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Rencontre des lycéens avec les auteurs sélectionnés pour le Prix du livre de philosophie 2023, diffusée le 05/04/ 2023 sur la plateforme du Projet Europe, Éducation, École :
https://projet-eee.eu/diffusion-en-direct-564/

Dossier pédagogique :
https://projet-eee.eu/wp-content/uploads/2023/03/eee.22-23_Prix_lyceen_du_livre_de_philosophie_2023.pdf

Site : https://projet-eee.eu

Programme 2022-2023 :
https://projet-eee.eu/programme-de-lannee-2022-2023-6117/

Cours en vidéo classés par thèmes :
https://projet-eee.eu/cours-classes-par-themes/
E.E.E. sur Dailymotion : http://www.dailymotion.com/projeteee

Podcast du Projet EEE :
https://soundcloud.com/podcastprojeteee
https://www.deezer.com/fr/show/634442

E.E.E. sur Facebook : http://www.facebook.com/Europe-Education…ole-203833816638
Transcription
00:00 [Musique]
00:19 Bonjour à tous, soyez les bienvenus sur la plateforme du projet Europe éducation et école
00:25 qui ce matin a le plaisir d'accueillir monsieur Pierre Casunogues pour son ouvrage
00:32 si Jean-Luc peut nous montrer la première découverture sur la bienveillance des machines
00:39 les élèves d'une centaine de lycées en France et même à l'étranger à Bratislava, Berlin, Sofia et à Rome
00:48 je crois ont travaillé là-dessus. Cher Pierre, merci d'avoir accepté cette invitation de Didier Bréjean
00:56 qui est avec moi. L'association des professeurs de philosophie et de l'enseignement public
01:02 nous fait l'honneur de participer à l'organisation de ce prix. Je cède la parole à Didier Bréjean
01:10 pour dire un petit mot sur les modalités prévues pour le vote qui devra avoir lieu prochainement
01:18 je vous redonnerai la parole Cher Pierre dans un instant. Didier, la parole est à vous, votre micro n'est pas activé
01:24 Alors, rebonjour tout le monde, rebonjour chez Slove, donc je rappelle que nous sommes réunis
01:30 pour la huitième édition du prix lycéen du livre de philosophie organisé par la PEP
01:37 donc l'association des professeurs de philosophie et de l'enseignement public
01:40 après avoir écouté Joël Zasque pour écologie et démocratie, nous allons maintenant entendre
01:47 Kierkegaard-Szounoges pour son livre "La bienveillance des machines"
01:51 concernant les modalités du vote, je rappelle que chaque élève vote pour le livre de son choix
01:59 que les professeurs doivent recueillir les votes avant le 15 juin et me les transmettre
02:06 et qu'il y aura une remise du prix organisée à l'automne prochain
02:11 voilà je laisse la parole à Kierkegaard-Szounoges pour son livre
02:16 Bonjour, merci pour cette invitation et la participation à ce prix
02:24 et l'occasion de présenter ce livre devant vous tous
02:31 donc le titre "La bienveillance des machines" c'est une forme d'ironie
02:37 il s'agit de mettre en évidence une nouvelle forme de surveillance par la technologie
02:46 qui entend nous surveiller pour notre bien
02:50 donc en ce sens la technologie nous bienveillerait et il y aurait une bienveillance des machines
02:57 ensuite il y a deux thèses différentes
03:03 la première c'est sur la forme même de la philosophie qui passe pour moi par la fiction
03:09 et c'est ce que j'essaye de mettre en place dans des alternances
03:13 entre des analyses explicitement théoriques et des fictions
03:18 et puis deuxièmement il s'agit d'étudier comment les technologies transforment nos formes de vie
03:26 reprenant le terme de forme de vie à Wittgenstein
03:30 j'évoque au cours des différents chapitres plusieurs transformations
03:36 il y a ce que j'appelle le travail zombie sur les plateformes
03:40 la circulation des clichés, le rapport de non-étrangeté aux robots compagnons
03:51 un mode de perception et de surveillance que j'appelle synaptique
03:56 pour l'opposer au mode panoptique de la prison
04:01 c'est une nouvelle forme de prison si on veut
04:05 et puis je voudrais insister ici surtout sur ce que j'appelle le syndrome du thermomètre
04:11 c'est le premier chapitre du livre
04:14 et c'est la façon dont nous donnons à une machine le soin de décrypter notre propre expérience
04:25 c'est-à-dire pour avoir rapport à nous-mêmes et savoir par exemple ce que nous pensons
04:31 ou ce que nous ressentons, nous passons par l'intermédiaire de la machine
04:38 mon exemple préféré c'est une application qui s'appelle Cogito Compagnon
04:44 qui utilise les intonations de ma voix au téléphone au cours de la journée
04:51 pour me donner le soir un score d'humeur
04:54 c'est-à-dire l'algorithme écoute les variations de ma voix au téléphone
04:58 et à la fin de la journée me dit de quelle humeur je suis
05:03 et pourquoi utiliserions-nous une telle application ?
