Écrivains à Los Angeles: du roman noir au film noir. Cours de cinéma par Benoît Tadié, professeur de littérature américaine à l’université Paris Nanterre.
Cet exposé met l’accent sur l’apport des auteurs de roman noir américains dans la naissance et le développement du film noir et d’un imaginaire angelino, dans les années 1940 et 1950.
Dans le cadre de la thématique Portrait de Los Angeles.
https://www.forumdesimages.fr/les-programmes/portrait-de-los-angeles
---
Le Forum des images : au centre de Paris, bat le cœur du 7e art !
Rencontres exceptionnelles, cours de cinéma et conférences, festivals… un concentré du meilleur de ce qui se passe toute l’année au Forum des images.
Toute la programmation : http://www.forumdesimages.fr/
@forumdesimages et #forumdesimages
Cet exposé met l’accent sur l’apport des auteurs de roman noir américains dans la naissance et le développement du film noir et d’un imaginaire angelino, dans les années 1940 et 1950.
Dans le cadre de la thématique Portrait de Los Angeles.
https://www.forumdesimages.fr/les-programmes/portrait-de-los-angeles
---
Le Forum des images : au centre de Paris, bat le cœur du 7e art !
Rencontres exceptionnelles, cours de cinéma et conférences, festivals… un concentré du meilleur de ce qui se passe toute l’année au Forum des images.
Toute la programmation : http://www.forumdesimages.fr/
@forumdesimages et #forumdesimages
Category
🎥
Court métrageTranscription
00:00:00 Merci beaucoup.
00:00:09 Je voudrais commencer par remercier Muriel Dreyfus et toute l'équipe
00:00:13 du Forum des images pour m'avoir invité et m'accueillir ce soir.
00:00:16 La question que je voudrais traiter aujourd'hui, c'est le rôle joué
00:00:21 par les auteurs de polar américain dans le développement du film noir
00:00:26 au cours des années 1940 et 1950, c'est-à-dire à l'âge classique
00:00:30 de Hollywood.
00:00:31 Accessoirement, puisqu'on est aussi dans le cadre d'un festival de
00:00:35 cinéma sur Los Angeles, je voudrais également suggérer ce que ces
00:00:39 auteurs ont pu apporter à la fois en tant que romancier et en tant
00:00:42 que scénariste, à la construction d'une certaine vision de cette
00:00:46 ville dans et par le film noir.
00:00:49 Et par vision, j'entends quelque chose qui dépasse simplement les
00:00:52 prises de vue documentaires en extérieur de la ville.
00:00:54 Je crois que vraiment la ville imprègne tout le système des
00:00:57 studios, les rapports entre les personnages dans les histoires,
00:01:00 la lumière aussi, des images, enfin beaucoup de choses qui dépassent
00:01:04 la simple figuration de décors d'extérieur authentique, disons.
00:01:08 Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais aussi dire un mot
00:01:12 justement sur ce sujet qui est, je pense, assez mal connu.
00:01:15 Bien sûr, le film noir est une création collective, mais il se
00:01:20 trouve que dans celle-ci, le rôle des écrivains, justement,
00:01:24 des scénaristes n'a pas été, à mon sens, suffisamment mis en lumière
00:01:28 en France par la critique.
00:01:30 Cela d'ailleurs pour plusieurs raisons.
00:01:32 D'une part, parce qu'on connaît mal les romans dont sont tirés une
00:01:36 majorité des films noirs et souvent, on ne sait même pas d'ailleurs
00:01:40 que ces films sont tirés de romans qui leur ont donné une unité
00:01:44 thématique et narrative très forte.
00:01:47 Là, si j'arrive à faire défiler mon PowerPoint.
00:01:50 En appuyant très fort, à l'aide, à l'aide, je vais vous montrer
00:01:56 une petite liste de films, une petite sélection.
00:01:58 Help.
00:01:59 Voilà, une petite sélection de films noirs très célèbres.
00:02:06 J'aurais pu en mettre beaucoup plus, mais ça n'aurait pas tenu dans
00:02:09 une diapositive et je ne voulais pas en faire défiler 25.
00:02:11 En grâce auxquels je vais parler ce soir plus particulièrement et
00:02:15 dont je vous montrerai des extraits.
00:02:18 Mais vous voyez qu'en gros, du premier grand classique,
00:02:21 "Le faucon maltais" de John Huston, qui est tiré d'un roman de
00:02:25 Dachil Hamet, jusqu'à ce qui est peut-être le dernier très grand
00:02:28 classique, "La soif du mal" d'Orson Welles, qui est lui-même tiré
00:02:31 d'un roman de Whit Masterson.
00:02:32 On a toute une série de grands films qui sont pour la plupart,
00:02:37 extraits eux aussi ou tirés plutôt adaptés de romans d'écrivains
00:02:42 plus ou moins célèbres.
00:02:42 Certains le sont beaucoup comme Chandler ou Hemingway.
00:02:47 D'autres le sont beaucoup moins comme Don Tracy ou Dorothy Hughes.
00:02:51 D'autres sont même totalement inconnus comme par exemple J.H.
00:02:54 Wallace, l'auteur de "La femme au portrait" qui a été adapté
00:02:57 par Fritz Lang dans un film très célèbre.
00:03:00 Vous voyez, il y a un peu de tout.
00:03:01 Mais quand on commence à lire tous ces romans, on se rend compte
00:03:04 qu'il y a une vision collective qui se dégage de ces livres et
00:03:07 qui est aussi pour beaucoup dans les films, quel que soit le talent
00:03:11 des réalisateurs.
00:03:12 D'une certaine façon, le talent des réalisateurs, c'est aussi
00:03:14 celui d'arriver à faire passer l'atmosphère de ces films.
00:03:17 Ce qui m'amène d'ailleurs à un deuxième point pour lequel le rôle
00:03:20 des écrivains, romans et scénaristes a été un petit peu méconnu
00:03:25 ou sous-évalué, c'est que en général, en France, on est
00:03:29 beaucoup intéressé aux auteurs au sens de réalisateurs à la suite
00:03:33 de la politique des auteurs développée par les cahiers du cinéma
00:03:36 dans les années 50, au détriment bien sûr du reste des personnes
00:03:40 qui pouvaient participer à la création de films.
00:03:45 Et donc, on a tendance à, dès les débuts, dès les premières
00:03:48 grandes critiques de films noirs qui se développent dans les années
00:03:51 40 et surtout 50 avec les cahiers du cinéma, à braquer tous
00:03:55 les projecteurs sur le metteur en scène et à ne pas vraiment
00:03:58 s'intéresser aux scénaristes ou romanciers qui sont derrière.
00:04:03 Par exemple, pour prendre un film dont je ne parlerai plus de tout
00:04:06 à l'heure, "Case Me Deadly" en quatrième vitesse qui sera d'ailleurs
00:04:09 ou qui a été déjà, je crois, projeté ici dans ce festival.
00:04:14 Si vous lisez les articles des cahiers du cinéma de l'époque,
00:04:16 on parle énormément de Robert Aldrich, de son talent, de ses
00:04:19 prises de vue et on ne parle absolument pas du roman de
00:04:22 Mickey Spillane dont est tiré le film et encore moins du rôle
00:04:25 pourtant fondamental du scénariste qui s'appelait Beth Zerides
00:04:29 dont je parlerai tout à l'heure, qui était lui-même un romancier
00:04:31 et qui a profondément transformé le roman de Spillane pour en faire
00:04:35 un petit peu la base du film que l'on connaît aujourd'hui.
00:04:38 Ce qui m'amène d'ailleurs à un troisième point, on ignore
00:04:42 finalement aussi que les écrivains se répartissent entre
00:04:45 auteurs de romans et scénaristes.
00:04:47 Parfois, ils font les deux mais il est assez rare que ce soit
00:04:50 eux-mêmes qui adaptent leur propre roman au cinéma pour des
00:04:53 raisons de contrat, etc.
00:04:55 Il y a un ou deux cas dont je parlerai tout à l'heure mais en
00:04:58 général, par exemple, si l'on prend un film que vous verrez
00:05:02 bientôt qui est "Assurance sur la mort", "Double Indemnity",
00:05:05 le deuxième dans ma liste, un grand chef d'oeuvre du film noir.
00:05:08 C'est un film qui a été tiré d'un roman de James Cain
00:05:11 et le scénario en a été écrit par Raymond Chandler.
00:05:14 Vous voyez, ça fait une espèce de noir au carré, si on peut dire.
00:05:17 On a déjà le roman noir de Cain et en plus, on va avoir des
00:05:20 dialogues particulièrement tranchants qui sont l'oeuvre et
00:05:23 puis une perspective qui est beaucoup plus proche de celle de
00:05:25 Chandler, notamment sur la solitude du personnage et puis
00:05:29 une certaine poésie des dialogues qu'il n'y a pas forcément dans
00:05:33 le roman d'origine.
00:05:35 Tout ça explique que finalement, on n'a pas vraiment saisi,
00:05:40 non, la portée ni même le fait même du rôle joué par les écrivains
00:05:44 dans la construction de ces films.
00:05:46 En France, aux États-Unis, c'est un petit peu différent, je dirais,
00:05:49 parce que la critique américaine a été moins influencée historiquement
00:05:53 par la politique des auteurs et aussi parce que le scénariste
00:05:57 est davantage vu comme un vrai écrivain, si j'ose dire, que comme
00:06:01 un technicien.
00:06:01 D'ailleurs, en anglais, comme vous le savez, écrivain se dit
00:06:05 "writer" et scénariste se dit "screenwriter", c'est-à-dire
00:06:07 écrivain pour l'écran.
