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Lucie Pinson, fondatrice et directrice de l'ONG Reclaim Finance, est l'invitée éco d'Isabelle Raymond sur franceinfo, lundi 17 avril 2023.

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00:00 Bonsoir à toutes et à tous, le printemps est la saison des assemblées générales.
00:05 L'occasion pour les actionnaires de prendre connaissance des plans stratégiques des entreprises cotées, de leurs investissements à venir.
00:11 Bonsoir Lucie Pinson.
00:13 Bonsoir.
00:13 Vous êtes la fondatrice et directrice de Reclaim Finance, organisation non gouvernementale qui tente de décarboner la finance.
00:20 Juste avant la tenue de ces assemblées générales, des groupes pétroliers et gaziers en particulier, vous publiez un rapport dans lequel vous épluchez leur stratégie climat.
00:30 Et votre constat est sans appel, aucun n'a de plan qui permet de tenir l'objectif de l'accord de Paris, c'est-à-dire de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.
00:40 Expliquez-nous pourquoi.
00:41 Concrètement parce qu'on sait aujourd'hui que pour limiter nos émissions de gaz à effet de serre et les réduire de moitié d'ici 2030, si on veut limiter le réchauffement à 1,5°C,
00:52 il faut profondément transformer la manière dont on produit et consomme l'énergie.
00:57 Et que nos grandes entreprises du secteur pétrolier et gazier doivent investir massivement dans les solutions, les énergies renouvelables,
01:05 puisque on sait qu'on doit multiplier par 3,2 ces investissements d'ici 2030 dans la transition énergétique.
01:13 Et aussi que cette augmentation d'investissement dans les solutions doit venir remplacer les investissements aujourd'hui qui sont faits dans le secteur pétrolier et gazier.
01:23 Et malheureusement aujourd'hui lorsqu'on regarde, lorsqu'on épluche les plans de transition des grandes entreprises pétrolières et gazières au niveau européen,
01:32 donc parmi lesquels on va trouver Total, mais aussi Shell, BP, Equinor, Epsol et leur pair au niveau des Etats-Unis,
01:39 et bien on se rend compte que le compte n'y est pas du tout puisque ces entreprises continuent de développer des nouveaux projets d'hydrocarbures
01:45 à rebours des conclusions des scientifiques mais aussi des projections de l'Agence internationale de l'énergie pour limiter le réchauffement à 1,5°C.
01:54 Et que ces entreprises malheureusement n'ont pas du tout des objectifs de baisse de leur production d'hydrocarbures à l'horizon 2030.
02:01 Et donc c'est ça le principal problème, c'est le fait qu'elles continuent à investir dans des projets d'hydrocarbures
02:09 parce qu'on voit qu'en même temps elles investissent aussi dans les énergies renouvelables.
02:13 Alors on peut investir dans les projets d'hydrocarbures existants, dans les champs existants, il faut continuer à y investir,
02:18 il va falloir notamment déployer des technologies aussi pour réduire les émissions de méthane qui sont liées à ces infrastructures.
02:24 Par contre on ne peut pas ajouter du carbone, il y a déjà trop de carbone et donc il ne faut plus ouvrir des nouveaux champs pétroliers et gaziers.
02:31 Donc par exemple les projets portés par Total en Afrique comme le projet Tilanga lié au pipeline E-COP en Afrique de l'Est,
02:39 très contesté aujourd'hui, et totalement contraire à ce qu'il faut faire pour limiter le réchauffement à 1,5°C.
02:47 Et on comprend bien qu'il ne suffit pas d'ajouter du renouvelable à cette masse de fossiles parce que les émissions resteront toujours aussi hautes, voire continueront d'augmenter.
02:56 Sauf que les investissements...
02:58 Il faut bien opérer cette transition, c'est d'ailleurs pour ça qu'on l'appelle transition.
03:00 Parce qu'il y a quand même des investissements massifs qui sont prévus dans les renouvelables.
03:03 Le patron de Total, Patrick Pouyanné, vous l'avez évoqué, il prévoit de consacrer 5 milliards de dollars aux investissements bas carbone en 2023, solaire, éolien, hydrogène.
03:13 Ce n'est pas rien, ce n'est pas du greenwashing ça ?
03:15 Ce sont des chiffres qui peuvent impressionner, mais tout est relatif.
03:17 Il faut les mettre en lumière avec les montants des investissements dans les énergies fossiles.
03:22 Et là, quand on regarde Total, on se rend compte que cette catégorie bas carbone, qui d'ailleurs ne comporte pas que des énergies renouvelables,
03:29 il comporte aussi du gaz, notamment du gaz de la production d'électricité à partir de gaz, qui est une énergie fossile.
03:34 Donc on n'est pas que sur des solutions dans cette catégorie bas carbone,
03:37 mais que cette catégorie bas carbone, dans tous les cas, ne va capter que 33% des dépenses d'investissement de la majeure pétrolière et gazière.
03:45 Autrement dit, la majorité des dépenses aujourd'hui continuent d'aller à la perpétuation d'un modèle fondé sur les énergies fossiles.
03:52 Et quand on voit Total, on n'est pas si mal.
03:54 1 dollar investi pour les énergies renouvelables, pour 3 dollars dans les énergies fossiles, c'est 32 dollars chez Equinor dans les fossiles.
04:01 Finalement, les Français ne sont pas si mauvais que ça, quand on regarde les autres.
