Chères lectrices, chers lecteurs,
Voici la captation de la rencontre de Laurent Bury, traducteur de Virginia Woolf pour la prestigieuse collection de La Pléiade, à l'occasion de la parution du nouvel opus Mrs. Dalloway et autres écrits.
Discussion animée par Édouard Leroy, et enregistrée le jeudi 7 mars 2025.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième (extrait) :
Mrs. Dalloway et Orlando sont deux romans aussi différents que complémentaires. Le premier, que Woolf pensa longtemps intituler Les Heures, se déroule à Londres en un jour, qui est la grande journée de Clarissa Dalloway, et le dernier jour de Septimus Warren Smith. Le second, qui aurait pu s’intituler Les Siècles, court sur 350 ans, et jusqu’en Turquie. D’abord appelé à la cour d’Elizabeth Ire, un jeune aristocrate se réveille un jour femme, au siècle suivant ; à la fin du livre – en octobre 1928 –, elle est trentenaire, mariée, et elle a fait paraître « Le Chêne », un poème auquel elle – ou plutôt il puis elle – travaillait depuis 1586. « Dans chaque être humain se produit une oscillation d’un sexe à l’autre… »
Très vite, la France s’intéresse à ces romans. Louis Gillet prend prétexte d’Orlando pour consacrer à Woolf une étude dans la Revue des Deux Mondes. Il a compris à quel point la question de la création féminine lui importe, mais l’éloge a ses épines : le grand livre, selon lui, c’est Ulysse. (Woolf allait longtemps être comparée à Joyce, et plus encore à Proust, que le mari de Vita Sackville-West tenait d’ailleurs pour le plus grand des romanciers anglais.) « Orlando est un ravissant bibelot d’étagère, et jolies choses ou jolies femmes sont à leur place dans un salon. » Le hasard des dates est cruel : nous sommes en 1929, Gillet ignore encore qu’Une pièce à soi (une pièce qui n’est pas le salon) apporte une réponse cinglante à son appréciation. Mais cet essai est un manifeste littéraire aussi bien que social, et une composante essentielle de l’art poétique que Virginia Woolf construit texte après texte.
Quant à Mrs. Dalloway, elle aurait donc cent ans. On a peine à le croire. Le livre, lui, est toujours aussi neuf, ce qui n’est pas le cas de tous les romans « expérimentaux ». Il est vrai qu’il ne se résume pas à l’usage virtuose d’une technique narrative, si nouvelle soit-elle. Y coexistent la vie et la mort, la raison et la folie, la durée et les instants, « le temps qui se marque sur l’horloge et le temps qui réside dans l’esprit » (Orlando).
La lumineuse préface de Gilles Philippe éclaire les ouvrages ici réunis, trois moments forts dans une période d’écriture décisive pour Virginia Woolf. Une pièce à soi entre au catalogue de la Pléiade dans une traduction inédite de Laurent Bury.
Voici la captation de la rencontre de Laurent Bury, traducteur de Virginia Woolf pour la prestigieuse collection de La Pléiade, à l'occasion de la parution du nouvel opus Mrs. Dalloway et autres écrits.
Discussion animée par Édouard Leroy, et enregistrée le jeudi 7 mars 2025.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième (extrait) :
Mrs. Dalloway et Orlando sont deux romans aussi différents que complémentaires. Le premier, que Woolf pensa longtemps intituler Les Heures, se déroule à Londres en un jour, qui est la grande journée de Clarissa Dalloway, et le dernier jour de Septimus Warren Smith. Le second, qui aurait pu s’intituler Les Siècles, court sur 350 ans, et jusqu’en Turquie. D’abord appelé à la cour d’Elizabeth Ire, un jeune aristocrate se réveille un jour femme, au siècle suivant ; à la fin du livre – en octobre 1928 –, elle est trentenaire, mariée, et elle a fait paraître « Le Chêne », un poème auquel elle – ou plutôt il puis elle – travaillait depuis 1586. « Dans chaque être humain se produit une oscillation d’un sexe à l’autre… »
Très vite, la France s’intéresse à ces romans. Louis Gillet prend prétexte d’Orlando pour consacrer à Woolf une étude dans la Revue des Deux Mondes. Il a compris à quel point la question de la création féminine lui importe, mais l’éloge a ses épines : le grand livre, selon lui, c’est Ulysse. (Woolf allait longtemps être comparée à Joyce, et plus encore à Proust, que le mari de Vita Sackville-West tenait d’ailleurs pour le plus grand des romanciers anglais.) « Orlando est un ravissant bibelot d’étagère, et jolies choses ou jolies femmes sont à leur place dans un salon. » Le hasard des dates est cruel : nous sommes en 1929, Gillet ignore encore qu’Une pièce à soi (une pièce qui n’est pas le salon) apporte une réponse cinglante à son appréciation. Mais cet essai est un manifeste littéraire aussi bien que social, et une composante essentielle de l’art poétique que Virginia Woolf construit texte après texte.
Quant à Mrs. Dalloway, elle aurait donc cent ans. On a peine à le croire. Le livre, lui, est toujours aussi neuf, ce qui n’est pas le cas de tous les romans « expérimentaux ». Il est vrai qu’il ne se résume pas à l’usage virtuose d’une technique narrative, si nouvelle soit-elle. Y coexistent la vie et la mort, la raison et la folie, la durée et les instants, « le temps qui se marque sur l’horloge et le temps qui réside dans l’esprit » (Orlando).
La lumineuse préface de Gilles Philippe éclaire les ouvrages ici réunis, trois moments forts dans une période d’écriture décisive pour Virginia Woolf. Une pièce à soi entre au catalogue de la Pléiade dans une traduction inédite de Laurent Bury.
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Art et designTranscription
00:00Bonjour, merci d'être venu ce soir pour parler de Virginia Woolf dont Mrs. Dalloway, son oeuvre à 100 ans.
00:12Vous êtes co-auteur dans cette pléiade, ce n'est pas votre première pléiade ?
00:16Non, effectivement, c'est la quatrième presque.
00:22Quatrième pléiade, vous êtes donc quatre fois dans la pléiade de votre vivant.
00:27Je ne suis pas auteur, je suis juste traducteur.
00:30Je suis auteur de quelques notices, de choses comme ça, de petites introductions.
00:34Ce n'est pas mon nom qui est en gros sur la pléiade.
00:38Je trouve qu'il y a quand même quelque chose.
00:41Vous faites partie, les traducteurs, forcément de la postérité de la pléiade.
00:46On va le voir au fil des questions, mais pour moi, vous faites partie de l'oeuvre.
00:53Pour le public francophone qui le lit, c'est aussi le choix de vos mots.
01:01Alors, j'aimerais déjà, pour qu'on sache un peu, quel est le métier ?
01:07Pouvez-vous nous expliquer votre travail en tant que traducteur ?
01:10Alors, vous êtes très, très bêtement prosaïquement.
01:15On me fournit un texte en anglais.
01:18Ce n'est à peu près jamais moi qui le choisis.
01:21Ce sont les éditeurs qui m'envoient des tells, qui me proposent des choses
01:25que, généralement, j'accepte parce qu'il faut que je gagne ma vie.
01:29Et une fois que j'ai le document...
01:32Alors, en fait, ce sont des choses là aussi qui ont un peu changé
01:34parce que j'ai commencé il y a un peu plus de 30 ans.
01:37Et il y a 30 ans, vous envoyez des livres en dur.
01:40Vous fournissez des volumes à traduire.
01:42Là, maintenant, on m'envoie simplement un document qui arrive sur mon ordinateur.
01:46Et généralement, quand je travaille, j'ai sur un côté de mon écran la version anglaise.
01:53De l'autre côté, j'ai un document que j'ai créé moi-même
01:56sur lequel je tape ma version française au fur et à mesure.
01:59Et donc, je lis une phrase anglaise.
02:02Je la traduis en français.
02:04Et quand j'ai fait ça, après, je relis l'ensemble de ce que j'ai fait.
02:08Et je l'envoie à l'éditeur.
02:10Et après, ça suit son cours.
02:13L'éditeur fait en sorte que ça devienne un livre
02:15et que ça arrive dans des endroits comme celui-ci.
02:18Et ça vous prend à peu près combien de temps pour faire ça ?
02:23C'est très variable.
02:24Ça dépend.
02:25Si vous voulez, je n'ai jamais essayé de calculer mon rendement à la minute ou à l'heure.
02:28En fonction du talent ?
02:29Oui, évidemment.
02:30Il y a des choses qui sont plus simples à traduire que d'autres,
02:33qui iront plus vite quelques fois.
02:35Et après, il y a des contraintes aussi.
02:38En fait, le texte qui est dans ce volume,
02:42ça m'est arrivé.
02:44C'est une proposition que je ne pouvais pas refuser
02:46parce que c'est quand même quelque chose, évidemment, très prestigieux.
02:50On ne refuse pas la pléiade.
