d'un financement pérenne
37:30 et parfaitement identifiable ?
37:32 Là, moi, je n'ai pas la réponse.
37:34 Je ne suis plus aux affaires.
37:35 Mais en tout cas, je souhaite que la budgétisation qui a été décidée, puisqu'elle a permis
37:41 la suppression de la redevance, qui est un élément d'augmentation du pouvoir d'achat,
37:46 qu'on a tendance aussi à oublier, si c'est une mesure transitoire pour réfléchir à
37:52 un financement pérenne, bon, d'accord.
37:55 Mais la budgétisation en elle-même porte des dangers considérables.
38:00 Mais au-delà de ça, est-ce que ça ne signifie pas qu'il y a une forme de désamour, de désintérêt
38:05 entre la classe politique, une partie de la classe politique et l'audiovisuel public ?
38:10 De toute façon, je condamne les attaques absolument incroyables qu'il y a eu contre
38:15 l'audiovisuel public.
38:17 Enfin, il y a toute une partie de la politique qui a, je pense par exemple à Madame Le Pen
38:25 lors du débat présidentiel qui a prôné la privatisation de l'audiovisuel public.
38:30 C'est un sujet sur lequel je me suis clairement opposé.
38:35 Quand on voit par exemple un présentateur de télévision, pour le nommer Cyril Hanouna,
38:43 qui a tenu des propos sur l'audiovisuel public qui m'ont sidéré, c'est quelque chose
38:48 avec lesquels je ne suis pas d'accord et je l'exprime de façon tout à fait claire.
38:54 Rétrospectivement, Roselyne Bachelot, qu'est-ce que vous auriez dû faire différemment durant
38:57 ces 682 jours ?
38:59 Ce que j'aurais dû faire différemment, c'est d'une certaine façon parfois ne pas
39:09 me laisser engloutir par la crise.
39:11 C'est véritablement, je l'ai fait mais pas autant que je l'aurais voulu, que j'aurais
39:17 peut-être pu, que je l'aurais souhaité.
39:19 Étant donné les difficultés qui sont à l'œuvre, d'abord la transition écologique,
39:25 la transition numérique, la répartition des pouvoirs et surtout les nouvelles donnes
39:32 sociétales, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, l'égalité entre
39:38 les hommes et les femmes ou la diversité qui sont des sujets cruciaux dans le monde culturel,
39:45 on a perdu du temps.
39:47 On a perdu du temps avec la crise et c'est d'autant plus grave que la crise a accéléré
39:55 toutes ces transitions qui sont à l'œuvre.
39:58 C'est vrai que j'ai un goût d'inachevé dans cette affaire mais il faut l'accepter.
40:07 J'ai essayé de faire mon boulot le mieux possible.
40:09 Et ce dont vous êtes la plus fière, Roselyne Bachelot ?
40:13 C'est tout ce qui relève des questions de justice.
40:17 C'est aujourd'hui la commémoration de la Shoah et de la libération du camp d'Auschwitz
40:25 où j'étais avec Jean Castex l'an dernier.
40:27 Quand j'ai rendu les biens juifs poliés, quand je me suis battu pour cela, c'est sans
40:34 doute la chose pour laquelle j'ai eu le plus d'émotion et dont peut-être je suis le plus
40:40 fier.
40:41 Roselyne Bachelot, 682 jours, le bal des hypocrites, le livre que vous publiez au
40:47 Éditions Plon qui permet de suivre le quotidien d'un ministre de la Culture.
40:53 Merci d'avoir été en notre compagnie ce matin Roselyne Bachelot.

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