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Miguel Bonnefoy, écrivain, auteur de Le rêve du jaguar (Rivages), lauréat du Prix Femina 2024, est l'invité de Léa Salamé. Un prix qu'il rêvait d'avoir depuis dix ans, après voir été plusieurs fois finaliste. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mercredi-13-novembre-2024-4709725

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00:00Bonjour Miguel Bonnefoy. Bonjour. Merci d'être avec nous ce matin. Si vous étiez un pays, une langue et un poète, vous seriez qui, vous seriez quoi ? Un pays d'abord ?
00:10Un pays d'abord, je serais, vous pouvez imaginer le Venezuela qui est mon pays, c'est là où j'ai grandi en partie et qui est un pays explosif et doux à la fois,
00:21qui est un pays qui est volcanique et tendre, un pays de mangue et de bataille. Donc je pense en effet que je serai là-bas.
00:28Oui, un Venezuela que vous nous racontez dans le livre dont vous venez parler ce matin. Une langue ?
00:34Eh bien fatalement, mécaniquement je serai l'espagnol, qui est ma langue maternelle, c'est la langue avec laquelle je parle avec ma mère, avec mon père en famille,
00:44bien que j'ai appris le français et l'espagnol en même temps. En plus moi j'ai vécu aussi très longtemps au Portugal, puis j'ai vécu longtemps à Rome.
00:52Vous parlez combien de langues ?
00:54De façon très approximative, je parle le français, l'espagnol naturellement, le portugais je l'ai beaucoup parlé dans ma vie.
01:02Vous avez aussi écrit un livre en italien.
01:04Une réécriture du mythe du Minotaur, c'est l'anglais fatalement et puis il y a beaucoup de Danois autour de moi.
01:10On en est à six langues parlées et il y en a d'autres je pense. Et si vous étiez un poète ?
01:16Ça dépend bien entendu des moments de vie, mais en ce moment je suis beaucoup plongé dans les villes tentaculaires d'Emile Verharen,
01:26le poète belge, immense poète, qui a énormément écrit sur l'idée de l'artiste et l'artisan.
01:33C'est ce concept de poiesis, concept grec de l'artiste et l'artisan, c'est-à-dire qu'on est à la fois celui qui imagine une histoire et à la fois l'ouvrier qui l'écrit.
01:42Et cette espèce d'analogie entre le forgeron et le poète, elle m'habite beaucoup en ce moment.
01:50Comment dans un brasier d'or exalté, on peut jeter toutes les choses qu'on voit, les passions, les colères, les deuils,
01:55pour leur donner la trempe et la clarté du fer et de l'éclair ?
01:58Le fer et l'éclair, il y en a dans votre livre.
02:01Accoucher de soi-même en remontant aux origines, à ses racines, à son passé familial, c'est un peu l'histoire de votre livre.
02:08Le rêve du jaguar, paru aux éditions Rivage, qui vient de remporter le combo, le doublé.
02:13Vous avez le prix Femina 2024 et le grand prix de l'Académie française.
02:19Vous avez dit en recevant le Femina, ça fait dix ans que je rêve d'avoir ce prix. Pourquoi ?
02:25Et bien parce que depuis mon premier roman, Le voyage d'Octavio, que j'ai publié il y a dix ans, moi je suis arrivé en France en 2013, en mars 2013.
02:34Hugo Chavez venait de mourir et j'ai pris un avion. Deux semaines plus tard, j'étais à Paris au Salon du Livre.
02:40Et là, j'ai rencontré mon éditrice, Émilie Colombani, qui est la sentinelle, qui est la gardienne de mon travail, avec qui j'ai tout fait.
02:48Et les victoires se vivent seules, mais on oublie trop souvent quels sont les résultats d'un travail qui est collectif, d'un effort commun.
02:54Et Émilie, diamant parmi les diamants, a vraiment fait partie de ces femmes qui ont su me guider comme une boussole dans la grande mer, dans le grand océan de la littérature.
03:02Ça fait dix ans que vous rêviez d'avoir le féminin ?
