• il y a 4 semaines
Mathieu Bock-Côté propose un décryptage de l’actualité des deux côtés de l’Atlantique dans #FaceABockCote

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00:00Il est quasiment 19h, merci d'être avec nous pour face à Mathieu Bocoté, chère Mathieu, bonsoir.
00:06Bonsoir.
00:07Bonsoir Arthur de Vatrican.
00:08Bonsoir Eliott.
00:09Le point sur l'information, c'est avec Isabelle Piboulot et ensuite on commence notre émission.
00:12Bonsoir Isabelle.
00:13Bonsoir Eliott, bonsoir à tous.
00:15La Nation se tient aux côtés des blessés, de l'ensemble des réunionnais, a déclaré sur X le Président de la République.
00:22Les forces de sécurité, de secours sont pleinement mobilisées pour venir en aide au sinistré du cyclone Garance
00:28qui a fait au moins 4 morts.
00:29120 000 foyers sont toujours privés d'électricité, plus de 310 000 habitants privés d'eau potable.
00:35Le ministre des Outre-mer est attendu sur place dans les prochains jours.
00:39A Londres, Keir Starmer souhaite la bienvenue à Volodymyr Zelensky, arrivé à Downing Street pour un entretien avec le Premier ministre britannique.
00:47Un sommet européen se tiendra demain pour réaffirmer le soutien à Kiev.
00:51Au lendemain de son altercation avec Donald Trump,
00:54le président ukrainien a affirmé que le soutien des Etats-Unis reste crucial.
00:59Le dirigeant américain l'ayant accusé de refuser les négociations de paix avec la Russie.
01:04Et puis l'état de santé du pape François reste stable sur le Vatican, hospitalisé depuis le 14 février.
01:11Le pronostic vital du souverain pontife de 88 ans est toujours réservé.
01:16Le pape a passé une nuit tranquille après une crise respiratoire.
01:20Hier, demain et pour le troisième dimanche consécutif, il ne devrait cependant pas être en mesure de célébrer la prière de l'Angélus.
01:28Merci chère Isabelle pour le point sur l'information.
01:31A la une de face à Mathieu Bocoté depuis 24 heures, le monde ne parle que de ça,
01:36sidéré par l'altercation du siècle entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, sans oublier J.Levens.
01:42Mais au-delà de la forme, que doit-on retenir de cette confrontation ?
01:46Éléments de réponse dans cette émission.
01:48A la une également, Emmanuel Macron refuse de renoncer unilatéralement aux accords d'Alger
01:53et renvoie dos à dos la communication du régime algérien et celle de son propre gouvernement.
01:58Ce sujet, je cite, ne doit pas faire l'objet de jeux politiques, d'où qu'il soit, a dit le chef de l'état.
02:04Avons-nous capitulé face au régime algérien ? On en parle dans cette émission.
02:09Enfin, vous recevez, cher Mathieu, ce samedi Nicolas Barret, non pour son livre, mais celui de son père.
02:14Un témoignage poignant, carné d'un appelé en Algérie, justement.
02:17Et cette question de la guerre revient-t-on jamais ? Michel Barret, vu par Nicolas.
02:22Voilà un entretien qui s'annonce passionnant et ce sera à suivre à partir de 19h30.
02:28Mais avant cela, commençons avec le clash du siècle.
02:31L'altercation entre Donald Trump, Volodymyr Zelensky et J.Levens.
02:35C'est la scène dont tout le monde parle, l'échange brutal hier soir.
02:39Qu'annonce-t-il pour l'avenir de l'Europe alors que Volodymyr Zelensky est actuellement à Londres pour rencontrer le Premier ministre ?
02:47Il est en train d'échanger actuellement avec le Premier ministre britannique.
02:50Alors, la question est de savoir à quelle partie de l'entretien nous réagissons et nous devons réagir.
02:57Parce que vous l'aurez noté, depuis hier, il y a trois segments qui ont été présentés médiatiquement.
03:03Et le commentaire sur les événements dépend de quel segment de l'échange Trump-Volodymyr Zelensky vous avez regardé.
03:11Si vous avez regardé seulement les trois minutes qui circulent partout, les trois-quatre minutes,
03:17où on voit Trump cogner politiquement Zelensky dans un sangeigne assez effrayant,
03:24moi j'ai regardé ça, ma première réaction que j'ai vue comme tout le monde,
03:27je me suis dit qu'on est devant un président voyou qui tape sur un homme qui se démène comme il peut depuis trois ans
03:33pour maintenir l'indépendance de son pays, agressé par la Russie.
03:37Les trois minutes qui sont présentées à tous à travers le monde par la télévision, c'est ce segment-là qui nous est présenté.
03:44Et je précise que l'événement politique international, qu'on connaît depuis hier, c'est une réaction du monde occidental à ces trois minutes décontextualisées.
03:55Donc en tant que tel, c'est la scène qu'on a vue.
03:57Si vous regardez ensuite les sept minutes, alors là vous voyez quelque chose d'autre, vous comprenez que ça monte un peu,
04:03que Zelensky, dans le cadre de ces échanges, a été, disons-le poliment, maladroit.
04:09Il a été maladroit et avec la personnalité d'un homme comme Donald Trump, avec la sensibilité de la nouvelle administration,
04:15cette maladresse allait se retourner contre lui inévitablement.
04:20Je note par ailleurs, et ce n'est pas un détail, je pense que dans l'esprit de Trump, ce que je vais dire va sembler un peu futile,
04:25mais je crois que c'est important, dans l'esprit de Trump, Zelensky ne pouvait pas se présenter à lui en sweatshirt.
04:30Il lui a fait remarquer dès le début, vous noterez. Autrement dit, le monde vient de changer, l'administration a changé,
04:36vous allez vous présenter à moi autrement que lorsque je vois comme un costume de comédien, dit-il à sa manière.
04:42Et troisième élément, si vous regardez les 50 minutes environ d'entretien, je pense que c'est 51 minutes si je ne me trompe pas,
04:47là vous voyez tout autre chose. Vous voyez 40 minutes environ qui se passent à peu près correctement.
04:54Donc quand la théorie, la thèse de la théorie conspirationniste pourrait-on dire, de l'embuscade pour du piège tendu à Zelensky
05:04se décompose un peu à ce moment-là, qu'est-ce qu'on voit? Pendant 40 quelques minutes, ça se passe à peu près correctement.
05:10Ensuite, il y a une altercation entre Zelensky et Evans et Trump intervient à ce moment et là, tout dérape.
05:19Et on peut dire peut-être que Zelensky, qui est un homme tout à fait, moi je ne suis pas du tout dans la Zelenskyphobie,
05:24mais on peut penser que Zelensky, qui est un homme honorable, qui depuis trois ans met une bataille pour son pays,
05:29a un moment d'hubris, c'est-à-dire il n'est pas loin de sermonner les Américains, il n'est pas loin de sermonner ceux qui vont l'accueillir,
05:36il n'est pas loin de sermonner ceux à qui il demande de l'aide, il n'est pas loin de sermonner la puissance accueillante.
