Moi, chef de village [Episode 9]
[Un témoignage inédit au micro de Jacques Vendroux pour Europe 1] A la suite du décès de son père en 2017, Yannick Noah revient en Afrique et devient à son tour chef de village. C’est donc quarante-huit ans après avoir quitté le Cameroun que l’ex-tennisman fait son retour à Etoudi, le village de son enfance. Du jour au lendemain, celui qui se faisait jusque-là appeler "Tonton Yann" devient "Majesté" pour reprendre l’œuvre de son père et de son grand-père avant lui dans le développement du village ainsi que dans l’aide apportée à ses habitants. Dans l’épisode 9 du podcast "Yannick Noah, entre vous et moi", Yannick Noah nous embarque jusque dans la mausolée familial pour nous parler de son lien à la terre de ses ancêtres et du rôle de patriarche qu’il y tient.
Pour les 40 ans de la victoire de Yannick Noah à Roland-Garros, Europe 1, radio officielle du tournoi, s’est rendue au Cameroun pour rencontrer la légende du tennis français. Il a accepté de se confier comme jamais auparavant sur ses rêves d’enfant, ses souvenirs de champion et sa nouvelle vie en Afrique au cours d’un entretien exceptionnel au micro de Jacques Vendroux.
Retrouvez "Yannick Noah, entre vous et moi" sur : http://www.europe1.fr/emissions/podcast-yannick-noah
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Lorsque mon papa est parti, c'est là que je suis devenu officiellement le chef.
00:05 Officiellement.
00:06 Le chef, mais bon moi, moi personnellement, tel que je l'ai vécu, on parle beaucoup
00:12 de tradition, les gens veulent savoir.
00:14 Alors oui, j'ai dansé pendant trois heures dans l'état second, mais moi, j'étais
00:16 en train d'en tirer à mon papa.
00:17 J'en tirais à mon père.
00:18 Le 8 janvier 2017, Zachary Noah s'éteint dans sa maison au Cameroun.
00:32 Lors des funérailles, Yannick Noah porte un costume en feuilles de bananier.
00:37 Il est désormais le patriarche de la famille.
00:41 Bienvenue dans Yannick Noah, entre vous et moi, un podcast européen, une saga exceptionnelle
00:50 en dix épisodes.
00:51 Salut à tous, nous sommes à Etoudi, dans le lieu dit village Noah.
00:56 Épisode 9, moi, chef de village.
00:59 J'étais à New York longtemps, j'étais à Paris.
01:03 Je débarque et tout d'un coup, papa part et là, d'un coup, je suis chef.
01:07 Moi, c'était toujours Yann.
01:09 Tonton Yann, papa Yann, majesté, majesté, OK, il faut que je joue le jeu.
01:24 C'est étrange, mais mon interlocuteur a une doléance et quand elle a ce type de doléance,
01:36 le dernier recours, si elle n'arrive pas à s'en sortir, c'est de venir voir le chef du
01:39 village.
01:40 Et si je peux, je l'aide.
01:44 Si je peux, je l'aide.
01:47 Et c'est infini, les doléances.
01:53 Mais trois quarts du temps, je ne peux pas.
01:57 Parfois, je peux, j'ai plaisir.
02:01 C'est beaucoup de problèmes de santé.
02:09 On n'a pas la carte vitale ici.
02:10 Il y a des gens qui n'ont pas 300 euros pour payer une intervention et tant qu'ils ne payent
02:17 pas, ils meurent.
02:18 C'est un truc, c'est comme ça que ça se passe ici.
02:23 J'ai un jeune cousin, deux heures du matin, j'ai 10 appels de sa femme.
02:30 Il était en train de mourir parce qu'il n'avait pas 200 euros.
02:33 J'aurais eu le message le lendemain, il était parti.
02:38 Je te parle de cas extrêmes.
02:40 Je ne sais pas, j'ai fait venir un container de fauteuils roulants.
02:45 J'en ai distribué 35.
02:46 Ils sont partis en six mois.
02:48 Tout ce que tu peux faire.
02:50 Beaucoup la santé.
02:52 J'ai fait une petite infirmerie, un mini dispensaire à la maison, là dans le village, pour les
02:57 premiers soins où j'ai des médicaments, où je peux donner des médicaments aux mamies,
03:00 aux papys qui sont là.
03:02 Pas de lunettes, on ne peut plus voir, on perd la vue.
03:06 Elle élève 12 enfants tout seul.
03:12 C'est sans fin.
03:13 Joachim est l'héritier, point barre.
03:23 C'est fait.
03:27 C'est mon fils aîné, c'est Joachim.
03:28 Il est spirituellement connecté à ici.
03:31 Il était très proche, comme tous mes enfants du reste, de papa.
03:36 Je te parle du Cameroun et de maman en France, mais il était très, très proche de papa.
03:41 Papy Jacques, c'était, voilà, ils étaient très, très proches.
03:47 Et papa avait ce lien avec mes enfants, avec mes filles et mon dernier aussi, Joël et
03:56 Lucas, très proche.
03:57 Et ils savent ce que c'est.
03:59 Ce n'est pas juste un club avec un hôtel, non.
04:03 Ils savent très bien ce que ça représente.
04:04 Et d'ailleurs, la première chose qu'ils font, dès qu'ils arrivent, on se met au
04:07 parking, on va directement au caveau pour passer un moment, allumer une bougie et penser
04:13 à papa, quoi.
04:14 Donc, ils sont très connectés ici.
04:16 Ce qu'il faut savoir, c'est que les ancêtres, on va dire dans la civilisation en France,
04:31 ils vivent à travers la mémoire.
04:33 Nous, c'est encore, au Cameroun, c'est encore plus fort.
