Israël à un tournant de son histoire

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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 30 Mars 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
Transcript
00:00 *Générique*
00:04 Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 En Israël, des manifestations monstres ont réussi à faire plier le gouvernement.
00:10 Au moins pour un temps, acculé par l'opposition, Benjamin Netanyahou, le Premier ministre,
00:14 s'est résolu à reporter une très décriée réforme de la justice.
00:17 Mais ce recul de la part du Premier ministre suffira-t-il à apaiser les tensions ?
00:22 Plus largement, s'agit-il d'un tournant pour l'histoire du pays ?
00:26 Pour en parler, nous sommes en duplex avec la sociologue Eva Hillouz.
00:31 Bonjour Eva Hillouz.
00:33 *Eva Hillouz* Bonjour Guillaume Erner.
00:35 Et ici, dans ce studio, Danny Tromme, directeur de recherche au CNRS,
00:40 où vous venez de publier aux presses universitaires de France l'état de l'exil Israël, les Juifs et l'Europe.
00:46 Et puis mon camarade Frédéric Mettezo, vous l'entendez parce qu'il est généralement à Jérusalem en Israël.
00:53 C'est notre envoyé spécial mais voilà, il se trouve qu'il est à Paris.
00:56 On l'a saisi à sa descente de l'avion.
00:58 Peut-être quelques mots Frédéric, pour nous expliquer en quoi consistait cette réforme que Benjamin Netanyahou a reportée.
01:04 Alors c'était une réforme multifacette, c'est-à-dire le premier élément consistait à donner des pouvoirs à la Knesset,
01:12 donc au Parlement israélien.
01:14 Vous vous souvenez qu'il n'y a qu'une seule chambre en Israël.
01:18 Et donc cette chambre, si la loi était votée, pourrait invalider des décisions de la Cour suprême israélienne.
01:25 C'est comme si en France l'Assemblée nationale pouvait dire "eh bien le Conseil constitutionnel a dit,
01:29 mais nous, nous ne sommes pas d'accord et nous pouvons invalider".
01:32 Donc première chose, primauté du Parlement sur la Cour suprême.
01:35 Deuxième chose, le projet de loi visait à changer la composition du comité de nomination des juges.
01:43 En gros, pour faire simple, c'est la majorité parlementaire qui aurait eu la main sur la nomination des magistrats en Israël.
01:49 Troisième chose, qui est un tout petit peu plus technique,
01:52 mais les juges de la Cour suprême disposaient d'une clause de raisonnabilité.
01:58 C'est-à-dire, pour faire très simple, quand une loi arrivait, si vraiment elle paraissait complètement absurde,
02:05 complètement folle, complètement hors de propos,
02:08 eh bien les juges n'avaient même pas besoin d'argumenter sur le fond.
02:11 Ils disaient "non, écoutez, là, il faut être raisonnable, on ne peut pas sortir cette loi".
02:14 Et c'est ce dispositif que souhaitait suspendre le gouvernement.
02:17 Donc, essentiellement, c'est trois éléments de réforme.
02:23 Et c'est donc cette réforme qui a été mise en pause.
02:26 Elle n'est pas retirée, elle est mise en pause.
02:28 Mais alors, à quelle réforme, justement, avez-vous échappé, Vaillelouze ?
02:32 À quelle réforme ? Israël a-t-il échappé ?
02:34 Pourquoi une telle mobilisation contre ce projet de loi ?
02:41 Mettezot vient d'expliquer, effectivement, que les deux réformes,
02:46 il y a deux réformes essentielles qui devaient passer en deuxième ou troisième lecture,
02:52 qui est celle de la clause du contournement et celle de la composition de la commission qui nomme les juges.
03:03 Je voudrais rajouter à ce que Frédéric Mettezot a dit quelque chose d'important pour comprendre ça,
03:08 parce que ça peut sembler à l'auditeur être des questions techniques, des points de détail.
03:14 Il faut expliquer qu'en Israël, il y a, je dirais, un déficit démocratique.
03:19 On ne le voit pas vraiment parce qu'il s'agit d'une culture où la presse est très libre et où on argumente beaucoup.
03:27 Mais c'est un système déjà monocaméral, Frédéric Mettezot l'a dit.
03:32 Ensuite, le gouvernement émerge en général de la CNESET elle-même.
03:37 Il y a très peu de séparation entre les législatifs et les exécutifs.
03:42 Ensuite, il n'y a pas de constitution israélienne.
03:44 Il y a douze lois fondamentales qui peuvent être changées très facilement.
03:48 Et donc, je dirais, il n'y a pas la culture politique très forte que les constitutions normalement donnent.
03:54 Il y a une très grande imbrication entre le religieux et le politique, beaucoup plus grande que dans d'autres pays.
04:01 Et donc, la Cour suprême, si vous voulez, a été le seul garde-fou jusqu'à présent
04:07 pour garantir l'exécution de certaines lois fondamentales,
04:11 comme des lois sur la dignité de l'être humain.
04:16 Mais il faut le dire non plus que cette Cour suprême n'a pas été follement démocratique.
04:21 Elle ne s'est pas opposée à beaucoup de démolitions de maisons de Palestiniens dans les territoires.
04:27 Elle ne s'est pas beaucoup opposée à la construction de colonies sur des terres prisées de Palestiniens.
04:33 Mais il s'agissait quand même d'un garde-fou à la fois symbolique et réel.
04:40 Et c'est de ce garde-fou que ce gouvernement voulait se débarrasser.
