• il y a 11 heures
Mathieu Bock-Côté propose un décryptage de l’actualité des deux côtés de l’Atlantique dans #FaceABockCote

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00:00Il est au juste 19h. Bonsoir à tous. Face à Boccote, en direct sur CNews jusqu'à 20h.
00:06Bonsoir Mathieu Boccote. Bonsoir Arthur Devat-Trigan.
00:10Au sommaire ce soir, le sort de la démocratie européenne se joue-t-il en ce moment en Russie, en Roumanie ?
00:16La question peut sembler étrange mais se pose bel et bien depuis l'annulation de l'élection présidentielle il y a quelques semaines à peine.
00:22Raison invoquée par la cour constitutionnelle roumaine, le processus électoral aurait été déréglé par la Russie à travers une manipulation du réseau social TikTok.
00:32La réalité pourrait toutefois être bien différente et si le pouvoir cherchait à se protéger en barrant la route au candidat anti-système, Mathieu Boccote nous expliquera tout cela.
00:42Nous évoquerons également l'avenir européen du conservatisme occidental.
00:46On a l'habitude de faire du conservatisme une idéologie trouvant surtout ses assises aux Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon.
00:53Et pourtant l'Europe cherche aussi à développer sa propre voie conservatrice au point même où on parle aujourd'hui d'une voie italienne vers le conservatisme.
01:01Enfin, l'invité de cette émission, Brice Couturier, journaliste et essayiste, il viendra nous parler de son livre « 1979, le grand basculement du monde » aux éditions Perrin.
01:16Et avant de développer l'ensemble de ces thèmes, l'essentiel de l'actualité. Bonsoir Isabelle Piboulot.
01:31Bonsoir Yohann, bonsoir à tous. Le profil de l'auteur présumé de l'attaque de Magdebourg se précise.
01:37Réfugié saoudien de 50 ans, médecin psychiatre de profession, il se déclare ouvertement athée et anti-islam,
01:44issu d'une famille musulmane chiite. Il aurait été mécontent du traitement des réfugiés saoudiens en Allemagne.
01:50L'attaque d'hier à la voiture Bélier sur un marché de Noël a fait au moins 5 morts et plus de 200 blessés.
01:56Annonce de la SNCF. Le trafic ferroviaire sera suspendu demain et lundi sur une partie du réseau normand.
02:03Sans concerner les axes Caen-Cherbourg et Caen-Grandville. La Normandie et la Bretagne sont touchées par des vents violents.
02:10Météo France prévoit plusieurs départements en vigilance orange demain. La Manche, l'Île-et-Vilaine et les Côtes-d'Armor.
02:16Des rafales pouvant dépasser les 120 km heure sont attendues.
02:20Et puis, icône populaire de la cuisine française sur le petit écran, Maïté est décédée à l'âge de 86 ans.
02:27L'animatrice de l'émission La Cuisine des Mousquetaires a marqué les mémoires avec des séquences devenues cultes.
02:33Sa préparation de languilles, sa dégustation aux dortholans. Sur X, le chef de l'État a adressé ses condoléances aux proches de Maïté.
02:40Source d'inspiration pour tant de familles qui incarnaient si bien l'art d'être français.
02:46Merci beaucoup Isabelle. Mathieu Boccoté. Le sort de la démocratie européenne, je le disais en présentation.
02:54Ce sort se joue-t-il en ce moment en Roumanie ?
02:57Alors cette question peut sembler étrange car on s'imagine rarement que l'avenir de notre civilisation se joue dans les Carpathes.
03:04Et pourtant, c'est ce qui se passe depuis l'annulation de l'élection roumaine, il y a quelques semaines à peine.
03:11Oui, je me permets de revenir sur ce sujet. J'en ai parlé un peu mais rapidement en face à l'info, il y a à peu près deux semaines.
03:16Parce que bon, premièrement l'actualité évolue en Roumanie.
03:19Et ce qui se passe en Roumanie peut être perçu comme un laboratoire de ce qui pourrait se passer demain en Europe occidentale,
03:26demain ailleurs tout simplement en Europe ou dans le monde occidental.
03:30Alors, je rappelle les événements. 24 novembre, les Roumains, à la surprise générale, votent pour un candidat, Kalin Djordjescu,
03:37qui est un candidat anti-système. Et là, on ne se contera pas d'histoire. Vu de loin, et même vu de près, ça a l'air d'un candidat assez original.
03:45Donc, assurément otano-sceptique, partisan d'une solution de paix accélérée en Ukraine avec ce que ça peut représenter.
03:52Probablement sympathique à la Russie, ce n'est pas un détail là-dedans.
03:56Nationaliste roumain orthodoxe, sceptique sur la COVID et anti-woke.
04:00Alors, vous avez un profil. La question fondamentale est, a-t-il été élu irrégulièrement?
04:05Est-ce qu'en l'espace de quelques semaines, il progresse très rapidement?
04:09Grande surprise. Mais ce qu'on constate, c'est que le processus électoral en lui-même, il y a eu vérification, est un processus qui s'est fait régulièrement.
04:18Alors, on se demande comment expliquer cette percée. Lui-même a mené une campagne en contournant les médias officiels, en misant sur les médias sociaux.
04:26Et là, par ailleurs, c'est une candidature qui dérange le système, quoi qu'on en pense.
04:31Lorsque je parle de ça, il ne s'agit pas d'une adhésion au candidat de Giorgis,
04:35il s'agit de se demander dans quelle mesure il est permis d'annuler une élection dont les résultats nous déplaisent.
04:40Parce qu'effectivement, ça déplaît plus largement à l'Union Européenne, ça déplaît plus largement à l'OTAN, à l'administration américaine.
04:49Donc, on se demande que faire avec ce candidat.
04:51Et là, deux jours avant le deuxième tour de l'élection présidentielle, la Cour constitutionnelle de Roumanie décide d'abolir, tout simplement, d'annuler les élections.
05:01Les élections n'ont pas eu lieu. Pourquoi ? Parce que, disent-ils, la Cour constitutionnelle, parce que l'élection aurait été manipulée par la Russie.
05:10Mais manipulée de quelle manière ? Par la manipulation du réseau social TikTok.
05:15Donc, il y a une manipulation telle de TikTok qu'on aurait déréglé l'esprit de tous les Roumains, qui sont dès lors traités comme des enfants manipulables.
05:24On infantilise une population en disant qu'on a manipulé TikTok, on était capable de piloter ainsi les votes, les comportements électoraux de milliers, de centaines de milliers, de millions de Roumains.
05:34Résultat des courses, ils ont voté en n'ayant pas tout leur esprit, disons-ce comme ça.
05:38Et la Cour constitutionnelle de Roumanie décide d'annuler, tout simplement, le résultat en disant qu'on va reprendre le processus électoral plus tard.
05:46Je note que des libéraux là-bas, des libéraux occidentalistes roumains, donc des libéraux qui sont de sensibilité européenne, s'opposent à cette annulation en disant que c'est scandaleux ce qui vient de se passer.
05:58On n'annule pas le résultat d'une élection simplement parce qu'il nous déplaît. Quelle sera la prochaine étape ?
06:04Donc il y a une inquiétude réelle en Roumanie en disant un instant que TikTok a été manipulé.
06:08Peut-être, comme par ailleurs, on pourrait ajouter qu'il y a toujours une forme de manipulation extérieure, intérieure, des réseaux sociaux, de la télévision, de la radio, peut-être.
06:16Mais dans la mesure où le processus électoral est intègre, de quel droit se permettons, parce qu'on n'aime pas le résultat d'une élection, de l'annuler ?
06:24Je note que l'Union Européenne, avec Mme von der Leyen cette semaine, a annoncé une procédure contre TikTok, dans l'esprit du traité européen sur le numérique, la loi sur le numérique,
06:35en disant qu'on est probablement devant une « ingérence étrangère » dans une élection européenne et dès lors il faut mieux encadrer les réseaux sociaux.
06:45Je précise que Mme von der Leyen a déjà dit qu'en 2024, et j'y reviendrai dans un instant, janvier 2024 à Davos, la désinformation est l'enjeu principal de notre temps aujourd'hui pour la démocratie.
06:57Puisque TikTok aurait été un instrument de désinformation au service d'un candidat anti-système qui aurait réussi à traverser le premier tour et arriver au deuxième,
07:06et bien dès lors il faut engager une procédure contre ce réseau social qui aurait été piraté parce qu'on le présente comme des ennemis de la démocratie.
