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Aujourd’hui dans « Les 4 V », Julien Arnaud revient sur les questions qui font l’actualité avec Pierre Moscovici, président de la Cour des Comptes.

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Transcription
00:00Pierre Moscovici dont la parole est attendue ce matin, bonjour, parce qu'évidemment le moment est extrêmement tendu, moment politique, moment financier.
00:10On va le voir avec vous. Le Premier ministre va sans doute utiliser un 49.3 cet après-midi pour faire passer le budget de la Sécurité sociale.
00:16Et il y aurait dans ce cas une vraisemblable motion de censure déposée après-demain qui pourrait bien être votée.
00:21Comment vous, Premier Président de l'accord des comptes, vous qualifiez la situation actuelle ? Est-ce que vous nous dites on est au bord du gouffre ?
00:28Je vais essayer d'être objectif. Je ne suis pas un acteur du débat politique ou en tout cas de l'avis politique.
00:33Donc j'essaie de voir ça avec un tout petit peu de distance.
00:35Disons que d'abord une motion de censure, ça existe, c'est prévu dans la Constitution.
00:39Il y en a même déjà eu une, c'est en 1962, le gouvernement Pompidou était tombé.
00:44À ce moment-là on avait renommé Georges Pompidou le lendemain, puis il y avait une dissolution.
00:47Ce n'est pas exactement la même situation, mais enfin ne le faisons pas non plus, comme si c'était je ne sais quel coup d'État.
00:52C'est inscrit dans nos institutions.
00:53Deuxième chose, c'est aussi un moment de la crise politique que nous vivons.
00:56La dissolution a accouché d'une chambre un peu introuvable tout de même,
01:00sans majorité, avec des contradictions et sans volonté de construction collective.
01:05Enfin, troisième chose, c'est vrai que ça a des conséquences.
01:08Ça a des conséquences sur la non-adoption du budget.
01:10Et moi ce qui me regarde comme Président de l'accord des comptes, c'est que je sais,
01:13c'est que je dis que notre situation financière aujourd'hui est dangereuse.
01:18Elle est préoccupante.
01:19Nous avons 3 200 milliards de dettes.
01:21Nous avons 110 % du PIB en termes de dettes publiques là où nos partenaires en 85.
01:27Nous sommes donc beaucoup plus endettés.
01:29Nous avons une charge de la dette, c'est-à-dire un remboursement de la dette annuelle,
01:31qui atteint l'année prochaine probablement 70 milliards d'euros.
01:34C'était 25 il y a trois ans.
01:36Et donc, il faut vraiment que nous réduisions nos déficits et que nous maîtrisions notre dette.
01:42C'est ça l'enjeu.
01:43Mais ça fait longtemps que vous le dites et vos prédécesseurs avant.
01:46Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui c'est encore plus grave qu'avant et encore plus dangereux qu'avant ?
01:49Nous avons quand même eu une accélération ces dernières années qui a été extrêmement vertigineuse.
01:54L'année 2024, celle dans laquelle nous sommes, je l'ai qualifiée d'année noire.
01:57Le budget le dernier a été voté avec 4,4 % du PIB, 128 milliards d'euros de déficit.
02:02Aujourd'hui c'est 6,1, c'est 180 milliards d'euros.
02:06On n'avait pas connu hors crise une telle situation.
02:10Donc il faut vraiment mettre le frein.
02:12Et l'objectif qui est fixé par le PLF, qui est examiné par l'Assemblée, 5 % de déficit,
02:18il doit être atteint, il doit être recherché en tout cas.
02:21Il faut s'approcher de cette grandeur-là parce qu'il faut donner le signe
02:25qu'enfin nous reprenons le contrôle de nos finances publiques.
02:28Et c'est vrai qu'avec une motion de censure, on entre dans une phase plus incertaine.
02:33Je ne la qualifierais pas de gouffre, non, mais incertitude sans aucun doute.
02:38Et l'incertitude c'est toujours en matière financière quelque chose qui est un peu préoccupant.
02:45Sur le risque de shutdown d'ailleurs, Marine Le Pen dit qu'il n'y a pas de risque de shutdown.
02:48Vous vous dites que ce n'est pas tout à fait juste, il y a quand même des risques.
02:51Alors le risque existe théoriquement, c'est-à-dire si on n'a pas de PLF du tout,
02:54de projet de loi de finances à la fin, effectivement les fonctionnaires ne sont plus payés,
02:57les prestations ne sont plus versées.
02:59Mais la Constitution et les lois organiques sont assez bien faites.
