• il y a 4 jours
Les clefs d'une vie avec Pierre Rosenberg

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##LES_CLEFS_D_UNE_VIE-2025-03-24##

Catégorie

Personnes
Transcription
00:00Sud Radio, les clés d'une vie. Jacques Pessis.
00:03Les clés d'une vie, celles de mon invité.
00:05La peinture vous a permis de construire le cadre d'une vie haute en couleurs.
00:08Vous avez passé 40 ans dans un musée tout en regardant en permanence vers demain.
00:13Vous avez collectionné les honneurs, mais surtout les dessins.
00:17Et cela toujours anime de bonnes intentions, comme les dessins.
00:20Bonjour Pierre Rosenberg.
00:22Bonjour.
00:22Alors, vous avez une vie incroyable et passionnante et je vous remercie d'être ici au micro de Sud Radio.
00:28D'ailleurs, votre charme va avec le rouge de Sud Radio.
00:31On va en parler tout à l'heure.
00:33Il y a le Salon du Dessin du 26 mars au 31 mars à Paris.
00:36Vous vous y êtes lié, c'est important.
00:38Mais le principe des clés d'une vie, c'est de raconter votre parcours à travers des autres clés.
00:42Et la première que j'ai trouvée, elle est lointaine.
00:45Le 2 mars 1965, c'est votre première télé.
00:48Une édition spéciale des actualités télévisées sur un peintre italien du XVIIe siècle, le Caravage.
00:54Et vous vous êtes interviewé pour la première fois.
00:56Ah bon ?
00:57Vous vous en souvenez ?
00:57Vous me la prenez ?
00:59C'est un reportage où vous expliquez que ce peintre a révolutionné la peinture du XVIIe siècle,
01:06qu'il a connu la célébrité de son vivant, mais trois siècles de purgatoire.
01:10Et qui est aujourd'hui, évidemment, le peintre le plus connu au fond du grand public.
01:14À cause de sa vie, il a tué quelqu'un dans son existence.
01:18Il est devenu une espèce de grande vedette.
01:20C'est même intéressant que vous évoquiez son nom.
01:23Parce qu'après tout, pendant longtemps, le grand peintre qui dominait l'histoire de la peinture, c'était Raphaël.
01:29Exactement.
01:30Et maintenant, si je vous le dis, Caravage l'a un peu supplanté.
01:33Alors la question qui se pose, c'est de savoir qui sera le nouveau Caravage.
01:36C'est assez clair.
01:37Quel sera l'artiste qui, dans les générations plus jeunes que vous et moi, supplantera Caravage ? Je ne sais pas.
01:44Alors il se trouve que pourquoi vous êtes à la télévision ce jour-là, Pierre Rosenberg ?
01:48C'est une exposition au musée du Louvre dont vous êtes le commissaire général sur la Caravage.
01:52C'était une exposition extrêmement courageuse qu'on avait faite à l'époque parce qu'on avait obtenu des prêts que plus personne n'obtiendrait aujourd'hui.
01:59Ah bon ?
02:00On avait obtenu les grands artistes français de Rome qui ne voyagent plus.
02:05C'est une exposition qui prouve, en effet, à quel point encore en 1965, Caravage était considéré comme un immense artiste,
02:12mais pas au point d'être sacralisé au point qu'on ne peut plus prêter ses œuvres.
02:17Les musées qui ont des Caravages refusent de les prêter.
02:20Tellement pour eux d'avoir un Caravage dans leur musée, il y a une assurance de visiteurs.
02:27Et c'était tout à fait étonnant parce qu'à l'époque, en 1965, vous disiez que les peintres du XVIIe siècle n'étaient pas encore très connus en France.
02:34C'est vrai, surtout les peintres, si je veux dire, italiens.
02:37À l'époque, c'était aussi le début de la résurrection, de la redécouverte de Georges Latour,
02:43qui était complètement inconnu, beaucoup plus que Caravage, et qui au fond était une conquête de l'histoire de l'art.
02:48Georges Latour n'existerait pas sans les historiens d'art.
02:51Alors la redécouverte de Georges Latour, en fait, elle a commencé en 1934 par une exposition que naturellement je n'ai pas vue, malgré mon grand âge,
02:59mais elle a continué par une exposition en 1972, dont j'étais commissaire de l'exposition avec Jacques Tuiliers,
03:07et c'était l'exposition de 1972 sur Georges Latour qui a fait de Georges Latour le peintre archipopulaire qu'il est.
03:14Mais il était alors, lui, totalement tombé dans l'oubli.
03:16Les gens le confondaient avec Maurice Quentin de Latour, le pasteliste du 18e siècle, et aujourd'hui, c'est une des grandes vedettes.
03:23Et donc l'exposition de 1972, ça peut amuser vos auditeurs.
03:27Pourquoi l'avions-nous faite ? À l'époque, c'était Michel Laclotte qui dirigeait le département des peintures.
03:31Je l'avais faite avec Jacques Tuiliers, qui à l'époque n'était pas encore professeur au Collège de France.
03:35Pourquoi l'avions-nous faite ? Parce que nous avions acheté un tableau de Georges Latour,
03:39Le Tricheur, un tableau magnifique, un des plus célèbres du Louvre aujourd'hui, nous l'avions payé, je m'en souviens très bien,
03:46dix millions de francs. Et à l'époque, nous n'avions jamais dit, comme d'autres d'ailleurs, jamais plus le Louvre n'achèterait un tableau aussi cher.
03:55Aujourd'hui, dix millions de francs, c'est quoi ? Ça correspond à, je sais pas, trois mille euros ? Non, trente mille euros.
04:00C'est plutôt dix millions d'euros, maintenant, le prix de base d'un tableau.
04:07Alors, votre première exposition, et c'est un peu un hasard ou le destin, Pierre Rosenberg,
04:12c'est quatre ans plus tôt, à Rouen, où il y a un musée qui vous demande d'organiser une exposition sur Poussin en catastrophe.
04:17Voilà, exactement, vous avez raison, en catastrophe, parce qu'il y avait eu, vous savez que Poussin est mon grand homme,
04:23c'est l'homme de ma vie, et le catalogue raisonné de l'œuvre de Poussin paraîtra au début de l'année prochaine,
04:28il y a quatre volumes, onze millions de signes, et je peux même vous livrer une information qui est alors complètement inédite,
04:35parce que je la sais que depuis avant-hier, c'est qu'il y a deux prix, il y a le prix de vente du livre quand il sera paru, puis il y a le prix de souscription.
04:42Et je me suis battu pour que le prix de souscription ne soit pas trop élevé, de manière à ce que les gens moins fortunés puissent l'acquérir également.
04:50Donc, j'ai demandé de l'argent à toutes sortes de personnes pour que le livre se vende moins cher.
04:55C'est de l'argent important, dans la mesure où c'est de l'argent qu'on ne peut pas défiscaliser.
05:00Donc, les gens qui ont donné pour que le livre ne se vende pas trop cher ont fait un vrai don.
05:04Et alors, la souscription, c'est 290 euros pour les quatre volumes, donc c'est un prix que je crois assez abordable pour un...
05:12Je crois que ça pèse 6 kilos, quelque chose comme ça.
05:14– Le peintre était extraordinaire, il peignait après avoir édité des petites figurines qui étaient la base de ces tableaux.
05:21– Oui, alors il avait en effet une espèce de boîte qu'on a reconstituée,
05:25une boîte dans laquelle il disposait les figures de ces tableaux qu'il déplaçait.
05:30Poussin, pour moi, le plus grand peintre français de tous les temps.
05:33Alors, vos auditeurs peuvent ne pas être d'accord, préférez Cézanne, c'est par qui d'autre,
05:37pour moi, c'est le plus grand peintre français.
05:39En tout cas, au XVIIe siècle, il y a d'un côté Rembrandt, Rubens, il y a Caravage, que vous avez cité,
05:45il y a Velázquez, et du côté de la France, il y a Poussin.
05:48Et Poussin, naturellement, de tous ces peintres, est peut-être celui qui est le plus difficile.
05:52C'est un peintre difficile, il a mis la barre très haut.
05:55Il demande une certaine concentration pour regarder ces tableaux,
06:00il demande une certaine érudition pour les sujets.
06:02Mais une fois qu'on est tombé dans la marmite Poussin, on est tombé pour toujours dans la marmite Poussin.
06:06Je peux continuer sur la marmite Poussin ?
06:08Moi, j'aurais surtout parlé maintenant de votre vie, parce que finalement,
06:11vous n'êtes pas né dans une famille de peintres, mais votre père était avocat,
06:14et votre famille a dû fuir l'Allemagne au moment où Hitler est arrivé au pouvoir.
06:18Exactement. Je reviendrai à la raison qui a fait que...
06:22En effet, je suis né à Paris en 1936, et mon père a été radier du barreau de Cologne
06:30dès l'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933, et mes parents se sont réfugiés en France.
