Au bonheur des livres - Des livres et des Jeux

  • il y a 3 mois
Tandis que l’Euro de football succède à Roland-Garros et que s’ouvre évidemment la perspective prochaine des Jeux Olympiques de Paris, il est beaucoup question de sport en ce moment dans l’actualité…
Or, le sport et les livres font volontiers bon ménage, comme l'illustre le plateau de « Au bonheur des livres » cette semaine qui accueille la présidente du CNL (Centre National du Livre) Régine Hatchondo, ainsi que Louis Chevaillier, auteur d’un essai aussi captivant qu'inattendu sur « Les Jeux olympiques de littérature » (Ed. Grasset) et le grand documentariste et écrivain, Jérôme Prieur, connu en particulier pour sa série Corpus Christi, mais qui s’est intéressé aussi aux Jeux Olympiques de « Berlin 1936 » (Ed. La Bibliothèque) et à un intellectuel un peu oublié qui en fut le spectateur, Louis Gillet avec l’ouvrage « Regarder et ne rien voir » (Ed. Seuil).

Guillaume Durand s’entretiendra ainsi avec la présidente du CNL, Régine Hatchondo pour évoquer l’opération « Partir en Livre », magnifique festival à l'adresse du jeune public consacré cette année au thème du sport, pour son dixième anniversaire (du 19 juin au 21 juillet 2024).
Elle rappellera à cette occasion le travail formidable effectué, au long cours, par le CNL pour la promotion de la lecture et des auteurs… Parmi ces auteurs justement, Louis Chevaillier détaillera l'aventure oubliée d’olympiades culturelles, bien réelles, autrefois consacrées à la littérature, et Jérôme Prieur nous invitera à réfléchir aux liens qui continuent d’exister entre le spectacle sportif et ses implications géopolitiques … même si, heureusement, nous ne sommes plus à Berlin en 1936 !

Sport, littérature, histoire : en faisant dialoguer des écrivains et des personnalités qui sont aussi des passeurs passionnants, « Au bonheur des livres » nous invitera encore une fois à réfléchir aux enjeux de notre temps.
Année de Production : 2023

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Transcript
00:00Générique
00:03...
00:17Bonjour à tous, bienvenue au Bonheur des livres.
00:20Nous sommes dans la grande période du sport et de la littérature.
00:23Vous allez avoir l'Euro, les Jeux olympiques
00:26et de multiples manifestations.
00:28Nous sommes avec Régine Atschondo du Centre national du livre,
00:31qui a été fondée, si ma mémoire est bonne, en 1946.
00:34Et vous avez donc tout un programme qui accompagne cette période,
00:39qui est une période particulière.
00:40Reste à savoir si cette période enchante Jérôme Prieur,
00:44votre voisin, qui, regardez et ne pas voir,
00:47consacre un livre passionnant aux seuils,
00:50consacré à un personnage qu'on a un peu oublié,
00:53auquel vous vous adressez, mon cher Jérôme, qui s'appelle Louis Gillet,
00:57qui est à la fois un écrivain, un journaliste, un académicien,
01:00un témoin au cœur des années sombres, 1936-1943.
01:04Il est mort sans le savoir, évidemment,
01:06que l'occupation allemande se terminerait.
01:09Et vous avez écrit en plus, Jérôme,
01:10non seulement, d'une certaine manière, l'histoire de ce personnage,
01:14mais aussi un Berlin des Jeux de 36 à la bibliothèque.
01:18Alors, je vais vous montrer les deux, il y a mes horribles notes au milieu,
01:21mais c'est comme ça, je lis les livres, c'est un défaut.
01:24Et puis vous avez le jeune Louis Chevalier,
01:26le plus jeune d'entre nous, donc il publie.
01:29Alors, Louis est allé sur un territoire que personne ne connaissait.
01:33Je ne sais pas si vous connaissez, Jérôme, ou si vous connaissez Révin.
01:35C'est-à-dire que les Jeux olympiques de la littérature ont existé.
01:39Nous ne sommes pas aux Jeux olympiques que nous allons connaître,
01:43puisque de 1912 à 1948, il y a eu des épreuves artistiques,
01:49non seulement des épreuves consacrées à la littérature,
01:52mais des épreuves consacrées au beaux-arts, à la musique,
01:55avec des jurys, avec des candidats.
01:57Tout ça a sombré dans un espèce d'oubli,
01:59sauf que l'enquêteur Louis est allé à Lausanne
02:02récupérer tout ça au bord du lac Léman auprès du CIO Régine.
02:07Est-ce qu'on peut avoir l'idée, justement,
02:09de ce que le CNL, que nous aimons tellement,
02:12le public Sénat, a l'intention de faire
02:13pendant cette période bien particulière ?
