L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 5 Octobre 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 5 Octobre 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 *Générique*
00:04 Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Bonjour Jean-Claude Michéa.
00:08 Bonjour.
00:08 Je suis ravi de vous recevoir parce que vous êtes un philosophe rare.
00:11 Vous publiez Extensions du Domaine du Capital aux éditions Albain Michel.
00:15 Alors rare d'abord sur les médias, vous détestez les interviews, les médias dominants.
00:19 Donc j'ai intérêt à bien me tenir.
00:21 La dernière fois que vous avez croisé un journaliste mainstream, c'était pour votre Avoineux, il y a 5 ans.
00:27 Vous êtes également un philosophe rare parce que vous êtes difficilement classable.
00:31 Vous êtes né communiste dans une famille communiste.
00:33 Vous n'avez jamais renié et cela ne vous a pas empêché d'être un grand lecteur d'Orwell,
00:38 qui est probablement l'un des auteurs qui vous a le plus donné à penser, aux côtés du vieux Marx.
00:42 Mais ça, c'est plus classique pour un communiste.
00:45 Et puis enfin, vous êtes inclassable parce que vous êtes de gauche,
00:49 mais mal aimé par une partie de la gauche, par la bourgeoisie écologiste.
00:52 Comme vous dites, vous nous expliquerez qui ils sont, une partie de la gauche que vous n'aimez pas, qui ne vous aime pas.
00:59 Et si je devais résumer l'un des grands changements dans votre vie,
01:03 vous habitez aujourd'hui à la campagne, vous avez vécu très longtemps à Montpellier,
01:06 mais désormais vous êtes dans les Landes.
01:08 Et d'ailleurs, vous avez un très beau t-shirt aujourd'hui avec un mouton.
01:12 Qu'est-ce que c'est que ce mouton, Jean-Claude Michel ?
01:14 - C'est un hommage au principal groupe de rock landais, l'inspecteur Clouseau.
01:19 Ce sont des grandes vedettes là-bas qui sont extraordinaires.
01:22 Cet été, ils avaient fait un concert extraordinaire aux arènes de Mont-de-Marsan.
01:26 Et alors, il faut dire quelque chose, c'est un groupe qui, 6 mois par an,
01:30 a tourné aux Etats-Unis, au Japon et dans le monde entier, sauf en France.
01:34 Et 6 mois par an, ils élèvent des oies, pas très loin de chez moi,
01:37 et font un foie gras, des rillettes, des produits locaux très recherchés.
01:41 Ils alimentent certains restaurants parisiens.
01:44 Et du coup, ça s'explique aux Etats-Unis, leur statut de rock farmer qui les a rendus très célèbres.
01:49 - Tant qu'à venir à Babylone, j'ai voulu rendre hommage à mes...
01:55 - A vos voisins, vous carrément !
01:57 - A mes voisins, mes concitoyens, donc c'était un hommage à l'inspecteur Clouseau.
02:01 - Qu'est-ce que ça a changé, ce déménagement, Jean-Claude Michel,
02:04 dont vous parlez dans "Extension du domaine du capital", votre dernier livre, aux éditions Alba Michel ?
02:09 - Ça a changé énormément de choses.
02:11 Comme je dis tout le temps, la première chose qu'on vérifie, je le dis maintenant depuis 7 ans,
02:16 la vraie ruralité, c'est-à-dire le village où il n'y a ni café, ni commerce,
02:23 désert médical absolu.
02:25 Et donc, la première chose qu'on vérifie, c'est à quel point Christophe Guilly...
02:31 - Le géographe.
02:32 - Le géographe décrit la réalité, il faut le préciser,
02:35 parce qu'il est toujours l'objet lui-même de campagnes et de croisades métropolitaines
02:42 remettant en question le concept de France périphérique, que lui-même a toujours nuancé.
02:47 Et c'est la première chose qu'on vérifie.
02:49 Mais surtout, puisqu'on est dans un monde médiatique,
02:52 la chose qui est la plus frappante quand on habite depuis 7 ans dans la ruralité profonde,
02:58 c'est le fait que les gens de là-bas, les gens d'ici pour moi quand j'y suis,
03:03 ce sont des gens dont la vision est toujours en stéréo pour une simple raison,
03:08 ils ont d'un côté le monde qu'ils ont sous leurs yeux, dont je parle en partie dans le livre,
03:13 et ils ont le monde qu'ils voient sur les écrans, ou qui leur vient par les médias,
03:17 et qui est un monde assez surréaliste, parce que rien n'est plus étonnant comme expérience
03:21 que de regarder la télévision, d'écouter la radio,
03:25 quand on est dans cette ruralité profonde,
03:30 notamment les clips publicitaires qui décrivent un monde quasiment martien.
03:34 Et donc les gens sont toujours là-bas, obligés de naviguer entre deux visions du monde,
03:38 ce qui explique à quel point ça les rend souvent plus critiques.
03:41 Alors que lorsqu'on est dans une grande métropole, et particulièrement à Paris,
03:45 les médias vous renvoyant votre propre reflet,
03:48 il est beaucoup plus difficile d'imaginer une autre vie que celle que l'on a.
03:54 - Mais alors, elle ressemble à quoi votre vie Jean-Claude Michéa aujourd'hui ?
03:58 Je crois que vous prenez soin avec votre épouse de votre jardin,
04:02 c'est quelque chose qui compte beaucoup.
04:05 Qu'est-ce que vous faites là-bas que vous ne pourriez pas faire ici,
04:09 avec votre jardin, avec votre culture, avec votre manière d'être plus près de la terre ?
04:15 - Le terme de jardin ne plairait pas tout à fait à ma femme.
04:18 - C'est un terme de Parisien.