04:46 Donc, il s'agissait de, si vous voulez, il s'agit d'une démocratie extrêmement fragile.
04:53 Voilà. Et donc, si on politise les juges de la Cour suprême,
04:58 si on les politise, et si ce sont des juges de droite ou d'extrême-droite,
05:04 je pense qu'on peut dire avec beaucoup de certitude qu'ils ne respecteront pas le droit international et les lois fondamentales du peuple.
05:12 - Il y avait un danger pour votre point de vue, Dany Trom ?
05:15 - Oui, moi je décrirais la situation des ans structurels de manière un tout petit peu différente.
05:22 Dire que le gouvernement effectivement émane directement du Parlement,
05:29 c'est, disons, un trait éminemment démocratique de l'État d'Israël.
05:35 Ce n'est pas du tout un déficit.
05:37 Le problème qui se pose n'est pas un déficit démocratique, à mon sens.
05:41 Le problème qui se pose, c'est un problème d'équilibre des pouvoirs.
05:44 Et dans cet équilibre des pouvoirs, on peut dire qu'à la fois le régime, qu'aucune constitution ne prévoit d'ailleurs, est éminemment démocratique,
05:55 il y a une représentation parlementaire proportionnelle qu'aucun autre pays ne connaît,
06:02 et donc d'où la difficulté naturellement de construire des coalitions,
06:07 et d'autre part, vous avez une Cour suprême à qui a échoué un ensemble de pouvoirs extrêmement importants qu'aucune autre Cour suprême dans nos démocraties n'a atteint.
06:18 Et donc vous avez là une situation explosive, et elle est explosive précisément, on pourra y revenir,
06:25 parce qu'il n'y a pas de constitution qui prévoit des règles du jeu stable,
06:30 et donc ce qui est fragile n'est pas la démocratie.
06:33 Ce qui est fragile là est un système qui s'est progressivement construit sans que l'on ait pu stabiliser dans une constitution les règles de fonctionnement.
06:50 Mais alors Frédéric Métezo, qu'est-ce qui a fait reculer Benjamin Netanyahou ?
06:54 Parce qu'il avait de nombreux intérêts dans cette réforme.
06:59 Un intérêt, c'est que je crois que c'est quelqu'un d'un peu inquiété sur le plan judiciaire.
07:04 Il est même jugé pour corruption, oui.
07:06 Il avait peut-être la possibilité de rester à son poste un certain temps,
07:10 et puis beaucoup de gouvernements rechignent à retirer les réformes qu'ils ont posées au Parlement, par exemple.
07:18 Bref, qu'est-ce qui l'a fait, ployé, selon vous ?
07:20 Il y a plusieurs choses.
07:22 D'abord, samedi soir, son ministre de la Défense, Yoav Galand, qui est du même parti, le Likoud,
07:27 a dit qu'il fallait retirer la réforme quand vous avez, d'un côté, les réservistes de l'armée,
07:34 c'est-à-dire ces civils israéliens qui disent "je n'irai plus faire mes périodes de réserve".
07:40 On sait que l'armée en Israël, c'est quelque chose de crucial,
07:43 parce qu'Israël n'est pas entouré par la Belgique ou le Luxembourg.
07:47 Israël est quand même dans un environnement beaucoup plus hostile.
07:49 Donc quand vous avez les réservistes qui disent "si cette réforme passe, nous n'irons plus faire nos réserves",
07:54 quand le ministre de la Défense dit "je ne suis pas d'accord",
07:58 là, vous commencez à sentir le vent du boulet qui se rapproche,
08:01 parce que par ailleurs, cette critique du ministre de la Défense, c'est aussi la critique d'un cadre du parti.
08:05 Première chose.
08:06 Deuxième chose, on avait des indicateurs économiques en Israël qui commençaient...
08:12 Alors, ils n'étaient pas dans le rouge, mais ils étaient dans l'orange.
08:15 Et pas vraiment des gauchistes, vous voyez, quand c'est les agences de notation américaines,
08:20 quand c'est 11 prix Nobel qui signent une tribune,
08:23 quand vous avez les gens de la high tech, les start-uppers,
08:27 et on sait que c'est très très puissant en Israël, que c'est très fort dans le PIB israélien,
08:32 quand tous ces gens se mettent à se mobiliser et à critiquer la réforme,
08:37 ça commence à sentir pas très bon.
08:39 Et puis, entre 250 et 600 000 personnes qui manifestent le samedi soir,
08:44 sur un pays de 9 millions d'habitants, et ça depuis début janvier, c'est un mouvement qui dure.
08:50 - Eva Hilouz, ça vous a surpris qu'il cède Benjamin Netanyahou ?
08:55 Qu'est-ce qui l'a fait ployer selon vous ?
08:57 Les différentes oppositions étaient trop importantes pour qu'il résiste ?
09:02 - Alors, ce qui est intéressant dans ces protestations,
09:07 et encore une fois qu'on peut ne pas forcément comprendre vue de France,
09:12 c'est qu'il s'agit d'une mobilisation massive des classes moyennes et des classes moyennes supérieures.
09:17 En fait, Israël est divisé grosso modo entre aussi des classes productives,
09:22 des classes qui travaillent, et des ultra-orthodoxes religieux
09:26 qui vivent des impôts que les classes productives payent,
09:30 et les colons dans les territoires qui en fait commencent à former des alliances objectives avec les ultra-orthodoxes.
09:42 Donc on peut dire qu'on a véritablement deux camps.
