Dans son édito du 27/05/2023, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]
Category
📺
TVTranscription
00:00 Alors, je résume. Élisabeth Lévy, qui dirige le Brassuel Causeur, a lancé un appel, qui
00:05 est pas loin d'être un appel à l'aide, mais un appel à l'aide plus que fondé, en disant
00:09 « En ce moment, globalement, les régies publicitaires, vous savez, ceux qui, globalement, s'assurent
00:13 à la fois de la publicité dans les journaux, sur les sites Internet, sont en train de nous
00:17 bouder. Ils ont décidé, finalement, de nous assécher. Pourquoi? Pourquoi? »
00:21 Puis là, ça implique de vrais problèmes, c'est-à-dire perte de revenus significatifs,
00:25 de l'existence même, à terme du magazine, peut-être, compromise, probablement pour
00:28 ça, parce qu'un magazine tient difficilement sans publicité, à moins d'avoir un mécénat
00:34 tel qu'il est prêt à sacrifier milliers par milliers, par dizaines de milliers, par
00:38 centaines de milliers d'euros, la publicité, vous en avez besoin. Or, ils sont désormais
00:42 privés de publicité. Parce que le magazine, la qualité du magazine, ce serait effondré
00:47 d'un coup, parce que d'un coup, Causeur ne serait plus à la hauteur, alors que c'est
00:50 un excellent mensuel, pas du tout. Pourquoi? Parce que derrière ça, il y a l'offensive,
00:56 vous l'avez dit, des « sleeping giants ». Alors, qu'est-ce que c'est, des « sleeping
01:00 giants », c'est une formule qui revient de temps en temps. C'est un groupe d'activistes
01:04 numériques qui s'est constitué en 2016, un peu après l'élection de Donald Trump,
01:10 en se disant « l'élection de Donald Trump a été rendue possible parce que des médias
01:15 ont tenu un discours qui rendait culturellement et médiatiquement et intellectuellement possible
01:22 son élection ». Donc, si on veut en finir avec la possibilité d'une élection de mouvements,
01:30 de partis, ça ne se joue pas d'A. Trump ou non, la question n'est pas là ici, mais
01:33 de qui sont en désaccord avec ce qui est l'idéologie dominante du moment, ça peut être le Brexit,
01:39 soit dit en passant, ça peut être des partis populistes en Europe ou conservateurs, ça
01:43 peut être, on a évoqué c'est le cas de Donald Trump, il faut donc créer un environnement
01:48 médiatique assaini, purgé de ces médias dangereux. Parce que pour les Pink Giants,
01:53 ce sont des activistes numériques, on reviendra sur leur méthode ensuite. L'idée est la
01:58 suivante, il y a le bon média. Les bons médias sont ceux qui font la promotion de l'ouverture,
02:03 de la diversité, de la tolérance, autrement dit, mais tout ça avec des guillemets, on
02:07 l'aura compris, c'est l'idéologie diversitaire, multiculturalisme, néo-féminisme, théorie
02:12 du genre et ainsi de suite. Donc, les bons médias sont ceux qui portent cette vision
02:16 et qui luttent contre ceux qui s'opposeraient à cette vision. Et il y a les mauvais médias,
02:22 les mauvais médias sont ceux qui ne reprennent pas ce programme officiel, qui ne reprennent
02:26 pas ce catéchisme, qui ne reprennent pas cette idéologie et qui sont accusés pour
02:31 cela de tenir des discours haineux ou néo-nazis ou fascistes ou d'extrême droite, on connaît
02:37 des formules tondéliériennes. Et ce qui est intéressant avec ça, c'est parce que dans
02:42 l'esprit des stepping giants, mais plus largement du régime diversitaire en général, qu'est-ce
02:47 qu'un discours haineux? Un discours haineux, c'est s'opposer aux revendications des minorités,
02:53 ou du moins de ceux qui prétendent parler en leur nom. C'est critiquer les revendications
02:57 de plus largement diversitaires, multiculturalistes, néo-féministes et ainsi de suite. Donc,
03:01 un discours haineux, c'est s'opposer à la marche de l'histoire dans la direction diversitaire,
03:07 multiculturaliste et ainsi de suite. Donc, vous aurez compris, le mot haineux ne veut
03:10 plus dire ce qu'il voulait dire traditionnellement, une aversion irrationnelle à l'endroit de
03:14 quelqu'un ou d'une idée ou d'une personne ou d'un groupe. C'est désormais un type
03:17 de discours qui doit être proscrit parce qu'il n'est pas compatible avec leur conception
03:21 de la diversité. Alors, qu'est-ce qu'on doit faire avec ces médias qui relèvent
03:26 des discours haineux? On doit les interdire. Et si on n'est pas capable de les interdire,
03:32 on doit être capable de les assécher financièrement. À tout le moins, il faut tout faire pour
03:36 que leurs paroles ne puissent plus se rendre dans la population. Pourquoi? Parce que les
03:42 progressistes ont toujours une grande peur. Ils savent au fond d'eux-mêmes que leur
03:45 discours n'est pas accepté par le commun des mortels. Donc, ils doivent verrouiller
03:50 l'espace public, éviter qu'une seule voix arrive. Parce que si une seule voix arrivait
03:55 et se faisait entendre, ça pourrait réveiller ce qu'ils appellent des préjugés et des
03:59 stéréotypes et ça viendrait dérégler leur maîtrise du débat public.