04:38 C'est encore plus fort.
04:41 Le conseil que t'as donné l'ancêtre il y a 30 ans, il existe toujours aujourd'hui.
04:46 Tu t'en souviens, tu vis au quotidien par rapport au fait qu'il a décidé que cet
04:51 arbre là, il doit rester là.
04:53 Et donc, papa, lui, il est resté ici parce qu'il a eu cette vision extraordinaire que
05:02 ses gamins, Nathalie, Zaza, Zakia et moi, ils sont en France.
05:09 Ils vivent en France.
05:10 Il était très content de ça, mais ils sont aussi camerounais.
05:15 Une année, on est venu toute la famille avec tous nos enfants.
05:20 Il n'y avait pas de place, on s'est retrouvé à l'hôtel.
05:23 Et papa, ça a été une douleur pour lui.
05:25 Qu'ils viennent ici et qu'ils aillent à l'hôtel, ce n'est pas possible.
05:29 Et il est resté ici pour préserver l'endroit.
05:33 Papa avait plein de frères et sœurs.
05:37 Ils sont tous partis, mais papa a voulu garder ça et il a voulu et il me l'a dit tout le
05:42 temps. Alors, à la fin de sa vie quotidiennement, Yann, tu gardes cet endroit, tu gardes cet
05:47 endroit. Pourquoi?
05:48 Parce que un, je serais enterré là, enterré là.
05:52 Ce n'est pas comme si je prenais la voiture et que j'allais voir papa dans un cimetière.
05:56 Non, il est ici, donc il est hors de question.
05:59 Évidemment, ce n'est pas une opération immobilière.
06:04 Ce truc là, c'est l'ancrage, l'ancrage de gamins qui voyagent, qui sont métissés,
06:12 qui ont plusieurs identités, religions, peu importe.
06:15 Mais il y a un endroit où ils peuvent revenir se ressourcer.
06:18 C'est ici. Et cet endroit, je veux qu'il soit beau.
06:23 Pourquoi? Parce qu'ils sont là, présents.
06:26 Mon grand père, ma grand mère, mon oncle et papa, ils sont là, ils sont.
06:30 C'est là que ça se passe.
06:34 Ils habitent ici.
06:35 Ils sont là.
06:36 Alors, nous sommes là, les amis, on est dans la propriété de mon grand père.
06:54 C'est ici, en fait, que toute la famille a grandi, que ce soit papa.
07:00 Tout maison, que les tantes ont vécu ici, dans cette maison, qui est la maison du patriarche.
07:05 Tout autour ici, tout autour de ça, c'était la brousse.
07:10 Tout autour, c'était la brousse.
07:12 Donc là, en général, la tradition locale veut que les patriarches soient enterrés là où ils ont habité.
07:22 Voilà, donc c'est là qu'on a créé le caveau familial qui est ici.
07:28 Le caveau dans lequel il y a papa Tara, ma mangon, ma grand mère, Jean, Noah, le frère de papa et papa.
07:39 Donc, ils sont quatre à l'intérieur.
07:41 C'est le caveau familial qui reste dans la propriété.
07:46 En ce moment, c'est merveilleux.
07:49 C'est la reproduction des papillons, donc c'est un bon signe.
07:54 Voilà, donc ça se passe ici.
07:58 C'est là qu'ils sont, c'est là qu'ils se reposent.
08:00 Et de temps en temps, quand j'ai besoin de conseils de l'ancien, je viens voir mon papa ici et on discute.
08:08 Donc, ils sont présents et papa est présent.
08:22 Sans compter que papa a été tellement apprécié, aimé ici que partout où je vais, t'entends, papa, j'ai fait ci avec papa.
08:33 Papa, il m'a donné ça et papa, il m'a fait faire.
08:35 Grâce à lui, j'ai fait telles études et il m'a encouragé pour ça.
08:39 Et c'est sans fin.
08:40 Donc, au moment où il me dit, Yann, viens ici pour garder le truc parce que c'était moi qui pouvais le faire financièrement.
08:51 Mais c'était plus que ça, en fait, j'ai réalisé quand je suis arrivé ici il y a trois ans que c'était plus que ça.
08:56 Mais bien sûr, je fais ça pour mes enfants.
08:58 Là, on est assis, là, j'ai vu Joachim se poser là et regarder et s'écrouler de larmes parce que tout d'un coup, au site, ça a résonné.
09:06 C'est à dire que je suis en Amérique, je suis suédois, je suis français.
09:10 Je suis aussi cameronné, mais j'ai cet endroit, c'est ma terre.
09:16 Et pareil pour mes filles et mon petit Joalouka, parce que pour eux, c'est pas juste venir au Cameroun, c'est venir de là où je viens.
09:26 Vous venez d'écouter Yannick Noah, entre vous et moi.
09:43 Un témoignage exceptionnel recueilli par Jacques Vendroux au Cameroun pour Europe 1.
09:47 Dans l'épisode suivant, je me suis dit putain, ils vont faire un truc quand je vais être crevé.
09:53 Et des fois, j'ai des espèces de trucs, j'espère qu'il y en a deux, trois qui vont chialer sur ma tombe.
09:58 Il y en a un qui va rigoler, d'autres qui vont dire bon, des barras, des débats de délire.
10:03 Tu vois, mais il y a rien à Roland.
10:06 Yannick Noah, entre vous et moi.
10:11 Production Europe 1 Studio, Sébastien Guillaud.
10:14 Réalisation et direction artistique, Xavier Joli.
10:17 Pour découvrir la suite, vous pouvez vous abonner gratuitement et glisser un maximum d'étoiles sur votre plateforme préférée.
10:24 [Musique]