04:20 - Celle qui organise, dirige, vietnamienne d'origine, fille de maraîcher,
04:25 elle a la main verte et un savoir paysan extraordinaire,
04:29 et beaucoup plus qu'un jardin, c'est elle qui dirige et qui s'en occupe
04:34 vraiment les trois quarts du temps.
04:37 Mais à travers ça, ce que j'apprends personnellement,
04:40 c'est à quel point Orwell avait raison dans le cas de Wigan,
04:43 lorsqu'il dit à un moment donné, quand on n'a plus l'usage de ses mains,
04:47 c'est toute une partie de notre personnalité qui disparaît.
04:50 Et le fait que là-bas, tout le monde travaille de ses mains,
04:53 vous avez même, c'est des choses qu'on voit rarement à Bercy,
04:56 beaucoup de gens à qui il manque un doigt, qui sont coupés,
04:59 les histoires de tronçonneuses, etc.
05:01 On voit à quel point le travail manuel est quelque chose
05:04 qui modifie la vision du monde, et on comprend à quel point
05:07 on a perdu quelque chose quand on est dans ce mode de vie coupé
05:12 de tout ce qui est le rapport avec la matière.
05:15 Et je pense qu'il y aura un lien à faire avec la déconnexion généralisée
05:19 de l'esprit métropolitain, et ce qu'on apprend au contraire
05:23 dans le terrain, quand on vit au plus loin de ces métropoles.
05:26 - Je ne dis pas ça parce que vous venez d'évoquer ces accidents,
05:29 qui peuvent être graves d'ailleurs, un doigt coupé,
05:31 mais vous avez un médecin à côté de chez vous ?
05:33 - Alors c'est très drôle, parce que dans le livre,
05:36 on parlait de désert médical, dans le livre, j'avais signalé,
05:40 donc il est fait sur deux ans, la première année,
05:42 le seul médecin qu'on a trouvé capable d'accueillir des nouveaux patients
05:46 avait 76 ans, donc il en a 77 cette année,
05:49 mais le scoop qui n'est pas dans le livre,
05:51 c'est qu'il y a si peu de médecins capables de prendre de nouveaux patients,
05:56 qu'il y a eu récemment des enchères entre les communes,
05:59 et que pour 50 000 euros, une commune assez lointaine
06:02 a réussi à s'emparer de celui qui était à 10 km de chez nous,
06:06 qui a été acheté à 77 ans, transféré,
06:11 c'est un transfert, c'est le mercato rural désormais,
06:14 où à la fin de saison, on met de l'argent sur la table
06:18 pour s'assurer les services d'un médecin.
06:20 Donc ça, c'est vraiment le désert médical.
06:22 J'ai lu d'ailleurs que si la France rurale maintenant
06:25 a une espérance de vie de deux ans inférieure à celle des métropoles
06:28 et de leurs banlieues, c'est pas parce que la vie est moins saine,
06:32 au contraire, mais c'est que là, personne n'a le temps
06:36 d'aller se faire observer la naissance d'un cancer.
06:41 Tout est pris toujours trop tard, parce qu'effectivement,
06:43 le moindre rendez-vous chez l'opticien, c'est des mois, des mois,
06:46 voire parfois un an, et j'ai compris ça,
06:49 ce qu'est un désert médical.
06:51 Quand on est à Montpellier, première faculté de médecine d'Europe
06:53 avec Bologne, et où il y a un médecin tous les 10 mètres,
06:56 ça, c'est vraiment un choc culturel.
06:58 - C'est quoi ? C'est une France oubliée ?
07:00 C'est une France méprisée, Jean-François Michel ?
07:02 - C'est une France oubliée, c'est évident,
07:06 puisque sur les médias, je ne vois jamais l'écho,
07:08 pour l'essentiel, de ce que je vis et ce que je vois autour de moi.
07:12 - Oh, il y a un feu sur Ferre-Séguur, vous exagérez !
07:15 - La vraie ruralité profonde, celle qui est à 140 km
07:18 de la première métropole. Je vais vous donner un exemple.
07:21 Un livre sur la jeunesse rurale signalait récemment
07:25 que, alors que la jeunesse Erasmus a souvent séjourné
07:31 à l'étranger longtemps, parfois des études en Angleterre,
07:34 ailleurs, etc., ici, c'est très souvent qu'on voit le jeune
07:38 de 17-18 ans qui ne connaît même pas la capitale régionale.
07:41 Je sais très bien qu'on a un enfant de voisin,
07:44 pour ses 18 ans, on lui a offert le pèlerinage de Bordeaux,
07:47 où pour la première fois de sa vie, il découvrait ce qu'était
07:50 une métropole et une grande ville. Donc, plus on est loin
07:54 de ces grands centres métropolitains, et plus vous avez affaire
07:58 à des gens dont la parole ou les modes de vie
08:02 ne trouvent pas d'écho. Et puis persécutés, je signale
08:05 dans le livre, mais ça, il faut vraiment que les auditeurs
08:08 de France Culture le sachent, des normes européennes
08:11 ou parisiennes ou kafkaiennes, je ne sais pas d'où elles viennent,
08:14 mais nous savons que notre village a été mis à l'amende
08:17 parce que des gens descendus de Bruxelles, de Paris,
08:20 sont venus vérifier de quel côté le mode d'emploi
08:23 de l'extincteur du foyer rural se trouvait.
08:26 Il fallait qu'il soit à droite, il était à gauche.