05:42Et à quel moment s'est-il dit, puisque la politique c'est aussi tenir compte du tempérament et des caractères,
05:48à quel moment s'est-il dit qu'il était possible de sermonner Donald Trump sans en payer le prix?
05:54Je note par ailleurs que puisque depuis hier, on ne parle mondialement que des trois minutes de l'altercation,
06:00sans tenir compte des autres contextes, le contexte plus large 7 minutes, le contexte très large 50 minutes,
06:06il y a une forme de production de fake news planétaire, c'est-à-dire commenter seulement ces trois minutes
06:10en faisant semblant qu'elles ne s'inscrivent pas dans un contexte, c'est pousser à l'indignation, c'est pousser à la colère,
06:16sans chercher à pousser à la compréhension, ce qui serait pourtant nécessaire dans la séquence présente.
06:21Ils sont nombreux, Mathieu, à se réjouir d'avoir assisté au recadrage de Zelensky par Donald Trump, comment vous l'expliquez?
06:29Il faut comprendre une chose, depuis trois ans, dans la classe politique occidentale globalement,
06:34Zelensky a été un personnage Churchillisé, c'est le Churchill de notre temps, il était présenté comme tel,
06:40et j'insiste pour dire que ce n'était pas que faux, mais ce portrait n'était pas partagé, cette vision n'était pas partagée par tous.
06:48Et plusieurs considéraient que Zelensky était un comédien pénible et ils attendaient depuis longtemps
06:56quelqu'un qui pourrait en quelque sorte le recadrer, le remettre à sa place, comme on dit dans un vocabulaire un peu trivial.
07:03Alors, je vais donner quelques exemples. Pourquoi étaient-ils nombreux à avoir des réserves à l'endroit de Zelensky depuis trois ans?
07:08Soit parce qu'ils adhéraient à l'idée que l'Ukraine et notre temps n'étaient pas sans responsabilité dans cette guerre,
07:14non pas qu'ils avaient, ils ne contestaient pas le rôle d'agresseurs de la Russie, mais ils disent on a, le monde occidental et l'Ukraine
07:22ont poussé en fait à la crise, ont poussé à la guerre, et là il y a une forme de retour de bâton.
07:29Donc ça, ça fait partie de l'analyse de certains. De même, parce qu'ils sentaient, et ça je l'entends beaucoup,
07:35que la défense plus que légitime de l'Ukraine se transformait dans les propos de Zelensky, un appel à la quasi-guerre mondiale.
07:42Et c'est vrai que quand on entendait Zelensky, il voulait mondialiser, globaliser le conflit à tout prix,
07:48persuader que c'était la seule condition par laquelle il pouvait battre Poutine.
07:51Et là, c'est un sain rappel, c'est-à-dire un système international qui fonctionne est un système de pare-feu.
07:57C'est-à-dire globalement, un conflit local doit rester local, il doit rester régional, il ne doit pas se mondialiser.
08:04On ne doit pas revivre 1914 à l'ère nucléaire, on ne doit pas revivre par un jeu d'enchaînement d'alliances
08:10le fait qu'un tank qui traverserait la frontière quelque part dans un pays de l'OTAN par exemple,
08:15engendrerait trois semaines, trois mois plus tard, une guerre mondiale.
08:18Donc ça, c'est la crainte quand même fort légitime de la guerre mondiale qui quelquefois, dans la rhétorique de Zelensky,
08:24poussait certains à se dire « mais qu'est-ce qu'il veut ? Il veut tous nous embarquer là-dedans,
08:27or nous ne rêvons pas de l'holocauste nucléaire, ou de la destruction de l'humanité autrement dit. »
08:33Soit, et ça ce n'est pas un détail, parce qu'ils considéraient que la guerre d'Ukraine,
08:38qui en tant que telle une guerre d'auto-défense de la part des Ukrainiens,
08:42a été une guerre qui a aussi servi les intérêts de l'oligarchie occidentale.
08:46Et ça, je pense qu'on doit tenir compte de cet argument.
08:48Moi, qu'est-ce que je vois dans le discours d'une bonne partie de la classe politique européenne ?
08:52Pour eux, l'Ukraine, c'est presque la divine surprise.
08:55C'est l'occasion, en fait, d'enfin fédéraliser l'Europe, d'enfin constituer une souveraineté européenne,
09:01d'enfin constituer une puissance européenne.
09:04De quelle manière ? En envoyant des troupes au sol en Ukraine,
09:07on trouve enfin l'élément qui permettrait de créer une souveraineté qui transcenderait les nations,
09:12qui dépasserait les nations, qui abolirait les nations.
09:15Et, ça s'incarne, dans la proposition dont on parle ces jours-ci,
09:18d'une mutualisation de l'arme nucléaire française au niveau européen.
09:21Est-ce qu'on se rend compte à quel point ça serait une abdication de souveraineté absolument immense,
09:26et certaines diraient catastrophique dans l'histoire,
09:28que de sacrifier ainsi la souveraineté nationale française dans le cadre ukrainien ?
09:33On constate effectivement que l'oligarchie européenne prend en prétexte de toutes les crises,
09:36que ce soit le climat, que ce soit la Covid, que ce soit l'Ukraine,
09:40pour toujours dire « il faut moins de souveraineté nationale »
09:42et constituer la technostructure européiste.
09:44Alors, finalement, on peut dire que plusieurs ont vu chez Zelensky
09:48une forme de Greta Thunberg de temps de guerre,
09:50et il n'en pouvait plus du personnage,
09:53et dès lors, quand Trump le remet à sa place dans son esprit,
09:57à tout le monde tel qu'on l'a vu,
09:58ils applaudissent pour témoigner de leur exaspération depuis trois ans.
10:02Disant cela, je ne le légitime pas, je ne l'encourage pas,
10:05je cherche simplement à comprendre la réaction de plusieurs.
10:08Trois années, Mathieu, ont passé,
10:10comprenons-nous mieux le contexte géopolitique qui est le nôtre aujourd'hui ?
10:14Trois années, Pierre Lelouch, qui était sur ce plateau il y a quelques minutes,
10:17disait que c'est une guerre d'engrenage qui a fait basculer le sort de l'Occident,
10:21ça accélère la désoccidentalisation du monde,
10:24et je crois que c'est ce qu'on doit se dire.
10:26Le premier élément, c'est que c'est une guerre de réalignement de l'ordre international,
10:30on le voit aujourd'hui avec Trump d'un côté, Poutine de l'autre, Erdogan, la Chine,
10:35on renoue avec le temps des empires.
10:37C'est très particulier parce que le temps des empires,
10:39c'est la traduction politique du choc des civilisations en quelque sorte.
10:42Alors cela dit, moi je voudrais répondre à un argument que j'entends beaucoup ces temps-ci,
10:46c'est la Russie qui demande, par exemple, des garanties de sécurité.
10:50On connaît le discours, après la guerre froide,
10:52l'OTAN s'est étendue exagérément en multipliant les pays qui étaient autrefois sous domination soviétique,
11:00les adhésions sont multipliées, des Baltes, aux Roumains, aux Polonais,
11:03et la Russie vit ça comme une menace à sa sécurité.