05:10 dans notre forme de vie habituelle je suis censé savoir comment je me sens
05:15 si on me dit "Pierre, tu as l'air triste aujourd'hui"
05:18 je dis "non, je suis en pleine forme, on peut croire que je mens"
05:22 mais si on accorde que je suis de bonne foi, on accorde que je sais comment je me sens
05:29 et bien justement c'est ce qui change avec la technologie
05:32 on accorde plus de foi à nos téléphones lorsqu'ils nous disent comment nous allons
05:41 qu'à nous-mêmes
05:42 il y a toute une série d'exemples et pour moi c'est vraiment le point sur lequel je veux insister
05:47 ça n'est pas en soi un mal
05:49 peut-être qu'effectivement toute une série de telles applications
05:54 nous permettent de vivre plus heureux
05:59 peut-être que le fait de savoir ou de croire savoir comment nous nous sentons
06:07 peut-être que finalement c'est une apparence ou justement une forme de vie un peu accidentelle
06:13 donc peut-être que ces applications nous permettent effectivement de vivre plus heureux
06:20 de mieux nous occuper de nos émotions
06:24 mais la difficulté pour moi c'est que si je dépends de mon téléphone
06:32 ou de mon ordinateur et de toute une série de technologies qui les maintiennent
06:37 mon téléphone ne me dira jamais "arrête-moi, jette-moi à la poubelle"
06:42 mon téléphone me dira avec une multitude de petits signes
06:47 "achète un modèle, achète un nouveau modèle, achète un modèle plus joli, plus plein de choses"
06:53 et il y a une sorte, c'est la dernière thèse sur laquelle je veux insister
06:58 il y a une tendance à l'extension de la machine
07:02 c'est une image que je reprends à Samuel Butler dans son roman "Héréone"
07:08 il y a une tendance à l'extension de la machine
07:11 qu'on peut rapprocher, qu'on peut lier au capitalisme
07:14 et qui est peut-être même plus général
07:17 l'idée de Samuel Butler c'est que les machines alors qu'elles n'ont pas la vie
07:21 elles n'ont pas l'instinct, elles n'ont pas l'intelligence, elles n'ont pas la conscience
07:25 et leur prêter tout cela c'est faire des erreurs de catégorie
07:28 mais elles ont une tendance à l'extension
07:30 elles prennent de plus en plus de place sur la Terre mais aussi dans notre temps
07:35 et en ce moment elles semblent bien nous amener au bord d'une catastrophe écologique
07:44 d'une catastrophe tout court
07:46 et le fait de dépendre d'elles pour savoir ce que nous ressentons en particulier
07:51 ne nous permettra pas du tout de nous en libérer
07:55 voilà, je vous remercie
07:57 merci beaucoup Pierre pour cette présentation
08:02 Jean-Luc, est-ce que tu me reçois normalement ?
