Chères lectrices, chers lecteurs,
Enregistrée le jeudi 5 décembre 2024, voici la captation de la rencontre de Philippe Hébrard autour de son nouvel ouvrage et premier roman, L'hypothèse Lébajac, paru aux éditions Sans crispations.
Cette rencontre, en présence de la comédienne Tanya Mattouk et de l'éditeur Philippe Sarr, est animée par Jacques Hébert.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
Nous vivons à une époque où il n’est pas rare qu’une entreprise menace de fermer, avec le risque de précipiter des dizaines voire des centaines de salariés dans la précarité. C’est ce qui arrive aux protagonistes de ce roman, un thriller « social » comme il en existe peu et qui nous aide à mieux comprendre les mécanismes qui dés lors entrent en jeu – humains, juridiques et matériels -, voire les questions, ici philosophiques, que soulèvent l’apparition récente des algorithmes, leur impact sur le réel et la perception que nous en avons. L’autre grande force de ce livre est de nous confronter à nos propres ambiguïtés, la possibilité ou non de les surmonter et d’élargir notre champ de vision.
Enregistrée le jeudi 5 décembre 2024, voici la captation de la rencontre de Philippe Hébrard autour de son nouvel ouvrage et premier roman, L'hypothèse Lébajac, paru aux éditions Sans crispations.
Cette rencontre, en présence de la comédienne Tanya Mattouk et de l'éditeur Philippe Sarr, est animée par Jacques Hébert.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
Nous vivons à une époque où il n’est pas rare qu’une entreprise menace de fermer, avec le risque de précipiter des dizaines voire des centaines de salariés dans la précarité. C’est ce qui arrive aux protagonistes de ce roman, un thriller « social » comme il en existe peu et qui nous aide à mieux comprendre les mécanismes qui dés lors entrent en jeu – humains, juridiques et matériels -, voire les questions, ici philosophiques, que soulèvent l’apparition récente des algorithmes, leur impact sur le réel et la perception que nous en avons. L’autre grande force de ce livre est de nous confronter à nos propres ambiguïtés, la possibilité ou non de les surmonter et d’élargir notre champ de vision.
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00:00J'allais dire libérée, mais amicale aussi, j'aime beaucoup recevoir les gens qui nous sont proches.
00:07Alors, on ne va pas faire semblant, Philippe, on se connaît d'ici, d'ailleurs, de la librairie.
00:11Donc, on va s'y croyer. On ne va pas faire comme à la télévision, faire semblant que vous soyez alors que ce n'est pas le cas.
00:18Je suis content, donc, d'accueillir ce soir Philippe. Philippe qui est d'abord pour nous, en tout cas, un client, un ancien client.
00:26On s'est connu d'ici. Et c'est bien évidemment la fréquentation de la librairie les plus détaillée que je n'ai envie d'écrire.
00:33Oui, absolument, sans aucun doute.
00:36Voilà. Bon, c'est la curiosité littéraire, bien sûr. On y reviendra avec toi tout à l'heure, si tu veux bien.
00:42Je voudrais vous présenter également, pour ceux qui ne connaissent peut-être pas, j'ai déjà arrivé,
00:47M. Philippe Sartre, qui est donc l'éditeur de ce livre pour Philippe Ebrard et Mme Tania Matyc, comédienne, amie de Philippe, n'est-ce pas?
00:59Et je me suis laissé dire que vous avez en ce moment ou prochainement un spectacle auquel vous participez au Théâtre des Abeilles.
01:06Tout à fait.
01:07Qui s'appelle?
01:08Profite.
01:09Profite. C'est déjà en route?
01:11C'est déjà en route. C'est le mardi-mercredi à 21h et dimanche à 20h à la Manufacture des Abeilles.
01:16Très bien.
01:17Et c'est là qu'on se rend compte que Tiana n'aura pas besoin de micro ce soir.
01:19Oui. J'ai vu bien que tu ne l'avais pas proposé.
01:23Tu veux ou pas?
01:25Non, ça va, merci.
01:26C'est vous qui pouvez le dire.
01:28Vous entendez quand elle parle?
01:30Oui.
01:31C'est un métier.
01:33Bon, mon petit baguette que je vais faire, petit donc un peu court, pour ne pas prendre la parole à ces messieurs et dames.
01:40Nous avons eu le plaisir d'avoir ton premier ouvrage ici.
01:45Tout à fait.
01:46C'est un petit peu différent.
01:48J'ai dit d'ailleurs sur les réseaux sociaux qu'on partageait ce soir ici pour ton deuxième ouvrage et ton premier roman.
01:55Je crois qu'on peut le dire comme ça.
01:56Absolument.
01:57Ce n'est pas tout à fait un roman le premier.
01:59C'est un petit peu autre chose entre la nouvelle et les portraits, les mini portraits.
02:04Avant de te donner la parole, j'aimerais me tourner vers l'éditeur, bien sûr, parce que sans qui, bien sûr, après l'auteur, rien n'existe.
02:13Et puis à l'éditeur, sinon on ne peut pas l'oublier.
02:16Monsieur qui dit ça, bienvenue chez nous.
02:21Je voulais particulièrement vous donner la parole parce que j'aimerais que vous nous présentez votre maison d'édition.
02:28Je crois qu'elle n'est pas encore très connue de tous, pas même encore de tous les libraires.
02:33Donc ce serait une excellente occasion ici de vous dire un petit mot sur son histoire, la vôtre éventuellement, en tant qu'éditeur.
02:41Qu'est-ce qui vous a amené à la créer, son objet et puis éventuellement ses développements.
02:48Oui, bonsoir. Je ne sais pas, vous entendez bien, ça va ?
02:54Oui, donc avec plaisir. Je voulais déjà vous remercier pour votre accueil.
02:59Et puis merci au public également d'être présent.
03:03Donc effectivement, je m'appelle Philippe Sartre, je dirige Sanctus Passion Édition depuis maintenant quatre ans.
03:13En réalité, pour la faire un peu courte, ce n'était pas du tout dans mes objectifs ni dans mes projets de diriger une maison d'édition.
03:24Ça, c'était tout à fait par hasard, par l'intermédiaire d'un ami qui, lui, dirigeait déjà la maison d'édition, mais sous un autre nom.
03:32Je ne vais pas entrer dans le détail parce que ce serait trop long à expliquer.
03:35La maison d'édition s'appelait autrefois Chris Passion Édition.
03:38Et au moment où je l'ai reprise, on a décidé d'en changer le nom pour qu'elle s'appelle désormais Sanctus Passion Édition.
03:46Voilà, donc c'est un changement plutôt radical.
03:53Donc, je suis à la tête de cette maison d'édition depuis maintenant quatre ans.
03:58En moyenne, on publie une petite dizaine d'ouvrages par an, ce qui est déjà pas mal.
04:06On publie de la poésie, parfois des nouvelles, mais plus rarement, et surtout du roman.
04:15En ce qui concerne notre ligne éditoriale, parce que je sais qu'on nous pose souvent la question en tout cas,
04:22on privilégie les ouvrages qui invitent à repenser le monde, voire à le penser, ce qui ne serait pas de trop.
04:35Et on se mêle également plaisir esthétique et réflexion critique pour schématiser.
04:43Alors, pour en revenir au roman de Philippe, l'hypothèse Le Bajac,
04:51il m'avait envoyé le manuscrit il y a maintenant, ça fait pas loin d'un an je crois, à peu près.
05:00Donc, un manuscrit que j'ai lu assez vite et qui m'a tout de suite plu, puisque j'ai répondu...
05:08En quinze jours.
05:09Oui, c'est ça, assez rapidement.
05:11Deux semaines après, deux semaines et demie.
05:13Oui, voire même un petit peu moins.
05:15Ça s'est fait assez rapidement.
05:17Et alors, ce qui m'a plu dans le roman, l'histoire rapidement tout de même,
05:26le roman débute par la fermeture d'une usine et les conséquences, évidemment,
05:37sur le plan social, économique, que cette fermeture va engendrer.