04:03 Autrement dit, il s'agit de rendre infréquentables certains titres ou même certaines figures
04:08 publiques.
04:09 C'est exactement ça. C'est ce que j'appelle des stratégies d'infréquentabilisation.
04:11 Et vous me permettrez de vous citer un peu longuement, mais c'est un beau passage, Alexis
04:16 de Tocqueville qui avait tout compris, comme il avait tout compris en ces matières, dans
04:20 son grand livre de la démocratie en Amérique. Il parle de ce qu'on pourrait appeler la peine
04:25 de mort sociale en démocratie. « Le maître ne dit plus, à la différence des despotismes
04:30 anciens, « Vous penserez comme moi ou vous mourrez ». Il dit « Vous êtes libre de ne
04:35 point penser ainsi que moi. Votre vie vaut bien tout vous reste, mais de ce jour vous
04:40 êtes un étranger parmi nous. Vous garderez vos privilèges à la cité, mais ils vous
04:44 deviendront inutiles, car si vous briguez le choix de vos concitoyens, ils ne vous l'accorderont
04:49 point, et si vous ne demandez que leur estime, ils feindront encore de vous la refuser. Vous
04:54 resterez parmi les hommes, mais vous perdrez vos droits à l'humanité. Quand vous vous
04:58 approcherez de vos semblables, ils vous fuiront comme un être impur, et ceux qui croient
05:03 à votre innocence, ceux-là même vous abandonneront, car on les fuirait à leur tour. Allez en
05:08 paix, je vous laisse la vie, mais je vous la laisse pire que la mort. »
05:12 Ça, c'est Alexis de Tocqueville qui a tout compris. Concrètement, comment ça fonctionne
05:16 aujourd'hui dans la société qui est la nôtre? Eh bien, les Sleeping Giants et autres
05:19 activistes numériques, ils mènent des campagnes de diffamation contre certains médias. Là,
05:24 ils vont dire « Dans ces médias », et là c'est sur le mot du service, c'est une
05:27 action ciblée, stratégique, c'est une forme de guerre médiatique. Dans ces médias,
05:32 c'est raciste, sexiste, phobe, phobe, phobe, allez, multifobe, plurifobe. Alors, c'est
05:38 un média, on va dire extrême droite aussi. Et là ensuite, on se tourne vers les annonceurs,
05:42 publiquement. On interpelle publiquement les annonceurs, c'est la logique du name and
05:46 shame. Et là on se dit « Voulez-vous vraiment vous associer à ce titre qui fait la promotion
05:50 d'un propos haineux? Voulez-vous vraiment vous associer à ce média, ce journal, cette
05:58 chaîne télé qui fait la promotion d'un discours inacceptable? » Si vous vous associez
06:02 à ce titre, ça veut dire que vous êtes vous-même coupable des idées qu'on reproche
06:08 à ce média, et dès lors, on mène une campagne contre vous. Donc, il s'agit justement de
06:13 rendre nauséabond, de rendre infréquentable, je dirais de rendre radioactif certains médias
06:18 en faisant en sorte que les annonceurs s'en détournent en disant « Désolé, on ne peut
06:22 pas s'associer à vous, vous êtes trop dangereux. » Et on connaît par ailleurs globalement
06:26 le monde de l'entreprise, c'est un monde assez frileux. La moindre controverse, controverses
06:31 dans le mauvais sens, une controverse woke, ils peuvent l'assumer, on le voit avec Budweiser
06:35 en ce moment aux États-Unis, mais une controverse associée justement à l'idéologie dominante
06:39 aujourd'hui, si on vous accuse de racisme, de sexisme, même si c'est faux, en certains,
06:43 même si c'est faux, eh bien la peur de porter cette controverse avec vous, vous décidez
06:47 de vous détourner, vous ne financez plus, puis les régies publicitaires relaient cet
06:51 interdit. Alors qu'est-ce que c'est concrètement? C'est ce que j'appelle quant à moi une logique
06:56 d'épuration civique, de nettoyage éthique de l'espace public dans leur esprit. Il s'agit
07:02 de chasser de l'espace public ou de condamner à la mort sociale, de condamner à l'invisibilité
07:08 les médias qui ne se soumettent pas finalement au programme dominant, à l'idéologie dominante.
