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Dans "Dernière visite chez le Roi Arthur" (Seuil), l'historien se replonge dans la publication de son tout premier ouvrage, datant de 1976, dans lequel il analysait la mythologie arthurienne. Michel Pastoureau est l'invité de 9H10.

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Transcription
00:00 Sonia De Villere, votre invité a écrit son premier livre en 1976.
00:05 Et depuis, il en a publié 85.
00:08 Bonjour Michel Pastoureau.
00:09 Bonjour.
00:10 Alors, vous avez décidé de revenir à votre premier ouvrage.
00:16 Vous sortiez à peine de l'école, vous publiiez à l'époque cette vie quotidienne au temps
00:23 des chevaliers de la table ronde, c'était dans une grande maison d'édition, c'était
00:28 chez Hachette.
00:29 Et en abordant ces chevaliers de la table ronde, déjà, vous vous intéressez aux couleurs.
00:35 Car le vert chez les chevaliers était la couleur de la jeunesse et du sentiment amoureux
00:41 naissant.
00:42 La fidélité dans le mariage s'exprimait par le bleu, la droiture et la franchise par
00:47 le blanc, le désir et la passion par le rouge, la jalousie et la trahison par le jaune.
00:52 Quand on parle des chevaliers, on parle de couleurs.
00:55 Oui, bien sûr, il ne peut pas en être autrement.
00:57 La chevalerie, c'est un monde tout en couleurs, ne serait-ce qu'à cause des étoffes, des
01:03 armoiries, des bannières, du cadre dans lequel se passent les tournois, les rencontres courtoises,
01:11 etc.
01:12 Ce qui m'avait frappé quand j'étais jeune historien, tout jeune historien, c'est que
01:16 dans cette collection "Histoire de la vie quotidienne", aux différentes époques, les
01:20 auteurs ne parlaient jamais des couleurs.
01:23 Et moi, étudiant, ça m'intéressait déjà et j'avais décidé de travailler sur les
01:29 couleurs.
01:30 Je suis devenu historien des couleurs.
01:31 Mais dans mon premier livre, je leur ai réservé déjà une place relativement importante.
01:36 Perceval le Galois, mis en scène par Eric Rohmer au cinéma en 1978, ça va vous rappeler
01:42 des souvenirs.
01:43 Chevalier, ôtez donc vos armes avant que je ne vous désarme.
01:46 Si vous dites encore un mot, je vous frapperai aussitôt.
01:49 *Rires*
01:54 *Musique*
01:58 Ce premier livre, il est plein de défauts Michel Pastoureau.
02:02 Mais néanmoins, il existe, il a eu un prix, il est traduit dans plusieurs langues et vous
02:08 voici conseiller historique auprès d'Eric Rohmer pour décider des costumes et de la
02:14 gestuelle d'un film de Chevalier.
02:16 Voilà, il m'a choisi comme conseiller historique en amont du tournage.
02:21 Je n'ai pas vu le tournage.
02:23 Eric Rohmer était un homme timide, je pense, et d'une timidité intimidante.
02:29 Et comme moi j'étais timide aussi.
02:30 Nos conversations ont été…
02:32 *Rires*
02:33 Bref.
02:34 Elles ont duré 3-4 jours.
02:36 Il a pris énormément de notes, fait des croquis sur tout ce que je lui ai dit.
02:40 Donc nous avons parlé de couleurs, d'armoiries…
02:42 Vous avez parlé beaucoup de couleurs.
02:45 C'est-à-dire que vous avez dit à Eric Rohmer « surtout pas de violet ». Cette
02:50 couleur est inexistante au Moyen-Âge et dans les romans de Chrétien de Troyes, cette
02:55 couleur n'existe pas dans les Chevaliers de la Table Ronde.
02:59 C'est ça, ce n'est pas une couleur médiévale, c'est une couleur moyenâgeuse pour prendre
03:03 un terme péjoratif.