09:44 Et les gens qui sont dans la rue sont des classes moyennes et des classes moyennes supérieures.
09:51 Ce sont les classes productives, ce sont elles qui représentent les institutions centrales du pays.
09:59 Donc ça c'est une première chose qu'il faut comprendre.
10:02 Il ne s'agit pas des Gilets jaunes.
10:05 Il s'agit en fait d'une opposition entre des groupes qui sont finalement minoritaires,
10:11 qui sont au gouvernement, qui sont minoritaires au niveau de leur contribution réelle au pays,
10:18 et des gens qui représentent les institutions qui sont dans les rues,
10:23 qui se sentent dépossédées finalement du pays qu'ils contribuent à faire avancer.
10:32 Et je dirais une chose, et j'ajouterais à ce que Frédéric Métezo a dit une autre chose,
10:37 c'est que le syndicat général, la East-Edge-Route, qui fait très rarement grève,
10:42 en tout cas qui ne fait pas de grève générale comme on l'a vu lundi,
10:48 ce syndicat qui a d'ailleurs aussi plutôt des sympathies avec l'Hollywood,
10:55 ce syndicat a paralysé les aéroports et les ports, et donc a complètement arrêté le pays,
11:02 ce qui est quasiment du jamais vu en Israël.
11:06 Donc si vous voulez, Nathanaël, on faisait face à un pays qui était tout simplement à l'avant.
11:13 - Danny Trump, est-ce que ça signifie qu'Israël est une démocratie exemplaire,
11:18 ou au contraire qu'il y a eu une tentative justement de faire en sorte que cette démocratie
11:25 soit largement entamée, dégradée par cette réforme ?
11:31 - Oui, je ne dis pas que la démocratie est exemplaire, je dis qu'elle fonctionne.
11:34 Et je remarque que les voix critiques qui nous venaient, disons, de la gauche intellectuelle à présent,
11:41 cherchent à sauver... - Quelle gauche intellectuelle ?
11:44 - Les voix qui nous viennent des campus israéliens.
11:47 Vous connaissez les campus israéliens, ou peut-être pas,
11:51 mais c'est un bastion de la critique de l'état d'Israël.
11:55 Bon, là, tout à coup, on se rend compte qu'il y a quelque chose à sauver,
11:59 et ils sont obligés de dire que pour finir, c'était bien d'une démocratie
12:03 qu'il y avait bien une Cour suprême, et que cette Cour suprême jouait un rôle bien utile.
12:08 Alors que la gauche intellectuelle, mais aussi les parties de gauche,
12:15 ont souvent critiqué la Cour suprême pour les raisons que nous a rappelées Eva.
12:21 Donc, la question qui se pose là, c'est...
12:27 Vous avez une division du pays, une polarisation du pays, en deux camps,
12:32 et je pense que la description sociologique qu'en a fait Eva est tout à fait exacte,
12:37 c'est tout à fait juste.
12:38 Ce qu'il faut voir, et qu'on ne voit pas bien de France,
12:42 c'est le caractère existentiel de cette crise.
12:45 Et c'est pour ça qu'elle prend un tournant aussi dramatique.
12:49 Les gens qui sont dans la rue sentent le sol se dérober sous leurs pieds.
12:55 - Pourquoi ? - Alors, pourquoi ?
12:57 Précisément, et ça c'est un des points que j'essaye de développer dans mon ouvrage,
13:01 c'est parce qu'il n'y a pas eu de constitution,
13:05 et donc il n'y a pas eu d'auto-définition de l'état d'Israël.
13:10 L'état d'Israël est resté sans définition précise.
13:17 Et bien entendu, dans la crise, les définitions émergent et viennent s'opposer.
13:24 - C'est effectivement ce que vous développez dans "L'état de l'exil, Israël, les Juifs et l'Europe",
13:28 le livre que vous avez publié aux presses universitaires de France d'Anitrom.
13:32 Eva Hilouz, est-ce que vous demeurez inquiète,
13:35 notamment sur cette question des tentatives de Benjamin Netanyahou,
13:39 je vais le dire sommairement, de conserver le pouvoir par tous les moyens,
13:44 ou est-ce que vous êtes rassurée finalement par son recul ?
13:48 - Je vous avoue que je demeure inquiète et je suis loin d'être la seule.
13:55 Alors Netanyahou a certes été l'architecte d'une économie forte,
14:00 au prix d'accroissement des inégalités,
14:03 et il a certes été l'architecte des accords d'Abraham.
14:08 - Il faut rappeler ce que sont les accords d'Abraham, Eva Hilouz.
14:13 - Ce sont des accords diplomatiques et économiques avec les Émirats.
14:22 Ça a été un des accomplissements les plus notables.
14:32 - Un retournement de situation qui était très inattendu, il faut le dire.
14:37 - Je disais simplement que Netanyahou a certes accompli ces choses-là,
14:43 mais c'est quelqu'un qui gouverne en général dans et par le chaos,
14:48 qui aujourd'hui semble être débordé par ses partenaires de coalition,
14:53 qui sont ultra-extrémistes.
14:55 - Ça veut dire quoi ultra-extrémistes ?
14:58 - Ben Gvir, par exemple, qui est le ministre de la Sécurité,
15:05 Itamar Ben Gvir est quelqu'un qui a pendant très longtemps
15:10 arboré un portrait de Baur Goldstein,
15:13 qui a été cet Américain,
15:17 qui avait tué 29 Palestiniens à Hebron en 1914.
15:23 - Un peu après.