05:43S'engage dès lors une lutte acharnée entre les salariés, qui bien entendu veulent sauver leurs emplois,
05:53les responsables de l'usine, qui eux ne veulent rien entendre,
05:58et les acteurs syndicaux qui menacent d'occuper l'usine.
06:03Donc, un scénario classique en soi, mais va survenir un événement qui va tout bousculer
06:13et enrayer cette mécanique.
06:16La diffusion d'une vidéo sur les réseaux sociaux.
06:27Bienvenue, bonjour.
06:30Et donc, cette vidéo, une vidéo compromettante pour l'un des dirigeants de l'entreprise.
06:39Et dans cette vidéo, en effet, on voit le dirigeant tenir des propos extrêmement humiliants
06:49envers ses propres salariés.
06:53Donc ça, c'est l'un des premiers motifs qui m'a poussé à publier le roman.
07:01Mais il y a autre chose, les personnages qui tiennent une place prépondérante dans le roman.
07:08Et qui sont merveilleusement mises en scène par l'auteur, par Philippe,
07:14et qui incarnent à leur façon une manière de penser, d'agir,
07:24de douter également, qui pourrait être celle de l'homme contemporain.
07:30En tout cas, moi, c'est comme cela que je l'ai perçu.
07:34En conclusion, je dirais que l'hypothèse de Bajac, c'est un très bon roman,
07:40donc je vous invite bien entendu à lire,
07:45qui nous invite à réfléchir
07:50et qui pose une question, à mon sens, essentielle.
07:58Quel avenir pour nos sociétés, mais prise au sens collectif du terme.
08:08Quel avenir également pour la planète.
08:12Une planète, je vais citer Philippe, une planète qui est en fusion,
08:20où les pissenlits, alors là je vais devoir, je suis désolé,
08:25de servir de mes notes.
08:30Alors, effectivement, une planète qui est en fusion,
08:35où les pissenlits se mettent à fumer,
08:37et où la chaleur posée sur nos têtes nous laisse pantois,
08:41voire sidérés, sans pour autant nous rendre moins cons.
08:46Voilà.
08:47Une petite synthèse du roman de Philippe.
08:52Et donc, je te laisse la parole, peut-être pour en dire un petit peu plus.
08:56Alors, moi je vais me permettre, si tu veux bien.
08:59Bien bien sûr.
09:00Après vous avoir remercié Philippe,
09:02de faire juste un petit retour en arrière,
09:05entre le moment où le livre est fabriqué, publié,
09:09et le moment où toi tu l'as pensé.
09:13Je voudrais te demander quand même quelque chose.
09:16Tu venais ici en tant que lecteur d'abord,
09:19et donc tu avais un but particulier personnel pour la littérature.
09:22Toi, en revanche, une fois que tu...
09:25Comment es-tu passé du lecteur à l'envie d'écrire,
09:28d'autant que, deux sur trois, si je ne me trompe pas,
09:32ton activité principale est un petit peu ailleurs,
09:35c'est effectivement l'avancée,
09:37mais c'est plutôt la musique, la traduction, etc.
09:40Alors, ton chemin pour venir à écrire les deux premiers livres,
09:44c'est-à-dire les deux premiers livres que nous avons,
09:48que nous pouvons déjà lire.
09:53Oui, alors là, effectivement, c'est une longue histoire
09:56qui commence tôt.
09:59Je vais en faire ma ligne.
10:02C'est une longue histoire qui va s'expliquer très rapidement.
10:05C'est l'avantage.
10:06Normalement, c'est une longue histoire.
10:08La littérature, ça a toujours été une espèce de rêve sur papier pour moi.
10:14Et je vous racontais l'anecdote très tôt,
10:17c'était peut-être en CM2,
10:19la maîtresse de l'époque venait voir ma mère en disant,
10:22votre fils, puisqu'on faisait des rédactions à l'époque,
10:24votre fils, il doit écrire, c'est son truc, machin, etc.
10:27Donc, je voulais s'imaginer, après, dans la famille,
10:30c'était, je devais être écrivain.
10:33Seulement, entre-temps, j'ai eu Nabokov,
10:36Virginie Aouf et Garcia Marquez,
10:39je me suis dit, bon...
10:44On y va doucement.
10:46Et j'ai mis beaucoup de temps,
10:47comme j'ai effectivement travaillé dans la musique,
10:49j'ai commencé par écrire des chansons pour les artistes français,
10:51ça me semblait plus accessible,
10:53des petites miniatures,
10:54même si c'est un exercice très particulier,
10:57mais qui semble moins inaccessible par le volume,
11:01même si c'est un travail très spécifique et assez exigeant.
11:08Et puis, un jour,
11:13le syndrome de l'imposture vous quitte
11:15et vous dites, bon, ça suffit,
11:17je vais me mettre au travail,
11:18et puis, après tout, je fais...
11:20C'est marrant, parce que j'entendais Alexandre Astier
11:22parler de ça il n'y a pas très longtemps.
11:25Vous faites du mieux que vous pouvez,
11:27et puis, après, ça ne vous appartient plus, en fait.
11:30Soit ça intéresse des gens, soit ça n'intéresse pas des gens.
11:32Et par contre, il y a un truc,
11:34c'est que je ne me suis jamais dit,
11:36même s'il n'y a aucun éditeur me prend, etc.,
11:38j'irai en auto-édition, je ne ferai de ça jamais.
11:40S'il ne s'intéresse pas à quelqu'un,
11:41ça reste dans mon tiroir.
11:43Et puis, c'est tout.
11:44Il n'y a pas de, oui, je m'impose du meilleur du bon.
11:48Et donc, c'est pour ça que j'ai...
11:50Quand Philippe s'est intéressé au truc,
11:51et on en a reparlé, d'ailleurs,
11:52après, on a fait un déjeuner,
11:53je lui ai dit, ben,
11:55tu rends possible un truc
11:57qui serait resté totalement mort, en fait.
11:59Tu donnes la vie à un truc
12:00qui serait resté dans mon tiroir,
12:01parce que, encore une fois,
12:02si personne ne s'y intéresse,
12:04ça ne m'intéresse pas de le faire exister, en fait.
12:07C'est un peu comme une chanson.
12:08Une chanson, ça doit être sur les lèvres de tout le monde.
12:10Il peut toujours avoir une belle chanson dans son tiroir,
12:12mais s'il est sur les lèvres de personne,
12:14c'est rien.
12:15C'est encore rien.
12:17Donc, voilà.
12:20Donc, effectivement, petit à petit,
12:22un beau jour, j'ai fait comme tout le monde.
12:24Je m'y suis mis,
12:25sans m'y poser le moins de questions possibles.
12:27C'est un travail d'artisan, voilà.
12:29Et puis, c'est un joueur,
12:31le petit travail plaît à des gens.
12:33C'est merveilleux.
12:34Et s'il ne peut pas,
12:35ce n'est pas grave, c'est la vie.
12:37C'est comme ça.
12:38Et donc, en le prenant comme ça,
12:39ça m'a décontracté, en fait.
12:42Ça ne m'empêche pas de m'en dire énormément de choses.
12:44Merci beaucoup.
12:45Tu as commencé, c'est bien, par la miniature.
12:48C'est peut-être un fil conducteur
12:50entre les paroles des chansons que tu as écrites
12:53et puis le premier ouvrage,
12:54parce que le premier ouvrage, c'est aussi,
12:56en quelque sorte, des miniatures.
12:58C'est vrai.
12:59J'ai eu cette phase intermédiaire de la nouvelle.
13:02Absolument.
13:03Oui, c'est vrai.
13:04Ça m'a fait penser, je ne sais pas,
13:05à des mini-muscules
13:07ou des mini-matériels d'Alvaro Piombo,
13:09ou des toutes petites vies comme ça,
13:12de petites perles littéraires.
13:14Oui, oui.
13:16Et puis alors,
13:17qu'est-ce qui s'est passé entre la miniature
13:22et le désir de tracer,
13:25brosser, comme on voudra,
13:27une fresque sociale ?
13:29Oui.