06:34En France, pourquoi ? Mon père parlait français, il avait fait un peu ses études en Suisse,
06:40francophone, la Suisse française, et ma mère était une vraie intellectuelle
06:44qui faisait sa thèse à ce moment-là sur Henry James et les femmes.
06:47Un sujet qui aujourd'hui lui aurait fallu... Je ne sais pas quoi.
06:50Et c'était... Oui, c'était une grande...
06:55Je voudrais à ce propos rappeler le père de ma mère, qui s'appelait Nassauer,
07:00qui était un gynécologue très célèbre, très célèbre,
07:03qui a écrit un livre encore célèbre en Allemagne aujourd'hui, qui s'appelait Der Gute Doktor.
07:07Et Nassauer, il avait dans son livre Der Gute Doktor recommandé...
07:13Il était gynécologue, il avait recommandé que les gynécologues, avant l'accouchement, se lavent les mains.
07:19C'est tout bête, hein ? C'est tout bête.
07:20Et il a, je crois, travaillé pour le tsar de Russie à une époque.
07:22Exactement. Il avait été en Russie pour accoucher, non pas le tsar, mais sa femme.
07:26Alors, vous vous avez connu la guerre, et la guerre, vous étiez enfant...
07:29Oui, j'ai été caché pendant la guerre dans le sud-ouest, en Lothégarod et en Gironde.
07:33Et j'ai plaisir à rappeler que les paysans qui nous ont sauvé la vie,
07:38à Kazogita, Gironde, sont justes parmi les nations,
07:42qui, à mon avis, est la plus belle décoration qu'on peut rêver d'avoir.
07:45Oui. En fait, c'est en 1953 que le Parlement d'Israël, le Knesset,
07:48a décidé d'honorer les justes parmi les nations.
07:52Et il y en a aujourd'hui près de 30 000 dans le monde.
07:54Ah oui, oui, oui. Alors, ceux du sud-ouest, on leur nomme à la gare de Bordeaux.
07:58Il y a une plaque qui nomme les quelques dizaines de justes parmi les nations de la région du sud-ouest.
08:05Alors, ces paysans, mes parents ont gardé l'excellent contact avec eux.
08:08Je suis très longtemps retourné, et maintenant, je vais chaque été, autour du 15 août,
08:13à Castellon-la-Bataille, où vivent les enfants des justes de la nation, qui ont mon âge.
08:21Il se trouve aussi que vos études, c'est au lycée Charlemagne,
08:24où Gustave Doré, d'ailleurs, a fait ses études.
08:26Oui, le Charlemagne, c'est un lycée très chic.
08:28Il y a eu longtemps, nous en offlations le plus grand nombre.
08:32L'Académie française avait à un certain moment 4 ou 5 élèves du lycée Charlemagne parmi les 40 soi-disant immortels.
08:40Alors, il se trouve que la découverte de la peinture, je crois que c'est votre mère qui vous amène régulièrement au musée du Louvre.
08:46Absolument. Dès que mes parents sont revenus à Paris après la libération,
08:51mes parents, qui avaient l'habitude des musées, m'y ont conduit.
08:55Et je vous l'ai encore une parenthèse, celle-là, si vous allez me permettre de la développer.
09:00Si je suis allé dans les musées, c'est grâce à mes parents.
09:04Et un des grands échecs de ma carrière, c'est de ne pas arriver à imposer à l'enseignement supérieur,
09:10dans l'enseignement tout court, l'enseignement de l'histoire d'art dans les lycées.
09:14Si on n'a pas des parents qui vous conduisent dans les musées,
09:19les chances que vous avez de les connaître, d'y entrer, d'en participer, d'en bénéficier,
09:23d'en profiter, sont minimes. Et l'école ne fait pas son boulot.
09:26Elle devrait nous enseigner à nous tous dans l'histoire de l'art au lycée, comme c'est le cas en Italie.
09:32Les Italiens sont beaucoup plus à l'aise, il suffit d'aller au Louvre pour le vérifier,
09:36devant un tableau, que ne le sont les Français qui sont toujours un peu intimidés,
09:39qui ne savent pas très bien ce que c'est.
09:41On apprend à écrire, on n'apprend pas à voir à l'école.
09:44C'est un de mes grands échecs professionnels.
09:47Oui, mais peut-être qu'un jour quelqu'un y pensera.
09:49Ah ben j'espère bien.
09:50Le problème, ce sont les formalités administratives pour réussir ce genre de choses.
09:54Le problème, c'est que les inspecteurs d'académie n'aiment pas cette idée.
09:58Il faut dire qu'aujourd'hui, la priorité, c'est quand même d'apprendre à lire et à écrire.
10:02Et votre école au départ, qui a tout changé, c'est l'école du Louvre, Pierre Rosenberg ?
10:06Oui, absolument. J'ai fait en même temps des études de droit et des études d'histoire de l'art,
10:11à ce qu'on appelait à l'époque la section supérieure de l'école du Louvre.
10:15Elle avait toutes les mérites, cette section supérieure.
10:17Elle vous donnait le titre d'élève des grandes écoles,
10:20mais elle avait un gros défaut, c'est qu'elle ne vous assurait pas d'un poste.
10:23C'est-à-dire que vous aviez...
10:25Mais maintenant, naturellement, les jeunes qui passent le concours,
10:28comme on dit, le concours des conservateurs,
10:30du jour qu'ils auront réussi ce concours, deviennent... ont un salaire.
10:35Et par conséquent, c'est autre chose que nous qui peignions à passer ce...
10:40peignions beaucoup de mal à passer cet examen de la section supérieure de l'école du Louvre
10:46sans savoir du tout où nous allions.
10:48On dit, quelques-uns de mes collègues de ces années-là
10:52recevaient un magnifique titre, ça s'appelait... on était attachés libres.
10:56Attachés libres, c'est magnifique, sauf qu'on n'était pas payés.
11:00Voilà, mais vous avez gagné uniquement à être connu à cette période.
11:03Oui, j'ai eu de la chance, j'ai été nommé.
11:06J'ai reçu de mal en lui-même la lettre
11:09qui m'annonçait que j'étais nommé au département des peintures comme assistant
11:13alors que j'étais aux Etats-Unis, à Yale, comme boursier faucillon.
11:17Voilà, trois mois là-bas pour parfaire votre culture.
11:21Trois mois là-bas pour connaître les musées américains
11:23qui à l'époque, sur certains plans, étaient très à l'avance sur les musées français.
11:26Alors ça, c'est le point de départ de votre carrière.
11:28Il y a une autre date importante dans votre vie, et on va l'évoquer dans quelques instants,
11:32le 12 octobre 1994.
11:34A tout de suite sur Sud Radio avec Pierre Rosenberg.
11:37Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessy.
11:40Sur Sud Radio, les clés d'une vie, mon invité Pierre Rosenberg,
11:43nous évoquons votre parcours au musée du Louvre
11:45depuis le jour où vous avez découvert la passion des musées au Louvre
11:49et avec cette arrivée en France de votre famille.
11:52Et là, il y a une date importante dans votre parcours, c'est le 12 octobre 1994.
11:57C'est ce jour-là que vous vous êtes nommé président-directeur du Louvre,
12:00ce que vous n'imaginiez pas au départ.
12:02Non, bien sûr que non.
12:03Je ne me souvenais pas de la date.
12:05Moi j'avais l'impression que c'était le 13 avril.
12:07Mais enfin, vous savez ça mieux que moi.
12:10En tout cas, oui, j'ai été nommé à ce moment-là président-directeur du Louvre.
12:13C'est un poste assez intéressant qui n'existait pas depuis longtemps.
12:16Parce qu'autrefois, le Louvre était considéré comme un musée parmi les autres
12:19et le personnage important du Louvre, c'était le président,
12:22c'était le directeur des musées de France.
12:25Et de mon vivant,
12:28le Louvre a acquis son autonomie à tous les points de vue.
12:31C'est-à-dire autonomie financière, autonomie de gestion,
12:35et ça c'est tout nouveau.
12:37Michel Laclote, mon prédécesseur,
12:39le plus grand directeur du Louvre depuis Dominique Vivant-Denon,
12:43le directeur du Louvre à l'époque de Napoléon,
12:45a été le premier président-directeur du Louvre, et moi le second.
12:50Et c'est un poste assez amusant et assez important
12:54puisque, après tout, vous avez à gérer 2 200 personnes.
12:57Et vous avez été choisi alors que vous étiez le doyen des conservateurs.
13:00Je m'étais choisi parce qu'il n'y avait personne d'autre.
13:04Il y avait quelqu'un d'autre, je n'aurais pas eu le poste,
13:07mais c'était une nomination, si j'ose dire,
13:10elle n'a pas posé beaucoup de problèmes.
13:12Alors il se trouve aussi que vous avez débuté au bas de l'échelle
13:14et que vous avez petit à petit gravi les échelons, Pierre Rosenberg.