15:26 - Oui.
15:29 C'est quelqu'un qui s'identifie à des organisations,
15:35 Ben Gvir s'identifie à des organisations qui sont non seulement extrémistes,
15:39 mais dont on se demandait jusqu'à il y a un an
15:43 si on devait les classifier comme des organisations de terrorisme juif.
15:48 Mais pour revenir à votre question,
15:51 il a donné à Ben Gvir, le même Ben Gvir, son accord,
15:56 Nathaniel a donné son accord pour former une garde nationale.
15:59 - Eh oui.
16:00 - Ce qui revient, en fait, à donner son accord, à former une milice
16:04 qui reporterait directement au ministère de la Sécurité,
16:09 et c'est une milice privée.
16:13 Il y a un commentateur du journal "Arrêt",
16:15 je crois qu'il y a hier avait comparé cela à la milice iranienne,
16:20 Basij, qui reporte directement au régime.
16:25 Donc on ne sait pas exactement pourquoi Ben Gvir veut cette milice privée.
16:31 Ensuite, il y a deux jours, il y a des organisations juives,
16:35 encore une fois, que j'appellerais quasi terroristes,
16:38 parce que c'est comme ça qu'elles ont été appelées par Gantz, par exemple.
16:45 Alors ces organisations juives sont allées dans les rues
16:50 pour semer la terreur parmi les manifestants
16:53 et ont même blessé grièvement un arabe qui passait par là.
16:58 Alors je ne suis pas prophète, bien sûr,
17:00 et je ne sais pas très bien comment tout cela va se terminer,
17:03 mais on peut penser qu'il y a aujourd'hui des éléments de guerre civile,
17:10 les gens en parlent, je ne sais pas si elle va se produire ou non,
17:15 parce que jusqu'à présent les éléments d'extrême droite étaient restés chez eux,
17:19 ils sont maintenant désormais dans la rue,
17:24 et finalement personne ne croit que Netanyahou a vraiment abandonné son projet législatif.
17:29 Et donc c'est votre inquiétude, notamment parce que Itamar Benvir avait donc un portrait
17:35 et de Baruch Goldstein qui s'est livré à cette tuerie au caveau des patriarches à Hébron en 1994.
17:44 On se retrouve dans une vingtaine de minutes, Eva Hillouz, je rappelle que vous êtes sociologue.
17:49 Danny Trump, vous venez de publier "L'état de l'exil, Israël, les Juifs et l'Europe"
17:53 aux presses universitaires de France,
17:55 et on va évoquer cette fois-ci l'avenir de l'État hébreu.
17:59 La réforme a été reportée, mise sur pause,
18:02 mais les problèmes évidemment sociaux, économiques et politiques de l'État demeurent,
18:09 notamment la question des colonies.
18:12 Frédéric Métézo nous donnera quelques éléments à ce sujet.
18:15 Il est 8h sur France Culture.
18:17 7h-9h
18:19 Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
18:24 Nous évoquons la situation politique en Israël.
18:27 Benjamin Netanyahou a cédé sous la pression de la Russe à réforme de la justice
18:31 dont le principal objectif était de retirer son indépendance à la Cour suprême en Israël.
18:35 Va finalement être reporté.
18:37 Nous sommes en compagnie de mon camarade envoyé spécial à Jérusalem,
18:41 mais aujourd'hui à Paris, Frédéric Métézo.
18:44 Danny Trump, l'historien a publié "L'état de l'exil, Israël, les Juifs et l'Europe"
18:49 aux presses universitaires de France.
18:51 Et Eva Hillouz, elle, qui est sociologue
18:55 et qui a publié "Les émotions contre la démocratie" aux éditions du Premier Parallèle,
19:01 un livre justement aussi sur la situation politique en Israël.
19:05 Danny Trump, quelques mots.
19:07 Eva Hillouz évoquait notamment l'aile droite de cette coalition de droite,
19:13 une aile d'extrême droite, d'ultra droite.
19:15 Votre regard sur cette coalition et sur la situation politique du pays ?
19:21 Oui, ce que je voudrais dire, c'est qu'il y a dans cette crise des éléments qui sont structurels
19:26 et des éléments qui sont conjoncturels.
19:28 Alors, prenons l'actualité au sens strict, conjoncturel.
19:32 Elle résulte en partie du fait que Netanyahou, pour accéder au pouvoir,
19:39 est allié à coaliser un ensemble hétéroclite de partis politiques
19:46 qui n'ont pas de cohérence.
19:48 Il faut rappeler quand même que Ben Gwirt, dont on vient de parler,
19:53 qui est une extrême droite extrêmement pernicieuse et dangereuse,
19:57 a fait 5%.
19:59 Et qu'elle est inclue dans un parti politique
20:04 qui est le parti des sionistes religieux, qui a fait 12%.
20:07 Toute la question qui se pose là, c'est que Netanyahou est apparu longtemps aux Israéliens
20:16 comme un facteur de stabilité.
20:18 Et qu'à présent, tout le monde perçoit qu'il est un facteur d'instabilité.
20:23 Ce qu'il a fait, c'est promouvoir sans cesse la division
20:28 pour se faire apparaître, et là vous avez l'exemple avec la pose,
20:33 comme celui qui, en quelque sorte, assure l'unité nationale.
20:37 Alors que cette nécessité de réaffirmer une unité nationale
20:42 procède précisément de son travail de division et de déchirement constante
20:48 de la société israélienne.
