BE SMART - L'interview de Boris Lombard (KSB France) par Aurélie Planeix

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Vendredi 21 avril 2023, BE SMART reçoit Boris Lombard (président, KSB France)
Transcript
00:00 Pour commencer cette émission, je vous propose de parler d'industrie.
00:08 J'ai le plaisir de recevoir Boris Lombard.
00:10 Bonjour.
00:11 Bonjour Aurélie Pladex.
00:12 Vous êtes le président de KSB.
00:14 Alors KSB c'est une entreprise allemande, 2 milliards et demi d'euros de chiffre d'affaires,
00:19 quelque chose comme ça, à peu près 16 000 salariés.
00:21 Et on est dans le domaine des pompes et de la robinetterie industrielle.
00:24 Peut-être que vous pouvez un peu préciser déjà ce que c'est KSB, même si je viens de donner des grandes lignes.
00:28 C'est une entreprise familiale allemande qui est née en 1871.
00:32 On vient de fêter les 150 ans du groupe, il n'y a pas si longtemps que ça.
00:36 C'est une entreprise présente mondialement effectivement dans les pompes et la robinetterie.
00:41 Et les services associés avec une présence très forte en France.
00:44 On est en France depuis 1951.
00:46 Nous disposons de 4 usines sur le territoire français et de 17 ateliers de services.
00:52 On est quelque part aussi une entreprise française puisque nous exportons 80% de ce que nous fabriquons en France à l'étranger.
01:00 80% ?
01:01 Oui.
01:02 Mais c'est quoi ? C'est des vannes industrielles ? On est sur quel type de... ?
01:06 Alors on adresse divers types de marchés, le bâtiment, l'industrie, le cycle de l'eau, le domaine de l'énergie également.
01:15 Et c'est vrai qu'on est sur des vannes assez techniques, pour vous donner un exemple très clair, dans notre usine de La Roche-à-Laye en Dordogne.
01:20 On fabrique des vannes qui sont installées sur des métaniers par exemple.
01:24 Pour le transport du gaz naturel liquéfié à des températures cryogéniques à -163°C.
01:31 Oui parce que quand on pense robinetterie, on pense eau mais pas nécessairement en fait.
01:34 Oui alors essentiellement c'est de l'eau tout de même, ce que l'on véhicule à la fois au travers de nos robinets industriels et au travers de nos pompes.
01:42 En tout cas moi je vous ai fait venir pour qu'on parle de l'industrie parce que effectivement l'industrie est de nouveau un petit peu au coeur des préoccupations ou en tout cas des attentions médiatiques.
01:53 Depuis le Covid en tout cas on parle beaucoup de réindustrialisation, de relocalisation, maintenant d'industrie verte.
01:59 Est-ce qu'il était temps qu'on remette un petit peu l'industrie au centre du jeu ?
02:03 Je crois qu'on a gagné quelque part la bataille des esprits dans l'industrie.
02:07 On en parle depuis maintenant 2018, c'était la première édition d'un événement auquel nous avons participé d'ailleurs de manière très active chez KSB qui était l'usine extraordinaire.
02:17 Bien sûr.
02:18 Et qui nous a beaucoup mobilisés et qui au travers des dernières éditions notamment celle de Viva Fabrica à Lyon au mois de février nous a également fortement mobilisés.
02:26 Donc l'industrie quelque part est redevenue au centre du débat en France et je crois que c'est positif.
02:33 On s'est aperçu à quel point la désindustrialisation avait été délétère pour le pays et à quel point il était important de regagner des parts de PIB dans l'industrie.
02:44 On a une industrie qui est à peu près à la moitié de ce qu'elle représente à l'Allemagne et il faut véritablement qu'on gagne cette bataille avec des opportunités aujourd'hui
02:53 que nous donne à la fois la relocalisation des chaînes de valeur et puis également la décarbonation.
02:59 Vous évoquiez l'Allemagne. Quelle est la vision allemande de l'industrie par rapport à la France ?
03:06 En Allemagne l'industrie est quelque part le bien commun. C'est quelque chose pour lequel les syndicats, le patronat, les politiques se sont tout le temps battus
03:15 et ça continue encore aujourd'hui. L'Allemagne n'a jamais abandonné son industrie parce que je crois qu'elle y croit fortement d'une part.
03:24 Elle voit cela comme un secteur porteur, un secteur d'avenir dans lequel les jeunes, notamment au travers de l'apprentissage qui est très développé en Allemagne, ont à coeur de se développer.