02:52Mais j'avoue, quand on m'a dit fin juin,
02:56on voudrait avoir mi-août votre traduction,
02:59alors que j'avais déjà des choses prévues à faire en juillet,
03:04que j'avais des vacances prévues aussi,
03:06que je m'étais dit cette année, je pars sans travail du tout.
03:09Je veux des vraies vacances.
03:11Ça m'a obligé à aller beaucoup plus vite
03:13que je n'aurais pu le faire dans d'autres conditions.
03:16Oui, c'est vraiment variable.
03:19En général, sur des ouvrages un peu longs,
03:22je passe à peu près un mois.
03:25C'est pour ça que je traduis une dizaine de livres par an.
03:29Les formats varient, la difficulté varie aussi.
03:32Moi, je vous ai découvert,
03:35au travers de cette traduction de ce livre,
03:37qui parlait aussi de Virginia Woolf,
03:39malheureusement, il n'est plus disponible,
03:41mais en commençant à lire ce livre,
03:46j'ai eu, je ne sais pas,
03:48j'avais déjà l'impression de vous connaître
03:50avec Virginia Woolf sur le sujet.
03:52Ça s'est paru il y a 25 ans maintenant.
03:55Si c'était il y a 25 ans,
03:59comme je vous ai dit, ça fait 30 ans que je traduis,
04:01c'était un peu le début encore quand même.
04:03La première fois qu'on m'a proposé de traduire un livre,
04:06c'était en 1991.
04:13Il est paru en 1993,
04:16ma toute première traduction est parue en 1993.
04:18Donc, ça fait 32 ans.
04:20Ça fait 33 ans.
04:22C'est le même âge que moi, je suis né en 91.
04:24C'est assez, on célèbre.
04:26Alors, comment est-ce que vous vous sentez,
04:30comment vous appréhendez les différents textes
04:34pour vous mesurer à de tels géants de la littérature
04:36que vous écrivez, que vous traduisez ?
04:39Alors, disons, l'avantage peut-être,
04:42ça n'est pas forcément un,
04:44c'est que dans une vie antérieure,
04:46j'étais universitaire.
04:48Je ne me suis plus.
04:50J'ai démissionné de l'enseignement
04:52et je ne suis plus que traducteur.
04:54Mais j'ai heureusement derrière moi
04:57une fréquentation quand même
04:59certaine de ces auteurs justement britanniques.
05:03Alors, au départ, j'étais plutôt spécialiste
05:06du XIXe siècle anglais.
05:08Mais malgré tout,
05:10je me suis intéressé à d'autres choses aussi.
05:13Et notamment à travers les traductions.
05:17Lorsqu'on m'a demandé de traduire cette biographie,
05:19en fait, juste avant, pour le même éditeur,
05:21j'avais traduit une biographie
05:23à peu près aussi épaisse de Lewis Carroll.
05:25Donc là, c'était plus mon époque,
05:27si j'ose dire.
05:29Et puisque j'avais fait Lewis Carroll,
05:31on m'a dit, voilà, est-ce que
05:33une biographie devait en tenir ?
05:35Donc j'ai dit oui, parce que c'est un auteur
05:37qu'évidemment je connaissais,
05:39qui m'intéressait, heureusement par ailleurs,
05:41parce que j'aurais pu aussi bien ne pas l'aimer du tout.
05:44Donc j'ai fait cette traduction avec beaucoup de plaisir.
05:46J'ai appris énormément de choses
05:48parce que je connaissais très peu sa vie, très mal.
05:51À l'occasion de cette traduction,
05:53j'ai essayé de lire,
05:55j'avais lu ses principaux romans,
05:57mais j'ai essayé de lire les autres aussi
05:59pour quand même un peu comprendre aussi
06:01de quoi cette biographie parlait.
06:04Mais je crois me souvenir que
06:07les quelques passages
06:09qui sont des extraits de ses œuvres,
06:11je les ai traduits moi-même.
06:13On n'est pas allé chercher
06:15ce qui se fait en principe,
06:17ce qui est déjà publié pour citer
06:19telle ou telle édition.
06:21Je crois que je m'étais déjà à l'époque
06:23amusé à retraduire.
06:25C'est dans certaines notes, effectivement.
06:27Il y a quelquefois des citations.
06:31Du coup, quand vous commencez
06:33à traduire
06:35la Virginia Woolf
06:37ou Lewis Carroll
06:39ou Laurence plus récemment,
06:41comment vous commencez
06:43à lire beaucoup sur l'auteur
06:45ou est-ce que vous lisez
06:47uniquement son œuvre
06:49pour arriver à le remettre dans un contexte,
06:51comprendre sa langue ?
06:53Je vais vous faire un aveu
06:55qu'il y a quelque temps,
06:57je n'aurais pas encore osé faire,
06:59mais récemment, j'ai entendu
07:01une consoeur traductrice
07:03qui a suivi la même formation
07:05que moi par ailleurs,
07:07qui est encore universitaire,
07:09avouer que quand elle traduit un livre,
07:11elle ne le lit pas avant.
07:13Alors, ça peut vous choquer.
07:17Oui, effectivement, je me doute
07:19que ça peut vous paraître un peu
07:21déconcertant.
07:23L'idée étant qu'après tout,
07:25vous-même, quand vous lisez un livre,
07:27vous ne l'avez pas encore lu avant.
07:31Donc, le livre,
07:33vous le découvrez au fur et à mesure.
07:35Vous ne connaissez pas encore la fin
07:37quand vous lisez le début, normalement,
07:39sauf si vous avez la mode de lecture originale.
07:43Par ailleurs, grâce à l'informatique,
07:45il est très facile désormais
07:47de retrouver des occurrences.
07:49Vous avez l'impression que quelque chose revient
07:51et les éléments qui sont récurrents
07:53dans un livre, vous pouvez très bien les retrouver
07:55très facilement
07:57en faisant une recherche.
07:59Quand des phrases sont répétées,
08:01ce qui arrive parfois,
08:03vous avez dans un roman, par exemple,
08:05un personnage se souvient de ce qui s'est passé avant.
08:07Tout ça, c'est très facile à retrouver maintenant
08:09et de toute façon, je relis après,
08:11une fois que la traduction est faite.
08:13Donc, en fait, quand je traduis
08:15et pour Virginia Woolf,
08:17c'était pareil,
08:19j'aborde le texte comme ça,
08:21je me jette à l'eau.
08:23Comme vous savez, la piscine, il vaut mieux se jeter dans l'eau froide.
08:25Bon, là,
08:27l'aide que j'ai pu avoir,
08:29c'est la connaissance préalable que j'avais.
08:31Cela dit, le texte que j'ai traduit pour cette session,
08:33je ne l'avais jamais lu.
08:35J'avais lu à peu près tous les romans
08:37de Virginia Woolf, je crois bien,
08:39mais ce texte,
08:41A Room of One's Own, que j'ai traduit par
08:43une pièce à soi, on parlera du titre sans doute après,
08:45quand on m'a demandé
08:47de le traduire, je ne l'avais jamais lu.
08:49Et je ne l'ai pas lu avant de le traduire.
08:53Je suis content de pouvoir faire cette rencontre
08:55justement pour avoir ces informations.
08:57Je ne m'étais jamais imaginé que...
08:59Vous rencontrerez sans doute
09:01des confrères traducteurs
09:03qui vous diront exactement le contraire.
09:05Mais en l'occurrence...
09:09Est-ce que du coup, maintenant que vous êtes
09:11plongé dans ces traductions
09:13de grands auteurs,
09:15est-ce que vous pourriez me parler
09:17du style de Virginia Woolf
09:19dans toutes ses oeuvres confondues ?
09:21Est-ce qu'il y a quelque chose de particulier dans la traduction ?
09:23Par exemple, je sais qu'en français,
09:25quand je l'ai lue, c'est les pivots
09:27qu'elle écrit. Par exemple, dans Mrs. Dalloway,
09:29c'est peut-être de passer d'un point de vue
09:31d'un personnage dans le même paragraphe.
09:33C'est quelque chose qui ressort.
09:35Comment est-ce que...
09:37Alors...
09:39J'ai l'impression que c'est une langue
09:41qui est à la fois très souple.
09:43Vous pouvez avoir des phrases très longues
09:45qui s'autorisent des digressions.
09:47C'est le côté un peu proustien de Virginia Woolf, peut-être.
09:49Vous avez donc une phrase
09:51qui s'autorise à partir un peu
09:53dans tous les sens.
09:55Mais pour autant, une phrase, un style
09:57qui est extrêmement littéraire, extrêmement écrit,
09:59qui montre que Woolf était...
10:01Elle connaissait très bien
10:03tout ce qui avait précédé.
10:05Elle avait...
10:07Elle a écrit en tant que critique.
10:09Elle a rendu compte d'ouvrages
10:11de toutes sortes qu'elle lisait
10:13parce qu'on lui demandait...
10:15Parce qu'elle gagnait sa vie, en fait.