07:14Je note que le département d'État américain lui-même a salué cette annulation, que les Américains se permettent d'intervenir dans les élections étrangères, ça on n'a jamais vu dans l'histoire.
07:22Alors finalement, après tout ce que vous venez de nous dire, est-ce qu'il faut être surpris par une telle annulation ?
07:27Pas du tout. Pas du tout. En fait, pour moi j'y vois un point d'aboutissement. Alors je le redis pour que ce soit bien clair au cas où des gens comprendraient mal.
07:34Dire tout cela, ça ne veut pas dire qu'on applaudit le candidat. Ça veut dire qu'en démocratie on accepte qu'elle l'emporte, même ceux avec qui on est en désaccord.
07:41Mais revenons, petit détour par l'histoire, 2016. 2016, c'est la double victoire du Brexit et de Donald Trump, première mouture.
07:49Rappelez-vous la réaction des adversaires du Brexit, qui disent « mais qu'est-ce que c'est que ce vote ? »
07:55Et là, ils ne peuvent pas s'imaginer que les gens aient vraiment voté pour une option aussi illégitime.
07:59Parce qu'il y avait une hégémonie du point de vue pro-Leave, pro-Remain, pas pro-Leave, pro-Remain dans l'Union européenne en Grande-Bretagne.
08:08Et qu'est-ce qu'on se dit ? Eh bien non, les gens n'ont pas vraiment voté pour ça.
08:11En fait, ils ont été manipulés par une utilisation, à l'époque c'était le Cambridge Analytica,
08:16donc une utilisation de données qui aurait permis d'orienter le vote de telle manière que si les électeurs n'avaient pas été manipulés,
08:23ils n'auraient pas voté pour quelque chose d'aussi abject que le Brexit.
08:272016, arguments semblables utilisés pour dire de la victoire de Donald Trump qu'elle est illégitime.
08:33On se demande même si elle n'est pas cette fois-là le coup des Russes.
08:36Donc le coup des Russes est utilisé pour expliquer une élection qui déplaît.
08:39Dans les deux cas, je note qu'un récit commence à s'imprimer dans l'esprit public.
08:44Les peuples qui votent mal, c'est-à-dire qui se dérobent aux injonctions idéologiques du discours dominant,
08:51le font non pas parce qu'ils ont décidé pour différentes raisons, on peut avoir différentes raisons de voter,
08:57mais parce qu'ils sont manipulés de l'extérieur.
08:59Si les résultats n'étaient pas détournés par des manipulations extérieures,
09:03les peuples voteraient correctement et nous n'aurions pas devant nous le problème du populisme.
09:08Donc là, l'enjeu, c'est l'idée du contrôle de l'information.
09:12Et on le voit dès 2016.
09:13Comment contrôler l'information pour s'assurer que les peuples ne récidivent pas dans le vote populiste?
09:19Et c'est à ce moment qu'apparaît tout le discours autour du contrôle des réseaux sociaux,
09:24le nécessaire contrôle des réseaux sociaux du temps,
09:26pour éviter qu'il ne soit utilisé pour une désinformation au service de candidats désagréables au système.
09:33Et ça nous ramène à Madame von der Leyen dont je parlais il y a un instant.
09:37Janvier 2024, la désinformation est le véritable enjeu aujourd'hui pour sauver les démocraties.
09:42Mais ce que l'on comprend, c'est que le système, le régime, nomme des informations,
09:47toutes mises en récit de l'actualité, qui n'entrent pas dans le narratif dominant.
09:51Donc en gros, vous n'êtes pas d'accord avec la grille de lecture portée par l'Union Européenne,
09:56on vous accusera de désinformation.
09:58De la même manière, si vous êtes en désaccord avec certaines idéologies,
10:01ou certaines revendications sociétales, on dirait que vous êtes dans des propos haineux.
10:06Je note que l'argument utilisé pour annuler l'élection en Roumanie,
10:09TikTok manipulé pour dérégler le comportement électoral des Roumains,
10:14c'est le même argument utilisé il y a quelques semaines pour délégitimer l'élection américaine,
10:19c'est la faute à Elon Musk, c'est la faute à Twitter, à X.
10:23Si ce n'était l'X, si ce n'était l'Elon Musk, on n'aurait pas perdu l'élection, plusieurs disent.
10:28Ce qu'on peut se demander ici, c'est probablement,
10:31aurait-il souhaité aussi annuler les résultats de l'élection américaine.
10:34Mais c'est plus facile d'annuler une élection en Roumanie, dans les Carpathes,
10:38qu'annuler une élection sur les rives du Potomac.
10:41C'est plus compliqué.
10:43Mais la question qu'on peut se demander, si c'est ce qui se passe en Roumanie,
10:47n'est pas un test, un laboratoire de ce que j'appelle la post-démocratie.
10:51Parce que là, le système s'est dévoilé, il a fait un exemple en disant clairement,
10:56« Voyez, là, on n'aime pas le résultat, on annule l'élection. »
10:59Est-ce qu'on peut voir là un laboratoire du sort qui pourrait frapper d'autres démocraties occidentales
11:05qui voteraient pour des candidats qui ne sont pas reconnus comme légitimes
11:11par l'oligarchie progressiste, européiste, mondialiste.
11:15Par ailleurs, la question qui se pose, c'est aussi, qu'est-ce qu'on doit faire une fois qu'un peuple a mal voté ?
11:22Parce qu'on fait tout pour qu'il ne vote pas mal, on multiplie la censure,
11:25on dissout les associations militantes qui sont jugées trop identitaires, trop conservatrices,
11:30on conduit devant des tribunaux ceux qui pensent mal.
11:33Mais une fois qu'on a fait tout ça, et que ça ne fonctionne pas, qu'est-ce qu'on doit faire ?
11:36On voit que les méthodes sont nombreuses.
11:38Boris Johnson a raconté dans ses mémoires comment les élites britanniques ont tout fait
11:42pour que le vote du Brexit n'aboutisse pas au Brexit.
11:44D'ailleurs, le Brexit qu'on a eu devant nous est un Brexit assez light, assez soft,
11:48parce que les élites britanniques ont tout fait pour le neutraliser.
11:51De la même manière, le front républicain en France, aux dernières élections législatives,
11:55c'était une forme de détournement de l'intérieur du système électoral
11:59pour éviter qu'il ne donne des résultats contraires au souhait de l'oligarchie,
12:04de l'élite dominante de la nomenklatura.
12:07Et demain, on peut le voir en Allemagne, c'est intéressant, avec la logique du cordon sanitaire
12:11qui est pratiquée en Allemagne devant l'AFD.
12:14On parle même de l'interdiction possible de l'AFD.
12:16Un parti qui pourrait être deuxième aux prochaines élections législatives en février,
12:20on envisage son interdiction.
12:23Donc, à défaut de pouvoir battre quelqu'un politiquement, on décide de l'interdire.
12:26Je note qu'en France, on envisage aussi la décapitation juridique de l'opposition nationale.
12:30On en saura davantage avec le sort de Marine Le Pen dans quelques semaines.
12:33Après vous avoir bien écouté, Mathieu, il y a une question simple qui se pose.
12:38Sommes-nous toujours en démocratie si on peut annuler si facilement une élection ?
12:43Je dirais que nous y sommes encore formellement, mais de moins en moins substantiellement.
12:47Les techniques d'annulation des résultats électoraux désagréables pour le système
12:52sont de plus en plus audacieuses et décomplexées.
12:55C'est-à-dire que là, on ne fait plus semblant.
12:57Lorsqu'on perd une élection, on ne se dit pas qu'on va en gagner une dans quatre ans, dans cinq ans,
13:01parce qu'on se dit que cette victoire électorale aurait des conséquences trop grandes,
13:05comme dans le cas de la Roumanie, pour plus largement le monde occidental.
13:08Il y a quelque chose là-dedans qui me frappe, c'est dans le discours antipopuliste.
13:13Ça me fait beaucoup penser, moi je fais souvent cette comparaison entre l'Union européenne et l'Union soviétique.
13:17Dans l'Union soviétique, il y avait au moment de la doctrine Brejnev,
13:20il y avait cette idée que les pays du bloc de l'Est avaient une autonomie relative
13:24dans le cadre du pacte de Varsovie et dans le cadre du respect de l'idéologie socialiste,
13:30l'idéologie dominante socialiste.
13:31Et si vous respectiez ça, vous aviez une autonomie relative dans le système.
