Rencontre des lycéens avec les auteurs sélectionnés pour le Prix du livre de philosophie 2023, diffusée le 05/04/ 2023 sur la plateforme du Projet Europe, Éducation, École :
https://projet-eee.eu/diffusion-en-direct-564/
Dossier pédagogique :
https://projet-eee.eu/wp-content/uploads/2023/03/eee.22-23_Prix_lyceen_du_livre_de_philosophie_2023.pdf
Site : https://projet-eee.eu
Programme 2022-2023 :
https://projet-eee.eu/programme-de-lannee-2022-2023-6117/
Cours en vidéo classés par thèmes :
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E.E.E. sur Dailymotion : http://www.dailymotion.com/projeteee
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https://www.deezer.com/fr/show/634442
E.E.E. sur Facebook : http://www.facebook.com/Europe-Education…ole-203833816638
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ÉducationTranscription
00:00 [Musique]
00:19 Bonjour à tous et bienvenue sur la plateforme du projet Europe Éducation et École
00:24 pour un programme consacré aux auteurs des livres sélectionnés pour le prix lycéen du livre de philosophie 2023.
00:33 Et parmi ces auteurs il y a Madame Sophie Galabru avec son ouvrage intitulé "Le visage de nos colères".
00:42 Je la remercie vivement d'avoir accepté notre invitation pour échanger avec les élèves d'un très grand nombre de lycées qui vous ont lu.
00:52 Ils sont plus d'une centaine, nous le dira tout à l'heure Didier Bréjon, certains sont en direct avec vous.
00:59 Je suis désolé pour le petit décalage horaire que nous avons eu ce matin, j'espère que vous ne vous contrariez pas trop.
01:06 Cher Didier, je vous donne la parole pour accueillir Sophie Galabru.
01:11 Eh bien, rebonjour Gilles Clot, rebonjour à tout le monde.
01:15 Donc nous sommes réunis aujourd'hui pour la huitième édition du prix lycéen du livre de philosophie.
01:21 Comme l'a précisé Sheyslov, 105 lycées y sont inscrits cette année.
01:28 Alors après avoir écouté Joël Zasque pour écologie et démocratie, Pierre Casunoguet pour la bienveillance des machines,
01:36 nous allons maintenant entendre Sophie Galabru pour son livre "Le visage des colères".
01:43 Alors je rappelle les modalités du vote, chaque élève devra voter avant le 15 juin pour le livre de son choix.
01:52 Et les résultats seront publiés, le résultat sera publié le 16 juin.
01:59 A l'automne prochain aura lieu une remise du prix aux lauréats.
02:05 Bien à vous tous et bonne suite de visioconférences.
02:10 Merci Didier. Donnez la parole à Madame Galabru.
02:15 Alors bonjour à toutes et bonjour à tous. Je suis ravie d'être parmi vous ce matin.
02:20 Je tiens à vous remercier, à remercier la PEP pour la sélection de mon livre dans le cadre de ce prix qui m'honore beaucoup.
02:28 Et je remercie toutes les lycéennes et les lycéens pour leur lecture de l'ouvrage et puis pour leurs questions à venir.
02:36 Alors évidemment comme vous l'avez lu, je vais essayer de ne pas me répéter mais ça va être un peu compliqué.
02:42 Mais peut-être je peux revenir sur la genèse et la motivation d'écrire cet ouvrage.
02:47 Je pense que d'ailleurs comme tous les livres, on les porte plus ou moins longtemps en soi.
02:52 Je crois que ce livre je l'ai porté assez longtemps et depuis au moins mon adolescence, ce livre sur la colère.
02:58 Parce que c'est une émotion, un affect que je trouve très particulier dans la mesure où personnellement,
03:04 en tout cas moi j'avais beaucoup de mal à l'exprimer, à l'assumer, à en faire quelque chose.
03:10 Et ça a duré très longtemps. Et puis il y a eu des événements politiques et sociaux qu'on a tous et toutes partagés,
03:16 qui ont été éloqués par exemple par Madame Joël Zasquiat, notamment effectivement la lutte des plus jeunes pour l'écologie,
03:26 mais aussi la crise des gilets jaunes, le mouvement Mutu qui exprimait une colère surtout évidemment plutôt des femmes,
03:35 contre les injustices et les inégalités, ou même les colères qui ont pu avoir lieu pendant la crise sanitaire que nous avons vécues.
03:44 Et toutes ces colères, quelque part, ont fait écho aux miennes, puisque moi aussi je partageais celles qui pouvaient avoir lieu à ce moment-là.
03:51 Et elles m'ont donné aussi envie en tant que philosophe et analyste de les écouter, de les observer et de chercher surtout à comprendre pourquoi
03:59 les commentateurs, les journalistes, semblaient soit être inquiets ou avoir peur de ces colères,
04:08 et on le voit encore aujourd'hui avec les mouvements et les manifestations, voire chercher même à les dénigrer ou à les discréditer.
04:15 Et donc mon ouvrage, surtout dans toute sa première partie, cherche à presque produire un travail d'historienne,
04:22 enfin une enquête sur l'histoire de ce discrédit, pourquoi ce dédain ou cette peur, et donc il n'a pas été très difficile de le comprendre.