10:17Avant d'écrire précisément Mrs. Dalloway,
10:19pendant une dizaine d'années,
10:21elle a écrit des romans
10:23qui ne lui rapportaient presque rien
10:25parce que ça ne se vendait pas bien.
10:27Et Mrs. Dalloway a été son premier succès.
10:29Donc, avant ça, pour vivre,
10:31elle faisait des comptes rendus
10:33pour la presse,
10:35pour des ouvrages divers et variés,
10:37mais notamment beaucoup de rééditions
10:39de littérature anglaise
10:41des siècles précédents,
10:43dont elle avait une connaissance quand même certaine.
10:45Et...
10:47Donc, c'est un style
10:49qui n'est pas forcément...
10:51qui ne se lit pas comme ça
10:53de façon un peu distraite.
10:55Il faut quand même
10:57un peu s'accrocher parfois
10:59pour bien suivre.
11:01Et je me rappelle d'ailleurs
11:03à la fin du temps où j'étais universitaire,
11:05quand j'enseignais la traduction,
11:07je proposais souvent
11:09aux gens qui préparaient
11:11l'agrégation un extrait
11:13de Orlando, qui est un des textes
11:15dans ce volume, et
11:17je me rappelle que ça n'était
11:19pas facile du tout pour eux.
11:21C'était...
11:23Il fallait vraiment qu'ils soient très
11:25attentifs pour arriver à bien suivre
11:27tous les méandres de la phrase,
11:29pour retrouver après une longue parenthèse,
11:31pour revenir à ce qui était le début
11:33de la phrase. Donc, quelquefois, c'est assez tortueux.
11:35Et...
11:37C'est quand même une langue également
11:39très soutenue, je pense.
11:41C'est...
11:43N'ayant pas lu en anglais
11:45uniquement sur les...
11:47sur la traduction, je me suis toujours demandé
11:49comment est-ce qu'on arrive à être au plus
11:51près, justement, de ce qu'elle a
11:53voulu dire. Et surtout,
11:55quelqu'un qui me donne l'impression
11:57d'être aussi stylistiquement
11:59exigeante, comment est-ce qu'on arrive
12:01à avoir ce...
12:03On essaye. Je ne sais pas si on y arrive. On essaye
12:05du moins.
12:09C'est là que l'expérience du traducteur
12:11intervient aussi, en fonction
12:13de ses ressources personnelles.
12:15On essaye de trouver
12:17le mot, la formule, la phrase
12:19qui essaiera
12:21de respecter au mieux
12:23le texte original,
12:25tout en produisant un résultat lisible
12:27en français. C'est
12:29une sorte de jeu d'équilibre à trouver
12:31entre le
12:33respect du texte de départ,
12:35tout en sachant qu'on ne peut pas le traduire à la lettre mot
12:37à mot, ce qui ne donnerait rien de bon.
12:39Il faut aussi que le résultat
12:41soit aussi lisible
12:43en français que le
12:45texte anglais l'était.
12:47C'est une question, justement,
12:49d'arbitrage, d'équilibrage à trouver
12:51entre une fidélité
12:53absolue au texte de départ
12:55qui est impossible et
12:57un minimum de liberté
12:59dans l'élaboration
13:01de la version française.
13:03Vous avez
13:05traduit
13:07une pièce à soi à l'intérieur
13:09de ce coffret de la Pléiade.
13:11Est-ce que vous pourriez nous parler de la spécificité
13:13de ce texte
13:15et de sa traduction ?
13:17C'est un texte qui n'est pas
13:19un roman.
13:21Au départ, c'était une conférence
13:23qu'on avait demandé à Virginia Woolf
13:25de faire à Cambridge
13:27pour des étudiantes
13:29dans
13:31deux établissements.
13:33On ne connaît pas
13:35exactement pour quelles raisons
13:37elle s'est retrouvée à faire deux fois
13:39possiblement la même conférence
13:41à une semaine d'intervalle dans
13:43deux établissements différents à Cambridge,
13:45mais deux établissements réservés
13:47aux jeunes filles dans les deux cas.
13:49Lorsqu'elle a fait
13:51cette conférence,
13:53en octobre 1928,
13:55elle a décidé ensuite
13:57d'en tirer un ouvrage.
13:59Elle l'a d'abord publié
14:01dans un magazine sous une forme
14:03un peu mise au propre,
14:05réécrite,
14:07mais elle a dû sentir que le sujet
14:09méritait davantage,
14:11un développement plus grand.
14:13Et donc, en retravaillant
14:15son texte,
14:17elle est arrivée à une publication
14:19qui n'est pas très longue,
14:21mais qui est davantage
14:23une plaquette, qui forme
14:25un ouvrage à part entière,
14:27en partant du même sujet
14:29et simplement, au lieu de le traiter
14:31de façon abstraite,
14:33la conférence qu'elle avait dû prononcer
14:35s'appelait « Les femmes et la fiction ».
14:37C'était le titre
14:39qu'on lui avait donné, libre à elle
14:41d'en faire ce qu'elle voulait.
14:43Et comme elle le dit elle-même,
14:45il est probable que les
14:47établissements universitaires
14:49qu'il avait sollicités s'attendaient
14:51à une sorte d'histoire
14:53des femmes dans la littérature anglaise,
14:55quelque chose comme ça, ce qu'elle n'a pas voulu faire.
14:57Et donc,
14:59elle a en fait,
15:01quand elle a voulu en faire un livre,
15:03elle raconte
15:05qu'on lui a demandé de faire ces conférences,
15:07qu'elle était allée les faire.
15:09Elle est allée à Cambridge, elle a rencontré
15:11des universitaires, elle s'est rendue compte
15:13qu'il y avait un grand
15:15décalage dans le traitement
15:17des étudiantes et des étudiants,
15:19dans les moyens qui étaient mis à la disposition
15:21des uns et des autres.
15:23Et tout ça lui inspire cette réflexion
15:25qui est au cœur du texte,
15:27qui dit
15:29si une femme veut pouvoir écrire,
15:31il faut qu'elle ait
15:33un revenu assuré
15:35et une pièce à soi.
15:37Alors, je sais que
15:39la version traditionnelle,
15:41depuis la première traduction française
15:43qui est arrivée dans les années 1950,
15:45était une chambre à soi.
15:47Or,
15:49en français moderne, quand on entend
15:51chambre, on pense chambre à coucher
15:53et ici ce n'est pas du tout ça.
15:55Il s'agit simplement d'avoir une pièce
15:57dans la maison, à l'intérieur
15:59de votre appartement, de votre maison.
16:01L'idée, c'est d'avoir une pièce
16:03où la femme qui souhaite écrire
16:05puisse s'isoler, s'enfermer
16:07et pouvoir travailler
16:09de façon sereine. Et si elle
16:11défonce cette idée, c'est aussi par opposition
16:13à ce qu'on sait de Jane Austen
16:15qui est aujourd'hui
16:17avec,
16:19différemment,
16:21la romancière anglaise, sans doute
16:23la plus connue du public français.
16:25On sait que Jane Austen,
16:27qui est restée célibataire toute sa vie,
16:29qui a vécu
16:31chez des membres de sa famille
16:33mais qui n'a jamais eu de maison à elle.
16:35Jane Austen travaillait dans une pièce
16:37commune où elle était constamment dérangée,
16:39où il y avait du passage, où on circulait,
16:41où la porte s'ouvrait sans arrêt,
16:43et où elle devait travailler malgré
16:45tous ces dérangements.
16:47Malgré ou peut-être
16:49grâce à, je ne sais pas.
16:51Mais en tout cas, Vandina Woolf,
16:53elle considère que ce ne sont pas
16:55les conditions idéales, ce sont les conditions
16:57dans lesquelles les femmes ont été contraintes
16:59de travailler faute de mieux,
17:01mais qu'au XXe siècle
17:03où elle parle,
17:05l'idéal maintenant pour des femmes
17:07c'est qu'elles s'adressent à un public d'étudiants,
17:09donc potentiellement des gens
17:11qui seront elles-mêmes peut-être
17:13un jour des universitaires, qui écriront des ouvrages,
17:15des ouvrages savants
17:17ou même des ouvrages de fiction,
17:19mais que quoi qu'il en soit, il leur faudra
17:21dans l'idéal ces deux conditions,
17:23un revenu personnel
17:25suffisant et une pièce à soi.
17:29C'est assez fou de s'imaginer que
17:31si vous l'avez peut-être lu,
17:33une pièce à soi,
17:35dans votre traduction...
17:45Bonsoir, alors je vais parler plus fort.
17:49Vous avez lu une pièce à soi, peut-être ?
17:53L'explication que vient d'en donner
17:55Monsieur Burry, mais exactement...
17:59Surtout que la chambre
18:01effectivement a ce côté un peu...
18:05Même quand on le lit
18:07dans ses anciennes traductions,
18:11je ne me suis jamais imaginé une chambre.
18:13J'ai vraiment vu quelque chose de...
18:17Est-ce qu'il y a une traduction qui est intéressante ?
