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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 24 Juillet 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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00:00 France Culture, les matins d'été, Quentin Laffey.
00:05 Et ce matin alors que les coureurs du Tour de France sont arrivés hier à Paris et que
00:09 la grande boucle s'est achevée, alors aussi que le Tour de France femmes vient de commencer,
00:13 on va s'interroger sur les récits qui entourent cette compétition et se demander ce que le
00:18 Tour raconte de la France.
00:20 Alors pour cela, trois invités ce matin en studio à mes côtés.
00:24 Guillaume Martin, bonjour.
00:25 Bonjour.
00:26 Vous êtes cycliste professionnel au sein de l'équipe Cofidis, diplômé de philosophie,
00:31 auteur chez Grasset.
00:32 C'est sorti en 2021 de la Société du peloton et vous venez d'effectuer cette grande boucle.
00:37 Vous avez terminé combien hier ?
00:38 Alors hier, c'était l'arrivée sur les Champs-Elysées, c'est vraiment pas mon profil, dixième du
00:43 classement général au bout des trois semaines.
00:47 Et donc voilà, une belle performance, c'était mon objectif.
00:53 Donc je suis content d'avoir l'objectif atteint.
00:55 Ce matin, je suis content de venir vous parler.
00:57 Un peu fatigué, je dois vous l'avouer, et un peu courbaturé.
00:59 Mais ça a été trois belles semaines pour moi et pour mon équipe.
01:05 Dixième du classement général, bravo et bravo aussi pour être ici ce matin au micro
01:10 de France Culture.
01:11 A vos côtés, Jean-Louis Pérez.
01:12 Bonjour.
01:13 Bonjour.
01:14 Vous êtes réalisateur et producteur.
01:16 Vous avez réalisé le Tour de France, une passion française.
01:19 Ça a été diffusé fin juin sur France 3, encore accessible en ligne.
01:23 Et enfin, Aurélien Bélanger.
01:25 Bonjour.
01:26 Bonjour.
01:27 Vous êtes romancier, auteur du Grand Paris.
01:29 C'est sorti chez Gallimard en 2017.
01:31 Auteur aussi du XXe siècle, sorti chez Gallimard en 2023.
01:35 Merci à tous les trois d'être là.
01:37 Quand vous êtes président de la République, la seule chose qui compte, c'est la France
01:48 populaire, la France des usines, la France sur le bord de route lors du Tour de France.
01:54 Et c'est pas si facile de rencontrer la France populaire.
01:56 Où est-ce que vous pouvez vous mélanger à elle, partager avec elle ? Pas simple.
02:06 J'aime le foot, mais dans un salle de foot.
02:09 C'est la France des supporters.
02:11 Les supporters de l'OM, les supporters du PSG, les supporters de Saint-Étienne.
02:15 Le Tour de France, c'est la France populaire.
02:17 Et c'est le seul événement comme ça.
02:20 Vous avez évidemment sans doute reconnu la voix de Nicolas Sarkozy, ancien président
02:24 de la République, qui évoquait le mythe populaire du Tour de France.
02:28 Guillaume Martin, est-ce que ce mythe populaire qui entoure la Grande Boule correspond à
02:32 une réalité ? Est-ce que dans les étapes que vous avez traversées, que vous avez effectuées,
02:38 vous avez le sentiment de rencontrer cette France populaire ?
02:42 Oui, je crois que c'est assez évident.
02:45 Il suffit de regarder les chiffres des audiences qui, chaque année, sont assez exceptionnels.
02:49 Et moi, mon ressenti sur le terrain, c'est un monde fou, une vraie effervescence.
02:57 On a coutume de dire qu'il y a presque deux sports.
03:00 Il y a le cyclisme et le Tour de France.
03:02 Le Tour de France attire tout un public qui ne connaît pas forcément grand-chose au
03:06 vélo, mais qui vient parce que c'est la fête, parce que c'est juillet, parce que
03:10 c'est un grand événement populaire, parce que ça fait partie du patrimoine français
03:16 et que ça met en valeur aussi la France.
03:19 Il y avait aussi un débat il y a quelques temps sur est-ce que le sport devait être
03:25 ou était par nature politique ou non.
03:27 Je crois que le son que vous avez fait entendre et la présence des politiques aussi sur quasiment
03:34 tous les Tours de France témoignent du fait que, évidemment, c'est politique et que
03:41 les politiques ont aussi un intérêt à se montrer sur le Tour de France, peut-être
03:47 aussi de manière sincère, accordons-leur cela, pour rentrer en contact avec cette France
03:59 qui est la chair de la France, mais finalement qu'on ne voit pas forcément souvent.
04:03 Jean-Luc Pérez, cette France populaire, au fond, c'est le parti pris du documentaire
04:08 que vous avez réalisé.
04:10 Faire le lien entre le Tour de France et cette France populaire, c'est même l'histoire
04:15 du Tour de France que de nouer des liens entre des sportifs et des sportifs populaires.
04:20 Les premiers coureurs sont d'abord des fils d'agriculteurs et d'ouvriers notamment.
04:24 Oui, puis ça dure assez longtemps et c'est plutôt normal puisque les coureurs, si les
04:34 Français s'identifient aux coureurs, c'est qu'ils leur ressemblent.
04:36 Très tôt, les coureurs, le Tour de France a un succès assez immédiat lorsqu'il y
04:45 a eu le 1903.
04:46 C'est parce que sur le bord des routes, d'abord, c'est un événement gratuit, c'est pour
04:49 ça qu'il est populaire.
04:50 C'est un événement qui passe chez les Français, devant leur porte.
04:54 Ça, c'est très important dans l'histoire du Tour et dans son succès.
04:59 Et puis, effectivement, la France qui travaille au début du siècle, qui n'a pas encore
05:05 de congés payés, se retrouve dans des coureurs qui font des efforts, qui sont sur leur machine
05:10 et qui finalement ressemblent aux Français.
05:13 Aurélien Bélanger, est-ce que ce mythe populaire traverse toutes les classes de la société
05:19 française ou ça reste au fond un marqueur de classe très identifié, le Tour de France
05:25 et le goût pour le Tour de France ?
05:26 Ce qui est bizarre, c'est que le fait que le Tour de France soit populaire fait partie
05:31 de sa mythologie.