03:02Il y a des expédiants, notamment celui auquel on pense.
03:05Imaginons, il y a un 49-3, il n'y a plus de gouvernement, il n'y en aura un autre.
03:09Dans cette hypothèse-là, que je ne souhaite pas à titre personnel,
03:12à ce moment-là, vous avez ce qu'on appelle une loi spéciale,
03:14c'est-à-dire le Parlement vote, l'autorisation de prélever les impôts,
03:19et les dépenses sont exécutées sur la base des services votés, c'est-à-dire du budget de l'an dernier.
03:23Mais, ok, il n'y a pas de shutdown, mais c'est un expédiant,
03:27et c'est un expédiant qui a quand même des conséquences assez lourdes.
03:29Alors justement, ces conséquences lourdes, quelles sont-elles très concrètement pour les Français ?
03:33Par exemple, il y en a plein qui ne payent pas d'impôts, qui d'un seul coup vont en payer.
03:37C'est ça, comme le barème de l'impôt n'est plus indexé sur l'inflation, à ce moment-là,
03:41à peu près 400 000 foyers, qui sont pour le coup des foyers modestes,
03:47rentrent dans le barème de l'impôt, plusieurs millions voient leur impôt augmenter,
03:51donc ça c'est une première conséquence.
03:53Paradoxale, on parle du pouvoir d'achat, mais en fait, les Français ne vont être plus taxés.
03:56Deuxième chose, comme on fonctionne sur les dépenses de l'an passé,
04:01on ne peut plus engager de nouvelles dépenses.
04:03Je citerais par exemple les lois de programmation en matière de défense,
04:06en matière de sécurité intérieure, on ne peut pas.
04:08Dans un moment où le monde est quand même assez dangereux.
04:11Et puis troisième chose, la dette et les déficits ne sont pas réduits.
04:15Évidemment, on dépense moins parce qu'on n'indexe pas sur l'inflation,
04:19donc c'est 15 milliards d'euros d'économie, mais il en faut beaucoup plus.
04:22Et donc nos déficits continuent de croître.
04:24Alors ça, c'est les conséquences immédiates, ce qui veut dire que c'est un expédiant,
04:28et que si on a une loi spéciale, il faudra quand même assez vite avoir un vrai projet de loi de finances.
04:34Sinon, c'est très ennuyeux pour la situation de la France.
04:37Et les marchés, pardon de le dire, mais ce n'est pas un gros mot les marchés,
04:41il se trouve que comme nous sommes très endettés, nous émettons de la dette sur les marchés.
04:44Ce sont nos créanciers, ils nous regardent, et ils nous regardent un peu interloqués quand même.
04:48Effectivement, on va regarder ce qui se passe du côté des marchés.
04:51D'abord, vous parlez des conséquences, il y a aussi des conséquences pour les agriculteurs.
04:54Arnaud Rousseau, le président de l'agriculture, tire la sonnette d'alarme ce matin en disant
04:57il faut absolument un budget, sinon les aides, nous, on ne les touchera pas.
05:00C'est ça le message, il faut un budget.
05:03On évite le shutdown, ok, mais il faut un budget.
05:06Et c'est ce qui veut dire que début 2025, il faudrait à ce moment-là être capable de voter.
05:09Qu'est-ce qui aurait changé ?
05:11Si le scénario se passe comme on peut le prévoir, comme vous venez de nous le dire,
05:14est-ce qu'on peut craindre une hausse, une flambée des taux d'intérêt,
05:16qui coûterait des dizaines de milliards ?
05:18D'abord, je réponds à vos questions, mais je ne suis pas sûr du tout,
05:22et je ne crois pas d'ailleurs qu'il le faille, qu'à l'heure actuelle,
05:24la motion de censure soit votée.
05:26On a une semaine, il reste encore du grain à moudre.
05:29Vous dites quoi d'ailleurs à vos anciens amis socialistes ?
05:31Parce qu'eux, ils ont l'intention de la voter.
05:33Vous venez du PS, vous êtes un ancien ministre de l'économie et des finances de François Hollande,
05:36qui va voter cette motion de censure.
05:38Moi, personnellement, non.
05:40Je suis totalement sorti de cette affaire-là.
05:42Je peux avoir des convictions personnelles,
05:44mais le président de la Cour des comptes a un devoir de réserve.
05:46Il est assez logique finalement que la gauche dépose une motion de censure,
05:50elle le fait toujours.
05:51Donc ne soyons pas non plus dans je ne sais quelle naïveté.
