Dans son édito du 06/05/2023, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]
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00:00 C'est un texte absolument formidable de Carl Bergeron,
00:02 qui est un écrivain québécois.
00:03 Elle donne le titre parce que c'est la langue française,
00:06 québécois et français, nous l'avons en partage.
00:08 Le titre « Au Québec aussi, le français n'est plus perçu
00:11 comme un héritage, mais comme une mise à jour d'iPhone sans fin ».
00:15 C'est assez fascinant.
00:16 Qu'est-ce qu'il nous propose dans ce texte magnifique
00:19 qui est paru hier, je crois ?
00:21 C'est une réflexion sur le rapport à la langue.
00:23 C'est-à-dire la langue, pour vous, pour moi,
00:24 pour des gens qui sont à peu près civilisés dans le monde d'hier,
00:27 c'est la condition de la liberté de l'esprit.
00:28 La langue est l'espace d'une liberté.
00:31 Ça permet de façonner le rapport réel,
00:33 ça permet de nommer les nuances du réel,
00:35 ça permet de faire apparaître quelquefois l'invisible,
00:37 parce que le mot adéquat, lorsqu'on le trouve,
00:39 permet de faire surgir une nuance qui autrement serait invisible.
00:44 Carl Bergeron nous propose dans ce texte,
00:45 je vais me permettre, deux citations.
00:46 Je pourrais citer le texte au complet.
00:48 Deux citations.
00:49 Parce qu'il y a des gens qui nous disent,
00:51 on le voit chez nous, notamment au Québec,
00:52 « Il faut réformer la langue, sacrifier le participe passé,
00:55 il faudrait chapéthiser la langue. »
00:59 Première citation.
01:01 « Prétendu élitiste, la langue française souffrirait de la comparaison
01:05 avec un certain anglais mondialisé,
01:06 qui emporterait l'adhésion de la jeunesse branchée.
01:09 Pour s'adapter au GAFAM, il nous faudrait un français liquide,
01:12 débarrassé de ses scories et ouvert aux manipulations des linguistes
01:16 qui prendraient le pli du monde tel qu'il se décide en Californie.
01:19 La langue n'est plus un héritage,
01:20 elle devient une mise à jour d'iPhone sans fin. »
01:22 C'est assez remarquable comme phrase.
01:24 Et une deuxième.
01:25 Ainsi, là c'est sur l'écriture inclusive.
01:27 « Ainsi, la dite écriture inclusive, qui ment sur ce qu'elle est,
01:31 en expropriant la langue qu'elle se propose de moraliser,
01:34 d'abord parce qu'il ne s'agit pas d'écriture,
01:36 mais bien de réécriture, soit de falsification.
01:40 La dite écriture inclusive est un parasite
01:42 qui se greffe sur la langue pour la vider de son sens ou de son sang.
01:46 Les complications qu'elle introduit par la porte d'en arrière
01:48 n'augmentent pas la puissance ou la beauté du français,
01:50 comme les vieilles règles décidées il y a 400 ans,
01:53 présumées virmoulues par les incultes,
01:55 mais multiplies dans le maillage de la phrase
01:57 des verrous contre la pensée au nom de la vertu. »
02:00 C'est essentiel.
02:01 Nous nous retrouvons devant aujourd'hui une entreprise
02:03 qui entend rééduquer la langue,
02:05 qui entend aussi faire de la langue un lieu de rééducation.
02:08 C'est un exercice totalitaire en quelque sorte.
02:11 La langue perd sa propre logique,
02:13 elle devient un pur projet de reconstruction idéologique.
02:16 Ça devient une forme de langue pour les néo-soviétiques que nous sommes.
02:20 Et parlant d'écriture inclusive,
02:21 on le voit de plus en plus dans la jeune génération,
02:23 on croit parlant d'écriture inclusive,
02:25 même des administrations le font, des syndicats,
02:28 des administrations publiques, des administrations privées,
02:31 empruntent ce vocabulaire.