05:32 C'est quelque chose qui est vendu en même temps que le Tour de France.
05:35 Et d'ailleurs, effectivement, comme le disait l'intervenant juste avant, c'est un spectacle
05:40 gratuit, ça explique son succès.
05:41 Ce qu'il faut voir, au fait, c'est que les gens participent gratuitement au Tour de France
05:46 parce qu'il est important pour le Tour de France qu'il y ait deux éléments, des coureurs
05:49 d'un côté et de l'autre côté, cette idée qu'il y ait une adhésion populaire au Tour
05:53 de France.
05:54 Et on voit bien que les caméras filment l'un autant que l'autre.
05:57 Et donc, les gens qui sont au bord du Tour de France perpétuent ce mythe qui est à
06:01 la fois vrai, mais qui demande quand même à être questionné parce qu'on ne parle
06:04 jamais du Tour de France en ne l'opposant pas aux autres sports, en disant que là,
06:08 on est un sport vrai avec une vraie adhésion populaire et un vrai sport populaire.
06:11 Et c'est tellement construit dans la mythologie du Tour de France, c'est tellement pensé
06:15 que ça ne peut pas être non plus un événement spontanément naïf.
06:18 Et on voit bien, par exemple, que les coureurs sur le bord de la route, ce qu'on ne voit
06:23 pas, c'est qu'ils sont aussi appâtés par une gigantesque caravane publicitaire et
06:27 que dans le temps de durée du spectacle Tour de France pour eux, ce qu'on en voit, le
06:31 spectacle des coureurs, ne dure jamais que quelques minutes.
06:33 Mais ils ont été aussi gratuits, oui et non, parce qu'ils ont été aussi payés
06:37 par tout un tas de choses.
06:38 Et donc, le Tour de France finance le fait qu'il faut qu'il apparaisse comme un événement
06:43 populaire.
06:44 Donc, tout ça est beaucoup moins spontané que ça en a l'air.
06:46 Et ça ne vous paraît pas être un vrai sport populaire, Aurélien Bélanger, mais quand
06:50 on le compare, par exemple, à d'autres sports collectifs comme le football, c'était
06:54 Nicolas Sarkozy qui établissait cette différence.
06:58 Est-ce que ça vous paraît être un sport plus populaire, le cyclisme plus accessible?
07:02 Alors, il y a un point qui est intéressant à noter.
07:06 Jusqu'à peu, le cyclisme était un sport qui était beaucoup plus blanc par ses participants
07:13 que le football.
07:14 Et le football, il y a toujours eu ce côté, une sorte de droite identitaire a toujours
07:20 dit "on aime bien le foot, mais ce n'est pas vraiment nous, ce n'est pas vraiment
07:23 la France".
07:24 Pendant longtemps, c'est heureusement en train de changer, pendant longtemps, le cyclisme,
07:27 pour différentes raisons, était un sport plutôt blanc.
07:30 Et souvent, quand on entend populaire de façon subliminale, on entend aussi ça.
07:35 Il y a un côté, c'est des vrais Français, ils sont comme nous, ce sont des vrais prolétaires.
07:38 De base, avant de devenir milliardaire, il ne faut pas oublier que les footballeurs sont
07:42 tout autant des prolétaires.
07:44 Il n'y a pas une sorte de… Il ne faut pas imaginer, c'est vrai que c'est quelque
07:47 chose qui a été beaucoup raconté avec des grands coureurs bretons venus vraiment
07:51 du terror, etc.
07:52 Il y a un côté, c'est un sport qui extrait des paysans pour les transformer en superstars
07:56 le temps d'un été.
07:57 C'est quand même le lot de tous les sports.
07:59 À quelques exceptions près, comme la Formule 1 ou le tennis, les sports recrutent quand
08:04 même très largement dans les milieux populaires.
08:05 Donc, encore une fois, c'est une façon dont la marque Tour de France se vend, mais
08:11 qui n'est peut-être pas si vraie que ça.
08:13 C'est vrai qu'il y a cette question.
08:14 Le journal Libération entamait ainsi un article ce week-end.
08:18 Je le cite "difficile de ne pas le remarquer, alors que le cyclisme est un sport qu'on
08:22 dit de plus en plus mondialisé.
08:24 Le peloton qui traverse vaillamment l'Hexagone depuis trois semaines est essentiellement
08:28 blanc.
08:29 Les Français, eux, le sont tous sur cette édition 2023".
08:32 Comment est-ce qu'on l'explique, Guillaume Martin, au fond, que ça reste un sport, c'est
08:37 vrai, très très blanc dans la couleur de peau des participants ?
08:40 C'est certainement des explications culturelles parce que c'est un sport aussi qui, historiquement
08:48 en tout cas, est très fermé sur lui-même, en 1903, les premières décennies de l'existence
08:55 du Tour de France, finalement, c'était quelques nations, et au sein des nations européennes,
09:02 du cœur de l'Europe, et au sein de ces nations, effectivement, quelques couches
09:07 sociales seulement.
09:08 Je pense que quand même, il y a eu une évolution lente, trop lente certainement, mais le Tour,
09:17 le cyclisme aujourd'hui s'ouvre à d'autres pays, à d'autres continents.
09:25 Ça fait quelques décennies maintenant qu'il y a des coureurs nombreux d'Amérique du
09:29 Sud, d'Océanie, aujourd'hui le cyclisme africain est en plein développement.
09:35 Et d'un point de vue sociologique aussi, on voit que ce n'est plus que des fils d'ouvriers
09:52 ou de personnes issues du monde agricole, il y a des gens qui ont des parcours très
09:57 différents qu'on retrouve dans le peloton du Tour de France.
10:00 Mais évidemment, le constat est là qu'il y a encore beaucoup de boulot à faire pour
10:06 atteindre une vraie diversité, mais de la même manière que ça a pris énormément
10:11 de temps pour avoir un Tour de France féminin, et les choses sont aujourd'hui en train
10:16 de changer assez vite, heureusement, parce que oui, on est un sport quand même, je pense,
10:24 assez conservateur où les choses mettent du temps à bouger en tout cas.