02:16– Chaque année, on organise un festival
02:17qui s'adresse aux enfants, aux adolescents,
02:20qui s'appelle Partir en Livre, qui démarre le 19 juin cette année.
02:24Et cette année, évidemment, d'une part,
02:26c'est le 10e anniversaire de notre Partir en Livre,
02:29et de surcroît, nous l'avons consacré,
02:32le thème est sport et jeu,
02:34pour s'intégrer dans à la fois les Olympiades culturelles
02:37et les événements.
02:38Et puis aussi, fondamentalement,
02:40au-delà de l'aspect peut-être un peu communication
02:43et cohérence des événements multiples qui se croisent,
02:48au fond, on estime, au Centre national du Livre,
02:50que les valeurs du sport...
02:53et ce que la littérature transmet
02:56ont beaucoup de choses à voir en commun,
02:59bien évidemment, pas dans tout ce que vous dites.
03:01– Mais elle n'est pas organisée comme ce qu'a résumé Louis,
03:05donc des sortes de jeux de la nature de la littérature.
03:07– Mais parce qu'aussi, il parle véritablement
03:09des effets aussi pervers de cet univers,
03:11aucun domaine n'y échappe,
03:14mais il y a dans la transmission,
03:16les valeurs d'altérité, le partage, le collectif,
03:21la détermination, quelque chose qui a aussi à voir
03:24avec les bienfaits de la littérature aujourd'hui
03:27et de la lecture, notamment sur les enfants,
03:29dont vous savez que la désaffection nous inquiète beaucoup,
03:33au Centre national du Livre. – Vous avez des chiffres ?
03:35– Ah oui, on a des chiffres qui, lors de notre dernière étude,
03:37qui est sortie le 9 avril... – Il faut les donner avec le sourire.
03:41– Pourtant, je suis assez optimiste,
03:44mais je dois dire que la dernière étude
03:46a effectivement de très mauvais chiffres,
03:48les 7-19 ans passent 10 fois plus de temps
03:52sur leurs écrans à ne pas lire
03:55que sur le temps qu'ils passent à lire,
03:5912 minutes de lecture par jour contre 5h30 d'écran par jour.
04:05– Stop ! – Ce n'est pas fini, j'ai deux chiffres encore.
04:09Un enfant sur 3 entre 16 et 19 ans, enfin un ado sur 3 entre 16 et 19 ans
04:14dit ne pas lire et ne pas vouloir lire.
04:17Et puis enfin, 50% d'entre eux, lorsqu'ils lisent,
04:20font autre chose en même temps,
04:21donc je ne sais pas très bien comment ils arrivent à lire.
04:24– Eh bien, nous allons leur conseiller de lire, par exemple, Louis.
04:27Mon cher Louis, vous êtes intéressé donc aux Jeux olympiques de la littérature,
04:29alors comment avez-vous découvert, mon cher Louis,
04:33qu'il y eut des épreuves de littérature d'art
04:37et avec des épreuves qui ont mobilisé des jurys absolument phénoménaux,
04:41enfin Stravinsky, Paul Valéry...
04:44– Oui, c'est une histoire étonnante, c'est vrai qu'on l'a complètement oublié.
04:47J'avais découvert ça au détour d'un article qui citait juste l'existence,
04:51en effet, d'épreuves artistiques et littéraires de 1912 à 1948.
04:56Il faut comprendre, c'était très important pour Coubertin.
04:58Coubertin ne voulait pas que les Jeux olympiques
05:01soient des simples épreuves athlétiques,
05:03il voulait en faire quelque chose de presque religieux.
05:06Et à ce niveau-là, il avait besoin d'associer les écrivains et les artistes.
05:10– Vous citez Rieschkein, par exemple,
05:12vous dites qu'il a beaucoup été influencé par ce penseur qu'on a un peu oublié,
05:17qui était justement une sorte de penseur de la totalité
05:20où il y avait à la fois le muscle, le cerveau...
05:23– Oui, il est influencé par Rieschkein, par ce côté, le sacré du quotidien.
05:27Il veut faire un grand spectacle des Olympiades,
05:29mais voilà, un spectacle quasi-spirituel.
05:32Et lui, il est fils de peintre, Coubertin, d'un peintre académique.
05:37Il a écrit un roman qui s'appelle
05:39« Le roman d'un rallié » qui raconte l'histoire d'un marquis
05:42qui va se convertir à l'idée républicaine en partant aux États-Unis.
05:45Tout ça dans un milieu aristocratique.
05:49– Post-proustien, direiens-je.
05:50– Oui, post-proustien, les femmes ont le teint allé par le séjour d'Obama.
05:55Il y a un petit côté même proto-Paul Moran, un petit peu.
