Le Docteur Bruno Fron signe "Toute une vie pour eux" (L'Iconoclaste), récit de quarante ans de médecine généraliste.
Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
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00:00 Sonia De Villeher, votre invitée ce matin est médecin de famille.
00:03 Ce qui, à proprement parler, n'est pas une spécialité en médecine.
00:07 Bonjour Bruno Fron, bonjour docteur.
00:10 Bonjour.
00:11 Alors médecin de famille, ça n'existe pas la faculté de médecine.
00:14 Alors comment on devient médecin de famille ?
00:16 Ben par hasard finalement.
00:18 C'est vrai.
00:19 Par hasard.
00:20 Je ne me destinais pas du tout, du tout à la médecine.
00:25 Un concours de circonstances m'a conduit aux urgences de l'hôpital Saint-Joseph.
00:30 J'avais à l'époque une quinzaine d'années.
00:33 Comme tout adolescent, j'avais des très bonnes idées.
00:35 Il faisait très chaud en ce mois de juillet.
00:37 Et donc j'ai mis des glaçons sur mon thorax d'athlète puisque je me destinais à être
00:43 footballeur professionnel.
00:44 Et le lendemain, 39 de fièvre, pneumonie.
00:48 Je me retrouve aux urgences de l'hôpital Saint-Joseph.
00:50 Et là je découvre un monde qui n'était pas du tout le monde de ma famille.
00:54 C'était un monde des ingénieurs, des mathématiciens.
00:56 Et voilà que, comme aujourd'hui mais d'une façon très particulière, je tombe dans
01:03 une fourmilière, une ruche où tout le monde s'agite.
01:06 Mais finalement, on prend soin de moi.
01:08 Je reste quelques heures dans cet endroit tout à fait inédit.
01:11 Et qu'est-ce qui se passe ?
01:13 Eh bien, on me donne des antibiotiques et je guéris.
01:16 Et là c'est quand même quelque chose de tout à fait, pour moi, important.
01:19 On a pris soin de moi.
01:20 Prendre soin.
01:22 Prendre soin, c'est ça qui va vous marquer et c'est ça qui va faire naître cette vocation.
01:27 Quand je parle de médecine de famille, vous êtes devenu médecin généraliste.
01:31 Il y a quand même une différence entre les mots, entre médecin généraliste et médecin de famille.
01:37 Quand je dis que vous êtes un médecin de famille, c'est que vous avez placé toute votre carrière.
01:42 Justement, vous avez placé au centre de toute cette carrière les êtres humains,
01:49 les rencontres, les liens. Et les liens sur le long terme.
01:53 C'est ça un médecin de famille, c'est quelqu'un qui suit les générations,
01:56 qui va parfois jusqu'à la fin de la vie de ses patients.
01:59 Encore une fois, ce n'est pas par volonté.
02:02 Je me suis retrouvé dans cette situation de m'installer en 1er octobre 1985.
02:09 Et je me suis retrouvé effectivement en un lieu précis, à Paris, rue Monge.
02:15 Et je suis resté là, et les gens se sont présentés. Et effectivement, des familles.
02:19 Des enfants, des adultes, des personnes âgées.
02:26 Si vous me permettez, je peux raconter ma première consultation.
02:30 Je me retrouve là. A l'époque, il fallait faire son trou, il fallait faire sa clientèle.
02:34 Il y avait beaucoup de médecins. - Il y avait beaucoup de médecins encore dans les années 80.
02:37 - Mais bien sûr, donc n'importe quel appel, on y allait.
02:39 Parce qu'il fallait faire face à ces frais du cabinet et tout ça, il fallait vivre.
02:44 Aujourd'hui, c'est un petit peu différent.
02:46 Et donc, se présente à ma consultation une dame âgée qui me dit tout tranquillement
02:51 "Ecoutez docteur, voilà, vous voyez, je suis très âgé, mais je suis très fidèle, mais j'enterre tous mes médecins."
02:56 Alors je lui dis "Ecoutez madame, si vous enterrez tous vos médecins, permettez-moi quand même de réfléchir avant d'eux."
03:02 Elle me dit "Non, pas du tout docteur, vous inquiétez pas, vous êtes jeune, vous êtes en bonne santé, tout devrait bien se passer."
03:07 Et puis à la fin de la consultation, elle me dit "Ecoutez, avec mon ami, on a du temps, si vous voulez, on viendra dans votre salle d'attente."
03:13 - Tricoté ? - Oui, tout à fait, mais d'abord on dira aux gens que vous êtes quelqu'un de formidable.