10:30 Jean-Louis Pérez, ce qui est frappant aussi dans votre documentaire et qui vient renforcer
10:35 cette idée d'un mythe populaire du Tour de France, c'est l'aversion, presque de
10:42 l'ordre du réflexe des supporters pour les coureurs aisés.
10:46 On a l'impression que les coureurs aisés sont souvent les mal-aimés du Tour de France,
10:49 on pense évidemment à Louison Bobet après la guerre ou à Jacques Anctil qui était
10:53 le grand rival de Raymond Polydor en 1964.
10:57 Ce qui est étonnant, oui, c'est qu'il y a une forme de réflexe chez les supporters
11:05 qui est de ne pas aimer les coureurs qui ne renvoient pas des valeurs populaires, pour
11:12 le dire simplement.
11:13 Simplement pour reprendre ce que vous disiez tout à l'heure, le Tour en fait, il est
11:18 un reflet de son époque en réalité.
11:20 Parfois il est en avance, parfois il est en retard, parfois il est en plein dedans.
11:24 C'est vrai que sur le Tour de France féminin, il a cette année raccroché, enfin l'année
11:29 dernière, raccroché les wagons et effectivement, en plus, il y a un succès d'audience.
11:34 Donc voilà, il est sur ce sujet-là où il vient dans son époque, sur le sujet de la
11:38 diversité, il est en retard.
11:40 Les organisateurs n'ont pas fait le travail aussi d'aller chercher d'autres, du Tour
11:45 je parle, d'aller chercher d'autres publics.
11:47 Voilà, il n'a pas fait ce boulot de passer suffisamment peut-être dans les quartiers
11:56 autour des villes.
11:57 C'est un sport qui est plus dédié aux campagnes, qui met en scène le pays et qui n'a pas fait
12:03 ce travail.
12:04 Donc effectivement, sur le sujet de la diversité, il est en retard.
12:10 Sur le sujet des coureurs aisés, Anctil était opposé à Poulidor et Poulidor représentait
12:20 plus cette France, les Français se retrouvaient plus en Poulidor que dans Jacques Anctil.
12:25 C'est un fait.
12:26 Et Louis-John Bobet non plus n'était pas particulièrement aimé des Français, même
12:32 si ça reste un grand coureur, même si beaucoup l'ont reconnu.
12:35 C'est un grand nom du cyclisme, mais qui n'avait pas l'aura d'un Raymond Poulidor.
12:42 Mon grand-père relatait les étapes du Tour de France.
12:46 Donc il avait une carte de Tour de France et il épinglait tous les soirs sur cette
12:50 carte géographique avec un petit drapeau l'avancée du Tour de France et les étapes.
12:55 Et je voyais bien que Bordeaux, Libourne, je ne sais quoi, Paris, j'ai réussi à situer
13:03 Paris sur une carte.
13:04 Et grâce à ça, j'ai encore ce souvenir-là.
13:05 C'était une épingle rouge et c'était un petit drapeau bleu-blanc-rouge qui était
13:09 planté sur Paris.
13:10 Durant mon enfance, nous, nous étions limités à notre région, à notre coin.
13:21 Au maximum, on allait à 100 kilomètres du village.
13:24 Mais grâce au Tour de France, nous avons appris à connaître des villes de Bretagne,
13:29 des Vosges, que ce soit des villes importantes ou moins importantes.
13:32 À l'époque, je me retrouvais peut-être au cours moyen première année, deuxième
13:38 année et on apprenait la géographie, on apprenait les Alpes.
13:42 Et bien, je me rappelle que l'instituteur à l'époque avait dit « Parisien, tu peux
13:49 nous parler des Alpes ? » Et bien moi, je connaissais le col du petit Saint Bernard.
13:56 Et là, je me suis senti brillé dans cette classe grâce au col du petit Saint Bernard,
14:04 appris grâce au Tour de France.
14:07 Un autre extrait du documentaire que vous signez Jean-Louis Pérez, un documentaire
14:13 intitulé « Le Tour de France, une passion française ». C'est aussi cela, le Tour
14:17 de France.
14:18 Jean-Louis Pérez, c'est un moyen d'entrer dans la géographie française, de découvrir
14:22 la France que l'on ne connaît pas ou la France que l'on connaît mal ?
14:24 Complètement.
14:25 Il y a des noms qu'on ne connaît que grâce au Tour de France.
14:29 Moi, c'était mon cas.
14:30 Je n'étais pas enfant particulièrement fan du Tour de France, mais je le regardais
14:35 un peu contraint chez mes grands-parents l'été.
14:36 Et effectivement, le col du Tour Malay, la planche des Belles-Filles, ce sont des noms
14:43 que j'ai entendus en regardant le Tour de France à la télévision.
14:47 Et puis en découvrant ces paysages qu'on découvre de plus en plus depuis que la télévision
14:53 existe.
14:54 Au début, la mise en scène n'était pas aussi incroyable ou spectaculaire, mais aujourd'hui,
15:02 la mise en scène du Tour de France fait attention à ça, prend en compte les paysages, les
15:07 films.
15:08 C'est la France vue d'en haut.
15:09 En fait, le Tour de France aussi, on peut redécouvrir son propre territoire filmé
15:15 par un hélicoptère, un drone.
15:16 Et effectivement, on apprend la géographie, les paysages.
15:21 On peut apprendre grâce au Tour de France.
15:24 Aurélien Bélanger, vous écriviez dans l'Obs que le Tour de France était une machine
15:28 à dérouler des paysages.
15:30 Est-ce aussi cela, le Tour de France, pour vous ?
15:32 Ce qui est intéressant, c'est qu'on a l'impression qu'il a toujours été là.
15:36 C'est une sorte d'événement d'enfance.
15:38 On l'a regardé enfant et puis tardivement, on va le regarder adulte.
15:42 Et c'est déjà un spectacle manieriste parce qu'on a l'impression qu'on est déjà
15:45 très familier.
15:46 Et c'est déjà cette espèce de chose très forte avec le Tour de France.
15:50 On est presque surpris d'apprendre qu'il n'a que 100 ans parce que c'est quelque
15:53 chose qui est immémorial.
15:54 C'est l'enfance.
15:55 Et ce qui est intéressant, c'est de le revisiter.
15:57 Et on le revisite toujours avec l'idée qu'on l'a déjà visité.