08:29 Ça ne changeait rien. N'importe qui pouvait le voir
08:32 et savait le manier, mais on a eu une amende parce qu'on n'était
08:35 pas dans les normes européennes. Des choses comme ça,
08:38 je peux en raconter des milliers, et c'est une des expériences
08:41 que j'ai eues. - On va parler du foie gras, puisque le foie gras,
08:44 c'est une production locale, disiez-vous, il y a quelques instants,
08:47 Jean-Claude Michéa, et c'est une production qui est observée
08:50 d'un œil de plus en plus noir, méfiant
08:53 dans les grandes villes, à Paris, à New York.
08:56 - Alors là, en plus, c'est quelque chose qui mettrait
08:59 ma femme en colère, au sens où elle est devenue avec le temps
09:02 l'une des meilleures... Elle produit le meilleur foie gras
09:05 ou l'un des meilleurs, tous les gens du village sont d'accord
09:08 là-dessus, mais vous voyez, on a été tellement
09:11 métropolitain que nous, nous sommes incapables de tuer nos propres canards.
09:14 Sauf qu'au lieu d'y voir un signe de ma supériorité morale,
09:17 comme le ferait à Émeric Caron, j'y vois simplement
09:20 le fait que je suis resté très urbain et métropolitain
09:23 pour beaucoup de choses, donc je n'en tire aucune fierté.
09:26 - Tuer ou faire souffrir, puisque quand vous évoquez
09:29 le foie gras, je me dis, voilà, ça fait souffrir les animaux.
09:32 - Oui, alors là, il faut... Je serai assez d'accord avec vous,
09:35 parce que l'urbain en moi
09:38 est incapable de tuer un canard ou d'une poule.
09:41 D'autres animaux beaucoup plus dangereux,
09:44 ça c'est tout à fait différent, mais encore une fois,
09:47 c'est par tradition culturelle, non pas par supériorité
09:50 morale. Après, il ne faut pas oublier
09:53 les manières dont les éleveurs
09:56 du coin tuent leurs bêtes, ça choque l'urbain,
09:59 mais en tant que tel, il n'y a jamais de volonté
10:02 de faire souffrir, et toutes les précautions sont prises
10:05 pour que l'animal ne souffre pas.
10:08 Rien ne serait pire que de croire que ces éleveurs
10:11 sont des gens qui n'ont pas un sens profond de l'animalité.
10:14 J'avais dit dans le livre
10:17 également qu'il existe, par exemple,
10:20 sur la corrida, moi je suis absolument étranger
10:23 à cette culture au départ, mais c'est difficile quand on est dans le sud-ouest
10:26 de ne pas comprendre. Invitez vos auditeurs
10:29 à aller voir ce podcast de France Inter, où il y a l'interview
10:32 du jeune El Rafi, qui est un tauréreau
10:35 du sud-est,
10:38 et là, vous aurez les réponses à toutes
10:41 les questions que vous venez de me poser sur la souffrance animale.
10:44 Vous avez un jeune tauréreau à Rouen. - Oui, parce que, à priori, on se dit que
10:47 si on peut ne pas faire souffrir un taureau, c'est mieux, pour vous
10:50 et pour moi. - Oui, mais jamais je n'ai vu un
10:53 aficionado, par exemple, moi j'ai dû découvrir en 7 ans
10:56 cette religion locale
10:59 ne pense souffrance animale. Ils sont sur
11:02 de toute autre logique. C'est une autre culture,
11:05 et là je sais que le métropolitain ne peut pas l'entendre
11:08 et ce qu'il reste de métropolitain en moi,
11:11 ne peut pas comprendre non plus cette notion
11:14 autant, mais ça ne correspond tellement pas
11:17 à ce qu'on a sous les yeux, quand on le voit depuis une pratique
11:20 et un mode de vie, que
11:23 je pourrais quand même signaler là-dessus, ce qui rejoint ce qu'on disait,
11:26 ici, des aficionados, j'en vois tout le temps,
11:29 le paysan, les lorrains, etc., et je n'ai jamais vu un aficionado
11:32 qui commence soit par dire "moi je comprends qu'on déteste
11:35 la corrida, je comprends qu'on soit contre". J'ai jamais vu
11:38 un caronien
11:41 commencer par dire "je comprends qu'on aime la corrida".
11:44 Et là, il se passe quelque chose de plus important pour moi. - Caron, on continue
11:47 à en parler, Jean-Claude Michiat, dans une vingtaine de minutes.
11:50 "Extension du domaine du capital", c'est le livre que vous publiez
11:53 aux éditions Albain Michel.
11:56 6h39, les matins de France Culture.
11:59 Guillaume Erner. - 8h22,
12:02 nous sommes en compagnie du philosophe Jean-Claude Michiat,
12:05 vous publiez "Extension du domaine du capital" aux éditions
12:08 Albain Michel. Il était question dans le billet
12:11 "Politique du trafic de drogue à Marseille", une réaction Jean-Claude Michiat.
12:14 - Juste une petite chose, simplement, il faudrait bien
12:17 préciser aussi que depuis, je crois, 2-3 ans,
12:20 à la demande de Rostat et des institutions
12:23 européennes, le chiffre d'affaires du trafic de drogue
12:26 est désormais intégré dans le calcul du PIB.
12:29 En sorte que si on arrivait à mettre un terme au point de deal,
12:32 c'est une très mauvaise nouvelle pour Bruno Le Maire et Bercy.
12:35 Il ne faut pas oublier que...
12:38 On n'a pas intégré encore le chiffre de la prostitution, mais il est déjà dans notre
12:41 pays européen également, dans le PIB. - Si on le légalise, il restera
12:44 dans le PIB. Si on légalise le trafic de
12:47 cannabis, si celui-ci devient légal ? - Si on le légalise,
12:50 est-ce que ça sera un volume plus grand ?