13:34Mais si vous vouliez sortir du pacte de Varsovie, ou si vous vouliez sortir du socialisme,
13:38la répression était brutale.
13:40Alors les méthodes ne sont évidemment pas les mêmes à l'ouest aujourd'hui,
13:43mais la comparaison s'impose.
13:45Si vous voulez sortir de ce qu'ils appellent l'État de droit,
13:48qui est dans les faits aujourd'hui, non pas l'État de droit,
13:51mais ce mélange de néo-féminisme, de multiculturalisme, d'immigrationnisme,
13:54de gouvernement des juges, de négation de la souveraineté populaire,
13:58on dit vous sortez de l'État de droit et on va vous sanctionner.
14:01Mme van der Leyen avait déjà dit à propos de l'Italie,
14:03au moment de l'élection de Mme Mélanie,
14:05si le résultat nous tourne mal, nous savons quoi faire.
14:08Le traitement réservé à la Hongrie peut être considéré comme tel aujourd'hui,
14:11malgré les critiques qu'on peut faire du régime hongrois.
14:13Et de la même manière, on ne peut pas sortir du cadre stratégique,
14:16ou même, je ne dirais pas sortir,
14:17mais faire un pas de côté dans le système stratégique de l'OTAN,
14:20de la même manière qu'on ne pouvait pas sortir hier du pacte de Varsovie.
14:24Donc je trouve qu'il y a quelque chose dans tout cela d'assez inquiétant.
14:28Pour l'instant, ceux qui ont annulé cette élection,
14:31en Occident, la presse occidentale,
14:33applaudissent l'annulation de l'élection roumaine en disant,
14:35on a sauvé la démocratie, on a sauvé l'État de droit, bravo, heureusement.
14:39De mon côté, il me semble, avec quelques pertes,
14:42si on voulait utiliser les mots qui s'imposent,
14:45on devrait parler tout simplement d'un coup d'État.
14:47Et bien tout cela est effectivement très effrayant.
14:50Quel est votre regard, votre commentaire, Arthur Devat-Trigon?
14:53Ces coups d'État, ce coup d'État, on l'a déjà connu en France.
14:56Et il faudra peut-être s'en rappeler.
14:58Rappelez-vous les élections régionales de 1998.
15:01Après la dissolution faite par Jacques Chirac,
15:04la droite ne conserve les présidences de ses conseils régionaux
15:08que par leurs élections, avec l'aide des voix du Front National.
15:11Et donc courageux, évidemment, il y a la tempête médiatique et politique,
15:16et le cirque antifasciste se lance dans une grande tournée comme il s'affaire,
15:19avec des bruits de bottes mimés comme jamais.
15:21Et donc courageux, une grande partie des présidents élus
15:24démissionnent illico le lendemain pour se refaire réélire avec les voix de gauche.
15:28Et il y en a d'autres qui s'y refusent.
15:30Il y a Charles Millon, par exemple, en Rhône-Alpes.
15:32Et donc à ce moment-là, la troupe antifasciste convoque ses plus grands clowns.
15:35Je rappelle qu'il y avait parmi eux Alain Jacobovits qui était président du CRIF
15:38et qui avait déclaré, avec très à propos,
15:42que c'est par la voie institutionnelle que les nazis sont arrivés au pouvoir.
15:45Il y avait également notre actuel Premier ministre, Bayrou,
15:48qui fit dont son plus bel organe pour participer à ce concerto contre la démocratie.
15:53Et que ce qu'il passait, l'élection a été invalidée par le Conseil d'État.
15:57Un mois plus tard, rappelez-vous, il y avait un sondage dans Figaro magazine
16:00qui attestait que 57% des sympathisants de droite
16:04estimaient que Charles Millon avait eu raison d'accepter les voix du FN
16:08et de ne pas démissionner pour laisser la région à la gauche.
16:10Donc on commence à savoir, la démocratie, ça ne coûte pas très cher quand il faut la brandir.
16:14En revanche, c'est un peu plus compliqué à accepter lorsqu'elle joue contre vous.
16:18Un autre exemple, quelques années plus tard, c'est le traité de Lisbonne.
16:21Rappelez-vous, 2005, les Français disent non au référendum.
16:24Les tenants du Oui ne comprennent pas pourquoi un peuple refuse une institution illégitime
16:29qui va leur apposer un droit. C'est un effet assez étonnant.
16:32Deux ans plus tard, Nicolas Sarkozy ressort de la Constitution l'air de rien.
16:36Alors c'est vrai que c'est dans son programme d'élection,
16:38comme le Karcher, la justice, l'immigration.
16:40Il a au moins tenu une promesse de campagne, c'est le traité de Lisbonne,
16:43c'est-à-dire la vente de la France à la découpe.
16:45Mais là, on était sur des voyants très rouges.
16:47C'est-à-dire, vous voulez cacher le cadavre au baie sous le tapis,
16:50ça commence à se voir.
16:51Et donc forcément, les Français commencent à râler.
16:53Mais comme il n'est pas question non plus d'accepter les préférences du peuple
16:57qui sont inacceptables, on va verrouiller de manière un peu plus discrète.
17:00Par exemple, dernière dissolution, donc élection législative qui suit,
17:04on s'est assis sur des conventions non écrites.
17:06Ces conventions non écrites, c'est nommer à la vice-présidence de l'Assemblée
17:10et dans des commissions les personnes du premier parti d'opposition.
17:13Bon là, c'était le RN, donc on ne l'a pas fait.
17:15Encore mieux, cette fois-ci, histoire d'anticiper le fait accompli,
17:19on glisse une petite exécution provisoire
17:22pour empêcher une potentielle gagnante de la prochaine élection
17:25de se présenter, donc de gagner.
17:27Et donc comme un type qui n'est pas très confiant
17:29et qui met des bretelles avec une ceinture,
17:31on se dit que ça peut peut-être passer.
17:33Donc dans le doute, qu'est-ce qu'on fait ?
17:34On envoie sur orbite un potentiel candidat qui va remplacer Laurent Fabius
17:38qui s'appelle Dupond-Moretti.
17:40On connaît sa lutte contre le Rassemblement national.
17:43Donc la France avait créé des différentes strates,
17:45Conseil d'État, Conseil Constit pour limiter les abus de pouvoir.
17:48Et ces gardes fous sont devenus en fait des gardes chiourmes
17:51qui permettent au pouvoir de rester en place.
17:53Et après aujourd'hui, on se demande tout peu d'eau.
17:55Je ne comprends pas pourquoi le régime ne fonctionne pas.
17:57Il est vrai que la possible nomination de M. Dupond-Moretti
17:59à la tête du Conseil constitutionnel
18:01suscite des interrogations et même peut-être parfois certaines inquiétudes.
18:06Merci Arthur.
18:07Parlons à présent de l'avenir européen du conservatisme occidental.
18:10Mathieu, on a l'habitude de faire du conservatisme d'idéologie
18:14ou même une philosophie,
18:16trouvant surtout ses assises aujourd'hui aux États-Unis
18:19et dans le monde anglo-saxon.
18:21Et pourtant, l'Europe cherche aussi à développer sa propre voie conservatrice
18:26au point même où on parle aujourd'hui d'une voie italienne
18:29vers le conservatisme et qu'un grand événement
18:31se tenait il y a quelques jours à ce sujet en Italie.
18:34C'est l'objet de votre second édito.
18:36Oui, c'est assez intéressant.
18:38On suit souvent l'histoire idéologique de la gauche,
18:40d'autant que la gauche elle-même ne cesse de théoriser
18:42ce que veut dire être de gauche,
18:44alors que la droite se prétend souvent très pragmatique.
18:46La droite serait le parti du pragmatisme,
18:48mais elle n'aurait pas de réflexion philosophique.
18:50Or, qu'est-ce qu'on a vu depuis les années 90 aux États-Unis
18:53et plus récemment encore, mais ça s'est accéléré,
18:56on a eu ce qu'on appelle le conservatisme,
18:59une transformation en profondeur du conservatisme américain
19:02qui est passé globalement de la synthèse Reagan,
19:05c'est-à-dire un conservatisme où les États-Unis se veulent impériaux,
19:09une puissance impériale dans le monde au nom de la démocratie.
19:12Ensuite, dans les années 90, on a ajouté à ça
19:15le conservatisme religieux, la sacralisation des marchés,
19:19le néo-conservatisme qui demandait aux États-Unis d'intervenir,
19:22surtout dans les années 2000, d'intervenir partout
19:25pour imposer la démocratie par les bombes.
