Dans son édito du 13/05/2023, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]
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00:00 le Montsuel, l'Incorrect, propose en échange, en débat même,
00:03 entre trois historiens à propos de la place de l'histoire dans notre société.
00:06 Et c'est à partir de ce dossier que vous souhaitez mener votre second édito,
00:10 Emmanuel Macron.
00:11 Parce qu'il s'agit d'un formidable dossier. Trois historiens,
00:14 Franck Ferrand, Christophe Dicas et Olivier Dard,
00:16 une conversation menée sur le rapport à l'histoire dans nos sociétés.
00:20 Et je ne prétends pas résumer le dossier, mais ajouter une réflexion à cela,
00:24 tout en disant qu'il faut d'abord lire le texte pour voir...
00:26 On est vraiment devant le genre de texte qui permet justement de pousser un peu plus loin
00:30 la réflexion au-delà du commentaire du jour.
00:32 Toutes les sociétés occidentales, aucune ne fait exception,
00:36 a aujourd'hui un débat existentiel par rapport à son histoire.
00:39 Quel est le sens de l'histoire collective?
00:41 Est-ce que l'histoire, c'est simplement une discipline érudite,
00:44 réservée à quelques professeurs en veste de tweed,
00:47 qui sont absolument heureux de découvrir une notice oubliée
00:50 sur je ne sais quel phénomène oublié, et dire "Pah!
00:53 Enfin, j'ai trouvé le petit élément de plus qui justifiera la publication
00:56 d'une monographie de plus que personne ne lira."
00:59 Non. L'histoire, c'est un champ de bataille existentiel.
01:03 C'est d'abord à travers l'histoire que se raconte l'existence d'une société.
01:07 C'est parce qu'une société est capable de dire un "nous"
01:10 qui se déploie au fil des générations.
01:12 Ça permet quoi? Ça permet de s'inscrire dans une identité profonde.
01:15 Vous connaissez cette formule qui revient toujours,
01:17 le droit à la continuité historique.
01:19 Mais pour qu'il y ait continuité historique,
01:21 je ne dois pas voir les générations passées comme de purs étrangers.
01:25 Je ne dois pas voir les générations qui me précèdent
01:27 comme des gens qui sont top, qui n'ont rien à voir avec moi,
01:30 ou pire encore, comme une collection de béossiens,
01:32 comme une collection d'individus préhistoriques
01:35 qui n'ont rien à nous apprendre à nous modernes,
01:37 parce qu'on est si éclairés, on est si libres,
01:40 on est tellement supérieurs moralement aux générations qui nous ont précédés.
01:43 Ce débat-là, on le voit aux États-Unis, par exemple.
01:45 Ce débat sur le rapport à la civilisation occidentale.
01:48 Aux États-Unis, depuis les années 90, on se demande
01:50 est-ce que les États-Unis sont un pays issu de l'Occident
01:52 ou c'est une civilisation nouvelle au-delà de l'Occident?
01:56 Débat qui est pareil au Canada, soit dit en passant.
01:58 Un débat en Allemagne.
02:00 C'est compliqué pour les Allemands.
02:01 Que peuvent-ils faire de leur histoire
02:03 avec les crimes commis au nom de l'identité allemande,
02:07 du nationalisme, du nazisme, dans ce cas-là, au XXe siècle?
02:10 L'Allemagne a un débat identitaire existentiel avec son histoire.
02:14 Mais c'est vrai aussi dans un pays comme Israël.
02:16 C'est absolument passionnant, le débat en Israël,
02:18 pour construire la définition de l'identité collective,
02:21 c'est un débat qui traverse les pays depuis 30 ou 40 ans.
02:24 C'est vrai au Québec, si je peux me permettre.
02:26 C'est vrai, autrement dit, dans tous les pays occidentaux,
02:28 aujourd'hui, chaque fois avec des enjeux différents.
02:30 Et c'est vrai en France aussi immédiatement.
02:32 Question de base lorsqu'on s'intéresse à l'histoire,
02:35 c'est une question toute simple, on peut le dire par deux pôles.
02:37 Quelle est la place de la liberté humaine dans l'histoire?
02:40 On a quelquefois l'impression, si on s'intéresse aux historiens
02:42 et les anals, que tout se déploie comme une espèce de mouvement profond,
02:46 mouvement technique, mouvement économique, mouvement socio.
02:49 Et puis l'être humain, finalement, n'est qu'à la surface des choses,
02:52 il s'agite, il n'y a aucun pouvoir sur les courants profonds de l'histoire.
02:56 C'est une lecture qui existe.
02:58 Mais il y a une autre lecture possible de l'histoire,
03:00 et je pense que c'est celle à laquelle le commun des mortels est attaché,
03:03 c'est une histoire qui reconnaît, par exemple, son droit à la biographie.
03:05 Je ne sais pas si vous êtes commun, mais moi, j'adore,
03:07 j'adore la lecture des biographies.
03:09 Pour une raison toute simple, quand on lit une biographie,
03:12 on raconte l'histoire.
03:13 Si cet homme-là, à ce moment-là, n'avait pas été présent,
03:17 eh bien l'histoire serait tout autre, l'histoire serait très différente.