13:30Je me demande si,
13:31en me rappelant ce que tu disais tout à l'heure,
13:33du début du livre,
13:35tu avais déjà des informations, il y a deux ans,
13:37sur le groupe aux chansons ?
13:40Non.
13:41Bon, après, le roman,
13:42ça reste toujours un espèce d'objectif, évidemment.
13:46C'est plus ambitieux, plus vaste,
13:49c'est plus exigeant, etc.
13:51Même si la nouvelle
13:53a un certain nombre d'exigences comme une chanson,
13:55mais évidemment, là,
13:56on est obligé d'avoir des entrées multiples.
14:00Ben,
14:01qu'est-ce qui m'a donné envie ?
14:04L'envie, elle était là.
14:06Après,
14:07en fait,
14:10on va dire que le premier recueil de nouvelles,
14:13il y avait un petit côté encore,
14:14je dis, entre guillemets,
14:16en toute modestie
14:18ou en toute propension.
14:20Il y avait un petit côté un peu dandy parisien, etc.
14:22C'était assez...
14:23Bon.
14:24Et là, je me projette dans une fermeture entre plus en province
14:27et là, je me suis vraiment dit,
14:28est-ce que tu es capable d'écrire quelque chose,
14:30un documentaire, etc.
14:32sur
14:33quelque chose qui était totalement étranger, en fait.
14:36Et en fait, cet exercice-là,
14:38je le trouvais passionnant.
14:40Et
14:43sans doute,
14:44je pensais à ça tout à l'heure avant de venir,
14:46mais sans doute les auteurs,
14:48on dit que les auteurs racontent toujours la même chose.
14:51Ce n'est pas complètement faux.
14:53Ce n'est pas complètement faux.
14:54Les deux ou trois chansons que j'ai écrites
14:57qui ont été chantées par des chanteurs connus
15:00ont un sujet similaire.
15:02Finalement, celui-là, même en me projetant,
15:06même en me projetant
15:08dans un lieu,
15:10une terra incognita pour moi,
15:12finalement, je vais à nouveau parler de la même chose.
15:16Et cette chose,
15:17c'est finalement
15:19derrière le masque social
15:21qu'elle est la vérité des êtres, en fait.
15:24Et ce truc-là me fascine.
15:26Et il y a des moments
15:28dans la vie
15:29où il y a un moment de vérité.
15:32Et ce truc-là me fascine.
15:35Donc, en fait,
15:36moi, c'était juste...
15:37C'est un théâtre.
15:38J'ai mis des personnages dedans
15:41et je les ai regardés vivre, en fait.
15:45Et c'est assez marrant parce que...
15:47Enfin, voilà, je pourrais
15:49m'étendre un peu là-dessus.
15:50Il y aura peut-être l'occasion, mais...
15:52Mais c'est vraiment ça, en fait.
15:54Et je me suis aperçu que je parlais toujours la même chose,
15:56même dans un cadre différent.
15:58Théâtre.
15:59J'attrape le mot au bon.
16:01Oui.
16:02On propose à Samir de faire une première lecture.
16:05Allez, c'est parti.
16:08Alors, oui, il y a...
16:10En couverture, vous voyez un personnage
16:12avec un visage un peu fort.
16:14Il faut que je vous dise, ce personnage-là,
16:17il est...
16:18On en reparlera après,
16:20si on a l'occasion,
16:21mais on en reparlera après.
16:22Mais quand même, ce personnage-là,
16:24il n'était pas du tout...
16:25Enfin, comme un certain nombre d'ailleurs dans l'institut.
16:27Mais vraiment, lui, il n'était pas du tout
16:29dans mon trame de départ.
16:31Et il est apparu tout seul,
16:34presque animé d'une vie propre.
16:36Et chaque fois que j'ai voulu arrêter ce bouquin,
16:38on me disait...
16:39Enfin, arrêtez, c'est pas que j'ai voulu arrêter.
16:40Je me disais, non, mais...
16:42Arrête, c'est...
16:43Ça manque de...
16:44C'est pas encore ça.
16:45Non, non, non.
16:46Il y a même des couragements qu'on peut avoir.
16:48J'ai écrit sur trois ans ce bouquin,
16:49comme j'ai d'autres activités.
16:50Et plusieurs fois, j'ai failli l'arrêter.
16:53Et elle, elle m'a tiré par la manche.
16:55Je lui ai dit, non, non, non.
16:57Tu le finis, le bouquin.
16:58Je vais pas finir, moi.
16:59Et c'est vraiment ça.
17:00Parce qu'elle me faisait rire.
17:01Parce que...
17:02Parce qu'elle est...
17:03Parce qu'elle un peu le fait le rouge.
17:05Elle est en fait l'élément révélateur
17:07d'un certain nombre de personnages dans le bouquin.
17:11Elle provoque son attitude un peu bord cadre.
17:14Provoque en fait d'autres personnages.
17:17Elle les pousse à une forme de vérité, en fait.
17:20Et c'est effectivement ce personnage-là
17:22qui m'a mené jusqu'au bout de cette histoire.
17:26Voilà.
17:28Son nom ?
17:29Son nom, c'est Valéry.
17:32Dit l'oracle.
17:33Dit Valou Lafolle, aussi.
17:35Selon qui en parle.
17:40Je crois que ça va être bon.
17:43Comment c'est nommé ?
17:46Je vais commenter le sang.
17:48Et puis vous me direz si...
17:50Est-ce que ça va pour...
17:51Je sais qu'on avait dit peut-être pas de vie.
17:53Ça va de moi ?
17:54Ok, d'accord.
17:56C'est bon.
17:59La tante Valéry.
18:01Dit l'oracle.
18:02Dit Valou Lafolle.
18:04Sœur cadette de la mère de Gilles.
18:07Était toujours passée pour disposer de dons divinatoires.
18:11Éclaire prophétique traversant son cerveau perturbé.
18:15C'est-à-dire qu'un diagnostic clair sur ses troubles mentaux
18:18n'est jamais pu être établi.
18:21Le fait est qu'elle avait toute sa vie été sujette
18:23à de brusques bouffées délirantes.
18:26Accompagnées de visions parfois inquiétantes.
18:29Souvent poétiques.
18:31Que l'on avait appris à ne plus trop prendre à la légère.
18:36Elle avait prédit la mort de sa sœur.
18:38Du moins, c'est comme ça que l'on avait après coup
18:41interprété son raptus.
18:43Le précipitant brusquement sur elle au passage d'une fourgonnette.
18:46La faisant basculer sur le bas-côté.
18:49Et ce, quelques jours avant l'accident.
18:52D'innombrables anecdotes.
18:54En partie légendaires.
18:56Avaient enrichi sa réputation qui avait infusé bien au-delà
18:59des environs de la maison de ses parents.
19:02Chez qui elle avait logé jusqu'à leur disparition presque conjointe.
19:06On passait devant le petit pavillon de torchis grisâtres.
19:09Avec un respect mêlé d'appréhension.
19:12Partagée que l'on était entre l'envie d'allonger le pas.
19:16Et celle d'aller sonner à la porte dans l'espoir
19:18d'une providentielle divination.
19:21Certaines voisines étaient allées jusqu'à tenter leur chance.
19:25Demandant à voir Madame Valérie.
19:28Afin qu'elle les éclaire sur l'avenir de leur ménage.
19:31Ou de leurs enfants.
19:33La plupart du temps, ces solliciteuses implorantes
19:36étaient conduites par les parents.
19:38Mais Valoo la folle faisait parfois une soudaine apparition
19:41dans le dos de ces derniers.
19:43Dévisageant férocement l'imprudente visiteuse
19:46de ses petits yeux noirs perçants.
19:48Luisant comme des pépins de pastèque.
19:51Laissant parfois tomber deux ou trois phrases.
19:54Qui selon les cas, pouvaient se montrer d'une précision effrayante.
19:57Ou totalement civiline.
19:59Que la destinatrice éparée prenait comme elle pouvait.
20:02Avant de faire demi-tour sans demander son reste.
20:05La pitoniste s'étant aussitôt évanouie dans les ténèbres du couloir.
20:10Le maire de la commune lui-même s'était présenté un soir.