04:32 J'ai remonté l'histoire des idées, l'histoire de la philosophie, et j'ai pu voir que dans la philosophie occidentale,
04:37 notamment pour le socratisme ou le platonisme ou encore le poétisme, il existe déjà une peur, une méfiance vis-à-vis des affects et des émotions,
04:49 et notamment de la colère. Pourquoi ? Pour le dire rapidement, parce que la tradition qu'on dit rationaliste a tendance à diviser,
04:57 à distinguer la raison et les émotions, ou les passions on dit plutôt à cette époque-là.
05:02 Et considère finalement que toute manifestation émotionnelle, telle que la colère, se trouve du côté d'une fusion, de la sauvagerie,
05:11 de l'irréfléchi, de l'irrationnel, et que rien de pensé ou de signifiant peut en sortir.
05:18 Et ce discrédit, et c'est très intéressant, ça a été très intéressant pour moi de le voir, a été relayé par bien d'autres traditions de pensée.
05:27 Par exemple, la tradition chrétienne, tradition religieuse, a repris le relais de ce discrédit avec d'autres arguments,
05:35 mais toujours en insistant sur le fait que la colère est effectivement un affect effrayant,
05:40 qui manifeste une tendance à l'insoumission, à l'orgueil, à une vanité déplacée de la part de l'individu,
05:47 et encourage plutôt le geste du pardon, voire de la réconciliation.
05:51 Et même dans notre société beaucoup plus désenchantée, séculaire et capitaliste,
05:58 on trouve au XXe et au XXIe siècle le même discrédit, là encore pour d'autres motifs que j'analyse.
06:05 Face aux inégalités raciales, sexistes et bien d'autres, face aux luttes socio-économiques, face aux révoltes des opprimés,
06:14 c'est toujours le même dédain, la même incompréhension qui surgit.
06:21 L'ère du consumérisme étouffe mes contentements et appelle plutôt les citoyens à entrer dans une forme d'attitude de consommation,
06:31 de jouissance et aussi de séduction.
06:33 De ce point de vue-là, la colère n'est absolument pas esthétique et favorisée.
06:39 Le point qui m'intéressait aussi d'analyser, c'est que ce discrédit est à géométrie variable.
06:45 Certaines classes de citoyens peuvent davantage accéder à la colère plutôt que d'autres.
06:50 Il y a des classes de citoyens qui n'ont pas le droit d'être en colère et qu'on moque davantage,
06:55 comme par exemple les enfants ou les plus jeunes, et là par exemple la figure de Greta Thunberg était intéressante,
07:01 ou encore les figures de femmes, notamment de féministes, les figures des classes les plus populaires ou les plus modestes,
07:11 ou encore les figures marginalisées ou discriminées en raison par exemple de leur couleur de peau.
07:16 Ma thèse dans cet ouvrage était de réhabiliter cet affect en montrant aussi, grâce à des philosophes mais aussi des scientifiques,
07:24 que toute émotion d'ailleurs a une fonction et une finalité intéressantes.
07:30 En l'occurrence la fonction de la colère c'est de lutter contre une menace d'agression, contre son territoire physique ou psychique.
07:38 Et donc la colère oui est un trouble du corps, un malaise, mais le corps a sa philosophie et son intelligence.
07:45 C'est-à-dire qu'en fait quand nous sommes en colère, parce que trouble, nous avons peut-être compris avant même notre conscience
07:52 qu'un déséquilibre avait lieu, qu'un équilibre ou une harmonie était rompu.
07:57 Et je pense en effet que la colère précomprend, avant parfois la conscience, avant notre raison,
08:03 que la valeur par exemple de la liberté ou encore la valeur de la justice sont rompues ou abîmées.
08:08 Donc la colère réveille, c'est ce que je défends, la raison à ses intérêts.
08:12 Et elle devient un moteur d'action extrêmement intéressant et j'ai essayé de le montrer avec des figures d'artistes, d'écrivains ou de militants politiques.
08:20 Pour eux et pour elles, la colère les a parfois sauvés, a parfois sauvé leur vie face à un effondrement,
08:26 les a remobilisés dans des luttes et pour se déployer dans l'espace public.
08:31 Et finalement la thèse plus générale c'est de dire que la colère, le conflit n'est pas un mal ou une violence,
08:38 que l'agressivité n'est pas forcément la haine, mais au contraire permet de réguler nos relations,
08:44 permet de les rendre plus authentiques et que c'est une émotion gitale et consubstantielle à tout régime démocratique,
08:51 contrairement à ce qu'on peut entendre encore aujourd'hui face aux événements qui agitent.
08:55 Voilà pour résumer ces grands axes, ces grandes lignes de ce livre.
09:01 Merci, merci beaucoup à vous. Je donne la parole aux élèves du lycée Amiaux, au CERC.
09:08 C'est probablement à elles qu'il va représenter la classe. On vous écoute, allez-y.
09:14 Bonjour, nous avons deux questions. La première c'est dans votre livre,
09:19 vous montrez que la colère est considérée négativement par la société, ce qui conduit souvent les adultes à la réprimer chez les enfants,
09:26 alors qu'elle semble nécessaire à la construction de leur identité.
09:30 Quels sont les dangers à ne pas la laisser s'exprimer ?
09:33 Vous-même, quelles sont les colères qui vous ont construites, enfants, et que vous ressentez toujours aujourd'hui ?
09:39 Vous avez montré des exemples de colère. La deuxième question, vous avez montré des exemples de colère à l'origine de productions artistiques.
09:47 Pensez-vous que la colère est nécessairement à l'origine de la production des œuvres d'art,
09:51 ou que ces dernières comprennent toujours une part de colère en elles ?