16:00 Alors évidemment, il y a cette affaire de paysages qui, je pense, est relativement
16:04 récente parce qu'elle date de l'introduction de l'hélicoptère qui doit être assez tardive.
16:07 Au début, c'est plutôt des caméras fixes.
16:09 Il ne faut pas oublier aussi que c'était beaucoup un événement radiophonique.
16:13 Et je ne résiste pas à vous raconter comment j'ai suivi.
16:16 Je ne sais plus quelle étape de montagne.
16:17 Je crois que c'est celle du Tour Malay.
16:18 Je traversais la Normandie en voiture dans des routes qui serpentaient.
16:21 Et j'avais mis la radio.
16:22 Je n'avais pas écouté le Tour de France à la radio.
16:23 Et ça marche merveilleusement bien.
16:25 C'est vraiment un spectacle qui peut aussi très, très bien se passer d'image, étant
16:30 donné aussi qu'il y a…
16:32 Bon, qu'est-ce qu'on aime regarder ? On aime regarder des paysages.
16:35 Il y a aussi, il faut être honnête, on aime aussi regarder des dérailleurs parfaitement
16:38 huilés dont les vitesses passent impeccablement.
16:41 Voilà.
16:42 Le paysage ne se contente pas.
16:44 Ce n'est pas non plus des racines et des ailes.
16:45 Ce n'est pas une émission strictement patrimoniale où on regarde des abeilles et des cols défilés.
16:49 Ça tient aussi à cette espèce de rythme bizarre où, de temps en temps, on prend plaisir
16:54 à regarder des jambes qui tournent.
16:55 Et dans le même temps, Roland Bélanger, les images peuvent paraître indispensables
16:58 quand il s'agit de sprint, quand on rend le vélo un peu spectacle avec les chutes,
17:06 quand on a le sentiment aussi d'accompagner grâce aux caméras les coureurs dans leur
17:11 course tout au long de la journée.
17:13 Les images aujourd'hui paraissent indispensables quand on veut suivre le Tour de France.
17:16 Oui et non.
17:17 Parce que dans le cas des sprints, c'est frappant.
17:19 On n'y comprend pas grand-chose.
17:20 Ça va tellement vite.
17:21 Donc, il y a la voix des commentateurs qui s'accélèrent et ils nous disent en général
17:25 et on apprend.
17:26 Alors qu'on l'a sous les yeux, c'est dans l'oreille qu'on apprend qui a gagné.
17:29 Ça va tellement vite.
17:30 À moins d'être vraiment un expert, d'avoir vu plein de sprints, d'autant plus qu'on
17:33 n'a plus la culture de la piste qui était vraiment le vrai vélo dans la première
17:37 moitié du XXe siècle.
17:38 C'était quand même le vélo de vélodrome.
17:40 C'est ça qui était vraiment le plus populaire.
17:41 C'est une culture qui a été très largement, qui a complètement périclité.
17:44 Plus personne ne l'a.
17:45 Et on ne sait plus distinguer vraiment qui gagne.
17:47 Et on ne voit plus les accélérations avec cette histoire du sprint où ce n'est pas
17:50 celui qui est devant qui va gagner, c'est celui qui dégage la couleur pour fondir la
17:53 meilleure accélération.
17:54 Ce qui en fait un spectacle audiovisuel assez intéressant.
17:56 Après, évidemment, il y a ce truc qui a léchu, les faits de course qui sont très
18:01 spectaculaires.
18:02 Là, on a vu, il y a carrément eu un bouchon, une moto qui est tombée.
18:04 C'est quelque chose qui est très important.
18:08 Mais il ne faut pas oublier qu'on n'y comprend pas grand chose.
18:12 Alors spécialement aux stratégies de course, etc.
18:14 Donc, on a quand même besoin.
18:15 C'est un spectacle avec des images, mais on a besoin de les entendre commenter.
18:18 Sinon, effectivement, on n'y comprend pas grand chose.
18:20 Guillaume Martin, lorsqu'on est coureur sur le Tour de France, quel rapport on a à la
18:24 géographie, au paysage, au territoire ? Est-ce que le territoire est juste un élément qu'il
18:28 faut combattre, un élément face auquel on doit gagner ? Ou est-ce que c'est autre
18:33 chose ? Est-ce que vous prenez parfois du plaisir lorsque vous êtes sur votre vélo
18:36 à observer pendant le Tour de France les paysages qui vous entourent ?
18:39 Ça peut arriver de moins en moins parce que le cyclisme moderne fait qu'on roule de plus
18:45 en plus vite, il y a de plus en plus de tensions.
18:47 Donc, on est concentré quand même sur notre vélo, notre roue avant.
18:55 Mais il y a des moments où comme ça, on peut sortir de la course.
18:58 Moi, ça m'est arrivé un petit peu cette année sur le Puy de Dôme, l'ascension mythique
19:02 qu'on reprenait après plusieurs décennies d'absence où il y avait eu un fameux duel
19:07 notamment entre Anctil et Pouy d'Or et il n'y avait pas de spectateurs parce que c'est
19:10 une zone préservée d'un point de vue environnemental.
19:13 Et dans pleine souffrance, tout d'un coup, j'ai relevé la tête et je me suis dit "C'est
19:19 très joli".
19:20 Et puis bon, tout de suite, j'ai remis la tête dans le guidon et je suis reparti dans
19:24 ma Soud-France.
19:25 Mais il y a des moments où comme ça, on sort un peu de l'effort pour avoir conscience
19:31 du territoire.
19:32 Et puis le territoire, on a conscience d'un point de vue physique aussi évidemment par
19:36 rapport aux dénivelés et aux différentes courbes, au parcours.
19:42 Après, par rapport à ce qui a été dit auparavant sur le fait que la manière dont
19:50 le tour est retransmis ou raconté, il y a une chose que le philosophe et académicien
19:57 Jean-Luc Marion, que j'ai eu la chance de raconter, m'avait dit et qui me semble
20:02 assez juste, c'est que finalement, le cyclisme est sans doute le seul sport où personne
20:08 ne voit l'entièreté de l'épreuve.
20:11 C'est-à-dire que nous, cyclistes, on a une vision évidemment très parcellaire.
20:15 On est coincé au milieu du peloton, on voit les quelques coureurs autour de nous, mais
20:18 on ne voit pas du tout l'ensemble de la course.