08:09 merci, je voulais donc passer maintenant la parole au lycée Amiaux
08:15 vous êtes la seule à nous voir
08:17 bonjour
08:19 dans le sénat vous pouvez prendre la parole, allez-y
08:23 bonjour, merci de bien vouloir répondre à nos questions
08:27 vous expliquez que les machines sont créées pour nous aider, pour nous bienveiller et nous rendre heureux
08:33 cependant vous notez aussi que le robot ne peut pas actuellement remplacer un être humain
08:37 alors est-il possible que l'homme se passe des machines ?
08:41 est-ce souhaitable ?
08:43 est-il davantage souhaitable pour l'homme de se passer des machines
08:47 ou de poursuivre leur développement et leur usage au risque d'une totale dépendance
08:51 voire d'une modification de sa nature ou de son identité ?
08:55 oui, merci pour la question
09:01 je crois que vous éteignez votre micro
09:05 au parleur, je sais plus, mais il y a quelque chose
09:10 oui, donc merci pour la question
09:14 il y a deux points en fait
09:18 sur le premier
09:22 je tiens, est-ce que par exemple, justement la catastrophe écologique
09:27 est-ce qu'il vaut mieux limiter l'usage de la technologie
09:31 ou au contraire se confier à une solution technologique en gros
09:38 justement, c'est quelque chose auquel je tiens beaucoup
09:42 et qui me permet d'aborder l'autre thèse sur la fiction
09:46 c'est que pour moi, le philosophe a un rapport très particulier au monde réel
09:51 c'est-à-dire, est-ce que finalement, les téléphones
09:57 quels sont l'effet des téléphones, disons, sur le climat
10:03 ou à quelle vitesse allons-nous utiliser les terres rares qui sont à la base de nos téléphones
10:09 en tant que philosophe, je n'en sais rien
10:12 c'est-à-dire, je ne suis pas ni sociologue, ni climatologue
10:17 ni informaticien et spécialiste des technologies
10:22 pour moi, le domaine
10:27 et à partir du moment où j'empiète sur ces domaines
10:30 je me prête à ce que quelqu'un qui est spécialiste des terres rares
10:35 me dise "non, vous vous trompez complètement"
10:38 et il aura aux yeux de tous raison
10:41 c'est-à-dire, je ne pourrai pas discuter avec lui
10:44 à moins de me faire moi-même spécialiste des terres rares
10:47 ce que je ne suis pas du tout
10:48 donc, le philosophe, pour moi, parle dans le domaine de la fiction
10:53 et c'est à travers la fiction qu'il peut pointer sur des bizarreries
11:03 des étrangetés, des dangers dans le monde réel
11:07 et donc, pour moi, je n'ai aucune idée de ce qui est souhaitable
11:13 c'est-à-dire que je n'ai aucune idée de...
11:18 le philosophe... il y a des scientifiques qui prédisent l'avenir
11:21 par exemple, les physiciens
11:23 la pomme, ils voient une pomme tomber, pour le dire très vite
11:26 et ils peuvent prédire à quelle vitesse la pomme touchera le sol
11:29 il y a des scientifiques qui peuvent prédire l'avenir
11:33 ou avec un certain nombre de statistiques
11:37 mais le philosophe, pour moi, ne peut pas du tout prédire l'avenir
11:41 et donc, ne peut pas dire ce qui est souhaitable
11:44 tout ce qu'il ou elle peut faire, c'est à partir de la fiction
11:48 montrer comment il y a dans nos concepts, dans nos formes de vie
11:54 des étrangetés, des bizarreries, des dangers
11:57 mais, pour moi, je ne peux pas dire ce qui est souhaitable
12:04 et ce qu'il faut faire
12:06 donc, est-ce qu'il faut plutôt se débarrasser de nos téléphones
12:11 ou au contraire, utiliser de nouvelles applications
12:18 pour dépenser moins d'énergie, etc.