00:06:09 En français, on a plutôt deux autres mots.
00:06:11 On a le mot scénariste qui n'appartient pas à la même famille
00:06:13 que le mot écrivain, linguistiquement, ni même, on pourrait dire,
00:06:16 d'une certaine manière, professionnellement, puisqu'on a moins
00:06:18 tendance à le voir comme un membre de la famille des écrivains
00:06:22 en général que comme un technicien appartenant au monde de la
00:06:25 production.
00:06:26 Voilà, je ferme cette parenthèse.
00:06:29 Pour aborder mon sujet, je vais procéder en deux temps.
00:06:32 Je vais commencer par faire quelques remarques d'ordre un peu
00:06:34 générales sur la vision du monde des auteurs de romans noirs,
00:06:38 telle qu'elle est ensuite transposée au cinéma.
00:06:40 Je vais être assez synthétique et général au risque de la
00:06:43 simplification pour dégager quelques grandes idées, si vous voulez,
00:06:46 qui me semblent venir du roman et aller vers le cinéma.
00:06:50 Ensuite, j'essaierai d'illustrer ces idées et ces remarques à
00:06:54 travers quelques séquences de films, donc des films que j'ai mis
00:06:57 en gras ici, sur lesquels ces romanciers ont pu travailler ou
00:07:02 qui ont été adaptés de leurs oeuvres.
00:07:03 Les romanciers dont je parlerai, donc, ils sont soit auteurs de
00:07:07 romans, soit scénaristes, soit les deux.
00:07:09 Ça va être dans l'ordre Raymond Chandler, Patricien Highsmith,
00:07:13 Martin Goldsmith, Horace McCoy, dont il a été question tout à
00:07:17 l'heure, Mickey Spillane, qui est, comme vous savez, l'inventeur
00:07:20 du détective privé Mike Hammer et A.I., selon ses initiales,
00:07:25 Bedserides, qui est donc romancier et le scénariste en quatrième
00:07:29 vitesse d'Alery.
00:07:30 Alors, je vais commencer par dire quelques mots des auteurs de
00:07:35 "Le Grand Noir" et de ce qu'ils ont pu apporter, comme en tant
00:07:38 que tel, à Hollywood.
00:07:40 Ce qu'ils ont apporté d'abord, si on peut dire, c'est eux-mêmes,
00:07:43 puisque, comme l'a dit Muriel tout à l'heure, beaucoup se sont
00:07:46 installés à Hollywood dès le parlant.
00:07:49 Il y en avait déjà avant, mais le parlant a vraiment créé un
00:07:51 appel d'air.
00:07:52 Il fallait beaucoup de scénaristes.
00:07:54 Il fallait surtout des dialoguistes.
00:07:55 Il fallait donc des "vrais écrivains", entre guillemets,
00:07:58 alors qu'à Hollywood, on s'accommodait assez bien auparavant
00:08:01 de gens qui faisaient des dialogues assez sommaires,
00:08:04 parce que dans le muet, il y en avait beaucoup moins.
00:08:06 Et donc, vu les conditions financières qui étaient offertes,
00:08:09 on peut dire qu'il y a eu une espèce de vrai rué vers l'or de
00:08:12 la part d'énormément d'écrivains américains, particulièrement
00:08:14 d'ailleurs des auteurs de polar ou de genre, comme le western,
00:08:17 qui n'étaient pas très bien payés et qui voyaient dans la
00:08:20 possibilité de faire carrière à Hollywood, une véritable poule
00:08:24 aux yeux d'or.
00:08:24 Ça ne veut pas dire que ça s'est toujours bien passé.
00:08:26 Certains auteurs, comme Hammett, sont arrivés en 1930 à Hollywood
00:08:30 avec un contrat parce qu'il avait connu un grand succès avec
00:08:33 son roman "Le faucon maltais".
00:08:34 D'autres, comme Horace McCoy, dont il a été question, qui n'avait
00:08:38 écrit que pour des magazines pulp et des journaux et qui étaient
00:08:41 totalement inconnus, sont arrivés à Hollywood sans contrat et ont
00:08:44 mangé longtemps de la vache enragée avant d'arriver à percer
00:08:49 un petit peu.
00:08:49 D'où d'ailleurs les romans très noirs que McCoy a écrits sur
00:08:52 Hollywood, en particulier "On achève bien les chevaux" et puis
00:08:56 "J'aurais dû rester à la maison", dont le titre dit bien ce qu'il veut dire.
00:09:01 Ce qu'ils ont amené dans leur bagage, ces romanciers, c'est
00:09:05 bien sûr des personnages, des intrigues, du dialogue, des thématiques
00:09:09 criminelles, des lieux, des milieux sociaux, particulièrement
00:09:12 des milieux de gangsters et des histoires de crimes, mais aussi
00:09:16 des choses moins tangibles et tout aussi importantes qui s'incorporeront
00:09:20 dans le film noir classique des années 40 et 50 et sur lesquelles
00:09:24 je voudrais un petit peu insister ce soir.
00:09:27 Parmi ces choses, il y a le point de vue dont je parlerai d'abord
00:09:31 et puis il y a une certaine psychologie qui est proche au genre,
00:09:33 propre au genre aussi et qu'on retrouvera dans les films.
00:09:36 Et puis il y a même ce qu'on pourrait appeler une métaphysique du genre.
00:09:39 Je vais essayer d'expliquer ces trois points et puis ensuite on pourra
00:09:42 regarder des extraits.
00:09:43 Prenons d'abord la question du point de vue qui est centrale dans
00:09:47 le roman noir, car celui-ci est avant tout un roman à la première
00:09:51 personne et de la première personne, une personne qui est seule
00:09:55 face à un monde opaque, hostile et corrompu.
00:09:57 Je ne sais pas si vous avez lu par exemple des romans de Hammett ou
00:10:00 Chandler à la première personne, cette voix du détective solitaire
00:10:03 seul face à la ville et qui en perce les mystères et la corruption.
00:10:08 C'est une dimension qui sera transposée dans le film noir,
00:10:12 cette intense subjectivité si on veut, dont elle constituera des
00:10:16 aspects essentiels.
00:10:17 C'est même une des façons peut-être de définir le genre même du film
00:10:20 noir et de l'opposer à d'autres types de films criminels comme le
00:10:24 film de gangster par exemple, plus ancien, le film de gangster des
00:10:28 années 20 et 30, qui est une sorte de fresque sociale, plus
00:10:31 objective dans son approche, alors que le film noir est dominé
00:10:34 vraiment par la subjectivité de l'individu solitaire, ce qui
00:10:38 implique donc un point de vue vraiment séparé, on peut dire,
00:10:41 sur le monde.
00:10:42 Cette subjectivité qui peut être, suivant les cas, lucide ou
00:10:46 hargneuse ou aliénée, elle concerne en particulier trois types
00:10:50 de personnages, là encore je simplifie beaucoup bien sûr,
00:10:53 des détectives privés cyniques comme le Philippe Marleau de
00:10:57 Monschendler, des criminels plus ou moins professionnels et puis
00:11:01 aussi plus ou moins fous.
00:11:02 On verra qu'il y a des cas assez pathologiques et puis également
00:11:05 de pauvres types qui tombent dans des engrenages criminels,
00:11:08 soit qu'ils soient innocents et soupçonnés à tort, soit qu'ils
00:11:11 soient coupables ou qu'ils le deviennent parce qu'ils n'ont pas
00:11:14 su résister à leur pulsion, le désir de l'argent, le désir
00:11:19 des femmes.
00:11:20 C'est ce que vous avez par exemple dans "Assurance sur la mort",
00:11:22 dès le début du film, vous avez un personnage qui est au bout
00:11:24 de son rôle et qui dit "j'ai tout perdu parce que je voulais une
00:11:27 femme et je voulais de l'argent et je n'ai pas eu la femme et
00:11:30 je n'ai pas eu l'argent".
00:11:31 Donc c'est un petit peu la morale finalement de tout ce cinéma.
00:11:34 On verra surtout que la subjectivité des personnages de
00:11:39 romans, quand on regardera ces extraits dont je parlerai tout à
00:11:43 l'heure, se présente ou se transpose de manière frappante
00:11:46 au film noir d'une façon très moderne, au fond très littéraire
00:11:49 d'une certaine façon, même la mise en scène moderne est
00:11:53 moderne parce qu'elle est littéraire d'une certaine manière
00:11:55 en faisant par exemple largement appel à la voix off ou à des
00:11:58 effets de caméra subjective qu'on ne trouvait pas du tout.
00:12:00 Par exemple dans le film de "Gangster" des années 30, dans
00:12:04 le film noir ce n'est pas la caméra qui devient un stylo,
00:12:06 comme le disait Alexandra Struck, on pourrait dire c'est plutôt
00:12:09 le stylo qui devient une caméra.
00:12:11 La deuxième chose que les auteurs de romans noirs apportent
00:12:16 et qui est liée à cette question de la subjectivité, c'est
00:12:19 une psychologie.
00:12:22 Il fait chaud sous tous ces projecteurs.
00:12:28 Une psychologie qui est dominée par la solitude, la violence,
00:12:32 les pulsions érotiques ou de mort, j'en ai un petit peu parlé,
00:12:35 souvent entremêlées dans ce que Raymond Borde et Étienne
00:12:37 Chaumeton dans leur classique panorama du film noir de 1955
00:12:42 pardon, appellent un érotisme noir ou une érotisation de la violence.
00:12:48 Ce mélange de violence et d'érotisme était déjà essentiel
00:12:51 dans l'univers des écrivains.
