Au bonheur des livres - « Des romanciers engagés ? »

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Les deux romanciers qu’accueille Claire Chazal pour un nouveau numéro de « Au bonheur des livres » peuvent sembler, a priori, très différents : Aurélien Bellanger, qui publie « Les derniers jours du parti socialiste » (Ed. Seuil), un récit fleuve directement inspiré de la réalité politique contemporaine, où l’auteur fait (entre autres) le procès du « printemps républicain », et Abdellah Taïa, qui raconte dans « Le Bastion des larmes » (Ed. Julliard), une expérience poignante, dont on devine la part autobiographique : le retour du narrateur homosexuel au Maroc, pays des traumatismes de son enfance, mais aussi des saveurs familiales du passé… Ces deux livres, très en vue dans la rentrée littéraire, ont cependant pour point commun de nous interroger sur le possible engagement de l’écrivain, qui pose à sa façon un regard méditatif ou critique sur le monde contemporain, en recourant pour cela à la fiction et aux charmes addictifs de la littérature. Qu’il s’agisse de l’intime ou du politique, la force du récit est de nous interpeller, en nous émouvant ou en nous provoquant parfois… C’est ce rapport stimulant à la lecture que fera vivre Claire Chazal, à l’écoute de deux personnalités fortes, éloquentes et passionnantes à découvrir : une conversation à ne pas manquer ! Année de Production :

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Transcription
00:00Retrouvez « Au bonheur des livres » avec le Centre National du Livre.
00:25Bienvenue dans l'émission en littéraire de Public Sénat.
00:27Je suis ravie de vous retrouver chaque semaine dans « Au bonheur des livres ».
00:31Notre souhait, c'est bien sûr de vous donner envie de lire des livres
00:34et aussi de connaître, mieux connaître, découvrir leurs auteurs.
00:38Alors avec nous, deux romanciers qu'on est très heureux d'accueillir
00:42pour cette deuxième édition de notre émission
00:44parce qu'on en parle beaucoup en cette rentrée littéraire.
00:47Ce sont parmi les bons livres de cette rentrée
00:49et ça nous fait très plaisir de les recevoir.
00:51Aurélien Bélanger, Abdéla Taïa, alors ils sont très différents.
00:55L'un va nous parler de politique, l'autre de l'intime.
00:58Mais j'allais dire que ce qui les rassemble, je crois,
01:00c'est leur amour de la littérature, de notre littérature classique.
01:04C'est aussi qu'ils ont eu le prix de fleur l'un et l'autre.
01:06C'est une petite similitude, il faut quand même le rappeler.
01:09Et qu'ensemble, peut-être, nous allons pouvoir aborder
01:11des questions un peu brûlantes de racisme ou d'islamophobie en France.
01:15Abdéla Taïa, vous publiez donc, chez Julia, « Le bastion des larmes ».
01:20C'est un très joli roman, je précise que vous êtes marocain
01:23et que là, vous faites revivre les souvenirs de plusieurs personnes,
01:27mais principalement de Youssef qui revient sur son passé,
01:31enfance, jeunesse, malmené parce qu'homosexuel,
01:35mais qui a aussi un grand attachement pour son pays,
01:37ses traditions, sa famille et ses sœurs notamment.
01:41Et vous, alors Aurélien Bélanger, philosophe, chroniqueur,
01:44télévision, radio, etc., écrivain, j'allais dire que vous observez
01:49notre société avec un œil balsacien et un goût pour la satire,
01:54aussi le second degré, l'ironie.
01:56On est toujours entre réalité et imaginaire.
01:58Pour ce livre, « Les derniers jours du parti socialiste » paru au seuil.
02:03Alors, ça a déjà suscité pas mal de réactions depuis le début de la rentrée.
02:07Il se tait, je n'ose même pas le dire.
02:10Alors, on comprend, au bout d'un certain nombre des 470 pages
02:15que vous voulez vraiment dire, mais il y a beaucoup d'ironie
02:18et de distance.
02:19Donc, pour le résumer, mais vous allez me dire si je me trompe,
02:22vous attribuez, j'allais dire, le déclin du Parti socialiste
02:27à la naissance d'un courant qui est incarné par le printemps républicain,
02:33né en 2016, après les attentats, qui a prôné la laïcité,
02:38une laïcité forte, affirmée, et qui, de ce faisant,
02:42a peut-être favorisé le fascisme, ou en tout cas l'islamophobie en France
02:46et donc une forme de dévoiement de la pensée de gauche.
02:51J'ai bien résumé ou pas tellement ?
02:53– Absolument, absolument.
02:55– Alors, est-ce que déjà, qu'est-ce qui, à un moment, vous a fait dire ?
03:00Alors, bien sûr, Abdelatahia, vous pouvez intervenir,
03:02si vous avez envie de commenter.
03:04Qu'est-ce qui vous a fait dire que le Parti socialiste ou la gauche
03:07c'était un bon sujet de roman ?
03:09– Je suis parti de cette semi-disparition du Parti socialiste
03:13qu'on a connue au moment de l'émergence de Macron,
03:15où soudain ils sont passés de parti hégémonique à une quasi-disparition.
03:18– Pareil pour la droite républicaine.
03:20– C'est vrai, rien n'est jamais perdu en politique, on le voit.