03:35 Et donc de ce point de vue-là, je pense que l'Allemagne nous offre quelque part un exemple de ce qu'il faudrait faire en France.
03:43 L'Allemagne a aussi l'avantage d'être portée par beaucoup d'entreprises familiales, c'est le cas de KSB.
03:48 Et cet attachement viscéral au territoire, à l'industrie, a peut-être été finalement le garde-fou qui a empêché que l'industrie allemande, à l'instar de l'industrie française, délocalise massivement dans les 40 dernières années.
04:03 Aujourd'hui, il faut arriver à remobiliser les jeunes vers ces filières-là. Il y a eu beaucoup d'efforts faits. Vous citiez l'apprentissage en Allemagne qui est à un niveau bien plus élevé qu'en France.
04:12 Néanmoins, on a franchi un gros gap, je crois, en termes de contrat avec des niveaux records. Il faut continuer dans cette voie-là.
04:19 Qu'est-ce qu'on peut faire pour rendre cette industrie française plus attractive pour les jeunes aujourd'hui ?
04:25 Je crois qu'il faut convaincre les jeunes de la nécessité pour eux de rejoindre l'industrie, pour la transformer.
04:31 Ils ont à cœur souvent de participer à la décarbonation, de participer à cette transformation écologique. Ils peuvent y participer de l'intérieur, en quelque sorte, lorsqu'ils rejoignent l'industrie.
04:43 Je crois que c'est un des arguments forts que l'on peut mettre au-devant des jeunes pour les attirer dans nos secteurs.
04:50 Il faut aller les convaincre sur place. Je parlais de Viva Fabrica tout à l'heure. On peut le faire comme on le fait chez KSB, en allant dans les lycées.
04:58 J'ai été frappé de constater lors d'une enquête récente qui a été commandée, je crois, par l'NSAM, que 72% des IFC1 ont aujourd'hui une opinion positive de l'industrie.
05:08 72% ?
05:09 Oui, ce qui est quand même pas mal. Les mentalités ont évolué de manière très positive ces dernières années. Malgré tout, 42% seulement envisagent de travailler dans l'industrie.
05:18 Ce qui prouve qu'on a encore du chemin à faire, peut-être parce qu'ils ne connaissent pas assez bien les métiers de l'industrie.
05:23 Ils ont du mal à se projeter dans ces métiers-là. Donc à nous aussi de leur faire comprendre que l'industrie, c'est un travail d'équipe, c'est un creuset formidable
05:33 qui agrège des gens de talents différents, d'horizons différents autour de projets très concrets. Et c'est une formidable manière de faire carrière et de s'épanouir.
05:45 Vous parliez de décarbonation et du rôle que peut jouer l'industrie dans la décarbonation. Comment ça se traduit par exemple dans une entreprise comme la vôtre ?
05:53 Le chantier de la décarbonation, quels sont les sujets que vous adressez ?
05:56 Alors nous avons une particularité. Le bilan carbone très récent que nous avons réalisé le démontre. C'est que 98% de l'empreinte carbone que nous laissons est liée à l'usage de nos produits.
06:09 Une pompe, ça tourne pratiquement tout le temps pour certaines en tout cas et ça consomme beaucoup. Donc le premier chantier auquel nous nous sommes attelés depuis très longtemps d'ailleurs,
06:17 on a travaillé sur la réglementation européenne avec l'ensemble de la profession dès 2013, donc ça remonte déjà à il y a 10 ans, a consisté à élever le taux d'efficience des produits que nous mettions sur le marché.
06:32 Et ce faisant, nous avons réalisé collectivement à peu près 30 TWh d'économie en Europe. 30 TWh c'est à peu près la consommation d'un pays comme l'Irlande.
06:43 C'est énorme ! Donc nous avons énormément contribué justement à l'efficience des produits, à la diminution de la consommation énergétique et c'est vraiment le premier levier auquel on peut avoir recours dans notre secteur pour décarboner.
06:56 Et puis il y a aussi ce qu'on appelle de manière un peu technique les scopes 1 et 2, c'est-à-dire la consommation énergétique à l'intérieur de l'entreprise, l'emprunte carbone liée à nos propres opérations.
07:08 Chez KSB depuis 2018, nous achetons de l'énergie verte, nous avons pris cette décision, de l'énergie renouvelable. Donc nous avons un scope 2 qui est égal à 0 et puis on met en place un certain nombre de mesures de sobriété.
07:22 Vous vous rappelez que le gouvernement avait demandé 10% d'économie au mois de septembre de l'année dernière, à l'approche d'un hiver que l'on craignait rigoureux et difficile.