19:27Et là, on a eu un tournant du conservatisme
19:29qui a mis l'accent aux États-Unis
19:31sur conscience de la pluralité des civilisations,
19:34critique de l'immigration massive,
19:36critique de la gouvernance globale au nom de la souveraineté nationale,
19:39des guerres ouvertes culturelles, évidemment, contre le wokeisme.
19:43Donc, il y a eu une transformation du conservatisme américain
19:46qu'on connaît assez mal en Europe.
19:48D'autant que le conservatisme européen lui-même
19:51a une évolution un peu triste depuis une quarantaine d'années.
19:54Le conservatisme européen s'est souvent contenté d'être non-gauche.
19:58C'est-à-dire, globalement, il acceptait les objectifs de la gauche,
20:01mais il disait ensuite qu'on ne pourrait pas aller trop vite, s'il vous plaît,
20:04pourriez-vous respecter notre rythme
20:06pour que nous consentions à notre propre défaite.
20:09Et c'est un conservatisme purement défensif
20:12qui avait d'ailleurs tendance à se patrimonialiser.
20:14Donc, le conservatisme européen disait, le meilleur a été fait, il est derrière nous.
20:17Désormais, tout ce qu'on peut faire, c'est stopper les folies de la gauche
20:20et préserver les acquis du monde d'hier
20:23tout en sachant que l'érosion sera inévitable.
20:26C'est à ce moment que ce que fait Mme Meloni en Italie est intéressant.
20:29En 1998, elle a créé un événement
20:32au moment où elle était très engagée dans l'Alliance nationale,
20:35son parti à l'époque.
20:38Elle a créé un événement qui s'appelle Atreiu,
20:41je ne sais pas comment le prononcer, vous pardonnez mon italien,
20:44qui est un événement culturel pour rassembler à l'époque
20:47la jeunesse conservatrice italienne.
20:49Et dans cet événement, il s'agissait de mener la guerre,
20:52la bataille politico-culturelle.
20:55Je note, Atreiu, pourquoi, d'où vient ce mot,
20:58c'est une référence, vous connaissez le film L'Histoire sans fin
21:01qui a marqué notre enfance probablement.
21:04Du point de vue de Mme Meloni, un récit,
21:07elle aime beaucoup le genre fantastique, presque un récit,
21:10une mise en récit du génie européen.
21:13La politique est un conflit entre des forces profondes,
21:16un conflit civilisationnel, un conflit qui dépasse la gestion pragmatique des choses.
21:19Je note, soit dit en passant, que dans la droite européenne contemporaine
21:22aujourd'hui, et pas seulement, on retrouve aussi ce qu'on appelle
21:25la fantaisie, l'univers de Tolkien, tout ça. Et pourquoi?
21:28Parce qu'on trouve là un langage qui n'est pas strictement technique
21:31à travers la mythe, à travers la fiction, à travers la fantaisie,
21:34on retrouve quelquefois des figures héroïques, identitaires, européennes,
21:37fortes. Tout ça pour dire que Mme Meloni a fait le pari
21:40de faire un conservatisme qui serait offensif
21:43et depuis 30 ans, environ maintenant,
21:46un peu moins de 30 ans, elle invite des gens régulièrement
21:49pour participer à ce travail de refondation intellectuelle
21:52et métapolitique. Je note que depuis quelques années,
21:55depuis qu'elle a pris de l'importance politiquement,
21:58un lieu de rencontre des droites européennes,
22:01et même quelquefois occidentales, donc un lieu de rencontre des droites européennes
22:04en fixant une réflexion qui ne soit pas simplement patrimoniale,
22:07je le redis. Donc le conservatisme peut-il penser l'avenir?
22:10Quel est son point de vue sur l'intelligence artificielle?
22:12Quel est son point de vue sur les transformations économiques des temps présents?
22:15De quelle manière penser la défense de l'identité européenne aujourd'hui?
22:18De quelle manière penser la défense de l'identité italienne, française,
22:21danoise, faites la liste. L'an passé, le grand invité,
22:24c'était Elon Musk. Ça nous permet de voir un peu
22:27le côté droit technologique, le côté droit technophile,
22:30souvent en droite, et moi j'en suis, le côté la technologie,
22:33moi je m'en méfie, j'ai tendance à me dire qu'on aurait dû arrêter avec le téléphone fixe.
22:36Mais manifestement, ce n'est pas l'avis de tout le monde, heureusement.
22:39Cette année, elle poussait plus loin la réflexion,
22:42et c'était Javier Melei, le président argentin,
22:45qui aujourd'hui mène une politique de rupture profonde
22:48avec le socialisme dans toutes ses dimensions dans son pays.
22:51Une politique libertarienne qui se revendique de Murray Rothbard,
22:54le théoricien libertarien américain. Donc qu'est-ce qu'on voit en Italie?
22:57En fait, l'Italie cherche à dire qu'il y a une voie européenne vers le conservatisme.
23:00On ne sera pas des Américains comme les autres,
23:03mais on ne sera pas seulement des Européens qui défendent toujours
23:06les dernières traces du passé, persuadés que l'avenir sera terrible.
23:09Vous savez, Roger Scruton, le philosophe conservateur britannique,
23:12disait trop souvent, même dans le rapport à la beauté,
23:15on pense que la beauté ne peut venir que d'hier, parce qu'on ne fait plus confiance
23:18à notre époque pour créer du beau. Les conservateurs doivent miser
23:21dans la tradition profonde de notre civilisation pour créer du beau,
23:24mais à partir d'aujourd'hui. Donc on trouve en Italie,
23:27dans cette voie italienne vers le conservatisme, on verra ce que ça donne
23:30avec les années, mais l'idée d'une politique de droite qui ne soit pas
23:33qu'une non-gauche, mais pour être menée, elle doit justement mobiliser
23:36des ressources identitaires fortes, des ressources quasi mythologiques,
23:39des ressources culturelles. Donc c'est un laboratoire intéressant
23:42et tout ça donne des effets politiques. On le voit quand on regarde
23:45ce que devient l'Italie aujourd'hui.
23:48Comment la France peut-elle tirer de tout cela?
23:51Vous savez, souvent, la droite française est d'un conservatisme
23:54tout à fait timoré et empêché. C'est-à-dire que la droite, en France,
23:57continue de demander sa permission de penser à la gauche.
24:00D'ailleurs, il y avait très peu de représentants de la droite française
24:03à cet événement, sauf Marion Maréchal, qui était présente à une table ronde.
24:06En France, on pourrait dire que trop souvent, il y a eu,
24:09d'un côté, le libéralisme qui se voulait moderniste,
24:12et de l'autre côté, la réaction qui se voulait crépusculaire.
24:15Le conservatisme est censé proposer une pensée traditionnelle
24:18mais qui transcende, justement, le sentiment crépusculaire.
24:21Donc qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui? Ça veut dire assumer
24:24un conservatisme anthropologique, devant tout ce qui s'appelle
24:27la théorie du genre aujourd'hui, une conception de l'être humain
24:30enracinée, combative, et ne pas considérer que chaque victoire
24:33de la gauche est définitive. Il est possible de renverser
24:36culturellement les victoires de la gauche, ne pas se contenter
24:39d'un conservatisme muséal, ne pas se contenter d'un conservatisme
24:43La question du régime se pose ici comme elle ne se pose pas ailleurs.
24:46La France est probablement aujourd'hui dans une forme de 1958 bis,
24:49de ce point de vue. Probablement qu'un nouveau conservatisme français
24:52devra répondre aussi à l'enjeu du régime aujourd'hui,
24:55dans le cadre d'une crise civilisationnelle plus grande.
24:58Arthur de Vatrigan, votre commentaire sur ce qui vient d'être dit.
25:01La gauche révolutionnaire ne cesse de renaître, comme les vieilles
25:04erreurs et les vieilles hérésies, et à cause d'elle, aujourd'hui,
25:07en France du moins, certaines personnes de gauche, je vous dis
25:10se retrouvent avec l'étiquette de conservateur, ce qui est assez agaçant.
25:13Je vais juste rappeler 2-3 choses au nom du pas d'amalgame.
25:16Premièrement, le conservateur ne considère pas la société comme
25:19une œuvre d'art nouvelle à créer, de ses mains, parce qu'un monde
25:22lui préexiste avec ses propres lois et ses caractéristiques propres.