09:55 Merci pour vos questions. Alors pour répondre à la première, c'est vrai que j'ai beaucoup insisté sur la colère interdite aux enfants et aux jeunes.
10:08 Évidemment, la colère est une arme de lutte et une forme d'insoumission et de désobéissance.
10:13 On comprend naturellement que les classes, je vous ai dit, les catégories les plus soumises
10:21 sont évidemment des catégories auxquelles on interdit encore plus cette émotion.
10:25 Les enfants sont structurellement soumis, ils sont mineurs, placés sous tutelle, sous l'autorité parentale,
10:33 qui est quand même une autorité légale, et en plus ils sont biologiquement et affectivement dépendants.
10:39 Ils ont besoin de la sécurité, de l'affection des adultes.
10:43 Donc ils sont pris dans une contradiction difficile, c'est-à-dire qu'à la fois ils ont besoin de se construire,
10:51 de s'affirmer, de s'imposer dans le monde, et si on les entrave, ils peuvent en effet ressentir une colère qu'on appelle de frustration,
11:01 de limitation, d'impuissance, et c'est tout à fait normal de ressentir cette colère-là
11:06 quand on essaye de s'affirmer, de devenir autonome, et que nos parents nous empêchent l'accès à cette autonomie
11:14 parce qu'ils ont peur ou parce qu'ils sont tout simplement autoritaires.
11:17 Et en même temps l'enfant donc cherche à s'affirmer et à s'imposer, et donc à se rebeller parfois contre ses parents
11:26 et contre ses autorités, et en même temps il en a besoin encore pendant un certain temps.
11:31 Donc il a une forme de conflit de loyauté entre s'affirmer et se conquérir lui-même,
11:36 et avoir besoin du cadre et du soutien de ses parents.
11:41 Donc il est dans une situation face à l'affect de la colère, une situation très particulière,
11:47 qui conduit souvent les enfants à refouler ou balayer cette démotion parce qu'ils ont besoin avant tout de leurs parents
11:54 et même de parents, de tuteurs qui pourraient être parfois négligeants ou violents.
11:58 Et ça c'est un cas encore plus intéressant qu'on a pu voir notamment dans les mouvements #MeToo,
12:05 contre les violences ou même les cas d'inceste, c'est que les enfants, même violentés, même agressés,
12:10 se montent toujours et très souvent loyaux parce qu'ils ont besoin de leurs parents.
12:13 Et la colère a un accès difficilement accessible pour eux.
12:18 C'est ce que montre en effet par exemple l'artiste Niki Tsinfal,
12:21 qui a été victime d'agressions et de viols par son père,
12:25 et qui va attendre d'être elle-même mère et d'avoir dans les vingtaines d'années,
12:30 dans ses 25 ans, pour oser affirmer cette colère et une rupture avec sa famille.
12:36 Donc je pense qu'en effet on empêche les enfants d'accéder à cette émotion,
12:42 pour des raisons parce que les parents sont dépositaires d'une autorité légale,
12:46 ils sont des supérieurs quelque part hiérarchique, eux-mêmes ont été éduqués de cette manière-là,
12:52 et on a pu condamner également dans leur propre enfance leur accès à leurs émotions,
12:56 et on a tendance à reproduire ce qu'on a pu vivre,
12:59 parce qu'on a du mal à critiquer ses parents, à critiquer une éducation, à s'en défaire,
13:04 et donc on la reproduit.
13:06 Et ça peut avoir des conséquences comme le refoulement, la frustration,
13:10 parfois même la dépression, surtout quand il y a eu des agressions.
13:14 On sait aussi que pour les adultes, le refoulement de la colère a des conséquences psychosomatiques importantes,
13:19 des crises d'asthme, des succères à l'estomac, et même des cancers,
13:26 c'est ce que montrent certains neurobiologistes.
13:28 Donc il est important de lui donner un cadre pour s'exprimer,
13:33 et de ne pas la culpabiliser ou la discréditer,
13:36 parce qu'en plus le discrédit ne supprime pas la colère,
13:38 mais a tendance à la faire enfler ou grossir,
13:41 à ce qu'elle explose, et parfois dans des mauvaises conditions pour l'individu.
13:46 Pour votre deuxième question, concernant l'art,
13:49 c'est vrai que j'avais très envie de montrer,
13:50 parce qu'on a tendance à dire, et ça vient aussi de la psychanalyse et du freudisme,
13:54 que les artistes sont surtout mobilisés dans leur création par la libido,
13:59 ou la puissance de l'éros, de la libido, du désir.
14:03 Ce qui est vrai, mais j'ai aussi pu constater que nombreux artistes sont motivés,
14:08 je l'ai dit avec Nikit Sinfal, mais on pourrait parler de Jean-Michel Basquiat,
14:11 qui luttait contre la discrimination raciale,
14:14 beaucoup d'artistes sont aussi profondément habités par la colère,
14:19 face à l'injustice qu'ils ont vécue dans leur enfance.
14:22 C'était le cas aussi de Baudelaire, mais là c'est une colère plus intime
14:24 contre sa mère qui l'avait délaissée dans son remariage avec son beau-père.
14:29 Donc il y a des colères intimes d'enfance,
14:31 il y a aussi des colères aussi intimes, mais politiques,
14:34 comme être discriminé en tant que femme,
14:36 discriminé en tant que non-blanc par exemple, ou pauvre.