12:21 en tant que philosophe, en tant que citoyen, je peux avoir une idée
12:24 mais en tant que philosophe, ce n'est pas mon domaine
12:29 mon domaine, c'est la fiction
12:32 merci beaucoup
12:36 est-ce que dans la foulée, je peux vous poser une question
12:39 je viens de me réparer par mail
12:42 de la part de Raphaël Verchères au lycée Dessines
12:47 lycée Chaplin à Dessines
12:51 faut-il nourrir des craintes ou au contraire des espérances
12:55 face au développement d'outils comme ChatGPT, s'il vous plaît
13:00 vous avez peut-être déjà exprimé pas mal d'idées là-dessus
13:04 sur telle ou telle plateforme de télévision
13:06 j'aimerais avoir votre avis
13:09 je suis intervenu là-dessus plusieurs fois
13:12 pour moi, dans l'énorme bruit autour de ChatGPT
13:17 il y a aussi une façon pour les grandes entreprises de la technologie
13:22 d'augmenter leur capital financier
13:25 c'est-à-dire qu'en disant "oui c'est génial"
13:30 il fait tout un tas de choses extraordinaires
13:32 ou en disant "là là, c'est un danger comme la bombe atomique"
13:35 on lui donne de l'importance
13:37 et d'une certaine façon, même en les critiquant
13:41 on propulse, quand on les critique en leur prétendant une malveillance extraordinaire
13:49 on propulse les nouvelles technologies
13:52 donc pour moi, ChatGPT c'est un algorithme
13:56 qui est capable de faire du texte qui sonne normal
14:09 c'est-à-dire, vous lui demandez une annonce immobilière
14:12 il fait une annonce immobilière qui sonne comme une annonce immobilière
14:17 elle a l'air d'être normale, ça a l'air d'être une vraie annonce immobilière
14:21 et donc il fait une série de choses
14:23 il prouve qu'il y a dans notre façon d'écrire normalement
14:28 toute une série de choses mécaniques
14:31 je veux répondre à un courriel de sorte qu'il sonne le plus normal possible
14:36 ChatGPT peut le faire, mais c'est ses tâches qu'il peut faire
14:40 il fait, si vous avez essayé, il fait très mal une dissertation de philosophie
14:44 ses démonstrations mathématiques
14:46 à moins qu'il aille chercher directement la solution quelque part sont fausses
14:50 donc à mon avis, il est beaucoup moins puissant qu'on ne le dit
14:56 et il montre qu'effectivement, dans un espèce de langage un peu formel
15:01 un peu tout fait, il y a quelque chose de très mécanique
15:04 et peut-être finalement que si des algorithmes peuvent le faire
15:07 eh bien, ils nous laissent à nous la tâche de faire de la poésie
15:13 un langage non mécanique, un langage justement où notre humanité apparaît mieux
15:20 Merci, je reçois également en l'instant une question de Laurent Cure
15:25 ses élèves qui travaillent, si ma mémoire est bonne, au lycée Feuillade à Lunel
15:33 sont là, ils vous écoutent, mais deux questions les fracassent
15:38 à propos de ce titre, certes, vous en êtes expliqué, la bienveillance des machines
15:45 les machines ne pourraient-elles pas parfois suggérer un suicide à quelqu'un ?
15:50 ou serait-elle en mesure, en tant que bienveillante, ces machines
15:56 qui viennent de l'intelligence artificielle, pourraient-elles résoudre nos problèmes climatiques ?
16:02 trouver une solution au réchauffement climatique ?