00:12:53 Ce n'est pas une invention du cinéma, t'en s'en fous.
00:12:56 C'est quelque chose qui fait vraiment partie du mode d'être
00:12:58 et du mode d'écrire de tous ces auteurs, quels qu'ils soient.
00:13:01 Comme par exemple le dit Bézérydès justement, cet auteur qui
00:13:06 est devenu le scénariste dans "Quatrième vitesse" et qui
00:13:09 déclarait dans un entretien des années 80, c'est moi qui ai
00:13:12 traduit de l'anglais, "je n'ai pas de sympathie pour la violence
00:13:15 du personnage mais la violence est plus intéressante à écrire".
00:13:19 "It's more interesting to write violence" comme il dit.
00:13:22 La violence, les événements traumatiques, ce sont les sentiments
00:13:25 les plus profonds.
00:13:26 Quand on est hypnotisé, on ne se souvient pas des choses
00:13:29 agréables, seulement des choses tragiques.
00:13:31 La joie passe, la peur et la colère ne passent pas, elles
00:13:35 s'enfoncent dans vos gènes.
00:13:36 J'aime bien cette comparaison avec l'hypnose qui exprime justement
00:13:41 le côté fascinant, voire onirique parfois, du roman noir et du
00:13:44 film noir.
00:13:45 J'ajouterais que cette psychologie profonde qu'on pourrait opposer
00:13:48 peut-être à la psychologie de surface des comédies ou des
00:13:51 comédies musicales de l'époque, cette psychologie profonde qui
00:13:54 est souvent de nature pathologique, elle ne vient pas de nulle
00:13:57 part, elle a aussi un aspect historique.
00:13:59 Selon moi, elle est liée à l'expérience de la guerre, d'ailleurs
00:14:03 des guerres, car si l'on regarde finalement l'histoire du roman
00:14:08 noir américain, on se rend compte qu'il y a trois grandes vagues
00:14:10 d'auteurs et que chacune de ces vagues se lève après un conflit
00:14:15 fondamental pour la société américaine.
00:14:17 La Première Guerre mondiale pour la première génération de
00:14:19 Hammett et Chandler, la Deuxième Guerre mondiale pour la génération
00:14:23 d'écrivains comme Spillane et puis la guerre du Vietnam pour
00:14:26 la génération d'auteurs des années 70 et 80.
00:14:30 Ce n'est pas tellement la guerre en tant que telle qui est racontée,
00:14:33 c'est vraiment le contre-coup, on pourrait dire, de la guerre sur
00:14:36 le psychisme des soldats démobilisés et des personnes en sympathie
00:14:41 avec eux que le roman noir et le film noir à son tour exprimeront.
00:14:46 On pourrait en parler beaucoup plus longuement, mais je serai
00:14:48 illustré un peu par des extraits de films.
00:14:50 Troisièmement, le roman noir apporte au cinéma une métaphysique
00:14:56 qu'on peut d'ailleurs relier en partie au paysage de Los Angeles,
00:14:59 car même si tous les romans noirs ne se passent pas à Los Angeles,
00:15:02 tant s'en faut, Los Angeles est rapidement, à la fin des années
00:15:07 30 et début des années 40, devenue la capitale du roman noir
00:15:11 depuis James Cain, Horace McCoy, Raymond Chandler.
00:15:15 Et puis, elle a continué à l'être jusqu'à aujourd'hui avec des
00:15:19 romanciers que vous connaissez bien peut-être, comme James Ellroy
00:15:22 ou Michael Connelly, par exemple.
00:15:23 Los Angeles, chez ses écrivains, a un versant social et documentaire,
00:15:28 mais aussi un versant métaphysique lié au mythe de la frontière.
00:15:31 C'est donc le point le plus à l'ouest possible du continent,
00:15:35 là où, si on continue, on arrive dans l'eau.
00:15:38 C'est dans cette ville, donc, face au Pacifique, que s'achève le
00:15:41 périple américain vers l'ouest.
00:15:43 On peut préciser les choses pour aller vite avec un critique
00:15:46 américain, George Grelak, écrivait en 1970, "les romans de
00:15:50 Hammett, Chandler et Macdonald sont tous situés en Californie,
00:15:53 là où la frontière a finalement disparu.
00:15:56 Le détective privé a répondu à la poussée collective de la nation.
00:16:00 Il a achevé la marche vers l'ouest."
00:16:02 C'est pour ça, d'ailleurs, qu'on compare souvent le roman noir
00:16:04 à une sorte de western moderne.
00:16:07 "Il ne trouve pas l'Éden de ses rêves, le grand lieu idéal de
00:16:10 l'imagination américaine, mais le grand lieu mauvais,
00:16:13 great bad place, une terre dorée et verte dont la fécondité et la
00:16:16 beauté ont été violées.
00:16:18 Là où il s'attendait à trouver l'innocence et l'amour,
00:16:20 il trouve le fléau omniprésent du péché, une société déchue de
00:16:24 la grâce, une lutte permanente contre le mal."
00:16:27 Vous voyez que c'est très métaphysique, tout ça, beaucoup
00:16:28 plus que le roman noir français.
00:16:29 Il y a vraiment une sorte de cadre métaphysique dans le roman
00:16:31 noir américain.
00:16:32 "Parti à la recherche de la cité des anges et du bois sacré,
00:16:36 ils trouvent à leur place Los Angeles et Hollywood."
00:16:39 Je vais maintenant arriver à la seconde partie de mon exposé,
00:16:44 illustrer ces quelques idées par des séquences de films.
00:16:47 J'ai divisé cette partie autour de cinq scènes qui reflètent le
00:16:50 travail des écrivains et composent aussi une sorte de micro-histoire
00:16:54 de films noirs à Los Angeles et en Californie du Sud,
00:16:57 parce que Los Angeles, ce n'est pas juste les bornes municipales
00:16:59 de Los Angeles, c'est aussi le comté.
00:17:01 Et puis, c'est cette mégapole extraordinaire qui s'étend sur
00:17:04 des kilomètres et des kilomètres de village en village.
00:17:07 Il y aura cinq séquences, cinq scènes.
00:17:09 Vous verrez l'arrivée en ville, un meurtre, puis l'après-coup
00:17:13 du meurtre, puis un hold-up, et puis pour finir, l'apocalypse.
00:17:16 On s'arrêtera là, car il n'y a pas grand chose à dire après
00:17:18 l'apocalypse.
00:17:19 Je vais commencer par un des plus célèbres auteurs de romans
00:17:24 noirs, qui est Raymond Chandler, le plus connu avec National
00:17:26 Hamlet, et commencer avec un film, si je reviens à ma liste,
00:17:31 qui est un des rares, peut-être le seul, pratiquement,
00:17:34 liste que je vous ai donné, qui n'est pas tiré d'un roman,
00:17:36 mais d'un scénario original qu'il a lui-même écrit et qui est
00:17:40 donc "Le Dahlia bleu".
00:17:42 C'est un film qui a été réalisé, d'après cette histoire originale
00:17:46 de Chandler, en 1946, par George Marshall pour la Paramount,
00:17:51 et qui m'intéresse à deux titres.
00:17:53 D'abord, parce que c'est le seul film tiré d'un scénario original
00:17:56 de Chandler, et ensuite parce qu'il relie clairement l'intrigue
00:17:59 criminelle au contre-coup de la guerre.
00:18:02 Il a été tourné juste après.
00:18:03 Il est sorti en 1946, ce qui constitue, comme je l'ai dit,
00:18:06 l'une des clés du genre, aussi bien du cinéma que du roman.
00:18:10 "Le Dahlia bleu" raconte, pour ceux qui ne l'ont pas vu,
00:18:14 je vais essayer de ne pas trop se pollier, comment un pilote dans
00:18:16 la marine américaine qui s'appelle Johnny Morrison et qui est
00:18:19 interprété par Alan Ladd, revient à Los Angeles après la
00:18:23 guerre du Pacifique avec deux de ses compagnons d'armes,
00:18:26 un qui s'appelle George Copeland, qui est interprété par Hugh
00:18:29 Beaumont, et l'autre, Buzz Wanchek, qui est joué de
00:18:33 manière assez frappante par un acteur que j'aime beaucoup,
00:18:36 qui est William Bendix.
00:18:37 Ce dernier a l'esprit troublé depuis qu'il a reçu un éclat
00:18:41 d'obus dans la tête et souffre de ce qu'on appellerait aujourd'hui,
00:18:44 mais qu'on n'appelait pas encore à l'époque, un trouble de stress
00:18:47 post-traumatique.
00:18:48 Peu après son arrivée, Johnny Morrison surprend son épouse
00:18:52 avec son amant, un gangster qui est le propriétaire d'un nightclub
00:18:56 qui s'appelle d'ailleurs "Le Dahlia bleu", d'où le titre du
00:18:58 film, et l'épouse en question est assassinée le soir même.
00:19:02 Johnny Morrison sera soupçonné du meurtre et j'en reste là
00:19:06 pour l'instant.
00:19:07 Voilà pour, disons, le cadre général.
00:19:09 Je vous propose de regarder la première scène de ce film qui
00:19:12 montre l'arrivée des trois soldats démobilisés de retour à Los
00:19:16 Angeles après la guerre.
00:19:17 Le début de la scène est d'ailleurs filmé en extérieur sur
00:19:20 Cahuenga Boulevard, près de Sunset Boulevard.
00:19:23 On peut regarder cette première séquence.
00:19:25 C'est parti.
00:19:26 C'est parti.
00:19:27 C'est parti.
00:19:27 C'est parti.
00:19:28 C'est parti.
00:19:29 C'est parti.
00:19:30 C'est parti.