05:55Ce qui est vrai depuis le début, c'est que ce gouvernement sait qu'il a besoin
05:59de la non-censure du Rassemblement national.
06:02Il n'y a pas de mystère.
06:03C'était dans l'équation de départ, on le retrouve à l'équation d'arrivée.
06:05Alors justement, on a toujours présenté Michel Barnier comme un habile négociateur,
06:08celui qui avait négocié le Brexit.
06:10Est-ce qu'il est un si bon négociateur que ça ?
06:12Puisqu'on voit qu'en réalité, c'est Marine Le Pen qui va mettre le pouce en l'air ou en bas,
06:17est-ce qu'il aurait dû, Michel Barnier, céder peut-être davantage aux exigences de Marine Le Pen ?
06:21Le journal L'Opinion ce matin dit que si on cède à tout, ça coûte 12 milliards
06:25et si on n'a pas de budget, ça coûtera beaucoup plus cher.
06:27Écoutez, ce que je sais, c'est que Michel Barnier est arrivé dans une situation très compliquée,
06:31qu'il a dû faire un budget en urgence.
06:33Ça, c'était une donnée de base, qu'il a tenté d'écouter et de négocier,
06:39qu'il est conscient qu'il faut baisser les déficits.
06:41Ça, ce sont des points qui, je dirais, jouent clairement dans la faveur du choix d'un homme d'expérience
06:47qui manifeste aussi un certain désintérêt, même s'il n'est pas apolitique.
06:51Des intérêts personnels, vous voulez dire, sur ses ambitions personnelles.
06:53Oui, il a l'âge qu'il a, comme il le dit lui-même, et ça lui donne un recul.
06:57En tout cas, il a été mon prédécesseur à la Commission européenne, je le connais bien,
07:00j'ai beaucoup d'estime pour lui.
07:02Mais il n'empêche que depuis le début, il y a une limite ou une hypothèque
07:05qui est qu'effectivement, il faut que le Rassemblement national ne censure pas ce gouvernement
07:09et il le savait, bien sûr, il le sait.
07:11Alors, Marine Le Pen, elle a dit, après la suppression de la hausse des taxes sur l'électricité,
07:16elle a dit que le Premier ministre ne compense pas ces manques de recettes,
07:19ce qui aggrave le déficit. Est-ce qu'elle a raison sur ce point ?
07:21Est-ce que vous dites que Michel Barnier aurait dû aller plus loin sur les économies ?
07:24Vous qui êtes Premier Président de la Cour des comptes et qui est alerté toujours sur les économies à faire.
07:28C'est un peu compliqué de demander des concessions qui dégradent le déficit
07:31puis ensuite de reprocher au gouvernement de ne pas le combler.
07:33Mais je veux prendre un petit peu de hauteur par rapport à ça.
07:36Il est toujours mieux, quand on veut maîtriser un déficit, de faire des économies en dépense.
07:41Toujours mieux. Parce que les impôts, on peut le faire une fois, mais deux fois, bonjour les dégâts.
07:45Puis ça a des conséquences sur l'économie.
07:47Là, comme c'était dans l'urgence, il est logique que le gouvernement ait fait pas mal d'impôts.
07:51Et puis en plus, il a eu une préoccupation qui est celle de la justice fiscale.
07:54Bon, ça c'est clair. Mais il faut qu'on bascule sur l'autre mode.
07:57Le mode économie en dépense. Parce que, je veux le dire aux Français qui nous écoutent,
08:01ce n'est pas une année difficile, c'est quatre ou cinq années d'efforts.
08:04On a eu une politique budgétaire très expansionniste pendant une petite décennie.
08:08Un peu moins d'ailleurs.
08:10Et maintenant, il faut que pendant quatre ou cinq ans, on réduise constamment les déficits.
08:14Et la seule façon de le faire, c'est des économies.
08:16Mais, et là Michel Barnier le sait, je le sais aussi, on ne fait pas d'économies comme ça.
08:21Parce que sinon, ça s'appelle du rabot, et c'est du service public en moins.
08:24Pour faire des bonnes économies, il faut y réfléchir, il faut les penser, il faut les appliquer.
08:28Et ça, c'est un exercice plus structurel, auquel d'ailleurs, la Cour des comptes,
08:32le Haut Conseil des finances publiques que je préside, sont prêts à prendre toutes leurs parts.
08:35L'alerte sonnée ce matin dans les 4V par Pierre Moscovici. Merci beaucoup.
08:39Merci à vous.
08:40Merci à vous deux, et merci à Vivien Fonvieil.