03:22Le Parti socialiste, c'est quelque chose qui m'avait accompagné
03:24toute ma liste, et le grand parti de l'alternance,
03:26un coup sur deux, ça tombait sur lui, il revenait au pouvoir,
03:28il y avait eu Hollande, il y avait eu Jospin, il y avait eu Mitterrand.
03:30– Et là, ça s'effondre.
03:31– Et d'un coup, ça s'effondre, et je me suis dit,
03:32c'est quand même une part de notre histoire commune,
03:34on s'en souvient tous qu'on était socialiste, pas socialiste,
03:37on se souvient tous de ce qu'a été le Parti socialiste,
03:39et c'est amusant de le raconter, et j'avais cette idée en tête
03:41que le Parti socialiste, c'était à la fois des éléphants,
03:44donc on pense, je ne sais pas, à Pierre Moroy, à Martine Aubry.
03:46– Yannick Jospin.
03:47– Voilà, des figures très importantes, et aussi des apparatchiks,
03:50c'est des gens moins connus qui sont dans des petits bureaux
03:52qui tirent les ficelles à la baronnoire et qui manipulent.
03:54– Et ça, c'est ce que vous décrivez très bien dans le livre.
03:56– Et ça, je me suis dit, voilà, ça c'est un bon personnage,
03:58je vais imaginer quelqu'un qui va manipuler le Parti socialiste
04:00de l'intérieur pour un petit peu le faire passer de l'autre côté,
04:04moi je dis de l'emmener, carrément faire franchir la barrière du centre,
04:07l'emmener à droite, en tout cas, qui va essayer de le droitiser,
04:09et justement sur cette question de laïcité,
04:11qui n'est évidemment pas la laïcité de 1905,
04:13mais qui est une laïcité très instrumentalisée, très offensive,
04:15très agressive, et qui est essentiellement dirigée
04:17contre les musulmans, effectivement.
04:18– Alors, vous dites droitiser, mais quand même Aurélien Bélanger,
04:21et je pense que tout le monde en est d'accord,
04:23la laïcité c'est tout de même une vertu ou une valeur cardinale de la gauche.
04:26– Ah, c'est la grande invention de la gauche,
04:28enfin c'est ce qu'a défendu la gauche,
04:30qui a culminé en 1905, mais ce qui a été beaucoup observé,
04:33c'est que la laïcité a très bien fonctionné pendant un siècle,
04:35on réfléchissait assez peu dessus,
04:37il y a eu peu de livres, de manuels de laïcité pendant un siècle,
04:39et soudain, à partir de 2005, la laïcité devient obsessionnelle,
04:42parce qu'on pense qu'en fait, des Français ont cessé d'être laïcs,
04:46et ces Français, très rapidement, ça désigne les musulmans.
04:50Et on voit, il y a eu beaucoup d'instrumentalisation,
04:52des affaires de voile, etc.
04:53Et il y a une question musulmane qui apparaît,
04:55moi qui m'a beaucoup intéressé en tant que, réellement, homme de gauche,
04:58je me suis dit, tiens, en fait,
04:59là on joue avec quelque chose d'extrêmement dangereux,
05:01on joue avec quelque chose qui devrait être étranger à l'ADN de la gauche,
05:04on joue avec le racisme, tout simplement.
05:05– Et bien sûr, vous visez certaines personnes,
05:07comme Manuel Valls, qui ont beaucoup insisté,
05:09et on le sait, sur ces thèmes-là.
05:11Mais vous dites, il y a cette focalisation sur l'islam,
05:15et bien sûr, on pourra en reparler tout à l'heure avec Abdel Attaïa,
05:19mais quand même, quand ce printemps républicain est créé,
05:22nous sommes en 2016, nous sommes d'une vague d'attentats,
05:24nous sommes bien d'accord.
05:25Est-ce que ce n'est pas légitime de penser que le combat premier,
05:29c'est pour la laïcité, contre ceux qui nous attaquent ?
05:32Qui sont cet islamisme ?
05:34Je ne parle pas, bien sûr, des musulmans,
05:35je parle de cet islam radical.
05:37C'est un danger que nous vivons tous à ce moment-là.
05:39– C'est là où il livrait le roman,
05:40c'est que moi je mets en scène un personnage de romancier
05:42qui me ressemble par certains traits,
05:43et qui, quand ce mouvement est lancé,
05:45donc qui s'appelle le mouvement du 9 décembre dans mon roman,
05:47quand ce mouvement est lancé, a plutôt de la sympathie pour lui,
05:49et va se rendre compte, progressivement,
05:51que c'est le cheval de Troyes, d'autres idées,
05:52d'idées qui prônent, en fait, le choc des civilisations,
05:55et un certain…
05:56La question n'est pas la laïcité, très rapidement,
05:58la question se déporte, ça va être le choc des civilisations,
06:01on est prêt à la grande bataille des civilisations.
06:04– Mais c'est ce que nous avons vécu tous peut-être depuis le 11…
06:08Enfin, il y a cette idée diffuse,
06:10qui a même profondément choqué, bien sûr,
06:12parce que le 11 septembre est le point de départ de tout ça.
06:14Est-ce que vous comprenez que quand même,
06:16une société puisse s'interroger sur ce choc des civilisations ?