04:04 Alors la question n'est pas tant d'être comment on se compare par rapport aux autres,
04:08 c'est la question est-ce qu'on est tous engagés dans une large transformation de manière à tenir les objectifs climatiques internationaux
04:15 et aussi les objectifs climatiques que les entreprises se sont elles-mêmes données.
04:19 Total met en avant sa volonté en matière climatique.
04:22 Malheureusement, dès qu'on regarde les chiffres, on se rend compte que les énergies renouvelables aujourd'hui
04:27 parcellent surtout ses discours et ses rapports et moins ses dépenses d'investissement.
04:32 Sauf que le patron de Total, il dit dans ses arguments qu'il ne peut pas aller au-delà parce que ses actionnaires ne vont pas suivre.
04:40 Je disais que vous, vous prenez une économie, une finance décarbonée.
04:45 Est-ce qu'aujourd'hui, ce sont les actionnaires qu'il faut convaincre, qu'il faut éduquer ?
04:48 Alors ça dépend de quels actionnaires. Vous avez une division parmi les actionnaires.
04:52 En effet, on peut avoir une tentation aujourd'hui des actionnaires de faire primer les profits de court terme
04:59 puisque Total, comme les autres majors pétrolières et gazières, il faut le rappeler, ont touché des bénéfices records ces dernières années
05:07 en raison de la crise, en raison de la guerre, ils en ont profité.
05:10 Et bien entendu, ça peut ralentir le mouvement de désinvestissement
05:14 ou le mouvement d'engagement des actionnaires en direction des majors pétrolières
05:18 pour leur demander de faire plus pour la transition, ce qui voudrait dire aussi en moins d'argent.
05:22 En revanche, ce n'est pas tous les actionnaires.
05:24 Vous avez des actionnaires qui, en effet, chaque année, votent contre le climat
05:28 et en soutien au management, à la direction de Total Energy,
05:31 quand bien même ces plans climat ne sont pas suffisants.
05:35 Donc parmi ces actionnaires, vous avez Amundi, la société de gestion du crédit agricole,
05:39 vous avez AXA, vous avez la BNP Paribas, mais vous avez d'autres actionnaires,
05:43 de petites et moyennes tailles, qui eux sont bien engagés en matière climatique
05:49 et poussent au contraire la major pétrolière et gazière à toujours en faire plus.
05:53 Cette année encore, vous avez une résolution qui sera déposée à l'Assemblée Générale de Total
05:58 et qui demande à Total de faire beaucoup plus pour réduire ses émissions à l'horizon 2030,
06:05 puisque Total aujourd'hui ne prévoit de les baisser que de 2%,
06:08 ce qui est ridicule par rapport à l'objectif de 50% qu'il faudrait atteindre.
06:12 Et alors ces résolutions, justement, vous avez parlé de cette résolution déposée chez Total,
06:16 résolution également chez Engie, vous avez fait un gros plan sur Engie,
06:21 résolution pour demander des objectifs plus précis en termes de réduction de gaz à effet de serre.
06:26 Est-ce que ce type d'initiative peut avoir des effets bénéfiques à votre avis, Lucie Pinson ?
06:31 Alors tout à fait bénéfique pour deux raisons, et d'ailleurs c'est peut-être d'abord intéressant
06:36 de remarquer que ce sont les mêmes actionnaires qui se mobilisent chez Engie que chez Total Énergie.
06:41 Vous avez publié un rapport, vous avez fait un gros plan sur Engie,
06:44 vous avez montré que leur stratégie climat n'était pas tout à fait claire.
06:47 On a fait un gros plan sur, en effet, la stratégie climat d'Engie,
06:52 qui est à la fois élacunaire et pas alignée, si on est un peu sérieux,
06:57 avec l'objectif climatique international de limiter le réchauffement à 1,5°C.
07:01 D'ailleurs, il faut d'abord le rappeler, Engie n'a pas un objectif 1,5°C,
07:06 Engie a une stratégie qui vise un réchauffement limité sous le seuil de 2°C.
07:11 Donc déjà, là, le compte n'y est pas.
07:13 Et surtout, aujourd'hui, Engie, malheureusement, ne publie pas l'intégralité des informations
07:19 nécessaires aux investisseurs pour évaluer la crédibilité de son plan en matière climatique.
07:27 D'où l'intérêt de cette initiative qui vise à inviter l'entreprise à consulter régulièrement
07:33 ses actionnaires sur son plan climat lors de l'Assemblée Générale,
07:37 pas seulement sur le plan, mais aussi sur la mise en œuvre,
07:39 parce qu'on sait bien qu'en matière climatique, il ne suffit pas d'adopter des objectifs,
07:43 il faut aussi s'assurer que les mesures sont prises pour les atteindre.
07:47 Et donc, cette consultation sur la mise en œuvre est également très importante.
07:51 Et puis aussi, surtout, il demande à Engie de soumettre à la discussion un plan climat
07:57 et surtout des indicateurs précis, qui aujourd'hui manquent malheureusement
08:01 dans les plans climat qui sont publiés par les entreprises.
08:05 Et ce qui rendent aujourd'hui ces consultations globalement des outils de greenwashing.
08:09 Donc l'initiative des actionnaires, c'est intéressant parce qu'elle vise justement
08:12 à ne plus en faire un outil de greenwashing, mais en faire un outil pour la solution énergétique.
08:15 Merci beaucoup Lucie Pinson, directrice et fondatrice de l'ONG Reclaim Finance.
08:20 Invité Echo de France Info ce soir.

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