13:17Au département des peintures, j'ai été au département des peintures,
13:20assistant conservateur, conservateur, chef,
13:22je ne sais même plus comment, les titres successifs.
13:24En même temps, à chaque fois, ça a été une progression.
13:27Mais c'est un énorme travail depuis le début, depuis le jour 1.
13:30Le département des peintures, évidemment,
13:32et le grand département des peintures, à cause notamment de la rue de la Joconde.
13:37Il attire tous les regards.
13:39Donc le conservateur du département des peintures a une espèce de rôle important.
13:46Oui, important.
13:46Et surtout, il a un rôle très important dans un domaine
13:49qui m'a beaucoup occupé, intéressé, c'est celui des acquisitions.
13:54Si vous voulez un musée qui n'achète pas, un musée qui meurt,
13:57et le département des peintures, aujourd'hui encore,
14:00mais de mon temps aussi, naturellement, a beaucoup acheté.
14:03Le goût change.
14:04Et un musée comme le Louvre, qui a des prétentions universelles,
14:07de montrer un peu tout, doit tenir compte de cette actualité.
14:11Je parlais de Georges Latour.
14:12Il n'y avait pas de Georges Latour au Louvre avant la guerre.
14:15Il a fallu que la découverte de Georges Latour
14:18soit suivie par les musées, par l'achat des tableaux,
14:20très convoité par les musées américains.
14:22Par conséquent, le rôle du département des peintures,
14:25le rôle de ses conservateurs et de son chef, bien sûr,
14:29est de se tenir au jour de l'actualité,
14:32de voir un peu les artistes peu connus
14:35qui connaissent un retour de popularité.
14:39Je prends un exemple tout bête, un peintre que j'ai bien aimé,
14:42qui sublera, s'il y a eu une carrière franco-française et romaine,
14:46de mon vivant, je suis encore en vie,
14:49de mon été, un peintre totalement oublié aujourd'hui.
14:53Tous les grands musées du monde, la Nation Gallery de Londres,
14:56le Metropolitan, veulent leur sublérasse.
14:58Donc, il faut là aussi que le Louvre soit présent
15:01et qu'il soit, dans un certain sens, un peu avant les autres
15:04pour acquérir des œuvres avant qu'elles ne deviennent trop chères.
15:08Alors, le musée a beaucoup évolué sous votre présidence directoriale,
15:12mais quand vous êtes arrivé, mais vraiment comme simple assistant,
15:16le musée du Louvre était connu grâce à un feuilleton de télévision.
15:22Belphégor.
15:23Belphégor, car Belphégor a marqué l'histoire du musée du Louvre.
15:27Bien sûr, bien sûr.
15:28Vous aviez suivi ce feuilleton, Pierre Rosenberg ?
15:30Non, non, je ne me souviens pas très bien de Belphégor.
15:32En fait, pendant quatre semaines, la France était tellement accro à Belphégor
15:36que les salles de cinéma étaient vides le samedi soir.
15:38Ah bon, bravo.
15:39Et ça marchait, c'est-à-dire que c'était passionnant.
15:41Au départ, c'était l'adaptation d'un roman de 1927,
15:45mais le livre avait disparu et Claude Barbin, qui a réalisé le livre,
15:48a dû aller à l'Amnésie Nationale pour photocopier et photographier les pages.
15:52Et ensuite, André Malraux a refusé que l'on tourne au Louvre,
15:57et c'est simplement l'extérieur du Louvre qui a...
15:59Ah oui, je me souviens, je me souviens de ça.
16:01J'ai bien connu André Malraux, naturellement, j'ai bien connu, bien connu.
16:04Je lui ai souvent servi d'interprète.
16:08Ah bon ?
16:08Oui, parce qu'il croyait que je parlais bien les langues étrangères,
16:11et par conséquent, je me souviens d'une visite, absolument,
16:15mais qui était très amusante, où il promenait Adnoer,
16:19qui était à l'époque...
16:20Le chancelier ?
16:21Le chancelier allemand, qui ne parlait pas français,
16:24et Malraux ne parlait pas allemand.
16:26Moi, je faisais l'interprète, et je vous garantis,
16:28ce n'est pas mon métier, que de traduire Malraux en allemand,
16:31à toute vitesse, ce n'était pas une mince affaire.
16:34Surtout que Malraux partait dans des grands discours,
16:37un peu difficiles à traduire, des grandes envolées,
16:42et Adnoer, lui, collectionnait la peinture.
16:44Il y avait une jolie collection de tableaux allemands, naturellement,
16:46et lui, il voulait savoir le prix des tableaux.
16:48Alors, il disait à Malraux,
16:49« Vif il kost das Bild »
16:51et Malraux, naturellement, partait en grand deux.
16:54Mais pour revenir, et là, je ne me laisserai pas intimider par vous,
16:58sur ce que vous disiez du Louvre,
17:00on oublie que ce Louvre que j'ai connu,
17:03que j'ai parfois inauguré dans certains de ses grands moments,
17:07à l'époque, nous tous, nous avions calculé
17:10sur un Louvre de 4 millions de visiteurs.
17:11Nous avions pensé à 4 millions de visiteurs,
17:144 millions et demi, et maintenant, il y en a 10.
17:16Alors, ça pose toutes sortes de problèmes.
17:19Par exemple, je vous en pose un que je cite souvent,
17:21les toilettes.
17:22Quand vous avez pensé à des toilettes pour 4 millions de personnes,
17:25et qu'il y en a 10, ce n'est plus le même problème.
17:27Par conséquent, je comprends qu'aujourd'hui,
17:30ce genre de... qu'il faut tenir compte de cette évolution,
17:33et par conséquent, repenser une grande partie du musée.
17:36Les toilettes, les dames, elles ne veulent pas faire la queue une heure.
17:40Pourtant, c'est le cas souvent, maintenant.
17:42Nous n'avions pas pensé que le succès du Louvre serait tel,
17:47et que, quand je dis le succès du Louvre,
17:49le succès du Louvre, c'est-à-dire, en fait, de la Chaux-Comte
17:52et de quelques autres œuvres,
17:53mais peu serait-elle qu'il obligerait le musée
17:55à repenser complètement ses structures.
17:58– Mais quand vous êtes arrivé à la tête du musée Pierre Rosenberg,
18:01il n'y avait même pas de lumière dans toutes les salles.
18:02– C'est vrai, c'est vrai, c'est vrai, la lumière...
18:05Puis il y avait quelque chose qui amusait beaucoup
18:06les historiens d'art de tous les pays,
18:08il y avait partout marqué « colonne sèche ».
18:10Les gens se demandaient ce que c'était ces colonnes sèches,
18:13on les voyait partout, ces inscriptions sur le mur.
18:16Je ne pourrais pas vous répondre aujourd'hui sur ces colonnes sèches.
18:19– Il se trouve aussi que vous avez vécu la naissance du Grand Louvre,
18:22tout ce qui s'est passé autour, et ça a boosté le musée, ça a donné l'image.
18:26– Bien sûr, le musée est devenu un must obligatoire
18:29pour tout touriste qui vient à Paris.
18:31Ce que je regrette, évidemment, amèrement,
18:33c'est qu'il ne vienne que pour la Chaux-Comte.
18:35Nous pensions, nous aussi, quand nous avons repensé le Louvre,
18:37car c'est ça que nous avions fait,
18:39comme il faut le faire aujourd'hui, à nouveau, si j'ose dire,
18:42quand nous avions repensé le Louvre,
18:44non seulement nous avions pensé à 4 millions de visiteurs,
18:47mais nous n'avions pas suffisamment pris en compte le fait
18:49que ces visiteurs n'iraient voir que certaines œuvres.
18:52Qui iraient voir la Ville de la Victoire de Saint-Martin,
18:54c'est les esclaves de Michel-Ange, naturellement, la Chaux-Comte.
18:57Et peut-être si nous l'avions repensé
19:00en pensant à ces 10 millions de visiteurs à venir,
19:03nous aurions disposé les œuvres de manière moins rapprochée,
19:08de manière à ce que les visiteurs s'étaient répartis mieux dans le musée.
19:11Aujourd'hui, aller au Louvre,
19:13il y a des salles entières, des sections entières où il n'y a personne,
19:16et c'est désolant.
19:18Nous avons pris une décision très lourde,
19:20celle de présenter la peinture française au second étage de la Cour Carrée,
19:24et non pas dans la Grande Galerie.
19:26On aurait pensé que nous aurions voulu
19:28donner la priorité à la peinture française,
19:30parce qu'après tout, le Louvre est un musée français,
19:32et par conséquent, la présenter dans la Grande Galerie.
19:35Et nous ne l'avons pas fait, pour diverses raisons,
19:38mais une des raisons,
19:40c'est que si nous avions présenté la peinture française dans la Grande Galerie,
19:43nous aurions été considérés comme chauvins,
19:45comme nationalistes.