12:53 Auquel cas, je ne vois pas l'intérêt de légaliser si
12:56 c'est pour le diminuer. Et donc, ça sera quelques points en moins
12:59 ou virgule en moins dans le PIB, encore
13:02 une fois, très mauvaise nouvelle pour Bercy. Il faut le préciser,
13:05 parce que ça a été vraiment très peu médiatisé, cette
13:08 décision qui a été prise, je crois,
13:11 en 2019 ou
13:14 2018. - Il y a, en tout cas, dans votre
13:17 livre "Extension du domaine du capital", Jean-Claude Michéa
13:20 et dans les livres précédents que vous aviez faits,
13:23 des notations paradoxales,
13:26 et c'est pourquoi j'aimerais que vous nous les expliquiez,
13:29 où vous nous dites que les écologistes, une partie
13:32 d'entre eux, des gens que vous n'estimez pas
13:35 être des écologistes véritables, sont les alliés
13:38 objectifs du système capitaliste. Est-ce que vous pouvez
13:41 nous expliquer pourquoi vous pensez cela ?
13:44 - Déjà, il faudrait
13:47 distinguer l'écologiste
13:50 métropolitain, qui a
13:53 souvent, je peux le vérifier maintenant, une connaissance très
13:56 limitée des réalités du terrain,
13:59 des gens qui m'entourent, paysans,
14:02 éleveurs, qui ont une attention au climat
14:05 par définition supérieure à la moyenne du français
14:08 habituel, parce que c'est son travail
14:11 qui est en jeu. - Je rappelle que vous habitez maintenant
14:14 Monde-Marsan dans l'île. - Enfin, je n'habite pas Monde-Marsan, je suis loin.
14:17 De Monde-Marsan, dans un petit village éloigné.
14:20 On monte à la capitale quand on va une fois par mois
14:23 ou deux fois par mois à Monde-Marsan. Mais ce
14:26 qui est certain, c'est que depuis quelques années,
14:29 on est au plus loin
14:32 de l'écologie de Charbonneau,
14:35 de Lulle, de Fournier, la gueule ouverte de l'écologie
14:38 de mai 68, ou a fortiori de la décroissance
14:41 qui est la reprise radicale de ce projet
14:44 auquel j'adhère personnellement. Non, ce qu'on appelle
14:47 l'écologie scoto, aujourd'hui, à écologie
14:50 on répond Marine Tondelier,
14:53 Émeric Caron, Sandrine Rousseau, c'est quelque chose
14:56 qui n'a plus rien à voir avec cette écologie ancienne
14:59 et on a vraiment l'impression, quand on les voit prendre des décisions,
15:02 que leur but numéro un est de détruire les modes
15:05 de vie non métropolitains.
15:08 Donc encore une fois, je ne suis pas du tout un
15:11 aficionado pour la corrida, mais quand on est dans le sud-ouest,
15:14 on sait que c'est un des éléments de la cohésion sociale
15:17 et culturelle, comme la chasse, comme la chasse
15:20 à la palombe, par exemple, c'est l'équivalent du ramadan dans
15:23 les villages où je suis. Les entreprises ferment pendant trois semaines,
15:26 la vie s'arrête, vous êtes dans une autre
15:29 ville et on a l'impression que
15:32 l'objectif numéro un est de détruire
15:35 ces traditions qui font encore
15:38 obstacle au capitalisme, parce que si le marché
15:41 a une vertu très connue, c'est d'éliminer toutes les traditions
15:44 et pour ça il faut un idiot utile et on en a trouvé
15:47 toute une série. - Lesquelles ?
15:50 - Justement, ce qu'est devenue Europe Ecologie Les Verts,
15:53 c'est une lance de décroissance de la radicalité
15:56 depuis cette écologie,
15:59 même encore jusqu'à Wechter, qui avait encore
16:02 vaguement en arrière-plan
16:05 l'idée qu'on ne pouvait pas découpler la défense
16:08 de l'écologie et la critique du capitalisme dans sa
16:11 vraie définition, que plus personne ne reprend aujourd'hui.
16:14 - Parce que Europe Ecologie Les Verts estime être encore très
16:17 largement critique du capitalisme, partisan
16:20 sinon de la décroissance, du moins de la sobriété,
16:23 Jean-Claude Michéa ? - Alors là, il faudrait revenir sur
16:26 j'essayais de le faire dans mon livre, sur
16:29 qu'est-ce qu'on appelle le capitalisme aujourd'hui,
16:32 il faudrait parler de la théorie de la valeur, de toute une série
16:35 de grands concepts marxistes, et en fait, de
16:38 Piketty, j'entendais Jean-Marc Jancovici l'autre fois,
16:41 chaque fois qu'il se hasarde une définition du capitalisme, c'est
16:44 quelque chose qui va inclure le boulanger du village
16:47 ou les romains du second siècle, ça n'a
16:50 plus du tout la radicalité qu'il y avait chez Marx,
16:53 c'est un concept précis et opératoire, et aujourd'hui,
16:56 dans cette extrême gauche parisienne
16:59 ou métropolitaine, le mot
17:02 anticapitaliste, quand il n'a pas été remplacé par antifascisme,
17:05 recouvre à peu près n'importe quoi,
17:08 c'est le pouvoir du 1%, de l'argent,
17:11 c'est une définition très vague, c'est un outil de communication.