03:18 Je lui dis "Vous êtes sérieuse ?" "Oui, oui, nous sommes très sérieux."
03:21 Et de fait, elles sont venues et elles ont animé ma salle d'attente pendant quelques semaines.
03:26 - Mais c'est génial, les deux petites vieilles qui viennent tricoter et tous les gens qui rentraient dans votre salle d'attente, elles leur disaient "Ce médecin est vraiment génial."
03:32 - Parce qu'à l'époque, j'avais un business plan.
03:34 Je m'étais dit "Il faut que le premier mois, je voie une personne par jour, le deuxième mois, deux personnes par jour."
03:39 Très vite, les choses sont passées autrement et elles sont venues, elles parlaient de moi chez le boulanger, chez le boucher
03:46 ou à l'occasion d'une séance crochée à la boutique Fildar.
03:49 Et puis, assez rapidement, elles ont dit "Ecoutez docteur, maintenant, vous êtes lancé, je crois qu'on n'a plus besoin de nous."
03:55 - Docteur Frond, vous avez publié un petit livre qui s'appelle "Toute une vie pour eux" qui paraît aux éditions Liconoclast sous-titré "La passion d'un médecin de famille".
04:03 Ce qui est intéressant, c'est de suivre votre trajettoir, les erreurs d'un jeune médecin.
04:08 D'abord, quand on est un jeune médecin, au départ, on n'ose pas ne rien faire ou accepter qu'on ne peut rien faire.
04:18 - Ah oui, vous faites référence à une certaine histoire d'une patiente qui se trouvait devoir se marier dans une très bonne famille.
04:29 Et puis, elle avait un symptôme un peu particulier.
04:32 Tous les soirs, il fallait qu'elle ait été prise de tremblements de ce qu'on appelait à l'époque une crise de tétanie.
04:37 Et finalement, elle ne se calmait qu'en allant dans le lit de sa mère.
04:42 Alors, elle vient avec sa mère à la consultation.
04:46 Et sa mère dit "écoutez, docteur, il faut faire quelque chose parce que quand même, vous comprenez, ce garçon est formidable.
04:53 Il ne faudrait pas que ce mariage capote d'une certaine façon."
04:56 Et à l'époque, je ne savais pas quoi faire.
05:00 J'étais là devant quelqu'un et j'ai proposé une ordonnance tout à fait singulière et je ne referai pas aujourd'hui.
05:06 Une prescription d'injection à des heures précises, dans des conditions précises.
05:12 Finalement, les symptômes ont disparu.
05:17 Mais à l'époque, mon idée c'était "je ne peux pas ne pas faire quelque chose".
05:22 Si je ne fais pas quelque chose, c'est que je suis mauvais, je suis défaillant.
05:27 - Et c'est ça qu'on apprend petit à petit en vieillissant ?
05:30 - En vieillissant avec ses patients, en effet.
05:32 Puisque la difficulté de ce métier, qui me met face à ma finitude et finalement à la mort,
05:39 c'est que vous connaissez des gens dans la fleur de l'âge, à 40, 50, 60 ans,
05:44 et qui progressivement avec les années se dégradent et peuvent être atteints de maladies très graves.
05:50 Et là, on arrive assez vite, et bien avant tout ça, à ses limites, à son impuissance.
05:56 - À son impuissance.
05:58 Et ça c'est très beau parce que c'est quelque chose qui revient souvent dans le livre "L'impuissance du médecin".
06:04 Alors, on va parler évidemment de la fin de vie, mais en fait, l'impuissance, vous la découvrez à plusieurs reprises.
06:10 C'est-à-dire qu'on comprend bien que petit à petit, vous apprenez à écouter vos patients
06:14 au-delà des symptômes cliniques qui viennent vous coller sous le nez en disant "vous voyez bien que j'ai mal là".
06:20 Oui, mais mal là, ça veut dire parfois avoir très mal ailleurs.
06:24 Et alors c'est ça qui fait absolument pour moi le côté unique de cette médecine,
06:30 et c'est pour ça que j'ai beaucoup de mal à la quitter aujourd'hui,
06:33 même si je m'oriente vers quelque chose de plus psychothérapie.
06:37 Mais c'est parce que quelqu'un vient vous dire "j'ai mal là, je ne sais pas ce qui m'arrive".
06:41 C'est un petit fil sur lequel vous tirez et sur lequel vous pouvez découvrir des choses.
06:47 Et c'est important. En plus, la consultation de médecine générale va très vite,
06:51 on est contraint par le temps, et donc il faut immédiatement, j'aurais envie de dire,
06:57 dans la minute qui suit, savoir répondre à trois questions.