25:25Deuxièmement, le conservateur pense qu'il n'est pas à même de réinventer
25:29les choses, parce qu'il n'est pas lui-même à l'origine des choses
25:32et qu'il peut juste poursuivre ou améliorer une œuvre
25:35qui le précède et qui le dépasse. Troisièmement, un conservateur
25:38ne trouve pas humiliant de dépendre de plus haut que soi,
25:41qu'on appelle ça Dieu ou la nature, il ne s'en formalise pas plus que ça,
25:44et d'ailleurs ne s'en révolte pas. Et enfin, je termine en citant
25:47Burke, je ne voudrais rien changer que mieux le malheur de ce siècle
25:51et que chaque chose est mise en discussion.
25:54Merci à tous les deux, nous marquons une très courte pause,
25:57vous restez bien sûr avec nous, on se retrouve dans la deuxième partie
26:00de l'émission, nous accueillerons Brice Couturier, journaliste
26:03et essayiste, il viendra nous parler de son livre
26:06« 1979, le grand basculement du monde » qu'il publie
26:09aux éditions Perrin, à tout de suite.
26:15De retour en direct sur CNews, soyez les bienvenus
26:18dans la deuxième partie de Face à Boccote,
26:21bonsoir Brice Couturier, soyez les bienvenus, vous êtes journaliste
26:24et essayiste et vous publiez ce nouveau livre
26:27« 1979, le grand basculement du monde »
26:30aux éditions Perrin, c'est à vous Mathieu Boccote.
26:33Bonjour Brice Couturier, bonsoir.
26:36Les gens vous connaissent normalement comme éditorialiste,
26:39comme chroniqueur, mais on devrait aussi vous connaître
26:42comme historien des mentalités, pas seulement historien des idées
26:45mais historien des mentalités et vous vous intéressez dans ce livre
26:48à un moment tournant, un point de bascule d'une époque à l'autre,
26:51alors le titre « 1979 », je vous pose inévitablement
26:54comme première question, que se passe-t-il en 1979 ?
26:57Quel monde se termine ? Quel nouveau monde apparaît ?
27:00Effectivement, c'est une année de clivage absolu,
27:03je vais l'illustrer par quelques noms propres,
27:06Roménie prend le pouvoir en Iran, Margaret Thatcher est élue
27:09pour la première fois en Grande-Bretagne et déclenche une révolution conservatrice,
27:12Deng Xiaoping prend le pouvoir fin 1978 et déclenche
27:15ce qui va être la mondialisation puisqu'il ouvre la Chine
27:18au commerce international, il crée des zones spéciales
27:21pour y accueillir des investissements et Jean-Paul II,
27:24c'est pas rien non plus, fait son premier pèlerinage en Pologne
27:27et il montre au monde que la Pologne n'est plus communiste,
27:30ou peut-être qu'elle n'a jamais été. Donc vous voyez,
27:33c'est quelques individualités très fortes, quelques personnages historiques
27:36qui sont en train de faire basculer le monde vers ce que j'appellerais
27:39une restauration religieuse, il y a une dimension religieuse
27:42évidente qu'on remarque, c'est la vengeance de Dieu,
27:45comme dira Keppel un peu plus tard, et une révolution conservatrice
27:48également, dans le cas de Roménie, dans le cas de Thatcher,
27:51et puis Reagan est tout prêt, il va arriver l'année d'après.
27:54C'est un tournant d'époque, et c'est surtout un tournant...
27:57Je suis très content, et je vous remercie beaucoup d'avoir dit
28:00que je suis un historien des mentalités, parce que c'est ce que j'essaie d'être.
28:03Et ce que j'essaie de montrer, c'est qu'en 79, c'est la revanche
28:06de l'individu créateur, le personnage historique,
28:09comme je le disais tout à l'heure, sur ce qu'on a appelé
28:12à l'époque du structuralisme, les masses, les structures,
28:15ces forces souterraines qui faisaient agir
28:18les individus historiques à leur insu,
28:21dans des buts qu'ils ignoraient eux-mêmes et qu'on découvrait à la fin.
28:24Là, c'est des gens qui, par leur volonté personnelle,
28:27Thatcher, encore une fois, Roménie,
28:30ou Deng Xiaoping,
28:33impulsent un tournant historique qu'on va voir se réaliser
28:36ensuite dans les années 80. En réalité, c'est la grande
28:39ouverture aux années 80, c'est le début des années 80, c'est les trois coups.
28:42Alors, justement, vous nous parlez de grands personnages historiques,
28:45mais vous nous parlez aussi, dans votre livre,
28:48et ce n'est pas la première fois, d'une histoire culturelle aussi.
28:51Par exemple, les mouvements culturels, c'était l'engagement pour le collectif,
28:54l'individu voulait toujours s'engager pour une cause plus grande.
28:57Et là, dans les années 80, sur le plan esthétique, sur le plan de la musique,
29:00sur le plan de l'habillement, sur le plan de l'existence quotidienne,
29:03cette révolution est visible aussi.
29:06Alors, c'est la revanche de l'individu, là encore, parce que
29:09jusqu'aux années 60, dans mon bouquin, ça fait 69,
29:12j'avais montré qu'il y avait une grande désillusion à l'égard des engagements
29:15gauchistes, mais ils ont persisté dans les années 70, c'est l'époque
29:18du terrorisme en Italie, en Allemagne, la bande abadère, etc.
29:21En 79, d'un seul coup,
29:24tous ces anciens militants d'extrême gauche sont face
29:27à leurs échecs et ils sont obligés de se reconvertir.
29:30C'est là qu'en gros, les hippies deviennent des yuppies
29:33et ils vont être les yuppies des années 80, c'est la même,
29:36c'est cette génération, la mienne, les baby boomers.
29:39Donc, c'est très important, c'est pour ça que j'ai commencé par un chapitre
29:42mal compris par un collègue historien, parce que ça ne les intéresse pas,
29:45sur le rock, la BD, le cinéma et le clip.
29:48Parce que 79, c'est le début vraiment
29:51du moment où le rock se tourne vers le clip avec
29:54les New Romantics, avec David Bowie, etc.
29:57Et il y a les boîtes de nuit, 79, c'est le palace des bains douches.
30:00Pour nous, Français.
30:03Alors, il y a la dimension personnelle, il y a la dimension individuelle,
30:06il y a la dimension politique, et par ailleurs, la question vous semblera
30:09en 1979, on sent le changement d'époque.
30:12Est-ce que c'est un moment où tous sont conscients qu'on passe d'une époque à une autre ?
30:15Ah, ça c'est une bonne question.
30:18Justement, je me pose la question moi-même. Je ne suis pas sûr que les gens
30:21qui ont vécu cette époque-là, cette année-là, soient conscients.
30:24On va prendre conscience de ce qui est les années 80 dans les années 80.
30:27Et ça serait très progressif, évidemment, parce que, toujours pareil,
30:30les changements se produisent à l'intérieur d'un cadre, ce cadre
30:33n'évolue que progressivement, et je pense qu'en 79,
30:36on n'est pas encore conscients qu'il y a un tournant d'époque.
30:39Il y a une date, il y a un truc qui est formidable en 79, alors vous me direz,
30:42ça n'a rien à voir avec Romani, ni Satcher, et ça paraîtra bénin pour beaucoup de gens,
30:45mais pour les gens comme moi, qui s'intéressaient au rock, c'était capital,
30:48c'est le suicide de Ian Curtis, le chanteur de Joy Division.
30:51Ian Curtis se suicide en 79, et quelque part,
30:54c'est vraiment un tournant d'époque, parce que le groupe qui va prendre la suite
30:57de Joy Division, qui s'appelle New Order, c'est un groupe finalement
31:00festif, qui fait de la musique électro pour le dance floor,
31:04pour danser, et je pense que le passage
31:07de Joy Division, groupe sombre,
31:10introverti, lugubre même,
31:13à New Order, avec les mêmes musiciens,
31:16c'est un symbole d'un tournant d'époque.
31:19Vous me direz, c'est frivole et futile par rapport à Satcher
31:22et Romani.
31:25Arsenault, le matrigan ? Pas tant que ça.
31:28D'ailleurs, vous êtes, je vous rappelle, un ancien critique musical,
31:31je ne sais pas si vous l'avez lu, mais Patrick Codling a sorti sa biographie,
31:34et vous partagez avec lui la même date, 79 et le basculement.