20:20 Les directeurs sportifs qui sont dans la voiture, sans doute encore moins parce qu'ils ont
20:25 des infos un petit peu par la radio, ils arrivent à capter un petit peu la télé par moment,
20:29 mais ils nous disent des choses dans l'oreillette, mais ils n'ont pas toutes les infos pour.
20:32 Justement, à la télé, c'est toujours aussi des choix de réalisation.
20:38 C'est une moto qui suit le premier groupe seulement, mais on ne voit pas ce qui se passe
20:42 derrière.
20:43 Évidemment, le public sur le bord de la route ne voit qu'un passage éclair.
20:48 Donc finalement, c'est ça qui est assez à l'inverse du football ou de tous les
20:53 sports qui se pratiquent dans des stades ou la boxe sur un ring, où là, on a une vision
20:56 complète de l'épreuve.
20:58 C'est ça qui est étrange dans le cyclisme, c'est qu'on a une vision seulement très
21:02 très parcellaire et c'est ça qui fait que c'est un sport qui se prête très bien
21:05 au récit.
21:06 Au fait qu'on peut le raconter parce que finalement, on invente.
21:10 Chacun a son appréhension du Tour de France et du cyclisme.
21:13 Et on ne connaît pas la fin.
21:14 Donc on va poursuivre cette discussion tous les trois, avec vous trois, plutôt Guillaume
21:17 Martin, Jean-Louis Pérez, Aurélien Bélanger, à partir de 8h20.
21:21 7h-9h, les matins d'été.
21:24 Quentin Laffey.
21:27 Suite de notre discussion sur le Tour de France pour tenter de comprendre ce que la
21:31 grande boucle raconte de la France avec nos trois invités, Guillaume Martin, cycliste
21:36 professionnel au sein de l'équipe Cofidis.
21:38 Il a terminé dixième au Tour de France hier et il est diplômé de philosophie.
21:44 Il est auteur de "La société du peloton", c'est paru chez Grasset en 2021.
21:48 Avec nous également Jean-Louis Pérez, réalisateur et producteur.
21:51 Il a réalisé le Tour de France, une passion française, diffusée fin juin sur France
21:55 3.
21:56 Et à ses côtés Aurélien Bélanger, romancier, auteur du "Grand Paris", c'est paru chez
21:59 Gallimard en 2017.
22:00 Auteur aussi du "20e siècle", paru dans la même maison d'édition en 2023.
22:05 Aurélien Bélanger, vous écriviez dans l'Obs que le Tour de France donnait une image artificielle
22:11 de la France.
22:12 Qu'est-ce que vous voulez dire par là ? En quoi est-elle artificielle cette image ?
22:15 - Disons que ça rappelle ces jeux qu'aiment bien faire les géographes, des jeux d'anamorphose
22:19 où on prend la carte réelle, la carte physique, et on voit les déformations démographiques,
22:25 les pôles d'activité, les pôles industriels, etc.
22:26 Et donc la carte de France, il y a cette espèce d'hypothèse centrale, qui était d'ailleurs
22:31 représentée par les premiers Tours de France, il faut faire le Tour de la France.
22:34 Et très vite, on a découvert que c'était mieux d'aller beaucoup dans les Pyrénées,
22:37 beaucoup les Alpes, donc d'anamorphoser vers le sud, de remonter peut-être jusqu'à la
22:41 planche des Belfi pour aller chercher le col le plus nordique, etc.
22:45 Et il y a tout un jeu comme ça, entre une sorte de France revendiquée, c'est le Tour
22:50 de France, et une France perdue, ça ne fera jamais le Tour de France, et d'ailleurs il
22:54 y aura de plus en plus des départs à l'étranger.
22:57 C'est quelque chose qui est très intéressant par rapport à la territorialisation du sport,
23:00 parce que c'est l'un des rares sports, le Tour de France, où c'est absolument obligatoire
23:06 qu'il y ait une carte derrière.
23:07 Les autres sports peuvent s'en passer, les clubs peuvent passer d'une ville à l'autre,
23:10 tout ça est très fluide, et le Tour de France a cette obligation.
23:13 Et ce qui est intéressant, c'est plutôt que de s'en désoler, c'est de regarder comment
23:17 est-ce qu'on s'en arrange.
23:18 Par exemple, beaucoup de gens se sont désolés que cette année on n'aille pas du tout en
23:21 Bretagne et que ce soit très sud-est.
23:23 Et on sait très bien que l'année prochaine ça va être rattrapé.
23:27 Et tout ça est très intéressant, aussi très intéressant c'est de faire la liste de plus
23:32 en plus restreinte, mais qui se maintient, le noyau dur des villes qui n'ont jamais accueilli
23:35 le Tour de France.
23:36 Donc voilà, tous ces jeux territoriaux nous prouvent, en fait, non pas que le Tour de
23:43 France rate la France, mais nous prouve que l'objet France est quelque chose qui est
23:46 beaucoup moins ancré dans une géographie physique qui n'y paraît, et que c'est un
23:49 objet beaucoup plus mobile, dont le Tour de France est l'un des observatoires pour observer
23:54 les anamorphoses autour de sa géographie physique.
23:57 Jean-Luc Peres, vous êtes d'accord au fond avec cette idée que le Tour de France diffuse
24:02 une image, allez si ce n'est faussée, du moins un peu artificielle de la France contemporaine ?
24:06 Je ne sais pas trop, je ne sais pas trop quoi vous répondre.
24:12 Écoutez, le Tour de France traverse forcément certaines régions et pas d'autres.
24:17 Ça c'est le choix des organisateurs qui, effectivement, font des choix une année,
24:22 essayent de le rattraper l'année d'après.
24:23 La Bretagne, ils y passent régulièrement.
24:25 Quand ils n'y passent pas une année, ils y passent celle d'après.
24:29 Donc, je ne sais pas trop quoi répondre à votre question.
24:32 Non, en fait, c'est une image, je ne sais pas si elle est faussée, elle est partielle
24:36 forcément puisque c'est des choix, des choix des organisateurs, c'est des choix
24:40 de réalisation qui sont faits à la télévision.
24:42 On en parlait tout à l'heure de mise en scène de la France.