14:39 Et ces colères intimes vécues dans le quotidien,
14:41 qui sont aussi des colères politiques et sociales,
14:43 sont des véritables moteurs de création pour de nombreux artistes.
14:47 Ou encore les colères, j'en parle d'Armand dans les années 60,
14:51 qui détruit un certain nombre d'objets,
14:53 pour manifester aussi contre la société de consommation par exemple,
14:58 pour montrer que la destruction a quelque chose de créateur.
15:00 Et je pense qu'en règle générale, les philosophes, les écrivains ou les artistes
15:05 sont des gens ou des militants politiques
15:07 qui ne sont pas satisfaits du donné ou du réel.
15:10 Être un artiste, c'est ne pas être satisfait de ce qui est donné
15:13 ou de ce qui existe déjà, et c'est chercher à le recréer,
15:16 à le reconfigurer, et ça veut dire avoir une part quand même
15:20 de colère ou d'insatisfaction.
15:22 Maintenant il y a différents degrés, il y a des artistes
15:24 qui ne sont pas profondément engagés,
15:26 mais qui sont quand même insatisfaits pour chercher à créer.
15:29 Et puis il y a des artistes beaucoup plus engagés,
15:31 par exemple comme le cinéaste Ken Loge, dont je parle beaucoup,
15:34 et qui là sont insatisfaits, également socialement et politiquement,
15:38 et qui cherchent à révolutionner le réel ou à le changer.
15:41 Et là la colère c'est un thème de leur œuvre,
15:44 et ils cherchent même à mettre en colère leurs spectateurs,
15:46 diffuser ou contaminer la colère.
15:49 Voilà pour mes réponses.
15:51 Merci beaucoup.
15:53 Je me tourne vers les élèves de Raphaël Verchères,
15:56 s'ils souhaitent poser leurs questions maintenant,
15:58 au lycée Chaplin à Dessines.
16:04 Allez-y, activez votre micro.
16:07 On vous écoute.
16:11 Votre micro.
16:14 Asseyez-vous, cadrez bien. Très bien.
16:19 Il y a un caractère positif de la colère,
16:22 et ce qu'il s'agit de sublimer les rages de notre enfance,
16:24 mais comment on peut le faire concrètement ?
16:28 Merci.
16:32 Comment sublimer les rages de notre enfance ?
16:39 Sublimer, ça peut vouloir dire, en tout cas en psychanalyse,
16:42 détourner des pulsions qui sont jugées inacceptables ou intolérables.
16:50 On peut sublimer, on l'a dit, par la voie artistique ou créative,
16:54 c'est-à-dire se lancer, ou bien soit dans une activité artistique
16:58 qui permet de faire de sa colère un thème complètement assumé, explicite,
17:03 ou alors un moteur, une énergie qui permet de créer.
17:07 Cette énergie, elle a lieu pour les artistes, mais je le dis aussi,
17:12 pour les militants politiques, ce sont souvent des, parfois des êtres
17:15 qui ont vécu des violences ou des agressions, des injustices
17:19 dans leur enfance et qu'ils ont envie de combattre à l'âge adolescent ou adulte.
17:25 Donc, le moteur artistique, le moteur politique, mais j'ai envie de dire aussi
17:30 certains chercheurs ou intellectuels, ou psychanalystes carrément thérapeutes,
17:35 et ça c'est ce que dit une psychanalyste que j'aime beaucoup
17:37 qui s'appelle Alice Miller et qui a écrit notamment un très très bel ouvrage,
17:40 "Le drame de l'enfant doué", qui explique que beaucoup d'enfants
17:44 qui ont pu subir, alors pas forcément des violences physiques ou des brutalités,
17:48 mais tout simplement parfois aussi des parents indisponibles pour eux
17:52 ou eux-mêmes en grande souffrance et qu'ils ont dû porter,
17:55 se sont trouvés un peu acculés ou étouffés par une enfance
17:59 où on ne les a pas laissés vraiment être insouciants, exubérants, libres,
18:03 parce qu'ils ont dû s'occuper de leurs parents, protéger eux-mêmes leurs parents,
18:06 les soutenir, et ça peut aussi véhiculer une forme de colère et de rage,
18:11 et ces enfants-là la subliment en devenant eux-mêmes quelque part des thérapeutes
18:15 ou des grands empates, des thérapeutes, des psys à l'âge adulte
18:21 capables de comprendre ce qu'ils ont vécu, de comprendre très très bien
18:25 et très finement ce que vivent les autres et de les aider à accéder à leur colère,
18:28 à leur indépendance, à leur libération par exemple.
18:31 Je pense qu'il y a énormément de voies pour sublimer,
18:34 mais on n'est pas aussi obligé de sublimer, on peut tout simplement accéder
18:39 à cette colère, l'exprimer, parfois ça donne lieu à des conflits,
18:44 oui, parfois à des ruptures, mais oser verbaliser, articuler
18:48 ce qui nous a profondément choqués, violentés, indignés,
18:54 le verbaliser, l'articuler, l'exprimer, c'est déjà quelque chose de très important
19:00 avant même la sublimation, et quitte à en assumer des conséquences
19:04 parfois qui sont de l'ordre de la destruction ou de la rupture, mais pas toujours.
19:12 Merci beaucoup. Je me tourne maintenant vers les élèves de Sofia,
19:20 lycée Victor Hugo, souhaitez-vous prendre la parole ?
19:24 Activez votre micro, s'il vous plaît, approchez-vous de la caméra.