19:46Alors nous avons pris courageusement la décision d'aller au second étage,
19:50à l'époque, une décision lourde, qui a été critiquée.
19:53Et avec le temps, je crois que c'était la bonne décision.
19:56– Il se trouve aussi que vous aviez une double activité,
19:58car il fallait diriger le Louvre,
19:59et en même temps, hanter les galeries et même le marché aux puces
20:02pour trouver des tableaux.
20:03– Oui, bien sûr, mais ça faisait partie de mon métier.
20:05Un conservateur, il doit aller aux puces,
20:07j'en reviens, il doit aller à Maastricht,
20:09où j'étais avant-hier, la grande foire des antiquaires.
20:14Un conservateur doit être au courant de ce qui se passe dans son domaine.
20:17Alors j'allais aux puces,
20:18j'ai même trouvé aux puces des tableaux qui sont au Louvre.
20:20– C'est fou, hein ? – C'est fou.
20:22– Mais en 2012, il y a une Américaine,
20:23il y a des puces en Virginie, aux Etats-Unis,
20:26qui a acheté un tableau qui pourrait être peint par Renoir,
20:29et qu'elle a acheté 5,45 €.
20:31– Oui, mais est-ce qu'il était Renoir ?
20:32– On est en train de vérifier.
20:34Là aussi, il faut avoir l'œil pour vérifier,
20:37pour voir, comment on fait ?
20:38– Oui, l'œil c'est comme les médecins, c'est un diagnostic.
20:42Alors il y a des bons médecins qui disent tout de suite,
20:44vous avez, je ne sais pas quoi,
20:46et des mauvais médecins qui disent...
20:48L'œil, c'est le diagnostic du médecin.
20:50Et il y a des gens qui sont doués, qui ont de l'œil,
20:53et il faut leur placer dans les musées,
20:55parce que c'est eux qui font les bons choix,
20:59et il y en a d'autres qui n'ont pas l'œil nécessaire.
21:03– C'est-à-dire que vous avez l'œil au départ, puis on le dit.
21:05– Oui, vous l'avez, et puis en plus,
21:07vous l'avez perfectionné au fil des décennies.
21:09– Alors c'est un entraînement, l'œil.
21:10Si vous voulez, ce que je peux penser sur poussin a un poids.
21:13C'est-à-dire, si je dis qu'un tableau est de poussin ou pas de poussin,
21:16ça a un poids.
21:16Je ne dis pas que j'ai toujours raison,
21:18mais en principe, on croit que j'ai raison.
21:20Si je dis la même chose sur Rembrandt, ça n'a aucun poids,
21:22parce que je ne suis pas spécialiste de Rembrandt.
21:24C'est-à-dire que l'œil demande un entraînement,
21:28demande une pratique quotidienne.
21:31L'œil n'est pas que l'œil, il faut aussi y ajouter
21:35la pratique, la connaissance théorique.
21:38C'est-à-dire que j'ai peut-être un bon œil,
21:41disons-le pour le 17e français, peut-être même pour le 18e,
21:45mais mon jugement sur Velázquez n'a aucun poids.
21:48– Oui, mais parfois c'est un détail,
21:50une couleur ou quelque chose qui va faire la différence.
21:54– L'œil, c'est en effet, je vous dis, c'est un diagnostic.
21:58C'est là qu'on juge des bons médecins et des mauvais médecins,
22:02et qu'on juge des bons et des mauvais historiens de l'art.
22:05– Et vous, vous avez toujours eu le bon œil ou quelquefois vous…
22:08– On dit que j'ai le bon œil, on dit que j'ai les grands yeux,
22:11on les connaît, il y a une douzaine de grands yeux du siècle passé,
22:16Federico Zerri en Italie, enfin voilà,
22:18mais qui sont bons que sur certains domaines.
22:22Et on leur demande naturellement leur avis sur Renoir que vous citiez,
22:27ou sur un primitif hollandais, et leur avis n'a aucun poids.
22:32– En tout cas, votre avis a du poids, et pas seulement dans les musées,
22:36et on va évoquer une date importante dans votre vie aussi, le 7 décembre 1995.
22:41À tout de suite sur Sud Radio avec Pierre Rosenberg.
22:43– Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
22:46– Sud Radio, les clés d'une vie, mon invité Pierre Rosenberg,
22:50vous avez été pendant 7 ans le patron du musée du Louvre,
22:53vous avez d'autres shows, d'autres activités,
22:54vous êtes l'œil du 17ème siècle et de Poussin,
22:58et dans quelques jours, il y a le salon des dessins,
23:01on va en parler tout à l'heure aussi,
23:03mais j'en reviens au 7 décembre 1995,
23:05c'est ce jour-là où vous devenez immortel,
23:08où vous êtes élu à l'Académie française,
23:09ce qui a été une surprise pour vous.
23:11– Oui, j'ai été très poussé par un homme que j'aimais beaucoup,
23:15qui était académicien naturellement,
23:17et qui m'a dit un jour qu'il fallait que je me présente.
23:20J'ai eu beaucoup de chance, j'ai été élu la première fois
23:22que je me présentais, au deuxième tour, et beaucoup de chance.
23:26Je crois que ce qui a joué dans cette élection,
23:28c'est peut-être un peu de notoriété, le Louvre, tout ça a dû jouer,
23:33mais je crois que ce qui a joué surtout,
23:35c'est que j'ai eu, à l'inverse, hélas, pas mal de mes confrères,
23:40une certaine réputation internationale.
23:42Et l'idée d'avoir un historien de l'art connu en Italie, en Amérique, etc.,
23:47à l'Académie, a dû jouer à ma faveur.
23:51– Ça vous a surpris, vous aviez envie d'aller à l'Académie française ?
23:53– Oui, on se présente à l'Académie que si on a envie d'y aller,
23:58les gens font les coquets et disent, on est venu me chercher,
24:01n'en croyez pas un mot, il faut quand même l'envie.
24:05Vous savez, il faut quand même écrire 40 lettres, au moins,
24:07à la main, à chaque académicien, pour justifier votre candidature.
24:1240 lettres différentes, écrites à la main, avec sur l'enveloppe,
24:15ne pas voulu y mettre M. Dupont de l'Académie française.
24:19Il y a tout un rituel, et qu'il faut respecter.
24:22Si vous n'avez pas envie d'y entrer, ce rituel, vous le refusez.
24:27– Il y a des visites aussi, on dit qu'on va voter pour vous,
24:29ce qui n'est pas vrai.
24:32– Oui, bien sûr, naturellement, ça c'est sûr.
24:34Mais c'est normal, je crois qu'une fois élu,
24:36on devient l'égal de tout le monde.
24:38Mais moi, les visites, je reçois, je reçois.
24:41Pas toujours, et il y a très souvent trop de candidats pour les recevoir tous.
24:45Mais je reçois, je reçois.
24:47Non, l'Académie, moi, je la défends, naturellement,
24:50parce que c'est une institution comme il n'y en a plus beaucoup d'autres en France.
24:54Je veux dire, elle remonte au XVIIe siècle,
24:55c'est déjà une raison pour l'aimer.
24:57Elle maintient une certaine tradition,
25:00elle défend le français,
25:03qui, bien sûr, aujourd'hui, traverse de très très mauvais jours,
25:06et de très mauvais jours,
25:08elle défend le français comme elle le peut.
25:10Non, je trouve qu'elle a gardé sa réputation internationale.
25:14Et pour moi, c'est très important d'y défendre ma discipline,
25:17qui n'est pas représentée.
25:19Il y a très peu d'historiens d'art qui ont fait partie de l'Académie française.
25:22Il y a eu Émile Mahal, il y a eu René Huyghe,
25:26mais il y a très peu.
25:27Donc, si vous voulez, je me sens un peu investi d'une mission,
25:30tout ça avec des guillemets, bien sûr, de gros guillemets,
25:32d'une mission qui est celle de défendre une discipline qu'en France, on ignore.
25:36— Vous occupez le 23e fauteuil.
25:38Alors, le vôtre prédécesseur, c'était Henri Gouillet, un philosophe,
25:41que vous n'avez pas rencontré, et qui n'était pas très connu.
25:44— Mais il était connu, il adorait le théâtre.
25:47Il allait tous les soirs au théâtre.
25:48Il était connu parce qu'il était le grand spécialiste
25:51d'Auguste Comte et des philosophes de cette période.
25:55Et il était connu aussi parce qu'il ne parlait pas allemand
26:01et que, par conséquent, il défendait la philosophie française.
26:04Alors que c'est une discipline où la connaissance capillaire de l'allemand est nécessaire.
26:12— Il y a eu le premier grand moment, c'est la remise de votre épée,
26:15et c'est Hélène Carrière d'Encausse qui vous l'a remise.
26:17— Absolument, absolument.
26:19Sous la pyramide, devant la pyramide.
26:22Mon épée a une petite particularité, je vous interromps là.