05:58Et donc, il associe les écrivains et les artistes,
06:00et ça ne marche pas très bien, il faut avouer.
06:03Alors même à la première épreuve, en 1912...
06:05– Ça ne marche pas du tout.
06:06– Ça ne marche pas du tout, il faut le dire.
06:07Ça ne marche pas du tout, ça ne va jamais complètement marcher.
06:11Mais il y a un moment, vous saurez plus, c'est en 1924 à Paris.
06:14– À Paris.
06:15– À Paris, il y a 100 ans, où on recrute en effet
06:18des jurés extrêmement précigieux pour ces épreuves athlétiques.
06:21– Alors Stravinsky.
06:22– Stravinsky, Mayol, Bourdel.
06:24Et puis en littérature, vous avez vraiment une sorte de panorama
06:28de la littérature, disons des notables des lettres.
06:31Vous n'avez aucune avant-garde, mais vous allez avoir Giraudoux,
06:34Danunzio, Edith Wharton, Paul Valéry, Paul Claudel.
06:37Enfin, je veux dire, d'immenses écrivains
06:39et qui ne sont pas toujours associés dans notre esprit au sport
06:43et qui vont donc se retrouver à juger des concurrents,
06:47et des concurrents pas inintéressants non plus.
06:49Vous avez Monterlant.
06:51– Robert Graves.
06:52– Robert Graves, très grand poète anglais,
06:54même s'il n'est pas extrêmement connu en France,
06:56qui a failli avoir le prix Nobel.
06:58Sauf que, si vous voulez, chaque fois, à chaque Olympiade,
07:02les jurés vont finalement rater les artistes les plus prometteurs.
07:05Il y a une sorte de grand classicisme,
07:08si vous voulez, dans l'esprit de Coubertin.
07:12Mais ça permet de chercher à parler à la fois
07:14du spectacle sportif et du spectacle littéraire,
07:17et c'était une porte d'entrée.
07:18– Forcément, on se demande comment…
07:20Enfin, je me mets à la place de l'incroyable curieux
07:23qu'est Jérôme et même de Réline.
07:25À 100 mètres, on voit bien comment Usain Bolt gagne,
07:30il passe la ligne le premier.
07:32Dans le domaine de la littérature, comment ça se passe ?
07:35– En 1924.
07:36– C'est toujours pareil, c'est comme les prix littéraires.
07:38– Il a retrouvé des traces.
07:39– Alors oui, il y a des traces, si vous voulez.
07:42Finalement, c'est un certain Géocharle
07:44qui remporte l'épreuve en 1924,
07:45qui est aujourd'hui complètement oublié,
07:47même si Henri Michaud a consacré un de ses premiers articles
07:51à ce poète, même si Sandrard l'avait abdobé à l'époque.
07:55Mais c'est comme les prix littéraires.
07:57C'est très compliqué, évidemment,
07:58de juger de la qualité d'une oeuvre artistique.
08:01– Ce fut le cas des premiers concours, vous le dites d'ailleurs.
08:03– Mais il l'a oublié.
08:04– Voilà, il y a beaucoup de concours ratés.
08:05Vous vous souvenez peut-être que Dali, lui,
08:07avait essayé de noter les peintres selon un certain nombre de critères.
08:10Donc bon, finalement, même si c'est impossible de juger les oeuvres,
08:14on le fait constamment.
08:15On le fait constamment et ça fait partie du spectacle littéraire,
08:19comme les Jeux olympiques font partie du spectacle sportif.
08:22C'était ça aussi qui m'intéressait, vous parliez de Ruskin,
08:24mais on a souvent, lorsqu'on parle des Jeux olympiques,
08:26on parle de sport.
08:27Les Jeux olympiques, c'est du sport
08:29pour les quelques milliers d'athlètes qui y participent,
08:31pour les autres, c'est du spectacle.
08:33Et c'est en tant que spectacle, moi,
08:35que ça m'intéressait de parler de ce sujet.
08:37Et on voit bien, à l'époque, si vous voulez,
08:40Brecht, par exemple, explique que le théâtre est mort et bon
08:44et qu'il faut s'inspirer du spectacle sportif
08:47qui offre au public pour son argent.
08:50C'est des choses assez étonnantes.
08:51Mais je me demandais, pourquoi est-ce que le spectacle sportif
08:54est devenu le principal spectacle mondial ?
08:56Qu'est-ce qui lui a permis de remplacer les autres spectacles ?
09:00Ce qui est aussi important,
09:02c'est le portrait que vous faites, justement, d'un monde culturel.
09:05Parce que vous dites que les grands écrivains de l'époque,
09:08par exemple, je parle de 24,
09:10qui sont Proust, Alain Tolpranse, Prinobel et Gide,
09:14ne sont pas particulièrement, j'allais dire,
09:16des amateurs de survêtement.