06:20Est-ce que c'est illégitime ?
06:22– Il me semble que quand on entre dans une doctrine du choc des civilisations,
06:25on est déjà d'accord avec les terroristes,
06:28évidemment c'est les ennemis, mais on partage une idée commune,
06:31on pense que la République est faible,
06:33donc en fait, on n'est pas vraiment républicain,
06:35on pense qu'on est en danger, alors qu'on n'est pas en danger,
06:38enfin, on est en danger, il faut se protéger,
06:41mais je pense qu'en fait, on entre dans une lecture du monde
06:43qui est extrêmement dangereuse, extrêmement risquée,
06:46qui nous mène à peu près à la guerre mondiale.
06:48– Mais est-ce qu'on ne peut pas dire aujourd'hui, on va la mélanger,
06:50on voit quand même la situation politique aujourd'hui,
06:52on l'observe, c'est une forme de décomposition,
06:55que la gauche aujourd'hui, elle meurt peut-être d'autre chose
06:59que de cette affirmation de la laïcité, etc.,
07:04de ce côté tiède de ses idées,
07:07il y a quand même un éclatement de ce qu'on appelle
07:10le Nouveau Front Populaire, ou en tout cas des dissensions,
07:13et l'idée que si on n'est pas un parti de gouvernement,
07:16on va mourir, est-ce que ce n'est pas plutôt le fait
07:19que cette gauche-là ait cessé de vouloir être un parti de gouvernement
07:22qui a fait sa chute ?
07:23– Moi, ce qui m'intéressait, c'est une critique qui a été souvent faite
07:25à la gauche par des gens qui y avaient appartenu à la gauche,
07:27que la gauche n'était plus la gauche,
07:28qui avait trahi ses valeurs d'universalisme,
07:29on en a parlé de ses valeurs de laïcité,
07:31ça m'intéressait, parce qu'il me semblait au contraire
07:33que la gauche était plutôt refaite idéologiquement,
07:35sur la question par exemple du racisme,
07:37la question des violences sexuelles,
07:38la gauche avait à nouveau quelque chose à dire,
07:39et un procès a été instruit en disant,
07:41non, ce n'est plus vraiment ma gauche,
07:42elle est trop communautaire, etc.
07:43Et au moment où la gauche…
07:45c'est beaucoup plus facile d'être de gauche à 20 ans
07:46que moi quand j'avais 20 ans, il y a 20 ans.
07:48Il y a beaucoup de thèmes qui sont dans l'air,
07:50qui sont très présents, et il me semble qu'on instruit le procès…
07:52– Il y avait l'égalité des chances,
07:53il y avait tout de même la lutte des classes,
07:55ça pouvait aussi être facile pour nous.
07:56– Ah, la lutte des classes, il y a 20 ans, ça n'allait pas bien,
07:58enfin oui, il y a 40 ans, ça allait bien.
07:59– Oui, vous pouvez combattre pour la…
08:01– En tout cas, il me semble qu'au moment où elle se refait,
08:03il y a des intellectuels qui ne savent pas qu'ils sont conservateurs
08:05et qui vont retarder les avancées.
08:08En fait, être de gauche, c'est très simple,
08:09c'est être du côté du progrès.
08:11Et à partir du moment où la gauche pense que le progrès
08:13va trahir d'autres intérêts, on n'est plus de gauche.
08:16Ce n'est pas grave, mais il faut arrêter de dire qu'on est de gauche.
08:19– Dans ce livre, Aurélien Bélanger,
08:22c'est un livre à clefs, il y a des noms transformés,
08:25vous l'avez dit, vous vous moquez de pas mal de personnalités,
08:28à demi-mot, les Raphaël Antoven, les Caroline Fourès, etc.
08:32Et de Laurent Bouvet, qui est donc le fondateur de ce parti,
08:36de ce mouvement, et vous en faites un apparat de chic,
08:39mais est-ce que ce n'était pas plutôt un intellectuel
08:41qui croyait à des choses ?
08:43Et vous dites d'ailleurs, j'ai voulu faire mal.
08:45– Alors, c'est le roman de tout un bestiaire politique
08:48qu'on ne connaît pas forcément parce qu'on n'est pas chez des…
08:50– Que vous connaissez bien, vous, de l'intérieur.
08:51– Pas vraiment, je le connais plutôt comme observateur,
08:53mais c'est plutôt, on n'est pas chez les élus,
08:55on est dans une sorte d'inframonde de gens qui manipulent les idées,
08:58qui pensent que leurs idées vont gagner le champ politique,
09:00qu'il est inutile de conquérir directement le pouvoir
09:02parce qu'on peut porter des idées.
09:03Donc, c'est incontestablement des intellectuels,
09:05mais ce qui est intéressant, c'est de démonter
09:07cette espèce de jeu d'ombre qui font qu'on ne va pas en passer
09:09directement par le vote, on va passer par des manipulations d'opinion,
09:12par des jeux sur les réseaux sociaux,
09:14des stratégies d'antrisme dans la presse, etc.
09:16qui vont, à la fin, permettre d'asseoir une domination intellectuelle.
09:19Et il me paraît que c'était intéressant de raconter
09:21la préhistoire de toutes ces idées qui font qu'aujourd'hui,
09:24politiquement, la France ne va pas très bien
09:27et que l'extrême droite est plus un danger que jamais.