20:14Sous prétexte d'une présentation des possibilités d'aide sociale
20:18dont pouvaient bénéficier ses parents.
20:20Argumentant qu'il cachait mal son désir de consulter l'augure familiale.
20:24Sur ses chances à la députation.
20:28Invité par le couple tremblotant à prendre une anisette.
20:32Dans la petite cuisine au meuble fossilisé par 50 ans de récurage.
20:36Et après s'être débarrassé de sa mission officielle.
20:40Il avait demandé à voir la fille de la maison.
20:44A l'issue de délicates négociations menées par la mère.
20:48Celle-ci avait fini par gratifier la petite réunion.
20:51D'une fulgurante entrée.
20:53Cheveux en bataille et sanglés d'une redingote.
20:57Empire, trésor de famille dont elle s'était arrogé l'usage exclusif.
21:02Allant directement s'appuyer contre l'antique réfrigérateur.
21:05Qui exprimait sa lassitude en soupirant continuellement.
21:11Renonçant à obtenir une réponse sur les questions d'usage.
21:15Le visiteur en était enfin venu au véritable objet de sa visite.
21:21L'interrogeant d'un ton dégagé sur le devenir de ses ambitions.
21:26Mais l'intense examen mutique auquel il fut alors soumis.
21:30Le mit rapidement mal à l'aise.
21:33Il s'apprêtait à prendre congé du mieux possible.
21:36Lorsque la prophétie se manifesta.
21:39En l'occurrence sous la forme d'une parabole.
21:42Dans laquelle il était question de chutes d'oiseaux.
21:45Dans de grands bâtiments vides.
21:47Ce qui ne semblait pas très favorable.
21:50Mais il faut aller plus loin.
21:52Beaucoup plus loin.
21:54Avait-elle ajouté le regard fixe.
21:56Ce qui avait provoqué le départ précipité de l'élu.
21:59Qui craignait sans doute que l'étape suivante.
22:01Ne soit l'extraction de son foie.
22:03En vue d'un examen par l'arrustice échevelée.
22:08Personne ne savait vraiment la part de jeu.
22:10Que Valou la folle mettait.
22:12Et continuait à mettre dans ses brusques sentences prémonitoires.
22:16Ni même d'ailleurs dans sa posture d'aliéné.
22:30Grâce à ces quelques lignes.
22:34Ça me permet de poser une question qui m'est venue.
22:38En ayant bien sûr lu les deux ouvrages.
22:41Le premier c'est une galerie de portraits.
22:46Le second c'est un roman.
22:48Mais c'est aussi une galerie de portraits.
22:50Dans le premier c'est une galerie de portraits tout séparés.
22:53Là il y a tout un tas de personnages.
22:55Qui sont extraordinairement bien campés.
22:57Et je me suis dit.
22:59Il y avait certainement une parenté.
23:01Dans ton travail d'écriture là-dedans.
23:03Je me suis dit.
23:05Dans l'hypothèse de Bajac.
23:07Est-ce que la description.
23:09La manière que tu as de camper les personnages.
23:11Ne fait pas.
23:13Ne décrit pas l'histoire.
23:15Le ressort de ton roman.
23:17Autant que la narration.
23:19C'est-à-dire que les personnages sont un peu des totems animés.
23:24Tu as tapé parfaitement juste.
23:26C'est effectivement totalement le cas.
23:28En fait.
23:32Je suis.
23:38Je suis fasciné par des.
23:42Des êtres humains qui se mettent.
23:44A la hauteur de leur propre histoire.
23:46De l'histoire.
23:48C'est marrant parce que.
23:50Je regardais ça tout à l'heure.
23:52C'est une histoire que j'aime beaucoup.
23:56C'est le cinquantenaire.
23:58La révolution portugaise.
24:02Et il y a un personnage.
24:04Qui me fascine.
24:06Qui est juste un capitaine.
24:08Un simple capitaine de l'armée portugaise.
24:10Qui n'était pas tout seul dans cette histoire.
24:12Mais ce gars-là.
24:14Prend.
24:16La direction d'une colonne de chars.
24:18Un capitaine.
24:20Prend la direction de colonne de chars.
24:22Traverse Lisbonne.
24:24Se présente devant.
24:26Le palais du gouvernement.
24:28Il laisse sa colonne de chars.
24:30A une centaine de mètres.
24:32Et il va tout seul devant.
24:34Les gardes mobiles du gouvernement.
24:36Pour les convaincre.
24:38D'abonner la partie.
24:40On a l'ordre de tirer sur lui.
24:42Il ne tire pas.
24:44La dictature s'effondre.
24:46Ce genre de.
24:48Un simple capitaine.
24:50Ce genre de personnage me fascine.
24:52Il se met à la hauteur.
24:54De l'histoire.
24:56C'est l'histoire avec un grand H.
24:58Mais il y a notre histoire à tous.
25:00Notre propre histoire.
25:02La vraie question qui m'intéresse.
25:04C'est à quel moment.
25:06On se met à la hauteur de notre propre histoire.
25:08C'est à dire.
25:10On a des événements dans notre vie.
25:12Notre famille.
25:14Les amis.
25:16Les amours.
25:18On a des événements difficiles.
25:20On se met à la hauteur de notre histoire.
25:22Je n'y suis pas toujours arrivé.
25:24Je suis passé à côté.
25:26Il y a des trucs que je n'ai pas compris.
25:28Des trucs où j'ai reculé.
25:30Parfois, on se met à la hauteur de notre propre histoire.
25:32C'est ça que j'ai mis en scène dans ce livre.
25:34À un moment donné.
25:36Est-ce que parmi tous ces personnages.
25:38Que j'ai mis.
25:40C'est comme des poissons dans un bocal.
25:42Plus exactement.
25:44Je les ai mis comme des éléments chimiques.
25:46Dans une cornue.
25:48Je les ai vu réagir ensemble.
25:50Parfois, ils m'ont surpris.
25:52Ils m'ont dit.
25:54Tu vas fort.
25:56En fait, l'histoire c'est.
25:58Il y en a certains parmi eux.
26:00Qui vont se mettre à la hauteur de leur propre histoire.
26:06Tu ne parles pas de nos débuts.
26:12C'est un truc.
26:14C'est un sujet.
26:16Ce qu'il y a derrière le vernis.
26:18Comment on fait.
26:20Ce sujet-là me fascine.
26:24Il y a des gens dans l'histoire.
26:26Dans la grande histoire.
26:28Qui à un moment donné.
26:30Se mettent à la hauteur du moment historique.
26:32Et est-ce que nous.
26:34Dans notre histoire personnelle.
26:36À un petit niveau.
26:38On se met à la hauteur du moment historique.
26:40Parfois non.
26:42Parfois oui.
26:44Il est dans le titre.
26:46C'est la fameuse hypothèse.
26:50Qui est.
26:52Qui est triple.
26:54Je ne sais pas si j'attaque ça tout de suite.
26:56Mais on peut.
26:58Cette hypothèse.
27:00Qui est évoquée dans le titre.
27:02Elle est de trois or.
27:04Je viens d'en évoquer la première.
27:06Est-ce qu'on est capable à un moment donné.
27:08De se mettre à la hauteur de sa propre histoire.
27:10La deuxième chose.
27:12C'est un truc.
27:14Sans faire le malin.
27:16Mais je suis assez.
27:18Je suis très touché par les thèses de Emmanuel Lévinas.
27:20Lévinas son grand truc.
27:22C'est de dire.
27:24L'irruption.
27:26D'un visage.
27:28Crée un devoir moral.
27:30C'est à dire.
27:32L'irruption de l'autre.
27:34Doit nous pousser à une forme de transcendance.
27:36Pour l'accepter.
27:38Il y a une injonction morale.
27:40Dans la présence de l'autre.
27:42Et il se trouve que.
27:44Il y a un personnage.
27:46Dans cette histoire.
27:48Qui va subir cette injonction morale.
27:50Malgré lui.
27:52L'hypothèse.
27:54C'est qu'on est capable à un moment donné.
27:56De.
27:58Non seulement.