16:05 Alors, en ce qui concerne le suicide, comme on sait, il y a toute une série
16:13 il y a un certain nombre de suicides liés aux adolescents en particulier
16:19 liés aux réseaux sociaux, et il y a un travail des plateformes pour essayer de prévenir ces suicides
16:28 un travail avec des algorithmes qui ne marche manifestement pas très bien
16:33 ce que je veux dire, c'est que jamais une application programmée par une de ces grandes plateformes
16:41 ne va engager quiconque au suicide, au contraire, ces applications
16:48 elles vont toujours avoir pour but explicite de me permettre de vivre plus heureux
16:57 et c'est en cela, et par exemple c'est le cas sur Facebook
17:04 Facebook a des algorithmes qui vont essayer de me surveiller
17:10 justement pour vérifier que je ne vais pas vouloir passer à l'acte
17:16 donc ces technologies, elles visent à nous bienveiller
17:21 et pareil, l'application dont je parlais tout à l'heure qui analyse les intonations de ma voix
17:28 elle me donne un score d'humeur pour me prévenir si mon humeur descend trop bas
17:34 donc ces applications visent à nous bienveiller
17:39 et encore une fois, en tant que philosophe, je ne dis pas qu'elles fonctionnent ou qu'elles ne fonctionnent pas
17:49 je ne veux pas dire qu'elles nous permettent de vivre mieux ou plus heureux
17:55 je ne veux pas non plus dire qu'elles ne permettent pas de vivre plus heureux
18:00 ça c'est d'une certaine façon un travail de sociologue
18:03 ce qui m'intéresse c'est d'analyser la bizarrerie qu'il y a à confier
18:09 ces émotions que je suis censé ressentir moi-même
18:13 de les confier à une machine
18:18 donc c'est en cela, la bienveillance des machines, c'est une bienveillance visée par la machine
18:24 et une bienveillance au sens où il s'agit de nous surveiller pour notre bien
18:32 et pour moi, le grand danger de cette transformation de notre forme de vie
18:41 c'est pour le dire très vite, de nous rendre dépendants à ces technologies
18:47 si j'ai besoin de mon téléphone pour savoir comment je me sens, je ne vais jamais m'en libérer
18:53 et finalement, est-ce que c'est un mal ?
18:59 peut-être qu'en soi ce n'est pas un mal, mais à l'heure du réchauffement climatique, c'est clairement un mal
19:04 Merci beaucoup, je me tourne vers Marseille
19:09 Est-ce que les élèves de Marc Roussmini sont prêts pour poser leurs questions ?
19:16 S'il vous plaît, coupez les enceintes dans la salle et activez le micro de votre espace de discussion
19:23 Coupez les enceintes dans la salle
19:26 Allez-y
19:31 Alors, vous m'entendez ?
19:35 Très bien
19:37 Alors, on aurait deux questions pour Pierre Cassinogues
19:40 La première serait, le syndrome de surdépendance est-il apparu en même temps que la technologie ?
19:47 Ou est-ce que la technologie l'a seulement mis en exemple ?
19:50 Et la deuxième serait, on sait que le sociologue Bernard Friot défend une retraite à 50 ans
19:59 Pensez-vous que les IA puissent venir à cet objectif ?
20:06 Puissent être un moyen d'atteindre cet objectif ?
20:10 Alors, sur la deuxième question, justement, est-ce que l'automatisation, qu'il s'agisse par l'IA ou toutes sortes d'automatisation
20:20 Le remplacement du travail ou d'un certain travail humain par des machines
20:28 Sera-t-il encore, aura-t-il progressé dans 20 ans et nous permettra-t-il de ne plus travailler ?
20:35 Ou bien au contraire, les terres rares qui entrent dans la constitution de ces intelligences artificielles
20:44 Auront-elles quasi disparu sur Terre ?
20:47 En tant que philosophe, je n'en sais rien
20:50 En tant que philosophe, je n'en sais rien
20:53 Et donc, je ne peux pas répondre
20:58 Ce que je peux faire, c'est travailler sur cette image, sur les fictions de l'automatisation
21:07 Et pour moi, la grande chose de l'automatisation, c'est qu'il faut au moins que le loisir qui est ainsi dégagé
21:22 Lorsqu'une machine prend en charge mon travail, forcément il y a du loisir qui est gagné
21:29 Puisqu'un humain, moi en l'occurrence, travaille moins
21:31 Il faut que ce loisir soit équitablement réparti
21:35 C'est-à-dire, pour le moment, qu'est-ce qui se passe ?