09:29Il me semble que ces intellectuels ont été les facilitateurs de ça.
09:32Il y a peut-être aussi d'autres raisons pour lesquelles
09:34la France ne va pas très bien, mais ça, on va peut-être
09:36continuer à en parler.
09:37J'ai dû choisir, j'ai dû choisir.
09:38Oui, vous avez dû choisir.
09:39L'islamophobie, vous le dites,
09:41ce n'est vraiment pas en France, en tout cas,
09:43c'est ce que vous affirmez,
09:44mais est-ce que ce n'est pas difficile à entendre
09:46au moment où, depuis quelques mois,
09:49depuis plusieurs mois maintenant,
09:51c'est plutôt l'antisémitisme qui nous menace,
09:54ou en tout cas, dans les faits, j'allais dire,
09:56le nombre de violences, le nombre de faits recensés,
09:59puisque là, vous ne sentez pas qu'il y a un décalage ?
10:02Ce qui m'intéressait, c'est que l'islamophobie a fait l'objet
10:04d'un déni pendant longtemps.
10:05Beaucoup d'intellectuels ont dit que l'islamophobie
10:06ne pouvait pas exister parce qu'il y avait le droit
10:08de critiquer la religion.
10:09Regardez Charlie Hebdo,
10:10ils se sont tout aussi bien moqués du pape que des molas, etc.
10:12Donc, en fait, on n'a même pas eu les outils,
10:15comme on a eu les outils pour décrire, effectivement,
10:17l'importance de l'antisémitisme,
10:19ça, on est capable de faire des décomptes,
10:20mais sur l'islamophobie, il y a eu une telle négation d'État
10:22qu'il puisse exister un racisme structurel,
10:24que, par exemple, si on était d'apparence musulmane,
10:28on était beaucoup plus contrôlés, on était beaucoup plus fonctionneux,
10:30on n'avait pas accès à certains métiers,
10:32qu'on n'a même pas eu les outils pour la traiter.
10:36Et il y a eu...
10:37Enfin, moi, il me semble que c'est la passion, quand même,
10:39sur ces vingt dernières années, bien plus que l'antisémitisme,
10:42c'est la passion dominante, en fait.
10:43C'est la passion mauvaise dominante.
10:44Mais on est d'accord pour dire que là,
10:45il y a une vague d'antisémitisme, on peut le dire ?
10:48Oui, bien sûr.
10:49On peut aussi dire que la population de Gaza
10:53subit un massacre totalement inédit et totalement injustifié.
10:56Bien sûr, et toutes les voix sont à entendre,
10:58mais on sent aussi la peur des Juifs en France, et ça existe.
11:01De toute façon, les personnes racisées qui subissent le racisme
11:04sont les seules légitimes à parler du racisme qu'elles subissent.
11:07Alors, justement, ça nous amène, non pas sur le racisme tout de suite,
11:10mais on va en parler, bien sûr, à Adela Taïa,
11:12parce qu'on est très heureux de vous recevoir.
11:14Et sur les discriminations, votre voix est importante,
11:18puisque le sujet du Bastion des larmes,
11:20un très joli livre dans lequel vous revenez sur la jeunesse,
11:28le destin, à la fois fracturé, triste et aussi attaché à un pays,
11:35de Youssef, de Najib aussi, qui est son amoureux,
11:38ils sont deux homosexuels, et ils se souviennent de leur passé,
11:41et surtout des discriminations dont ils ont été victimes dans ce pays, le Maroc.
11:47Est-ce qu'on peut dire, Adela Taïa, que c'est votre histoire un peu,
11:51ce que vous racontez aujourd'hui ?
11:52Ce n'est pas la première fois d'ailleurs que vous le racontez.
11:55– Je dirais que c'est mon monde,
11:56le monde que je porte en moi plus que mon histoire personnelle.
11:59Parce que, d'accord, je pars toujours du réel, de ce que j'ai vécu,
12:04mais pas seulement moi, moi, mais aussi mes soeurs, ma mère,
12:08les pauvres au Maroc, j'ai grandi dans la pauvreté,
12:11donc je ne peux pas dire que c'est seulement mon histoire à moi,
12:14mon autofiction à moi.
12:15C'est une autofiction globale, si je peux dire, collective,
12:18parce qu'il me semble très très important de reconnaître, par exemple,
12:21que moi, en tant que petit garçon efféminé dans les années 80,
12:25ce qui m'a sauvé, c'est les soeurs.
12:27J'avais six soeurs plus âgées que moi,
12:29et elles, elles avaient déjà inventé des moyens de transgresser,
12:33pas pour me protéger, de résister,
12:35elles, par rapport à ce que le pouvoir marocain faisait aux pauvres.
12:38Et elles, elles n'avaient pas peur de mon père,
12:40pas peur de mon grand-frère, ni des hommes.
12:42Et moi, j'étais l'enfant numéro huit,
12:45j'avais ces soeurs incroyablement incendiaires,
12:48et j'ai tout appris d'elles.
12:49Et j'ai fait ce livre, d'ailleurs, pour parler...
12:51Pour leur hommage, c'est sûr.