03:21 Si Roosevelt n'est pas le président américain au moment de la Deuxième Guerre mondiale,
03:24 il se peut que les Américains aient une politique isolationniste.
03:27 De même, si Churchill n'est pas à la tête des Britanniques à ce moment-là.
03:31 Si, imaginons qu'en 1957, le général de Gaulle, il a eu une crise cardiaque,
03:36 il ne puisse pas reprendre le pouvoir en 1958.
03:38 L'histoire de France est tout autre.
03:40 On pourrait multiplier les exemples.
03:41 Et je pense que pourquoi l'histoire est aussi passionnante,
03:44 parce que c'est justement le lieu qui met en scène la liberté humaine,
03:47 la liberté de faire en sorte que si on prend cette décision-là,
03:49 plutôt qu'une autre, l'histoire sera tout autre.
03:52 Le problème, c'est que depuis, on dit 50 ans,
03:56 le mouvement s'est radicalisé ces dernières années,
03:58 on a de plus en plus présenté, je le disais, l'histoire comme une matière morte.
04:01 Et vous connaissez la logique de la déconstruction qui s'est imposée.
04:04 Alors, soit c'est une matière morte, soit c'est une matière toxique.
04:07 Il fallait arracher les individus à l'histoire
04:09 pour leur permettre une forme de renaissance virginale,
04:12 délivrer de la tradition, délivrer de la coutume,
04:14 délivrer de la culture, délivrer de l'identité,
04:16 pour reprendre le monde à zéro, selon la logique de l'utopie
04:18 dont nous parlait Julien Freund.
04:20 Eh bien, fondamentalement, ce qui est absolument essentiel aujourd'hui,
04:24 c'est de se réapproprier l'histoire,
04:26 non pas comme, je dirais, un environnement plus ou moins muséal,
04:31 et non pas simplement comme quelque chose dont on doit se délivrer,
04:34 mais comme une histoire à poursuivre, une histoire à s'approprier,
04:37 qui est la condition même de l'identité.
04:38 À suivre de votre raisonnement, les minorités ne doivent plus être les seules
04:41 à raconter de manière existentielle l'histoire.
04:43 Oui, je résumerais d'une manière simple.
04:45 Est-ce qu'il est possible, si on s'identifie au monde occidental,
04:48 de dire 1492, fin de la Reconquista, bravo, grand moment,
04:53 dans la reconquête du monde occidental par lui-même?
04:55 Ou est-ce qu'on doit traiter ça, parce que vous voyez,
04:57 il y a deux jugements aujourd'hui là-dessus.
04:58 Soit on dit que ça ne nous engage pas, soit on dit que c'est terrible,
05:00 c'est un moment tragique pour la diversité.
05:02 Notez que quand on raconte comme ça l'histoire,
05:04 on la raconte de manière existentielle, mais d'un point de vue non occidental.
05:07 Est-il possible, lorsqu'on raconte l'histoire de France,
05:09 lorsqu'on raconte l'histoire du Québec, lorsqu'on raconte l'histoire des différents pays,
05:12 de se l'approprier justement comme une histoire vivante?
05:14 On va nous dire quelquefois, oui, il ne faut pas avoir une histoire
05:16 trop franco-centrée, vous l'entendez souvent ça,
05:19 ou pas trop euro-centrée, parce que ça serait dangereux.
05:21 Avez-vous déjà entendu un Chinois dire qu'il faut une histoire
05:23 qui ne soit pas trop sino-centrée?
05:25 Imaginez-vous des Africains aujourd'hui nous dire qu'il faut une histoire
05:28 qui ne soit pas trop africano-centrée.
05:31 Le monde s'écrit sous le signe de la diversité,
05:34 la diversité, la vraie, c'est que chacun assume son point de vue sur le monde.
05:37 Il accepte la légitimité de notre point de vue,
05:39 mais il accepte son propre point de vue sur le monde.
05:42 Sinon, quand on nous dit que la condition d'une histoire libérée aujourd'hui,
05:45 c'est qu'elle ne soit pas franco-centrée, pas occidentalo-centrée,
05:48 ce que ça veut dire dans les faits, c'est qu'on doit se désincarner
05:50 pour avoir le droit d'exister. Triste destin.
05:53 Est-ce que vous croyez, comme d'autres, que les Français sont encore
05:55 des passionnés de l'histoire de France?
05:57 C'est le moins qu'on puisse dire. Moi, ça me fascine quand on vient de l'étranger.
05:59 La passion de l'histoire, elle est partout présente.
06:02 Et c'est de ce point de vue que je crois qu'une certaine historiographie officielle
06:05 a trahi la passion historique des Français.
06:08 Et de là le caractère très intéressant du dossier de l'incorrect,
06:10 parce qu'on se trouve avec trois historiens qui, eux, tendent la main aux Français
06:13 en leur disant « Cette histoire vous appartient, vous pouvez vous l'approprier.
06:16 Et à travers cela, vous redécouvrez deux concepts essentiels,
06:19 votre identité et votre liberté. »
06:21 [Musique]
06:24 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]