21:37 Eh bien, si on remplace un caissier ou une caissière au supermarché par une machine
21:44 Eh bien, c'est en fait le propriétaire de la machine qui gagne le loisir qui est dégagé
21:52 Et qui le stocke sous forme d'argent sur un compte en banque
21:55 Et le caissier ou la caissière a des allocations pendant quelques mois et puis plus rien
22:00 Donc, contrairement à ce modèle, il faut que le loisir qui est dégagé par l'automatisation soit équitablement réparti
22:08 Que si une machine prend mon travail, s'il y a plus de possibilités de loisir humain
22:18 Eh bien, il faut que j'ai, moi, une part de ce loisir
22:21 Et donc, c'est pour ça qu'à mon avis, s'il y a de l'automatisation
22:25 Il doit par exemple y avoir un revenu universel qui permette de vivre sans travailler
22:32 De façon décente
22:33 Et pour moi, c'est justement tout à fait important
22:36 Et c'est un problème qui est à la fois social mais aussi idéologique
22:42 D'apprendre à vivre bien sans travailler
22:48 C'est un problème social parce qu'il faut que sans travailler, eh bien, on ait un revenu décent
22:55 Et c'est un problème idéologique aussi parce que ça n'est pas
22:59 Nous avons une espèce de culpabilité à la paresse au fait de ne pas travailler
23:05 Et d'une certaine façon, pour bien vivre sa paresse, il faut de l'entraînement
23:11 Mais je pense que c'est quelque chose à l'heure de l'automatisation
23:14 Tout à fait important de revendiquer la paresse
23:21 De revendiquer le droit, comme disait Paul Lafargue, le droit à la paresse
23:27 Merci, merci beaucoup pour ces questions d'abord posées à Marseille
23:37 Et pour votre réponse, je me tourne vers les élèves de Nîmes qui sont à l'Institut d'Alzon
23:46 Je crois que vous avez également une question à poser
23:49 Vous travaillez avec madame Céline Bonnet et Christelle Moureux
23:53 On vous écoute, coupez les enceintes et le micro
23:58 Bonjour, notre question est la suivante
24:01 Puisque l'homme est à l'origine des machines, est-ce que c'est lui qui se dépossède de ses états et de ses émotions ?
24:06 Et de plus, peut-on aller jusqu'à dire que par la technologie, l'homme trouve une excuse pour ne pas assumer sa liberté et ses responsabilités ?
24:14 C'est une question, j'ai été très intéressé par cette espèce de fable de Samuel Butler et Raven
24:35 Dans lequel Samuel Butler, c'est dans une fiction, c'est dans un roman, défend l'idée que les machines ont une tendance à l'extension
24:47 C'est-à-dire que, encore une fois, elles n'ont pas la vie, elles n'ont pas la conscience, elles n'ont pas l'intelligence, elles n'ont pas l'instinct
24:54 Mais elles tendent à s'étendre
24:57 Par exemple, si vous prenez mon téléphone et moi, mon téléphone en lui-même n'a pas de raison d'aller sur Instagram
25:09 Donc les téléphones essayent de se rendre plus séduisants, plus brillants, de développer de nouvelles applications
25:22 Pour que je passe de plus en plus de temps sur eux et je les use de plus en plus
25:28 Et au bout de deux ans, il est un peu cassé et je vais acheter un téléphone qui est encore plus beau, encore plus puissant
25:39 Et dans ce récit, j'ai agi, moi, comme un facteur de sélection pour faire naître une nouvelle génération de téléphones
25:53 Qui est encore plus belle, performante, etc. que la précédente
25:58 Et donc, dans ce récit de Samuel Butler, l'humain intervient un peu comme Butler nous compare les humains par rapport aux machines
26:15 Aux bactéries dans l'estomac de l'humain
26:19 C'est-à-dire, pour vivre, nous avons besoin de toute une série de bactéries dans notre estomac
26:26 Et sans elles, nous ne pouvons pas vivre, nous ne pouvons pas nous reproduire
26:31 Et pour Butler, c'est pareil, les humains interviennent comme un petit facteur dans un développement des machines
26:39 Et en particulier, les humains aident les machines à se reproduire
26:44 Et les humains interviennent pour en fait choisir, comme un facteur dans la sélection naturelle, pour en fait choisir et faire naître les machines les plus performantes