24:46 Après, je ne suis pas sûr qu'elle soit complètement faussée cette image.
24:51 Aurélien Bélanger, vous expliquez aussi que si cette image était artificielle, c'est
24:55 que certaines régions étaient totalement sous-représentées.
24:58 C'est l'exemple de l'île de France.
25:00 Le tour de France montre rarement l'île de France.
25:03 Oui, alors, il y a toujours la dernière étape depuis l'arrivée sur les Champs-Elysées
25:08 et auparavant l'arrivée sur le vélodrome du Bois de Vincennes.
25:11 Il y a l'idée qui est génialement centralisatrice qu'à la fin, la France s'offre entière
25:18 aux Champs-Elysées et que tout ça ne doit aboutir qu'à un passage sous l'arc de
25:21 triomphe.
25:22 Néanmoins, l'île de France, que bêtement je pratique en tant que cycliste, qui est
25:26 une région cycliste assez exceptionnelle, extrêmement belle, est toujours sous-représentée
25:31 dans une dernière étape qui est rarement passionnante sur le plan sportif, avec des
25:36 paysages qui sont un petit peu sacrifiés.
25:38 Et c'est vrai qu'on a tendance à aller chercher les grands paysages et de ne pas
25:44 voir cet aspect qui est très frappant dans l'île de France, une sorte de beauté modérée,
25:50 des fins de cuesta, des collines, des côtes, des côtes très douces, etc.
25:55 Et de fait, c'est assez peu représenté.
25:59 Mais on pourrait parler aussi de la Sologne ou de grandes régions un peu sinistrées.
26:05 Et ce qui est intéressant, c'est de voir à quel point le cyclisme, le Tour de France
26:10 et la pratique territoriale est aussi une machine à projeter du paysage et à découvrir
26:13 du paysage qui n'existe pas comme ça sur le papier.
26:16 Sur le papier, il n'existe que le sublime des Grands Cols et puis pas grand-chose à
26:19 côté ou le Mont-Saint-Michel ou les Grands Sites.
26:21 Et dès qu'on commence à parcourir sérieusement le paysage, on découvre qu'en fait, le paysage
26:26 a une sorte de capacité de projection de lui-même et il est toujours à un degré ou
26:30 un autre intéressant.
26:31 Guillaume Martin, ce hiatus que décrit Aurélien Bélanger entre sa pratique de cycliste amateur,
26:39 la France qu'il découvre peut-être le week-end à vélo et la France qu'il voit lors du Tour
26:43 de France, est-ce que vous en faites vous aussi le constat ? Est-ce que vous, lorsque
26:46 vous prenez votre vélo, vous faites une expérience géographique, territoriale tout à fait
26:50 différente de celle que vous effectuez lorsque vous traversez la France grâce au Tour ?
26:55 Oui, parce que déjà le paysage est transformé par cette grande machine ambulante qu'est
27:05 le Tour avec sa caravane, avec les voitures ouvreuses, avec le public sur le bord des
27:11 routes qui fait que nous de l'intérieur, parfois aussi, on peut ne pas voir le paysage
27:16 simplement parce qu'il y a du monde autour.
27:18 Il faut savoir que le Tour de France c'est une marque maintenant et c'est pour ça qu'on
27:27 s'est un peu éloigné évidemment de cette ambition des débuts de faire le Tour géographique
27:33 de la France avec, je crois qu'aujourd'hui il y a plus de départs à l'étranger que
27:38 de départs depuis la France et effectivement on regarde les tracés.
27:42 On est très loin maintenant de faire le Tour de la France mais c'est aussi parce qu'il
27:48 y a beaucoup de contraintes derrière, d'impératifs logistiques, de devoir relier telle ville
27:55 et telle ville qui sont demandeuses.
27:58 Certaines seraient demandeuses mais n'ont pas les infrastructures nécessaires.
28:02 Il faut aussi qu'il y ait un spectacle.
28:04 C'est vrai que quand même là où il y a le plus d'audience, là où il y a le plus
28:08 d'intérêt sportif, c'est quand même quand il y a des grandes difficultés et celles-là
28:13 on les retrouve dans les grands massifs montagneux de notre pays.
28:16 Ce qui fait qu'il y a forcément un tropisme vers certaines régions de France.
28:21 On peut s'en émouvoir.
28:23 Moi je suis normand, je m'en émeuse.
28:24 Ça fait depuis 2017 que je fais le Tour.
28:27 Cette fois j'ai quasiment pas mis les roues en Normandie.
28:30 Donc oui forcément qu'il y a tellement d'enjeux et de contraintes qu'il y a des
28:39 choix qui sont faits.
28:41 Jean-Luc Pérez, votre documentaire le raconte bien.
28:44 Au tout départ, le Tour de France était littéralement le Tour de la France.
28:48 On effectuait le Tour du pays en raccordant les frontières les unes aux autres.
28:54 Après la Seconde Guerre mondiale, on s'intéresse à l'intérieur de la France, les étapes
28:58 entrent petit à petit en France.
29:01 Comment s'opère ce changement de paradigme ? Pourquoi on passe de l'un à l'autre ?
29:04 C'est une volonté de se renouveler, tout simplement, pour les organisateurs.
29:12 Et puis de changer un peu de tracé, d'aller visiter d'autres régions.
29:18 Simplement c'est vrai qu'à ce moment-là, et toujours dans la même histoire, le Tour
29:23 de France, c'est qu'on se rend compte que quand il passe dans certaines régions,
29:28 il y a un éclairage à ce moment donné de l'été, alors que ces régions sont complètement
29:34 soumises à l'exode rural et se vident peu à peu.
29:37 C'est aussi ça, le Tour, après la guerre en tout cas, c'est un événement qui met
29:43 en lumière les campagnes françaises.
29:44 C'est ce qu'on évoquait tout à l'heure, peut-être que ça dure encore aujourd'hui,
29:49 peut-être que certaines régions des zones périphériques des villes n'ont pas été
29:53 visitées, mais il y a cette volonté d'explorer la France de l'intérieur aussi, à un moment
29:58 donné, des organisateurs pour se renouveler.
30:01 Et c'est une mise en lumière des campagnes françaises réellement, le Tour de France,
30:06 à ce moment-là.