12:52Oui, pour dire à la fois que je leur dois beaucoup de choses,
12:55la beauté de la résistance,
12:57mais en même temps pour dire qu'aujourd'hui, le temps est passé,
13:00il y a cette chose qui nous attend tous, la mort,
13:03et dans la mémoire qu'elle constitue elle,
13:07que la société marocaine constitue,
13:09il y a l'effacement du gay.
13:12Est-ce que vous diriez que ces personnages qui sont homosexuels,
13:16gays, dont vous racontez le destin,
13:18est-ce qu'il y a un désir de vengeance ?
13:21Bien sûr.
13:22Bien sûr qu'il y a un désir de vengeance,
13:23quand on a été violé, quand on a été insulté.
13:25Je dois dire que vous allez assez loin dans les descriptions,
13:27dans cette violence qu'ils subissent.
13:29Je pense que je ne suis pas assez...
13:32Je ne suis pas allé assez loin,
13:34je pourrais dire même beaucoup plus que ce que j'ai écrit dans ce livre.
13:37Mais en même temps qu'il y a le rappel de ce saccage de l'enfance,
13:42de le corps de l'enfant,
13:43parce que c'est ça qui est terrible,
13:45l'enfant vient au monde,
13:47et le monde sait avant lui qu'il est gay, qu'il est différent.
13:50Et en même temps qu'il l'apprend,
13:52toute une société utilise cet enfant pour assouvir leurs besoins sexuels.
13:56C'est-à-dire, on dit à cet enfant, à cette petite fille,
13:58vous n'existez pas, vous n'avez pas le droit d'exister.
14:00Il y a toutes ces lois qui sont contre vous.
14:02Et en même temps, dès qu'on vous croise dans une ruelle,
14:05ou bien je ne sais pas, dans un terrain vague,
14:07tout ce monde, ce sont des adultes,
14:09qui se permettent de vous détruire.
14:12Et quand plus tard, vous êtes un peu adolescent,
14:14que vous pouvez parler pour vous,
14:16là, on vous dit, c'est vous qui êtes contre nature,
14:19ce n'est pas nous.
14:20Le livre, il rappelle cela,
14:22mais aussi, il rappelle tout ce que le monde fait aux soeurs, aux femmes,
14:28le mariage, toutes ces choses qu'on invente pour emprisonner les femmes,
14:32et pour faire que la liberté en elles, au départ, s'éteigne.
14:37– Vous nous descrivez une sorciété marocaine corsetée.
14:40Vous êtes partie en 1999, je crois, à Béla Taya, en France,
14:43on va en reparler, et c'est au moment où Hassan II va mourir, je crois.
14:47– Il est mort en 99.
14:49– Est-ce que ce Maroc, vous diriez, a changé, depuis ?
14:52Pour ce que vous en savez, puisque vous y retournez, naturellement.
14:55– Ce qui a changé, c'est une partie de la jeunesse, quand même,
14:59qui veut qu'il y ait quelque chose qui bouge.
15:02Les lignes bougent, il y a des femmes qui parlent,
15:04une partie des médias au Maroc a bougé,
15:06mais le problème, c'est le pouvoir, les gens, les riches,
15:09ceux qui détiennent l'économie du Maroc, les intellectuels même, les élites.
15:13C'est-à-dire que, par exemple, il y a beaucoup…
15:15Moi, que j'ai grandit quand j'étais enfant,
15:17il y avait des élites marocaines qui venaient à Paris étudier à la Sorbonne,
15:20qui rentraient au Maroc, qui passaient à la télévision,
15:22ils nous parlaient comme s'ils s'adressaient à des Parisiens,
15:25ils nous parlaient avec l'accent parisien,
15:27donc ils appliquaient sur nous ce qu'ils avaient étudié,
15:29je ne sais pas moi, Chéryl Lombard ou bien Michel Foucault,
15:31et ça me paraissait insoutenable.
15:33Au nom de quoi, certains intellectuels marocains ou élites marocaines
15:37vont revenir chez nous et continuer sur notre propre corps le colonialisme français.
15:41Ce livre rappelle aussi cela, il va à la confrontation,
15:45aussi bien avec les sœurs, une confrontation pour que la vérité entre eux puisse advenir,
15:50et au final avec le pouvoir marocain, surtout avec le pouvoir,
15:54c'est plus que la société ou les traditions, c'est le pouvoir.
15:56– Parce que vous n'êtes pas tant, notamment un colonel,
15:58qui est fortement corrompu, touché par le trafic de drogue,
16:02enfin qui y participe, et là, vous êtes assez sévère sur lui,
16:07c'est une figure relativement négative, noire.
16:11– Disons que Najib, c'est cet amoureux de Youssef,
16:16qui est plus âgé que lui, pour sauver sa peau,
16:18il a trouvé ce colonel, veuf, à la retraite,
16:20qui fait des trafics de drogue dans le nord du Maroc,
16:23il l'a sauvé, mais après sa mort, il est de nouveau renié.
16:26Disons que je suis sévère, mais pas seulement avec le colonel,
16:29je suis sévère même avec Youssef, lui-même, il est dans une ambiguïté terrible,
16:32vis-à-vis de ses sœurs, à la fois, il leur doit quelque chose,
16:35parce qu'il a appris d'elles la transgression,
16:37il a appris d'elles la transgression,
16:39et pas de Jean Genet au bien d'Oscar Wilde,
16:42mais il a appris ça des femmes marocaines,
16:44ce qu'elles inventent comme moyen de résistance dans leur réalité.