20:51 - Eva Hillouz, est-ce que ce n'est pas aussi la diaspora,
20:55 les juifs français, certains ont pris la parole,
20:59 vous avez par exemple Anne Sinclair hier, qui a fait une tribune dans le monde,
21:04 Maurice Lévy, président de Publicis, mais aussi les juifs américains,
21:09 certains juifs américains qui se sont élevés contre la politique de Benjamin Netanyahou.
21:13 Est-ce que ça n'a pas pesé dans sa décision ?
21:16 - Pour aller vite, je vais dire que je ne crois pas.
21:22 Mais je vais quand même élargir un petit peu votre question,
21:25 parce que je pense que c'est une question très importante et intéressante.
21:29 Il faut d'abord peut-être dire que le rapport d'Israël à sa diaspora
21:35 ne ressemble à rien, je crois.
21:37 Ça ne ressemble à aucun pays.
21:39 Quand on parle en général de diaspora, par exemple la diaspora des Algériens
21:44 en Paris, des Italiens à New York, il s'agit de gens qui ont quitté leur pays
21:50 et qui vivent dans un autre pays.
21:53 Or, en Israël, quand on parle de diaspora juive,
21:57 on parle de gens qui n'ont jamais vécu en Israël,
22:03 mais qui sont des juifs français, des juifs américains,
22:07 et bien qu'étant des citoyens modèles de leur pays,
22:13 sont considérés en quelque sorte comme faisant partie du peuple juif,
22:18 l'ensemble du peuple juif,
22:20 vis-à-vis desquels Israël se voit comme leur leader.
22:28 Ça n'a pas toujours été le cas,
22:30 mais je dirais que Ben Gurion et Begin se sont vus comme les leaders
22:39 du peuple juif en général.
22:41 Alors, il s'est passé quelque chose de très intéressant, à mon avis,
22:45 avec Netanyahou ces dix dernières années.
22:48 C'est que Netanyahou a montré à plusieurs reprises son dédain
22:55 pour la diaspora, ce que vous appelez la diaspora,
22:58 et en particulier pour la seule diaspora qui compte véritablement,
23:03 qui est la communauté juive américaine,
23:06 qui est la plus nombreuse et la plus influente,
23:09 et dont on sait qu'elle a toujours exercé toute sa influence
23:14 dans les couloirs du pouvoir américain.
23:17 Et j'en veux aussi, il y a d'autres exemples.
23:21 Quand Netanyahou est parti en visite en Hongrie,
23:26 il a été reçu très chaleureusement par Orban,
23:30 et glacialement par la communauté juive,
23:33 parce que Orban avait réhabilité d'anciens dirigeants hongrois
23:39 qui avaient eu des sympathies nazies.
23:41 Quand il est parti en Italie très récemment,
23:44 il a été reçu, pas très chaleureusement,
23:47 mais reçu quand même par Meloni,
23:49 il a été reçu glacialement aussi par la communauté juive italienne.
23:55 Donc, si je reviens aux États-Unis,
23:58 il est aussi très intéressant de noter que Netanyahou a marqué son dédain
24:04 vis-à-vis de la communauté juive américaine,
24:07 parce que dans son ensemble, c'est une communauté qui est démocrate,
24:11 qui est donc progressiste et beaucoup plus à gauche que lui,
24:15 et il a préféré nouer un dialogue plutôt étroit avec les évangéliques,
24:19 l'extrême droite donc chrétienne américaine,
24:23 ce qui, au regard de l'histoire d'Israël, est très intéressant et très novateur.
24:29 Ça veut dire, si vous voulez, que Netanyahou privilégie le politique,
24:34 c'est-à-dire les groupes politiques qui peuvent l'aider
24:39 sur la scène internationale et à l'intérieur du pays,
24:45 à l'appartenance ethique.
24:47 De toute façon, à mon avis, il a jugé que la communauté juive américaine
24:51 était trop à gauche pour qu'il puisse la rallier à ses propres intérêts.
24:57 Une dernière question, Eva Hilouz, parce que je sais qu'après vous,
25:01 vous allez devoir nous quitter.
25:03 La situation politique, elle s'est en partie calmée,
25:07 en partie seulement, parce qu'il y a encore des manifestations.
25:11 En revanche, la situation dans les colonies, elle demeure,
25:15 et cela, c'est quelque chose qui semble ne pas s'arranger dans l'antagonisme.
25:22 Alors, Louis, il faut comprendre, là encore une fois,
25:27 il faut comprendre quelque chose.
25:29 C'est qu'en 1948, il y a une très forte minorité arabe qui reste en Israël.
25:36 Et donc, il a fallu, si vous voulez, une énorme subtilité politique
25:41 pour rendre ce citoyen arabe de citoyen, et d'en faire d'un citoyen israélien.
25:50 Et en 1967, quand on conquiert les territoires,
25:55 on rajoute à cette énorme complexité,
25:59 on rajoute une population qui n'a aucune raison de ne souhaiter la bienvenue.
26:06 Et Israël, alors qu'au départ, il s'agissait d'une conquête,
26:10 je dirais, soft de ses territoires,
26:12 progressivement, le contrôle militaire va se direcir.
26:16 Il y a eu une colonisation croissante des territoires par des juifs,
26:20 des expulsions croissantes, et là, on peut véritablement parler
26:25 d'une guerre à basse intensité entre la population palestinienne
26:30 en dehors de la ligne verte,
26:33 et Israël, maintenant cette ligne verte est de plus en plus inexistante.