18:19Le lieu, c'est pour ça que le mot me vient,
18:21mais je trouve que la pièce remet
18:25à l'intérieur de la maison
18:27et pas simplement
18:29quelque chose d'assez...
18:31En français du XIXe siècle,
18:33chambre désignait une pièce,
18:35quelle qu'elle soit.
18:37Et c'est seulement par la suite que le terme
18:39s'est spécialisé avec chambre accouchée,
18:41mais dorénavant,
18:43aujourd'hui, et je pense déjà depuis
18:45plusieurs décennies, chambre,
18:47maintenant, on pense au lit,
18:49on pense à l'intimité, alors qu'ici,
18:51a room, c'est vraiment une pièce.
18:53Sous-entendu plutôt un bureau,
18:55plutôt une pièce dans laquelle il y aura
18:57une table et une chaise pour écrire.
18:59Selon vous,
19:01quel est l'enjeu de redonner
19:03une traduction ? Parce que finalement,
19:05vous avez dit 1950, ensuite, il y a eu
19:07une retraduction récente
19:09pour la Pléiade,
19:11pour le coffret de la Pléiade en deux tomes.
19:13Oui, mais pas d'une pièce à soi.
19:15La Pléiade,
19:19les éditions Gallimard pour la Pléiade
19:21ont publié au début
19:23du XXIe siècle,
19:25je ne me rappelle plus exactement en quelle année, mais dans les années 2000,
19:27ont publié deux volumes
19:29de fiction de Virginia Woolf.
19:31Donc, il y a tous ces romans,
19:33il y a un certain nombre de nouvelles qui sont
19:35mises en relation avec les romans, parce qu'elles
19:37ont certains liens qu'on peut
19:39trouver, mais ils n'avaient
19:41inclus aucun texte
19:43de non-fiction.
19:45Et donc, exceptionnellement,
19:47pour fabriquer
19:49ce joli petit objet
19:51qui est là pour
19:53séduire la clientèle,
19:55n'est-ce pas, ils ont,
19:57et c'est une demi-pléiade
19:59en termes d'épaisseur, ils ont
20:01décidé, comme cette année,
20:03Mrs. Dalloway a 100 ans, de
20:05reprendre des traductions
20:07qu'ils avaient publiées
20:09en gros volume
20:11Pléiade, ils ont donc repris
20:13Mrs. Dalloway et Orlando,
20:15avec les nouvelles
20:17qui peuvent leur être associées,
20:19et ils se sont dit, il manque un
20:21troisième texte,
20:23et plutôt que de prendre
20:25un autre roman, ils auraient pu
20:27mettre La promenade au phare, qui est
20:29l'autre roman que j'ai connu,
20:31on aurait pu prendre plein de choses, mais
20:33je ne sais pas pourquoi,
20:35on ne m'a pas expliqué pourquoi,
20:37ils ont décidé d'ajouter
20:39une traduction
20:41inédite,
20:43et comme il se trouve qu'ils m'avaient sous la main
20:45à ce moment-là, parce que j'avais travaillé pour eux
20:47déjà, et qu'il fallait
20:49aller vite, et qu'ils savent
20:51qu'il m'arrive d'aller très vite,
20:53ils m'ont demandé
20:55de faire cette traduction.
20:57Alors, pourquoi une nouvelle traduction, et pourquoi
20:59ce texte-là ?
21:01Je n'ai pas
21:03l'explication, après, c'est
21:05un texte qui est important
21:07pour plusieurs
21:09raisons. D'une part,
21:11ça aussi, tout à l'heure vous avez fait allusion,
21:13je n'ai pas répondu là-dessus,
21:15est-ce que c'est vraiment
21:17de la non-fiction ? Est-ce que c'est
21:19véritablement un essai ? Alors oui, c'est un
21:21essai, parce qu'il y a ce message
21:23féministe, on peut dire
21:25féministe, le féminisme existait déjà à l'époque,
21:27donc je me méfie, parce qu'au
21:2919e siècle, le féminisme est naissant,
21:31donc quelquefois, il vaut mieux ne pas
21:33employer le mot. Donc,
21:35il y a ce message féministe,
21:37il y a une portée
21:39quand même, sinon philosophique,
21:41du moins,
21:43non plus, comment dire,
21:45presque sociologique, si on veut,
21:47mais à côté de ça, c'est écrit
21:49de manière
21:51très fictionnelle, parce que
21:53l'auteur se
21:55met en scène, alors ça n'est
21:57pas tout à fait elle-même,
21:59je crois qu'il y a de plus en plus de gens,
22:01peut-être qu'on pourrait les inviter à s'asseoir,
22:03s'ils le souhaitent.
22:05Donc,
22:07c'est un essai,
22:09mais qui se présente
22:11en grande partie
22:13sous l'apparence de la fiction,
22:15parce que l'auteur,
22:17ou du moins,
22:19sous un masque, se présente
22:21comme étant allé à Cambridge,
22:23ce qu'on sait que Virginia Woolf a fait exactement,
22:25et elle décrit ce qui lui est arrivé,
22:27et ensuite elle explique que
22:29après être allé faire cette conférence,
22:31elle est allée au British Museum,
22:33enfin la bibliothèque,
22:35la bibliothèque nationale anglaise
22:37qui était alors abritée au British Museum,
22:39et qu'elle a fait des recherches
22:41pour voir ce qui avait été écrit
22:43sur les femmes par les hommes,
22:45et c'est le point de départ.
22:47En fait, c'est vraiment raconté comme une histoire,
22:49il y a vraiment un fil narratif
22:51qui s'impose
22:53en plus du contenu,
22:55du message
22:57qu'elle veut faire passer.
22:59Est-ce qu'il y aurait quand même
23:01une forme de, je ne sais pas,
23:03d'enjeu ou d'intérêt
23:05à retraduire, justement, à la remettre au goût du jour,
23:07pour qu'un nouveau public
23:09puisse aussi découvrir
23:11cette pièce à soi ?
23:13C'est une expression qui m'inquiète un peu,
23:15dans le sens où,
23:17avec un vocabulaire,
23:19une nouvelle traduction,
23:21est-ce qu'on cherche un vocabulaire
23:23qui est plus proche de notre époque ?
23:25Peut-être, je pose la question.
23:27Alors, ça, il y a différentes écoles,
23:29c'est vrai qu'on voit,
23:31il y a récemment encore eu,
23:33à propos de Jane Austen,
23:35justement,
23:37une nouvelle traduction,
23:39un éditeur qui
23:41annonçait à grands fracas
23:43qu'enfin Jane Austen allait devenir accessible
23:45aux plus jeunes.
23:49Oui, évidemment que la langue évolue par ailleurs.
23:51On ne va pas non plus se mettre
23:53à écrire en langage SMS.
23:55Oui, il y a des choses
23:57qui méritent d'être retraduites.
23:59C'est surtout vrai
24:01pour des textes plus anciens,
24:03à une époque où les gens
24:05qui s'improvisaient traducteurs de l'anglais
24:07n'avaient pas toujours une connaissance
24:09de la langue très approfondie.
24:11Au 19e siècle,
24:13beaucoup de très grands auteurs
24:15ont été traduits comme ça, de façon
24:17dont on n'est pas toujours bien
24:19certain.
24:21Il y avait aussi des pratiques éditoriales
24:23qui consistaient à sabrer énormément
24:25dans les textes pour arriver
24:27à produire des volumes
24:29assez formatés pour correspondre
24:31à ce qu'ils voulaient publier.
24:33Alors, au 20e siècle,
24:35ça n'est plus tout à fait
24:37le même problème,
24:39mais même comme ça,
24:41entre 1950 et 2025,
24:43il y a des choses
24:45qui ont changé,
24:47qui ne se disent plus de la même façon.
24:49Pour autant,
24:51je ne pense pas avoir spécialement cherché
24:53à avoir un langage
24:55plus particulièrement d'aujourd'hui.
24:57Un langage d'aujourd'hui parce que
24:59je vis aujourd'hui et que je parle aujourd'hui,
25:01mais à part ça,
25:03il n'y a pas vraiment d'intention,
25:05de volonté de moderniser le tel.
25:07Je sais que vous avez parlé d'un lieu à soi.
25:09Un lieu à soi, c'est la traduction
25:11qu'a signée Marie d'Ariosec.
25:13Marie d'Ariosec a notamment déclaré
25:15que si c'était à refaire, elle aurait fait
25:17cette traduction en écriture inclusive.
25:21Ça tombe parfaitement
25:23pour ma seconde question.
25:25Est-ce qu'un traducteur laisse une trace,
25:27une signature dans le texte
25:29qu'il traduit ? Parce que là, ça aurait été
25:31une signature en écriture.
25:33Pas délibérément.
25:35Je ne laisse pas de messages subliminaux.
25:37Je ne vise pas un mot
25:39particulier à chaque fois dans mes traductions.