03:05 Et je ne sais pas pourquoi, quand j'ai afficé à la première projection, j'ai
03:09 vu du violet partout dans le film d'Eric Rohmer.
03:12 J'étais trop timide pour lui demander qu'est-ce qui s'était passé.
03:15 J'avais observé d'ailleurs que sur bien des points, il n'avait pas tenu grand
03:18 compte de tout ce que nous avions dit.
03:20 Est-ce qu'il a perdu ses notes ? Est-ce qu'au contraire il a fait exprès de prendre
03:24 le contrepoint de ce qu'un historien pouvait lui dire ? C'est après tout la liberté
03:29 du créateur.
03:30 En tout cas, c'est un film que moi j'aime beaucoup, que le public a moins bien reçu
03:34 peut-être était-il trop difficile ou ambitieux.
03:37 *Mais surtout, ce qui est intéressant, c'est que vous avez travaillé aussi avec Jean-Jacques
03:41 Renaud quand il a fait « Le nom de la rose ». Mais vous dites en fait, sur cette période
03:47 que vous aimez tant, sur cette histoire des Chevaliers de la Table Ronde et du Roi Arthur
03:50 que vous aimez tant, il n'existe aucun bon film.
03:53 Oui, je trouve que sur la légende arthurienne, il n'y a pas de très bon film.
03:59 Je pense qu'elle est trop insaisissable, trop évanescente, trop faite de subtilités,
04:08 de non-dits, aucun personnage n'est tout d'une pièce.
04:11 Donc c'est un peu difficile pour mettre en scène la légende arthurienne, comme
04:17 la mythologie grecque ou romaine d'ailleurs.
04:19 *C'est ça, ça donne éventuellement des péplumes, mais…*
04:22 Oui, c'est pas ça.
04:24 *Allez, « Les Chevaliers de la Table Ronde » par Richard Thorpe, 1953.*
04:28 Avec l'aide de Dieu, je servirai fidèlement cette confrérie de preux chevaliers.
04:33 Au nom de tous ici présents, je jure devant Dieu de combattre tous les ennemis de ce
04:39 royaume.
04:40 Je m'engage à défendre les faibles et à protéger les femmes, à me montrer fidèle
04:45 en amitié et fidèle en amour.
04:47 Tout ceci, je le jure sur la garde de mon épée.
04:50 *Tout ceci, je le jure sur la garde de mon épée.*
04:54 Qu'il en soit ainsi, Dieu accorde longue vie à la Table Ronde.
04:57 *Dieu accorde longue vie à la Table Ronde.*
05:00 *Michel Pastoureau, vous publiez au Seuil « Dernière visite chez le roi Arthur, histoire
05:06 d'un premier livre ». Et c'est rare un historien qui revient à son premier livre.
05:11 C'est aussi l'histoire d'un homme d'âge mûr qui revient au jeune homme qu'il
05:16 était.
05:17 Si timide, vous l'avez dit, si gauche et gauché, on va le raconter.
05:22 D'abord, c'est l'histoire d'une vocation.
05:24 Et cette vocation, elle est arrivée par le cinéma ?*
05:27 Oui, elle est arrivée quand j'avais 8 ans à cause du film de Richard Thorpe, « Ivanoé
05:35 », 1952, avec Elisabeth Taylor, toute jeune.
05:37 *Et très belle.*
05:38 Et très belle, oui, très très belle.
05:40 J'avais un camarade dont la grand-mère tenait le cinéma paroissial en Bretagne.
05:46 Et nous deux, pendant les vacances, nous faisions les ouvreuses, nous vendions les
05:50 Eskimos.
05:51 Et pendant toute une semaine, j'ai vu « Ivanoé ». Et à partir de cette date, j'ai cessé
05:55 d'aimer les cow-boys et j'ai préféré les chevaliers.
05:58 Et le film a décidé de ma vocation, de mon goût pour le Moyen-Âge.
06:02 Plus tard, j'ai lu le roman de Walter Scott, « Ivanoé », un des plus grands succès
06:07 de librairie de tous les temps.