26:25Quand Bonaparte est allé en Égypte, les participants,
26:30ses accompagnateurs qui étaient les savants,
26:33ont tous eu droit à une épée dessinée par Biéné.
26:37Et la mienne est une des épées d'un des voyageurs d'Égypte.
26:42Alors c'est naturellement pas celle de Bonaparte parce qu'elle était en or.
26:45Je voudrais que ce soit celle de mon illustre prédécesseur,
26:48Dominique Vivant, de nom,
26:49mais c'est une épée, et j'ajoute qu'elle ne m'appartient pas.
26:52— Ah bon ?
26:53— Parce qu'elle a été choisie par un conservateur du Louvre,
26:56et qui m'a obligé à l'offrir au Louvre sous réserve du Jufry.
27:01Donc tant que je suis vivant, je la porte.
27:03Dès que je serai mort, elle ira dans les vitrines
27:06du département des objets d'art du Louvre.
27:08— Le plus tard possible.
27:09Et votre fauteuil a été occupé par quelqu'un que vous admirez aussi
27:12pour son amour de la peinture, c'est Charles Perrault.
27:15— Oui, c'est juste l'homme de la colonnade, oui, oui, bien sûr.
27:19— Je crois qu'il adorait Poussin, lui aussi.
27:20— Ah oui, bien sûr.
27:21Oui, oui, cette colonnade dont on parle beaucoup maintenant,
27:23qui redeviendra la seconde entrée du musée.
27:26— En fait, Charles Perrault, les jeunes le connaissent
27:29à cause des contes de Perrault, bien sûr.
27:31— Oui, le Perrault, oui, c'est celui-là qui était mon prédécesseur.
27:35Et moi, je parlais de l'architecte.
27:36— Oui, bien sûr.
27:37Mais votre prédécesseur, en plus, il avait un point commun avec votre père.
27:41Charles Perrault devait être avocat au début.
27:43Il est devenu écrivain et romancier,
27:45et il a aussi été receveur des finances,
27:47et a fait une carrière politique avant d'écrire pour les enfants.
27:49— Personne n'est parfait.
27:50— Exactement.
27:52Il y a aussi Étienne Gilson, votre prédécesseur.
27:55Et là aussi, vous avez assuré sa relève à votre manière
27:58en faisant une conférence à la National Gallery de Washington.
28:02Ça, ça a été un moment important.
28:03— Oui, à Washington, il y a des conférences considérées comme très chics,
28:05qu'on appelle les Mellon Lectures, et qu'on fait le samedi après-midi.
28:10Et alors moi, j'avais accepté de les faire.
28:12J'avais malheureusement un peu de travail au Louvre.
28:14Mais les gens qui organisaient ces conférences
28:16m'avaient permis de prendre le Concorde.
28:18Alors je prenais le Concorde le samedi matin.
28:20Je faisais ma conférence le samedi après-midi.
28:22Je repartais le lendemain matin, enfin oui, le lendemain, pour Paris,
28:27de sorte que j'avais quitté le Louvre le vendredi,
28:30et j'étais dans mon bureau le lundi matin.
28:32Et le Concorde, pour ça, avait quelques avantages.
28:34— Il se trouve aussi que cette carrière internationale dont vous parlez,
28:37cette reconnaissance, comment c'est venu ?
28:38C'est venu petit à petit, Pierre Rosenberg ?
28:40— C'est venu petit à petit.
28:41Si vous voulez, c'est venu par les expositions,
28:43surtout, je crois, que j'ai faites.
28:45Parce que les expositions que j'ai faites sur Poussin, sur Fragonard, sur Watteau,
28:49et bien d'autres, toutes ces conférences, toutes ces expositions,
28:53je les ai faites, naturellement, au Grand Palais,
28:56mais je les ai faites aussi toujours avec des musées étrangers,
28:58que ce soit le Metropolitan, que ce soit Washington,
29:01que ce soit des musées moins importants.
29:03Et c'est comme ça, évidemment, que d'une part,
29:06j'ai pu faire connaître des artistes que ces pays-là ne connaissaient pas,
29:09et surtout, c'est par ces expositions qu'on a su ce que je faisais.
29:13— Oui, mais en même temps, vous avez non seulement fait les expositions,
29:16mais réalisé les catalogues, ce qui représente des centaines de pages,
29:19ce qui est un travail.
29:20Aujourd'hui, dans l'exposition, il y a toujours dix personnes qui font ça,
29:22vous vous étiez tout seul.
29:24— Oui, j'aime bien les catalogues faits par une seule personne.
29:26Quand elles sont faites par trop de personnes,
29:28on ne voit plus très bien qui pense quoi.
29:30C'est un peu l'évolution des catalogues, la matrice.
29:33Et j'aime bien les catalogues où quelqu'un se dévoue complètement
29:36à la réhabilitation ou à la meilleure connaissance d'un artiste,
29:40et non pas ce partage en chapitres
29:43qui, à mon avis, me dérange un peu.
29:45Heureusement, il y a encore de bonnes expositions.
29:47— Oui, mais en même temps, c'est un énorme travail, Pierre Rosenberg.
29:50— Oui, mais ça s'y pose de ne pas prendre de vacances, il n'y a pas de secret.
29:53— Je crois que dès 7h30 du matin, vous êtes à votre bureau.
29:56— Oui, bien sûr, mais surtout, je ne prenais pas de vacances.
29:58— Et alors ?
29:59— Je suis très heureux, je n'en prends toujours pas des vacances.
30:02Et je crois que les vacances, quand je serai président de la République,
30:05puisque vous m'avez interdit de politique, j'en fais là,
30:07quand je serai président de la République,
30:09mon premier décret sera « les vacances sont supprimées ».
30:12— Oui, c'est ça.
30:13— Ça vous donne des chances d'être élu.
30:15— Oui, mais je ne suis pas sûr que ce soit très populaire pour l'instant.
30:18— Ah bon ?
30:19— Alors, vous avez été aussi conservateur du Musée national de l'amitié franco-américaine.
30:24Ça, c'est quelque chose d'important aussi,
30:26car ça réunit des amateurs du monde entier.
30:28— C'est un musée national qui a été créé par une Américaine
30:31qui avait beaucoup aidé la France pendant la guerre de 1914
30:34et qui, surtout après la guerre, s'est beaucoup occupé des réfugiés Anne Morgan.
30:41— Vous voulez une petite anecdote sur Anne Morgan ?
30:43Alors, quand je suis arrivé à ce poste,
30:45ce qu'on m'avait demandé, c'est d'un musée qui était en perdition totale,
30:48et on me l'avait confié parce qu'on savait mes amitiés
30:51pour les États-Unis et pour les relations franco-américaines.
30:54Quand je suis arrivé, je me suis dit « il n'y a rien de plus facile ».
30:57Anne Morgan, qui avait donc fait tout pour ce musée,
31:00qui était morte à Paris,
31:02Anne Morgan, donc, je vais aller voir la banque Pierre-Pierre Morgan,
31:06ils vont me donner tout l'argent dont j'ai besoin
31:08pour retaper ce musée qui avait fichument besoin.
31:10Alors, je suis allé, ils m'ont quasiment mis à la porte.
31:12— Carrément ?
31:13— Je me suis dit « qu'est-ce qui arrive ? Qu'est-ce que je fais ? »
31:15Et alors, j'ai mis du temps à comprendre ce qui était arrivé
31:18et qui, heureusement, aujourd'hui, n'est plus à l'ordre du jour
31:21et qui, au contraire, fait que la banque Morgan aide le musée de Bérencourt,
31:26c'est que Anne Morgan était lesbienne.
31:29Et d'avoir dans cette banque quelqu'un qui était propriétaire en partie de cette banque
31:36avec ses moeurs, ce qui à l'époque était considéré comme essaim.
31:39Donc, ils ne voulaient pas, c'était le mouton noir.
31:42Par conséquent, donner de l'argent à ce mouton noir,
31:46si je dois dire, c'était impensable.
31:47Ils m'avaient mis à la porte à cause de ça.
31:49Aujourd'hui, la banque Morgan aide beaucoup le musée de Bérencourt.
31:52Donc, vous voyez là aussi les changements de mentalité.
31:55Et c'était vraiment la raison.
31:57— Bérencourt, c'est dans le nord, je le précise, dans le nord de la France.
32:00— Oui, en l'Aisne.
32:02— Et en même temps, c'est un musée aujourd'hui qui a retrouvé sa place grâce à votre travail,
32:05ce qui n'a pas été simple.
32:06— Oui, oui. Oui, je me suis bien amusé à réhabiliter ce musée.
32:10J'avais fait appel à l'époque à un architecte, Yves Lyon,
32:15et puis à notre plus grande surprise.
32:17Alors là, c'était une surprise totale.
32:19L'aile qu'il avait remodelée, qu'il avait construite,
32:22lui a valu ce qu'on appelle l'équerre d'argent,
32:26qui est la plus grosse récompense qu'un architecte puisse avoir en France.