09:18Donc, il y a une espèce de chose assez particulière,
09:21c'est que vous avez une partie du monde culturel
09:24qui est quand même très liée au sport et très anglomaniaque.
09:28C'est le cas de Coubertin.
09:30Et une autre partie du monde culturel
09:32qui est relativement, non pas allergique,
09:34mais à l'extérieur de tout ça.
09:36– Disons que c'est, si vous voulez, les années 20.
09:39Donc, c'est vraiment une période de transition.
09:41C'est une période de transition pour la littérature aussi,
09:43où il y a tout à coup l'émergence de ce que Thibaudet va appeler
09:47le roman de l'énergie.
09:48On va avoir…
09:49– Le grand critique Albert Thibaudet, je l'ai appelé d'ailleurs.
09:51– Non, vous avez raison, le grand critique Albert Thibaudet,
09:53qui est juré d'ailleurs aussi dans ses concours,
09:56va appeler ça le roman de l'énergie, avec Montherland,
09:59avec Paul Morand, avec ce qui sera Saint-Exupéry.
10:02Et vous avez une série de grands écrivains
10:05qui, eux, ne partagent pas, peut-être, cet enthousiasme,
10:09mais sont intéressés, si vous voulez.
10:10Par exemple, Paul Claudel, on le voit mal, a priori, associé au sport,
10:15mais il y a des textes, un texte assez extraordinaire
10:17sur la motociclette, le plaisir d'être en motociclette,
10:21le plaisir de la vitesse.
10:22L'époque évolue et forcément, ces écrivains,
10:26ces artistes, essayent de se mettre au diapason.
10:29– Ce que j'ai trouvé intéressant,
10:30et on va poursuivre notre conversation tous ensemble, évidemment,
10:32c'est qu'on a, à tort, l'impression qu'il y existerait aujourd'hui
10:38une réconciliation qui n'aurait pas été le cas depuis des années
10:43entre le sport et la littérature.
10:45En fait, à l'époque, ça existait déjà,
10:48car des gens qui étaient des fans de sport ou des fans d'art militaire,
10:53on va en parler, par exemple, avec le livre de Jérôme Prieur,
10:57il y a un personnage qui parle justement,
11:00et qui a concouru aux Jeux Olympiques,
11:03et qui parle de son goût pour l'épée.
11:07– Marcel Blanger ?
11:08– Oui, absolument.
11:09Alors, on va voir cette phrase que j'ai retrouvée dans votre livre.
11:13« Quand j'avais une épée, le monde était un peu plus agréable. »
11:16Donc, c'était à la fois un type qui tirait pour les Jeux Olympiques
11:19et qui, en même temps, participait à des duels personnels,
11:21comme ça se faisait encore au début du XXe siècle.
11:24– Oui, c'est un Marcel Blanger, justement,
11:26donc il est complètement oublié aujourd'hui,
11:28mais il explique, si vous voulez, que dans les années 1920,
11:33il y a une transformation.
11:34Avant, lorsque les célébrités, c'était Marie Thurie ou Geoffre,
11:38lorsqu'ils arrivaient dans un café, les gens se retournaient.
11:40Et là, on commence à se retourner sur les sportifs.
11:43On commence à se retourner sur Carpentier.
11:45Et à l'époque, évidemment, le sport, et vous avez raison,
11:49il y a des échanges qui se produisent avec la littérature,
11:53mais le sport est un peu sous-estimé.
11:55Ce qui est intéressant, c'est de se rendre compte
11:56comment c'est devenu le contraire.
11:57C'est-à-dire qu'à l'époque, lorsque Cocteau fréquente Panama Hall-Brown,
12:02Panama Hall-Brown de boxeur,
12:04c'est-à-dire que Cocteau est beaucoup plus célèbre que Panama Hall-Brown.
12:07Aujourd'hui, même Rushdie est moins célèbre que Messi.
12:11Comment, à ce qu'à un moment, ça s'est renversé ?
12:15Je trouvais ça fascinant.
12:17– Et vous n'avez pas la réponse ?
12:19– Non, je n'ai pas la réponse.
12:20Je veux dire, pourquoi ?
12:21Disons que si vous voulez, je pense qu'il y a quand même quelque chose
12:23dans la communion que permet le spectacle sportif
12:28qui correspond à l'époque.
12:30Évidemment, les moyens, les médias actuels
12:34qui permettent une communion vraiment internationale avec un suspense,
12:40tout cela fait que le spectacle sportif
12:43est peut-être plus adapté à l'époque que la littérature.
12:46– Jérôme Prieur, lui, publie deux livres.
12:49Il ne fait jamais les choses à moitié.