11:07J'aimerais simplement rappeler que oui, assurément,
11:09les Américains ont étendu leur influence à travers l'OTAN.
11:11Mais pourquoi les pays de l'Est, l'Europe de l'Est, ont voulu adhérer à l'OTAN?
11:15Parce que pendant 50 ans, ils avaient subi la domination russe et communiste,
11:19pendant 50 ans, ils avaient l'armée rouge chez eux,
11:21pendant 50 ans, leur garantie de sécurité n'était pas là du tout.
11:24Les Polonais étaient où leur garantie de sécurité?
11:26Moi, je trouve qu'on oublie très facilement ce qui s'est passé en 1956 à Budapest, en 1968 à Prague.
11:32On oublie en fait à quel point les pays d'Europe de l'Est, les peuples d'Europe de l'Est,
11:36ont été martyrisés par l'armée rouge dans la deuxième moitié du XXe siècle,
11:40que la libération pour eux, c'est pas 1985, c'est 1989.
11:44Alors, je comprends, je comprends que la Russie, de son point de vue,
11:48dit quand l'OTAN se rapproche de nous, ce sont les Américains et leurs armes qui se rapprochent de nous.
11:52Je comprends que la Russie dise, ah, en fait, c'est comme Cuba 62, mais appliqué à notre situation.
11:58Mais je pense qu'on devrait chercher à tenir compte, dans tout cela,
12:01du souci légitime qu'ont les Européens de l'Est,
12:05de dire que la Russie, historiquement, pour nous, est une puissance prédatrice,
12:08et nous avons voulu nous en défendre.
12:10Est-ce qu'on oublie, je parle de la domination russe sur les pays de l'Est,
12:14est-ce qu'on oublie, par exemple, les Baltes?
12:16Je me rappelle d'un écrivain français qui me disait personnellement,
12:18les Baltes, je m'en fous.
12:20Oui, d'accord, mais moi, je m'en fous pas.
12:22Et qu'est-ce que je vois quand je vois les Baltes?
12:24Ce sont des pays qu'on a cherché à russifier de force par une immigration russe massive
12:29pour noyer les Baltes et les rendre minoritaires chez eux.
12:32Est-ce que ça parle en Europe occidentale, aujourd'hui, ça un peu, ou ça parle pas du tout?
12:36Alors, quand je pense à tout cela, je vois que la Russie, par ailleurs,
12:40c'est un État qui se sent diminué lorsqu'il ne surplombe pas ses voisins.
12:45Une fois que j'ai dit tout ça, je ne pense pas que l'Ukraine doit rejoindre l'OTAN.
12:47Une fois que j'ai dit tout ça, je ne pense pas que cette guerre doit se poursuivre.
12:51Je ne crois pas aux vertus des guerres qui durent 5, 10, 15, 20 ans,
12:54qui sont des boucheries absolues.
12:56Et je pense que la paix qui doit venir doit être une paix d'équilibre
13:00qui tient compte de la manière dont les Russes se voient eux-mêmes,
13:03de la manière dont les Américains se voient eux-mêmes,
13:05de la manière dont les Européens se voient eux-mêmes.
13:07Je pense qu'une paix de compromis est nécessaire.
13:09Je ne suis pas certain que Volodymyr Zelensky soit dans cette logique de paix de compromis en ce moment.
13:13Mais à tout le moins, j'espère qu'on va garder à l'esprit
13:15que dans tout cela, la sécurité, la défense, l'architecture de sécurité,
13:19comme on dit, qui défend les pays d'Europe de l'Est,
13:21est un souci légitime aussi dans la quête d'une paix raisonnable
13:25qui ne sera pas une paix idéale.
13:27Arthur de Vatrigan, sur ce clash de Pugilat dans le bureau Oval,
13:35quel regard portez-vous ?
13:36Mathieu a raison de rappeler les deux choses fondamentales,
13:39c'est que même si ça évolue, il faut toujours rappeler,
13:41ou se souvenir en tout cas, parce qu'on devient amnésique très vite,
13:44que la Russie a envahi l'Ukraine
13:46et que tous les pays frontaliers russes veulent s'abriter sous le parapluie de l'OTAN.
13:50C'est qu'ils ont le souvenir qu'il n'y a pas si longtemps,
13:52on se faisait de rouler dessus par les Russes,
13:53et qu'ils craignent que ça recommence.
13:55Pour revenir à votre question,
13:56pour ceux qui suivent un peu le foot ou qui ont une culture foot,
13:59Trump pourrait ressembler un peu en ce moment,
14:01si vous voulez, à une espèce de Zlatan Ibrahimovic de la géopolitique,
14:04c'est-à-dire fort avec les faibles et faible avec les forts.
14:07Vous avez l'air étonné,
14:09mais rappelez-vous un grand match de Zlatan Ibrahimovic
14:11contre une équipe forte,
14:12il n'y en a pas eu une contre Angers,
14:13il mettait 52 buts, il n'y a pas de souci,
14:14contre les grosses à chaque fois, il disparaissait.
14:16Je ne dis pas que Trump ressemble à ça,
14:18je dis qu'il pourrait ressembler à ça.
14:19Bref, mais on sait que de toute façon,
14:21que dans une guerre, c'est toujours malheureux vaincu,
14:23et que malheureusement, la politique s'embarasse guère de morale.
14:27Alors peut-être en effet que Zelensky aura dû venir en cravate,
14:31peut-être qu'il aurait dû un peu mieux cirer les pompes,
14:33il a sûrement été maladroit,
14:35mais bon, après trois ans de guerre, il a peut-être quelques raisons.
14:38Et côté États-Unis, il ne faut jamais oublier
14:41que ce soit Vance à Munich, que ce soit Trump avec Poutine,
14:44ou que ce soit ce qui s'est passé dans le bureau Oval hier,
14:48les Américains, en tout cas l'Amérique, l'État américain,
14:50s'adressent avant tout aux Américains.
14:52Et que la doctrine, on la connaît, c'est America first,
14:55et America first même si on doit humilier les petits.
14:57Alors forcément, quand Zelensky, je le lis de mémoire,
15:00a expliqué que heureusement qu'il y a l'océan entre vous et les Russes,
15:03et que sinon vous seriez contraints d'enrôler des soldats de force,
15:07côté américain, on n'aime pas trop ça,
15:09ce qui peut expliquer la réaction un peu virulente.
15:11Alors ensuite, la question, de toute façon,
15:13c'est qu'est-ce qui va se passer en Europe ?
15:15Qu'est-ce que doit faire l'Europe ?
15:17Alors si Trump pousse l'Europe à augmenter ses dépenses de défense,
15:22ce n'est pas non plus pour qu'une Europe de la défense,
15:25que ce soit la forme qu'elle prendrait, devienne autonome.
15:28L'objectif est surtout que les milliards dépensés
15:30atterrissent dans les poches d'Oncle Sam,
15:32et plus précisément dans les poches des industriels de la défense américaine.
15:36Parce que si on fait un rapide état des lieux,
15:39en Europe, vous avez trois types de pays qui se distinguent.