07:02 Est-ce que c'est grave ? Urgent, on gère le temps.
07:04 A partir de là, on peut développer les choses.
07:06 Mais c'est vrai que c'est unique d'être face à quelqu'un qui vous dit "je ne sais pas ce qui m'arrive".
07:13 Et là, on ouvre un livre, le livre d'une vie d'une certaine façon.
07:18 Alors vous le dites, les visites à domicile ça prend beaucoup de temps et ce n'est pas rentable.
07:22 De toute façon, vous travaillez 70 heures par semaine, vous êtes à la retraite,
07:28 vous continuez de travailler 50 heures par semaine.
07:30 Non, 45.
07:31 45, pardon docteur.
07:33 Mais voilà, c'est ce qui vous a permis véritablement d'aller à la rencontre de vos patients,
07:41 de pénétrer leur vie, leur univers, leur famille.
07:45 Alors, juste pour répondre tout de suite à votre question, c'est pas rentable.
07:49 Évidemment, c'est pas rentable.
07:50 Vous pouvez faire trois consultations à 25 euros pendant une visite.
07:54 Donc concrètement, ça veut dire que vous perdez votre argent.
07:58 La visite actuellement est facturée à 35.
08:01 Donc, entre parenthèses, j'en profite pour dire que pour moi, la visite doit être à 80 euros.
08:07 C'est la base.
08:09 Est-ce que ça suffira pour que les jeunes aillent faire des visites ?
08:11 Je ne suis pas sûr, mais en tout cas, c'est indispensable.
08:14 Et donc, quand quelqu'un se déshabille dans votre cabinet, même totalement, vous n'avez rien vu.
08:21 Par contre, il ouvre la porte de sa maison.
08:24 Il ouvre la porte de sa chambre à coucher.
08:26 On rentre dans une toute autre intimité et dans la connaissance des choses et des gens.
08:30 À cette occasion, je pourrais vous dire quelque chose qui a changé ma vie et mon regard sur les gens.
08:36 Une petite dame, une toute petite dame qui était en retrait.
08:40 J'avais soigné son mari qui était un grand serviteur de l'État, un homme important.
08:46 Et elle était là un peu en retrait.
08:48 Et puis, son mari a fini par mourir.
08:50 Et puis, j'ai continué à la soigner.
08:52 Et un jour, elle m'appelle.
08:53 Elle ne pouvait pas sortir de son lit.
08:55 Je suis dans sa chambre et je vois dans une vitrine une petite médaille.
08:59 Et cette médaille, je dis mais qu'est-ce que c'est que cette médaille ?
09:02 Oh, c'est une médaille.
09:04 Et c'était la médaille de la Résistance française.
09:07 Elle était donc héroïne de la Résistance française.
09:10 Mais je dis mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
09:12 Oh, nous étions en Corrèze avec mon frère.
09:15 Mon frère me dit je pars.
09:16 Mais tu pars où ?
09:18 J'étais jeune infirmière, chef d'aide de Louvette même.
09:21 Et je pars.
09:22 Mais où pars-tu ?
09:23 Et il me dit je ne peux pas te dire.
09:25 Mais où pars-tu ?
09:26 Il finit par me dire je prends le maquis.
09:28 Mais je dis c'est quoi le maquis ?
09:29 Je ne peux pas te dire.
09:30 Mais docteur, je n'allais pas laisser mon frère.
09:32 J'ai suivi la voix de mon frère.
09:34 Et c'est ainsi que je suis rentré dans les réseaux.
09:37 C'est ainsi que les choses sont faites.
09:38 Ce n'est pas plus compliqué que ça.
09:39 Et ça m'a permis tout de suite de me dire mais on a l'impression,
09:44 et ça c'est une grande leçon pour moi,
09:46 on croit qu'on connaît les gens mais...
09:48 Et c'est ce qui est intéressant, c'est que quand vous vous installez dans ce quartier de la rue Monge dans les années 80,
09:53 aujourd'hui c'est un quartier extrêmement bourgeois qui s'est probablement un peu vidé de sa population.
09:59 Quand vous arrivez dans les années 80, il y a encore plein de gens très âgés qui vivent là,
10:05 dans ce Paris de la rive gauche depuis l'entre-deux-guerres,
10:09 depuis même le début du siècle.
10:12 Et en fait c'est le XXème siècle que vous avez vu dans tous ces appartements.
10:18 Et d'ailleurs vous avez des histoires absolument bouleversantes,
10:21 des rafles du Veldiv, d'enfants de déportés, de rescapés,
10:27 qui sont encore là et qui peuplent Paris.