12:50Jérôme est à la fois documentariste, il a écrit sur Proust,
12:54il a écrit une synthèse avec deux livres aux Jeux Olympiques de Berlin
12:58comme une sorte d'assomption de ce que fut le nazisme.
13:01Jérôme, vous l'écrivez, l'armada allemande est parvenue à la première place
13:05avec 89 médailles, nettement devant les vainqueurs habituels
13:09que sont les Américains.
13:10C'est-à-dire que finalement, je ne sais pas si Régine, vous le savez,
13:14mais on parle tout le temps de 36 de Jess Owens avec toutes ses médailles.
13:18En fait, c'est un peu l'arbre qui cache la forêt.
13:21Il y a eu une radia qui a été une radia allemande voulue par le Reich, Jérôme.
13:27– Oui, parce que contrairement au principe de Coubertin,
13:31les sportifs qui ont concouru pour l'Allemagne sous le pavillon allemand
13:37étaient surentraînés, étaient des sportifs professionnels,
13:43étaient des militaires, donc le Reich a très vite compris,
13:47pas tout de suite, mais très vite, qu'il fallait absolument remporter
13:51cette bataille culturelle et sportive, culturelle, je pense,
13:56au livre de Yohann Chapoutot qui a écrit la préface de ce livre.
14:00– L'historien.
14:00– L'historien, qui a écrit il y a quelques années un livre
14:03qui s'appelle La révolution culturelle nazie,
14:05et on voit très bien que dans ce programme,
14:08les Jeux olympiques de 1936 jouent un très grand rôle.
14:13– Oui, ça doit être une sorte d'assomption de l'idéologie nazie.
14:16– Oui, alors même que l'Allemagne a hérité des Jeux prévus en 1936
14:23avant que Hitler n'arrive au pouvoir, et qu'au début,
14:27Hitler n'était pas très chaud, il n'était pas sportif du tout,
14:31enfin Goebbels non plus, il ne conduisait pas, etc.
14:36Et puis Goebbels, même s'il avait cette difformité physique,
14:41il a compris qu'il fallait s'emparer de ça,
14:43et ils sont engouffrés dans l'histoire, au point que,
14:46contrairement aux Jeux, en général, aux Jeux qui font
14:50qu'une ville est attributaire des Jeux olympiques,
14:54c'est le Reich qui a été attributaire,
14:57qui a complètement pris en charge les choses.
14:59– Alors, vous avez un personnage, parce qu'il y a un héros,
15:02enfin une sorte d'héros, qui est Louis Gillet.
15:04Alors, Louis Gillet, on le retrouve dans les deux.
15:06Ce qui est intéressant dans la façon dont vous avez écrit le deuxième,
15:10c'est que vous vous adressez à lui, vous dites,
15:12mon pauvre vieux, maintenant, vous allez voir,
15:15cette petite phrase sur la mort de Louis Gillet,
15:18donc on va nous envoyer ça en régie, donc vous vous adressez à lui,
15:23puisqu'il va mourir en 1943, donc sans connaître, évidemment,
15:27pourquoi ai-je envie de vous écrire, alors que depuis 80 ans,
15:31vos os ont blanchi, il a totalement disparu,
15:33je ne sais pas si vous le connaissiez, Régine, Louis Gillet ?
15:35– Pas du tout.
15:36– Voilà, et pourquoi l'avez-vous choisi ?
15:38Parce qu'il est là, il est là, il est dans les deux.
15:41– Je l'ai choisi, Louis Gillet, grâce à ce livre sur les jeux de Berlin,
15:47parce qu'à ce moment-là, je le connaissais de nom,
15:50j'ai lu des traductions, vous citiez Edith Wharton,
15:54il a beaucoup traduit Edith Wharton,
15:56il a préfacé Catherine Mansfield, etc.
16:01C'était un grand connaisseur de l'histoire de l'art,
16:05il écrivait dans la revue des Deux Mondes,
16:08il tenait la chronique, il tenait la chronique de littérature étrangère,
16:12il a été une sorte d'inventeur en France,
16:14alors même que la revue des Deux Mondes est une revue académique,
16:18il a découvert, il a introduit en France Joyce,
16:24ce qui n'est pas rien, il était angliciste, germaniste,
16:31il parlait l'italien, etc.
16:33Et donc, moi, je l'ai croisé, voilà, je l'ai croisé.
16:37Mais ça, vous allez le connaître.
16:38Et puis, grâce aux Jeux de 36, je suis tombé sur un article
16:43dans le journal Gringoire, l'hebdomadaire Gringoire,
16:46avant que Gringoire ne parte à droite toute,
16:50et cet article était très descriptif, quoi.
16:54C'était comme un...