17:14 - Pourquoi ? Parce que le pouvoir du 1%, pour vous, ça n'est pas
17:17 correct ? Alors vous en parlez dans "Extension du domaine du capital",
17:20 Jean-Claude Micher. - Ce n'est pas que le pouvoir du 1% n'existe pas,
17:23 il existe, et c'est plutôt
17:26 d'ailleurs un 0,1%,
17:29 et son pouvoir de définition des orientations
17:32 globales du capitalisme est extraordinaire, mais
17:35 le capitalisme ne fonctionnerait pas
17:38 si on ne comprenait pas qu'il prend appui sur
17:41 10 à 20, voire 30% de la population
17:44 dans les pays occidentaux, ce n'est pas du tout le cas dans d'autres
17:47 régions du monde, et c'est notamment ce qu'Orwell avait compris
17:50 à la suite des anarchistes du XIXe siècle,
17:53 l'apparition de ces nouvelles classes moyennes
17:56 chargées de l'encadrement économique, politique,
17:59 technique et culturel du capitalisme, qui sont dans une
18:02 position en porte-à-fois avec le système,
18:05 quand ils le critiquent, c'est à l'intérieur des catégories du système,
18:08 ce qui, j'ai emprunté la formule du philosophe
18:11 Goscinny, revient à dire qu'ils cherchaient à être calif à la place
18:14 du calife, et évidemment,
18:17 leur radicalité est forcément amoindrie de par cette position.
18:20 - Alors, il y a un exemple que vous donnez, Jean-Claude
18:23 Michéa, pour évoquer cette manière dont une partie
18:26 des écologistes que vous n'estimez pas être des
18:29 écologistes véritables sont,
18:32 vous l'avez dit, les idiots utiles du capitalisme, c'est par
18:35 exemple la question du loup, expliquez-nous pourquoi.
18:38 - Oui, d'abord, je distinguerais, les vraies écologistes sont
18:41 les décroissants aujourd'hui, tels que la revue
18:44 "La Décroissance" les incarne.
18:47 Alors, le loup, effectivement, c'est...
18:50 nous sommes dans un village où la transhumance a lieu
18:53 chaque année, c'est l'occasion de fêtes dans tous les
18:56 villages de la région, il suffit de discuter avec les bergers
18:59 pour comprendre que là où le loup est
19:02 aujourd'hui, les adversaires de la souffrance
19:05 animale devraient immédiatement,
19:08 comme La Fontaine, choisir l'agneau contre le loup.
19:11 Pendant d'ailleurs très longtemps, le loup et l'agneau
19:14 étaient la fable qui montrait les exactions dont la
19:17 noblesse se rendait coupable envers
19:20 les représentants du peuple, maintenant,
19:23 cette gauche très différente de l'ancienne
19:26 a choisi le parti du loup contre l'agneau, et évidemment
19:29 les milliers de
19:32 brebis et ventrées, elles ont tout un nom, elles vivent
19:35 dans la terreur, les bergers qui vous en parlent
19:38 quand il faut descendre une brebis, le ventre
19:41 ouvert qui râle, mais on peut pas
19:44 la tuer parce qu'il faut l'amener au centre de l'état
19:47 qui vérifie qu'elle a été agressée et elle va mourir, c'est des
19:50 crèves-cœurs pour les bergers, mais au-delà du loup, c'est
19:53 le problème de l'animal quand on vit à la campagne,
19:56 c'est-à-dire que j'ai la chance, que vous n'avez pas à Radio France
19:59 de voir en sortant de ma cuisine régulièrement
20:02 des chevreuils, c'est un spectacle fabuleux, et le soir
20:05 les sangliers viennent s'imbreuver sur le point d'eau.
20:08 Cela dit, rien que le mois dernier, ma femme
20:11 et moi, collision chevreuil,
20:14 et ma belle-fille, toujours ce mois-ci, collision sanglier.
20:17 La nuit, bon, encore une fois, vers Radio France, c'est
20:20 beaucoup plus rare d'avoir ce genre de problème, mais c'est quotidien.
20:23 - Des sangliers, il y en a de plus en plus, pas encore
20:26 autour de Radio France, mais... - De plus en plus, parce qu'entre
20:29 autres, la chasse étant de plus en plus encadrée, il faut
20:32 ne pas oublier que les chasseurs reçoivent l'ordre à partir d'un certain
20:35 moment, dans les petits villages, comme moi, de 400 habitants,
20:38 c'est à la demande. Je prends l'exemple, un chevreuil mâle
20:41 s'étancit là où nous habitons,
20:44 dévaste chaque nuit, dévastait chaque nuit
20:47 les vignes de notre voisin Bruno,
20:50 et son travail quotidien, chaque fois saccagé...
20:53 - Jean-Claude Michéa, on va demander,
20:56 les chasseurs aussi, ça leur arrive de donner du maïs aux sangliers ?
20:59 - Alors, c'est pas du tout le cas, par exemple...
21:02 - Pas chez vous, bien sûr ! - Bien sûr, chez nous, et même chez la plupart
21:05 des... C'est déjà là où les voisins, les chasseurs
21:08 sont beaucoup plus urbanisés. On sait d'ailleurs que les
21:11 manipulations génétiques qu'ont produit cette race de sangliers
21:14 qui se répand... - Les sanglochons !
21:17 - Les chasseurs de la région, justement, de l'héros,
21:20 en sont coupables, et ça, évidemment, c'est quelque chose de scandaleux.
21:23 Mais le chasseur paysan, qui est celui que je vois
21:26 dans mon village, c'est-à-dire où des fois
21:29 il renâcle à aller chasser parce qu'ils ont des choses
21:32 à faire à côté, mais il y a un ordre préfectoral ou autre,
21:35 ou le besoin pour aider un paysan local
21:38 d'empêcher soit les sangliers
21:41 de venir, soit les chevreuils, ils y vont, et il le faut.