28:00De se mettre à la hauteur de sa propre histoire.
28:02Mais d'accepter.
28:04Cette injonction morale.
28:06D'une situation.
28:08Malgré nous.
28:10Malgré nous ou parce qu'on le veut.
28:12Et puis la troisième chose.
28:14C'est être capable de sortir.
28:16De sa conception du monde.
28:18A un moment donné.
28:20Soit en le voulant.
28:22Soit en étant forcé par les événements.
28:24Parce qu'à un moment donné.
28:26On a l'impression qu'on ne peut plus faire autrement.
28:28Que c'est ce que nous commande.
28:30Je vais encore faire la loi morale.
28:32Sans faire référence à Kant.
28:34Je ne veux pas rentrer dans les trucs.
28:36Mais à un moment donné.
28:38On se retrouve dans une situation.
28:40Je fais ça ou je ne le fais pas.
28:42C'est maintenant.
28:44Après c'est fini.
28:46Il y a une troisième chose.
28:48Je n'ai pas mal le temps d'en parler là-dedans.
28:50Tout ça est un peu sous-jacent dans le bouquin.
28:52D'après la lecture.
29:00L'entrée d'Alice.
29:02Ça fait un autre portrait.
29:04Oui peut-être.
29:06C'est un autre portrait.
29:08Soit une dispute.
29:10Oui.
29:12Soit c'est un autre portrait.
29:14Soit effectivement c'est une petite.
29:16Je ne sais pas.
29:18Un peu comme tu le sens.
29:20On part sur un autre portrait.
29:22Allez.
29:28Cette femme souriante.
29:30Glisse.
29:32Empathique.
29:34Animée par le sentiment d'utilité de sa mission.
29:36Ne comptant pas ses heures.
29:38Et qui sait se faire charmante sans ostentation.
29:40C'est son chef-d'oeuvre.
29:42Une pure création.
29:44Érigée à la force du poignet.
29:46Qui a fini par la constituer.
29:48Oui.
29:50Cette Alice Beckmann.
29:52Au tropisme solaire.
29:54C'est bien elle désormais.
29:56Mais l'autre.
29:58Celle au front bas.
30:00Aux cheveux collés.
30:02Aux regards harassés.
30:04Au squelette apparent travaillé d'une angoisse tentaculaire.
30:06Qui lui mange les chairs.
30:08Dont la pulsion de vie.
30:10N'est qu'une faible vapeur.
30:12Elle est un peu plus.
30:14Qu'une lointaine et titubante silhouette.
30:16Pendant des années.
30:18Il lui a fallu anticiper.
30:20La menace de son retour.
30:22Toujours possible.
30:24La prendre de vitesse par un mouvement permanent.
30:26Allonger une foulée d'athlètes.
30:28La rejetant.
30:30Jour après jour.
30:32Dans les limbes.
30:34Alice est la fille cadette.
30:36D'une grande famille.
30:38De l'ouest parisien.
30:40Une existence sociale.
30:42Tracée au compas de normes.
30:44Imposant l'apparat.
30:46D'une image vernissée.
30:48Derrière laquelle.
30:50Rancœurs.
30:52Nondits.
30:54Les couteaux brillent.
30:56Dans cet écrin feutré.
30:58Et Alice est une enfant qui voit tout.
31:00Comprend vite.
31:02Et n'est dupe de rien.
31:04Et au delà de ce cercle familial.
31:06Vermouillé.
31:08Les années 80 finissantes.
31:10Déroulent leur mantra de la réussite financière.
31:12Individuelle.
31:14Vulgaire.
31:16Sans merci et à tout prix.
31:18En un brutal renversement de valeurs.
31:20On glorifie les petits malins.
31:22Les sans scrupules.
31:24On porte au nul les montreurs de foire.
31:26Les amasseurs de fortunes expéditives.
31:28Cette fortune qui absout de tout.
31:30Justifie tout.
31:32Les escrocs costumés fascines.
31:34Font figure de gourous.
31:36Et dispensent leurs conseils faisandés.
31:38A des étudiants en école de commerce.
31:40Aux yeux mouillés d'admiration.
31:44Au dehors donc.
31:46Une autre comédie.
31:48Tout aussi écœurant.
31:50Ce qu'Alice finit par faire.
31:52Anorexie.
31:54Banque de cannabis inhalée.
31:56Les yeux miclos.
31:58En de longues inspirations avides.
32:00Dans des arrières cours de refuge.
32:02Une tripe à l'acide.
32:04Exil intérieur.
32:06Puisque l'extérieur ne lui semble pas mériter.
32:08Le voyage.
32:10Coup de cutter.
32:12En travers du poignet.
32:14Raté.
32:16Elle retrouve ses compagnons du refus.
32:18Dans un vaste appartement.
32:20Dont elle ne sait trop à qui il appartient.
32:22Semi squat au sol brut.
32:24Recouvert de tapis.
32:26A la trame apparente.
32:28Loin de l'accablant théâtre du monde.
32:30Un jour.
32:32Un grand type aux joues creuses.
32:34Et à la voix profonde.
32:36Vient s'asseoir parmi eux.
32:38Il est calme.
32:40Sympathique.
32:42Il s'intéresse.
32:44Et il revient.
32:46Il s'écoute. Il sourit.
32:48Se tait aussi.
32:50Il n'émet ni jugement, ni injonction.
32:52Il semble juste là pour échanger.
32:54Alors on l'accepte.
32:56Serge Lumel.
32:58Est travailleur social.
33:00Et il n'y a pas si longtemps qu'il s'est relevé
33:02de ce genre de tapis éliminé.
33:04Lorsqu'il sent
33:06que c'est le moment.
33:08Il parle. De jolies choses souvent.
33:10Paysages.
33:12Peintures. Fleurs. Films.
33:14Beaux gestes. Littérature.
33:16Gastronomie.
33:18Au hasard et sans ordre.
33:20Car il y en a des jolies choses à boire
33:22et à vivre Alice.
33:24Elle sourit vaguement
33:26en regardant la saillante pomme d'Adam
33:28de Serge effectuer son
33:30va-et-vient vertical.
33:32Il amène des livres parfois.
33:34Qu'Alice parcourt d'un œil las.
33:36Mais quand même.
33:38Elle aime bien ça, les livres.
33:40Son intelligence finit
33:42par les lui réclamer.
33:44Entre insensiblement
33:46en résistance et commence
33:48à lui renvoyer une image d'elle-même
33:50qui la dégoûte.
33:52Une petite lueur s'allume.
33:54Fragile.
33:56Instable. Voilée.
33:58Agitée d'un mauvais vent.
34:00Mais qui ne s'éteint plus.
34:02Un soir,
34:04Serge pose sur les genoux
34:06d'Alice un petit livre
34:08dont la jolie couverture est une
34:10aventure au ton sourd
34:12d'une scène balnéaire avec,
34:14au premier plan, le corps de dos
34:16d'une jeune baigneuse en maillot rayé
34:18et coiffée d'un chapeau des années 20.
34:20Au-dessus duquel s'étale
34:22en lettres jaunes la
34:24promenade au phare.
34:26Elle commence à parcourir
34:28quelques pages, prises au hasard
34:30et finit
34:32par en faire une première lecture
34:34complète.
34:36Glissant à la surface du texte
34:38elle ne saisit que quelques échos parcellaires
34:40se laissant simplement bercer
34:42par sa houle poétique
34:44et les quelques images qu'elle fait mettre au monde.
34:46Puis,
34:48immédiatement,
34:50une deuxième lecture.
34:52Et enfin, une troisième,
34:54beaucoup plus attentive.
34:56Fixer l'instant
34:58qui en vaut la peine dans la matière du temps.
35:00En faire quelque chose de
35:02permanent.
35:04Créer une forme au milieu du chaos.
35:06Cette
35:08leçon que Virginia Woolf
35:10met en scène au travers de son
35:12héroïne ne cesse
35:14de se répercuter entre les parois
35:16de son crâne.