19:29 Très bien, merci.
19:31 Donc, bonjour, et merci de répondre à nos questions.
19:38 Nous venons à deux parce que nos deux questions sont complémentaires.
19:41 Donc, vous nous offrez une analyse passionnée de la colère et de sa répression,
19:46 mais ne courez-vous pas le risque inverse de celui que vous dénoncez ?
19:50 Vous semblez réhabiliter la colère en ne gardant pour ce terme que les aspects positifs,
19:54 constructifs, et vous semblez obligés de chercher d'autres termes,
19:57 comme la haine ou le ressentiment, pour tout ce qui vous gêne et qui pourrait
20:01 t'en faire une passion triste et violente, pour les autres comme pour celui qui est en colère.
20:07 Et la deuxième, c'est la colère d'après vous est nécessaire à une vraie relation
20:13 où les deux parties se font respecter et cela se comprend d'après votre analyse
20:17 conceptuelle de la colère comme réactive, vitale et victrice de justice,
20:21 mais avez-vous vraiment vécu ou assisté à des colères qui ont été le moteur créatif
20:26 d'une relation individuelle ou collective ?
20:29 Merci beaucoup.
20:33 Pour votre première question, c'est une question qu'on me pose très souvent.
20:39 Il est vrai que pour moi le travail d'un philosophe, c'est de faire un travail conceptuel
20:47 et de redonner aux mots leur sens et de distinguer ces mots d'autres mots.
20:53 Je suis repartie pour comprendre la colère et pour la réhabiliter,
20:59 je suis repartie de l'analyse d'Aristote dans l'étiquette Nicomac
21:03 qui appelle même cette vertu morale la douceur et qui estime que c'est une véritable vertu
21:10 et qualité d'être capable de s'irriter, de se lever contre ce qui humilie,
21:15 blesse, agresse ou ce qui atteint, moi j'appelle ça dans mon langage,
21:19 les valeurs de liberté ou de justice.
21:23 Il dit bien qu'il y a un juste milieu à tenir entre deux excès contraires
21:29 qui pourraient être allâchés ou alors une forme d'excès inverse
21:34 qui serait le caractère procédurier, rancunier, vengereuse.
21:39 Je m'inspire exactement dans cette démarche, c'est-à-dire que je donne d'autres mots
21:44 mais mon but est de montrer que ce que l'on appelle colère
21:47 et qui vise à se lever contre l'humiliation, l'injustice ou la privation de liberté
21:53 est en effet une vertu morale et une qualité qu'on n'a pas toujours la capacité d'assumer
21:58 parce que c'est très difficile de rompre avec un groupe, avec une société
22:02 ou avec des intimes pour dénoncer des valeurs qui sont atteintes.
22:07 Et que, évidemment, c'est un milieu et une attitude difficile à assumer
22:11 mais aussi à tenir pour soi-même.
22:13 Parce qu'il faut, comme le dit Aristote, analyser qui sont les bonnes personnes
22:18 à attaquer ou à viser, les bons motifs, trouver le bon moment
22:21 et à trouver une forme qui permette à son message et à son énergie de passer, de circuler.
22:27 Donc c'est un art véritablement difficile et que je cherche à distinguer de dérive
22:32 car oui, la colère peut parfois louper ou rater parce qu'elle ne comprend pas ses motifs,
22:37 elle ne vise pas les bonnes personnes et elle peut aussi, si on ne l'écoute parfois,
22:41 tout à fait juste, mais parce qu'elle n'est pas écoutée ou entendue,
22:44 elle monte dans une surenchère et une escalade et elle peut alors muter,
22:48 en effet, vers ce que j'appelle la haine qui n'est plus la recherche de revanche
22:53 ou de justice ou de réformation mais carrément de destruction totale.
22:58 Et à ce moment-là, oui, elle ne naît plus une vertu ou alors elle est une attitude
23:03 théâtralisée et jouée pour en réalité imposer un caprice ou une tyrannie.
23:08 Et on voit ça notamment aussi dans le monde de l'entreprise, par exemple,
23:12 que j'ai beaucoup analysé, où la colère, ce sont des statistiques
23:16 et des études sociologiques qui le montrent, est beaucoup surjouée,
23:18 jouée par les superhérarchies pour intimider ou s'imposer sur leurs équipes.
23:24 Donc, mais vous voyez, pour moi, on ne peut pas appeler colère ce qui vise à intimider
23:29 ou à dominer, pour moi ça s'appelle de la tyrannie, du caprice,
23:33 dans une version peut-être plus amusante et encore, mais il y a donc des mots
23:39 comme haine et caprice qui sont des vraies réalités, qui contiennent des choses
23:43 comme la domination d'autrui ou la volonté de le détruire.
23:47 Et pour moi, la colère, c'est mon parti pris et c'est ma réhabitation
23:50 et c'est ma recherche conceptuelle, n'est pas de cet ordre-là,
23:54 et là je suis aristotélicienne, elle vise véritablement à lutter contre
23:59 l'atteinte à son territoire ou à des valeurs.
24:03 Et elle est un milieu très difficile à tenir.