15:42Vous avez le premier groupe, qui n'ont pas de capacité industrielle d'armement.
15:46C'est les pays baltes, c'est le Danemark, c'est l'Autriche,
15:50alors ils achètent américain.
15:52Vous avez le deuxième groupe,
15:53qui est un groupe des capacités industrielles un peu parcellaires.
15:56C'est l'Espagne, c'est l'Italie, c'est la Hollande.
15:58Et eux, ils s'allient avec des firmes américaines,
16:00pour produire, et de temps en temps, ils achètent européens,
16:02si Washington ne râle pas trop, ou s'ils autorisent.
16:05Et enfin, le troisième groupe,
16:06il est constitué de l'Allemagne, de l'Angleterre et de la France,
16:09qui sont dotés d'un capital industriel.
16:12Et la question qu'on peut se poser, c'est,
16:14est-ce qu'ils vont réussir, enfin, à s'entendre,
16:18alors que jusqu'à présent, ça a échoué toujours,
16:20pour mettre en commun leurs ressources,
16:22pour produire, parce qu'ils ne peuvent pas produire séparément,
16:24et donc ainsi gagner une souveraineté et une autonomie.
16:27Parce que je vous rappelle, la France,
16:28Emmanuel Macron l'a dit plusieurs fois,
16:30mais même les présidents avant le disaient,
16:31on veut une capacité industrielle,
16:34on a une capacité industrielle,
16:35et on aimerait être souverain et autonome,
16:37parce que quand vous avez des composants américains
16:38qui viennent dans vos canons,
16:40l'Américain, s'il le décide,
16:42peut empêcher votre canon de tirer.
16:43Et ça, tout le monde l'a compris.
16:44Sauf que l'Allemagne, jusqu'à présent,
16:45refusait toujours.
16:46La doctrine de l'Allemagne, c'est,
16:48non, on bosse avec les Américains.
16:49Sauf qu'il ne vous a pas échappé qu'il y a eu des élections,
16:51et que l'AFD a remporté quelques sièges importants.
16:53Et l'AFD, c'est un parti nationaliste.
16:55Un parti nationaliste qui a une capacité industrielle,
16:58je ne suis pas certain qu'il ait envie, toujours,
17:00d'acheter chez le cousin américain.
17:03Donc, la question qu'on peut se poser,
17:05c'est, va-t-il y avoir une révolution
17:07de la doctrine de la défense en Europe ?
17:09Autre sujet à présent, Mathieu,
17:11nous consacrions notre émission
17:13face à Mathieu Bocoté la semaine dernière,
17:15exclusivement à l'attentat de Mulhouse,
17:18avec un assaillant ressortissant algérien
17:21refusé à 14 reprises de retour dans son pays
17:24par le régime algérien.
17:25Conséquence de cela, cette semaine,
17:27il y a eu un comité interministériel
17:29sur l'immigration,
17:31conférence de presse de François Bayrou,
17:33qui pose un ultimatum au régime algérien
17:35de six semaines pour remettre à plat
17:37les accords, puisque le régime algérien
17:39ne respecte pas ces accords,
17:41et il a pointé la menace
17:43de l'accord de 68.
17:4548 heures plus tard seulement,
17:47depuis Porto,
17:49Portugal,
17:51pays, je le rappelle,
17:53d'où vient la personne
17:55qui a été tuée samedi dernier,
17:57Emmanuel Macron désavoue, en quelque sorte,
17:59son premier ministre, ainsi que
18:01le ministre de l'Intérieur,
18:03en expliquant que dénoncer
18:05de manière unilatérale ces accords de 68
18:07n'avait aucun sens.
18:09Alors, comment vous expliquez
18:11cette faiblesse face à Alger ?
18:13C'est assez fascinant. Je pense qu'on doit sortir
18:15d'une lecture strictement
18:17copoliticienne de l'événement,
18:19et on doit se demander,
18:21penser la séquence historique qui est la nôtre.
18:23Et moi, je pense que nous sommes témoins
18:25à certains égards d'une inversion
18:27de la relation coloniale entre l'Algérie
18:29et la France, mais plus largement
18:31entre le Sud et le Nord.
18:33Alors, qu'est-ce qui commande moralement
18:35le régime algérien aujourd'hui lorsqu'il regarde la France ?
18:37Un sentiment de supériorité.
18:39Un sentiment de supériorité qui vient
18:41dans le récit des violences
18:43subies par l'Algérie, en le précisant.
18:45Personne ne pense que la colonisation
18:47est un processus agréable dans la vie, ça, tout le monde le sait.
18:49Mais, lorsqu'on les code
18:51sur le mode du crime contre l'humanité,
18:53quand vient le temps de riposter,
18:55avec les décennies qui passent,
18:57vous avez le sentiment d'une moralité absolue
18:59devant celui, le pays qui est devant vous
19:01et que vous traitez sous le signe de l'abjection.
19:03Et il y a une arrogance du régime algérien
19:05en l'endroit de la France en ce moment
19:07sur le mode du revanchisme historique.
19:09Du revanchisme historique dans un contexte,
19:11nous ne l'oublions jamais, qui est celui d'une poussée
19:13historique d'un islam conquérant.
19:15Le Sud vers le Nord est porté en partie
19:17par cette vague islamique, comme l'avait dit en son temps
19:19un historien tout à fait remarquable.
19:21Ensuite, si on parle d'inversion
19:23du rapport colonial,
19:25eh bien, ce qu'on doit constater, c'est qu'il y a
19:27en France aujourd'hui, dans la logique
19:29du régime algérien, je le précise,
19:31des populations, des communautés
19:33qui sont d'abord fidèles à l'Algérie
19:35plutôt qu'à la France.
19:37Dans le régime algérien, les Algériens
19:39qui s'implantent en France ne deviennent pas français
19:41pleinement de cœur, ils demeurent fidèles
19:43à la logique algérienne.
19:45Et dès lors, on peut mobiliser
19:47ces populations dans cet esprit
19:49de revanchisme décolonial,
19:51contre-colonial, contre-conquérant.
19:53On ajoute à cela,
19:55parce que c'est, non, et j'ajoute
19:57qu'une partie de l'élite française craint cela aussi.
19:59On est convaincus, on est convaincus
20:01que si la France est trop ferme par rapport à l'Algérie, ça va exploser
20:03dans les quartiers. Si on ajoute à ça
20:05le poids à gauche, surtout, mais pas qu'à gauche,
20:07dans l'extrême centre aussi,
20:09de la culpabilité coloniale
20:11qu'on traîne avec le temps, et ça c'est le paradoxe
20:13de l'histoire, plus l'histoire passe
20:15et moins on en a une conscience complexe.