03:04Et oui, en quelque sorte, bien sûr, car j'avais souvent été finaliste, parce que les dames du féminin avaient toujours été très généreuses à mon égard.
03:11Et je pensais que c'était un prix qui pouvait me donner une sorte de belle lumière pour un travail aussi où je mets beaucoup les femmes en avant.
03:21C'est vrai, il y a beaucoup les femmes, il y a les hommes aussi. Le rêve du jaguar est une saga familiale flamboyante, foisonnante, tropicale, sensuelle.
03:29Elle raconte l'histoire de votre famille sur trois générations entre le Venezuela, le Chili et la France.
03:34Une histoire extraordinaire, hors normes, mêlée de mythologie et de légende.
03:39Les deux véritables héros de ce livre-là sont Antonio et Anna Maria, vos grands-parents nés dans la misère.
03:46Ils vont à force de persévérance, de travail et d'amour, parce que c'est aussi une très belle histoire d'amour,
03:51devenir médecins, chirurgiens, gynéco pour elles, créer des universités, des écoles à Maracaibo, cette ville d'où ils viennent.
03:59Il y a aujourd'hui une statue de votre grand-père Antonio dans cette ville de Maracaibo.
04:04Un quartier même qui porte son nom et une rue, une rue très importante qui porte son nom.
04:09C'est dans cette rue qu'il est né vers 1910, bébé abandonné à son troisième jour par ses parents sur les marches d'une église.
04:19Absolument, c'est le récit familial, c'est la légende familiale, c'est le mythe qu'on m'a toujours raconté.
04:25Votre grand-père avait été abandonné au troisième jour sur les marches d'une église ?
04:29Exactement, sa mère, il semblerait qu'elle était morte en couche, parce qu'ensuite ils ont repris les origines.
04:34Son père était un marin qui avait complètement disparu et qui au troisième jour de sa vie a abandonné cet enfant à la misère, à la pauvreté.
04:40Il a été recueilli et élevé par une dame qui s'appelait Teresa, mais que tout le monde appelait la Muda Teresa.
04:46Muda veut dire muette en espagnol parce qu'elle avait des trous d'articulation.
04:49Femme muette, femme miséreuse, enfance miséreuse et alors il va grandir dans un bordel au milieu des prostituées.
04:59C'est ça aussi que raconte la légende familiale ?
05:02Absolument, mais c'est documenté parce qu'il y a deux biographies sur lui qui ont été écrites.
05:07Une fois qu'il était couvert d'or, de gloire, dans la lumière violente de la gloire, comme disait Borges,
05:12il a eu des journalistes qui ont écrit deux livres sur lui où il est beaucoup revenu sur cette époque du majestic,
05:18mais il y a été pendant des années.
05:20Il récurait les casseroles, il changeait les draps, il changeait l'huile des lampes,
05:26il s'occupait des petites affaires pour pouvoir s'assurer que le ménage était bon, que l'hygiène était correcte.
05:33L'hygiène des femmes dont il sera ami, qu'il aimait bien.
05:37Il aura sa première histoire sexuelle avec une prostituée.
05:40Absolument, lui qui sera chirurgien, cardiologue plus tard, il y a peut-être là les racines,
05:46les débuts d'une découverte de l'anatomie humaine, enfin le corps, toujours le corps qui revient.
05:51Et lui était très sportif aussi, donc il y a quelque chose aussi.
05:53Et très touchant puisque la prostituée qu'il aimait bien, lui prend sa virginité,
05:59et la deuxième fois quand il y va, elle lui dit « Ah non mon coco, maintenant t'es un homme, il va falloir payer désormais ».
06:04Les affaires sont des affaires, c'est comme on dit.
06:07Plus tard, à l'école, il rencontrera une jeune fille, Anna Maria, dont il tombe amoureux, mais elle, elle le snobe.
06:12Elle lui dit « Je n'aimerais que l'homme qui me racontera la plus belle histoire d'amour ».
06:16Sauf qu'il n'en connaît pas, lui, des histoires d'amour.
06:18Il a été rejeté, abandonné, orphelin, grandi au milieu d'un bordel, donc c'est pas forcément le lieu de l'amour.