06:09 Et puis, j'ai continué comme ça.
06:12 Quand j'étais au lycée, en collège, comme on dit maintenant, au cours de dessin, j'avais
06:16 12 ans, j'ai découvert l'éraldique grâce à un professeur qui nous a fait dessiner
06:20 des armoiries.
06:21 Ça m'a beaucoup plu.
06:22 *Qu'est-ce que c'est que l'éraldique ?*
06:23 *Il faut l'expliquer parce que, notamment, en régie avec nous ce matin, il y a les élèves
06:28 de 4ème du collège Turgot de Denain qui sont venus à Paris et qui sont venus nous voir.
06:32 Expliquez-leur ce que c'est que l'éraldique.*
06:34 L'éraldique, c'est la science qui étudie les armoiries ou les blasons, pour prendre
06:39 un autre mot.
06:40 Toutes les villes ont des armoiries qui leur servent de logo, en quelque sorte.
06:46 Ce sont les logos d'autrefois.
06:48 Elles se composent de figures, de couleurs, assemblées avec quelques règles.
06:53 Et puis, ça sert de signe d'identité pour les personnes, mais aussi pour les communautés,
07:00 pour les villes, pour les personnes imaginaires également.
07:03 Donc au Moyen-Âge, tous les chevaliers ont des armoiries.
07:06 J'ai consacré ma thèse aux armoiries des chevaliers du Moyen-Âge, spécialement la
07:11 présence des animaux dans les armoiries.
07:13 Il y a beaucoup d'animaux.
07:14 *Auquel vous allez consacrer beaucoup plus tard de très nombreux livres.
07:18 Les couleurs, vous en avez parlé, mais les animaux aussi.*
07:20 Oui, je suis aussi historien des animaux, en travaillant sur quelques vedettes.
07:25 L'ours, le corbeau, le cochon, le loup.
07:28 *Le loup qui vous a valu bien des problèmes.
07:31 Car à travers ce livre, "Dernière visite chez le roi Arthur", vous racontez ce que
07:35 c'est que l'expérience d'un premier livre, de première dédicace, la première
07:39 rencontre avec un éditeur, la première rencontre avec les libraires, les premiers colloques.
07:43 C'est tout ce parcours d'un jeune universitaire, puis auteur que vous décrivez là.
07:52 Cette collection dans laquelle vous avez publié en 1976, "La vie quotidienne",
07:58 puis elle se déclinait chez Hachette, ce n'était pas n'importe laquelle.
08:02 D'abord, c'était une vraie tentative de vulgarisation, de haute vulgarisation.
08:09 *C'était l'expression qu'on employait à l'époque.
08:11 Haute vulgarisation parce qu'elle était faite par les universitaires eux-mêmes,
08:17 qui partaient de leurs propres travaux et qui essayaient de les mettre à la portée
08:21 d'un public plus large que le public universitaire.
08:24 Donc, je rappelle tout cela dans mon livre et c'est pour moi l'occasion de m'interroger
08:29 sur ce qu'est devenue la vulgarisation en histoire aujourd'hui par rapport à ce
08:33 qu'elle était il y a 50 ans.
08:35 Évidemment, tout s'est déplacé, les curiosités, les façons d'exposer l'histoire,
08:41 les problèmes qui intéressent le public.
08:43 *Vous dites, Michel Pastoureau, qu'on a connu une époque où Emmanuel Le Roi Ladurie,
08:48 Jacques Le Goff, Georges Duby, qui sont des très très grands noms, s'attelaient justement
08:55 à rendre accessible leur savoir, à faire de la pédagogie.
08:59 Voilà, c'était un peu nouveau parce qu'avant la dernière guerre mondiale, il y avait l'idée
09:05 en milieu universitaire qu'il ne fallait pas prostituer sa plume en écrivant pour
09:10 le grand public.
09:11 Et puis, heureusement, dans les années 60-70, les choses ont changé.