35:18La cruelle rigidité de
35:20Mr Ramsey,
35:22qu'Alice ne peut qu'associer à celle de sa mère,
35:24le rend incapable
35:26de créer cette fixation bienheureuse.
35:28Et lorsqu'il accepte
35:30enfin d'organiser dix ans plus tard
35:32cette promenade tant réclamée
35:34plus personne n'en veut.
35:36Il a laissé s'enfuir la magie
35:38de l'instant.
35:40Il y a donc une magie, parfois,
35:42qu'il ne faut peut-être
35:44pas laisser mourir.
35:46Et si c'est le cas, alors,
35:48elle n'a pas de prix.
35:50Serge a peut-être raison.
35:52Un minuscule
35:54ébranlement se produit quand même,
35:56secousse d'une intensité
35:58trop faible pour parvenir à sa
36:00conscience, mais qui va
36:02être la source d'un lent mouvement
36:04de retour au monde.
36:06Progressivement,
36:08elle sort des appartements
36:10au volet à demi fermé,
36:12se surprend à finir ses assiettes,
36:14laisse la lumière du matin
36:16caresser son visage,
36:18en vient à reprendre ses études
36:20et au prix de quelques convulsions
36:22arrête tout
36:24psychopropre.
36:26Elle a 24 ans.
36:28Jour après jour,
36:30elle va alors façonner
36:32Alice Beckmann.
36:44Philippe, est-ce que tu voudrais
36:46nous décrire alors le troisième élément
36:48que tu avais débauché
36:50et qui peut-être,
36:52en termes de contenu,
36:54nous permettra
36:56d'échanger avec
36:58tes admirateurs par la suite
37:00si tu veux bien.
37:02Non,
37:04le troisième élément
37:06qui est sous cette hypothèse,
37:08c'est
37:10que je suis fondamentalement
37:12agacé par
37:14cette assignation
37:16qu'on veut nous faire
37:18à nos racines.
37:20Cette assignation identitaire.
37:22Notre identité,
37:24elle est
37:26beaucoup plus complexe
37:30que ce à quoi on peut parfois la réduire.
37:34Je suis français,
37:36pire que ça, parisien.
37:40Germano-pratin.
37:44Oui, ça fait beaucoup.
37:46Beaucoup de défauts.
37:48J'ai été élevé
37:50dans une, on va dire,
37:52une éducation.
37:54Ma première communion, catholique,
37:56etc.
37:58Mais est-ce que c'est ça
38:00mon identité ?
38:02Et ce que j'avance, c'est que non.
38:04Mon identité, je suis autant
38:06le fils de Platon,
38:08des philosophes grecs,
38:10des rencontres que j'ai faites,
38:12des auteurs dont j'ai
38:14lu les livres. Je suis le fils
38:16de Virginia Woolf.
38:18Sa conception de la cristallisation
38:20de l'instant
38:22qui crée une permanence dans le flux du temps
38:24m'a
38:26changé, mais
38:28les fréquentations de mes amis m'ont
38:30changé, ils m'ont fait découvrir
38:32des choses que je n'avais pas
38:34réalisées.
38:36Mes rencontres font partie
38:38de mon identité. Je peux
38:40vous citer, je veux dire,
38:42quand j'étais étudiant, je faisais
38:44des boulots à la con,
38:46et je me suis retrouvé
38:48à décharger
38:50des trucs à Bercy avec un diable,
38:52tu vois un peu, moi blanc bec
38:54total, les gens
38:56qui me connaissent, connaissent ma maladresse,
38:58les catastrophes que c'était.
39:00Je me faisais engueuler par le mec tout le temps,
39:02par le chef de l'équipe
39:04et tout ça. Evidemment,
39:06il n'y avait que principalement des
39:08travailleurs d'origine nord-africaine,
39:10etc. Et je me souviens,
39:12je pense à ça, je ne sais pas pourquoi, mais
39:14bon bref, je finis cette histoire,
39:16et évidemment,
39:18j'avais rien prévu, moi j'étais complètement à l'ouest,
39:20et il y a la pause repas, qu'on a mis une
39:22demi-heure, mais évidemment, je n'avais rien à mener, je ne savais pas que je n'avais pas
39:24le droit de sortir, enfin c'était compliqué. Donc je m'assois
39:26comme ça et j'attends, et le gars qui est
39:28à côté de moi,
39:30il regarde comme ça,
39:32il prend son sandwich, il le coupe en deux,
39:34il me le pose sur les genoux, sans un mot.
39:36Ce geste-là,
39:40il fait partie de mon identité.
39:42C'est ça que je veux dire.
39:44Et que l'identité, ce n'est pas, ce n'est pas
39:46des racines, ce n'est pas que
39:48des racines ou un environnement ou un contexte
39:50national, social, etc.
39:52C'est tout ça, l'identité.
39:56Ces personnages
39:58ont tous une identité un peu complexe.
40:00Oui, c'est une charge d'admission, mais comme on vient de le voir,
40:02elle a un passé un peu plus tumultueux.
40:04Le syndicaliste, il a fait des études
40:06de philosophie. L'ouvrier
40:08qui bosse avec lui,
40:10c'est un grand joueur d'échecs
40:12dans le club de la ville,
40:14etc.
40:16Et je...
40:18Cette richesse
40:20de personnages,
40:24on a tous ce truc-là.
40:26Simplement,
40:28cette
40:30assignation
40:32à notre rôle social
40:34ou à ce qui
40:36fait, ce qui apparaît comme étant nos racines,
40:38me semble extrêmement
40:40addictrice. C'est le troisième.
40:42C'est la troisième branche de cette hypothèse.
40:44On est capable,
40:46on est autre chose
40:48qu'un rôle social.
40:50On peut sortir
40:52de son champ de vision
40:54du monde pour aller vers l'autre
40:56et entendre l'injonction morale
40:58qu'il nous fait.
41:02Et on est capable, parfois, de se hausser
41:04à la hauteur de notre propre histoire.
41:06C'est ça l'hypothèse.
41:08D'ailleurs, pas du tout à la mode.
41:12Il y a une notion
41:14que tu développes
41:16dans le revant
41:18que j'ai beaucoup appréciée, c'est celle
41:20d'identité flottante.
41:22Oui.
41:24Qui résume assez bien
41:26ce que tu viens d'analyser concernant ces personnages.
41:28Oui, tout à fait.
41:30Exactement. Identité flottante.
41:32Bien sûr, on a des éléments centraux.
41:34Heureusement, on a quand même des choses sur lesquelles
41:36on propose qui font partie de notre
41:38histoire, mais notre identité, elle est évolutive.
41:40Mon identité,
41:42ce n'est pas un truc fini, ce n'est pas un bloc.
41:44J'ai rencontré d'autres gens
41:46qui m'ont fait découvrir d'autres choses,
41:48qui changent ma vision,
41:50qui me font progresser différemment.
41:52Mon identité, je ne suis pas
41:54le même qu'il y a dix ans. Je ne vois pas les mêmes choses.
41:56Je ne ressens pas les mêmes choses.
41:58Je ne réagirai pas de la même manière.
42:02Mon identité, ce n'est pas un bloc
42:04d'un arbre intangible.
42:06Je propose de
42:08rester sur ce petit mot,
42:10ces quelques mots très positifs.
42:12Par exemple,
42:14il faudrait leur faire
42:16sans doute un beaucoup plus large écho.
42:18Est-ce que
42:20tu as envie,
42:22pour faire une dernière courte lecture,
42:24peut-être d'échanger
42:26avec ceux et celles qui
42:28le souhaitent.
42:30Un peu d'amour.
42:32Un peu d'amour pour finir.
42:34Un peu d'amour pour finir, ce serait pas mal.
42:36C'est cool.
43:04C'est aussi bien, d'accord ?
43:10C'est ma mère.
43:12C'est la maman.
43:14Bon.
43:24Gilles regarde une dernière fois son téléphone.
43:26Il est à l'heure.
43:28Alors il enfonce la porte à large poignée
43:30du laiton du sablier
43:32et balaie la salle du regard.
43:34Elle est là.
43:36Derrière une table, gros vêtements glacés,
43:38mauve-sonde, où traînent une trace de café vide
43:40aux traces séchées.