00:19:30 C'est parti.
00:19:31 C'est parti.
00:19:32 C'est parti.
00:19:33 C'est parti.
00:19:34 C'est parti.
00:19:34 C'est parti.
00:19:35 C'est parti.
00:19:36 C'est parti.
00:19:37 C'est parti.
00:19:37 C'est parti.
00:19:38 C'est parti.
00:19:39 C'est parti.
00:19:40 C'est parti.
00:19:40 C'est parti.
00:19:41 C'est parti.
00:19:42 C'est parti.
00:19:43 C'est parti.
00:19:43 C'est parti.
00:19:45 Hey, les gars, regardez.
00:19:47 Quelle est la taille de ce boisson, Jenny?
00:19:49 Pourquoi pas? Un bar est comme l'autre.
00:19:52 - Si ils ont du bourbon. - Pour une récente facsimile.
00:19:55 - Monsieur? - Bourbon, avec un bourbon.
00:20:06 C'est pareil.
00:20:08 Deux glaces séparées. Vous comprenez?
00:20:10 Pourquoi pas?
00:20:12 C'est pareil.
00:20:13 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:16 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:18 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:20 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:22 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:24 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:26 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:28 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:30 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:32 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:34 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:36 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:38 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:41 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:43 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:45 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:47 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:49 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:51 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:53 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:55 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:57 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:20:59 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:01 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:03 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:05 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:07 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:09 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:12 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:14 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:16 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:18 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:20 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:22 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:24 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:26 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:28 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:30 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:32 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:34 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:36 - C'est pareil. - Pourquoi pas?
00:21:38 - Pourquoi pas? - Pourquoi pas?
00:21:40 - Pourquoi pas?
00:21:42 - Pourquoi pas?
00:21:44 - Pourquoi pas?
00:21:46 - Pourquoi pas?
00:21:48 - Pourquoi pas?
00:21:50 - Pourquoi pas?
00:21:52 - Pourquoi pas?
00:21:54 - Pourquoi pas?
00:21:56 - Pourquoi pas?
00:21:58 - Pourquoi pas?
00:22:00 - Pourquoi pas?
00:22:02 - Pourquoi pas?
00:22:04 - Pourquoi pas?
00:22:06 - C'est mon erreur. - C'est OK, arrête.
00:22:09 - Au revoir. - Au revoir.
00:22:11 - Au revoir.
00:22:13 - On va y aller si on va trouver le bus.
00:22:16 - Regarde, on a déjà trouvé le bus.
00:22:19 - C'est vrai, on l'a fait, non?
00:22:24 - Oui. - Je devrais être fou.
00:22:27 - C'est à toi, Johnny.
00:22:29 - T'es l'unique. Au moins, t'as une femme à la maison.
00:22:33 - Voilà une scène assez éclairante de mon point de vue.
00:22:36 C'est la toute première scène du film.
00:22:39 Comment d'un coup, elle se charge de tensions.
00:22:42 Vous aurez remarqué le trouble mental, la violence irruptive
00:22:46 du personnage de base interprété par William Bendix.
00:22:50 Vous aurez remarqué l'air sombre d'Alan Ladd à la fin de la séquence
00:22:54 quand on mentionne sa femme, ce qui ne présume rien de bon
00:22:58 pour la suite.
00:23:00 Je vais pas juste le titre, car ça finira très mal pour elle.
00:23:04 Donc, ça figure 2 choses, cette scène.
00:23:07 D'un côté, le décalage des militaires par rapport à la société des civils.
00:23:12 On voit que les 2 militaires qui se battent se ressoudent entre eux
00:23:16 contre le barman intrusif qui continue à faire ses affaires
00:23:19 et qui pense à l'argent.
00:23:21 De l'autre, la dissolution du lien domestique.
00:23:24 On voit qu'Alan Ladd se sent loin de son épouse
00:23:28 et qu'il a vraiment un très bon feeling à l'idée de la retrouver.
00:23:32 Bref, on voit donc ce qu'il sait ici,
00:23:34 quelque chose comme le décalage entre ces vétérans
00:23:37 et le monde qu'ils retrouvent à leur arrivée,
00:23:39 qui a continué de prospérer sur des bases malsaines
00:23:42 pendant qu'ils se sacrifiaient eux-mêmes pour leur pays.
00:23:46 On notera d'ailleurs que dans son scénario original,
00:23:49 Chandler voulait attribuer le meurtre de la femme de Johnny,
00:23:53 d'Alan Ladd, qui aura lieu après, justement à son ami Buzz,
00:23:57 cet ami traumatisé qu'on voit ici,
00:23:59 qui le commettait, ou qui l'aurait commis,
00:24:01 ou qui l'eut commis dans un accès de rage
00:24:03 en découvrant que la femme de son ami était devenue,
00:24:06 pendant que l'autre se battait, la maîtresse d'un gangster.
00:24:09 Mais à l'époque, il fallait montrer les scénarios de films
00:24:12 qui montraient des soldats au gouvernement
00:24:14 pour obtenir leur autorisation.
00:24:16 Et en l'occurrence, le ministère de la Marine,
00:24:19 qui devait être consulté, avait refusé qu'on puisse montrer
00:24:22 un soldat américain blessé comme le coupable d'un meurtre.
00:24:26 Il considérait que c'était mauvais pour le moral des troupes
00:24:29 et que cela manquait de respect aussi pour le service.
00:24:31 Il avait donc fallu en catastrophe transformer la fin du scénario
00:24:35 avant son tournage et rechercher un autre coupable,
00:24:37 ce qui est d'ailleurs un peu visible dans le film,
00:24:39 dont la fin n'est pas très satisfaisante,
00:24:41 car cela dénaturait en réalité toute la logique psychologique,
00:24:45 si on peut dire, de l'histoire pensée plutôt par Chandler.
00:24:49 D'ailleurs, celui-ci, qui était absolument furieux de ce changement,
00:24:52 avait écrit au producteur John Houseman, je vous cite,
00:24:56 "Ce qu'a fait le Navy Department, donc le ministère de la Marine,
00:24:58 c'est presque rien, seulement changer le meurtrier,
00:25:00 et du même coup, transformer une idée originale
00:25:03 en une énigme complètement banale.
00:25:05 Ce que j'avais écrit, c'était l'histoire d'un homme
00:25:08 qui tuait la femme de son camarade sous la pression d'une colère immense,
00:25:12 puis effaçait tout et oubliait tout."
00:25:14 Le thème de l'amnésie, justement,
00:25:16 est un des grands thèmes du roman noir d'après-guerre.
00:25:19 Je retiendrai deux choses de cette anecdote.
00:25:21 D'une part, l'idée chandeliérienne que le récit criminel
00:25:23 permet d'exprimer les traumatismes et la violence
00:25:26 que les soldats ramènent avec eux après la guerre.
00:25:29 D'autre part, le fait que la culture officielle de l'époque
00:25:32 refusait justement que de tels sentiments
00:25:34 puissent s'exprimer directement dans un média grand public,
00:25:37 en tout cas, comme pouvait l'être le cinéma.
00:25:40 Cela donne donc une idée des forces qui se liguaient à l'époque
00:25:44 pour imposer dans la culture mainstream
00:25:46 une vision normalisée du vétéran
00:25:48 qui était dépossédé de sa colère, de sa folie.
00:25:51 Et colère et folie, qui finalement seront canalisés
00:25:54 vers des histoires criminelles du roman noir.
00:25:56 Et donc, pour valider aussi, du même coup,
00:25:59 les équilibres politiques, économiques et sociaux
00:26:01 que ce même vétéran retrouvait à son retour.
00:26:04 Il reste néanmoins quelque chose de cette colère
00:26:07 dans le personnage inoubliable de William Bandix,
00:26:09 comme dans d'autres personnages violents et décalés
00:26:11 du roman et du film noir de l'époque.
00:26:14 Je voudrais poursuivre mon exploration avec un deuxième film
00:26:17 qui est co-écrit par Raymond Chandler encore.
00:26:20 Il s'agit de l'inconnu du Nord Express,
00:26:22 "Strangers on a train" d'Alfred Hitchcock,
00:26:25 un film très célèbre de 1950, qui est adapté,
00:26:28 ce qu'on oublie parfois, d'un roman, du premier roman
00:26:31 de Patricia Hyde Smith, une grande romancière criminelle américaine.
00:26:34 Ce roman qui s'appelait du même titre,
00:26:37 "Strangers on a train", était paru l'année précédente, en 1949.
00:26:41 Vous connaissez l'histoire qui est celle de deux hommes
00:26:44 qui se rencontrent et font connaissance par hasard dans un train.
00:26:47 Le premier, qui s'appelle Anthony Bruno,
00:26:49 propose au second, qui s'appelle Guy Haynes,
00:26:52 de tuer sa femme Myriam, que Guy n'aime plus
00:26:55 et dont il aimerait pouvoir divorcer pour épouser la femme qu'il aime.
00:26:59 Mais la Myriam en question refuse de divorcer, c'est bien embêtant.
00:27:02 Et en échange de quoi, Bruno propose à Guy
00:27:05 de tuer son propre père, donc le père de Bruno, qu'il déteste.
00:27:09 Et il dit comme ça, on aura chacun tué un proche de l'autre
00:27:13 et personne ne pourra nous soupçonner,
00:27:15 puisque rien ne nous relie, personne ne sait que nous nous connaissons.
00:27:18 C'est là que s'embraye tout ce roman de High Smith.
00:27:22 Dans le roman, les deux hommes échangent vraiment leur meurtre,
00:27:25 même si Guy est au départ assez horrifié par l'idée de le faire.