09:15 De très grands historiens, ceux que vous avez nommés, ont pris la plume pour écrire
09:20 pour un public plus large.
09:21 Et moi, je suis de la génération d'après, mais j'ai été l'élève de Jacques Le Goff,
09:27 qui m'ont toujours encouragé.
09:28 Donc, j'ai fait comme eux, j'aime écrire.
09:32 Donc, j'ai écrit pour un public plus large que le public universitaire.
09:35 Puis, j'ai écrit pour les adolescents, puis pour les enfants.
09:38 C'est pour ça que j'ai publié un grand nombre de livres, comme vous l'avez rappelé.
09:42 Néanmoins, cette collection, La Vie quotidienne, qui a perduré jusqu'en 2006, elle a été
09:49 à une époque frappée d'infamie.
09:51 Oui, c'est parce que non pas le premier auteur de la collection, mais le deuxième, était
09:59 un auteur qui, sous l'occupation, s'est assez mal comporté.
10:03 Jérôme Carcopino, grand historien de la Rome antique, qui avait écrit le best-seller
10:09 de la collection, jusqu'à ce jour d'ailleurs, La Vie quotidienne à l'apogée de l'Empire,
10:14 romain.
10:15 Mais sous le régime de Vichy, il a été ministre de l'Éducation nationale et il
10:20 a appliqué strictement les lois d'exclusion des Juifs de la fonction publique.
10:28 Et même s'il a démissionné, si après la guerre il a fait amende honorable, si je
10:36 puis dire, il a été rétabli dans ses droits.
10:37 Bref, la collection était un peu tâchée, sinon souillée.
10:41 Et autour de moi, on m'a plusieurs fois dit que dans ma bibliographie, il valait peut-être
10:49 mieux que je ne parle pas de mon livre paru dans cette collection, qui, à cause d'un
10:53 seul auteur, avait acquis une certaine mauvaise réputation.
10:57 Michel Pastoureau, invité de France Inter, il est 9h19.
11:01 On va parler du roi Arthur, on va parler de Tristan, on va parler de Perceval le Galois,
11:06 on va parler d'Ivain, de Gauvain, de que, vous avez compris, je les aime passionnément
11:11 tout autant que vous.
11:12 Et vous allez me dire lequel des Chevaliers de la Tour Table Ronde est votre préféré.
11:17 Allez, allez, allez, à chaque coup de rame, prends la force dans la taille et dans les
11:28 talons.
11:29 Allez, allez, allons, à chaque coup de pioche, prends la force, sans fostoche, de ma chanson,
11:43 allez, allez, allez, à chaque coup de sabre, prends la fougue des canailles et des moutaillons.
11:59 Allez, allez, allons, à chaque coup de cloche, prends la crasse, le cri des mioches et des
12:10 carillons, et des carillons.
12:15 Allez, allez, allez, à chaque coup de balle, prends les confettis du stade et c'est des
12:27 champions.
12:28 Allez, allez, allons, à chaque coup de pioche, prends la force, sans fostoche, de ma chanson.
12:39 De ma chanson.
12:42 De ma chanson.
12:46 De ma chanson.
12:49 De ma chanson.
12:53 De ma chanson.
12:57 Allez, allez, allez, irrésistible Camille, allez, allez, allez.
13:25 Allez !
13:26 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Sonia De Villers.
13:32 Camelot, Camelot, Camelot, Camelot !
13:40 Ça c'est le catacloque, catacloque, catacloque, vous l'avez peut-être reconnu, Michel Pastureau,
13:46 de Sacré-Graal des Montipitons.
13:48 J'espère que cette comédie-là a grâce à vos yeux.
13:52 Michel Pastureau, vous l'avez compris, est mon invité ce matin pour sa dernière visite
13:56 chez le roi Arthur, histoire d'un premier livre qui paraît au seuil.
14:01 C'est donc l'histoire d'un grand historien qui revient au premier livre qu'il a écrit
14:05 quand il avait 18 ans.