43:42Et elle attend posément, courageuse,
43:44élégante.
43:46Elle pourrait porter
43:48un cachet de poussière mitée qu'on lui tiendrait
43:50encore la porte dans les restaurants, pense Gilles
43:52en se dirigeant vers elle, tout en remarquant
43:54les stigmates de mauvais sommeil
43:56accentuant la sévérité habituelle de son visage.
43:58Très creusé, comme tiré
44:00vers le bas, teint crayeux, paupières gonflées,
44:02légéritus au coin des lèvres,
44:04activant cette petite trille en forme
44:06d'accent circumflexe.
44:08Pardon.
44:10On a fait quelques
44:12coupes pour...
44:16Gilles est en face d'elle maintenant,
44:18masse indécise en attente.
44:20J'aimais bien
44:22monsieur le terrier, dit Alice doucement,
44:24même si je n'y ai vu que deux fois.
44:26C'était quelqu'un de vraiment intéressant et drôle.
44:28Nos entretiens se sont prolongés bien au-delà
44:30de la durée habituelle, ajoute-t-elle
44:32une petite étincelle dans les yeux,
44:34puis voyant la tristesse du sourire de Gilles,
44:38il n'y a que le temps, vous le savez.
44:40Gilles lâche la tête
44:42lentement en posant ses coudes sur la table,
44:44puis lève le bras pour appeler le serveur
44:46qui arrive en effectuant une adroite glissade.
44:48Peril et citron pour monsieur,
44:50un verre de sauvignon pour madame, c'est parti.
44:54Et parce qu'elle ne veut pas le voyer,
44:56elle reprend. Vous avez des enfants ?
44:58Deux.
45:00Mais je ne vis plus avec leur mère depuis des années.
45:02Gilles répond la question
45:04jusqu'au bout. Alors Alice,
45:06prenons les devants.
45:08Moi, je ne peux pas en avoir.
45:10Un café de la gare,
45:12c'est bien conçu.
45:14On y trouve tout ce qu'il faut pour l'humain en transit,
45:16plat du jour à la volée,
45:18ventes à emporter, café en batterie sur le comptoir,
45:20personnel rompu à ce temps
45:22compressé, toilettes pour prévenir
45:24le numéro d'équilibriste dans les wagons.
45:26Mais Gilles se demande quelle est leur destination
45:28à eux.
45:30Alice lui pose des questions,
45:32un peu, sans insister,
45:34mais sur ses enfants, elle sent que c'est un peu plus facile.
45:36Ça arrête d'être une personnalité,
45:38cette clémence. Et sur ses lectures aussi,
45:40ses auteurs favoris
45:42puissent enquire du moral des salariés de Dubonge,
45:44lui parlent de ses sérieux espoirs
45:46de reclassement d'une partie importante d'entre eux,
45:48elle sourit en décrivant la personnalité de certains.
45:50Ce monsieur d'Amosio,
45:52un abrutin celui-là,
45:54mais finalement ça s'est bien passé, elle pense qu'elle va lui trouver
45:56quelque chose.
45:58Gilles répond du mieux possible,
46:00s'intéresse aussi,
46:02enregistre au passage l'information qu'elle est
46:04en instance de séparation.
46:06Mais la réalité
46:08est que la seule chose qu'il perçoit vraiment,
46:10dans le flux des échanges,
46:12c'est l'intensité de la présence de cette femme
46:14qui lui fait face. Et la seule vérité
46:16dont il dispose, c'est qu'il a
46:18envie d'embrasser ses griffures striant
46:20au fil de son poignet.
46:22Il tente de poursuivre le dialogue, convenablement,
46:26mais ses pensées se brouillent
46:28quelques, pardon, mais ses pensées se brouillent
46:30quelque peu, ses phrases
46:32s'embourbent dans les relents de vaisselle et de croque-monsieur.
46:34Il ne peut plus rien dire, ce qu'il raconte.
46:36Elle rit carrément,
46:38tout en déposant la promesse de son regard
46:40gris dans le sien, et parce qu'il ne sait
46:42plus comment faire autrement, il se penche,
46:44noyé, cherchant de l'air.
46:50Il se penche,
46:52noyé, cherchant de l'air.
46:54Une main s'enroule doucement autour de son cou
46:56tandis que des lèvres d'une douceur infinie
46:58le reçoivent. Et voilà
47:00que cinquante ans de vacarme
47:02font brusquement silence,
47:04qu'une antique ombre intérieure reflue.
47:06Alors, si c'était
47:08pour ça, pour en arriver là,
47:10alors d'accord,
47:12il prend tout.
47:20Applaudissements
47:28Comme vous le souhaitez,
47:30si vous avez envie d'échanger avec
47:32Jean-Philippe,
47:34les deux, sinon on peut aussi
47:36s'interrompre,
47:38aller un petit peu plus loin.
47:40Oui, je vais vous passer
47:42le micro monsieur.
47:44Et puis, discuter
47:46plus librement autour de l'inverse,
47:48d'accord ?
47:52Oui, bonsoir à tous,
47:54bonsoir Philippe, félicitations.
47:56J'ai une question
47:58que j'ai posée
48:00sur un processus
48:02qui a fait que
48:04c'était affamé
48:06de ce
48:08qu'il se dit, quand il a mis
48:10le dernier point, qu'est-ce qu'il a
48:12fait dire ? Que c'était la fin ?
48:14Non, que c'était
48:16qu'il était bon, que c'était
48:18satisfaisant ?
48:20Que ?
48:22Tu es sûr de tout ?
48:24Est-ce que tu es sûr de tout ?
48:26Je suis sûr de rien, et pour te dire,
48:28quand je l'ai relu
48:30un peu, pour choisir les passages,
48:32je me dis, mais c'est pas vrai que j'ai laissé passer ça,
48:34c'est pas possible.
48:36Il y a deux trucs
48:38qui m'agacent,
48:40c'est les répétitions, je suis un peu
48:42en obsession là-dessus, et la deuxième chose
48:44c'est la présence de formules
48:46toutes faites. Et en relisant
48:48une dernière fois, j'ai dit, il y en a une ou deux répétitions
48:50que j'ai laissées passer, alors dans le flux,
48:52Philippe m'a rassuré, mais ne t'inquiète pas,
48:54je t'assure que dans le flux, on ne les voit pas.
48:56Mais sinon, je lui dis,
48:58s'il te plaît, si jamais il y a un retirage, est-ce qu'on peut changer ça ?
49:00Et
49:02oui, il y a une ou deux
49:04formules, mais qui sont des expressions, c'est vrai que je sais pas ce qu'il y a.
49:06Après,
49:08la fin,
49:10il le sait, en plus, quand je lui ai
49:12donné le manuscrit, j'ai réécrit la fin, en fait.
49:14J'ai écrit la fin
49:16parce que je trouvais, j'avais jamais été content
49:18de cette fin, ça me semblait pas
49:20une vraie fin, et il m'a dit
49:22non, non, mais attends, non, non, mais c'est bien,
49:24ça va, on va pas, à un moment donné,
49:26il faut s'arrêter, il a raison.
49:28Parce que sinon, c'est plus le même manuscrit.
49:30C'est ça, donc
49:32il a tromperi.
49:34Non, j'ai réécrit la fin, je pense qu'elle est mieux.
49:36Combien de fois tu as réécrit ?
49:38Oh là !
49:40Après, ça, c'est le travail éditorial.
49:42C'est vrai qu'il y a eu
49:44beaucoup de relectures qui ont été faites,
49:46beaucoup de
49:48propositions de modifications
49:50venant de la part de Philippe,
49:52moi j'en ai fait quelques-unes, mais vraiment à la marge.
49:54Mais après,
49:56il y a toujours
49:58un décalage, si un film soit-il,
50:00entre le manuscrit, lorsque vous
50:02l'envoyez à l'éditeur, et puis
50:04le produit final,
50:06avec les bons livres.
50:08Et vous-même, qu'est-ce qui vous a persuadé ?
50:10Qu'est-ce qui m'a persuadé ?