16:56À la fois, on avait Léon Zitrone,
16:58qui commentait un événement très important,
17:02très spectaculaire, et en même temps,
17:04quelqu'un qui nous faisait voir ce que nous ne pouvions pas voir,
17:08parce qu'il n'y avait pas la télévision, la radio...
17:11L'importance de la presse écrite était considérable.
17:14Je me suis rendu compte que Louis Gillet
17:16était ensuite resté en Allemagne quelques semaines
17:18et en avait rapporté un livre,
17:20Rayon et ombre d'Allemagne, qui m'a passionné.
17:23Alors, Gillet, c'est l'ambiguïté,
17:26c'est ce qui vous fascine dans cette ambiguïté.
17:29Il est en Allemagne, il assiste aux Jeux.
17:31Entre nous, il ne se presse pas, les autres de l'univers.
17:34Vous expliquez qu'effectivement,
17:36aux Jeux, sur les 3 millions de tickets payants,
17:38il n'y avait que 75 000 étrangers,
17:40ce qui n'était pas du tout ce qui était prévu par le Reich.
17:43Les hôtels se plaignaient beaucoup.
17:44À Londres, Ribbentrop fait une grande fête pour annoncer les Jeux.
17:48Il est habillé par Hugo Boss, nazi de l'époque,
17:52et Gillet écrit, en voyant ce costume,
17:54qui se trouve quand même un peu ridicule,
17:56noir avec les voix gammées,
17:58est-ce que c'est le costume qu'il mettra à Buckingham
18:01quand il aura évidemment présenté
18:04ses lettres d'accréditation à la reine ?
18:09Et en même temps, au pouvoir royal,
18:12c'est là que vous passez d'un homme qui est assez critique,
18:18mais en même temps, vous dites, au fond,
18:20il y a quelque chose de très ambigu dans cette affaire-là,
18:23c'est que c'est la curiosité qui l'emporte et non pas la critique.
18:27Et c'est là que c'est inquiétant.
18:29Enfin, que c'est inquiétant et que c'est fascinant.
18:32J'ai pas répondu à votre question
18:34pour savoir pourquoi je m'adressais à lui en le voyant.
18:37C'est une manière de répondre à cette question.
18:41C'est-à-dire que je me suis dit, voilà, j'écris,
18:45des années après, la Seconde Guerre mondiale est finie depuis longtemps,
18:48même s'il y en a d'autres qui se profilent,
18:51et donc, qui suis-je pour le regarder de haut ?
18:54Je suis très gêné par ces livres, ces documentaires et tout ça,
19:00qui regardent l'histoire de haut comme si, nous, on avait tout compris.
19:03Et donc, m'adresser à lui en le voyant,
19:06c'était une façon de me mettre en scène,
19:09de m'interroger moi-même et de pas uniquement être du bon côté,
19:14c'est-à-dire de lui permettre de répondre d'une certaine façon.
19:18Voilà. Et donc, ce qui m'a intéressé,
19:21c'est que cet homme fait métier de voir,
19:24fait métier de comprendre, il a des outils intellectuels,
19:27il connaît ces différentes langues qui règnent en Europe,
19:32et donc, tantôt, il voit, et tantôt, il ne voit pas.
19:35– Auriez-vous été nazi sans le savoir ?
19:37La réponse est non, écrivez-vous.
19:39Mais êtes-vous séduit par le nazisme ?
19:41Vous êtes sous le charme du spectacle nazi.
19:43Ce qui est quand même étonnant dans son cas,
19:46c'est que très rapidement, il va signer avec Aragon,
19:50avec Bernanos, avec Colette, avec Moriak, avec Malraux,
19:54avec Maritain, avec Monterland, avec Jules Romain,
19:56là, on est le 30 mars 1938, donc il revient de 36,
20:00deux ans après, il va signer des textes
20:04qui sont des textes d'alerte au moment de l'Anschluss en Allemagne.
20:08Donc, il ne voit pas grand-chose, il est fasciné,
20:11mais il devient très critique.
20:14– Je dirais pas qu'il voit pas grand-chose, il voit pas tout,
20:17il aimerait voir ce qu'il ne voit pas,
20:19c'est-à-dire que peut-être que c'est une clé
20:22par rapport aux épreuves littéraires des Jeux olympiques,
20:27c'est-à-dire qu'il y a l'avènement du sport,
20:31on est après la guerre de 14,
20:33et je pense que cette restauration du corps,
20:37cette restauration de l'énergie et tout ça est importante,
20:41et dans le cas de Louis Gillet, qui a été officier en 14-18,
20:45qui a été décoré, il y a chez Louis Gillet
20:47une volonté de…
20:49Mais bon, là, on est avant la guerre, on est en 36-37,
20:53une volonté de se réconcilier avec l'ennemi traditionnel,
20:57avec le cousin germain dont, encore une fois,
21:01il connaît la langue, il a enseigné,
21:04enfin, il était lecteur dans une université,
21:06il est allé en Allemagne en 29, il y est allé en 34,
21:10et donc, il aimerait aimer l'Allemagne,
21:13et donc, quand il va en Allemagne,
21:15finalement, il est en admiration devant ce pays
21:18où règne l'ordre, où règne la prospérité, voilà.