20:17Plus l'histoire passe et tout devient beaucoup trop simple
20:19et on assiste, par exemple, comme on l'a vu
20:21cette semaine, à la nazification de l'histoire
20:23française, quand Jean-Michel Apathy
20:25a dit que finalement, c'était la France
20:27qui était à l'origine, à sa manière,
20:29du nazisme, qui avait inspiré
20:31le nazisme dans une stratégie
20:33d'extermination. Qu'est-ce qu'on voit à travers
20:35tout cela? Non seulement on a un régime
20:37vengeur, un régime contre-colonial,
20:39un régime qui veut prendre sa revanche
20:41historiquement contre la France, et de l'autre côté, vous avez une France
20:43qui croit à peu près à tous les reproches
20:45qu'on lui fait, je ne dis pas tous les français,
20:47mais le régime français, l'idéologie
20:49dominante en France, tant porter crédit
20:51à toutes les accusations qu'on porte contre la France,
20:53le résultat n'est pas particulièrement agréable.
20:55Faut-il comprendre, Mathieu, qu'au côté, que la France
20:57est prisonnière de sa relation
20:59avec l'Algérie? Je pense qu'elle est surtout
21:01prisonnière d'une mauvaise lecture de son histoire.
21:03C'est-à-dire, un jour, il va falloir comprendre
21:05que si l'enjeu, c'est le procès
21:07des colonisations, l'histoire
21:09du monde est un infini processus
21:11de colonisation, contre-colonisation, décolonisation,
21:13de conquête, de reconquête,
21:15l'histoire du monde s'écrit ainsi.
21:17Est-ce qu'on doit, par exemple,
21:19aujourd'hui, pleurer
21:21la Reconquista qui a permis
21:231492, c'est fascinant,
21:251492, c'est la Reconquista, et en même temps,
21:27c'est l'expansion européenne, donc c'est intéressant.
21:29Est-ce qu'on doit pleurer ça, ou est-ce qu'on doit considérer
21:31que seul l'Occident a colonisé,
21:33seul l'Occident s'est rendu coupable de cela,
21:35seul l'Occident a mené
21:37des politiques qui justifient aujourd'hui presque
21:39son auto-abolition pour se faire pardonner
21:41d'avoir mal agi hier ? Je pense que nous sommes
21:43victimes d'une conscience historique falsifiée,
21:45une conscience historique déconstruite,
21:47et nous en payons le prix politiquement parce que
21:49les idées qui mènent le monde ne l'oublions jamais.
21:51Il y a de la chance Emmanuel Macron parce que
21:53heureusement qu'il y a ce clash dans le bureau
21:55Oval, sinon on reviendrait des heures
21:57et des heures aujourd'hui sur cette
21:59déclaration et cette dernière phrase qu'il a pu avoir
22:01hier, que
22:03le sujet des accords ne doit pas
22:05faire l'objet, je cite, de jeux politiques
22:07d'où qu'il soit, donc il renvoie
22:09dos à dos le régime, la communication
22:11du régime algérien avec son
22:13propre gouvernement, c'est une chose incroyable.
22:15Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise
22:17de plus en fait ? L'Algérie nous
22:19crache dessus à longueur
22:21de journée, tout le monde sait ce qu'il
22:23faudrait faire pour qu'il arrête,
22:25mais notre État refuse.
22:27C'est un choix politique, l'acheter,
22:29soumission, mettez les prétextes que vous voulez,
22:31peu importe. Donc maintenant qu'on sait
22:33ou du moins que tout le monde a compris,
22:35je vais vous dire, perroquer du président
22:37Théboune, ça va vite devenir un métier sous tension,
22:39parce qu'il faut reconnaître que
22:41c'est quand même une bonne situation
22:43en France d'être un agent de l'étranger en France.
22:45Tu vomis,
22:47ça rapporte et personne
22:49t'en empêche, donc on en voit plein dans l'espace public
22:51fleurir, et pas que du côté algérien,
22:53donc forcément ça va créer des vocations.
22:55Alors après le problème c'est que quand t'es en temps de guerre,
22:57comme c'est le cas avec
22:59l'Ukraine, quand tu veux jouer les gros bras
23:01face à Poutine, ça devient un peu compliqué,
23:03parce que disons que niveau crédibilité
23:05on a quand même vu mieux
23:07se soumettre au président Théboune.
23:09Donc lécher les babouches
23:11du président Théboune, c'est quand même pas le meilleur
23:13des messages à envoyer
23:15si on veut peser dans le nouvel ordre mondial
23:17qui se dessine. Mais enfin, dernière chose,
23:19si on se met du côté du régime algérien,
23:23vous refilez vos cassos
23:25et tous vos dingues à un pays qui les
23:27accueille et qui les prend en charge,
23:29pourquoi voulez-vous qu'ils arrêtent ?
23:31On continue de parler de
23:33l'Algérie dans un instant, avec un
23:35témoignage absolument passionnant
23:37de notre
23:39confrère Nicolas Barré, mais qui va parler
23:41du livre de son père, Michel.
23:43On voit ça dans un instant, c'est la
23:45deuxième partie, j'allais dire, de leur dépôt,
23:47face à Mathieu Bocoté.
23:51Quasiment 19h30 pour la suite de Face à Mathieu
23:53Bocoté, toujours avec Mathieu, bien sûr,
23:55et Arthur, nous a rejoints sur
23:57le plateau Nicolas Barré. Merci d'être avec nous.
23:59Vous venez pour
24:01l'ouvrage de votre père, un témoignage
24:03poignant, carné d'un appelé en Algérie,
24:05et cette question de la guerre, revient-t-on jamais ?
24:07Mathieu Bocoté, pourquoi
24:09avoir invité Nicolas Barré
24:11aujourd'hui ? Alors, j'ai lu ce livre,
24:13et c'est un livre magnifique, un très beau livre, absolument
24:15inattendu, puisque la guerre, pour nous, aujourd'hui, en
24:17Occident, c'est un concept. A rigueur, c'est une
24:19histoire, mais ce n'est pas une expérience.
24:21Et on a ici le récit d'un homme qui a porté
24:23la guerre dans sa chair toute sa vie,
24:25et qui, on en parlera, a peine peut-être
24:27à la transmettre, sauf par écrit, et ce sera
24:29le début de notre entretien. Nicolas Barré, bonsoir.
24:31Bonsoir. Alors, c'est le récit de votre père,
24:33qui était un appelé en Algérie.
24:35Il a porté cette expérience, manifestement, au cœur de lui
24:37toute sa vie, tout en peinant à en
24:39parler, lorsque l'occasion aurait
24:41pu se présenter, mais il a été capable d'en faire
24:43un livre, finalement, publié de manière posthume. Brouillez-vous
24:45simplement de nous raconter le contexte de publication
24:47de ce livre ? En fait, c'est un
24:49ouvrage qui a été publié
24:51et surtout écrit
24:53après des années de silence.
24:55Il faut bien voir que pendant des années
24:57et des années, il a été absolument incapable,
24:59comme d'ailleurs beaucoup de gens
25:01qui ont connu la guerre, d'en parler
25:03tout simplement, même avec nous,
25:05même avec ses enfants,
25:07même si on posait des questions. Quand j'étais petit,
25:09parfois, je lui demandais, mais alors, c'était comment ?