32:29Alors cette équerre d'argent a fait que le musée de Bérencourt
32:32a reçu la visite de tous les architectes qui voulaient voir
32:35pourquoi Yves Lyon avait reçu cette reconnaissance.
32:39— Il se trouve aussi que, grâce à vous,
32:41non seulement l'Ouvre, mais ce musée et quelques autres ont retrouvé une nouvelle vie,
32:45ce que vous n'imaginiez pas au départ,
32:47car quand vous avez débarqué dans un musée pour la première fois,
32:50ça n'avait rien à voir, les musées auraient pu disparaître.
32:52— Oui, bien sûr, bien sûr.
32:54Mais c'est amusant de réhabiliter un musée.
32:56À l'heure actuelle, j'ai...
33:01Comment dire ?
33:02Oui, j'ai un ami, c'est le bon mot,
33:05qui s'occupe justement de, non pas de réhabiliter le musée,
33:08mais de créer le musée qui sera consacré au XVIIe siècle,
33:12le musée du grand siècle, qui ouvrira en 2027,
33:15et qui s'incloue dans des bâtiments qu'on voit parfaitement
33:20quand on va à Versailles à partir de l'autoroute,
33:22et qui sera un musée consacré au XVIIe siècle,
33:25mais qui sera aussi consacré à ma collection, que je lui ai donnée.
33:27— On va en parler justement tout à l'heure,
33:29mais il y a aussi un autre festival que vous avez lancé,
33:31c'est le Festival de l'histoire de l'art de Fontainebleau.
33:33— Oui. — Et ça aussi,
33:34vous avez ouvert à un public qui considérait
33:36que c'était presque réservé à une élite.
33:38— Oui, oui. Mais Fontainebleau, c'est un bon festival
33:41où tout le monde peut venir avec des conférences,
33:43et chaque année, c'est un pays qui est invité.
33:46Vous, je laisse deviner à vos auditeurs
33:48quel a été le premier pays que j'ai invité.
33:51— Les États-Unis ? — Non.
33:52— Non ? — L'Italie.
33:53— L'Italie, bien sûr.
33:54— L'Italie, vous savez, les historiens de l'art,
33:57ça c'est aussi une particularité de cette profession,
34:00tout le monde parle anglais, à tort et à travers,
34:02très mal en général, et il y a un domaine
34:05où l'anglais est supplanté par une autre langue,
34:08et c'est l'italien qui supplante l'anglais parmi les historiens de l'art.
34:11Vous voyez un Hollandais parler à un Canadien en italien.
34:14C'est resté la première langue,
34:17contrairement à ce qu'on pourrait croire, de l'histoire de l'art.
34:19— Et le travail aussi d'un historien est incroyable
34:22parce qu'il faut vérifier chaque détail.
34:24On n'a pas le droit à l'erreur, Pierre Rosenberg.
34:25— On n'a pas le droit à l'erreur. — Comment on fait ?
34:27— C'est-à-dire, l'historien de l'art, vous avez parlé de l'œil,
34:30mais c'est aussi la consultation des archives, des documents,
34:34c'est un travail de fourmi, il faut vérifier tout.
34:37Il faut tout vérifier.
34:38Une provenance, qui a jeté quoi, pour quelle somme, quand.
34:43— Et voilà. Et il y a aussi des cinéastes qui sont passionnés par l'art,
34:47et notamment Alfred Hitchcock dans ce film.
34:50« La vie de Pierre Rosenberg »
34:53Je ne sais pas si vous le savez, Pierre Rosenberg est en psychose.
34:56Un film d'Alfred Hitchcock.
34:57Il a utilisé le tableau « Maison de la voie ferrée » d'Edouard Hopper.
35:00— Ah oui ? Ah oui, je savais pas. J'aime beaucoup Hopper.
35:03— Voilà. Et donc, peu de gens le savent,
35:06mais le décor de ce film, c'est le tableau d'Hopper.
35:08— Qui, à l'époque, n'avait pas la gloire qu'il a aujourd'hui.
35:10— Exactement.
35:11— C'est un peintre qui...
35:12C'est une redécouverte de l'histoire de l'art des 20 dernières années.
35:16— Mais il y a des hauts et des bas dans les cotes des peintres.
35:18— Il y a des hauts et des bas.
35:20Oui, c'est vrai.
35:21L'exemple le plus frappant, c'est les pompiers,
35:25que l'on a méprisés, qu'on aurait volontiers détruits.
35:28Les tableaux des pompiers qui, aujourd'hui, sont revenus à la mode.
35:31Je reviens, je me répète, de la foire, la grande foire de Maastricht,
35:37qui est le grand événement.
35:38Eh bien on voyait beaucoup de stands avec ces tableaux
35:41qu'il y a 20-30 ans, on aurait jetés à la poubelle.
35:45— Et comment ça s'explique ?
35:46— Le goût, l'évolution du goût.
35:49L'évolution du goût.
35:51Caravage, qu'est-ce qui plaît chez Caravage ?
35:53La violence, le côté très direct.
35:57Si on raconte une scène et vous êtes là, ça ne plaisait pas autrefois.
36:02On préférait la sérénité, le calme absolu de Raphaël,
36:07l'espèce de paix que produisent ces tableaux, l'espèce de recueillement.
36:11Voilà.
36:12Si Poussin n'est pas à la mode, c'est parce que, justement,
36:16il ne correspond pas tout à fait à l'esthétique d'un jour.
36:19Alors Cézanne, bien sûr, qui voulait refaire du Poussin sur nature.
36:23Les peintres adorent Poussin.
36:24Les historiens d'art aussi.
36:26Mais le grand public ne se sent pas concerné par les tabous de Poussin.
36:29J'espère que mon livre mettra bon ordre à tout cela.
36:33— J'en suis convaincu.
36:34Et en attendant, avant ce livre, il y a la date du 26 mars 2025
36:38que nous allons évoquer dans quelques instants sur Sud Radio avec Pierre Rosenberg.
36:42— Sud Radio, les clés d'une vie. Jacques Pessis.
36:45— Sud Radio, les clés d'une vie.
36:47Mon invité Pierre Rosenberg,
36:48vous avez un parcours exceptionnel à la fois dans le monde entier
36:52avec vos expositions, vos catalogues,
36:54avec le Musée du Louvre que vous avez présidé pendant 7 ans,
36:58avec l'Académie française dont vous êtes aujourd'hui le doyen,
37:01d'ailleurs depuis la disparition de Caradancos.
37:03— Le doyen d'élections, pas le doyen d'âge.
37:07— Non, le doyen d'élections.
37:08Et donc le 26 mars 2025 débute le 33e Salon du dessin à Paris
37:13qui est au Palais Brongniart.
37:15Et ce salon, pour vous, c'est quelque chose d'important.
37:17— Il est capital, il est absolument capital.
37:20Je parlais de Maastricht, dans le domaine du dessin,
37:22c'est l'événement annuel que tout amateur de dessin,
37:26qu'il soit conservateur ou qu'il soit collectionneur, ne peut pas rater.
37:29Il faut y être.
37:31— Pourquoi ?
37:31— Parce qu'ils sont réunis là,
37:33les principaux marchands de dessin du monde entier
37:35qui présentent leurs inquisitions
37:37que très souvent ils réservent pour le Salon du dessin.
37:40C'est-à-dire, ils achètent un dessin, ils le mettent bien au chaud
37:43pour ne le présenter qu'au Salon du dessin.
37:45Il faut être au Salon du dessin.
37:47Si on n'est pas au Salon du dessin,
37:48on n'est ni conservateur de dessin, ni collectionneur.
37:51— Toutes sortes de dessins ?
37:52— Toutes sortes de dessins, presque jusqu'aux dessins contemporains,
37:56mais toutes sortes de dessins de tous les pays, de toutes les écoles.
37:59Alors les collectionneurs de dessin, c'est une race assez particulière.
38:03Je racontais tout à l'heure qu'il y avait un couple d'Américains
38:07qui collectionnaient les dessins de tout siècle, de tout pays, de toutes écoles.
38:11Et ils avaient 100 dessins, pas un de plus simple.
38:14Et quand ils voulaient en acheter un 101e,
38:16ils se posaient la question, le soir des feux,
38:20lequel de leurs 100 dessins il fallait sacrifier pour le 101e.
38:23Et s'ils trouvaient que le sacrifice n'en valait pas la peine, ils l'achetaient pas.
38:27Si au contraire, etc.
38:29C'est une manière de collectionner.
38:31Alors il y a des collectionneurs qui sont boulimiques,
38:34il y a ceux qui n'achètent que les paysages,
38:35il y a ceux qui n'achètent que les dessins hollandais,
38:38il y a ceux qui n'achètent que les animaux sur les dessins.
38:40Et tout ce monde se retrouve, à partir de la date que vous avez dite là,
38:45tout le monde fera la queue à 3h pour être le premier à entrer au salon du dessin,
38:50dans l'espoir que quelqu'un ne lui aura pas shippé le dessin qu'il convoitait.