21:44 C'est un travail de protection
21:47 des cultures et des hommes. Il faut avoir les dégâts que commettent
21:50 des sangliers, mais vous allez dans les villages voisins
21:53 où les parcs publics
21:56 sont labourés, etc., les sangliers commencent à arriver à l'hôpital
21:59 de Montmarsan. C'est un vrai problème, et vous ne pouvez
22:02 plus avoir sur
22:05 l'animalité le même
22:08 regard lorsqu'on a les pieds sur le terrain, de même que je pense
22:11 que les parisiens vont commencer
22:14 à... alors peut-être qu'une partie caronienne
22:17 va chercher l'équivalent de... - Caronienne, je suis obligé de dire aux auditeurs
22:20 que ça désignait moins de caronienne. - Voilà, va chercher
22:23 l'équivalent de surmulot pour les punaisses de lit, mais je pense peut-être aussi
22:26 que maintenant, les
22:29 ennemis de la souffrance animale vont peut-être y regarder à deux fois
22:32 avant de mettre un terme à la présence des punaisses de lit.
22:35 Quand on vit en présence des objets, quand vous êtes directement concerné,
22:38 bien sûr, votre vision du monde change. Or, le paysan
22:41 et le paysan va me dire "Oui, mais le paysan, il n'y en a plus
22:44 que 3% en France". Rappelons d'abord que d'après
22:47 les dernières statistiques de l'INSEE, avec un nouveau mode de calcul,
22:50 1 Français sur 3 vit dans les zones rurales, et que
22:53 si les paysans, c'est 3% de la population, dans un village,
22:56 la quasi-totalité des gens a un
22:59 contact avec la terre à travers le potager qui prend
23:02 un nombre d'heures par jour conséquente.
23:05 Depuis quand la gauche s'est-elle trompée selon vous, Jean-Claude Michère ?
23:08 Puisque finalement, une partie de votre œuvre est consacrée
23:11 à la trahison de la gauche
23:14 selon vous. On peut dire que cette gauche
23:17 s'est reniée, on peut dire aussi que cette gauche fait
23:20 le jeu de ses ennemis en quelque sorte. Ça a débuté
23:23 quand, cette trahison ? Mais là, c'est une réponse
23:26 très longue. C'est-à-dire que d'une certaine manière, rappelez-vous que
23:29 personne ne peut trouver un seul texte de Marx, d'Engel, de Bakounine,
23:32 de Prouton, où il se présente comme un homme de gauche
23:35 appelant à l'union de la gauche. À l'époque,
23:38 le jeu politique est à trois. Il y a les bleus, les rouges et les blancs.
23:41 Les blancs, c'est la droite, monarchiste et cléricale.
23:44 Les bleus, les républicains et les libéraux.
23:47 Et les socialistes, les rouges, sont en dehors de ce champ politique.
23:50 Il y a eu l'alliance défensive de l'affaire Dreyfus
23:53 mais qui n'a pas changé
23:56 l'essentiel parce que la gauche française,
23:59 en 1936 et autres, est massivement
24:02 socialiste. SFIO + PC,
24:05 les radicaux qui étaient le parti central au départ
24:08 sont devenus, se réduit, et jusque
24:11 dans les années 70, ce qu'on entend par "gauche",
24:14 c'est au fond un autre nom pour dire
24:17 des critiques du capitalisme, alors sociodémocrate,
24:20 bolchevique, tout ce qu'on veut, mais il reste par-delà tous les erments
24:23 des uns et des autres un noyau de compréhension
24:26 des méfaits du capitalisme qui est en place.
24:29 Tout ça, ça vole en éclats, préparé par les nouveaux philosophes
24:32 Foucault et l'arrivée de Mitterrand, 1983.
24:35 L'idée que le socialisme et la volonté de rompre
24:38 avec le capitalisme, ça conduira à la Corée du Nord et au goulag,
24:41 c'est ce qui est intégré,
24:44 et à partir de là, la conversion progressive de la gauche
24:47 et de l'extrême gauche au libéralisme, soit
24:50 économique, soit culturel, ou soit à ses fondements philosophiques,
24:53 fait le reste du travail. C'est dans cette optique
24:56 qu'il faut comprendre le wokeisme, comme n'étant pas du tout
24:59 un anticapitalisme et une critique de la croissance,
25:02 mais une partie intégrante de ce mouvement de réconciliation avec l'ordre établi.
25:05 - Qu'est-ce que le wokeisme pour vous, Jean-Claude Michien ?
25:08 - Alors j'ai proposé une fois pour toutes d'appeler ce qu'on appelle le wokeisme,
25:11 qui est la forme américaine et donc d'importation
25:14 aujourd'hui, le néolibéralisme culturel.
25:17 Vous savez que depuis le début, je rappelle, mais la thèse était déjà
25:20 chez Rosanvalon dans "Le capitalisme utopique" en 1979.
25:23 C'est l'idée que, loin de s'opposer,
25:26 libéralisme économique et libéralisme culturel
25:29 fonctionnent toujours ensemble pour une raison très simple,
25:32 c'est que le libéralisme étant l'idée d'un État
25:35 neutre axiologiquement.
25:38 - Neutre axiologiquement neutre, c'est-à-dire que ça produit des valeurs ?
25:41 - Il n'y a pas de religion officielle, de morale officielle,
25:44 de philosophie officielle. L'État est donc
25:47 neutre sur le plan des valeurs et chacun
25:50 est donc libre de vivre comme il l'entend. Mais une société
25:53 où chacun vit comme il veut, c'est ça le libéralisme culturel,
25:56 chacun vit comme il veut, est évidemment une société qui va
25:59 se pluraliser, s'émietter. On prend toujours
26:02 le sigle LGBTI qui, chaque année, rajoute deux ou trois
26:05 lettres au Canada ou aux États-Unis. Mais si
26:08 vous ne voulez pas cet exemple, imaginez la scène...