14:08 Le roi Arthur et ses chevaliers de la table ronde.
14:12 Ils sont une trentaine ces personnages ?
14:14 Ils sont une trentaine au début, dans les premiers romans, puis la liste s'allonge
14:19 au fil des décennies et à la fin du Moyen-Âge, on a des compilations qui nous parlent de
14:25 150, 180, 200 chevaliers de la table ronde.
14:29 Mais évidemment, il y a les héros de premier plan, puis les personnages de quatrième zone.
14:33 C'est ça.
14:34 Et puis cette table ronde qui reste un mystère, qui demeure un mystère.
14:39 Elle a existé, cette table, et que symbolise-t-elle ?
14:44 Elle symbolise l'égalité entre tous les chevaliers qui s'assoyent autour et il n'y
14:50 a pas de précéence.
14:51 Ils sont tous sur le même plan.
14:53 Le roi Arthur, évidemment, est hors concours, si je puis dire, mais tous les autres sont égaux.
14:58 Égaux en chevalerie, égaux en honneur, égaux dans leur relation avec le roi Arthur.
15:04 C'est ça.
15:05 Et c'est une façon aussi de créer un cercle, c'est-à-dire de les unir parce qu'en fait,
15:13 moi ce qui me fascine dans ces chevaliers de la table ronde, c'est l'histoire de la fraternité.
15:18 Mais pourtant, c'est une fraternité qui est profondément divisée par des luttes intestines,
15:24 par des jalousies, par des trahisons, par des rivalités, jusqu'à s'autodétruire.
15:29 C'est le propre de toute fraternité.
15:32 La fraternité, c'est un horizon théorique, y compris au Moyen-Âge, y compris chez les
15:37 chevaliers de la table ronde.
15:39 Mais c'était quand même un bel idéal, même si dans les faits, en effet, il y a beaucoup
15:44 de querelles, de conflits de personnes et de clans, surtout de clans familiaux, des
15:49 hostilités d'une génération à l'autre, qui vont provoquer l'écroulement du monde
15:55 de la table ronde et de l'univers arthurien.
15:58 C'est ça.
15:59 Et puis il y a des trahisons célèbres.
16:01 Lesquelles par exemple ?
16:02 Par exemple, le demi-frère de Gauvain, le fils incestueux du roi Arthur, Mordray, c'est
16:10 le grand traître de la chevalerie arthurienne, qui se dresse contre son père et qui va provoquer
16:17 l'écroulement final.
16:19 À la fin, ils meurent tous sauf un, qui est le cousin germain de Lancelot, qui s'appelle
16:25 Bohort.
16:26 C'est lui qu'au fond qui va être le passeur de toute cette histoire et nous la raconter.
16:31 Et puis Lancelot a trahi son roi, Lancelot a accouché avec la reine Guenièvre.
16:37 Lancelot est un personnage mal aimé du public médiéval.
16:41 C'est le meilleur chevalier du monde, il gagne tout le temps, ce qui en soit ridicule pour
16:46 les systèmes de valeurs médiévaux.
16:48 Ce qui compte au tournoi par exemple, ce n'est pas de terrasser tous ses adversaires, c'est
16:53 de faire de beaux coups.
16:55 Donc le vainqueur d'un tournoi, ce n'est pas celui qui a fait tomber tout le monde,
17:00 c'est celui qui a fait les plus jolis coups.
17:02 Exactement comme au jeu d'échecs à la même époque, ce qui compte, ce n'est pas de gagner
17:07 la partie, c'est de jouer et de faire de beaux coups sur l'échiquier.
17:11 Saskia de Ville : ça vous sert d'ailleurs de morale à la fin du livre, dans une société
17:15 où on doit être un winner comme on l'habite.
17:17 Voilà, nous c'est tout à fait le contraire, il faut être un vainqueur et c'est totalement
17:22 contraire et au système de valeurs médiévaux et à mes propres systèmes de valeurs.
17:27 Vous n'aimez pas Lancelot ?