10:29 - Alors oui, vous avez tout à fait raison.
10:32 Je peux à cette occasion évoquer une petite histoire d'un vieux poilu,
10:36 qui est mort maintenant depuis longtemps.
10:38 Et il n'avait pas quitté le 5ème arrondissement que pour aller à Verdun.
10:42 Et il en est revenu par chance dans sa section, il était saint qu'à être revenu.
10:47 Et cet homme, un jour je découvre chez lui,
10:51 en 1968, la France reconnaissante au vieux poilu, signé Charles de Gaulle.
10:57 En 1968, la France reconnaissante au vieux poilu, Valéry Giscard d'Estaing.
11:03 En 1988, la France reconnaissante, François Mitterrand.
11:07 Il dit au suivant, François Mitterrand a fait deux mandats,
11:10 et il n'a pas pu voir.
11:13 Et il est mort dans la pièce où il est né à l'âge de 98 ans.
11:17 Donc c'est quand même quelque chose.
11:19 La mort de vos patients, on va en parler ensemble, docteur Fron, il est 9h20.
11:23 Vous écoutez France Inter.
11:26 Ce n'est rien, tu le sais bien, le temps passe, ce n'est rien, tu sais bien,
11:39 elles s'en vont comme les bateaux et soudain,
11:44 ça revient pour un bateau qui s'en va et revient,
11:52 il y a mille coquilles de noix sur ton chemin,
11:57 qui coulent et c'est très bien,
12:01 et c'est comme une tourterelle qui s'éloigne tir d'elle,
12:07 en emportant le duvet qui était ton lit un beau matin,
12:12 et ce n'est qu'une fleur nouvelle et qui s'en va vers la grêle,
12:18 comme un petit radeau frais sur l'océan.
12:22 Ce n'est rien, tu le sais bien, le temps passe, ce n'est rien, tu sais bien,
12:36 elles s'en vont comme les bateaux et soudain,
12:41 ça revient comme un bateau qui revient et soudain,
12:49 il y a mille sirènes de joie sur ton chemin,
12:54 qui résonnent et c'est très bien,
12:58 et ce n'est qu'une tourterelle qui revient tir d'elle,
13:05 en rapportant le duvet qui était ton lit un beau matin,
13:10 et ce n'est qu'une fleur nouvelle et qui s'en va vers la grêle,
13:16 comme un petit radeau frais sur l'océan.
13:20 Et ce n'est qu'une tourterelle qui reviendra tir d'elle,
13:27 en rapportant le duvet qui était son lit un beau matin,
13:32 et ce n'est qu'une fleur nouvelle et qui s'en va vers la grêle,
13:37 comme un petit radeau frais sur l'océan.
13:41 Julien Clerc, ce n'est rien, mais quelle bonne nouvelle cette chanson,
13:48 j'espère que comme moi vous l'aurez dans la tête jusqu'à demain matin.
13:51 Lucie Lemarchand, Grégoire Nicolaire, Edouard Ntela, Elisabeth Rouvée, Jean-Baptiste Audibère,
13:58 ça c'est la formidable équipe qui prépare chaque jour,
14:01 qui réalise, qui met en ondes et qui met en musique l'interview de 9h10.
14:06 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Sonia De Villers.
14:11 Le docteur Fron, Bruno Fron, il a un prénom.
14:15 Quoique, est-ce que vous avez un prénom docteur ?
14:18 Parce que vous m'avez dit avant qu'on commence cette interview,
14:21 vous m'avez dit "je suis médecin".
14:24 Je suis médecin, c'est mon identité, je suis médecin.
14:27 C'est une identité qui effectivement s'est mise à me coller à la peau.
14:33 Au départ, comme je vous l'ai dit, pas du tout,
14:36 mais maintenant, c'est peut-être pour ça que la maison d'édition a mis "Docteur Fron" et non pas "Docteur Bruno Fron".
14:42 Toute une vie pour eux, ça paraît à l'iconoclaste et c'est sous-titré "La passion d'un médecin de famille".
14:49 Quand je disais que le 5e arrondissement est devenu un quartier bourgeois,
14:53 vous vouliez préciser "bourgeois", oui, mais parmi vos patients, il n'y a pas que des bourgeois loin de là ?
14:59 Il y a encore une grande diversité de patientels, si on peut parler comme ça, pour plusieurs raisons.
15:05 D'abord parce qu'il y a des gens qui sont là depuis toujours,
15:08 ils ne le seront pas puisqu'ils vont finir par quitter ce monde,
15:12 mais aussi parce qu'il y a des grandes universités, Juscieux, donc beaucoup d'étudiants qui viennent d'ailleurs.