00:27:29 Petit à petit, il se range aux côtés de Bruno.
00:27:32 Et cet échange, dans le roman de High Smith,
00:27:34 figure vraiment quelque chose comme une sorte de pacte homosexuel,
00:27:37 un coming out à travers cette folie criminelle à deux,
00:27:41 sous le manteau du crime.
00:27:43 Dans le film de Hitchcock, "The God Hates Obligant",
00:27:46 cette dimension est extrêmement atténuée, car Guy,
00:27:49 qui est interprété par Farley Granger dans le film,
00:27:52 refuse de marcher dans la combine.
00:27:54 Et donc, ça reste un personnage un petit peu fallot
00:27:56 par rapport au personnage de Bruno, qui est lui,
00:27:59 beaucoup plus intéressant et beaucoup plus mauvais, si on veut.
00:28:03 Mais justement, dans le bon sens du terme, si je peux dire.
00:28:05 Ça n'empêche pas donc Bruno, le fait que Guy ne marche pas
00:28:09 dans sa combine, de tuer sa femme, malgré tout, de l'assassiner.
00:28:13 Et puis ensuite, d'aller demander à Guy de faire la même chose
00:28:16 pour son propre père.
00:28:17 Malgré cette transformation, cette atténuation qui déséquilibre
00:28:22 un peu l'histoire originelle de Highsmith, on retrouve beaucoup
00:28:25 d'éléments propres à Highsmith.
00:28:27 Et aussi, je vais le dire tout à l'heure, à Chandler,
00:28:29 qui a donc écrit le scénario dans ce film.
00:28:32 D'ailleurs, c'est un film, on parle peu de Chandler à ce sujet,
00:28:35 parce que Chandler avait dit qu'il avait absolument détesté
00:28:38 travailler avec Hitchcock, qui avait totalement ignoré toutes ses idées.
00:28:41 Et Hitchcock avait dit qu'il avait absolument détesté
00:28:43 travailler avec Chandler.
00:28:44 Il dit ça dans son livre d'entretien avec Truffaut, et qui est d'ailleurs,
00:28:48 il détestait travailler avec tous les auteurs de romans policiers
00:28:50 qui lui faisaient concurrence.
00:28:51 Alors, mais ça étant, je voudrais dire que malgré tout ça,
00:28:56 il y a quand même des choses qui passent de l'univers de Chandler
00:28:58 et de Highsmith dans le film, qu'on peut peut-être le suggérer
00:29:01 en regardant le début de la longue séquence du meurtre,
00:29:04 que vous connaissez sans doute.
00:29:05 On va regarder juste le début, parce qu'elle est un petit peu longue,
00:29:07 donc vous ne verrez pas le meurtre lui-même.
00:29:08 Comme ça, je ne vous le spoil pas, mais vous connaissez
00:29:11 les images célèbres sûrement.
00:29:13 Donc voilà, on est là dans une fête foraine et on voit Bruno
00:29:18 qui est décidé à tuer la femme de Guy, donc Myriam,
00:29:21 et qui la suit dans cette fête foraine.
00:29:24 Voilà donc le deuxième extrait, si vous voulez bien.
00:29:28 [Bruno en anglais]
00:29:30 [Bruno en anglais]
00:29:32 [Bruno en anglais]
00:29:47 [Bruno en anglais]
00:29:54 [Bruno en anglais]
00:30:00 [Bruno en anglais]
00:30:02 [Bruno en anglais]
00:30:07 [Bruno en anglais]
00:30:12 [Bruno en anglais]
00:30:15 [Bruno en anglais]
00:30:18 [Bruno en anglais]
00:30:21 [Bruno en anglais]
00:30:24 [Bruno en anglais]
00:30:28 [Bruno en anglais]
00:30:30 [Coup de feu]
00:30:32 [Bruno en anglais]
00:30:35 [Bruno en anglais]
00:30:38 [Bruno en anglais]
00:30:41 [Bruno en anglais]
00:30:44 [Bruno en anglais]
00:30:47 [Bruno en anglais]
00:30:50 [Bruno en anglais]
00:30:53 [Bruno en anglais]
00:30:57 [Bruno en anglais]
00:30:59 [Bruno en anglais]
00:31:02 [Bruno en anglais]
00:31:05 [Bruno en anglais]
00:31:08 [Bruno en anglais]
00:31:11 [Bruno en anglais]
00:31:14 [Bruno en anglais]
00:31:17 [Bruno en anglais]
00:31:20 [Bruno en anglais]
00:31:23 [Bruno en anglais]
00:31:27 [Bruno en anglais]
00:31:29 [Bruno en anglais]
00:31:34 [Bruno en anglais]
00:31:37 [Bruno en anglais]
00:31:40 [Bruno en anglais]
00:31:43 [Bruno en anglais]
00:31:46 [Bruno en anglais]
00:31:49 [Bruno en anglais]
00:31:52 [Bruno en anglais]
00:31:55 [Bruno en anglais]
00:31:57 [Bruno en anglais]
00:32:00 [Bruno en anglais]
00:32:03 [Bruno en anglais]
00:32:06 [Bruno en anglais]
00:32:09 [Bruno en anglais]
00:32:12 [Bruno en anglais]
00:32:15 [Bruno en anglais]
00:32:18 [Bruno en anglais]
00:32:22 Voilà, on pourrait continuer, ce serait le plaisir, mais...
00:32:26 C'est une belle séquence, comme vous voyez, qui exprime bien, non simplement, bien sûr, le génie visuel de Hitchcock,
00:32:32 mais aussi la vision profonde de Patricia Highsmith, qui écrivait dans son journal, je cite,
00:32:37 "Le meurtre est une façon de faire l'amour, une façon de posséder."
00:32:40 Fin de citation.
00:32:42 Ça transparaît, je pense, assez clairement ici, ou comme vous l'aurez remarqué, la scène de meurtre est aussi une scène de séduction,
00:32:48 renforcée par le symbolisme érotique des gestes et des objets, comme le cornet de glace dans la bouche de Miriam,
00:32:53 les chevaux de bois qui montent et qui descendent,
00:32:55 et puis ces mains aussi, qui sont à la fois là pour démontrer la force de Bruno à Miriam,
00:33:01 mais qui jaugent en même temps, semble-t-il, le coup qu'elles vont bientôt étrangler dans l'île au milieu du lac.
00:33:08 Et d'ailleurs, c'est quelque chose que Truffaut avait bien senti,
00:33:13 qui est d'ailleurs profondément, je pense, aussi la manière dont Hitchcock envisageait les choses,
00:33:17 puisque Truffaut écrira plus tard que Hitchcock, je cite, "filme les scènes d'amour comme des scènes de meurtre,
00:33:22 et les scènes de meurtre comme des scènes d'amour."
00:33:24 Mais la scène doit aussi, je pense, à Chandler, à part tout ce qu'elle doit, bien sûr, à Highsmith et à Hitchcock lui-même,
00:33:32 on relèvera à ce propos la violence froide et explosive de Bruno,
00:33:36 qui fait éclater le ballon de l'enfant avec sa cigarette,
00:33:39 ou qui détraque le jeu de mailloche en frappant trop fort,
00:33:42 et aussi cette filature nocturne dans un de ses décors un peu louche,
00:33:45 la fête foraine que le roman noir affectionne.
00:33:48 On peut penser au film, et d'ailleurs au roman "Nightmare Alley", que vous connaissez peut-être,
00:33:52 et qui est entièrement situé dans une fête foraine.
00:33:55 La scène ici, dominée par le point de vue de Bruno,
00:33:58 dont le regard perçant est déterminé et souligné par les angles de la caméra,
00:34:03 reprend le principe d'innombrables filatures de détective dans les romans de Chandler.
00:34:08 Ce que cette scène me rappelle même, finalement, c'est l'image du détective comme une sorte de stalker urbain,
00:34:14 sauf qu'ici le détective se transforme en meurtrier.
00:34:17 Avec son chapeau et sa démarche assurée, et son air impassible,
00:34:21 Robert Walker me semble être le double sombre de Philip Marlowe,
00:34:24 le détective de Chandler, dont il actualise le potentiel agressif.
00:34:28 On notera enfin que cette séquence très célèbre n'est pas censée se dérouler en Californie,
00:34:34 mais au Texas, dans le roman, et puis dans le film aussi.
00:34:36 Cela dit, elle a bien été tournée à Los Angeles,
00:34:39 et c'est pour ça aussi que je l'ai inclue,
00:34:41 dans la San Fernando Valley, dans le Ranch,
00:34:44 une vaste propriété qui appartenait au réalisateur de films d'horreur, Roland Lee.
00:34:50 Cette vaste propriété comportait deux petits lacs qui permettaient de figurer des scènes champêtres,
00:34:55 et c'est donc pourquoi elle avait souvent été utilisée pour des tournages.
00:34:59 Elle servira notamment de décor, quelques années plus tard,
00:35:02 à un autre grand film noir, "La nuit du chasseur" de Charles Lawton,
00:35:06 que vous connaissez sans doute, qui est plutôt un film noir rural,
00:35:09 mais qui est tourné lui aussi à Los Angeles.
00:35:12 Je ne veux pas tirer de conclusions trop hâtives de ce rapprochement entre deux lieux,
00:35:16 mais je crois qu'il y a dans la mémoire des cinéphiles quelque chose comme une sédimentation des lieux de tournage,
00:35:21 même si on ne s'en rend pas bien compte,
00:35:23 qui est pour quelque chose dans l'atmosphère que ces lieux-mêmes dégagent,
00:35:26 de même que la mémoire des rôles joués précédemment par les acteurs
00:35:29 est quelque chose dans l'impression qu'ils nous font quand ils interprètent tel ou tel personnage.