50:12Parce que le livre m'a plu,
50:14c'est aussi simple que ça.
50:16Oui, bien sûr.
50:18Honnêtement, il y avait
50:20je savais qu'il y aurait
50:22très peu de travail
50:24à faire
50:26sur le texte.
50:28Il était déjà bien abouti.
50:30Si je peux me permettre,
50:32je suis un peu dans le secret des dieux,
50:34parce que j'ai pu le lire.
50:36Alors je suis
50:38une littéraire de formation,
50:40à la base, avant même d'être comédienne,
50:42tout ce qui est polytocane,
50:44fille de littéraire, etc.
50:46Mais ces répétitions,
50:48elles sont utiles.
50:50Parce qu'il y a des grands moments
50:52de littérature, je trouve,
50:54dans ce roman.
50:56Et en même temps, les personnages, quand ils parlent,
50:58ils ont vraiment une voix.
51:00Ils sont vivants.
51:02Et dans la vie, on répète.
51:04Par exemple, j'ai dit, il y a une voix vive, vivant.
51:06Et pourquoi pas, dans la vie,
51:08quand on parle, on fait des répétitions.
51:10Et c'est cette force, je trouve,
51:12entre autres, du roman.
51:14C'est qu'il y a des moments
51:16qui sont des moments
51:18d'écriture littéraire
51:20et des conversations
51:22dites, et on les entend,
51:24les voix apparaissent
51:26assez simplement,
51:28c'est la littérature.
51:32Il y a des parties
51:34très oralisées,
51:36je pense.
51:38C'est ce qui fait aussi le charme du roman.
51:40Il y a de belles
51:42envolées lyriques, et puis à côté de ça,
51:44on a une parole qui est vivante.
51:46C'est naturel.
51:48Je ne l'ai pas trop travaillé.
51:50C'était un peu mon défaut.
51:52Au contraire,
51:54en l'occurrence,
51:56j'ai des amis là
51:58qui me l'ont assez reproché.
52:00Il faut que tu sois plus naturel.
52:02C'est ce qui fait la singularité du roman.
52:04Mais,
52:06à juste titre,
52:08il y a un autre truc qui m'obsède,
52:10et ça, c'est dû aussi
52:12à mon histoire personnelle,
52:14c'est la musique démo.
52:16C'est-à-dire que,
52:18là, en relisant, je me dis,
52:20j'aurais dû inverser ces deux termes.
52:22C'est beaucoup plus joli.
52:24Sans faire comme Flaubert,
52:26dans son Goloire.
52:28Mais je faisais souvent ça, quand même.
52:30Je me les disais,
52:32et la musique, pour moi, est un truc absolument fondamental.
52:34J'en parlais tout à l'heure
52:36à des amis qui sont là.
52:38On s'amusait à en faire marrer.
52:40On disait Racine,
52:42mais la musique,
52:44c'est un magicien, ce type.
52:46Oui,
52:48mais c'est fou.
52:50Et donc,
52:52pour Racine, c'est vrai que la musique démo,
52:54pour moi, est vraiment importante.
53:00Je vais me paraphraser malbranche,
53:02mais la forme, c'est le fond qui remonte à la surface.
53:04La forme,
53:06aujourd'hui,
53:08honnêtement, quand je lis un bouquin,
53:10souvent, c'est moins l'histoire qui m'intéresse
53:12que la musique
53:14et la manière dont elle est racontée.
53:16Les histoires, on raconte tous les mêmes histoires.
53:18Enfin, presque, pas tous.
53:20Et c'est vrai que cette musique,
53:22elle est fondamentale pour moi.
53:24Et c'est pour ça qu'en lisant, parfois, quand tu dis c'est terminé,
53:26il y a deux, trois fois, je dis,
53:28quel con, pourquoi je l'ai mis là, ce mois-là ?
53:30Si je le mets avant,
53:32il y a une espèce de fluidité de musique
53:34qui est bien plus jolie.
53:36Après un moment donné, il faut s'arrêter.
53:38Voilà, exactement.
53:40À titre anecdotique,
53:42la première fois que l'on s'est vus
53:44pour discuter du manuscrit,
53:46je ne sais pas si tu te souviens.
53:48Non, peut-être pas, pas trop.
53:50Oui, une petite anecdote.
53:52La première fois que l'on s'est vus avec Philippe,
53:54après lecture du manuscrit,
53:56c'était pour lui annoncer la bonne nouvelle.
53:58La première chose qu'il m'a dit,
54:00c'est, moi, de toute façon,
54:02je ne jure que par Racine.
54:04Je ne sais pas si tu te souviens.
54:06C'est vrai que je te dis ça ?
54:08Ah, merde !
54:10Non, c'est la musique chez Racine qui me fascine.
54:12Oui, voilà, bien sûr.
54:14Philippe, il faudra vous inquiéter quand il vous dira
54:16qu'il n'y a pas de sous-titres.
54:18Les corrections.
54:20Ah oui, oui.
54:22Ah oui, là, c'est à s'arracher les cheveux.
54:24Ah oui, c'est ça.
54:26Oui, oui, oui.
54:28Vous allez bien.
54:30Je vais vous parler fort.
54:32Je suis encore en cours de lecture.
54:34Est-ce que vous avez une question
54:36qui me rodez ?
54:38Il y a beaucoup de personnages.
54:40Est-ce que ces personnages sont
54:42devenus avant la conception,
54:44avant la création,
54:46ou est-ce que c'est au fur et à mesure que les uns et les autres
54:48se sont ajoutés ?
54:50Alors oui, je vais répondre à cette question précisément.
54:52Effectivement,
54:54en fait, c'est vraiment
54:56un cadre, au départ, avec deux, trois
54:58personnages qui me semblaient clés.
55:02Le grand patron, etc.
55:04Le syndicaliste.
55:06La force publique.
55:08Et
55:10ça, c'était le triangle.
55:14Le triangle
55:16platonicien.
55:20Et sont
55:22arrivés, effectivement, des personnages
55:24qui n'étaient absolument pas
55:26prévus au départ, que j'ai
55:28vu vivre,
55:30et je m'en suis amusé.
55:32Encore une fois, la tante n'était pas du tout
55:34un personnage. C'était tout à fait...
55:38Enfin, il n'existait pas déjà au départ,
55:40et même au début, quand
55:42elle est arrivée, c'était un personnage très secondaire,
55:44parce qu'elle me faisait un peu rire comme ça, et puis petit à petit,
55:46elle s'est imposée toute seule à la force du poignet,
55:48pour le coup, dans ce roman.
55:50Il y a d'autres
55:52personnages.
55:58Il y a un préfet qui joue un rôle.
56:00Il y a un
56:02patron de restaurant.
56:04Tous ces gens-là sont arrivés,
56:06je ne sais pas,
56:08comme des...
56:10Ce n'est pas des deus ex machina,
56:12mais c'est comme s'ils
56:14venaient prendre leur place
56:16dans ce roman, et que tout d'un coup,
56:18ils se mettaient à interagir avec les autres,
56:20en fait. Je ne sais pas si c'est inconsciemment,
56:22parce que ce personnage
56:24me semblait intéressant pour interagir avec les autres,
56:26ou s'il est arrivé, et que du coup, il
56:28aurait interagi avec les autres. Honnêtement,
56:30j'ai l'air de parler de choses qui m'échappent,
56:32mais ce n'est pas complètement faux.
56:34Il y a
56:36quelque chose qui vous échappe.
56:38Et c'est drôle, parce que
56:40du coup, ils arrivent
56:42avec une espèce de...
56:44C'est comme s'ils avaient une pré-personnalité, qu'ils arrivent là-dedans,
56:46et que tout d'un coup, ça crée
56:48des réactions en chaîne.
56:50Ouais.
56:52En fait, j'avais une idée de base, un triangle
56:54de base, mais qui s'est vraiment
56:56étoffée au fur et à mesure.
57:02Je sens que c'est l'heure d'aller boire.
57:04Mais oui, on va boire un coup.
57:06Merci beaucoup à tout le monde d'être venu.