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00:00Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le sociologue, auteur et éditorialiste Mathieu Bockcôtter.
00:04Bonjour Mathieu, bienvenue sur Europe 1.
00:07Donald Trump a donc pris ses fonctions.
00:09Comme promis, cette nuit, il a signé une pluie de décrets pour lancer son mandat.
00:13C'est un tapis de bombe de décision.
00:14On va regarder ce qu'il y a dedans, mais je voudrais d'abord revenir avec vous Mathieu
00:17sur le discours d'investiture hier, les mots de Donald Trump.
00:21L'âge d'or commence aujourd'hui, le déclin s'arrête maintenant a-t-il dit.
00:25Et il a aussi présenté son investiture comme un Liberation Day,
00:29un jour de libération.
00:31Alors, il faut comprendre, il y a une forme d'optimisme américain qui appartient à la psychologie du pays
00:35et à l'esprit du conservatisme américain, c'est-à-dire l'âge d'or est toujours devant nous.
00:38Ça, c'est l'esprit américain.
00:40Pour le reste, il faut comprendre comment les Américains ont vécu,
00:43une bonne partie d'entre eux, à tout le moins les quatre dernières années.
00:45Et on pourrait remonter ça jusqu'au début des années 90,
00:48mais surtout les quatre dernières années ont été vécues comme une forme de folie,
00:51de folie collective.
00:52On a beaucoup parlé de Donald Trump et la question du wokisme.
00:56C'est très important ici, parce que les Américains n'ont pas voté que sur la question du pouvoir d'achat.
01:01Ils n'ont pas voté que sur la question de l'inflation.
01:04Il y a aussi, depuis quelques années en fait, la séquence qui va de Black Lives Matter à aujourd'hui.
01:08Il y a eu, par exemple, cette espèce de sacralisation de la race et du genre dans le débat public,
01:14dans un pays qui croyait justement à être colorblind, comme on dit,
01:17c'est-à-dire ne pas tenir compte de la race des uns et des autres
01:20pour mettre de l'avant le mérite individuel.
01:22Là, il y a eu un racialisme américain qui a été particulièrement conquérant
01:26depuis quatre ans.
01:27Les Américains ont l'impression de rompre avec cette folie woke.
01:30La question de la censure, très importante, qui s'était emparée des campus.
01:33Il y a une censure qui frisait souvent avec l'hystérie
01:36chez des meutes d'étudiants aux cheveux mauves
01:38qui décidaient de s'en prendre à tel ou tel conférencier.
01:40C'est un autre élément.
01:41Mais la question trans, qui est très importante aussi,
01:44parce que beaucoup d'Américains ne comprennent pas exactement
01:46comment on avait pu donner tant de pouvoir à ces docteurs faux-l'amour
01:49qui véritablement mutilaient par des opérations chirurgicales ou des traitements chimiques
01:54des enfants ou des adolescents, plus largement, à l'identité confuse.
01:58Et là, il y avait de véritables mutilations.
02:00Donc, beaucoup d'Américains ont l'impression, depuis novembre,
02:03qu'une forme de chape de plomb idéologique est tombée.
02:06Voilà pourquoi j'ai parlé hier de 1989 intérieur,
02:10c'est-à-dire une idéologie dominante qui sent disparaître complètement.
02:13Elle demeure très forte.
02:14Mais là, elle a perdu une bataille importante.
02:17Le retour du sens commun.
02:18Le retour du sens commun qui fait partie aussi des thématiques classiques
02:21du conservatisme américain.
02:22Donald Trump place aussi son action présidentielle,
02:25c'est frappant, sous le signe de l'état d'urgence.
02:27Surtout les sujets à état d'urgence, à la frontière avec le Mexique,
02:30sur la question migratoire, pour l'énergie.
02:32État d'urgence pour l'énergie, il faut fourrer.
02:34Pour l'économie également.
02:35Qu'est-ce que ça signifie ?
02:37Il y a une temps perdue à rattraper, c'est ça ?
02:39Dans son esprit, encore une fois, je dis toujours,
02:41Trump, il ne s'agit pas d'être d'accord ou non avec lui.
02:43Il faut d'abord comprendre comment il se comprend lui-même.
02:45Le premier élément, c'est qu'il y a une perte complète du contrôle à la frontière.
02:50Il faut bien comprendre qu'il utilise le terme invasion.
02:54Je devine qu'il ne serait pas bienvenu en Europe,
02:55mais il dit qu'il y a une invasion à la frontière,
02:57donc on doit restaurer la frontière clairement,
02:59en restaurant ce qu'on appellerait en Europe le refoulement.
03:03C'est-à-dire là, il ne s'agit plus de traiter chaque demande
03:05qui se présente à nous avec un droit accordé à chacun de traverser la frontière.
03:09Il a d'ailleurs suspendu cette nuit la fameuse plateforme numérique
03:11qui permettait de demander l'asile depuis le Mexique.
03:13Exactement.
03:14Autrement dit, la banalisation, la transformation du droit d'asile
03:18en filière migratoire parmi d'autres,
03:19il dit que ça doit se terminer.
03:20Donc, on va prendre les moyens nécessaires pour cela.
03:23Et il y a dans la gouvernance propre aux États-Unis,
03:25le fait qu'il prend le pouvoir et à travers une série d'actes, de décrets,
03:28ça envoie un signal fort à son administration.
03:31Donc, il n'attend pas simplement le processus législatif classique.
03:36Il peut, par ses décrets, marquer une nouvelle orientation à sa présidence.