30:07 Guillaume Martin l'a dit, le Tour de France est devenu une marque et en parallèle de
30:11 votre documentaire, Jean-Louis Perez est sorti un autre documentaire sur Netflix intitulé
30:15 "Tour de France au cœur du peloton".
30:17 C'était un documentaire qui s'intéressait à l'édition 2022 du Tour de France.
30:22 Est-ce que ce documentaire raconte une autre histoire que le vôtre, Jean-Louis Perez,
30:27 et quelle histoire raconte-t-il ?
30:28 Alors, je n'ai pas tout vu de cette série, j'ai vu quelques épisodes.
30:34 Écoutez, ça parle de sport ou de compétition.
30:38 C'est une autre série qui avait été faite sur la Formule 1 par Netflix.
30:45 C'est une façon de raconter le sport qui n'était pas du tout l'objet de mon documentaire.
30:51 Je ne parlais pas du tout de sport, je parlais de tout sauf de sport dans mon documentaire.
30:55 Évidemment, le vélo était présent puisqu'on parlait du Tour de France, mais c'était
30:59 mon documentaire qui racontait ce que le Tour raconte de la France.
31:02 J'ai l'impression, de ce que j'en ai vu, que la série Netflix parle des équipes
31:06 et de la compétition.
31:09 Aurélien Bélanger, comment est-ce que vous expliquez l'attrait international ? C'est
31:14 vrai que c'est le troisième événement le plus regardé à la télévision, le troisième
31:19 événement sportif le plus regardé au monde à la télévision.
31:22 Comment est-ce que vous comprenez cet attrait exceptionnel du Tour de France dans le reste
31:27 du monde ?
31:28 Peut-être parce qu'il y a beaucoup d'heures d'images et que ça dure très longtemps.
31:33 C'est quelque chose de jamais désagréable à regarder, même s'il ne se passe rien,
31:37 il se passe toujours quelque chose.
31:38 Parce qu'on est presque sur l'essence même du spectacle audiovisuel.
31:40 Il y a des images animées de coureurs, etc.
31:44 Pour revenir à cette histoire de Netflix, ça me semble extrêmement intéressant parce
31:48 qu'on oublie souvent que la télé-réalité, ce n'est pas des émissions qu'on aime
31:51 moquer, c'est un genre télévisuel.
31:52 Et Netflix, ce qu'ils ont fait avec la Formule 1, ce qu'ils sont en train de faire avec
31:55 le Tour de France, c'est transformer complètement de l'intérieur le spectacle.
31:58 Pour l'instant, il y a une hégémonie des moyens de France Télévisions sur le Tour
32:02 de France, et d'ailleurs ils sont en partenariat avec Netflix.
32:04 Mais la façon de raconter le Tour de France, à partir du moment où il y a des inserts
32:09 sur des directeurs sportifs ou des coureurs qui commentent l'image, ce qui est ça le
32:13 mécanisme essentiel de la télé-réalité, c'est un commentaire des acteurs sur les
32:17 actions en cours.
32:18 Et De Nature a tout changé, parce qu'on l'a bien vu avec la Formule 1 qui était
32:21 un sport un peu ronronnant et pas totalement intéressant, ils ont réussi à la re-rendre
32:25 intéressante.
32:26 Pour l'instant, c'est un documentaire, donc ce n'est pas une diffusion en direct,
32:30 ils font la série sur le Tour de France de l'année d'avant.
32:33 Je pense qu'il faudra être très attentif à terme sur ce qui va se passer, parce que
32:36 De Nature a totalement changé la nature du spectacle.
32:40 Parce que pour l'instant, on sait que c'est spectaculaire, mais on joue la temporalité,
32:43 on sait que ça va être spectaculaire dans 30 kilomètres, et on attend, ça prend une
32:46 heure et demie, etc.
32:49 Netflix, en transformant ça, en le saucissonnant, en le re-racontant, a la capacité de vraiment
32:54 transformer ça avec une dynamique de série, à balancer du spectaculaire toutes les deux
32:57 minutes.
32:58 Donc ça, je pense qu'il faudra être très très attentif à l'évolution de cette
33:02 chose, qui peut radicalement changer la nature de l'objet, et le rendre, pour répondre
33:05 à votre question, encore plus internationalisable.
33:08 On a parlé du lien, Alain Bélanger, entre documentaires, Tour de France, Netflix, Tour
33:16 de France.
33:17 Quel est le lien entre la littérature et le Tour de France ? Est-ce que c'est un
33:20 objet qui est difficile pour les écrivains à s'approprier ?
33:23 Il y a un mythe qui est que les chroniques de Blondin étaient géniales, quand j'y
33:28 suis allé regarder, je les ai trouvées pas bonnes du tout, mais qui…
33:31 Ça c'est un jeu de goût.
33:33 Oui, mais disons que dans leur échec, ça explique pourquoi c'est pas bien et pourquoi
33:36 ça peut être bien.
33:37 Parce qu'en fait, le Tour de France est une mythologie dérisoire.
33:40 J'ai honte de dire ça face à quelqu'un qui l'a fini hier.
33:42 C'est incroyablement dur, mais c'est pas si dur que cela.
33:45 C'est pas si dur que cela, parce que c'est des professionnels qui sont formés pour le
33:48 faire.
33:49 Mais par contre, on aime bien raconter, depuis Albert Londres et les forçats de la route,
33:54 on aime bien exagérer l'héroïsme.
33:56 Donc l'héroïsme d'un Anctil, l'héroïsme d'un Poulidor, c'est pas mal.
33:59 En vrai, par rapport à, je sais pas, l'héroïsme contemporain de l'héros de la Résistance,
34:03 c'est totalement dérisoire.
34:04 Et il y a cette espèce de jeu, et c'est ça qui le rend très littéraire, de faire
34:07 de la mythographie.
34:08 De savoir qu'on ment un petit peu, de savoir qu'on exagère, de savoir qu'on en fait
34:11 trop, qu'on en fait des tonnes.
34:12 Et ce qui fait ce décalage totalement littéraire.
34:15 C'est-à-dire qu'il y a besoin de figures de l'hyperbole.
34:18 Et c'est pas totalement un hasard si, face au Tour de France, l'écrivain français
34:23 retombe dans ce vieux travers de la littérature française, qui est le travers hugolien.