17:28 Je n'aime pas du tout Lancelot, qui est un personnage antipathique.
17:32 Vous aimez lequel ?
17:34 Alors j'aime bien Gauvain, qui est l'homme du monde, j'aime bien Yvain, qui est un double
17:39 de Gauvain, en moins mondain puisque je peux dire, ce sont deux on dirait honnêtes hommes
17:45 au 17e siècle.
17:47 Mon préféré c'est quand même ce Bohort dont je parlais tout à l'heure, le cousin
17:50 germain de Lancelot, qui est aussi un honnête homme et qui présente cette particularité
17:56 d'être le seul survivant de tous les chevaliers de la table ronde, le seul qui ne meurt pas
18:02 à la fin et donc qui va nous faire connaître cette histoire.
18:07 C'est un des vainqueurs de la quête du Graal, mais non pas par la grâce, mais à la sueur
18:14 de son front, nous disent les textes.
18:16 Il fait de gros efforts.
18:18 Ce livre, ce premier livre que vous avez publié quand vous avez 28 ans, vous l'avez écrit,
18:23 vous l'avez péniblement tapé à la machine de votre index gauche.
18:28 C'est l'occasion pour vous de revenir sur ce rapport que vous avez eu à l'écriture.
18:33 Un rapport d'abord douloureux, en même temps extraordinairement privilégié parce que
18:38 vous venez d'une famille où l'on écrit beaucoup, où la littérature est omniprésente
18:43 et en même temps pour vous, le geste de l'écriture, c'est quelque chose de douloureux.
18:48 Ça a été, je suis gaucher en effet.
18:51 Et donc dans l'après-guerre, les instructions ministérielles demandaient aux instituteurs
18:56 de ne plus obliger les enfants gauchers à écrire de la main droite, mais ça déplaisait
19:01 aux instituteurs.
19:02 Alors ils appliquaient les instructions, mais ils se vengaient un peu sadiquement.
19:06 Et moi, comme tous les gauchers, c'était l'époque du porte-plume, ma main gauche repassait
19:11 sur ce que je venais d'écrire et donc je faisais des tâches.
19:14 Et un rituel humiliant que j'ai subi, c'est le cahier plein de tâches accrochées dans
19:20 le dos et on est promenés dans toute l'école pour montrer aux autres combien un gaucher
19:24 est un souillon.
19:25 C'était pas au 19e siècle, c'était dans les années 50.
19:29 Ça m'a forcé à corriger la position de ma main.
19:32 Donc je crois que j'ai écrit des milliers et des milliers de pages.
19:36 J'aime énormément dessiner, ça m'a jamais gêné d'être gaucher.
19:40 Aujourd'hui, nous sommes 10 ou 12% de la population.
19:43 Je dois appartenir à la première génération en France.
19:46 - Don Nicolas Demorand qui vous regarde avec un grand sourire.
19:49 Un dernier mot pour dire que le grand chrétien de Troyes à qui on doit les œuvres majeures
19:55 des histoires des Chevaliers de la Table Ronde ne les a probablement jamais écrites.
19:59 - Non, non.
20:00 Écrire c'est affaire de scribe et au Moyen-Âge, comme à l'époque moderne d'ailleurs, environ
20:05 10-12% de la population, mes femmes confondues, sait écrire, mais même pas 1%.
20:11 C'est lire pardon, mais même pas 1%, c'est écrire.
20:14 - 10-12% de la population qui sait lire au Moyen-Âge, dont des femmes, c'est beaucoup ?
20:18 - Oui, c'est beaucoup.
20:19 C'est peut-être même supérieur à ce que c'est à la veille de la Révolution, dans
20:23 le Royaume de France.
20:24 - Et une idée reçue de moins sur le Moyen-Âge.
20:29 Michel Pastoureau, vous publiez "Dernière visite chez le roi Arthur", histoire d'un
20:33 premier livre.
20:34 Merci d'avoir été mon invité ce matin.

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