00:35:36 La troisième séquence que je voudrais commenter vient du film "Détour" réalisé par Edgar Hulmer en 1945.
00:35:42 Ce film est tiré d'un roman du même titre, écrit par Martin Goldsmith,
00:35:47 auteur assez peu connu de Polard des années 30.
00:35:50 Un roman paru en 1939, qui a été enfin traduit en français et publié chez Rivage en 2018,
00:35:56 pour ceux que ça intéresse.
00:35:57 D'ailleurs, "détour", ça ne veut pas vraiment dire détour, ça veut plutôt dire déviation en réalité.
00:36:02 On retrouve dans les entretiens d'Hulmer avec Peter Bogdanovich
00:36:05 le mépris qui caractérise parfois les réalisateurs vis-à-vis de leurs scénaristes.
00:36:09 Hulmer déclare ainsi que le livre de Goldsmith était un très mauvais roman,
00:36:13 ce qui n'est pas vrai du tout, pour ceux qui l'ont lu,
00:36:16 et que c'est lui-même Hulmer qui avait écrit le scénario du film,
00:36:19 ce qui n'est pas vrai non plus, puisque c'est en fait Goldsmith qui l'avait écrit,
00:36:22 comme on le sait aujourd'hui.
00:36:24 Son contrat stipulait d'ailleurs, son contrat avec la maison de production PRC,
00:36:28 que ce film, s'il devait être adapté à l'écran, ce serait lui-même qui en ferait le scénario.
00:36:33 C'est donc un des rares cas, finalement, où on voit l'auteur du roman
00:36:36 qui est aussi le scénariste du film dont il est tiré.
00:36:40 Et ce scénario, il l'avait d'ailleurs même écrit entièrement,
00:36:44 avant qu'Hulmer ne soit chargé du tournage du film par la PRC.
00:36:48 Donc on voit aujourd'hui, finalement, qu'il y a toute une histoire un peu occultée.
00:36:52 Alors ce n'est pas simplement la politique des auteurs qui fait ça,
00:36:54 parfois c'est les réalisateurs eux-mêmes qui ont tendance à minimiser le rôle,
00:36:58 disons, des sources littéraires ou des scénaristes qui ont collaboré à leur film.
00:37:02 Je vais rappeler un peu, aussi brièvement que possible, l'intrigue,
00:37:06 qui est particulièrement tarabiscotée dans ce cas-là.
00:37:09 Disons que le personnage principal, qui s'appelle Al Roberts dans le film,
00:37:13 et qui est interprété par Tom Neill,
00:37:16 qui livre une interprétation extraordinaire, comme vous le verrez,
00:37:20 est un pianiste, donc ce personnage est un pianiste new-yorkais fauché
00:37:24 qui veut rejoindre sa petite amie qui s'appelle Sue
00:37:27 et qui est partie à Los Angeles pour y chercher le succès.
00:37:31 Mais comme il n'a pas un sou, il est obligé d'effectuer ce très long voyage
00:37:35 de la côte est à la côte ouest en auto-stop.
00:37:38 Ses ennuis commencent quand il est pris en stop par un type assez bizarre
00:37:41 qui s'appelle Haskell, qui est visiblement drogué
00:37:44 et qui se tue accidentellement en tombant de la voiture.
00:37:48 Roberts, craignant qu'on l'accuse d'avoir tué Haskell,
00:37:51 échange alors son identité avec le mort et poursuit sa route dans sa voiture.
00:37:55 C'est assez imprudent.
00:37:57 Deux jours plus tard, il a la malchance de prendre en stop une certaine Vera,
00:38:01 qui est jouée de manière assez extraordinaire aussi par Anne Savage.
00:38:05 Cette Vera connaissait le vrai Haskell parce qu'elle était déjà montée
00:38:08 dans sa voiture en stop et qu'il avait essayé de la violer.
00:38:11 Donc elle se souvenait de qui était le vrai Haskell.
00:38:14 C'est un personnage d'ailleurs assez négatif, cette Vera assez sadique et vénale
00:38:18 qui fait chanter Roberts puisqu'elle sait que ce n'est pas le vrai Haskell,
00:38:21 pour qu'il s'approprie l'héritage du père de Haskell
00:38:24 qui est à ce moment-là en train de mourir à Los Angeles.
00:38:27 Et donc ils vont ensemble vers Los Angeles, ils se disputent,
00:38:31 ils arrivent à Los Angeles et ils descendent à l'hôtel tous les deux
00:38:34 sous le nom de Mr et Mrs Haskell, ceux qu'ils ne sont ni l'un ni l'autre.
00:38:38 Et d'ailleurs, Los Angeles, c'est souvent ça dans le roman noir,
00:38:41 c'est une ville où les gens se refont des identités qui cachent leurs vraies identités
00:38:45 puisque personne ne connaît personne et tout le monde vient d'ailleurs.
00:38:49 Donc ils arrivent dans cet hôtel et puis ils se disputent
00:38:52 tout en buvant beaucoup d'alcool et au cours de cette dispute alcoolisée,
00:38:56 Vera menace de téléphoner à la police pour dénoncer Roberts
00:39:00 et l'accuser du crime du meurtre de Haskell s'il ne fait pas ce qu'elle demande.
00:39:04 Alors Roberts se fâche beaucoup, Vera s'enferme dans sa chambre avec le téléphone,
00:39:09 Roberts essaie de tirer sur le fil de téléphone,
00:39:12 enfin il ne tire pas, il tire très fort même sur le fil du téléphone
00:39:15 pour essayer d'empêcher Vera de téléphoner,
00:39:17 mais Vera pendant ce temps-là ayant beaucoup bu s'est évanouie,
00:39:20 le téléphone est passé autour de sa gorge et en tirant très fort,
00:39:24 Roberts l'étrangle.
00:39:26 Donc il n'a pas de chance, c'est un deuxième meurtre qu'on lui pourrait lui coller
00:39:29 sur le dos et qui est également involontaire.
00:39:32 Donc on voit ici le héros du roman noir en victime particulièrement malchanceuse,
00:39:37 si on peut dire, du destin, le pauvre type comme je le disais tout à l'heure
00:39:41 qui se retrouve pris dans un engrenage et qui se retrouve finalement dans la peau
00:39:44 d'un meurtrier sans savoir pourquoi ni comment,
00:39:46 ce qui est un schéma assez classique qui remonte à par exemple
00:39:49 "On achève bien les chevaux" justement de Horace McCoy.
00:39:52 Donc je voudrais montrer ici une séquence qui est proche de la fin
00:39:55 quand Roberts vient de tuer Vera sans s'en apercevoir si j'ose dire
00:39:58 et pénètre dans la chambre après elle avoir enfoncé la porte
00:40:02 et trouve son cadavre sur le lit.
00:40:04 Donc voici notre troisième séquence.
00:40:08 [Musique]
00:40:27 [Musique]
00:40:55 [Musique]
00:41:05 [Musique]
00:41:33 [Musique]
00:41:43 [Musique]
00:42:11 [Musique]
00:42:21 [Musique]
00:42:41 [Musique]
00:43:03 Donc on a ici un bel exemple de ce que je disais tout à l'heure,
00:43:07 c'est-à-dire la transposition du point de vue subjectif du roman noir
00:43:11 dans le film.
00:43:12 La subjectivité panique d'Al Roberts est puissamment exprimée
00:43:16 par les effets de caméra subjective que vous aurez relevé par la voix off
00:43:20 dans ce long panoramique qui fait le point sur tous les objets de la pièce
00:43:23 l'un après l'autre, objet qui l'un après l'autre justement l'incrimine
00:43:26 comme il dit.
00:43:27 Cet inventaire d'objets répond au discours entrecoupé,
00:43:30 hystérique du personnage quand il se rend compte qu'il est cuit
00:43:33 comme il dit et que toutes ces choses sont autant de pièces
00:43:36 à conviction qu'il incrimine.
00:43:38 On relève aussi à la fin le symbolisme musical quand la mélodie sentimentale
00:43:42 jouée au saxophone par un voisin ou par une radio s'inverse dans un chant
00:43:46 funèbre, a dutch.
00:43:48 Notons enfin l'insistance du personnage, du personnage sur le choc
00:43:52 qui le frappe.
00:43:53 Il dit "j'étais comme un type en état de choc, tout tourbillonnait
00:43:56 dans ma tête, je n'arrivais plus à réfléchir".
00:43:59 C'est un bel exemple de ce que Jean-Patrick Manchette appelait
00:44:02 la cauchemardisation du réel et il est intéressant de noter
00:44:05 que cette cauchemardisation se produit justement lorsque le héros
00:44:09 atteint le but qu'il s'était à l'origine fixé, c'est-à-dire
00:44:12 la ville de Los Angeles où, croyait-il, l'attendait l'amour,
00:44:16 le bonheur et le succès.
00:44:18 Mais une déviation à la fois routière et métaphysique,
00:44:21 il a embarqué sur une voie de garage métaphysique et il se retrouve
00:44:24 justement dans la peau d'un inconnu total, sans identité,
00:44:29 aéré sur les routes et à ne plus pouvoir retrouver ni la femme
00:44:32 qu'il aime, ni l'identité qu'il a perdue.
00:44:35 J'arrive maintenant à mon quatrième exemple, j'ai cité tout à l'heure
00:44:39 Horace McCoy comme une influence de Martin Goldsmith et je voudrais
00:44:42 maintenant parler d'un de ses romans un peu plus tardif,
00:44:45 "Adieu la vie, adieu l'amour, case tomorrow get by" en anglais,
00:44:48 qui date de 1948 et qui a été porté à l'écran par Gordon Douglas
00:44:54 en 1950.