24:05 Pour ce qui est de votre deuxième question sur ce que j'ai pu assister,
24:10 alors il y a des colères, j'en parle notamment dans le domaine de la fiction
24:13 ou du cinéma, où on voit qu'il y a des colères qui visent à libérer
24:17 des individus ou à améliorer leurs relations, ou alors je m'inscris
24:21 dans une correspondance qui a véritablement existé entre Pagnol et Rémy,
24:24 qui étaient deux amis profonds et qui passaient leur temps à s'engueuler,
24:28 à être en conflit, à conflictualiser, et c'était là pour eux la preuve
24:33 d'une certaine franchise, d'une authenticité relationnelle,
24:38 et de ce point de vue-là, je n'en parle pas dans mon livre,
24:40 mais Picur et son École du Jardin revendiquent la "paresia" en grec,
24:43 c'est-à-dire la franchise, qui peut introduire une forme de conflictualité
24:47 comme un maître mot de la relation amicale pure et vertueuse.
24:52 Et donc, oui, et moi ça m'est arrivé personnellement,
24:55 je considère que la colère ne s'inflige pas à des gens qui ne nous intéressent pas
25:00 ou avec lesquels on n'a pas des relations quotidiennes intimes ou importantes.
25:05 Et on ne se met vraiment en colère qu'avec, je dirais, sa famille,
25:09 de vrais et profonds amis ou en couple. Pourquoi ?
25:12 Parce que ce sont des relations proches auxquelles on tient
25:15 et avec lesquelles on a l'espoir qu'un mieux-être, un mieux, survienne,
25:21 et donc on a besoin de les réguler, c'est-à-dire que quand l'autre
25:24 atteint mes valeurs ou me blesse ou abuse de moi, ça peut toujours arriver,
25:28 il y a toujours des rapports de force qui interviennent dans les relations fortes.
25:32 Et donc, à ce moment-là, il est impératif de les réguler et de remettre de la distance.
25:36 Et d'ailleurs, la neurobiologie le dit aussi.
25:39 Alors, soit on fuit, mais c'est quand on n'a vraiment pas espoir
25:42 de pouvoir réguler une relation, soit on manifeste un peu d'agressivité
25:45 ou de conflictualité ou de colère, mais pour remettre à juste distance.
25:49 Et c'est vital pour éviter justement la grande violence,
25:52 la rupture totale et l'exaspération, l'épuisement de nos relations.
25:56 Donc oui, moi personnellement je l'ai vécu et je l'ai vu et constaté,
26:00 la colère est un régulateur, mais il faut pouvoir l'accepter
26:03 pour ne pas avoir peur et donc oser animer ces relations de conflictualité, évidemment.
26:09 Merci beaucoup. Est-ce que vous avez encore un peu de temps à nous consacrer ?
26:16 Il y aura peut-être une question à Orléans, Lucie et Jean-Zé.
26:21 Je vous cède la parole, allez-y.
26:24 Bonjour.
26:28 Bonjour.
26:29 Bonjour.
26:30 Bonjour. Alors, dans votre livre, vous présentez la colère
26:34 comme un moteur de changement dans la société et du coup on se demandait
26:37 est-ce qu'au final la colère, elle serait pas un peu égoïste,
26:41 parce qu'elle est toujours par rapport à nous et donc est-ce que ça ne risquerait pas
26:45 en fait de nous entraîner vers une société qui serait basée sur la loi du plus fort,
26:51 en quelque sorte ?
26:52 Oui, je comprends votre question, elle est intéressante.
26:56 Pour ce qui est de la colère sociale et politique, on le remarque,
26:59 c'est toujours une fédération ou une communion de colère qui permet
27:04 de descendre dans la rue, de manifester, d'entrer en lutte.
27:08 Je pense que la colère est un affect à la fois qui se joue toujours
27:12 dans le quotidien et l'intime, comme je viens de le dire,
27:14 et qui a parfois des résonances politiques, c'est-à-dire que quand on est en colère
27:18 parce qu'on est victime d'inégalités dans, je ne sais pas, la répartition des tâches,
27:24 puisque c'est un sujet important, par exemple dans les couples,
27:27 notamment hétérosexuels, dans les rapports hommes-femmes,
27:30 quand on est victime d'abus, d'injustices, d'inégales répartitions
27:35 dans un rapport hommes-femmes, dans un rapport parents-enfants,
27:39 dans un rapport employés-employeurs, et bien là nous n'avons pas affaire
27:44 à des colères simplement égoïstes et personnelles.
27:46 Bien sûr, on tient compte de ses intérêts propres et de valeurs qui sont peut-être brisées,
27:51 c'est-à-dire que nos libertés ou alors la justice et nos droits sont brimées,
27:54 mais en fait cela fait écho à des droits qui sont universels,
27:59 qui sont communs à toutes les femmes, tous les enfants ou tous les salariés,
28:02 par exemple. Ce ne sont pas des revendications qu'on porte uniquement personnellement,
28:05 mais ça fait écho et caisse de résonance à des luttes qui ont eu lieu avant nous
28:10 et avec nous, c'est-à-dire le droit des travailleurs,
28:13 le droit des mineurs ou le droit des femmes, par exemple,
28:18 à avoir une égalité salariale, à avoir un droit de vote,
28:21 à ne pas subir de violence. Donc, les colères qu'on vit parfois intimement,
28:25 elles sont en réalité des vraies caisses de résonance,
28:29 elles font écho à des colères du passé, du présent et peut-être du futur,
28:34 qui sont des colères collectives, démocratiques et politiques.