07:31 On a réalisé 20% ! C'est-à-dire qu'avec quelques mesures de bon sens, tout simplement abaisser la consigne de température dans les locaux, 19° dans les bureaux, 18° dans les usines, en fermant aussi le chauffage dans quelques locaux qui étaient peu utilisés.
07:48 On est arrivé à un niveau de sobriété, à des économies qui sont deux fois supérieures à la demande du gouvernement, ce qui laisse augurer si maintenant on double cela avec des investissements que nous prévoyons de faire d'ailleurs, d'isolation de panneaux solaires, de gestion automatisée des bâtiments, des potentiels d'économies encore plus importants.
08:09 On parlait tout à l'heure d'industrie verte et du plan qui est en cours avec la loi qui est en cours de préparation sur ce sujet. Comment est-ce que vous regardez ça ? Est-ce que vous dites "ça y est, on va avoir une conscience collective, qu'il faut prendre ces enjeux-là en considération et on va avoir un coup de main pour les réaliser" ou vous dites "non, finalement, j'ai déjà mis en place beaucoup de choses et ce plan-là ne va rien changer pour moi" ?
08:33 On a besoin d'un plan et on a besoin collectivement de travailler justement la décarbonation. Les objectifs européens sont assez ambitieux en la matière. On parle de moins 55% d'émissions de CO2 par rapport au niveau de 90 et quand on regarde ce qui a été fait jusqu'à présent, on s'aperçoit qu'on a atteint à peu près la moitié de l'objectif en 30 ans et qu'il nous reste moins de 10 ans pour faire la suite.
08:57 Donc il y a encore beaucoup de pain sur la planche et le cadre réglementaire est un levier évidemment très puissant et nécessaire pour se faire. Néanmoins, la difficulté, et c'est là qu'il faut que ce genre de processus soit réalisé de manière coordonnée et concertée avec les entreprises, c'est faire en sorte que ce cadre réglementaire puisse être géré d'une manière économiquement soutenable par les entreprises.
09:25 Donc j'appelle moi personnellement au niveau européen, parce que je pense que c'est là que se jouent les enjeux essentiels de la décarbonation, un cadre réglementaire clair, stable, défini, qui pour l'instant reste très flou, toutefois concerté avec les entreprises, à l'instar de ce que nous avons fait dans le domaine des pompes et que je mentionnais tout à l'heure dès 2013, puisque les réglementations qui ont conduit à cette économie sont des réglementations qui à l'époque avaient été définies par la profession,
09:54 par la profession et par l'Union européenne. Et je crois que c'est typiquement le type de, comment dirais-je, d'approche vertueuse qu'il faudrait mettre en place pour atteindre ces objectifs.
10:06 Une réglementation harmonisée, mais est-ce que vous attendez aussi des aides ou des dispositifs fiscaux comme un peu ce qui se fait aux États-Unis ? On parle beaucoup de l'IRA et je crois que c'est le président de France Industrie, Alexandre Sobo, qui disait qu'il faut que la France et l'Europe assument une réponse claire parce que dans les grandes zones économiques du monde aujourd'hui, rivalisent les subventions pour accélérer cette transition.
10:29 Vous, est-ce que c'est quelque chose que vous réclamez également ? Je crois que ce n'est pas dans l'ADN des entrepreneurs que de réclamer des subventions, très honnêtement. Après, c'est une question d'équilibre.
10:40 S'il faut forcer la marche, évidemment qu'il faut des aides pour accélérer et pour justement rendre cette transition économiquement soutenable, encore une fois. On est dans une espèce effet de ciseau aujourd'hui.
10:54 On a une inflation très forte, une baisse sur les augmentations de salaires, on a une croissance qui est plutôt en berne et nous nous retrouvons face à des investissements massifs à réaliser pour pouvoir gérer justement cette décarbonation.
11:07 Pour que cette équation soit gérable, il faudra très certainement que les pouvoirs publics, également, en fonction de la vitesse à laquelle on veut parvenir à cette transformation, injectent effectivement un certain nombre d'aides sous la forme par exemple de défiscalisation.
11:23 D'autant plus que maintenant, effectivement, aux Etats-Unis, l'ARA change un peu la donne et est une formidable pompe à aspirer des investissements et un véritable danger pour l'Europe.
11:37 Donc, on est dans l'obligation d'avoir une réponse européenne à ce dispositif.
11:43 Merci beaucoup, Brice Lombard. Je rappelle que vous êtes le président de KSB.

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