25:43Il doit y avoir une trace
25:45parce que
25:47je choisis
25:49les mots français en fonction
25:51de ce que j'ai dans ma tête,
25:53en fonction de mes propres ressources.
25:55Donc oui,
25:57c'est ma traduction.
25:59Et vraisemblablement,
26:01sauf quand vous avez une phrase comme
26:03« le ciel est bleu » où tout le monde la traduirait de la même façon,
26:05dès que vous abordez
26:07quelque chose d'un tout petit peu plus compliqué,
26:09il y a des choix qui sont faits
26:11et tout le monde ne fait pas les mêmes choix.
26:13Tout le monde ne choisit pas les mêmes mots, les mêmes formes grammaticales.
26:15Et c'est pour ça que
26:17oui, on peut dire que le traducteur
26:19laisse sa trace.
26:21Mais si vous me posez la question,
26:23je serais incapable de vous le dire.
26:25Moi, je ne me rends pas compte de la trace en question.
26:27Et par ailleurs,
26:29il faut voir aussi que
26:31pour la pléiade mais aussi pour toutes sortes d'éditeurs,
26:33il y a un travail
26:35de lissage
26:39ou simplement de relecture
26:41qui est fait par un œil extérieur
26:43qui vient signaler
26:45des tournures qui seraient préférables
26:47de modifier, des choses comme ça.
26:49Donc ma traduction est elle-même
26:51en partie réécrite
26:53par
26:55des instances
26:57relectrices qui interviennent après.
26:59C'est...
27:01Est-ce que
27:03pour vous, une fois
27:05avoir dit tout ça, est-ce que
27:07une pièce à soi
27:09est d'actualité ?
27:11Est-ce que vous trouvez que
27:13le fait
27:15d'avoir republié ce texte
27:17en forme de la pléiade, c'est aussi répondre à une forme d'actualité ?
27:19Alors oui, parce que
27:21sans doute
27:23des féministes vous diraient que
27:25les combats ne sont plus les mêmes
27:27mais pour autant ils n'ont pas
27:29cessé d'exister, qu'il y a
27:31toujours des choses à conquérir,
27:33il y a toujours des inégalités
27:35à abolir, il y a
27:37toujours une lutte pour défendre
27:39les droits féminins contre
27:41ce qu'on peut appeler
27:43la domination masculine. Enfin, disons
27:45que je sache
27:47le féminisme n'est pas mort, il a pris d'autres
27:49visages, d'autres aspects, mais
27:51il y a toujours une défense
27:53à faire, alors ça dépend dans quel pays,
27:55ça dépend des civilisations, il y a toujours
27:57on sait qu'il y a des exemples
27:59où les femmes sont
28:01beaucoup moins bien traitées
28:03que dans une partie du monde
28:05occidental, mais enfin, oui,
28:07il y a toujours des choses à dire et
28:09après vous avez aussi la valeur de témoignage
28:11de ce qui en
28:131929
28:15était encore
28:17pas du tout acquis.
28:19Donc vous pouvez aussi voir ça,
28:21c'est aussi une façon de mesurer le chemin
28:23parcouru. C'est vraiment
28:25un des textes, en le relisant
28:27avec votre traduction, j'ai mesuré aussi
28:29l'ampleur et la finesse
28:31d'esprit,
28:33de vision de Virginia Woolf sur
28:35le sujet, le fait que
28:37toute sa question autour de si Shakespeare
28:39avait été une femme, je trouve qu'il y a quelque chose de très
28:41on pourrait le retrouver de manière
28:43très moderne dans je ne sais quel
28:45podcast.
28:47C'est ce que Simone de Beauvoir avait retenu
28:49dans le deuxième
28:51sexe, il y a un certain nombre de références
28:53à Virginia Woolf et
28:55notamment, alors
28:57le texte n'avait pas encore été traduit
28:59en français à l'époque, donc Simone de Beauvoir
29:01l'a peut-être lu en anglais, elle lisait
29:03l'allemand, l'anglais, oui,
29:05elle est allée aux Etats-Unis après,
29:07on peut supposer qu'elle était peut-être
29:09apte à lire l'anglais,
29:11mais dans le deuxième sexe, elle cite
29:13juste ce passage,
29:15je ne sais plus,
29:17je l'ai cité dans ma
29:19introduction,
29:21elle mentionne,
29:23c'est presque un peu condescendant
29:25la façon dont elle en parle,
29:27du moins elle dit que ce passage est assez
29:29amusant dans le livre de Virginia Woolf,
29:31où elle imagine
29:33que Shakespeare aurait pu avoir une sœur
29:35et que serait devenue
29:37cette sœur si elle avait vécu à l'épaule de Shakespeare.
29:39J'essaie de retrouver le passage
29:41de Simone de Beauvoir,
29:43voilà,
29:45dans son petit livre
29:47A Room of One's Own, alors petit par
29:49la taille de toute façon,
29:51et donc elle, voilà,
29:53Beauvoir a écrit
29:55ça avant 1951
29:57qui est la date de la première traduction,
29:59et
30:01donc Virginia Woolf imagine
30:03que si Shakespeare avait
30:05eu une sœur et que cette
30:07sœur avait eu le même génie que son frère,
30:09de toute façon, elle n'aurait pas
30:11pu écrire parce qu'il lui manquait
30:13non seulement
30:15une pièce à soi et le revenu,
30:17mais il lui aurait manqué toute
30:19une infrastructure,
30:21un contexte social
30:23qui aurait été favorable à ce que
30:25des femmes écrivent, produisent,
30:27des pièces de théâtre, de la poésie,
30:29et c'est ce que Virginia Woolf fait
30:31un peu quand même dans ce texte, tout en
30:33disant je ne vais pas m'amuser
30:35à faire l'histoire de la littérature
30:37par des femmes, elle montre
30:39même que les quelques
30:41pionnières britanniques,
30:43parce que c'est son sujet malgré tout,
30:45les quelques pionnières anglaises de la
30:47littérature qui ont voulu
30:49écrire des poèmes, qui ont voulu écrire
30:51quoi que ce soit, ont eu
30:53bien du mal à le faire parce que
30:55la société
30:57anglaise au XVIIe siècle,
30:59au XVIIIe siècle, ou avant encore pour
31:01Shakespeare, ne se prêtait pas à cela
31:03et s'y opposait fermement,
31:05et que c'est simplement quelques
31:07membres de l'aristocratie, des femmes qui
31:09avaient une situation
31:11telle qu'elles avaient du temps à perdre,
31:13et des revenus à disposition, qui ont
31:15pu se permettre d'écrire,
31:17mais généralement sans
31:19publier, ou en
31:21publiant sous pseudonyme ou de manière
31:23anonyme, en tout cas pendant
31:25des siècles, les femmes
31:27en Angleterre, mais c'est pareil ailleurs,
31:29en général, n'ont pas eu
31:31le loisir,
31:33même quand elles
31:35avaient le loisir d'écrire, elles n'avaient
31:37pas la possibilité d'être
31:39publiées parce que cela ne
31:41se faisait pas pour toutes sortes de raisons,
31:43de bienséances, de tout ce que vous voudrez.
31:45Donc, il y avait
31:47vraiment, il manquait
31:49un cadre social
31:51qui aurait permis aux femmes de publier.
31:53C'est venu peu à peu, c'est arrivé
31:55au cours du XVIIIe siècle,
31:57Jane Austen, dont j'ai déjà beaucoup parlé
31:59aujourd'hui, est l'une des
32:01premières, pas la première du tout,
32:03mais l'une des premières à avoir,
32:05au moins l'une des premières, membre de l'une des
32:07premières générations à avoir pu
32:09publier des ouvrages à son
32:11nom ou pas, mais
32:13de façon relativement facile.
32:15Après, ça l'est devenu de plus en
32:17plus, au XIXe siècle, vous avez toute
32:19une quantité énorme de romancières
32:21anglaises qui publient, et après
32:23ça n'est plus vraiment un
32:25problème, mais il a fallu
32:27un certain nombre de
32:29décennies et de siècles
32:31pour que cela devienne possible.
32:35Elle est
32:37fascinante à lire,
32:39les textes que vous avez traduits,
32:41ces trois choisis qui sont
32:43à la fois le roman
32:45mais même Orlando n'est pas une
32:47biographie à ce passage.
32:49Ce volume
32:51rassemble trois textes
32:53assez différents. Alors il y a deux
32:55romans et quelque chose n'est
32:57pas un roman, mais en même temps, une pièce
32:59à soi tient un peu du roman, je l'ai dit tout à l'heure,
33:01et c'est vrai que
33:03autant Mrs. Dalloway se présente
33:05comme un roman, même si ça se
33:07passe sur une seule journée,
33:09c'est un peu un roman choral autour d'une
33:11dizaine de personnages, mais c'est quand même un roman.