25:11On avait droit à quelques bribes
25:13d'anecdotes, mais
25:15on sentait qu'il y avait
25:17une difficulté à en parler davantage, au point
25:19que, d'ailleurs, au bout d'un moment, on
25:21arrêtait de poser des questions, parce qu'on sentait
25:23une gêne. Et pendant des années,
25:25cette
25:27expérience extrêmement
25:29traumatisante pour tout le monde,
25:31vivre la guerre, vivre le combat, c'est quand même quelque chose
25:33qu'on a du mal
25:35à mesurer, nous.
25:37C'était
25:39extrêmement puissant
25:41qu'il s'est réfugié
25:43dans le silence, il a mûri
25:45ce récit, et au bout
25:47de pas mal d'années, donc une quarantaine
25:49d'années, il a fini par réussir
25:51à écrire et à raconter
25:53ce qu'il a vécu,
25:55et ce qui est intéressant, c'est que, n'ayant
25:57pas à raconter du tout pendant toutes ces années-là,
25:59ce souvenir était
26:01en quelque sorte intact.
26:03Vous savez,
26:05parfois, vous avez des anciens
26:07combattants qui racontent leur guerre, et puis
26:09à force de raconter,
26:11on enjolive l'histoire,
26:13on brode, voilà.
26:15Lui, comme il n'en a jamais parlé,
26:17le traumatisme
26:19était resté absolument intact,
26:21comme un écrin,
26:23un souvenir
26:25avec vraiment
26:27une puissance extrêmement forte,
26:29et du coup, il restitue
26:31de façon extrêmement poignante
26:33ce qu'il a vécu,
26:35comme s'il
26:37venait de le vivre.
26:39C'est quelque chose de très fort,
26:41c'est vraiment un coup de poignard
26:43quand on lit ça.
26:45Il y a une vérité étonnante dans ce livre, probablement la part la plus poignante,
26:47c'est qu'on s'imagine la guerre,
26:49si on a regardé, vu les films d'Oliver Stone,
26:51comme c'est l'expérience
26:53traumatique absolue de A à Z.
26:55L'homme est écrasé à la guerre, il n'y trouve aucune liberté,
26:57la guerre est purement traumatique.
26:59Or, on lit ce livre, et là, c'est finalement
27:01beaucoup plus contrasté,
27:03paradoxal, je ne sais pas exactement
27:05quel est le bon terme. On voit un homme qui,
27:07évidemment, on voit l'horreur de la guerre, mais en même temps,
27:09ressent les instincts
27:11du guerrier, du soldat,
27:13trouve une liberté dans cet environnement.
27:15Comment comprenez-vous ces émotions
27:17contrastées par rapport à une expérience qu'on présente
27:19normalement comme absolument,
27:21strictement traumatique ?
27:23Vous savez, quand
27:25on arrive, on est envoyé au combat
27:27comme ça, quand on est appelé à
27:2920 ans, parce que c'était
27:31l'âge qu'il avait,
27:33plutôt une formation d'intellectuel,
27:35on arrive avec
27:37une sorte de mur
27:39de tout ce
27:41qu'on a appris,
27:43un mur de morale,
27:45on arrive avec des principes,
27:47des certitudes,
27:49on a une certaine culture,
27:51on se dit qu'on ne va pas tomber
27:53dans la barbarie,
27:55qu'on est contre la violence,
27:57on a tout ça. Et puis,
27:59on se retrouve au combat,
28:01et là, on découvre
28:03ce mur s'effondre. Il y a un moment
28:05où, face à
28:07l'imminence du danger, face à un ennemi
28:09qui est à 3 mètres de vous,
28:11face à des scènes insoutenables,
28:13c'est un autre moi qui sort
28:15de tout ça,
28:17vous qui pensiez avoir,
28:19être armé suffisamment intellectuellement
28:21pour résister à cette
28:23sauvagerie, vous découvrez
28:25que vous êtes au fond de vous-même,
28:27vous découvrez le côté
28:29presque bestial
28:31qui existe dans tout être humain.
28:33Et ça, c'est très déstabilisant,
28:35parce que c'est comme si c'était une autre personne
28:37qui naissait au moment
28:39de la guerre.
28:41Il raconte, par exemple,
28:43une scène où
28:45ils étaient
28:47aidés par
28:49des harkis, et un jour,
28:51un jeune homme,
28:53un jeune harki, demande aux militaires
28:55la permission d'aller
28:57dans son village pour rejoindre
28:59sa future épouse pour
29:01passer sa nuit de noces. Et les militaires
29:03à l'époque, dont mon père hésite un peu,
29:05décident de le laisser y aller.
29:07Et puis, le lendemain,
29:09ils découvrent que
29:11le jeune couple a été égorgé.
29:13C'est une scène épouvantable.
29:15Et là,
29:17malgré tout ce que vous avez
29:19appris, malgré tout
29:21ce bagage intellectuel que vous avez,
29:23et que c'était
29:25le cas de mon père, ils se retrouvent
29:27avec un instinct de vengeance
29:29absolue, une envie de tuer,
29:31une sorte d'ivresse même.
29:33Voilà.
29:35Et on découvre,
29:37au contact de la guerre, et c'est pour ça
29:39quand on parle de la guerre comme ça,
29:41nous, on ne l'a jamais faite
29:43autour de ce plateau, on n'a jamais été sur
29:45des terrains, on n'a jamais porté
29:47les armes, mais on découvre
29:49qu'en soi, il y a quelque chose
29:51qui fait
29:53qu'on devient presque
29:55bestial.
29:57Et c'est très traumatisant
29:59de découvrir à quel point
30:01une personne peut receler en elle-même
30:03autant de...
30:05quelque chose d'aussi différent de ce qu'on pensait
30:07avoir.
30:09Vous dites quelque chose de bestial, et qui n'est pas strictement quelque chose de monstrueux.
30:11C'est ce qui me frappe aussi.
30:13Par exemple, ce sont des choses qu'on entend dans des
30:15récits de guerre, mais là on le voit s'être incarné
30:17l'esprit de camaraderie,
30:19l'esprit de défendre ses proches à tout prix,
30:21l'idée qu'on est ensemble, nous sommes
30:23au combat, et à ce moment précis,
30:25rien n'est plus important que de défendre
30:27son voisin, en fait,
30:29celui qui est avec nous, qui nous défendra, et ainsi de suite.
30:31Donc même dans l'expérience intime de la guerre,
30:33ce qui se révèle, ce n'est pas que la bête en soi,
30:35c'est aussi une part noble de l'être humain.
30:37Exactement.
30:39C'est ça qui est très perturbant
30:41et très fort dans cette expérience
30:43de la guerre, c'est que vous découvrez à la fois
30:45cette ivresse
30:47due à la proximité
30:49de la mort, à la mort imminente.
30:51Dans la seconde qui suit, vous pouvez mourir.
30:53Et quand il cite
30:55ce terme d'ivresse,
30:57c'est vraiment ça.
30:59Il y a une sorte d'excitation
31:01du fait du danger.
31:03Ça c'est une chose,
31:05et puis d'autre part, il y a effectivement
31:07cette extraordinaire solidarité
31:09qui peut se nouer, ou pas d'ailleurs,
31:11entre soldats,
31:13et qui fait
31:15aussi la force
31:17parfois de ce collectif.