06:24Du sexe, oui, mais pas de l'amour.
06:26Il fait quoi alors ? Il fait quoi pour la séduire, Anna Maria ? Parce qu'il ne connaît pas d'histoire d'amour.
06:31Exactement, comme il ne sait rien à l'amour, puisque la seule chose qu'il connaît, c'est les gâteries, les ardeurs et les aspects félins de l'amour.
06:42Eh bien, il décide de prendre deux tabourets, un carré de carton, se rend à la gare routière de Maracaï,
06:49qui est la grande fourmilière de la région où passe tout le monde, et écrit sur le carton « Ercucho historias de amor », j'écoute des histoires d'amour.
06:58Il s'assoit sur le tabouret et attend.
07:00Et les gens ?
07:02Exactement, un premier passant, un premier voyageur arrive et dit « Moi, j'en connais une ».
07:05Eh bien, asseyez-vous, Monsieur, racontez-la-moi.
07:07Il se met à la noter, puis la deuxième, puis la troisième, puis la quatrième.
07:10Et au bout d'un moment, une file de gens sont devant lui, qui lui livrent, lui déversent comme dans un torrent de roses rouges,
07:17mille histoires d'amour qu'il note dans le carnet.
07:20Et ensuite, retrouve Anna Maria sous un manguier, lui pose sur les genoux ce carnet et lui dit
07:26« Je ne connais pas la plus belle histoire d'amour, mais en voici mille, je te propose qu'on écrive la nôtre ».
07:33C'est fou, vous connaissez votre texte par cœur, c'est quasiment récité.
07:37Elle aussi, Anna Maria, aura un destin à votre grand-mère exceptionnelle.
07:40Elle deviendra la première femme médecin-gynécologue de cette région du Venezuela.
07:43Elle aura une renommée dans toute la région, tant elle s'est battue pour les femmes, pour le droit à l'avortement, qui était évidemment interdit.
07:51Et puis, elle aussi, il y a une histoire tellement belle.
07:54Franchement, ces mille histoires tellement belles voyagent avec vous, ça fait un tel bien, vous n'imaginez pas de lire votre livre.
08:01Sa scolarité, elle se fait virer de son école de religieuse parce que la directrice écrit à son père un mot, une lettre.
08:07« Votre fille est un génie, elle n'a rien à faire chez nous, instruisez-la vous-même ».
08:13Et elle grandira toute sa vie avec cette phrase « Ma fille est un génie », « Anna Maria est un génie ».
08:19Et ça lui donnera l'assurance pour devenir médecin et pour monter et gravir des montagnes.
08:24Sauf qu'à la mort de son père, elle retrouve la lettre. Et qu'est-ce qu'il y avait écrit sur cette lettre ?
08:29Il y a écrit « Votre fille est une idiote, elle n'a rien à faire chez nous, éduquez-la chez vous ».
08:35Et j'aimais beaucoup cette idée de ce père qui, brusquement, en ouvrant un mot envoyé par la prof à son enfant, lit en silence « Votre fille est une idiote »
08:48et se dit « Mais ça c'est une prophétie autodestructrice. Si je dis ce mot, il va devenir une sorte de sceau, une sorte de marque, une sorte de blessure secrète, une cicatrice. »
08:59Comme dans tout enfant qui va rester là et ça va la briser et elle va se convaincre elle-même qu'elle est une idiote.
09:05Alors qu'au contraire, si on est dans la prophétie autorisatrice, et ceci s'applique à tous les parents qui parlent à tous leurs enfants,
09:11de leur dire « Tu es un génie, tu es un génie, tu es un génie », au bout d'un moment ils finissent par s'en convaincre.
09:16Même s'il ne l'est pas, il le devient.
09:18Ma mère, que j'appelle Venezuela dans le livre, mais qui s'appelle réellement Maria Antonieta, que tout le monde appelle Maranto,
09:26toute mon enfance m'a fait répéter la même phrase.