33:13Et Orlando, c'est encore autre
33:15chose, c'est une pseudo-biographie
33:17mais qui est purement inventée
33:19et qui est d'autant plus romanesque que le personnage
33:21change de sexe
33:23tout à coup, c'est un personnage qui
33:25vit plusieurs siècles, qui vit
33:27de l'épaule de Shakespeare,
33:29de la reine Elisabeth Ière, jusqu'au début
33:31du XXe siècle, et qui en cours
33:33de route,
33:35qui est d'abord un homme,
33:37un jeune homme, et qui au bout
33:39d'un siècle ou deux,
33:41tout à coup se réveille femme
33:43et qui a même
33:45un enfant à un moment,
33:47et qui à la fin
33:49de cette biographie,
33:51qui n'en est pas une,
33:53trouve une certaine forme de liberté,
33:55même en tant que femme dans les années 1920.
33:57C'est
33:59toujours étonnant, parce qu'on
34:01disait, l'essai qui n'en est pas
34:03un, le fait de changer
34:05de... Mais dans la plupart de ses
34:07autres textes aussi, je pense aux Vagues,
34:09c'est pareil, il y a toujours à la fois
34:11un mélange qui
34:13en fait une autrice
34:15particulière. Alors les Vagues,
34:17c'est sans doute celui
34:19qui est le plus expérimental
34:21de ses romans, c'est le moins
34:23immédiatement abordable.
34:25Après,
34:27tous les lecteurs sont différents, mais disons,
34:29je pense que ce n'est pas
34:31celui par lequel il vaut mieux commencer.
34:33Est-ce qu'on pourrait espérer
34:35un jour pouvoir traduire les essais
34:37qu'elle a écrits sur la littérature dans la pléiade ?
34:39Alors, moi je serais ravi,
34:41mais ça ne dépend
34:43pas que de moi.
34:45Les décideurs
34:47chez Gallimard
34:49font appel à moi pour un certain nombre de choses.
34:51Si l'idée leur en vient,
34:53si ce volume est bien
34:55accueilli, je ne sais pas si ça dépend de ça,
34:57mais effectivement,
34:59après les deux volumes d'oeuvres romanaises,
35:01il y aurait tout à fait lieu
35:03de faire au moins un volume,
35:05plusieurs, je ne dirais pas jusque-là,
35:07au moins un volume
35:09d'essais, de textes comme ça.
35:11Ce serait formidable.
35:13Et en guise de dernière question,
35:15pour ma part, quel auteur
35:17voudriez-vous pouvoir traduire
35:19et mettre dans la pléiade ?
35:21Alors, oui, bien sûr.
35:23Que je voudrais traduire.
35:25Oui, que vous.
35:27J'ai fait une proposition à la pléiade, qui malheureusement
35:29n'a pas été suivie d'effet pour le moment.
35:31Je leur avais proposé de traduire
35:33des romans de Thomas Hardy.
35:35Alors,
35:37le problème de Thomas Hardy,
35:39c'est que les adaptations
35:41cinématographiques commencent à dater un peu maintenant.
35:43Il y a eu Polanski dans les années 70,
35:45il y a eu Tess,
35:47il y a eu Jus de l'Obscur
35:49dans les années 90.
35:51Quand même loin de la foule déchaînée, il y a eu une adaptation
35:53un peu plus récemment, mais qui date déjà d'il y a 15 ans.
35:55Donc,
35:57il n'est plus assez peut-être présent,
35:59au moins dans les esprits français.
36:01Et on m'a dit que non, commercialement,
36:03ça ne les intéresse pas,
36:05ça ne marchera pas.
36:07Donc, même la pléiade,
36:09c'est Gallimard. Gallimard, c'est un éditeur privé
36:11qui pense à la rentabilité.
36:13Non, mais je dis ça parce que
36:15souvent, on a l'impression que la pléiade,
36:17c'est une institution souveraine,
36:19c'est quelque chose qui flotte dans le monde des idées,
36:21au-dessus des réalités matérielles, mais pas du tout.
36:23La pléiade, même si,
36:25alors, je crois pouvoir vous dire
36:27que c'est 10% du chiffre d'affaires de Gallimard.
36:29Mais,
36:31autant, autrefois,
36:33il pouvait s'autoriser,
36:35vous avez Dickens en pléiade,
36:37il y a 12 volumes, mais ça c'était
36:39les années 1950.
36:41Après, on est passé à un peu
36:43moins, mais encore pas mal. Stevenson a eu droit
36:45à trois volumes dans les années 1980-1990.
36:47J'ai participé à deux
36:49d'entre eux.
36:51Notamment, le voyage avec un âne dans les
36:53Cévennes, que les Français connaissent bien.
36:55Mais,
36:57maintenant, ça n'est plus
36:59possible. Ils considèrent que
37:01c'est trop risqué financièrement.
37:03Alors, s'il va y avoir très prochainement
37:05un Sherlock Holmes en deux volumes,
37:07mais ça, c'est exceptionnel, deux volumes
37:09pour un auteur étranger en pléiade, maintenant,
37:11ça ne se fait plus. Il faut s'en tenter
37:13d'un seul volume.
37:15J'avais proposé
37:17Thomas Hardy, ça ne
37:19se fera pas, sauf changement
37:21un jour ou l'autre.
37:23Comme vous l'avez dit tout à l'heure, j'ai participé
37:25à un volume d'I. H. Lawrence
37:27qui est sorti à l'automne.
37:29Ce n'est pas moi qui ai retraduit
37:31la bande Lady Chatterley, mais j'ai traduit
37:33d'autres textes. C'était très bien aussi
37:35dans ce volume.
37:37Je vais vous révéler
37:39quelque chose qui n'est pas encore
37:41publié, mais je
37:43travaille actuellement un volume de nouvelles
37:45de Catherine Mansfield qui sortira
37:47en
37:49milieu 2026.
37:51J'ai hâte, j'espère
37:53vous revoir et pouvoir qu'on parle
37:55de vos traductions parce que, pour moi,
37:57vous êtes très attaché
37:59à Virginia Woolf dans mon
38:01imaginaire de lecteur et de
38:03libraire. C'est vraiment
38:05un grand honneur pour moi que vous soyez
38:07venu me voir
38:09et nous voir et pouvoir parler
38:11de Virginia Woolf
38:13et de la littérature. S'il y a
38:15des questions au sujet du
38:17texte ou de la pléiade dans notre
38:19public ce soir.
38:21Madame.
38:23Alors j'y vais.
38:25Allez-y. D'abord
38:27merci beaucoup.
38:29J'ai le plus grand respect
38:31pour la traduction,
38:33pour le travail de traduction et pour les traducteurs.
38:35J'ai fait de la traduction
38:37scientifique qui est vraiment du
38:39basique, de chez basique.
38:41Je n'en serais pas capable.
38:43Non, mais ce qui n'a aucun...
38:45La traduction de la littérature,
38:47c'est vraiment quelque chose que je respecte très profondément
38:49et pour moi, un traducteur
38:51est vraiment associé
38:53à un auteur, souvent.
38:55Il y a des auteurs un peu
38:57qu'on suit et dont on voit que les
38:59traducteurs sont toujours le même et que
39:01ils sont tous les deux associés.
39:03Il y a une espèce d'intimité entre les deux.
39:05Et donc, mon point là,
39:07c'est de dire, je suis extrêmement
39:09surprise que vous puissiez dire
39:11je n'ai pas lu le livre avant de le traduire.
39:13Pour moi, c'est...
39:15Je vous avoue
39:17que je n'arrive pas à comprendre
39:19cette notion. Comment on peut
39:21ne pas avoir lu le livre
39:23avant de le traduire
39:25pour se...
39:27pour s'immerger dedans
39:29et pour s'en imprégner.
39:31Je répète que c'est...
39:33Comme je l'ai dit, c'est quelque chose dont
39:35je ne serais pas vanté auparavant
39:37si je n'avais pas eu l'exemple
39:39de cette collègue qui est
39:41traductrice tout à fait chevronnée
39:43de son côté
39:45et qui a dit la même chose. Je lui ai dit, ça va,
39:47je ne suis pas le seul, je peux l'avouer maintenant.
39:49Alors, pourquoi,
39:51comment ?
39:53Déjà, il y a un côté
39:55pratique,
39:57bête et méchante qui est que
39:59au moins, je suis sûr de ne pas m'ennuyer.
40:01Au moins, je découvre le livre
40:03en même temps. Alors que si
40:05je l'avais déjà lu, j'aurais un peu l'impression
40:07de rabâcher. Parce que, vous savez,
40:09en fait, quand on traduit un livre,
40:11c'est très lent. C'est très lent.
40:13Souvent, quand je traduis un livre, je me dis,
40:15ça manque de rythme, ça ne va pas du tout. Et quand je relis ma traduction
40:17après, je n'ai plus du tout cette impression-là.
40:19Simplement, la traduction, même quand on traduit
40:21vite, ça va quand même beaucoup
40:23plus lentement que lire un livre.
40:25Donc, le fait
40:27de traduire un livre,
40:29c'est quand même quelque chose
40:31qui avance à un rythme
40:33bien moindre que le
40:35rythme d'une lecture normale.