38:54Tout le monde sera là.
38:55Et puis il y a un événement qui se joint à ça,
38:58c'est le déjeuner du salon du dessin.
38:59Alors ne pas être invité au déjeuner du salon du dessin,
39:03c'est la honte définitive.
39:06C'est un événement merveilleux.
39:07Moi j'y vais depuis qu'il existe, avec passion.
39:11Et je crois qu'il a débuté très modestement à l'hôtel Georges V,
39:14il y avait 17 exposants en 1991.
39:16Oui, j'ai vu en effet sa transformation.
39:19J'ai vu surtout une chose qui, à mon avis, il faut souligner,
39:23c'est que Paris, à cause du salon du dessin,
39:26est devenue la capitale mondiale du marché du dessin.
39:29Autrefois, quand on s'intéressait au dessin, on allait à Londres.
39:33C'était Londres qui avait le monopole.
39:35Aujourd'hui, de Londres, plus personne ne parle.
39:37On ne parle que de Paris.
39:38Que si un Allemand veut vendre un dessin,
39:41et s'il y a un acquéreur aux États-Unis,
39:43ça passe par un marchand de Paris.
39:45C'est vraiment...
39:47Le salon du dessin est une sorte de monopole du dessin.
39:49Et dans un moment où la France perd souvent des places dans les classements,
39:53dans le domaine du dessin,
39:54Paris est aujourd'hui le numéro un mondial sans aucun doute.
39:58Oui, mais on connaît les collectionneurs de peinture,
39:59on connaît moins les collectionneurs de dessin.
40:01C'est une autre race.
40:02Moi je connais les deux races un petit peu,
40:03je me suis beaucoup occupé de ces deux races.
40:05C'est deux races différentes.
40:06Si vous voulez la grande différence,
40:07si vous achetez un tableau, vous l'accrochez à vos murs.
40:09Un dessin, vous le mettez dans vos cartons.
40:11C'est une chose plus intime, le dessin.
40:13C'est une chose plus intime, plus difficile.
40:16Qu'est-ce que c'est qu'un dessin ?
40:18C'est la réflexion d'un artiste,
40:20ce n'est pas toujours le cas,
40:21c'est la réflexion d'un artiste qui, à travers sa pensée,
40:25transforme une idée en une image.
40:27L'image est peinte,
40:29le dessin est l'intermédiaire entre cette pensée et l'œuvre définitive.
40:34C'est par conséquent un moment de création particulièrement intéressant.
40:37On voit l'artiste réfléchir à l'idée qu'il a eue,
40:41à la transformer, cette idée, en quelque chose de visuel.
40:44Et le monde du dessin a ses codes aussi.
40:46Avec les encres, il y a de l'encre dessin à la plume.
40:49Il y a toutes les techniques possibles et imaginables.
40:51Toutes les techniques possibles et imaginables.
40:52Il y a autant de variétés de dessins que de variétés de collectionneurs.
40:57Et tout ce monde s'observe.
40:59On perd un peu de temps à dire bonjour à gauche et à droite,
41:02mais on voit réunis en un seul lieu, venus du monde entier,
41:06le meilleur de ces dessins.
41:09Les collectionneurs de dessins sont plus discrets,
41:12plus repliés sur eux-mêmes.
41:14C'est une autre race que les collectionneurs de tableaux,
41:17mais c'est une race passionnante.
41:19Si vous voulez, les collectionneurs sont des créateurs athées.
41:23S'ils étaient vraiment créateurs, ils peindraient,
41:24ils écriraient des poèmes, etc.
41:26Leur création, c'est leur collection.
41:31Ce qu'ils veulent par leur collection, c'est survivre.
41:34Ils survivent en donnant leur collection,
41:38en publiant le catalogue de leur collection.
41:40Cette survie leur est assurée par le dessin.
41:43En même temps, on peut collectionner des dessins
41:45plus que les tableaux de maître, ça coûte un peu moins cher.
41:47Non.
41:48Même pas ?
41:48Même pas.
41:49Aujourd'hui, il y a des dessins qui valent plus cher que des tableaux
41:52du même artiste.
41:53Non, non.
41:54Il y a eu la...
41:54Oui, vous avez raison d'insister sur ce point.
41:57J'ai connu l'époque, c'est là que j'ai commencé
41:59moi-même à collectionner les dessins,
42:01où le dessin ne coûtait rien par rapport aux tableaux.
42:03Maintenant, l'échelle, c'est complètement...
42:06Le fossé n'existe plus.
42:08Il y a des dessins qui...
42:09Il y a maintenant des dessins qui valent plusieurs millions d'euros.
42:12Vraiment plusieurs millions d'euros.
42:14Et il faut aussi se dire qu'il n'en reste plus beaucoup de dessins.
42:18C'est-à-dire que les musées ont tellement accaparé
42:20qu'aujourd'hui, recréer une grande collection,
42:23c'est presque devenu impossible.
42:25Si vous voulez des dessins de Raphaël ou de Michel-Ange,
42:28c'est fini, il n'y en a plus.
42:29Il n'y en a plus ?
42:29Il n'y en a plus. Presque plus.
42:31Il faut fouiller peut-être les puces ou autre chose, non ?
42:33Oui, il arrive des miracles qu'attendent tous les marchands de dessin.
42:36Mais ce qui est passionnant, c'est de voir qu'une discipline
42:39comme le dessin, qui était un peu méprisé en France,
42:45est redevenue une discipline à la mode.
42:47Et comment un pays qui était un pays de second plan
42:51est redevenu en quelques années,
42:53alors que le pays lui-même n'a peut-être pas connu le même progrès,
42:57est redevenu capitale mondiale.
42:59Si vous voulez, le dessin, c'est Paris.
43:01Et ça, je l'ai vu de mes yeux,
43:03et c'est un grand plaisir de le vérifier chaque année.
43:06Alors, ce qu'il faut savoir aussi,
43:07c'est que les enfants sont concernés
43:10puisqu'il y a un concours de dessin au Palais Brogniart
43:12parce que c'est une façon de préparer l'avenir.
43:14Il y a les enfants, il y a aussi les conférences
43:16qui ont chaque année un thème.
43:18Non, il y a toutes sortes d'activités autour.
43:20Il y a un musée invité.
43:22Cette année, c'est le musée de Reims qui est invité
43:25parce qu'ils ont un fonds de dessin, notamment allemand, très important,
43:28qui sera présenté pendant...
43:30J'ai moi-même été invité,
43:31j'ai présenté il y a quelques années la crème de mes dessins
43:36qui ne sont plus mes dessins
43:36puisqu'ils appartiennent au Musée du Grand Siècle.
43:38Alors, en même temps, il y a les dessins...
43:41Quand on voit la BD, par exemple,
43:42quand Hergé faisait ses planches,
43:44il était persuadé que ça intéresserait les enfants.
43:46Aujourd'hui, elles valent plusieurs millions d'euros dans les ventes.
43:48Bien sûr, et Angoulême est devenue la capitale de la bande dessinée
43:53au même titre que le Palais-Bourgnard est devenu la capitale mondiale
43:57pendant quelques jours du dessin.
43:59Et je connais des dessinateurs qui, dans les signatures,
44:02on vient de leur apporter une planche
44:03puisqu'à l'époque, elle se volait
44:04sans se rendre compte qu'elle valait beaucoup d'argent.
44:06Bien sûr.
44:06Alors, vous avez aussi la collection
44:09et vous vous qualifiez de collectionneur compulsif.
44:12Oui, je ne suis pas un bon collectionneur.
44:14Je ne suis pas un bon collectionneur.
44:16Si vous voulez, les bons collectionneurs sont ceux qui ont 100 dessins
44:20que j'évoquais tout à l'heure.
44:21100, on peut aller jusqu'à 1 000 ou 500.
44:24Mais moi, j'en ai beaucoup plus parce que j'ai trop acheté dans ma vie.
44:28Vous savez, collectionner, c'est un métier à plein temps.
44:31Et si vous voulez, les bons collectionneurs ne font rien d'autre.
44:34Ils ne font rien d'autre.
44:35Il faut se concentrer, il faut savoir ce que c'est,
44:38économiser pour acheter quelque chose qui sera trop cher, etc.
44:44C'est un métier à plein temps.
44:45Moi, j'ai malheureusement dans ma vie fait d'autres métiers
44:47qui m'ont pris beaucoup de temps
44:49et je n'ai pas pu consacrer autant de temps qu'il le faudrait
44:51pour être de la race des collectionneurs.
44:55Et les collectionneurs consacrent beaucoup de temps.
44:59Vous avez le collectionneur qui dit
45:00je n'ai pas pris de vacances parce que je voulais acheter ce dessin,
45:03qui dit si j'avais pris des vacances, je n'aurais pas pu me payer.
45:06Vous avez toutes sortes...