31:37Est-ce que vous partagez aussi son constat, qui est de dire
31:40qu'en 79, le punk a été le dernier râle
31:43avant la fin ? Dans mon chapitre sur le rock,
31:46le premier d'ouverture de mon lyceum 79,
31:49je commence par ça. En fait, le punk
31:52a permis de créer une espèce de table rase.
31:55Le rock, dans les années 70, était devenu de plus en plus sophistiqué,
31:58avec le psychédélisme, les cours en néo-hippie, etc.
32:01Et d'un seul coup, les punks ont remis tout à zéro.
32:04C'était devenu extrêmement binaire. Alors, je raconte une anecdote qui est très amusante
32:07et qui est exacte. Sid Vachos,
32:10le personnage emblématique, c'est l'offo de la scène punk,
32:13meurt évidemment en 79, comme par hasard,
32:16et ses cendres sont conservées dans une urne.
32:19Le manager du groupe
32:22va donner ses cendres à la mère de Sid Vachos
32:25qui est en train de se saouler dans un pub.
32:28Elle fait tomber par inadvertance les cendres de Sid Vachos par terre
32:31devant le bar, et la barmaid nettoiera
32:34les cendres de Sid Vachos. Donc, vous voyez, 79, c'est vraiment
32:37la liquidation du punk, au point même que les cendres de Sid Vachos
32:40font l'objet d'un balayage. Donc, effectivement,
32:43c'est sur la base de cette table rase qu'on peut bâtir quelque chose
32:46qui va être, les années 80, hyper sophistiqué.
32:49Et ce n'est pas pour rien. C'est un beau symbole également.
32:52Cette espèce de table rase a quelque chose de très frivole,
32:55de très construit. L'ère du look qui commence en 79 également,
32:58c'est le moment où Jean-Paul Gaultier, Thierry Mugler,
33:01etc., commencent comme par hasard.
33:04Parlons politique. 1979, c'est Madame Thatcher.
33:07Et en 1980, ce sera Ronald Reagan.
33:10Alors, décrivons le Royaume-Uni à l'époque.
33:13Un pays dominé par les syndicats, écrasé par la bureaucratie
33:16qui a le sentiment de son effondrement,
33:20sa décadence, qui ne pourra pas s'en remettre et qui est foutu.
33:23C'est le Royaume-Uni de l'époque ou c'est la France d'aujourd'hui ?
33:26Oui, alors le parallèle est formidable.
33:29Effectivement, c'est tout ce que vous venez de dire.
33:32Avec, en plus, ce que vous n'avez pas rajouté, je le fais,
33:35les nouveaux prélèvements les plus extravagants du monde
33:38puisqu'on est à plus de 90 %.
33:41On atteint 90 % de l'impôt sur les revenus du capital.
33:44Autant vous dire qu'il n'y a pas grand monde pour investir dans un pays pareil.
33:47Même l'impôt sur le revenu est tellement extravagant
33:50que les gens fichent le camp.
33:53Je reviens au rock, mais les Rolling Stones qui s'exilent en 70-71
33:56sur la côte d'Azur pour faire Exile on Main Street,
33:59un de leurs meilleurs albums, c'est parce qu'ils ne pouvaient plus payer leurs impôts.
34:02Donc, on s'exilait à l'époque en France pour payer moins d'impôts.
34:05Oui, maintenant, c'est le contraire.
34:08Je vous vois venir, Mathieu Bocoté.
34:11Un autre changement politique que vous avez évoqué, 1979, c'est Coménie.
34:14Je note que Coménie, on le sait à moitié.
34:17C'est le presque dernier engagement de Michel Foucault.
34:20Donc, il va, lui qui a travaillé à tout déconstruire en Europe,
34:23s'enthousiasme pour une révolution politico-spirituelle en Iran
34:26qui porte la révolution islamiste.
34:29Est-ce que, de ce point de vue, ce n'est pas aussi un tournant,
34:32non seulement Coménie, mais la perte de Foucault à travers cela ?
34:35Vous savez, Jean-Paul Sartre avait trouvé que rien n'était plus libre
34:38que l'Union soviétique à l'époque de Staline.
34:41Foucault trouve que c'est formidable, la révolution romainiste.
34:44Il y voit la confirmation que l'Occident n'est pas suffisamment démocratique.
34:47Enfin, bref, comme disait Orwell,
34:50il n'y a que les intellectuels pour se tromper à ce point.
34:53Les gens normaux, ceux qui sont simplement imprégnés du simple bon sens,
34:56voyaient très bien que Romanie...
34:59Oui, ce que j'essayais de montrer dans mon bouquin,
35:02dans le chapitre sur la révolution iranienne,
35:05c'est que ce n'était pas gagné d'avance pour Romanie.
35:08Quand vous prenez... Moi, j'ai surtout travaillé sur la presse d'époque,
35:11Le Monde et le New York Times. En 1979, la plupart des gens pensent
35:14que c'est les gauchistes qui vont gagner. Et c'est la grande trouille des Américains
35:17à l'époque. A l'époque, ils pensent que Romanie n'est pas dangereuse,
35:20que par contre, ce qui est dangereux, c'est les moudjahidines du peuple,
35:23c'est le tout des communistes. Là, c'est vraiment les ennemis des Américains
35:26et c'est ça qui leur fait peur. Et beaucoup de gens pensent que Romanie
35:29est un clown qui va disparaître très vite. Et d'ailleurs, les marxistes
35:32ont toujours pensé qu'une révolution, par définition,
35:35est anti-religieuse. Elle est sécularisatrice.
35:38Et là, on a une révolution religieuse et personne n'y comprend rien
35:41sur le moment. Ça ne correspond pas du tout à ce qu'on a comme idée
35:44d'une révolution. Une révolution, c'est... On a le modèle déposé
35:47en France en 1989. On sait que ça donne l'anticléricalisme
35:50de 1993-1994. Et la révolution bolchevique de 1917,
35:53c'est carrément l'éradication de la religion.
35:56Donc, tout le monde pense que la révolution iranienne va être une révolution
35:59anti-religieuse et que Romanie est un accident de l'histoire
36:02qui va disparaître. Erreur fatale.
36:05Un accident de l'histoire qui a été réfugié en France.
36:08Et comment, justement, vous expliquez ce déni ?
36:11Est-ce qu'on peut faire un lien avec le déni aujourd'hui quand on parle
36:14à Kaboul des talibans inclusifs et à Damas des djihadistes modérés ?
36:18Oui, c'est probablement la même erreur d'analyse.
36:22Cette analyse, encore une fois, à l'époque,
36:25elle est fatale. Je rappelle que... Je fais une citation
36:28de Giscard d'Estaing qui, en 1979, dit
36:31que derrière cette apparence d'une révolution religieuse,
36:34il y a un fort mouvement social et indépendantiste,
36:37anti-impérialiste, anti-américain.
36:40Le côté religieux va s'effacer très vite.
36:43Il y a toujours cette idée que la religion ne peut pas déboucher sur la politique.
36:46Et évidemment, surtout nous, Français,
36:49parce qu'on est une société laïque, plus que sécularisée.
36:52Laïque. Donc, par définition,
36:55quand il y a quelque chose comme un mouvement théologico-politique
36:58comme en Afghanistan, on ne le voit pas, on ne veut pas le comprendre
37:01parce que nos cadres conceptuels sont inadéquats,
37:04sont inadaptés à ce genre de situation.
37:07D'ailleurs, on est toujours à côté de la plaque.
37:10D'autant que la religion, quelquefois, peut donner une chose et son contraire.
37:131979, vous l'avez dit, c'est communi. Mais c'est aussi, avec Jean-Paul II,
37:16avec la renaissance, une forme de catholicisme de combat,
37:19dans son cas, ça va contribuer à la chute du communisme.
37:22Ce qui nous rappelle qu'en Europe de l'Est,
37:25on a un marché de pair avec la liberté,
37:28que c'est en s'appuyant sur leur identité culturelle forte
37:31que les peuples d'Europe de l'Est ont su résister au communisme.
37:34Alors là, c'est très intéressant dans le cas polonais,
37:37parce que le christianisme, dans le cas polonais comme dans le cas irlandais,
37:40c'est une religion nationale, en gros.
37:43C'est un peu la même chose que le chiisme en Iran, d'ailleurs.
37:46Une religion nationale, et quand le peuple a le sentiment
37:49d'être privé de son identité culturelle nationale,
37:52c'est ce qu'on découvre en 1979, quand le pape Jean-Paul II,
37:55le premier pape polonais de l'histoire, fait un pèlerinage dans son pays.