40:37Donc, déjà, si j'avais déjà
40:39lu le livre avant et qu'en plus,
40:41je devais maintenant le relire
40:43beaucoup plus lentement en sachant déjà
40:45parfaitement tout ce qui va se passer dedans,
40:47je risquerais
40:49un peu de
40:51renacler, mais bon, soit.
40:53Après,
40:55on peut
40:57dire éventuellement qu'il y a peut-être
40:59un petit temps d'adaptation,
41:01mais qui va très vite.
41:03Je ne sais pas si c'est possible que ce soit un petit période,
41:05je ne sais pas, mais
41:07je n'ai pas vraiment le sentiment,
41:09je n'ai jamais eu
41:11à reprendre tout en me disant,
41:13ah oui, non, là, j'ai mal commencé, il faut que je reparte
41:15sur des bases différentes.
41:17Il y a quelquefois des petites choses qu'on peut changer
41:19en cours de route,
41:21mais vraiment des détails
41:23genre le tutoiement,
41:25le vouvoiement, des choses comme ça.
41:27Mais après,
41:29en général,
41:31quand
41:33on choisit un temps,
41:35parce qu'on peut choisir le passé simple,
41:37le passé composé, des choses comme ça,
41:39je n'ai pas le souvenir
41:41d'avoir jamais vraiment eu
41:43de regrets et de m'être dit,
41:45ah non, là, vraiment, ça ne va pas du tout,
41:47il faut complètement faire un virage.
41:49Donc...
41:51Est-ce que vous êtes d'accord qu'il y a une espèce de,
41:53je l'ai dit tout à l'heure, intimité,
41:55disons, au moins alchimie
41:57entre un auteur et son traducteur ?
41:59Alors...
42:01Il y a vraiment une chose qui se passe
42:03à travers tous les livres qui ont été écrits ?
42:07Oui, malheureusement, je ne fais pas partie
42:09des eurotraducteurs qui suivent un auteur
42:11sur des décennies.
42:13Oui, mais enfin bon, là, ce n'est pas écrit.
42:15Oui, c'est pas écrit, c'est quand même dans le...
42:17Donc...
42:19Je n'ai pas vraiment...
42:21Je n'ai pas eu ce plaisir
42:23de suivre un auteur depuis
42:25X temps, de traduire X livres
42:27du même auteur.
42:29Donc...
42:31Voilà, je ne peux pas vous parler de ça.
42:33Au plus,
42:35j'ai fait 3 ou 4 livres
42:37du même auteur. Là, par exemple,
42:39je viens juste de rendre
42:41le troisième et, je pense,
42:43dernier volume d'une
42:45trilogie qui est une réécriture de la Guerre de Troie
42:47par une romancière anglaise qui s'appelle
42:49Pat Barker, qui avait eu le prix
42:51le Booker Prize
42:53en 1990, qui avait eu le prix
42:55avec un livre sur la Première Guerre mondiale,
42:57avec 3 livres sur la Première Guerre mondiale.
42:59Et donc, là, qui s'est dit, après tout, je vais faire
43:01à nouveau des livres de guerre, mais ce n'est pas tout à fait
43:03la même guerre.
43:05Et elle a réécrit
43:07la Guerre de Troie sous un point de vue
43:09féminin.
43:11C'est-à-dire que,
43:13si vous lisez Homère, vous verrez que
43:15les femmes n'ont pas grand-chose à
43:17faire ni à dire, et encore moins à dire.
43:19Alors que là,
43:21elle s'est dit, je vais raconter l'histoire
43:23vue par quelqu'un qui est quand même
43:25à l'origine de la Guerre de Troie,
43:27ce n'est pas Hélène, mais on n'est pas loin,
43:29qui est à l'origine de l'Iliade, sinon, de la Guerre de Troie,
43:31qui est Briséis, parce que
43:33si vous prenez l'Iliade,
43:35en fait, la colère d'Achille,
43:37qu'Homère décide de chanter, c'est parce que
43:39on lui avait offert
43:41une alternative après une bataille,
43:43et qu'Agamemnon a dit, moi je la veux, et lui a repris.
43:45Et donc Achille n'était pas content, Achille ne veut plus se battre,
43:47et donc, catastrophe chez les Grecs,
43:49ils vont perdre la Guerre de Troie, mais bon.
43:51Et donc, c'est ça qui a servi de point de départ.
43:53Et donc,
43:55le premier volume,
43:57c'est très Briséis qui voit,
43:59qui observe, le deuxième volume,
44:01c'est déjà un peu moins, encore elle,
44:03mais il y a d'autres points de vue aussi,
44:05et le troisième volume, que je viens de finir,
44:07qui paraîtra, je pense,
44:09sans doute cet automne,
44:11c'est Agamemnon
44:13qui rentre à Mycènes,
44:15qui a Cassandre
44:17comme trophée,
44:19enfin, qu'il s'est choisi,
44:21et qui est accueilli par
44:23Clytemnestre, et que ça ne va pas très bien
44:25se passer, ça ne finit pas très bien
44:27pour Agamemnon.
44:29Donc là, j'ai lu les deux
44:31que vous avez traduits, du coup.
44:33J'avais très peur, justement,
44:35du livre, que c'était une réécriture
44:37et que ça allait être trop
44:39trop facile,
44:41et en fait, pas du tout, c'est beaucoup plus fin
44:43que ça, le très bien expliqué.
44:45C'est assez bien fait.
44:47Oui, j'ai trouvé que c'était vraiment bien fait.
44:49Honnêtement, le deuxième volume, j'ai trouvé un peu moins bien
44:51parce qu'elle inventait un peu plus
44:53de choses que dans le premier, mais dans le troisième,
44:55on retrouve,
44:57ça remonte bien dans le troisième.
44:59Alors là, voilà, c'est une auteure que j'ai,
45:01une autrice, comme vous voulez,
45:03que j'ai pu suivre sur trois volumes,
45:05cela dit, je n'ai pas eu de contact
45:07particulier avec elle.
45:09J'ai eu une seule question à lui poser pour le troisième.
45:11C'est vraiment une chose qu'on retrouve,
45:13ça, parfois, le contact
45:15entre un auteur et son traducteur.
45:17Je pense, par exemple, à Kafka
45:19qui était traduit par
45:21Bialat, par exemple,
45:23ou Marthe Robert aussi.
45:25Paul Auster.
45:27Quelque chose qui est...
45:29Bon, c'est pas...
45:31Mais peut-être qu'il y avait moins...
45:33Peut-être qu'il y avait moins de traducteurs
45:35académiques, je dirais.
45:37Alors, ça dépend. Dans le cas de Kafka,
45:39je pense que c'est un peu Bialat qui l'a apporté lui-même
45:41à l'éditeur. Donc, bon, il s'était devenu
45:43son auteur.
45:45Moi aussi, j'avais cette image.
45:47En tout cas, pour moi, le traducteur est vraiment
45:49extrêmement important.
45:51D'où le but
45:53de cette soirée. C'était pour moi
45:55de voir autre chose
45:57que...
45:59Voilà, simplement, une pléiade de
46:01Virginia Woolf, en fait,
46:03une siste de l'OM.
46:05Et je trouvais que non, il y avait aussi
46:07quelque chose de voir
46:09votre travail de...
46:11Voilà, de comment choisir les mots pour
46:13nous parler d'une pièce à soi,
46:15etc. Et c'était vraiment,
46:17en le relisant et même
46:19votre traduction de Laurence,
46:21je trouve quand même qu'il y a quelque chose
46:23pas au goût du jour,
46:25mais c'est une langue
46:27qui change de ce qui s'était fait avant
46:29et je trouve que
46:31vous y mettez aussi quelque chose
46:33qui est fantastique.
46:35Je vous recommande,
46:37évidemment, c'est forcément ses vendeurs,
46:39mais d'avoir comme dans la pléiade,
46:41c'est une lecture particulière.
46:43Il y a aussi l'appareil critique qui est très intéressant
46:45et qui est en plus.
46:47Et le fait de vous avoir
46:49ici aujourd'hui, c'était vraiment un plaisir.
46:51En tout cas, merci, parce que moi,
46:53je suis rentrée par hasard.
46:55Je l'ai achetée.
46:57C'était très plaisir.
47:01Est-ce que vous avez peut-être d'autres
47:03questions ? Oui ?
47:05Non, au contraire.
47:07J'ai une question.
47:09Je sais que dans votre genre à soi,
47:11je pense que
47:13Jane Austen était moins
47:15calenturée que certains de ses contemporaines,
47:17mais que son grand atout
47:19était qu'elle n'essayait
47:21parler de ses personnages.
47:23Est-ce que vous trouvez que c'est le même
47:25cas ?
47:29Alors,
47:33vous voulez dire que le traducteur devrait
47:35lui aussi laisser parler l'auteur ?
47:37Peut-être ?
47:39Pour vous, est-ce que c'est surtout l'auteur ?
47:41Surtout les personnages ?