31:19Il y a un autre témoignage
31:21qui est sorti à peu près en même temps
31:23que ce livre, qui est celui de l'ancien chef
31:25d'état-major des armées françaises.
31:27Le Cointre.
31:29C'est fascinant
31:31parce qu'il dit à peu près la même chose
31:33avec pratiquement les mêmes mots.
31:37Et il montre bien
31:39le Cointre qui est aussi
31:41un peu comme mon père
31:43qui a eu une éducation chrétienne.
31:45Le Cointre, même chose.
31:47Et il découvre
31:49que malgré toute cette éducation,
31:51malgré tout ça,
31:53il se découvre
31:55dans cette dimension
31:57beaucoup plus,
31:59il utilise le terme d'ailleurs,
32:01effectivement, sauvage, bestial.
32:03Et on voit qu'au plus profond de soi,
32:05il y a des moments où c'est ça qui ressort.
32:07Arthur de Matrigan.
32:09Ce livre
32:11existe aussi parce que votre père
32:13ne vous a pas raconté,
32:15et vous l'avez dit, il y a beaucoup de
32:17soldats revenus d'Algérie
32:19qui n'ont pas raconté à leur famille.
32:21Comment l'expliquer ?
32:23Est-ce que c'est la peur d'un jugement ?
32:25La crainte de rouvrir
32:27de la blessure ?
32:29La certitude que vous ne pourrez pas comprendre ?
32:31Quelle est la raison ?
32:33Je pense que c'est beaucoup le dernier point.
32:35C'est le sentiment qu'on n'arrivera pas
32:37à communiquer ce qu'on a vécu.
32:39Et du coup, beaucoup se réfugient
32:41dans le silence.
32:43Certains basculent dans la schizophrénie
32:45aussi.
32:47D'autres
32:49dans l'alcoolisme.
32:51En tout cas,
32:53beaucoup sont revenus de ce conflit.
32:55Comme de tout conflit.
32:57C'est pour ça que ce livre a aussi
32:59une portée plus universelle.
33:01On peut l'appliquer à tous les conflits.
33:03Quelqu'un qui a vécu
33:05la guerre
33:07a vécu des choses qui sont de l'ordre
33:09de l'intransmissible.
33:11C'est extrêmement douloureux,
33:13parce que vous devez vous débrouiller avec ça toute votre vie.
33:15Vous partez à la guerre, par définition,
33:17quand vous avez autour de 20 ans.
33:19Ensuite, c'est débrouiller-vous.
33:21Débrouillez-vous avec ça.
33:23On ne vous aide pas tellement
33:25à surmonter tout ça.
33:27Et c'est très difficile
33:29de se dire qu'on ne va pas réussir
33:31à transmettre ça, et notamment à sa famille,
33:33à ses enfants, à sa femme.
33:35On a peur de ne pas être compris.
33:37Et puis aussi, effectivement,
33:39on a peur peut-être du jugement.
33:41Parce qu'il s'est passé des atrocités.
33:43Parce qu'on a été témoin peut-être
33:45de scènes de torture,
33:47par exemple, c'est le cas de mon père.
33:49Et du coup,
33:51on peut avoir peur
33:53d'un jugement
33:55de la part de gens
33:57qui, n'ayant pas vécu
33:59ce traumatisme, n'ayant pas vécu
34:01ces tensions, ne peuvent pas comprendre.
34:03Et on se dit,
34:05ils ne comprendront jamais, et je ne serai jamais compris.
34:11Pendant toute sa vie,
34:13il a eu ce sentiment
34:15de ne pas pouvoir transmettre
34:17ce qu'il avait vécu, sauf vers la fin
34:19de sa vie, où il a fini par réussir
34:21à écrire.
34:23Il y a une autre dimension qui m'a frappé.
34:25Votre père fait un peu son portrait
34:27sur le mode autobiographique à certains moments.
34:29On comprend que c'était...
34:31Il y a aussi un texte de son épouse
34:33qui présente aussi la chose.
34:35Globalement,
34:37il y a 20 ans, au début des 20e,
34:39c'est un jeune intellectuel de gauche
34:41qu'on n'imagine pas vraiment.
34:43Le soldat tel que l'on l'imagine,
34:45ce n'est pas exactement son profil.
34:47Et pourtant, plongé
34:49dans les événements, plongé dans la guerre,
34:51il trouve en lui les ressources,
34:53le courage, non seulement
34:55le courage intellectuel, mais le courage physique.
34:57Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose là-dedans
34:59d'étonnant sur la capacité de l'homme,
35:01même les intellectuels,
35:03les gens qui ne sont pas habitués à l'expérience du conflit,
35:05à l'expérience physique du monde.
35:07Tout homme porte en lui cette possibilité.
35:09C'est un autre homme.
35:11La guerre fait naître une autre personne en soi.
35:13Et vous l'avez connu un peu cet autre homme ?
35:15Vous voyez l'expérience de la guerre dans sa vie ?
35:17Non, pas vraiment.
35:19Non, non.
35:21C'est aussi quelque chose d'assez
35:23fascinant quand on lit ce témoignage.
35:25Parce qu'effectivement, on a accès
35:27à une part de sa personnalité
35:29qu'on ne connaissait pas au mal.
35:31Vous le reconnaissiez un peu en le lisant ?
35:33Oui, tout de même.
35:35Mais c'est vrai qu'on se découvre
35:37une autre personne.
35:39Vous le disiez,
35:41c'était plutôt un intellectuel,
35:43plutôt contre la guerre d'Algérie,
35:45comme beaucoup d'étudiants à l'époque.
35:47C'était assez classique.
35:49Et puis, confronté au combat,
35:51dans le combat,
35:53à un moment, il est même candidat
35:55pour aller dans les commandos,
35:57dans les unités d'élite.
35:59Alors finalement, il a un supérieur
36:01qui le dissuade, qui lui dit
36:03non, mais ce n'est pas pour toi.
36:05Ce n'est pas de ce qu'on aurait imaginé
36:07de la part de cet étudiant
36:09qui, quelques mois avant,
36:11militait dans les rues de Nantes.
36:13C'est là qu'il était étudiant,
36:15contre la guerre d'Algérie.
36:17Effectivement, c'est une autre personne
36:19qui se révèle là-dedans, dans la guerre.
36:21Et en même temps,
36:23il y a des moments où,
36:27bien sûr,
36:29ces valeurs restent imprimées,
36:31restent là.
36:33Et on le voit
36:35à un moment,
36:37à certaines scènes,
36:39où il s'élève justement contre
36:41des tortures qui sont faites
36:43à des prisonniers.
36:47Et là,
36:49disons qu'il réagit
36:51contre ça.
36:53Mais c'est une autre...
36:55Effectivement,
36:57ce sont deux personnes
36:59en quelque sorte
37:01qui coexistent
37:03dans la même personne.
37:05Et c'est ce qu'il dit ensuite,
37:07plus tard,
37:09qu'il a l'impression d'être
37:11à la fois ici et là-bas
37:13en même temps.
37:15– Arsene Le Matrigan.
37:17– C'est intéressant.