26:11 - Ce n'est pas que l'on ne veut pas, c'est qu'à priori, ce sigle, il est là
26:14 pour permettre à des gens de vivre comme ils le veulent et ça, c'est
26:17 quelque chose que Jean-Claude Michéa veut bien. - Bien sûr, mais
26:20 en même temps, Engels définissait
26:23 le mouvement culturel du capitalisme comme
26:26 l'atomisation du monde, c'est-à-dire
26:29 on va vers un monde de monades dont chacune, disait-il, a
26:32 un principe de vie particulier et une fin particulière. Imaginez la
26:35 scène du Christ rejoué aujourd'hui,
26:38 les apôtres communient dans leur repas commun,
26:41 mais tout de suite, il va y avoir Mathieu qui va dire "moi, je suis végane,
26:44 moi, intolérance aussi", et c'est le problème des cantines scolaires.
26:47 - C'est votre modernité, mais... - Un menu par personne.
26:50 Le problème, c'est que, c'est
26:53 très bien sur le papier, l'idée qu'il faut
26:56 un menu pour chacun, mais il faut aussi
26:59 qu'il y ait du vivre ensemble.
27:02 Le nom est apparu comme réponse à ce problème.
27:05 Et alors, où va-t-on trouver le vivre ensemble ? Ben, Voltaire
27:08 l'a dit, quand il s'agit d'argent, tout le monde est de la même
27:11 religion. Le seul moyen de mettre fin aux guerres de religion,
27:14 c'est la religion de l'économie. Autrement dit, plus
27:17 nous allons dans le libéralisme culturel, plus
27:20 nous devons aller dans le libéralisme économique pour donner,
27:23 restituer ce commun, puisque qu'avons-nous
27:26 en commun dans une société libérale développée ? Le droit
27:29 et le marché. - Est-ce que ça s'est pas un peu effrité, par
27:32 exemple, avec la guerre en Ukraine, Jean-Claude
27:35 Michéa ? On pensait, par exemple, qu'on pouvait vivre
27:38 en ayant pacifié la Russie, une Russie qui serait
27:41 devenue capitaliste, et puis, finalement, on s'aperçoit que la
27:44 Russie n'a peut-être pas les mêmes valeurs que nous. Enfin, qu'en pensez-vous ?
27:47 - Mais ça, c'est le béabat
27:50 de la critique que j'essaie de porter
27:53 depuis 20 ou 30 ans. C'est-à-dire que l'idéal
27:56 de le vivre ensemble se fera
27:59 sur la base du droit et de l'économie. Nos valeurs,
28:02 quand l'Europe dit "nos valeurs", c'est uniquement
28:05 les droits de l'homme et l'économie de marché.
28:08 C'est pourquoi ils vont renacler pour parler de tout ce qui peut être
28:11 symbolique ou autre, ce dénominateur commun suffit.
28:14 C'est l'idée du "doux commerce", pour reprendre la formule de Montesquieu,
28:17 et l'idée que le libéralisme culturel,
28:20 son... sa menace potentielle,
28:23 c'est de réintroduire une guerre de tous contre tous,
28:26 entre vegans et non-vegans, etc., mais
28:29 le vivre ensemble sera réuni grâce au doux commerce.
28:32 Le problème, c'est que le doux commerce engendre une guerre économique
28:35 qui réintroduit la guerre de tous contre tous.
28:38 Et en fait, plus le capitalisme se développe, plus nous allons vers un univers
28:41 qui devient violent et militarisé.
28:44 Les guerres sont devant nous. On a connu
28:47 une période exceptionnelle depuis 45,
28:50 mais nous arrivons... La chute du mur de Berlin, c'est aussi
28:53 la chute de cet équilibre qui existait depuis des décennies.
28:56 - Je l'ai dit, votre gauche est une gauche singulière,
28:59 on l'entend, Jean-Claude Michéa, vous l'exposez dans "Extension du domaine
29:02 du capital", aux éditions Albain Michel. Il y a par exemple
29:05 cette référence à Semprun, sur
29:08 la question de l'éducation des enfants.
29:11 Je vais citer ce passage...
29:14 - Après Semprun, c'est le fils... - Oui, oui, c'est pas...
29:17 Il y a ce passage où vous dites
29:20 "Quand le citoyen écologiste prétend poser la question la plus dérangeante
29:23 en demandant "quel monde allons-nous laisser à nos
29:26 enfants ?" il évite de poser cette autre question
29:29 réellement inquiétante "à quels enfants allons-nous
29:32 laisser le monde ?" - C'est la formule de Reims-Semprun que vous venez de lire.
29:35 - Mais j'aimerais quand même que vous me la commentiez comme c'est vous
29:38 qui l'a citée. - Écoutez, justement, Reims-Semprun m'avait contacté
29:41 après l'apparition de "L'enseignement sur l'ignorance",
29:44 livre qui lui avait beaucoup plu, et à l'époque
29:47 j'expliquais comment la mise
29:50 en place de réformes libérales de l'éducation
29:53 dont le but était de préparer les populations à la guerre économique
29:56 du XXIe siècle se traduirait forcément
29:59 par une baisse de niveau et une baisse de l'intelligence
30:02 critique. Le livre était paru en 99, il faut relire
30:05 à l'époque ce qu'on écrivait sur moi,
30:08 c'était un fantasme élitiste tourné vers le passé.
30:11 - On s'a traité de réactionnaire. - Le niveau montait, c'était le livre de
30:14 Baudelot et Stablet, donc il est écrit il y a 30 ans
30:17 et encore si on poursuivait la courbe
30:20 de Baudelot et Stablet, en 2023
30:23 un instituteur aurait la formation d'un agrégé des années 50
30:26 et l'élève de terminale bachelier
30:29 serait un représentant
30:32 de l'université et de la terminale.