03:39C'est la restauration du pouvoir politique.
03:41Oui, exactement.
03:42Et ça, je pense que c'est très important,
03:44parce qu'on a beaucoup parlé depuis quelques temps du projet 2025
03:47reporté par le Heritage Foundation, un think-tank conservateur assez important.
03:51Mais dans l'esprit des conservateurs américains,
03:53le pouvoir politique a été confisqué sur l'espace de plusieurs décennies
03:57par une caste bureaucratique intermédiaire.
04:00Le deep state, dans l'État profond, ainsi l'appelle Donald Trump.
04:03Alors ça, c'est la formule, on pourrait dire, polémique.
04:05On parle aussi de l'État administratif.
04:07L'État administratif, donc cette couche administrative intermédiaire
04:10qui avait confisqué beaucoup de pouvoirs
04:12et qui n'était pas redevable démocratiquement vers qui que ce soit.
04:16La stratégie des conservateurs, c'est-à-dire
04:18on va ramener le pouvoir à la Maison Blanche
04:20ou à la rigueur au Congrès, là où il dépend de la volonté populaire
04:23et on va être capable d'agir et de se dégager d'une gaine administrative
04:27qui limitait la capacité d'action des États-Unis ou de la présidence.
04:30Alors ça, c'est la partie qui va inquiéter certains
04:32ou enthousiasmer en Europe.
04:34Il y a une partie aussi peut-être plus inquiétante.
04:36La présidence Trump, elle est perçue comme impériale.
04:39Je donne un exemple.
04:40La revue Le Grand Continent interprète par exemple
04:42la présence de dirigeants étrangers hier au Capitole.
04:44C'est une première dans l'histoire américaine
04:46que des chefs d'États étrangers ou de gouvernements
04:48assistent à l'investiture du président des États-Unis
04:50comme le signe d'une vassalisation des alliés de l'Amérique.
04:54Et puis il y a ce projet, je trouve intéressant,
04:56qui est très en vogue chez les Trumpistes.
04:57C'est Scott Besant, donc le nouveau secrétaire au Trésor.
04:59Il voudrait quelque part réprimer financièrement les alliés de l'Amérique
05:02en disant, vous voulez la protection de l'OTAN ?
05:04Très bien, il va falloir acheter des obligations longues
05:07du Trésor américain à taux réduit.
05:09Il va falloir financer notre déficit.
05:11C'est pas encore fait, mais c'est dans l'air du temps, Mathieu Bocoté.
05:13Alors, il y a une autre grille de lecture de la chose.
05:15Sur la question du financement de la défense,
05:16les Américains, et pas que les Républicains sur le coup,
05:20les Américains considèrent que l'Europe
05:23vit sous la protection du parapluie américain depuis trop longtemps
05:26et qu'elle s'est déchargée de ses responsabilités militaires.
05:29Donc l'Europe, autrement dit, n'investit pas dans sa défense
05:31et peut investir dans l'État social.
05:33Les Américains disent, un instant,
05:34et ça, ça remonte aux années 90, ce discours-là, on doit bien comprendre.
05:37On pourrait même dire à la guerre froide.
05:38Quand on attache ça avec le fait, par exemple,
05:40les vues sur le Groenland,
05:41la volonté de rebaptiser le golfe du Mexique,
05:43le golfe d'Amérique, etc.
05:45Je pense que ça, on bascule.
05:46Il faut comprendre le basculement psychologique
05:48et idéologique des Américains là-dessus.
05:50Avec Trump, les Américains renoncent
05:52à ce qu'on pourrait appeler au leadership démocratique global
05:54qui était très post-1989,
05:56ce néo-wilsonisme post-1989.
05:59On est plutôt dans cette idée que le monde
06:00se divise en plusieurs aires de souveraineté,
06:02plusieurs aires d'influence.
06:04Or, l'Amérique du Nord,
06:05on pourrait dire du Groenland jusqu'au Panama,
06:07donc le Nord est un peu large,
06:08c'est la nouvelle doctrine Monroe aussi, si on veut.
06:11C'est le lieu de la souveraineté ou de l'hégémonie américaine.
06:14Et dès lors, c'est une souveraineté ou une hégémonie
06:16appelée à s'exercer partout sur le continent,
06:18ce qui provoque de très légitimes réserves
06:20à la fois chez les gens du Groenland,
06:22mais chez les Canadiens,
06:23mais chez les Québécois,
06:24mais chez les Mexicains et ainsi de suite.
06:25Donc là, c'est la dimension impériale du Trumpisme.
06:28Trump n'est pas contrairement à ce qu'on dit isolationniste.
06:31Ce n'est pas isolationniste.
06:33Il est unilatéraliste.
06:35Il se dit, il y a une puissance américaine,
06:37elle doit faire valoir ses droits
06:38dans l'espace de souveraineté qui est le sien.
06:40De ce point de vue,
06:41il participe pleinement au retour des empires,
06:43tel qu'on le voit aujourd'hui,
06:44avec ce pluralisme du monde
06:46qui implique un pluralisme des empires
06:47pour le meilleur et peut-être surtout pour le pire.
06:49Merci beaucoup Mathieu,
06:50beau côté qu'on retrouve fréquemment
06:52sur l'antenne d'Europe 1,
06:53notamment d'Europe 1 Soir,
06:54et puis sur CNews évidemment,
06:55dans Face à l'Info avec Christine Kelly à 19h.
06:57Merci Mathieu, bonne journée.