21:22Et petit à petit, on sent qu'il y a à la fois ce regard…
21:29d'un amateur, d'un ami,
21:31et en même temps, il y a des choses qui l'inquiètent.
21:34Il est très conscient du fait qu'il y a un caporalisme
21:38qui est important, qu'en réalité,
21:41le sport prépare la militarisation de la société,
21:45il le voit.
21:46– Est-ce que les jeux et le sport, pour vous, Jérôme,
21:49c'est d'essence quelque chose qui a un rapport
21:53avec l'extrême-droite ?
21:55– Ah, je ne suis pas forcément le mieux placé pour ça,
21:58mais je pense qu'il y a un armement…
22:04– Est-ce que la compétition est l'extrême-droite ?
22:07Pas le sport ?
22:07– Oui, pas le sport, la compétition est quelque chose
22:11qui favorise, comme ça, le…
22:14– Le cherche-votre-arrière-pensée.
22:16– Qui dévoile l'idéal, théoriquement, de Pierre de Coubertin.
22:23– Est-ce que vous avez l'impression à cette question
22:25qui est évidemment hyper polémique,
22:28alors que les Jeux vont commencer maintenant
22:29et que plus personne ne le pense ?
22:31– Disons que, si vous voulez, Coubertin le dit bien,
22:34il n'aime pas la formule de Juvenal,
22:36un esprit sain dans un corps sain.
22:37Il explique qu'il veut la remplacer
22:39par quelque chose de plus enthousiaste,
22:41d'un esprit ardent dans un corps musclé.
22:43Donc il y a quelque chose de l'ordre de l'excès,
22:45systématique, dans le spectacle sportif.
22:47Après, vous savez, il y avait à la fois des Jeux Olympiques,
22:52mais il y avait aussi des Olympiades ouvrières,
22:55il y avait aussi les Spartakiades,
22:56et dans les Spartakiades et les Olympiades ouvrières,
22:58même si on disait que la performance n'était pas le but ultime,
23:02je veux dire, il y avait des chronomètres,
23:05il y a d'ailleurs eu des performances similaires
23:07sur certains sports à ceux des Jeux Olympiques,
23:10mais le goût de la performance n'est pas que lié au fait…
23:13– Donc attention à l'idée toute faite que ce serait quelque chose…
23:16– Disons que ça peut se superposer,
23:18je veux dire, évidemment, dans l'idée de Coubertin,
23:21il y a ce côté pacifique,
23:23mais il y a aussi l'idée de préparer un peuple,
23:26je veux dire, qui soit apte à la guerre aussi,
23:28il y a les deux choses, ça coexiste.
23:30– Comment faire, justement, pour arriver justement
23:34à ce qu'une organisation comme la vôtre, le CNL,
23:36puisse vivre avec cette période d'intens sport
23:41qui va marquer tout l'été en France,
23:43puisque tout à l'heure je disais, là c'est Roland-Garros,
23:46les Jeux arrivent, mais en même temps il va y avoir le road-foot,
23:49c'est-à-dire le sport populaire,
23:50comment faites-vous pour au fond exister au milieu de tout ça ?
23:54– On profite, on profite de la vitrine,
23:56alors après sur la question, je ne suis pas historienne,
23:58mais sur la question, la compétition est-elle d'extrême droite ?
24:02Moi je dirais non, c'était peut-être pas ça.
24:05– Non mais c'est de la provoque.
24:08– Non mais j'entends bien, mais quand même.
24:10Je dirais qu'en revanche, le sport,
24:14notamment dans le foot, et d'ailleurs Dominique Rocheleau,
24:17qui est un de nos parrains, pour partir en livre,
24:20on parle dans son livre « Foot sentimental »,
24:23réveille les nationalismes.
24:27Donc c'est peut-être en cela qu'on pourrait réfléchir
24:31à ce que ça réveille comme ressorts
24:35qui sont tout sauf le respect de l'autre,
24:38de l'étranger, de l'altérité.
24:40Alors comment fait-on pour exister ?
24:42– Parce qu'on est là pour vous soutenir.
24:45– J'espère bien, merci d'ailleurs de m'accueillir.
24:49On est un plateau un peu étrange,
24:51parce qu'effectivement nous, on a cet événement
24:55pour donner envie aux jeunes et aux adolescents de lire.