07:13 Mais qu'est-ce que ça veut dire se soumettre? On le comprend. On a des débats aujourd'hui,
07:18 vous savez, sur qu'est-ce qu'un fait divers, qu'est-ce qu'un fait de société. En quelque
07:20 fois, on nous dit « Ah, c'est des faits divers, ça compte pas », puis d'autres vont dire
07:23 « Non, c'est des faits de société importants ». Si l'idéologie dominante, comme on l'a
07:26 vu avec le documentaire tout récemment sur France 5, sur la petite Lola, ça commençait
07:31 comme ça, j'en ai parlé cette semaine à Face à l'info, c'est un fait divers qui n'aurait
07:35 jamais dû être interprété autrement. Eh bien non, si on pense que c'est un fait de
07:39 société, si on pense que c'est un fait qui a une portée culturelle, une portée plus
07:43 large, si vous pensez ça, vous êtes d'extrême droite ou vous êtes manipulé par l'extrême
07:46 droite ou vous êtes aveuglé par l'extrême droite ou vous êtes complice de l'extrême
07:50 droite. Donc là, ce qu'il faut, c'est finalement faire taire, c'est une logique de censure,
07:54 les médias qui ne sont pas d'accord avec l'idéologie dominante. Et de ce point de
07:59 vue, les gardiens du dogme vont nous dire « La liberté d'expression, ce n'est pas
08:03 de tenir des propos qui relèvent du délit ». Et vous savez que l'empire du délit ne
08:07 cesse de s'étendre.
08:08 Mais comment dans telle pratique est-elle possible dans une société continuant de
08:13 valoriser la liberté d'expression?
08:15 Ah bien ça, c'est la grande perversion des Sleeping Giants et compagnie. Ils nous
08:19 disent « Mais nous exerçons notre liberté d'expression en vous traitant de raciste,
08:23 en vous traitant de sexiste, en vous traitant de xénophobe, en vous traitant d'extrême
08:27 droite. Donc nous utilisons notre liberté d'expression en disant qu'on devrait vous
08:31 fermer. Nous utilisons notre liberté d'expression en cherchant à vous diffamer. Nous utilisons
08:36 notre liberté d'expression en cherchant à vous diaboliser et vous criminaliser. »
08:40 Donc, on dit que c'est une forme perverse. On refuse d'accepter le pluralisme médiatique
08:45 et c'est au nom d'une conception. Vous savez, on voit ça même dans les manifestations
08:48 quelques fois quand il y a des conférences qui sont annulées. Vous avez une conférence,
08:52 je ne suis pas dans une université, là vous avez 50 malabars devant la salle qui tapent
08:57 dans des tambours, qui font du bruit, un bruit infernal. C'est notre liberté d'expression
09:01 que nous exerçons en empêchant le conférencier de parler. Donc vous voyez, c'est un peu
09:06 tordu. Par ailleurs, ça nous rappelle une chose, dans la société médiatique telle
09:11 qu'on la connaît, la souveraineté appartient à celui qui est capable de créer le scandale.
09:15 Celui qui est capable de dire « ça c'est un scandale » et vous devez tous être scandalisés
09:19 en même temps. Et si vous n'êtes pas scandalisés au moment où il le faut, en faisant votre
09:24 petit tweet, en faisant votre déclaration, votre communiqué de presse, si vous ne vous
09:27 dites pas « scandalisé », quand nous on dit que c'est scandaleux, nous savons dès
09:30 lors que vous êtes complice de la bête immonde, vous êtes complice de l'idéologie interdite,
09:35 vous êtes complice des forces de la réaction et dès lors vous serez la prochaine cible.
09:39 Je résumerai tout ça en disant qu'avec ce qui se passe pour Causeur, qui est un magazine
09:43 qui doit être soutenu, ce qu'on voit à travers ça aujourd'hui, c'est la réactivation
09:47 de la tentation totalitaire qui traverse nos sociétés, j'en parle souvent ici, et c'est
09:51 aussi la nécessité d'une pensée de la dissidence contre ceux qui veulent à tout
09:55 prix faire taire ceux qui ne pensent pas comme eux.
09:57 [Musique]
10:00 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]