26:59 Et ce qui m'intéresse dans cette histoire, c'est que c'est justement d'abord une façon de se libérer de l'idée que le capitalisme est responsable de tout
27:12 Parce que, ici, c'est finalement une tendance dans la technologie qui est plus large que le capitalisme
27:21 Et c'est aussi une façon de poser, pour revenir directement sur votre question, c'est une façon de poser autrement la question de la technologie
27:32 Est-ce que nous faisons nos technologies, ou bien est-ce que la technologie nous fait, si l'on peut dire
27:40 Ou bien est-ce que la technologie a en elle-même cette tendance à l'extension
27:46 Et d'une certaine façon, ce qui m'intéresse, c'est pas tant de dire "c'est la technologie qui a cette tendance à l'extension"
27:55 Et il faut arrêter de se culpabiliser en disant "c'est nous qui ne sommes pas responsables, qui renonçons à notre liberté"
28:02 Ce qui m'intéresse, c'est qu'on a tendance à avoir ce discours "c'est l'humain qui fait la technologie"
28:12 Ce qui m'intéresse, c'est de passer de l'autre côté, dans cette idée "il y a une tendance à l'extension dans la technologie"
28:19 Pour au moins jouer avec cette idée, essayer de la rendre un peu plausible, au moins à titre de fiction
28:28 Et essayer de voir le développement technologique autrement
28:35 Et à mon avis, au moment du réchauffement climatique, prendre la décision finalement
28:42 Montrer au moins le danger qu'il y a dans un surusage de la technologie
28:49 Merci beaucoup. Est-ce que vous aurez encore le temps pour une dernière ou une dernière question ?
28:57 Merci beaucoup. Je me tourne vers les élèves du lycée Jean Zay, si vous souhaitez intervenir
29:08 Oui, non ? C'est prévu ?
29:11 Aurélien, s'il vous plaît
29:16 Je suis du lycée Victor Hugo de Sofia, nous sommes revenus malgré l'alarme à incendie, si jamais il y a encore un problème pour nous
29:26 Allez-y, je donne la parole au lycée français de Sofia
29:34 Merci beaucoup
29:38 Bonjour et merci. Vous avez en partie déjà répondu à notre question, nos questions plutôt, elles sont complémentaires
29:47 La première est, comme vous le dites dans votre ouvrage, vous n'êtes pas technophobe et vous cherchez à décrire les changements de subjectivité sans les juger
29:56 Pourtant, lorsque vous parlez de l'esprit plat, travail immatériel et de beaucoup d'autres changements que vous analysez
30:02 Ceci ne semble pas des plus souhaitables et vous semblez dire qu'il est difficile de vivre dans une société telle que la nôtre
30:09 sans que notre subjectivité individuelle et collective soit modifiée par notre usage des machines
30:15 Est-ce exact ? Pensez-vous qu'il y a une sorte de tyrannie des modes de vie sur l'individu
30:20 ou qu'il est possible de garder une autonomie en faisant, si cela est possible, un bon usage des machines à notre disposition ?
30:28 Merci. Ah pardon, il y a une deuxième question, excusez-moi, je partais trop vite
30:35 Dans un autre ouvrage, vous parliez de l'homme paresseux comme une figure de résistance à l'homme synchronisé
30:42 que vous appelez aussi économique ou mécanique. Avez-vous développé depuis une nouvelle figure de résistance à l'esprit plat
30:49 et aux autres arts de l'homme synchronisé et en tout cas de machines bienveillantes que vous décrivez ici ?
30:54 Oui, merci pour ces deux questions. Effectivement, dans un livre précédent, je défendais beaucoup la paresse
31:04 et avec justement cette difficulté que la paresse s'oppose traditionnellement au travail
31:11 et que pour moi il y a un nouveau danger de cette paresse aujourd'hui, c'est le divertissement numérique
31:19 je passe de plus en plus de temps sur mon téléphone et pour m'en détacher, il faudrait avoir une figure désirable de la déconnexion
31:34 comme il y a toute une série de travaux, de livres, par exemple celui de Paul Lafargue, Le droit à la paresse
31:42 pour essayer de rendre désirable cette figure de l'humain qui ne travaille pas
31:47 alors comment rendre désirable cette figure de l'humain qui n'évanouit pas son temps sur TikTok ?