16:47Et moi, en écrivant ce livre, je veux honorer cela,
16:51c'est-à-dire que je ne peux pas participer à la destruction
16:55des femmes arabes ou musulmanes avec un regard orientaliste ou colonialiste.
16:59Mes sœurs, vraiment, c'était, franchement,
17:04elles étaient des Monica Vitti, des Isabella Geni,
17:07elles étaient sublimes de liberté aînée et revendiquée et appliquée.
17:13Et le petit PD que j'étais ne faisait que les imiter,
17:16donc il fallait que ce livre soit à la fois ces deux choses,
17:19le côté terrible, mais en même temps le côté solaire dans la transgression.
17:24Il n'y a pas aussi des mots pas très gentils sur les imams,
17:27enfin, c'est les hommes des mosquées.
17:29Les imams, ils détiennent le pouvoir, vous aussi.
17:31De toute façon, la religion au Maroc, c'est un outil de pouvoir
17:35aussi bien pour les gens qui dirigent le Maroc
17:37que pour ceux qui disent « nous sommes l'islam ».
17:39Mais moi, je suis aussi l'islam.
17:42– Il y a de très belles descriptions de ce pays, quand même, Abdel Attaïa,
17:45bien sûr, de ses traditions, de ses familles aussi,
17:47auxquelles vous êtes attaché.
17:49Et donc, de ces lieux dans lesquels on voyage avec vous,
17:52ce bastion des larmes, dites-nous ce que c'est,
17:54parce que c'est le titre, il existe.
17:56Ce sont des remparts sous la vieille ville.
17:58– De la vieille ville de Salé, puisque ce livre…
18:00– Ce livre se passe là.
18:01– Ce livre se passe à Salé, et aussi, c'est le livre de la ville de Salé
18:04qui est juste à côté de la capitale de Rabat.
18:07La capitale de Rabat, il y a un fleuve qui les sépare,
18:10et nous avons grandi dans la soumission par rapport au pouvoir de la capitale.
18:13Et ce livre, voilà, il conduit les personnages,
18:17Youssef, les sœurs, les voix qui se lèvent comme des fantômes
18:20pour une confrontation finale jusqu'à ce lieu,
18:23donc les murailles de la ville qui s'appellent le bastion des larmes,
18:27où il y a eu lieu, au XIIIe siècle, quelque chose d'assez important,
18:30les castillans qui avaient chassé les musulmans au XIIIe siècle,
18:34ils les avaient poursuivis jusqu'au Maroc pour les tuer, même au Maroc.
18:37Un jour, ils entrent dans la vieille ville qui n'avait pas, à ce moment-là,
18:40les remparts pour la protéger, ils kidnappent à peu près 3 000 personnes
18:43et ils s'en vont dans l'océan.
18:45Et les gens de Salé ont pris l'habitude d'aller là,
18:48par où les Espagnols étaient rentrés, et ils pleuraient,
18:50ils attendaient ces kidnappés qui n'allaient jamais revenir.
18:54Quand on a construit les murs, on a appelé ce lieu précis le bastion des larmes
18:58parce que les gens de Salé allaient là, ils parlaient aux vagues, aux vents.
19:01– Et c'est là que les deux héros, vous deux héros, vont s'aimer ?
19:04– C'est là où vont tous les marginalisés de la ville de Salé,
19:07aussi bien les femmes que les gays, que ceux qui sont rejetés par le pouvoir.
19:11Et je voulais que tous ces personnages, les sœurs comme les gays,
19:15comme les fantômes, se retrouvent là, face à ce mur,
19:18et aussi face à l'histoire du Maroc et de l'histoire de la ville de Salé.
19:21– Alors, puisqu'on parle d'histoire, et vous avez parlé de ces discriminations
19:24et de ces difficultés, de cette vie qui peut être harcelante au Maroc,
19:30contre ceux qui revendiquent une liberté, une différence,
19:33et c'est votre cas Abdéla Taïa.
19:35Avec Aurélien Bélange, on a beaucoup parlé d'islamophobie,
19:38parce que c'est au fond ça que vous dites aujourd'hui,
19:40que notre société française l'est.
19:44– Tout un système intellectuel, tout un système médiatique intellectuel l'est.
19:48La société ne l'est pas parce qu'elle suit quasiment les consignes
19:51qui lui sont données par un certain nombre d'intellectuels.
19:53– Oui, mais alors, est-ce qu'on n'est pas intéressé par le point de vue d'un musulman
19:58qui vient du Maroc et qui aurait plutôt trouvé refuge en France ?
20:01Est-ce qu'on peut dire ça de vous, Abdéla Taïa ?
20:03Ou est-ce que vous êtes sensible au discours d'Aurélien Bélange
20:06sur cette islamophobie qui existerait par certains côtés en France, bien sûr ?
20:12– En fait, quand je suis arrivé en France, les premières questions qu'on me disait,
20:15on me disait tout le temps, tout le temps, ça se répétait tout le temps,
20:17pourquoi tu ne bois pas, pourquoi tu ne manges pas du porc ?