28:38 Évidemment, vous dites peut-être que si un groupe remporte une victoire,
28:45 il pourrait tyranniser une autre, mais là encore, c'est la distinction
28:49 entre tyrannie et colère. Si la colère vise simplement à rétablir des droits
28:53 qui sont bafoués ou à s'opposer à un projet qui pourrait être liberticide
28:59 ou opprimer des classes d'individus, il me semble qu'à ce moment-là,
29:03 évidemment, il faut toujours faire une analyse circonstanciée, précise,
29:07 mais à ce moment-là, il ne s'agit pas d'opprimer, mais de mieux répartir
29:10 les biens et les richesses, la notion d'égalité et de liberté.
29:14 En revanche, si une classe de population vise à prendre le pouvoir
29:18 pour opprimer une autre, priver de droit, là, on voit bien la différence
29:22 quand même. Donc, à mon avis, le risque est minime.
29:25 Ce qui est intéressant, c'est que, et ça, c'est Anna Renth qui le remarque,
29:29 c'est que les révolutions, dans le fond, ou les mouvements vraiment contestataires,
29:33 insurrectionnels ou révolutionnaires, souvent partent de minorités,
29:36 de minorités éclairées, informées, et qui ont le courage aussi, parfois,
29:40 de descendre et de s'exposer à la violence de l'État pour se rebeller.
29:45 En général, ce n'est pas une majorité tyrannique, c'est plutôt une minorité
29:49 courageuse, profondément démocratique, et prise de justice, pas simplement
29:55 pour elle, mais pour les autres, en réalité. Donc, je ne crois pas que le risque
29:59 soit avéré. Ce qui est risqué, c'est plutôt des mouvements animés
30:04 par d'autres émotions, comme la peur ou alors le sentiment de haine.
30:07 C'est plutôt ces effects-là qui sont, à mon avis, des dangers pour la démocratie.
30:11 Merci beaucoup. Les adeptes de Marie-Agnès Cercieron, au lycée Marie Curie
30:18 à Neugehors-sur-Oise, vous présentent deux questions, si vous voulez bien
30:22 les accepter, relativement simples, mais compliquées. Pensez-vous qu'il est
30:26 possible d'être en colère et pardonné en même temps ? Est-ce que le pardon
30:33 vous poserait problème dans ce cas-là ? Première question, et deuxième,
30:38 est-ce que l'écriture de votre livre a changé votre façon d'exprimer votre colère ?
30:43 Est-ce que vous aviez du mal avant ? Est-ce que vous y arrivez un peu mieux maintenant ?
30:49 Désolé d'aller si loin dans la précision de cette question, mais je vous remercie
30:54 de la prendre en considération. Merci. Allez-y.
30:58 Merci pour vos questions. Effectivement, dans la dernière partie de mon ouvrage,
31:02 dans un dernier chapitre, je me confronte à une objection qu'on peut peut-être
31:06 m'adresser, ou en tout cas la tradition judéo-chrétienne pourrait m'adresser
31:10 cette remarque. Pourquoi ne pas favoriser le pardon, voire la réconciliation ?
31:16 Ce n'est pas la même chose, parce qu'on peut pardonner à quelqu'un et ne pas
31:19 non plus se réconcilier. Le pardon, en tout cas christique, chrétien, ne vise pas
31:24 forcément à la réconciliation. En tout cas, le pardon chrétien serait une sorte
31:28 d'antidote. Il est présenté comme un antidote à la violence, et quelque part
31:34 à la colère, qui peut engendrer parfois de l'agressivité ou une forme de violence.
31:38 Ce que je dis, c'est que ce qui m'intéressait, c'était de montrer que la colère
31:44 est beaucoup plus rationnelle que le pardon. Parce que se mettre en colère,
31:48 c'est répondre à une agression, à une injustice, et c'est chercher à rétablir
31:52 un équilibre. Donc c'est profondément rationnel, ça répond à la loi de la
31:55 réciprocité. Je suis agressée ou violentée, ou on m'a privée de droit,
31:59 je cherche à les récupérer. C'est un calcul tout à fait rationnel, alors que
32:04 le pardon annule ce calcul. Le pardon vise à passer outre le calcul rationnel
32:11 de mes droits, à passer outre la justice et même la morale, en disant qu'on annule
32:18 toute créance et toute dette, et on a tout. On passe donc outre tous les calculs,
32:25 et c'est un geste profondément irrationnel, qui rend la loi humaine de la réciprocité.
32:29 C'est un geste extrêmement difficile, presque surhumain. Comment pardonner
32:33 à celui ou à celle qui m'a agressée, trahi, violentée ou qui a commis un crime ?
32:39 Donc ça me paraît très difficile, à la fois d'être en colère et de pardonner.
32:43 Mais ce que rapportent certains témoignages que j'analyse de gens qui ont pu pardonner,
32:48 même parfois à des bourreaux célèbres dans l'histoire, comme les bourreaux nazis,
32:53 c'est que la colère ne peut pas intervenir en même temps que le pardon.
32:57 C'est-à-dire qu'il faut souvent passer par une colère importante et réelle,
33:01 et tout à fait justifiée et légitime, pour peut-être un jour éventuellement
33:05 se prouver touchée par ce mouvement, vraiment, en tout cas dans le christianisme,
33:11 c'est un mouvement de la grâce, c'est un mouvement qui nous dépasse,
33:14 qui consiste à donner son pardon. Donc je ne pense pas que temporellement
33:18 on puisse avoir une synchronie, une simultanéité de la colère et du pardon.
33:21 En revanche, un pardon sans colère me paraît très suspect.