24:59C'est tous les ans, aux mêmes dates.
25:01Cette année, c'est très particulier, comme vous le dites,
25:03et on peut être totalement noyés.
25:05– On peut aimer Usain Bolt et Salman Rushdie,
25:08on peut aimer Garcia Marquez et Mbappé.
25:10– Évidemment, comme je le disais en introduction,
25:12je pense que littérature et sport ont beaucoup à voir ensemble,
25:15donc on ne se sent pas du tout malheureux,
25:19au contraire, ni écrasé.
25:20On a beaucoup de jeunes auteurs qui ont d'ailleurs écrit
25:22des nouvelles inédites d'un ouvrage
25:25qui est disponible sur notre site,
25:26qui est sur sport et littérature avec les auteurs jeunesse
25:30que vous devez bien connaître, Clémentine Bové,
25:33Suzy Pongenster.
25:35– Invitez nos deux camarades.
25:37– On va vous inviter le 19 juin au Centre national du livre.
25:42Elles seront là, toutes, enfin je dis toutes,
25:44il y en a peut-être quelques garçons, mais pas beaucoup.
25:46Il y a beaucoup de femmes qui ont un talent fou
25:49en littérature jeunesse,
25:50qui est une des littératures les plus brillantes en France,
25:54qui d'ailleurs représente, comme je le disais tout à l'heure,
25:56plus de 60% des ventes de sessions de droits de livre
26:00à l'international.
26:02Nous commettons aussi des coéditions absolument magnifiques
26:08pour tout âge, l'orage pour les tout-petits
26:11avec l'école des loisirs,
26:15mots tordus avec Gallimard jeunesse
26:19et champignons olympiques,
26:21qui sont des ouvrages que l'on offre,
26:24donc on en distribue 35 000.
26:26On a 20 000 chèques-lires que l'on distribue
26:30aux enfants qui viennent sur nos animations culturelles
26:33autour de la lecture,
26:36pour pouvoir aller en librairie, acheter un livre.
26:39Et partir en livre, c'est 5 000 événements aujourd'hui,
26:43ça sera 6 000 probablement le 19 juin
26:45quand on va commencer partout en France.
26:47Très bien réparti sur le territoire,
26:4975% dans les quartiers politiques de la ville,
26:53où on sait que les livres sont moins présents
26:55dans les maisons et les familles.
26:57C'est plus de 950 auteurs
27:00qui organisent des ateliers d'écriture avec les enfants,
27:03des ateliers de lecture à voix haute,
27:06c'est des cadeaux, c'est des jeux, c'est des siestes littéraires,
27:09c'est des ordonnances littéraires,
27:11donc ce sont des auteurs qui reçoivent les enfants
27:13et en fonction de leur goût sportif ou littéraire,
27:16qui leur donnent une ordonnance comme une prescription de médecin,
27:19à part que c'est un auteur qui vous dit
27:20ce qu'il va falloir que vous achetiez pour ne pas vous ennuyer.
27:23L'idée, au fond, c'est de briser le mur de glace
27:27qui peut exister entre la lecture et les jeunes aujourd'hui
27:31afin de leur donner envie de lire
27:32et qu'avant de partir pour les grandes vacances,
27:35ils repartent chacun avec un livre.
27:37Voilà, alors ils vont repartir avec Louis Chevalier,
27:39les Jeux olympiques de la littérature,
27:41donc c'est publié dans l'édition Grasset,
27:44car je suis là aussi pour faire la promo
27:46et je le fais avec grand bonheur.
27:49Donc, Jérôme Prieur, Berlin, les Jeux de 36, la Liviothèque.
27:55Et alors, évidemment, la grande surprise, c'est Louis,
27:59car on découvre qu'il y a eu des Jeux olympiques de la littérature,
28:02qu'il y a eu des Jeux olympiques des arts, de la musique.
28:04Je voudrais terminer par le prix de la ponche
28:06qui a été donnée à Victor Pouchet pour l'option légère.
28:09Alors, c'est un roman, le thème est extrêmement classique,
28:12« Que serais-je sans toi ? », comme disait Raragon.
28:14La femme est partie, l'homme écrit avec l'espoir qu'elle revienne.
28:19Et c'est un roman-poème.
28:21C'est-à-dire qu'en fait, c'est 111 poèmes
28:24qui sont adressés justement à cette femme,
28:28à l'idée, et avec l'espoir qu'elle revienne.
28:31C'est publié chez Yalimar.
28:33– Mais c'est magnifique, je vous conseille.
28:35– J'étais ravi de vous recevoir tous les trois.
28:38Lisez ! J'essaye de faire comme vous, ma chère Elisabeth.
28:42Ciao.
28:43❤️ par SousTitreur.com

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