02:33 Et dans les faits, on croit ouvrir la langue.
02:35 En fait, on la neutralise, en fait, on la paralyse,
02:37 en fait, on l'empoisonne et on tue son génie.
02:40 - Autrement dit, pour vous, l'écriture inclusive
02:43 a pris le relais de la novlangue d'Orwell.
02:46 - Et c'est exactement ça.
02:48 Qu'est-ce que c'est la novlangue d'Orwell?
02:50 C'est une langue qui consiste à retrancher des mots
02:52 ou à fabriquer des mots nouveaux pour bloquer,
02:55 pour, à vrai dire, effacer la langue historique,
02:57 effacer la langue travaillée par la littérature,
02:59 effacer la langue travaillée par la civilisation.
03:02 Et l'objectif, quand vous lisez Orwell, il le dit,
03:04 c'est de faire en sorte qu'il y ait de moins en moins de mots
03:06 pour dire la réalité, qu'il y ait de moins en moins de mots
03:08 pour nommer les choses, qu'il y ait un vocabulaire
03:10 de plus en plus contrôlé idéologiquement,
03:12 avec cette idée que si vous faites disparaître des mots,
03:14 vous faites disparaître la possibilité de penser
03:16 la réalité à laquelle ces mots réfèrent.
03:19 Et si vous inventez des mots nouveaux
03:20 qui ne veulent absolument rien dire,
03:22 eh bien, vous créez un monde alternatif.
03:24 Vous savez, aujourd'hui, les 98 nuances d'identité de genre,
03:27 on fait semblant, on est obligé de faire semblant
03:30 que cet univers alternatif existe.
03:32 Et si vous n'acceptez pas les codes de cet univers,
03:35 vous êtes alors traités comme un paria,
03:36 comme un infréquentable et ainsi de suite.
03:38 Moi, c'est ce qui me frappe dans l'écriture inclusive aujourd'hui,
03:41 c'est que c'est un code d'abord,
03:42 c'est un code d'adhésion au régime diversitaire.
03:44 Si vous ne l'utilisez pas, si vous êtes dans une entreprise
03:46 et tout le monde l'utilise et vous ne l'utilisez pas,
03:48 qu'est-ce qui se passe?
03:49 Vous passez pour un réfractaire,
03:51 vous passez pour un réactionnaire,
03:52 vous passez pour un ennemi de l'ouverture,
03:54 parce qu'elle le dit, écriture inclusive.
03:56 Donc, si vous n'êtes pas pour, vous êtes pour l'écriture exclusive.
03:59 Donc, l'ensemble de l'histoire de la littérature
04:01 est frappé désormais du seau d'écriture exclusive,
04:03 de l'écriture ringarde, dépassée, réactionnaire.
04:07 La langue inclusive, c'est une langue qui nous enferme
04:09 dans ces catégories, c'est une prison mentale
04:11 où viennent s'enfermer les esprits conformistes,
04:14 c'est un logiciel en perpétuelle évolution,
04:16 mais qui vient non pas améliorer la langue,
04:18 mais qui falsifie la langue,
04:20 qui prend prétexte de la langue française,
04:23 donc qui devient une forme de référence lointaine
04:25 pour inventer une langue nouvelle,
04:27 qui est une langue idéologique d'amodissement des cerveaux,
04:30 d'assujettissement des cerveaux,
04:31 une langue de manipulation du réel,
04:33 une langue néo-soviétique, je le redis,
04:35 une langue totalitaire, et le très beau texte de Carl Berjon,
04:37 auquel je faisais référence,
04:39 est une des réflexions les plus fines, je crois,
04:41 sur la question de l'écriture inclusive.
04:42 Je m'en serais voulu de ne pas utiliser cette tribune
04:44 pour donner un peu d'écho à la sienne.
04:47 Sous-titrage Société Radio-Canada
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