47:43Est-ce qu'il y en a une petite partie de vous qui
47:45interchangeraient peut-être ?
47:47Alors,
47:49comme j'ai dit tout à l'heure,
47:51moi j'essaie, je pense qu'on voit
47:53la trace malgré moi,
47:55parce que ce sont mes mots,
47:57mes façons de m'exprimer,
47:59même si c'est ensuite relu,
48:01si c'est ensuite
48:03modifié par endroit,
48:05on me propose des modifications
48:07que j'accepte en général.
48:13Moi mon idéal, c'est de ne pas me mettre
48:15en avant. Si je voulais me faire voir,
48:17je serais auteur.
48:19Donc, en étant traducteur,
48:21je choisis de
48:23rendre lisibles
48:25des textes pour des gens qui ne
48:27n'ont pas accès à la version originale,
48:29mais pour autant,
48:31bon, je ne dis pas que
48:33je suis mécontent que mon nom soit quelque part
48:35sur le livre quand même, mais
48:37je ne prétends pas non plus,
48:41je suis très touché de l'admiration
48:43que vous avez pour les traducteurs,
48:45et d'un autre côté,
48:47dans l'idéal,
48:49il faudrait
48:51qu'on ne sente pas que je suis là.
48:53Une traduction,
48:55il n'y a rien de pire
48:57que quand on se rend compte
48:59qu'on lit une traduction.
49:01C'est pour ça que quand on se rend compte
49:03qu'on ne lit pas une traduction,
49:05c'est qu'on remercie le traducteur parce qu'on le trouve formidable.
49:07Voilà, donc en fait, c'est un métier qui consiste
49:09à être invisible.
49:11On n'est pas invisibles en nous voyant,
49:13parce qu'on sait...
49:15Oui, c'est la présence.
49:17Moi, on sent qu'il y a eu traduction,
49:19mieux ça vaut, idéalement.
49:21Mais tu dirais que c'est le contraire,
49:23c'est qu'on sent quand c'est pas bon.
49:25Oui, voilà.
49:27Mais après,
49:29dire le traducteur est bien,
49:31il faut aussi,
49:33il ne s'agit pas non plus que ce soit un texte
49:35qui soit bien lisible,
49:37il faut aussi que ce soit le texte
49:39le plus proche possible de l'original.
49:41C'est ce que, là aussi, tout à l'heure,
49:43vous m'avez posé la question.
49:45Oui, mais c'est...
49:47Je me demande,
49:49parce que quand la langue
49:51comporte aussi beaucoup
49:53des attitudes
49:55ou de l'identité,
49:57même de la France,
49:59de l'Anglais, etc.
50:01Donc vous, dans la traduction,
50:03forcément, vous avez
50:07la France... Vous voyez ce que je veux dire ?
50:09Dans la langue, est-ce que...
50:15Il y avait quelqu'un
50:17qui avait publié un livre qui s'appelait
50:19« Il faut bien traduire »
50:21et qui faisait jeu de mots parce que ça disait
50:23« Il faut bien traduire ».
50:25Il faut
50:27bien traduire ce qu'on a à traduire
50:29et d'un côté, il faut bien.
50:31La traduction, c'est un mal
50:33nécessaire.
50:35Puisque, dans un monde idéal,
50:37tout le monde pourrait lire les œuvres
50:39en version originale. Mais ça, c'est un monde
50:41complètement idéal.
50:43Si Umberto écoute, imaginez une Europe
50:45où chacun pourrait parler sa propre langue
50:47et être compris des autres.
50:49C'est un rêve.
50:51On n'en est pas là.
50:53Mais dans la mesure où ça n'est pas possible,
50:55on est bien obligé
50:57de traduire les livres
50:59et puisqu'il faut bien
51:01les traduire, autant les traduire bien.
51:03Mais les traduire bien,
51:05c'est une notion qui est difficile
51:07à préciser.
51:09Je pense que vous avez une autre question.
51:11Alors,
51:13s'il vous plaît, posez-la.
51:15Comme vous voulez.
51:17Jusqu'à là, vous traduisez.
51:19Ou alors, je traduis la question.
51:33Je n'ai pas traduit Mme Dalloway.
51:35J'ai juste traduit « A Room of One's Own ».
51:41Oui, monsieur.
51:43Merci pour toutes ces dédications.
51:45J'ai une question.
51:47À peu près mesure que vous traduisez
51:49et que vous entrez dans l'œuvre,
51:51est-ce que vous ne trouvez pas
51:53que c'est plus facile
51:55de trouver une certaine façon,
51:57un style
51:59auquel vous vous adaptez ?
52:01Est-ce qu'il y a une sorte de reconnaissance
52:03et que
52:05c'est plus facile
52:07de trouver une façon
52:09de trouver une reconnaissance
52:11et que...
52:13Alors, précisément,
52:15pour revenir...
52:17Après, on pourra se poser la question
52:19si les intelligences artificielles peuvent arriver.
52:21Ouh là, vous avez soulevé une boîte
52:23dont tous les mots vont sortir.
52:25Pour vous répondre
52:27à propos de Virginia Woolf,
52:29c'est absolument,
52:31je redis ce que j'ai dit,
52:33je n'avais jamais lu « A Room of One's Own »
52:35et je me suis jeté dedans comme ça.
52:37Je n'avais quasiment pas le temps
52:39de le lire avant.
52:41Mais je n'arrivais pas
52:43complètement ignorant non plus.
52:45C'est un peu ce que j'ai dit au début.
52:47Puisque 25 ans avant,
52:49j'avais traduit ce petit pavé
52:51à l'occasion duquel
52:53je m'étais dit
52:55je vais lire les autres.
52:57J'avais déjà lu des romans de Virginia Woolf avant.
52:59On va faire un petit peu d'histoire.
53:01Le premier contact avec
53:03Virginia Woolf que j'ai pu avoir,
53:05c'était quand j'étais en classe prépa
53:07en cours d'anglais.
53:09Nous avons eu un jour une application de texte
53:11à faire sur un extrait de « Mrs. Dalloway ».
53:13Première découverte,
53:15un texte court
53:17sur lequel on va essayer
53:19d'étudier
53:21les procédés que
53:23Madame Woolf avait utilisés.
53:25C'était la toute première fois.
53:27Après, j'ai voulu lire les romans.
53:29J'ai lu « Mrs. Dalloway »
53:31et « La promenade au phare ».
53:33Ensuite, comme je l'ai dit tout à l'heure,
53:35quand j'étais enseignant,
53:37je donnais souvent un extrait d'Orlando
53:39à traduire parce que
53:41quand je cherchais des choses bien coriaces
53:43à traduire pour les agrégatifs,
53:45pour qu'ils se battent un peu avec le texte,
53:47je me dis que ça, ce n'est pas mal
53:49si déjà ils arrivent à faire ça.
53:51Après, tout le reste leur paraîtra facile ou presque.
53:53J'avais
53:55une certaine pratique
53:57de la langue de
53:59Virginia Woolf, pourrait-on dire.
54:01En tant que lecteur, un peu
54:03ordinaire,
54:07mais ça reste quand même
54:09la première fois que j'en traduisais.
54:11Ce que j'ai dit tout à l'heure
54:13sur la façon, la phrase
54:15de Woolfienne, c'est quelque chose
54:17que je connaissais un peu déjà.
54:19Je n'ai pas été déconcerté en découvrant
54:21le texte que j'avais à traduire.
54:23C'est là où j'avais un petit avantage malgré tout.
54:25Je ne sais pas si ça répond
54:27à votre question.
54:29C'est une précision.
54:31Quand vous dites que vous les lisiez,
54:33vous les lisiez en anglais ?
54:35Oui, je ne les lis qu'en anglais.
54:37Avant, je me suis
54:39mis à lire des romans en anglais
54:41sur le tard.
54:43À l'époque où j'étais
54:45au lycée, les cours d'anglais
54:47de seconde,
54:49première terminale, il n'y avait zéro littérature
54:51anglaise. Ça n'était que de l'anglais
54:53journalistique.
54:55Après,
54:57il s'est trouvé que j'ai fait une classe
54:59prépa. Je quittais ma
55:01province natale pour venir à Paris.
55:03Là, on ne faisait plus que de la littérature.
55:05Une grande découverte.
55:07C'est vrai
55:09qu'avant,
55:11je connaissais les quelques
55:13auteurs connus. J'en avais quelques fois lu en traduction.
55:15Mais, Vendée Globe, jamais.
55:17Donc, je ne les lis qu'en anglais.
55:19Quand vous lisiez d'autres
55:21traductions...
55:23Je ne fais pas.
55:25Je n'ai pas le temps.
55:27Je ne m'amuse pas. Je sais qu'il y a des...
55:29Je n'ai pas essayé de comparer.
55:31Je n'ai surtout pas
55:33essayé de voir ce que d'autres avaient fait avant
55:35sur le même texte.
55:37J'ai fait ma version et c'est tout.
55:39Il y a une question.
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