15:17 Et puis aussi, j'ai beaucoup de patients qui viennent de banlieue parce qu'ils n'ont pas de médecin, ils n'ont plus de médecin.
15:23 Et donc ils se disent "il y a un médecin à Paris" et donc ils viennent me voir.
15:28 Donc j'ai la chance, je le dis, d'avoir une très grande diversité de population.
15:32 Oui, je voudrais qu'on parle de la fin de vie de vos patients parce que c'est un sujet à l'étude en ce moment,
15:37 à l'étude pour le gouvernement. Il y a des récits très beaux dans votre livre.
15:42 Vous parliez de l'impuissance, mais de l'impuissance pas complètement.
15:46 Évidemment que dans ces situations, ces pathologies-là, on finit toujours par s'en aller, j'allais dire.
15:57 Mais ce qui est important pour moi, c'est ce qui se passe pour les personnes.
16:04 Être présent, c'est ce mot qui est important. Mais présent à la situation, présent à la personne et présent à moi-même.
16:12 Et donc très vite, nous sommes confrontés à, j'allais dire, à notre impuissance, nous les médecins généralistes.
16:20 Et alors il y a plusieurs solutions. On peut fuir ou rester.
16:23 Il se trouve par circonstance que j'ai toujours dans ma patientèle une ou deux personnes qui sont en fin de vie à domicile.
16:31 D'ailleurs quand une s'en va, une autre arrive.
16:34 Ou pas, une autre arrive. C'est-à-dire que souvent quand un patient meurt, un nouveau patient sonne à la porte du cabinet ?
16:41 C'est-à-dire qu'une autre personne en situation de fin de vie se présente.
16:46 Voilà, et ça c'est quelque chose de tout.
16:49 Et donc il y a quand même là une opération vérité.
16:53 Et être là, sans fuir, face à une personne qui se trouve dans cette situation, c'est quand même quelque chose d'assez particulier.
17:03 Vous racontez un patient que vous connaissez depuis plus de dix ans, qui a 80 ans, que vous avez vu régulièrement au cabinet,
17:10 qui en est venu à se pendre parce qu'il voulait en finir ?
17:14 Alors, il venait à mon cabinet et un jour il m'a demandé de venir chez lui.
17:24 Et j'ai fait la connaissance de sa femme à cette occasion.
17:27 Et il m'a dit qu'il ne voulait pas être abîmé, il ne voulait pas être opéré, il ne voulait pas être mutilé.
17:34 Bon, j'ai dit qu'on ferait tout pour l'aider à traverser cette période.
17:39 Et puis il devait venir aux consultations et sa femme laisse un message en disant qu'il s'était pendu.
17:46 Et il dit qu'il lui aurait dit que cette loi ne lui permettait pas d'en finir comme il voulait en finir.
17:56 Et vous êtes souvent confronté à cela, docteur, à des médecins qui vous disent "faites ce que vous avez à faire".
18:04 Et là le docteur Frond dit "mais qu'est-ce que j'ai à faire ?"
18:08 Oui, à faire, moi j'ai à soulager les gens, je n'ai pas à les tuer.
18:13 Et donc à partir de là, il y a de nombreuses histoires dans mon livre, notamment une qui s'appelle "Faire ce que vous avez à faire".
18:22 Cet homme m'avait appelé en fin de vie et après bien des péripéties pour me dire "maintenant faites ce que vous avez à faire, vous voyez où j'en suis".
18:30 Et je lui dis "écoutez, je comprends là où vous en êtes de me demander une chose pareille, mais je ne vous tuerai pas, je vous soulagerai".
18:38 Et puis sa femme prépare un café, on parle et tout ça.
18:41 Et sa femme me dit "vous voulez prendre ce café que j'ai préparé ?"
18:44 Je lui dis "vous avez préparé un café, je vais faire ce que j'ai à faire, je vais le boire".
18:49 Et là il a souri, on a continué à échanger et je lui ai donné de quoi se soulager avec la morphine pour la douleur.
18:57 Et je suis parti et j'ai appris le lendemain qu'il s'était endormi dans son lit.
19:02 Donc je ne l'ai pas, j'allais dire, tué, mais lui-même s'en est allé.
19:09 Saskia de Ville : Merci beaucoup docteur Frond. "Toute une vie pour eux" paraît à l'iconoclaste et c'est beaucoup de récits très humains, trop humains, humains, trop humains.
19:20 Et merci à vous Sonia De Villers.