26:39 Et donc, ça veut dire, si vous voulez, et c'est ce qui se passe aujourd'hui,
26:43 Dany pense qu'il s'agit peut-être d'une crise conjoncturelle,
26:46 ce n'est pas du tout une crise conjoncturelle,
26:48 parce que ce gouvernement dans lequel Ben Gvir et Smotrich participent,
26:54 est la preuve que la ligne verte est en train de s'effacer,
26:59 et que la vision politique, et une vision politique radicale,
27:05 mécanique, qui était marginale jusqu'à un certain temps,
27:08 cette vision commence à être dominante,
27:12 ou en tout cas vouloir se saisir du règne du pouvoir en Israël.
27:16 On va faire réagir Dany Trump à ce que vous venez de dire, Eva,
27:22 il ouse d'autant que vous devez nous quitter.
27:26 Eva, si tu restes encore un moment, je ne dis pas que la crise est conjoncturelle,
27:33 je dis qu'elle a des éléments structurels profonds,
27:35 mais qu'elle a des éléments conjoncturels.
27:37 Pour ce qui est structurel, et vous posiez la question du rapport diaspora-Israël,
27:43 je pense que, disons, l'inquiétude,
27:48 c'est le moins qu'on puisse dire, vous évoquez des tribunes, etc.,
27:52 mais l'angoisse de la diaspora, elle tient en ceci.
27:56 Dès le début des négociations de la coalition,
28:01 deux choses se sont affirmées immédiatement.
28:04 Une première chose concerne les territoires et les Palestiniens.
28:07 Il a été, en quelque sorte, affirmé,
28:11 et c'est ça la concession à Ben Gvir, mais aussi à Smotric, aux sionistes religieux,
28:15 - Donc à la partie la plus... - à la partie la plus à droite,
28:19 sionistes la plus à droite,
28:21 parce que la société ultra-orthodoxe n'est pas sioniste, il faut bien le comprendre.
28:25 - Qu'est-ce que ça veut dire ?
28:27 - Ça veut dire que c'est une société qui comprend l'État d'Israël
28:31 comme, disons, quelque chose avec lequel il faut compter,
28:35 mais auquel on n'adhère pas.
28:37 D'accord ?
28:39 Donc ils sont peu intégrés à l'intérieur de la structure de l'État.
28:42 C'est une société qui vit largement au marge de la société, maintenant.
28:47 Donc vous avez une concession aux sionistes religieux
28:51 et à une partie du Likoud, qui est indistincte,
28:54 devenu indistinct des sionistes religieux,
28:57 qui porte sur le statut des territoires,
29:00 sur le principe du statut du territoire,
29:03 où le territoire est vu comme une terre sacrée,
29:06 et donc qui enlève toute nécessité de négociation
29:10 avec un partenaire palestinien.
29:12 Mais il y a une contrepartie à ça, et ça c'est très important.
29:16 C'est des velléités de changer la loi du retour.
29:19 Et donc là aussi, de donner un caractère...
29:22 - Il faut parler de ce qu'est la loi du retour.
29:24 - La loi du retour est la loi par laquelle l'État d'Israël
29:27 s'est aliéné lui-même une partie de sa souveraineté
29:30 en donnant le droit aux Juifs à l'extérieur de l'État d'Israël
29:34 de venir le rejoindre.
29:36 Il faut bien l'entendre.
29:38 C'est un droit que l'État d'Israël s'est aliéné
29:41 et qui se trouve entre les mains de quiconque,
29:44 parmi les Juifs, veut immigrer.
29:47 Donc, en voulant changer cette loi du retour,
29:51 en lui donnant un sens religieux,
29:54 halachique, rabbinique,
29:56 vous avez là une superposition entre
30:00 terre sacrée d'un côté,
30:02 et définition de ce que sont les Juifs
30:05 de manière extrêmement rigide.
30:08 Mais il faut bien comprendre que ça va ensemble.
30:10 Et que donc, vous avez là un front
30:13 où à la fois les Palestiniens pâtissent,
30:17 mais où les Juifs pâtissent aussi.
30:20 Puisque ce que fait cette nouvelle coalition,
30:23 c'est couper l'État d'Israël
30:25 de l'expérience des Juifs d'Europe.
30:27 C'est ça l'entreprise,
30:29 et c'est ça qui suscite la crise d'identité,
30:32 la crise, disons, existentielle,
30:36 que vit aujourd'hui non seulement l'État d'Israël,
30:38 mais que vivent les Juifs à l'extérieur de l'État d'Israël.
30:41 - Pas seulement d'ailleurs les Juifs d'Europe,
30:43 puisque ceux-ci sont peu nombreux, mais aussi...
30:46 - La France est quand même la deuxième communauté juive du monde,
30:49 il faut bien le dire.
30:50 Je veux dire, derrière les États-Unis,
30:52 c'est la plus juive, la plus nombreuse.
30:53 - Mais avec une différence numérique significative.
30:56 Frédéric Méthézot, il y a donc cette question politique
30:59 qui se pose en Israël.
31:01 Elle se pose évidemment au regard de la situation des Palestiniens.
31:05 Et si vous deviez justement nous décrire,
31:08 quelle est la situation, une situation qui là aussi,
31:11 politiquement, est compliquée avec un avenir incertain.
31:14 - Oui, c'est très compliqué.
31:15 D'abord, l'occupation continue.
31:17 Ça dure depuis 1967.
31:20 - Qu'est-ce que c'est l'occupation ?