31:56 Ce n'est pas facile et il manque à mon avis une figure désirable de cette humain déconnecté
32:11 Ensuite, est-ce que je suis technophobe ou non ? Je ne veux pas être technophobe
32:21 mais j'ai donné très rapidement trois exemples. Pourquoi je ne veux pas être technophobe ?
32:27 Sur cette question de comment les machines nous médiatisent, notre rapport à nous-mêmes, ce que j'appelle le syndrome du théromètre
32:38 un exemple, ce sont les coureurs cyclistes sur les coureurs professionnels
32:43 ils ont en fait sur leur vélo toute une série de capteurs qui leur disent très vite où ils en sont dans leur fatigue
32:51 ce qui fait qu'ils n'ont plus à s'interroger eux-mêmes, à interroger quand ils pédalent sur l'Alpe d'Huez ou les montées
32:59 est-ce qu'ils sont très fatigués ? Juste un peu, ils n'ont plus à s'interroger eux-mêmes ou moins
33:05 ils regardent le capteur, ils regardent l'écran, où ils en sont et ils savent où ils en sont, ce qu'ils peuvent faire, ce qu'ils ne peuvent pas faire
33:14 et d'une certaine façon, ils courent mieux, c'est-à-dire il y a moins de défaillances
33:19 il y en a moins qui se laissent distancer énormément parce qu'ils sont épuisés
33:25 donc ils courent mieux et peut-être que ces applications qui analysent pour nous notre subjectivité au fond
33:35 peut-être que ces applications, comme les coureurs courent mieux, peut-être que ces applications nous permettent de mieux vivre
33:42 donc je ne veux pas dire que c'est un mal en soi, néanmoins, elle représente à mon sens un appauvrissement de l'expérience intérieure
33:52 c'est-à-dire que si j'écris un journal pour savoir tous les jours comment je me sens
33:59 je vais écrire des pages et des pages pour savoir comment je me sens
34:02 alors que mon application d'humeur me donne une émoticône dans un vocabulaire de 6 émoticônes
34:10 en gros plus ou moins souriante, une émoticône avec un score
34:14 et que c'est un appauvrissement du vocabulaire de l'expérience intérieure
34:18 de la même façon, tout à l'heure j'ai dit comment ne pas annihiler mon temps sur TikTok
34:26 et bien effectivement, en soi, et j'ai travaillé par ailleurs sur des choses comme ça
34:33 en soi, une vidéo d'une minute ou de 15 secondes peut effectivement receler tout un univers et être absolument formidable
34:44 et être aussi variée et intéressante que la recherche du temps perdu en 6 volumes
34:56 cependant, pourquoi TikTok supplante Facebook et TF1 ?
35:03 pourquoi ? et bien c'est parce que TikTok a une puissance de captation
35:10 de notre attention en fait, une puissance de captation
35:15 et cette puissance de captation est fondée sur un appauvrissement du contenu
35:25 donc je ne veux pas dire que je ne veux pas être technophobe en cela
35:31 qu'une vidéo numérique de 15 secondes peut être en effet tout un monde
35:36 mais le fait est que dans la captation de nos expériences en première personne
35:45 et de notre attention, disons, par les plateformes numériques
35:50 et bien il y a à mon sens un appauvrissement de notre expérience
35:56 et un danger à l'heure du réchauffement climatique
36:01 merci beaucoup à Pierre Cassonogues, merci aux élèves qui ont posé leurs questions
36:08 nous arrivons au terme de la deuxième partie de ce programme
36:11 je vous propose de nous retrouver d'ici 10-15 secondes pour une troisième partie
36:18 avec Sophie Galabru sur le visage de nos colères
36:25 si vous voulez bien, cher Jean-Luc, nous terminerons ce programme à cet endroit de notre développement
36:35 merci à tous pour votre attention et à la prochaine !
36:40 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
36:43 "La vie est une aventure" - Albert Einstein
36:48 "La vie est une aventure" - Albert Einstein
36:53 "La vie est une aventure" - Albert Einstein
36:58 "La vie est une aventure" - Albert Einstein

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