20:19Ça se répétait tellement que je me disais, mais c'est quoi cette obsession ?
20:22Donc si je buvais du vin et je mangeais du porc,
20:24je serais le bon musulman gay accepté par la France.
20:27Et j'ai appris qu'il y avait là quelque chose,
20:29une construction politique coloniale qui attendait les Arabes et les musulmans,
20:32gays ou pas, et qu'il fallait résister à ça,
20:34ne pas devenir une petite chose, un petit Arabe de service
20:38qui va dire une parole attendue des ex-colonisés.
20:42Donc je ne peux pas dire que j'ai trouvé refuge,
20:44j'ai trouvé un lieu, Paris, pour mener des combats et des batailles,
20:47devenir écrivain, ça n'a pas du tout été simple
20:50pour trouver une maison d'édition et écrire ce que je voulais écrire.
20:54– Mais vous pouviez plus le faire ici que dans votre pays ?
20:57Est-ce qu'on peut le dire ?
20:59– J'ai parlé de mes sœurs, donc pour moi mes sœurs,
21:01elles étaient aussi extraordinaires que, je l'ai dit, que Brigitte Bardot.
21:05Donc ça veut dire que ce qu'elle faisait comme résistance politique,
21:08elle existe dans la réalité, mais elle n'est pas reconnue
21:11par le pouvoir marocain et l'élite marocaine,
21:13et elle n'est pas reconnue par le regard non plus occidental
21:16qui continue de regarder mes sœurs comme des femmes arabes, musulmanes,
21:20incapables de comprendre la transgression et appliquer la transgression.
21:23Et moi je l'ai dit, je le répète, j'ai appris la transgression de ces sœurs,
21:27même si la société et le monde ont fini par les terrasser ces sœurs,
21:31mais moi je n'oublie pas ce qu'elles ont fait.
21:33Et quand je suis arrivé à Paris, je me suis souvenu de mes sœurs,
21:36je me suis dit je ne vais pas avoir ni de Paris, ni des Parisiens,
21:39pour pouvoir continuer à vivre.
21:41– Qu'est-ce qu'on peut dire de cette parole-là Aurélien Bélanger ?
21:45Est-ce que ça ne vaut pas ?
21:46Parce qu'Aude De La Taille n'est bien sûr pas le seul écrivain,
21:49j'allais dire maghrébin, on a Kamel Daoud en Algérie,
21:52on a évidemment Leïla Slimani au Maroc, etc.,
21:55qui viennent, qui sont venus en France.
21:58Kamel Daoud il est aujourd'hui ici parce qu'il ne peut pas publier son livre
22:01chez lui en Algérie.
22:03– Pour généraliser à outrance, le problème est un problème politique,
22:06pas du tout un problème religieux ici.
22:08Si les écrivains quittent le Maghreb pour venir en France,
22:11c'est pour des questions plutôt de liberté politique.
22:13Évidemment il y a des problèmes…
22:15– Pas de liberté tout court d'ailleurs, non ?
22:17– Ils peuvent être harcelés aussi par des religieux,
22:19mais c'est des religieux insoumisés par des combats politiques.
22:21Il y a eu longtemps quand même une complicité assez forte
22:24entre la France et les régimes autoritaires.
22:26– Je pense que l'écriture est là pour déconstruire justement
22:29tout ce discours politique attendu des Arabes et des musulmans.
22:33D'accord on vient à Paris, on est attiré par Victor Hugo,
22:36Arthur Rimbaud, Michel Foucault, tout ça,
22:38mais dès qu'on arrive il y a une réalité qui est compliquée
22:41et donc il faut bien batailler pour qu'on ne devienne pas une petite chose.
22:45C'est-à-dire comme si on n'était pas capable
22:47d'avoir une pensée profonde, philosophique,
22:49comme si nous tout ce qu'on a fait comme études
22:51ne peut pas être au niveau d'un français blanc,
22:54d'un Aurélien Bélanger si je peux dire.
22:56Alors que quand même nous sommes aussi profonds
22:59que n'importe quel français blanc et je pense que l'écriture,
23:02les livres en tout cas que j'essaie de produire,
23:04doivent tout le temps faire attention à ne pas tomber dans le piège
23:07qui est tendu si je peux dire pour nous.
23:10L'écriture est là pour déconstruire
23:12et non pas pour amener une parole attendue
23:14et validée déjà avant même qu'on mette les pieds sur France.
23:17Parce que moi je mène cette réflexion
23:19parce que j'ai le sentiment, je crois,
23:21d'être dans un pays, c'est notre pays, la France,
23:24qui est une terre d'accueil.
23:26Est-ce qu'on ne peut pas le dire comme ça ?
23:29Non mais il y a ce mythe que la France est une terre d'accueil.
23:31L'accueil fait aux réfugiés de toutes ordres,
23:33n'a fait que se dégrader ces 20 dernières années.
23:35Vous diriez ça Abdel Abtayeb ?
23:37Je pense, si par exemple on posait la question à tous ces gens
23:39qui prennent le RER à 6h du matin pour venir à Paris,
23:42on leur demandait comment on vous regarde
23:44dès que vous mettez les pieds à Paris.
23:45Ils ne disent pas que c'est un pays d'accueil.