00:44:55 C'est un très beau roman noir et pour la première fois d'ailleurs,
00:44:57 puisqu'on parlait de cette édition quarto, si je veux faire un peu
00:44:59 de publicité, pour la première fois on a une traduction intégrale
00:45:02 de ce roman en français, puisque lorsqu'il était paru en 1949
00:45:07 dans la série noire, il avait été coupé d'à peu près 70 pages
00:45:10 par Marcel Duhamel dans sa traduction.
00:45:12 Donc un très beau roman qu'on peut enfin lire dans une version intégrale
00:45:16 et puis un des premiers qui est raconté à la première personne
00:45:19 par un tueur pathologique.
00:45:21 En tant que tel, il a ouvert la voie à toute une série de romans
00:45:24 noirs comme ceux de James Thompson dans les années 50 et puis ceux
00:45:28 d'Elroy plus tard, ceux des serial killers, qui donc transfèrent
00:45:31 la narration du détective ou le point de vue vers le criminel
00:45:35 et puis un criminel qui est en plus non plus un criminel social
00:45:38 comme le bandit des années 30, mais un criminel vraiment fou,
00:45:41 pathologique justement, différent à l'écart du reste de la société.
00:45:46 Si on se replace dans le contexte de la société américaine
00:45:51 des années 50, une société d'abondance qui est prise dans un consensus
00:45:55 conservateur, dans le carcan idéologique de la guerre froide,
00:45:58 des personnages comme ça, de fous criminels qui racontent leur histoire
00:46:02 offrent un puissant contrechamp aussi sur cette société.
00:46:05 Et donc au bout d'un moment, on les voit plus simplement
00:46:08 comme des fous meurtriers, mais aussi comme des sortes de porte-parole
00:46:11 d'une réelle révolte contre l'ordre social et l'ordre moral de l'époque.
00:46:17 Le film est sorti en France sous le titre "Le Fauve en liberté".
00:46:21 Il raconte donc l'évasion et la cavale du gangster Ralph Cotter
00:46:25 qui est joué dans le film par James Cagney, qui se lie à des criminels
00:46:29 moins courageux que lui et puis qui les poussent au crime de plus en plus,
00:46:33 qui créent un petit peu un déséquilibre entre eux.
00:46:36 Dans la séquence qu'on va voir, il réalise le hold up en plein air
00:46:39 avec beaucoup d'assurance d'un supermarché.
00:46:42 Vous verrez, il a un calme parfait, mais il se fasse brusquement
00:46:45 quand un de ses complices, Récalcitrant, l'accuse d'être un peu cinglé.
00:46:49 Donc voici la prochaine séquence, la quatrième.
00:46:53 Tout va bien dehors.
00:46:56 3.0354...
00:47:00 ...5...6.
00:47:02 - Donnez-moi un autre cheque, Miss Staines. - Miss Staines sera occupée.
00:47:05 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:07 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:09 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:11 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:13 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:15 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:17 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:19 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:21 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:23 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:25 - 5.6. Donnez-moi un autre cheque, Miss Staines.
00:47:28 - Miss Staines sera occupée.
00:47:30 - Je l'ai vu. - Je l'ai vu.
00:47:32 - Donnez-moi un autre cheque, Miss Staines.
00:47:34 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:36 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:38 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:40 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:42 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:44 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:46 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:48 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:50 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:52 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:54 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:56 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:47:58 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:00 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:02 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:04 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:06 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:08 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:10 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:12 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:14 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:16 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:18 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:20 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:22 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:24 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:26 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:28 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:30 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:32 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:34 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:36 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:38 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:40 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:42 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:44 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:46 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:48 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:50 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:52 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:54 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:56 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:48:58 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:00 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:02 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:04 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:06 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:08 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:10 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:12 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:14 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:16 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:18 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:20 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:22 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:24 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:26 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:28 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:30 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:32 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:34 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:36 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:38 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:40 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:42 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:44 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:46 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:48 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:50 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:52 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:54 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:56 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:49:58 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:00 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:02 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:04 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:06 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:08 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:10 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:12 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:14 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:16 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:18 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:20 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:22 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:24 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:26 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:28 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:30 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:32 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:34 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:36 - Je l'ai vu. - C'est un truc de fou.
00:50:38 C'est un psychopathe qui cache derrière un masque de normalité et de calme apparent
00:50:43 des pulsions violentes et antisociales.
00:50:45 Ce qui est intéressant, c'est que la figure du psychopathe qu'on voit ici émerger
00:50:49 dans le roman de McCoy et puis dans le film, "Le quartier tiré",
00:50:52 elle émerge au même moment dans la psychiatrie américaine,
00:50:54 en particulier grâce à un ouvrage célèbre des années 1940
00:50:59 qui s'appelle "The Mask of Sanity" de Hervey Cleckley,
00:51:03 qui est le premier ouvrage à avoir établi, si on veut, le portrait clinique du psychopathe.
00:51:07 Cette première édition a été enrichie au fil des années par Cleckley,
00:51:11 qui a abouti d'ailleurs à tous les profilages de psychopathe qu'on a aujourd'hui faits par le FBI ou autres.
00:51:17 On voit bien comment c'est une pathologie qui naît au lendemain de la guerre,
00:51:21 quand justement on a cette idée d'une société clivée,
00:51:24 où d'un côté on a une société d'abondance, avec des valeurs familiales très fortes,
00:51:29 un comportement très normé, et de l'autre, derrière ça,
00:51:32 des pulsions qui ne peuvent pas être prises en charge,
00:51:34 comme celles au début qu'on a vues de William Bendix dans le film "Le Dahlia bleu",
00:51:38 et qui s'expriment derrière.
00:51:40 Donc une sorte de culture qui est elle-même un peu schizophrène,
00:51:42 et qui s'exprime dans ces personnages clivés, comme on voit ici, l'être James Cagney.
00:51:49 Donc c'est vraiment de la psychiatrie et du roman que viennent ces personnages,
00:51:52 qui se transposent ensuite au cinéma.
00:51:54 Et on les connaît, nous, par le cinéma, mais on oublie souvent justement qu'ils sont sortis de la littérature.
00:52:00 Un mot des lieux de tournage, cette séquence du supermarché a été tournée
00:52:04 dans un vrai supermarché à Glendale, dans l'agglomération de Los Angeles.
00:52:09 Et c'est intéressant parce que ça représente cette nouvelle société de consommation
00:52:13 qui sort de la guerre et à laquelle justement James Cagney s'en prend brutalement.
00:52:18 Ça rappelle d'ailleurs une séquence du film, un film que vous verrez bientôt,
00:52:21 si vous êtes encore là pour la projection, qui sera "Assurance sur la mort",
00:52:25 où justement on voit les deux, le couple meurtrier, combiner son crime
00:52:30 dans les rayons ou entre les rayons d'un supermarché, au milieu des boîtes conserves
00:52:34 et des boîtes de poudre de nourriture pour bébés.
00:52:37 Donc ça fait un contraste assez saisissant dans un cas comme dans l'autre.
00:52:41 On a une sorte de dissension profonde, on peut dire, entre les personnages meurtriers, d'une part,
00:52:45 et puis l'univers social et commercial de la nouvelle société d'abondance de l'Amérique d'après-guerre,
00:52:52 qui correspond bien, là encore, je pense, à cette vision profonde du roman noir,
00:52:56 qui est une sorte de négatif, on peut dire, des valeurs officielles de l'Amérique d'après-guerre.
00:53:02 Je vais finir mon parcours en évoquant un dernier film,
00:53:06 qui est donc "Kiss me Deadly" en quatrième vitesse de Robert Aldrich,
00:53:10 qui est un des grands films noirs sur Los Angeles, là vraiment aussi d'un point de vue documentaire.
00:53:14 C'est un film qui est très largement tourné en extérieur.
00:53:17 Je pense qu'il a été projeté déjà ici, dans ce festival.
00:53:20 Donc pour ceux qui étaient là, ou ceux qui l'ont déjà vu,
00:53:22 vous saurez que ça offre vraiment un témoignage très précieux sur certains quartiers qui ont disparu aujourd'hui,
00:53:28 notamment ceux du centre-ville.
00:53:30 Par exemple, ici, on voit le quartier de Bunker Hill, qui est le plus vieux centre de Los Angeles,
00:53:35 et qui avait ce célèbre funiculaire de Angel Flight.
00:53:40 À l'époque où ce film a été tourné, c'était un quartier totalement délabré.
00:53:46 D'ailleurs, il a été rasé peu après.
00:53:48 Aujourd'hui, on a reconstruit pour les touristes un funiculaire, mais ce n'est pas le même,
00:53:52 même s'il est à peu près au même endroit.
00:53:54 On le voit donc ici, c'est assez émouvant, parce qu'on le retrouve, ce funiculaire,
00:53:58 dans beaucoup de romans noirs des années 40, notamment chez Chandler.
00:54:02 Il y a toute une belle scène qui se passe dans ce même endroit, à Bunker Hill,
00:54:06 dans son livre "La haute fenêtre", "The High Window", et beaucoup d'autres romans sur Los Angeles aussi.
00:54:14 Comme vous le savez, et comme je l'ai dit tout à l'heure, ce film a été salué en France par les cahiers du cinéma,
00:54:20 qui a loué sa très brillante réalisation, qui a valu à Aldrich, son metteur en scène,
00:54:25 d'être élevé au rang d'auteur.