37:19C'est un intellectuel qui devient combattant,
37:21deux personnes qui coexistent.
37:23Il y a des passages sur le combat,
37:25sur la mort, et toute la réflexion
37:27autour de ça.
37:29Vous parlez souvent des armes
37:31d'utilisation de drones.
37:33Est-ce que vous pensez que ces armes-là
37:35ont tué de loin, sans voir,
37:37peut nuire au sens moral qui est
37:39très présent dans le livre de votre père ?
37:41– Oui, certainement.
37:43D'ailleurs, sur ce sujet-là,
37:45il y a des réflexions intéressantes
37:47au sein de l'État-major français
37:49depuis quelques années.
37:51On a une doctrine en France
37:53qui consiste à dire
37:55qu'un robot
37:57ne peut pas tuer.
37:59Ce n'est pas la doctrine
38:01de toutes les armées.
38:03Au demeurant, il y a des armées
38:05qui sont déjà en train de se dire
38:07qu'on peut imaginer
38:09envoyer des bataillons
38:11non seulement de drones,
38:13ça existe déjà,
38:15mais des bataillons de robots
38:17pour aller au combat.
38:19Effectivement,
38:21c'est cette déshumanisation
38:23de la guerre, en quelque sorte,
38:25où on est au fin fond
38:27d'un État américain
38:29et puis on pilote un drone
38:31qui va aller faire une frappe
38:33à tel ou tel endroit.
38:35Ça, effectivement,
38:37c'est quelque chose
38:39qui modifie considérablement
38:41la manière dont on appréhende la guerre
38:43et la manière dont, si peut-être,
38:45les politiques engagent
38:47leur armée au conflit.
38:49Et d'ailleurs,
38:51à ce sujet-là,
38:53on peut voir
38:55la différence entre
38:57la classe politique qui,
38:59en général,
39:01il n'y a peu d'anciens militaires
39:03dans la classe politique des pays,
39:05c'est assez rare,
39:07et ils ont une approche à la guerre
39:09qui est très différente
39:11du haut commandement et des généraux,
39:13qui, eux, savent vraiment ce que c'est.
39:15Et qui,
39:17en lisant certains témoignages,
39:19et notamment celui du général Lecointre,
39:21on voit bien à quel point
39:23on ne peut pas partir
39:25la guerre à la légère
39:27comme certains politiques pourraient l'imaginer.
39:31C'est quelque chose
39:33qui...
39:35Il ne s'agit pas de laisser la guerre
39:37uniquement aux militaires.
39:39C'est sûr que les politiques ont un rôle à jouer,
39:41mais il y a une manière,
39:43de la part des politiques,
39:45de voir ça de façon un peu désincarnée.
39:47Et effectivement, ces systèmes d'armes modernes
39:49contribuent à cette désincarnation
39:51de ce qu'est la guerre.
39:53La question de la guerre pose la question
39:55qu'on se pose tous un jour,
39:57c'est celle du courage physique.
39:59On peut avoir du courage civique, du courage intellectuel,
40:01le courage physique, c'est autre chose.
40:03Depuis l'invention de la mitrailleuse,
40:05qui tue au hasard, on tire comme ça,
40:07quelqu'un tombe parce qu'il était dans le mauvais angle.
40:09Jusqu'à la possibilité de la guerre nucléaire aujourd'hui,
40:11on s'est toujours dit que chaque étape technologique
40:13allait abolir la question du courage physique,
40:15que la guerre allait changer de nature.
40:17La question de la guerre en Ukraine,
40:19c'est d'ailleurs la question la plus fondamentale qui soit,
40:21et tout homme peut être, dans des circonstances comme celles-là,
40:23appelé à se poser cette question.
40:25Est-ce que c'est pour vous une question universelle,
40:27irrépressible, et qui toujours peut surgir
40:29d'une manière ou de l'autre ?
40:31Oui, je crois, et effectivement,
40:33on voit bien dans le conflit en Ukraine
40:35à quel point, sur beaucoup de théâtres de combat,
40:37c'est un combat qui engage physiquement
40:39des gens des deux côtés.
40:41Et du coup, quand on voit
40:43l'amplitude de ce conflit,
40:45on ne peut pas s'empêcher
40:47de penser ensuite aux conséquences
40:49absolument dramatiques que ça va avoir
40:51sur les deux peuples,
40:53le peuple russe et le peuple ukrainien,
40:55avec toute une génération de jeunes hommes,
40:57plus ou moins jeunes d'ailleurs,
40:59puisque maintenant on mobilise assez lardivement,
41:01mais de gens qui vont ensuite
41:03revenir de là,
41:05et devoir vivre avec
41:07l'extrême-droite,
41:09et devoir vivre avec
41:11tout ça, avec
41:13cette espèce de charge énorme,
41:15cette forme d'incompréhension aussi,
41:17parce que
41:19quand ils vont rentrer chez eux,
41:21on ne comprendra pas très bien, pour les mêmes raisons
41:23que ce qu'on vient d'évoquer, pourquoi ils ont été au combat,
41:25ce qu'ils ont fait,
41:27beaucoup de choses qui seront aussi du domaine
41:29de l'indicible pour eux, puisqu'ils auront assisté
41:31à des scènes absolument épouvantables.
41:33Donc c'est la guerre
41:35à cette dimension-là
41:37qu'on a tendance un peu à oublier,
41:39parce qu'aujourd'hui elle est très présente,
41:41vous le disiez, c'est un peu
41:43une guerre, j'allais dire presque
41:45spectacle, parce qu'on en voit les images
41:47tous les jours sur les chaînes de télévision,
41:49elle est très présente, elle n'est pas loin d'ici,
41:51à 2000 kilomètres de chez nous,
41:53et en même temps, c'est une abstraction
41:55pour nous, il faut le reconnaître.
41:57Et donc,
41:59alors que pour ces combattants,
42:01ça va être, dans les
42:03décennies qui viennent, ça va être une charge
42:05absolument énorme
42:07pour le peuple russe et le peuple ukrainien.
42:09Il nous reste 30 secondes, une dernière question.
42:11Quel est le trait de votre père, dans la lecture de ce livre,
42:13qui vous a surpris ? C'est-à-dire le trait que vous ne connaissiez pas
42:15de lui, le trait avantageux,
42:17vous lisez ça et vous dites franchement, je ne savais pas de lui
42:19et je l'estime encore plus.
42:21Il y a un trait,
42:23je ne l'ignorais pas, mais c'est
42:25une immense
42:27franchise, c'est-à-dire il dit, moi je suis
42:29ni une victime, ni un héros,
42:31j'ai juste été,
42:33je me suis retrouvé là-dedans
42:35et j'ai fait comme j'ai pu.
42:37Pas du tout d'honneur de leçon.
42:39Voilà.
42:41Écoutez, un grand merci Nicolas Barré
42:43pour ce témoignage poignant,
42:45retraçant le carnet de guerre
42:47de votre père. Merci Mathieu,
42:49merci Arthur, rendez-vous la semaine prochaine
42:51et nous on se retrouve dans une seconde
42:53pour l'heure des pro 2, à tout de suite.

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