37:58D'ailleurs, c'est très étonnant que les autorités communistes l'autorisent.
38:01Les soviétiques sont furieux.
38:04On s'aperçoit d'ailleurs que le chef du KGB de mémoire dit
38:07comment on a pu laisser élire un pape qui vient des pays socialistes.
38:10Eh oui, pour les soviétiques, c'est un scandale.
38:13Mais ce qui est encore plus scandaleux pour les soviétiques,
38:16c'est quand ils découvrent qu'il y a un million et demi de personnes
38:19pour accueillir Jean-Paul II, que c'est les catholiques eux-mêmes,
38:22la religion catholique, les prêtres, qui assurent le service d'ordre
38:25parce que l'État se désinvestit complètement de cette affaire,
38:28et qu'on s'aperçoit à ce moment-là que la Pologne n'est pas
38:31un pays communiste, qu'elle a un État communiste,
38:34et que c'est un État d'occupation.
38:37Et c'est évidemment, 79, c'est ce qui anticipe 89 en réalité.
38:40C'est évident.
38:43Alors vous me disiez tout à l'heure, est-ce qu'on avait conscience d'eux ?
38:46Mais en 79, personne n'a l'idée que le bloc communiste
38:49va s'effondrer en Europe. Or il le fait dix ans plus tard exactement.
38:52Et en 79, quiconque avait des yeux pour voir,
38:55pouvait voir que quand un pape polonais se balade en Pologne
38:58et que la population est entièrement dans la rue
39:01et conspire le Parti communiste, c'est que le régime est foutu.
39:04Alors il y a une originalité de la France dans tout ça.
39:07Et je me permets de vous conduire en 1981.
39:10C'est-à-dire aux États-Unis, il y a Reagan. En Grande-Bretagne, il y a Thatcher.
39:14Plus largement, un peu partout en Occident, c'est le moment libéral-conservateur.
39:17Vous parlez de la renaissance politique du catholicisme en Pologne.
39:22Et en 1981, les Français trouvent le moyen de basculer
39:25dans l'expérience socialo-communiste avec Mitterrand.
39:28Comment comprendre cette originalité française à ce moment ?
39:31Peut-être l'habitude des Français de marcher toujours à contre-courant de l'histoire.
39:34Non, plus sérieusement, je pense que dans le cas
39:37de l'alternance politique de 81,
39:40c'est un retard en fait.
39:43Je pense que la gauche aurait dû l'emporter un peu plus tôt,
39:46probablement en 78. En tous les cas, il ne faut pas oublier
39:49qu'en 74, comme je le rappelle dans mon livre, Giscard ne gagne
39:52que d'une très courte tête, moins de 1%.
39:55Il est à 50, quelque chose. Il n'est même pas à 51%.
39:58Donc Mitterrand est tout près de la victoire à l'époque.
40:01Probablement, il aurait dû gagner à cette époque-là, ça nous aurait évité
40:04bien des déboires. Mais il faut voir que, là je vous reprends
40:07sur un point. En 83, qu'est-ce que fait Mitterrand ?
40:10Il fait un tournant libéral.
40:13Parce qu'il est obligé. Parce qu'il est obligé. Il a eu trois dévaluations.
40:16L'économie est en train de s'effondrer. Le commerce extérieur fout le camp.
40:19Le franc est dans un état épouvantable. Il fait un tournant libéral.
40:22Donc en 83. Et alors il fait un tournant libéral très habile
40:25parce que, bien sûr il ne le dit pas, il remplace simplement
40:28la rose au point par le drapeau européen.
40:31D'un seul coup, il devient un militant de la cause européenne, de l'intégration
40:34européenne, ce qui était plus ou moins auparavant. En tous les cas, c'est une façon
40:37de faire oublier le socialisme. Comme Chauvinement l'a très bien dit,
40:40le socialisme en 83, c'est fini. Mais oui, parce qu'il n'y avait pas d'autre solution.
40:43À droite aussi, l'Europe. Vous avez évoqué les rapports
40:46entre Giscard et Chirac, de mémoire, par rapport à l'Europe.
40:49On peut dire qu'à ce moment, à la fin des années 70, début 80,
40:52l'Europe n'est pas encore l'évidence qu'elle sera dix ans plus tard.
40:55Alors, ce que je montre en 79, avec beaucoup de documents
40:58à l'appui, beaucoup de citations, peut-être un peu trop, c'est trop lourd,
41:01c'est que cette question européenne fait éclater la droite et la gauche.
41:04Giscard d'un côté, Chirac de l'autre,
41:08ce dispute, en réalité, parce qu'en 79,
41:11décidément, en 79, tout arrive, c'est la première élection du Parlement
41:14européen au suffrage universel, et Chirac est contre.
41:17Parce qu'il a très bien compris qu'avec un Parlement élu au suffrage universel,
41:20les institutions européennes allaient gagner en légitimité,
41:23en autorité et en pouvoir au détriment des souverainetés nationales.
41:26Et il va lancer l'appel de Cochet, notamment, et parler du parti de l'étranger.
41:29Décembre 78, et je montre qu'en 79,
41:32avec des tas d'exemples, que le conflit
41:35entre Chirac et Giscard va devenir de plus en plus violent.
41:38Au point, et là on rejoint 81,
41:41que Chirac, de plus en plus évident,
41:44montre qu'il ne souhaite pas la réélection de Giscard d'Estaing
41:47et que donc il va souhaiter l'élection de François Mitterrand.
41:50Donc en 79, la victoire de la gauche en 81,
41:55elle est en gestation en 79 à cause de cet éclatement.
41:58Et à gauche, la même chose.
42:00Le PCF exige une renégociation du programme commun,
42:03il exige de nouvelles nationalisations,
42:06et on voit très bien que Mitterrand est favorable à l'intégration européenne,
42:09alors que le PCF et le CRS de Chevenement sont contre.
42:12Arthur de Matrigan.
42:1379, c'est aussi, vous dites, la revanche des personnages historiques,
42:17et notamment en Chine.
42:18Alors, qui sont ces personnages historiques ?
42:20Et pourquoi vous les appelez comme ça ?
42:22Parce que Deng, c'est typiquement ce que les Américains appellent un comeback kid.
42:26Il a été deux fois remis à la base et il a failli être tué.
42:31En 77, Deng Xiaoping est un réparateur de tracteurs dans une usine très loin de Pékin.
42:40En fin 78, il est le patron, parce qu'en 76, Mao est mort.
42:46Et quand Mao est mort, il y a eu dans un premier temps ce sinistre Hua Guofeng
42:50qui est devenu le patron du parti,
42:52et il a mis au pas, en quelques semaines, la bande des quatre,
42:56tout le monde a oublié ça, c'est des détails de la révolution chinoise,
43:00la bande des quatre qui étaient les héritiers réels de Mao,
43:02puisqu'il y avait dedans la propre veuve du président,
43:05et c'était les héritiers de la révolution culturelle.
43:07Hua Guofeng veut qu'il y ait un retour à l'ordre,
43:10et ce besoin de retour à l'ordre va amener au pouvoir le petit timonier Deng Xiaoping,
43:16qui, alors je rappelle, en 79, il y a une manifestation plastique à Nanmen
43:20qui est réprimée violemment,
43:22ça anticipe sur ce qu'on va connaître exactement dix ans plus tard,
43:25des étudiants demandent la liberté,
43:27et Deng Xiaoping est accusé par les autorités du parti
43:31d'être derrière les étudiants revendicateurs.
43:33J'ai un chapitre sur Deng parce que je trouve que c'est un personnage absolument inouï.
43:37C'est le type qui, à lui tout seul, redresse le cours de l'histoire chinoise.
43:43C'est le type qui va imposer en réalité la prise en compte du marché,
43:47la modernisation de l'économie, l'ouverture aux investissements étrangers,
43:51et qui va faire de la Chine qui, à l'époque, est dans un état de misère effroyable,
43:55c'est un des pays les plus pauvres de la planète,
43:57qui va en faire la deuxième puissance économique qu'elle est aujourd'hui.
43:59Et ça, c'est l'oeuvre de Deng Xiaoping.
44:01Alors, 1979 marque un tournant d'époque, à certains égards le début d'une époque.
44:06Est-ce qu'il y a aussi une fin d'époque de la période 1979 ?
44:09À quel moment la séquence ouverte en 79 se termine-t-elle ?