00:54:27 Mais cette reconnaissance a en même temps occulté le rôle joué par son scénariste,
00:54:31 A.I. - c'est ses initiales - Bedserides, qui était également un romancier,
00:54:36 qui était aussi quelqu'un d'assez important, parce que c'est chez lui que William Faulkner habitait
00:54:40 lorsqu'il vivait à Los Angeles. Faulkner qui était souvent ivre, et que Bedserides récupérait chez lui
00:54:45 pour l'aider à dessouler. C'est d'ailleurs chez lui que Faulkner a écrit son roman,
00:54:49 qui n'est pas très bon par rapport aux autres, qui s'appelle "A Fable",
00:54:52 mais que lui-même considérait comme son chef d'œuvre à l'époque.
00:54:56 Du coup, Bedserides, qui est assez connu aux États-Unis, est passé relativement inaperçu en France.
00:55:02 Or, Bedserides s'est livré à un travail très intéressant sur le livre de Mekhi Spellane,
00:55:08 qui porte le même titre que "Smith Eddly" et dont le film est tiré.
00:55:14 Alors Spellane, c'est important aussi de savoir qu'à l'époque, c'était le romancier le plus vendu aux États-Unis.
00:55:19 C'était lui-même un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale, qui racontait des histoires extrêmement violentes.
00:55:23 Il avait vraiment, on peut dire, brutalisé, si on peut dire, le roman noir tel qu'il existait avant,
00:55:28 le roman de détective privé, en faisant de son héros, qui est un détective qui s'appelle Mike Hammer,
00:55:33 qu'on connaît un peu aussi pour les séries télé bien édulcorées des années 70,
00:55:37 une espèce de tueur psychopathe, fondamentalement.
00:55:40 La plupart des premiers romans de Spellane se terminent sur une scène où Mike Hammer se retrouve face à une femme
00:55:47 qui est méchante et qui se déshabille devant lui pour le séduire.
00:55:50 Et pour toute réponse, il lui tire en général une balle dans le bas-ventre.
00:55:53 Donc, ça se termine à peu près comme ça.
00:55:55 C'est la fin de son premier et plus célèbre roman, qui s'appelle en français "J'aurais ta peau"
00:55:59 et qui a fait les beaux jours de beaucoup d'adolescents français des années 50 et américains aussi.
00:56:05 C'est un auteur qui se vendait à des millions et des millions d'exemplaires,
00:56:08 mais purement en livre de poche.
00:56:10 Il était absolument honni et détesté par la critique libérale bien pensante,
00:56:15 qui trouvait que c'était du pur fascisme, si on veut.
00:56:19 C'était aussi un écrivain qui avait développé toute une théorie du détective
00:56:24 comme une sorte de vigilante, de personne qui prend la loi en ses mains
00:56:28 parce que l'État déliquescent est plus capable de le faire.
00:56:32 C'est un peu l'ancêtre des idéologies populistes qu'on peut avoir aussi aujourd'hui.
00:56:37 Mais c'est néanmoins un écrivain assez intéressant,
00:56:39 qui mérite encore d'être lu simplement par la puissance de son style.
00:56:43 Et ce qu'a fait Bezzerides, c'est finalement un peu inverser le sens du roman de Spilane.
00:56:49 Il a exposé d'abord au grand jour la brutalité du personnage de Mike Hammer,
00:56:53 qui est interprété par Ralph Meeker dans le film
00:56:56 et qui est vraiment un des personnages de héros les plus antipathiques qu'on puisse voir,
00:56:59 je pense, au cinéma et dans le film noir en général.
00:57:02 Si vous comparez à Bogart jouant Philippe Marleau,
00:57:05 vous avez vraiment l'impression de voir quelque chose comme une brute épaisse,
00:57:08 brutale avec les femmes, méchant.
00:57:11 Il y a une scène assez terrible où justement, dans le quartier de Bunker Hill,
00:57:16 il rend visite à un personnage de chanteur d'opéra italien tombé dans la misère.
00:57:21 Et puis pour le faire parler, il prend sa collection de disques
00:57:24 et commence à les casser l'un après l'autre en deux.
00:57:27 C'est tout ce qui reste à ce pauvre homme.
00:57:29 Et donc ce détective ne suscite guère la sympathie, on peut dire, par ses actions.
00:57:33 Et puis la deuxième chose qu'il fait, c'est qu'il transforme l'histoire,
00:57:38 qui est une histoire d'ailleurs passablement embrouillée dans le roman,
00:57:41 qui concerne le vol à l'origine de 2 millions de dollars volé à la mafia
00:57:45 et que plusieurs personnages s'entretuent pour essayer de retrouver.
00:57:49 Il prend cette histoire et la transforme en celle d'une concurrence meurtrière
00:57:53 pour retrouver une boîte mystérieuse dont personne ne sait ce qu'elle contient.
00:57:58 Une sorte de boîte de Pandore, bien sûr, comme on le verra tout à l'heure.
00:58:02 Et comme le raconte Benzerides dans l'entretien que j'ai déjà cité,
00:58:06 Spillane était absolument furieux du traitement qu'il avait fait subir à son roman.
00:58:10 Il avait d'ailleurs fait savoir quand les deux hommes s'étaient rencontrés un jour par hasard dans un restaurant.
00:58:16 Mais ce que Benzerides avait surtout fait, je pense,
00:58:18 c'est donc d'ajouter une dimension symbolique à l'histoire de Spillane, qui n'en avait pas vraiment,
00:58:23 de la transformer en métaphore des pulsions autodestructrices de l'humanité à l'âge atomique.
00:58:29 C'est un peu tous ces sentiments de peur qui se concentrent et d'angoisse à l'époque où se développe la bombe
00:58:36 que l'on retrouve ici canalisés, si on peut dire, dans le film noir de manière assez explosive.
00:58:42 C'est d'ailleurs ce qu'il déclarait toujours dans l'entretien que je citais tout à l'heure.
00:58:46 Toutes ces choses terribles que l'humanité développe, dit-il, l'homme s'inflige ça à lui-même.
00:58:52 Il peut tuer des millions d'innocents et ensuite tout justifier.
00:58:56 Je pense que l'homme a été programmé depuis très longtemps pour s'autodétruire et ça finit par porter ses fruits.
00:59:02 On voit d'ailleurs assez bien aujourd'hui aussi.
00:59:06 Mais il y a des salauds dans notre société qui s'en foutent parce qu'ils pensent qu'ils seront au-dessus de tout ça quand ça arrivera.
00:59:11 Ils pensent qu'ils peuvent échapper à leur destin, mais ils ne le peuvent pas.
00:59:16 Figurant cette autodestruction généralisée, cette espèce de pulsion de mort collective,
00:59:21 à la fin du film d'Aldrich, on voit la boîte mystérieuse qui semble contenir une bombe atomique explosée
00:59:28 quand une jeune femme, qui est d'ailleurs une méchante dans le film, un peu trop curieuse,
00:59:32 finit par l'ouvrir sous les yeux hébétés de Mike Hammer, à qui elle vient de tirer une balle,
00:59:38 et de sa secrétaire et maîtresse, Verda.
00:59:41 C'est sur cette scène que je voudrais conclure cette présentation.
00:59:45 On notera avant qu'on la regarde qu'elle a été tournée dans un endroit assez particulier,
00:59:51 qui est la plage de Westwood Beach à Malibu, à l'endroit même où une quinzaine d'années plus tard
00:59:55 sera filmée la séquence finale d'un autre film apocalyptique, qui est "La planète des singes",
01:00:00 que vous connaissez peut-être aussi, qui est de 1968.
01:00:04 La plage, d'ailleurs, on en reparlera je pense vendredi prochain avec Elsa de Vienne,
01:00:08 sous un autre angle je pense, puisqu'on parlera plus de culture, du surf et autres,
01:00:11 mais la plage fait vraiment partie de la mythologie de Los Angeles, de cette mythologie même californienne,
01:00:18 un symbole de l'hédonisme, de la belle vie, des corps bronzés aussi, d'une nouvelle esthétique physique,
01:00:25 et puis d'un nouveau consumérisme.
01:00:27 Quelque chose qui a fait beaucoup cette image dans l'attrait qu'a pu exercer la Californie
01:00:32 sur le reste de la population, et dans les migrations très importantes de la population du reste de l'Amérique vers la Californie.
01:00:39 Il est donc assez intéressant que ce soit précisément en ce lieu que Aldrich et Bezerides
01:00:44 aient situé la fin apocalyptique de leur film, qui est aussi d'une certaine façon la fin apocalyptique de l'humanité tout entière.
01:00:51 Vous verrez dans la séquence qu'on va passer qu'il y a une lumière tout à fait aveuglante
01:00:55 et des images surexposées qui figurent la transformation justement du rêve américain en cauchemar
01:01:01 et sa disparition dans les flammes.
01:01:03 Pour terminer, on va regarder cette séquence, si vous voulez bien.
01:01:08 [bruit de vent]
01:01:12 [musique]
01:01:35 [cris]
01:01:38 [cris]
01:01:58 [cris]
01:02:01 [cris]
01:02:17 [cris]
01:02:20 [cris]
01:02:28 [cris]
01:02:41 [cris]
01:02:44 [cris]
01:02:51 [cris]
01:03:05 [cris]
01:03:08 [cris]
01:03:17 [cris]
01:03:28 [cris]
01:03:31 [cris]
01:03:38 [cris]
01:03:47 [cris]
01:03:56 [cris]
01:03:59 Et voilà, pour moi aussi c'est the end.
01:04:09 Merci beaucoup de votre attention.
01:04:11 Je ne sais pas si vous avez des questions.
01:04:13 [applaudissements]