30:35 Mais j'avais dit "mais c'est absurde, ça va être
30:38 le contraire". Aujourd'hui nous découvrons, et c'est d'ailleurs
30:41 le problème le plus inquiétant d'un point de vue politique
30:44 c'est que dans tous les sondages, les jeunes générations
30:47 sont beaucoup plus
30:50 synchrones avec le capitalisme et sa culture
30:53 que les autres générations. Alors est-ce que c'est un effet de mode
30:56 ou est-ce qu'il y a eu un travail ? J'étais dans le métro hier, arrivant
30:59 dans votre belle capitale, et je voyais
31:02 dans le métro beaucoup de jeunes, et tous étaient connectés
31:05 à la matrice, c'est-à-dire qu'ils étaient tous penchés
31:08 sur le smartphone, écoutant la vision du monde
31:11 telle que Hollywood, la Silicon Valley ou Wall Street la dictaient
31:14 et je disais "on fabrique".
31:17 C'est bien ce que disait Sam Prune. "À quels enfants allons-nous
31:20 laisser le monde ? Tout va se jouer là". La jeunesse
31:23 rurale est déjà très différente.
31:26 La jeunesse rurale n'a pas Netflix ?
31:29 D'abord, ma femme est en train de s'occuper bientôt du recensement
31:32 de notre village de 400 habitants. Il faut y aller
31:35 à pied parce que beaucoup de gens n'ont pas d'ordinateur et d'Internet.
31:38 Il faut savoir que même installer Internet
31:41 est parfois dans le village un problème et des gens n'y arrivent pas.
31:44 Ou la fibre, ou les choses de ce genre. - Ça effectivement, il y a beaucoup de zones
31:47 blanches et de zones grises, mais les jeunes font des jeunes partout
31:50 et des jeunes connectés ? - Franchement, moi je vois
31:53 beaucoup de jeunes autour d'où, que je salue ici parce que
31:56 on les adore et on les admire parce que eux, à l'heure
31:59 actuelle, ils sont souvent... Ils attendent la chasse
32:02 à la palombe, ils attendent tout ce qui est
32:05 qui renvoie à la nature, etc.
32:08 Ils ont aussi les ferrias. Nous sommes une terre de ferrias
32:11 et c'est vrai qu'entre la chasse, la ferrias,
32:14 etc., mais ils ont une vision du monde qui n'est pas du tout la vision
32:17 Erasmus. C'est un jeune des campagnes.
32:20 D'ailleurs, vous l'entendez parler, je pense à certains
32:23 de ces jeunes que nous connaissons très bien. J'ai l'impression
32:26 d'être un France Culture Parallèle parce qu'ils m'apprennent toujours des choses.
32:29 Alors que très souvent, quand je vois un jeune parisien débarquer
32:32 Café Science Pot et Autre, il parle, il parle
32:35 très bien, c'est intéressant, il est adorable, mais j'entends rien de sa bouche
32:38 qui sorte et que je n'ai pas déjà entendu sur France Info.
32:41 Donc il y a vraiment une... Les deux jeunesses
32:44 et puis cette jeunesse est plus nombreuse
32:47 qu'on le croit, puisqu'encore une fois, 33% des habitants
32:50 français de France habitent en région rurale.
32:53 Si on prend comme critère, comme le fait maintenant l'INSEE,
32:56 si on tient compte au premier plan de la densité. Nous, il y a
32:59 17 habitants au kilomètre carré. Vous en avez un peu plus
33:02 à Paris. Ce n'est pas du tout le même rapport au monde
33:05 et à soi-même. Pour les jeunes, eux-mêmes,
33:08 c'est une autre vision aussi. Même s'il y a
33:11 quelques excès, mais ce sont des jeunes qui ne correspondent pas
33:14 à ce que je voyais jusque-là, mais on peut lier. - Un mot de conclusion
33:17 sur un auteur que vous aimez, peut-être
33:20 l'auteur que vous avez le plus commenté, Jean-Claude Michéa Orwell.
33:23 Qu'est-ce qu'Orwell aurait pensé de ce monde-là ?
33:26 - Il l'avait surtout annoncé.
33:29 J'ai un chapitre sur le wokisme
33:32 aux prises de 1984. L'intérêt
33:35 de 1984, c'est
33:38 que, bien sûr,
33:41 le livre est ciblé sur Staline, mais c'est en fait
33:44 un roman sur l'idéologie devenue folle.
33:47 Ce n'est pas du tout un roman qui, comme Huxley, veut décrire le futur.
33:50 Il veut montrer, il le dit lui-même, j'ai voulu tirer jusqu'au bout
33:53 les conséquences logiques de cette
33:56 idéologie devenue folle portée
33:59 par les intelligentsia de ces nouvelles classes moyennes.
34:02 La folie de l'idéologie s'explique par leur projet contradictoire.
34:05 Si mon but inconscient, c'est de vouloir
34:08 tenir le fouet, surveiller, punir, dénoncer,
34:11 allô l'Arkhom, j'ai lu, j'ai tout, etc.
34:14 Si ce qui me permet d'aller au bout de cette psychologie,
34:17 c'est je veux produire une société sans classe,
34:20 sans grand écart, et je dois
34:23 avoir une double pensée schizophrénique
34:26 et plus d'égalité de lien
34:29 extrême, quand égalité = indifférenciation,
34:32 comme aujourd'hui, le degré de folie est maximal
34:35 à cause de ce grand écart.
34:38 Merci beaucoup Jean-Claude Michel de nous avoir rendu visite.
34:41 "Extension du domaine du capital", c'est le livre que vous publiez aux éditions
34:44 Albin Michel, on peut retrouver aussi votre "A voix nue"
34:47 pour mieux se familiariser avec votre pensée.
34:50 Dans quelques secondes, le point sur l'actualité.