31:22 - L'occupation, c'est le contrôle militaire
31:25 d'une partie de la Cisjordanie
31:28 que les Juifs appellent "Judé Samari".
31:31 Donc, on a désormais quelques grandes villes palestiniennes
31:36 qui ont un statut d'autonomie civile.
31:38 Donc Ramallah, Jéricho, Bethléem, Hébron, etc.
31:42 Mais tout autour, c'est une zone d'occupation.
31:44 Ça veut dire que c'est une occupation militaire
31:46 et que beaucoup de villages sont sous administration civile
31:50 de l'armée israélienne.
31:52 Donc, cette occupation, elle continue.
31:56 On pourrait aussi ajouter Gaza,
31:58 qui est cette petite bande côtière
32:00 coincée entre l'Égypte, Israël et la mer Méditerranée,
32:02 et qui, elle, est contrôlée par le Hamas.
32:04 Le Hamas, c'est un mouvement islamiste
32:06 classé "terroriste" par Israël, les États-Unis et l'Union européenne.
32:10 Donc déjà, les Palestiniens, ils sont divisés en deux entités.
32:13 Et l'occupation, ça veut dire très simplement
32:17 que si vous habitez à Ramallah, au nord de Jérusalem,
32:19 et que vous voulez aller à Hébron, au sud,
32:21 vous pourriez prendre ce qui est à peu près l'équivalent d'un périphérique.
32:24 Ben non, pas du tout, il faut prendre des routes,
32:26 des petites routes, il faut passer des barrages militaires,
32:28 et tout ça peut être très long.
32:30 Donc la vie quotidienne est très difficile.
32:32 Ensuite, on est dans une période de conflit,
32:36 une période beaucoup plus meurtrière
32:38 qu'il y a par exemple 4-5 ans.
32:40 Là, on retrouve les bilans qu'on trouvait
32:42 côté palestinien durant la deuxième intifada.
32:44 Il y a à peu près 80 Palestiniens
32:47 qui ont été tués depuis le 1er janvier,
32:49 et une vingtaine d'Israéliens.
32:51 Donc, la situation est très conflictuelle.
32:53 N'oublions pas que Ben-Gvir et Smotric sont des colons,
32:57 c'est-à-dire qu'ils habitent des localités,
32:59 qu'on appelle colonies,
33:01 au cœur de la Cisjordanie.
33:02 Justement, il faut, peut-être pour que nos auditeurs comprennent bien,
33:06 il faut imaginer que ce territoire est un territoire,
33:10 globalement, je parle à la fois de la Judée et Samarie,
33:13 mais aussi des territoires traditionnels d'Israël.
33:19 C'est un territoire sur une surface relativement réduite,
33:23 et lorsqu'on parle de colons, en réalité,
33:26 les localités sont situées dans la banlieue de Jérusalem,
33:30 à des distances extrêmement réduites.
33:33 Dans la banlieue de Jérusalem, parfois de façon un peu plus isolée,
33:35 on a aussi un grand bloc, par exemple, au nord,
33:37 qui s'appelle Ariel, un autre grand bloc...
33:39 Qui est une très grande ville.
33:41 C'est des villes de banlieue, il faut imaginer,
33:43 une ville, c'est plutôt des lotissements,
33:45 c'est, vous voyez, ce qu'on peut voir un peu en grande banlieue parisienne,
33:48 c'est ça les colonies, mais ça morcelle le territoire de la Cisjordanie,
33:53 et ça fait un peu, on dit une peau de léopard, vous savez,
33:55 pour expliquer à quoi ça ressemble.
33:57 Et donc, cette occupation continue,
33:59 situation conflictuelle et situation politique totalement bloquée.
34:03 L'autorité palestinienne, Marmoud Abbas, 88 ans,
34:06 corrompue, népotiste, détestée par la population civile palestinienne.
34:12 De l'autre, le gouvernement israélien,
34:14 qui 1) ne veut absolument pas dialoguer avec les Palestiniens,
34:17 et 2) qui doit gérer une crise interne.
34:19 Ça fait que vous avez crise interne en Israël,
34:22 crise interne en Palestine,
34:24 et crise entre les deux qui ne veulent plus se parler.
34:27 Il y a eu quelques négociations en Égypte et en Jordanie,
34:29 il y a un mois, mais qui n'ont rien donné.
34:32 On a donc une situation qui, là aussi, ne s'est absolument pas améliorée.
34:37 Il y a eu, de part et d'autre,
34:39 il y a eu donc des attaques israéliennes sur des Palestiniens,
34:44 des répliques aussi, puisqu'il y a eu des attentats
34:48 perpétrés contre des Israéliens.
34:51 Les mots, là aussi, sont toujours complexes
34:54 et doivent être choisis avec précision d'Anitrom.
34:56 Mais ce qui est certain, c'est que la situation
34:58 entre Israéliens et Palestiniens ne s'améliore pas.
35:01 Oui, la situation est bloquée.
35:03 C'est ce que nous dit Frédéric Mettezo,
35:05 la description est tout à fait juste.
35:07 C'est le gel des accords d'Oslo.
35:09 C'est-à-dire qu'il y a eu un pas en direction d'un règlement,
35:12 et puis c'est gelé.
35:14 Et on hérite d'une situation comme ça,
35:16 une espèce de situation d'entre-deux
35:18 qui est complètement dysfonctionnelle.
35:21 Ce que je voudrais peut-être ajouter,
35:24 c'est que l'État d'Israël
35:28 naît sous la contrainte.
35:31 C'est-à-dire, je m'explique.