23:46Juste comment on les regarde.
23:48Quand ils prennent un rendez-vous avec le Tobib au téléphone
23:51ou bien le dentiste et qu'ils disent leur nom,
23:54comment la voix des dentistes qui changent.
23:56Donc ça serait presque indécent de ma part de leur dire
24:00voilà, la France c'est la liberté.
24:02Alors qu'ils vivent au quotidien quelque chose d'extrêmement dur.
24:05Moi je suis devenu écrivain mais je ne peux pas oublier tous ces gens-là
24:08que je vois tous les jours dans les rues de Paris,
24:10que je vois dans les métros et je vois aussi comment on les traite.
24:13Donc c'est d'accord, ils ont choisi de venir en France,
24:16ils participent à l'économie de la France
24:18mais on ne peut pas ignorer comment ils sont regardés.
24:21Parce que le manque de liberté que j'ai au Maroc,
24:24ils peuvent aussi, ils l'ont aussi, la voix s'est appliquée.
24:28On leur dit ça, que vous n'êtes pas aussi profond et libre
24:31que les autres.
24:33Donc je ne peux pas trouver de dissension entre vous,
24:35de désaccord, je vais chercher à venir mélanger
24:38un point de vue éventuellement contraire au vôtre.
24:41Je sais qu'aussi ce qui vous rassemble,
24:43c'est l'amour, vous avez déjà parlé des auteurs,
24:45mais l'amour de la littérature, on est d'accord,
24:48qui nous élève, qui nous fait oublier peut-être tous ces problèmes.
24:51Qui permet de tenir le grand récit en permanence,
24:54tenir les comptes de tout ce qui se passe
24:56et l'objet romand permet de refléter,
24:59est l'un de ceux qui permet de refléter le mieux le monde
25:01et de réfléchir le mieux.
25:03La littérature, l'écriture, pour vous aussi.
25:05C'est pour ça que tout à l'heure au début, j'ai précisé
25:07que je ne parle pas que de moi, c'est très important.
25:09D'accord, j'ai subi beaucoup de choses terribles,
25:12mais mes sœurs ont subi beaucoup de choses,
25:14les immigrés en France subissent aussi beaucoup de choses.
25:16C'est très important, en écrivant, de penser à l'autre
25:20et ramener les voix des autres, toujours, toujours.
25:23Bien sûr, et donc la littérature, et qu'on est ici pour célébrer,
25:26nous sauvera, grosso modo.
25:30Le romancier de mon livre s'appelle Softer,
25:32donc je suis très clair sur cette mission.
25:34Voilà, c'est ça.
25:36Alors, pour terminer cette émission,
25:40et on est très heureux d'avoir essayé
25:42d'organiser un dialogue entre vous,
25:44mais je crois qu'on y est arrivé,
25:46pour deux livres tout à fait passionnants
25:48et encore une fois très différents, bien sûr,
25:50l'un politique, l'autre intime.
25:52On a aussi des petits coups de cœur
25:54au bonheur des livres.
25:56D'abord, la réédition en poche d'un livre de John le Carré,
25:59je peux vous les donner avec grand plaisir,
26:01dans la collection Point.
26:03Il est disparu, c'est un auteur qui est mort en 2020.
26:06L'Espion qui aimait les livres,
26:08ça c'est pour nous, je crois.
26:10C'est une délicieuse méditation désabusée
26:12sur le pouvoir des livres, dans un monde
26:14où on en parlait, où les grands repères idéologiques
26:17ont disparu, c'est précisément ce dont nous venons de parler.
26:20Et puis, le roman original et caustique
26:23de Philippe Vassé, qui est engagé
26:25à sa façon aussi dans la critique du monde contemporain,
26:27ça s'appelle Au journal intime d'un maître chanteur
26:30chez Flammarion, où comment un corbeau professionnel,
26:33ancien paparazzi, venu de l'ancien monde,
26:36adopte ses méthodes à l'ère des réseaux sociaux.
26:39C'est aussi une caractéristique de notre société,
26:41c'est cruel et drôle et ça décrive bien notre époque.
26:44Et puis moi, personnellement,
26:46j'ai beaucoup aimé Hôtel Roma,
26:49de Pierre Hadrian, qui revient sur la vie,
26:51enfin la mort, plutôt, de César Epaves,
26:53à l'Hôtel Roma, à Turin,
26:56où il va se suicider, il n'a même pas 50 ans.
26:58Il va laisser quelques manuscrits,
27:01notamment Le métier de vivre, qui est tout à fait poignant.
27:04Et c'est évidemment un rappel de qui est César Epaves,
27:07de la nécessité que l'on peut avoir de lire ses oeuvres.
27:11Merci infiniment.
27:13Le bastion des larmes, c'est Abdéla Taïa,
27:15le dernier jour du Parti Socialiste,
27:19qui nous fait réfléchir aussi sur nos jours actuels
27:22et sur notre conjoncture politique d'Aurélien Bélanger.
27:25Merci beaucoup à tous les deux d'être venus nous voir.
27:28Je rappelle qu'on peut revoir cette émission
27:31sur la plateforme de Public Sénat, publicsenat.fr.
27:36On se retrouve très vite pour une nouvelle édition
27:39d'Au Bonheur des Livres.
27:40À très vite.

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