33:25 Je pense que le pardon ne peut intervenir que lorsqu'on a d'abord eu ce mouvement humain,
33:30 profondément humain et rationnel, de la colère.
33:33 Et ensuite, et c'est presque un mouvement mystérieux et gracieux,
33:37 peut surgir le pardon, lorsqu'il est demandé par son bourreau ou pas.
33:45 J'ai envie de dire, je trouve qu'il ne faut pas prescrire de conditions,
33:49 ou une liste, chacun est libre, c'est un geste profondément intime et subjectif,
33:55 chacun est libre de le donner au moment voulu et selon les conditions,
33:58 ou sans conditions. Mais il me paraît suspect de penser que ce pardon
34:02 pourrait émaner sans un mouvement humain de colère.
34:06 Et d'ailleurs, ce n'est pas ce que défendent les textes bibliques.
34:10 Et pour ce qui est de mon expérience personnelle d'écriture,
34:14 ce livre m'a peut-être permis de mieux défendre et résoudre mes propres colères,
34:21 mais je ne pourrais pas dire qu'il m'a rendu complètement accessible
34:27 à 100% cette émotion. Je pense que c'est un affect toujours très difficile
34:31 à assumer dans sa vie, parce que ça implique par moments de se placer
34:36 en conflit avec des gens qu'on aime, ou avec des gens avec lesquels
34:40 on a affaire quotidiennement, dans son travail, dans sa vie.
34:43 Et c'est toujours difficile d'oser prendre sa place, d'oser assumer
34:48 une prise de distance, d'oser assumer une critique des autres.
34:53 C'est toujours très compliqué et difficile, surtout dans notre société pétrie
34:57 d'appels à la séduction, à la pastification des rapports,
35:02 et qui tend toujours à culpabiliser ou à presque criminaliser
35:07 tout mouvement de colère. C'est toujours difficile d'y accéder,
35:10 c'est toujours compliqué. Mais il est vrai que l'écriture de cet ouvrage
35:14 m'a permis sans doute d'un peu plus y accéder, ou d'un peu plus l'affirmer
35:19 avec simplicité et avec tranquillité.
35:23 Je vous remercie pour vos questions.
35:25 Merci beaucoup à vous.
35:27 Sœur Didier, juste un mot, puisque c'est toi qui organise l'Essentiel.
35:35 Eh bien, le dernier mot, c'est pour vous remercier,
35:42 tous, pour remercier Joël Zasque, Pierre Cassonogues et Sophie Galabru.
35:47 Vraiment, on a passé un bon moment.
35:50 Merci de tout ce que vous avez dit.
35:54 Merci de votre participation active à ce prix.
35:58 Eh bien, je vous rappelle que chaque élève votera,
36:03 avant le 15 juin, pour le livre qu'il a préféré.
36:08 Voilà le mot de la fin.
36:11 Alors, j'ai un élève ici qui voulait poser une question à Sophie Galabru.
36:16 Est-ce que j'ai encore le temps de lui poser une question ?
36:20 Ou est-ce qu'on est vraiment en retard ?
36:23 Mettez-le au parler.
36:26 Est-ce que...
36:28 Allons-y.
36:29 Il arrive.
36:31 Les réponses, très courtes.
36:32 Alors, il s'appelle Mathis.
36:35 Allez-y, Mathis.
36:36 Bonjour, Mathis.
36:37 Bonjour.
36:39 Je voulais savoir, les rassemblements et manifestations pour la réforme des retraites
36:44 vous ont-ils fait réfléchir au bienfait de la colère ?
36:47 Et de quelle façon ?
36:50 Ils ne m'ont pas fait réfléchir.
36:51 Ils m'ont confirmé qu'on a la colère.
36:54 Les manifestants étaient aujourd'hui discrédités et criminalisés
36:58 avec la fameuse opposition, la colère de la rue
37:01 contre la légitimité de la Constitution ou du gouvernement.
37:05 Or, la colère démocratique survient aussi.
37:09 C'est l'histoire de notre pays, le 1789, qui nous montre
37:12 que la colère de la rue est profondément légitime, compréhensible et démocratique.
37:17 C'est elle qui fait advenir de nouveaux droits, de nouvelles libertés
37:21 et réformer parfois même les Constitutions.
37:24 Voilà ce que je peux vous répondre en deux mots, rapidement.
37:27 Merci infiniment, Mme Galabru, pour votre disponibilité et vos réponses.
37:35 Nous arrivons au terme de cette troisième partie de notre programme.
37:39 Elle sera disponible très rapidement grâce aux travaux de Jean-Luc Gaffard à la régie,
37:46 je pense, d'ici quelques jours.
37:47 Consultez notre site Internet, consultez aussi nos plateformes de podcast
37:52 comme Deezer ou Spotify.
37:55 Très bonne journée à tous et au plaisir peut-être de nous retrouver
37:59 encore l'année prochaine pour la partie suivante
38:04 de ce magnifique Prix lycéen du livre de philosophie
38:07 organisé par l'Association des professeurs de philosophie et d'enseignement public.
38:11 Merci à tous les participants et merci à ceux qui ont été invités à échanger en direct.
38:20 Merci.
38:22 Sous-titrage Société Radio-Canada
38:26 © Sous-titrage Société Radio-Canada
38:31 © Sous-titrage Société Radio-Canada
38:36 © Sous-titrage Société Radio-Canada
38:41 © Sous-titrage Société Radio-Canada
38:46 Merci à tous !
38:48 Merci à tous !