44:13Ben, si elle est terminée.
44:16Alors là, il faudra que je fasse un bouquin suivant.
44:19Mais alors, à mon avis, 79 débouche sur 89.
44:22Ça, c'est une chose très claire.
44:24C'est ce que je disais sur Jean-Paul II tout à l'heure.
44:27C'est évident qu'on comprend en 79.
44:30Un truc qu'on n'a pas encore abordé dans mon livre et qui me tient vachement à cœur,
44:34c'est l'idée qu'en 79, on passe tout près d'une guerre mondiale.
44:37Vraiment, là, on n'a jamais été aussi chaud.
44:40Il y a l'invasion de l'Afghanistan,
44:42qui fait comprendre à Jimmy Carter, le président américain,
44:45que la détente s'est fait avoir complètement par les soviétiques,
44:48que non seulement ils ont progressé dans la cour de l'Afrique,
44:51ils ont une puissance navale dorénavant très dangereuse pour les Américains
44:55et qu'ils pensent qu'on est dans une situation comme en 14-18,
44:57quand les Allemands commençaient à avoir une flotte de guerre,
44:59menaçant la flotte de guerre britannique,
45:01mais ils ont des bases au Yémen, en Éthiopie,
45:04les Cubains sont en Angola, etc.
45:06Et quand ils débarquent en plus en Afghanistan,
45:09l'arc de crise dont parlait Brzezinski depuis longtemps,
45:12en disant à Carter, méfiez-vous, vous êtes un idéaliste naïf,
45:15vous croyez en la détente, mais les soviétiques n'y croient pas du tout,
45:18et d'un seul coup, Carter change radicalement de discours.
45:22Entre parenthèses, 79 anticipe la suite,
45:25parce que quand on dit que Ronald Reagan, c'est le retour de la guerre froide,
45:28en fait, la guerre froide, elle recommence très sérieusement
45:31après l'invasion de l'Afghanistan, en décembre 79,
45:34le 25 décembre, le 24 décembre, le soir de Noël,
45:38d'un seul coup, des dizaines de milliers de soviétiques,
45:41de soldats soviétiques débarquent en Afghanistan,
45:44et là, c'est vraiment le tournant des époques,
45:46parce que c'est un regain de guerre froide.
45:48Mais il faut voir qu'en 79, vous avez du côté du Sénat américain,
45:51comme du côté de l'état-major des PAC de Varsovie,
45:55vous avez les deux côtés en manière secrète,
45:57on mène une enquête pour savoir combien il resterait d'habitants
46:00en Europe après une guerre nucléaire,
46:02parce que c'est l'affaire des SS-20, souvenez-vous,
46:05en 79, c'est le début de l'affaire des euromissiles,
46:08où on découvre que les soviétiques ont mis au point
46:11un missile extrêmement perfectionné, avec trois têtes nucléaires,
46:15destinées à l'Europe, parce qu'il ne peut pas toucher les Etats-Unis,
46:19et que c'est en train de déséquilibrer, en réalité,
46:21le rapport de force en Europe.
46:23Donc on est tout près d'une guerre nucléaire à l'époque.
46:25Poussons la comparaison un peu plus loin,
46:27mais celle-là vous déplaira peut-être, 1979 et 1980.
46:30En 1979, aux Etats-Unis, on a Carter,
46:33un président que plusieurs considèrent comme un bénet
46:35qui ne comprenait pas vraiment son époque,
46:37et il est remplacé quelques semaines plus tard,
46:39au moment de l'élection, enfin, en 1980, par Reagan,
46:42qui est alors présenté comme un conservateur réactionnaire,
46:45populiste, un peu idiot, qui ne comprend pas vraiment
46:49le monde dans lequel il se trouve, et qui, en plus,
46:52on lui prête une pensée belliqueuse et tout ça.
46:54Est-ce que, de ce point de vue, 1979-1980 ne fait pas un peu penser
46:58au temps présent, avec Joe Biden qui était devenu absent lui-même,
47:02qui n'était plus contemporain de lui-même,
47:04et Donald Trump qui est à tout moment aussi méprisé aujourd'hui
47:07qu'était Reagan au moment de son élection ?
47:09Le parallèle serait tentant et séduisant,
47:12mais je n'y adhère pas.
47:14Parce que Reagan est un conservateur à l'ancienne,
47:17un combattant de la guerre froide, un interventionniste.
47:21Mais on l'associait à l'extrême droite à l'époque.
47:23Oui, sauf que ce n'est pas du tout la même.
47:25Dans le cas de Trump, vous avez affaire à un type
47:27qui est en fait un populiste, relativement,
47:30enfin peut-être pas isolationniste, mais pas très loin de l'isolationnisme,
47:33qui ne veut plus des conflits lointains et interminables,
47:36comme il dit tout le temps, en attribuant aux démocrates,
47:39ce qui n'est pas complètement faux du reste,
47:41parce qu'il y a eu quand même, il y a eu Bill Clinton,
47:45mais il y a eu aussi W. Bush dans le genre interventionniste.
47:48Donc le wilsonnisme beauté, comme on dit,
47:51l'interventionnisme américain, il a été partagé à la fois
47:54par la droite et par la gauche.
47:55Et en tous les cas, ce qu'on voit avec Trump,
47:57c'est sa volonté de conserver les intérêts des États américains
48:00et les faire passer bien avant ceux des alliés.
48:03Or, Reagan, c'est un combattant de la guerre froide,
48:05il est de notre côté, il est du côté de l'Europe.
48:07Il n'est pas du tout d'accord pour nous laisser tomber
48:09comme Trump envisage de le faire.
48:11Donc moi, je trouve que, oui, dans les deux cas,
48:14il y a une volonté de restauration de la puissance américaine,
48:17mais dans un cas, dans le cadre des alliances,
48:19et c'est Reagan, dans l'autre, dans le cadre
48:21d'un désinvestissement des alliances.
48:23Et moi, ça me fait flipper.
48:24Alors, il nous reste une minute trente environ.
48:262979, que doit-on retenir ?
48:29Il y a un héritage de cette période.
48:31Que doit-on retenir ?
48:32Peut-être sur le plan musical, je devine,
48:34sur le plan politique, peut-être.
48:35Que doit-on retenir ?
48:37Ça, les grands hommes.
48:39Le fait que, contrairement à ce qu'on nous raconte parfois
48:43du côté des marxistes, des structuralistes
48:45ou de quelques autres, des sociologues bourg divins,
48:48ce n'est pas les masses qui font l'histoire,
48:50ce n'est pas des forces inconscientes, incontrôlées
48:52qui font l'histoire à notre place.
48:53Non.
48:54Il peut y avoir, de temps en temps,
48:55alors là, c'est ce qu'il faudrait nous souhaiter
48:57pour nous ce soir en France,
48:58et là, je ne le vois pas venir,
49:00mais il faut, quand on est dans une période de crise gravissime,
49:03il faut que quelqu'un se lève en disant
49:05« Moi, je peux.
49:06Moi, je peux résoudre le problème.
49:08Moi, j'ai la volonté de le faire et j'y arriverai
49:10si vous me suivez. »
49:11Pour l'instant, je trouve que, justement, ce qui manque,
49:13on a eu ça en 1958, quand De Gaulle est apparu
49:15alors qu'on était en pleine guerre d'Algérie
49:17et que le régime de la 4e République s'effondrait,
49:19il y a un type qui a dit « Moi, je peux. »
49:21En 1979, c'est une petite épicière en Grande-Bretagne.
49:24Oui, oui, Satcher, oui.
49:25Il nous faudrait quelqu'un comme ça.
49:27La conclusion, je pense, de mon bouquin, c'est ça.
49:30C'est qu'on est à la recherche de quelqu'un
49:32qui ressemblerait à la fois à Satcher,
49:35peut-être pas à Romény, à Jean-Paul II
49:37et à Deng Xiaoping.
49:39Il faut un Satcher et une Deng Xiaoping à la française.
49:45Merci beaucoup, messieurs, pour ces échanges passionnants.
49:48Merci, Brice Couturier.
49:49Je rappelle votre livre « 1979, le grand basculement du monde »
49:53que vous publiez aux éditions Perrin.
49:55Merci, Arthur de Batrigand.
49:57Et merci, bien sûr, Mathieu Bocquete.
49:59Vous restez avec nous dans quelques minutes seulement.
50:01Je vous retrouve dans l'heure des pro 2.
50:03A tout de suite.

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