34:27 D'en faire des tonnes.
34:28 D'en faire des tonnes avec cette espèce de petite conscience un peu post-moderne.
34:31 Mais ceci n'est pas totalement vrai.
34:34 Et pour ça, c'est intéressant.
34:35 Guillaume Martin, je n'ose à peine vous demander si vous êtes d'accord.
34:38 Je rappelle que vous avez terminé dixième du Tour de France dans son édition 2023.
34:42 Alors, est-ce qu'on héroïse trop, comme le sous-entend Aurélien Bélanger, est-ce
34:46 qu'on héroïse trop les coureurs du Tour de France ?
34:49 Finalement, je suis assez d'accord.
34:51 C'est vrai que c'est très difficile.
34:54 C'est une souffrance absolue.
34:55 Je sors d'une souffrance absolue de trois semaines.
34:57 Mais c'est une souffrance qui est voulue, consentie.
35:00 Donc finalement, évidemment, il y a des choses bien plus dures dans l'existence.
35:03 Mais par contre, vu de l'extérieur, et c'est vrai que je m'entraîne pour ça.
35:09 On me demande souvent comment vous faites pour pédaler comme ça dans l'école pendant
35:13 trois semaines.
35:14 Mais c'est que, effectivement, c'est notre métier.
35:16 On est vraiment entraîné.
35:18 On se prépare toute l'année pour ça.
35:19 Mais par contre, de l'extérieur, je pense qu'il y a une fascination qui est réelle,
35:24 qui date depuis très longtemps et qui explique que tant d'écrivains se soient intéressés
35:30 au cyclisme et écrit sur le cyclisme.
35:33 Fascination parce qu'il y a ce côté épique du Tour de France, feuilletonesque.
35:40 Et je crois que c'est pour ça que Netflix, aujourd'hui, ça colle à cet événement.
35:46 C'est Roland Barthes dans ses mythologies qui décrivait le Tour de France comme une
35:50 épopée à part entière.
35:51 C'est l'Odyssée avec le retour à Ithac, effectivement, au Champs-Élysées tous les
35:59 ans.
36:00 Donc, oui, on a envie naturellement de mettre de l'emphase autour de ça.
36:07 Et je n'ai pas vu le documentaire Netflix, mais je crois qu'ils le font très bien.
36:14 Et c'est ça aussi, je pense, qui fait le charme du vélo.
36:21 C'est quelque chose qui se raconte, qui peut se raconter par des grandes plumes littéraires,
36:27 par des commentateurs à la télé.
36:29 Par ses grands-parents aussi qui vous racontent les histoires des champions de leur enfance.
36:39 La radio, je pense que le Tour a vraiment évolué et grandi avec la radio et avec cette
36:46 magie de la radio qui est de pouvoir raconter des choses qu'on ne voit pas et finalement
36:50 jouer sur l'imaginaire.
36:51 Donc, il y a une grande part d'imaginaire, évidemment, liée au Tour de France.
36:56 Mais oui, effectivement, ce n'est pas si dur que ça.
36:58 Bon, ce n'est pas si dur que ça.
36:59 Ça va, alors, on est content que vous soyez venus ce matin, Jean-Louis Pérez.
37:03 Vous avez fait un autre choix.
37:05 Vous avez pris un parti totalement différent de celui du documentaire Netflix.
37:10 Vous avez décidé de donner la parole aux Français.
37:12 Ce qui frappe, c'est que c'est toujours le Tour de France, quand on les entend, ces
37:16 Français dans votre documentaire, une affaire de famille.
37:18 Même autour de moi, quand j'ai fait un petit sondage, quand j'ai parlé du Tour
37:21 de France, tout le monde parle de ses grands-parents et de son grand-père qui regardaient le Tour
37:25 de France.
37:26 Est-ce que le Tour de France est d'abord aussi une affaire de famille entre Français ?
37:29 C'est une affaire de famille parce que c'est une affaire de Français.
37:35 Et maintenant, d'ailleurs, plus seulement de Français, mais pendant très longtemps,
37:39 c'est un événement national.
37:40 C'est devenu un événement international.
37:42 Et de par sa médiatisation, puisque le Tour de France, au début, il est né pour vendre
37:47 du papier.
37:48 C'est le journal Loto qui crée le Tour de France.
37:50 Loto qui est un journal un peu en perte de vitesse, qui a besoin de vendre des exemplaires
37:57 et qui crée le Tour de France.
37:59 Donc, depuis le début, le Tour de France, il est fait pour aller vers les Français.
38:04 C'est un spectacle qui est vendu comme tel.
38:07 Donc oui, on a tous un souvenir.
38:09 Encore une fois, je le disais tout à l'heure, je n'ai pas un souvenir très bon du Tour
38:12 de France.
38:13 Mes premières images, c'était de l'ennui l'été chez mes grands-parents.
38:17 Mais c'est un souvenir que j'ai, qui est ancré en moi.
38:21 Donc chacun a un petit bout de Tour de France à raconter d'enfance, d'adolescence ou
38:30 plus tard d'âge adulte.
38:31 Donc oui, forcément, les familles se regroupent autour du Tour de France.
38:34 Et c'est un spectacle qui s'est achevé hier dans son édition 2023 pour les hommes,
38:39 qui se poursuit pendant plusieurs semaines pour les femmes.
38:42 Merci beaucoup à tous les trois d'être venus dans les matins de France Culture.
38:45 Guillaume Martin, je rappelle que vous êtes cycliste professionnel au sein de l'équipe
38:49 Cofidis, diplômé de philosophie, auteur de La Société du peloton.
38:52 C'est paru chez Grasset en 2021.
38:54 Jean-Luc Petteres, vous êtes réalisateur et producteur.
38:57 Vous avez réalisé Le Tour de France, une passion française diffusée sur France 3
39:01 et toujours disponible sur la plateforme France Télé.
39:06 Et Aurélien Bellanger, vous êtes romancier auteur du Grand Paris chez Gallimard, auteur
39:10 aussi du XXe siècle qui est paru chez Gallimard en 2023.
39:13 Guillaume Martin, restez avec nous.
39:14 On a une petite surprise qui vous a été concoctée par Nassim El Kaby.

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