45:09Il y a le collectionneur qui dit je l'ai payé trop cher.
45:11Il y a le collectionneur qui vous raconte
45:12ah, j'étais chez ma grand-mère et derrière la porte
45:15il y avait un petit dessin, je ne lui avais rien dit, etc.
45:18Vous avez toutes les gradations de convoitises
45:23qu'il y a chez les collectionneurs.
45:25Moi, j'aime beaucoup l'atmosphère du salon du dessin.
45:28En même temps, ces salons du dessin,
45:30bon, il y a beaucoup de collectionneurs,
45:31mais votre premier...
45:32Il y a beaucoup de conservateurs
45:36qui se concentrent pour le conservatisme,
45:38qui savent qu'ils auront à dépenser 200 000 dollars
45:42et qui attendent le salon du dessin pour les dépenser
45:45et qui se disent si j'achète celui-là,
45:46je ne pourrai pas acheter celui-là.
45:47Donc, il y a beaucoup de gens qui sont là,
45:50ils passent des nuits blanches à réfléchir à ce qu'ils vont faire.
45:54Et puis, alors vous, votre premier dessin que vous avez acheté,
45:56je crois que c'est au Musée du Louvre,
45:57lors de votre première visite avec votre mère.
45:59Ce n'est pas au Musée du Louvre,
46:01j'avais acheté une gravure,
46:03vous voyez comme quoi on n'est pas fidèle à ses parents,
46:05une gravure de l'Ursa,
46:07un artiste connu pour les tapisseries qui sont à Angers.
46:10Et j'avais acheté cette gravure
46:11que je ne retrouve pas chez moi,
46:12à plus grande tristesse,
46:13mais j'avais 12 ans.
46:14Exactement.
46:15Et comment est venu le désir de collectionner autant ?
46:18C'est un vice.
46:19Alors, c'est un vice,
46:21comme vous savez, la lecture est un vice impuni.
46:23Et le collectionner, c'est un vice impuni également.
46:25Mais c'est un vice, c'est-à-dire qu'il y a des gens
46:27qui sont frappés par ce vice tout jeune
46:30et qui ne peuvent pas y échapper.
46:32Et il y a ceux qui découvrent ce vice plus tard.
46:35Mais en gros, c'est un vice de jeune,
46:37qu'on acquiert jeune.
46:38J'ai commencé,
46:39j'ai collectionné quand j'étais jeune,
46:40les plumes d'oiseaux, les billes,
46:41j'ai tout collectionné.
46:43Et je vois très bien,
46:44parmi les jeunes conservateurs qui viennent me rendre visite,
46:47ceux qui ont été frappés par le vice
46:49et ceux qui, au contraire,
46:51s'en tiennent à distance.
46:53Je crois que vous avez 694 tableaux,
46:553500 feuilles de dessin,
46:5745 000 livres et 1500 boîtes d'archives.
47:00Voilà.
47:00Faut les entreposer, tout ça ?
47:02Mais oui, tout ça va aller au Musée du Grand Siècle.
47:04Tout ça va allonger, en ce moment,
47:05des demoiselles qui s'occupent de ma bibliothèque,
47:11qui est une bibliothèque importante pour le XVIIe,
47:13et il se pose tout de suite la question
47:15de savoir si au Musée du Grand Siècle,
47:17cette bibliothèque sera figée ou si, au contraire,
47:19elle restera vivante.
47:20C'est une grande décision.
47:22Ma documentation est en cours de numérisation.
47:25Elle sera consultable dès l'ouverture du musée.
47:28Mes tableaux seront en partie dans le Musée du Grand Siècle
47:30et en partie dans le Musée des collectionneurs.
47:33Et mes dessins seront au cabinet des dessins du Musée du Grand Siècle.
47:36Je suis très content de cette formule.
47:37Je précise que le musée sera à Saint-Cloud
47:40et je représente une chose importante
47:41que j'ai découverte il y a peu de temps,
47:43c'est qu'on peut y aller en métro.
47:45C'est pratique, oui.
47:46Ça oui, c'est indispensable.
47:47Il y a aussi, on se demande,
47:50parce que vous avez quand même un âge assez avancé,
47:51le secret de votre année de jeunesse.
47:53Et je pense qu'il peut être lié à cette chanson.
47:55Si je porte à mon cou
47:57Un souvenir de toi
48:00Ce soupir de soie
48:04Qui soupire après...
48:06C'est une chanson qui s'appelle « L'écharpe » de Maurice Fanon,
48:08qui est une des plus belles chansons de France.
48:10Et vous ne quittez jamais ces écharpes rouges
48:13qui, au départ, devaient être bleues, je crois.
48:15Oui, il y a eu un moment où je...
48:16Oui, c'est ça.
48:16Mais le bleu ne me va pas.
48:18Alors je porte cette écharpe rouge maintenant.
48:20Je précise quand même pour vos auditrices
48:23que je ne la porte pas la nuit.
48:24Voilà.
48:24Mais pourquoi cette écharpe ?
48:26C'est parce que...
48:26Je ne sais pas pourquoi.
48:27Elle m'est tombée dessus il y a très longtemps maintenant
48:29et elle m'est devenue habituelle.
48:32On me reconnaît quand même...
48:33Ma femme me reconnaît dans les foules
48:35à cause de mon écharpe.
48:36Mais Marcel Dassault, lui, avait une écharpe
48:38qu'il gardait tout au long de l'année,
48:40y compris l'été, parce qu'en plus...
48:42Moi aussi, je la garde moitié.
48:43Alors j'ai essayé d'en trouver de plus légère
48:45et ça ne va pas.
48:48Et vous avez aussi une autre vie,
48:50une semaine par mois, je crois, à Venise,
48:51car vous êtes un amoureux de Venise.
48:53Oui, oui.
48:53J'ai une maison à Venise où je vais chez lui.
48:56C'est là que j'ai beaucoup écrit.
48:57Mais vous avez oublié ma dernière vie,
49:00qui joue un grand rôle.
49:01Un grand rôle, c'est les chats.
49:03Oui, car vous avez des chats aussi.
49:04Oui, j'en ai en ce moment trois seulement.
49:07Seulement trois.
49:08Paul Léautoux avait 20 chats.
49:10Les chats, ma femme et moi, ne pourrions pas vivre sans chat.
49:13Ah bon ? Pourquoi ?
49:15Parce que c'est des amoureux
49:16avec qui nous sentons en complicité.
49:18C'est vrai ?
49:19Ah oui. Vous avez des chats ?
49:20Non, j'ai un chien.
49:22Vous voulez que je vous fasse de la peine
49:24puisque l'émission se termine ?
49:25Les amateurs de chiens, c'est...
49:27Les amateurs de chats, c'est Baudelaire.
49:29Oui.
49:29Les amateurs de chiens, c'est Bismarck.
49:31Voilà, je suis désolé.
49:33Je connais quelques cabots
49:34et ce qui me permet aussi d'avoir un chien.
49:36Et ce sont des compagnons fidèles comme les chats.
49:38Non, j'ai dit ça méchamment.
49:40Et Louis Nussera, que vous connaissez peut-être écrivain,
49:42ne pouvait écrire sans avoir un chat sur son bureau.
49:44Oui, bien sûr.
49:45Et Paul Léautoux, qu'on citait,
49:46ne vivait que pour les chats.
49:47Il habitait loin de Paris
49:48et tous les jours, il allait nourrir ses chats
49:51à l'heure du déjeuner.
49:52Oui, c'est normal.
49:53C'est tout à fait normal.
49:55Et alors l'avenir, maintenant ?
49:56L'avenir, c'est que Poussin est paru.
49:59La souscription à 290 euros, je l'ai déjà casée.
50:04Je vais m'attaquer, je pense, très vite maintenant
50:06à republier la correspondance de Poussin.
50:09Poussin écrivait de très belles lettres.
50:11Elles ont été publiées en 1911
50:14et un siècle plus tard,
50:15il est grand temps d'en faire une nouvelle édition.
50:17Vous êtes rare car vous êtes passionné.
50:18Vous avez toujours été passionné.
50:20Toujours.
50:20Ça ne s'arrangera pas ?
50:21Oui, oui, j'espère.
50:22J'espère pour l'instant, tout va bien.
50:24Bon, tout va bien.
50:25Et puis nous serons au Salon du dessin du 26 au 31 mars.
50:28Donc rendez-vous incontournable au Palais Brouillard.
50:30Absolument.
50:31Absolument.
50:32Et puis restez aussi jeune pour très longtemps
50:34et le plus longtemps possible.
50:35Je le souhaite moi aussi.
50:36On le souhaite à tous.
50:38Merci Pierre-Rosenberg.
50:39Merci à vous.
50:39L'Écriture d'une vie, c'est terminé pour aujourd'hui.
50:41On se retrouve bientôt.
50:42Restez fidèle à l'écoute de Sud Radio.
50:44Merci beaucoup.