35:34 Ce n'est pas simplement que l'État,
35:36 dès qu'il a été proclamé,
35:38 a suscité une guerre avec ses voisins
35:41 et avec sa population,
35:43 avec la population interne, une guerre civile.
35:45 C'est que, dans le mouvement sioniste,
35:48 parce qu'il faut bien quelquefois revenir
35:50 à la manière dont cela s'est passé,
35:52 l'idée qu'on s'acheminait vers la création d'un État
35:59 n'était pas du tout une évidence.
36:01 Le mouvement sioniste n'a pas cherché à créer un État,
36:04 il a cherché à créer une entité politique.
36:07 Le terme restait très vague,
36:09 et elle se la figurait de plus en plus
36:11 comme une espèce de dominion
36:13 qui serait intégrée dans l'espace du Commonwealth britannique.
36:17 Ce n'est qu'au milieu des années 1930,
36:20 quand la situation se détériore de manière irréversible,
36:23 qu'on s'achemine vers une solution étatique.
36:27 Et Israël est toujours dans cette situation
36:31 où il a été à la fois, bien entendu, voulu,
36:35 mais il n'a pas nécessairement été voulu de cette manière.
36:39 Et la manière dont cet État a vu le jour
36:43 procède moins d'une volonté interne
36:48 que d'une pression objective externe.
36:52 Vous avez la même chose pour les territoires occupés.
36:55 La guerre des Six Jours n'a pas été voulue par Israël.
36:58 Israël s'est retrouvé en situation
37:01 de dominer un territoire qui était presque si grand
37:05 que le territoire internationalement reconnu
37:09 des frontières, disons, de cesser le feu en 1949.
37:13 Donc, le problème auquel on fait face aujourd'hui,
37:17 c'est qu'effectivement, vous avez une autorité palestinienne
37:21 délégitimée parce qu'elle doit gérer une situation
37:24 et qu'elle le gère avec le soutien d'Israël.
37:27 Vous avez le Hamas qui est un espèce d'équivalent de Ben Gvir
37:31 parce que que propose le Hamas ?
37:33 Il propose d'effacer l'État d'Israël,
37:35 ni le fait que les Juifs israéliens ont droit à l'autodétermination,
37:41 exactement de la même manière que Smotric est venu à Paris
37:44 pour dire qu'il n'existe pas de peuple palestinien.
37:46 Ce sont des doubles symétriques, vous voyez.
37:48 Et donc, on est dans une situation...
37:50 Sauf que le Hamas ne fait pas 5% des voix
37:54 s'il devait y avoir des élections.
37:55 Mais comme il n'y a pas d'élections,
37:57 on n'arrive pas à le mesurer exactement.
37:59 Voilà, le grand problème, c'est le problème de la gauche
38:04 qui a été très atteinte par l'échec des accords d'Oslo
38:08 et l'intifada qui est venue après.
38:10 Disons que les deux piliers de la gauche,
38:12 qui étaient la paix et la justice sociale,
38:14 se sont en quelque sorte effacés de leur programme,
38:19 ce qui explique l'avancée de la droite.
38:21 - On a aujourd'hui une gauche qui est quasiment laminée.
38:22 Une conclusion, Frédéric Méthézot,
38:24 on ne saura donc si cette réforme a été retirée.
38:28 La situation, dans sa complexité, demeure,
38:31 avec un avenir, vous allez peut-être me trouver pessimiste,
38:35 mais un peu sombre.
38:36 - Bah écoutez, on manifestait encore hier soir en Israël.
38:39 Toujours des dizaines de milliers de personnes qui disent
38:41 "mais il ne suffit pas de geler la réforme".
38:43 On a peur de la création de cette garde nationale
38:46 confiée par Bengvir.
38:48 Vous noterez ensuite que c'est après que Netanyahou
38:51 a suspendu la réforme que Joe Biden
38:53 a eu des propos extrêmement durs contre lui.
38:55 Il a dit "il ne sera pas reçu à Washington".
38:58 Ça en dit quand même très long sur la dégradation.
39:00 Donc là, ce qui risque de se passer,
39:02 c'est que les choses vont un tout petit peu se calmer
39:05 parce qu'on va rentrer bientôt dans la période de Pessah,
39:07 donc la Pâque juive, qui est une grande période de fêtes,
39:10 de retrouvailles en famille, de voyages, etc.
39:13 Donc c'est un peu ce qu'a tenté Netanyahou d'ailleurs,
39:17 dire "je suspend avant Pessah".
39:19 C'est comme si en France, vous vous dites
39:20 "bon, on va suspendre les débats le 22 décembre,
39:22 trois jours avant Noël".
39:23 C'est un petit peu la même chose.
39:25 On va ensuite avoir les périodes de commémoration
39:27 de la fête nationale,
39:29 la journée de la mémoire de la Shoah.
39:31 Donc ça va peut-être un tout petit peu
39:34 ralentir les choses,
39:36 mais la crise n'est absolument pas réglée
39:38 et n'est absolument pas finie.
39:39 Merci Frédéric Mettezo.
39:41 Bon retour donc à Jérusalem.
39:43 Merci.
39:44 Merci Dany Trom.
39:45 L'État de l'exil, Israël, les Juifs, l'Europe
39:47 aux presses universitaires de France
39:49 et l'ouvrage d'Eva Hilouz,
39:51 les émotions contre la démocratie
39:53 sur la situation politique israélienne
39:56 aux éditions Premier Parallèle.
39:58 parallèle.

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