09:30Elle venait me voir et elle me disait « El mundo es nuestro » et moi je devais lui répondre « Tiembla tierra »
09:36C'est-à-dire, elle me disait « Le monde est à nous » et moi je devais lui répondre « Tremble, terre. »
09:42Donc elle vous a donné la confiance, cette mère, de vous aussi gravir les montagnes,
09:49et d'oser écrire des livres, et raconter, devenir un écrivain, d'avoir l'audace d'être un écrivain.
09:57Cette mère dont vous dites, le mot est très beau, qu'elle est une femme tropicale.
10:04Et c'est vrai parce que c'est un troisième personnage, parce que c'est sur trois générations.
10:08Donc il y a Antonio et Ana Maria les grands-parents, il y a leur fille, Venezuela, vous l'appelez comme ça,
10:13dont le rêve est d'aller vivre à Paris depuis qu'elle est petite, et puis elle va prendre son risque et y aller.
10:18Une femme tropicale, c'est quoi une femme tropicale ?
10:23Et bien parce qu'elle a quelque chose d'exubérant, elle a quelque chose comme ça de wagnerien,
10:29elle a quelque chose qui est baroque, qui est rococo.
10:32Et je pense que si ma mère était une fleur, elle serait sans doute un rhododendron.
10:36Vous voyez, c'est-à-dire quelque chose comme ça, de gonflé, de riche, plein de mille petites fleurs.
10:42De gourmand.
10:43Exactement, absolument gourmand.
10:44Comme votre écriture.
10:45Et bien vous voyez, finalement, on écrit ce qu'on est et on écrit aussi les livres qu'on aime lire.
10:51Je me souviens qu'un écrivain m'avait demandé une fois, est-ce que tu achèterais ton propre livre en librairie ?
11:00Est-ce qu'en rentrant dans une librairie, tu achèterais réellement ton propre livre ?
11:03Et il me disait, et l'honnêteté de ne pas me répondre à moi, mais réponds-toi à toi-même, dans l'obscurité de ta chambre,
11:09en écrivant, est-ce que vraiment tu achèterais toi-même cette propre page ?
11:13Et bien, je ne sais pas, naturellement, je suis un juge très sévère de mes propres textes
11:18et je suis convaincu que tous mes livres sont imparfaits, incomplets et que mes meilleurs livres sont encore à venir.
11:23J'en suis vraiment convaincu.
11:24Je n'ai pas encore écrit les livres pour lesquels je suis né.
11:29Je pense que j'irai vers ce type de littérature où elle me plaît.
11:34Oui, et c'est vrai qu'elle est loin, cette littérature de la littérature française qu'on lit aujourd'hui, contemporaine, qui est très sèche parfois.
11:45Il y a de très beaux livres, mais c'est le minimum, on restreint, on va à l'os.
11:52Pour vous, on respire, c'est vivant, c'est vibrant, c'est foisonnant, c'est luxuriant.
11:58C'est une écriture García Marquésienne, vous l'y dites mieux que moi, mais en même temps, il y a du Flaubert aussi.
12:07Il y a du français, ce n'est pas que de l'Amérique latine.
12:10Enfin, il y a quelque chose de très particulier, je crois qu'on appelle ça un style qui est le vôtre et qui fait du bien en ce moment.
12:17Dans votre livre, j'ai pensé à un grand architecte italien qu'on a reçu il y a quelques semaines, ici à la Matinale d'Inter, il s'appelle Renzo Piano,
12:23où à 87 ans, il nous disait qu'au fond, à la fin des fins, on n'est que la somme de ce qu'on a vécu, des gens qu'on a rencontrés,
12:30et que nous, en tant que nous, on n'existe pas. Écoutez-le.
12:34Vous savez, à cet âge-là, l'âge grand, vous comprenez une chose, vous n'existez pas.
12:39On n'existe pas, on est la somme de toutes les personnes qu'on a aimées.
12:44Les livres qu'on a lus, les films qu'on a regardés, les voyages qu'on a faits, les amours qu'on a eus.
12:53On est ça. Et ce génie qui était Luis Borges, il écrivait que la vie est un petit peu suspendue entre le souvenir et l'oubli.
13:05On se souvient de tout ça. Et on l'oublie aussi. On a oublié. Vous avez ça dedans, et ça sort.
13:13Et ça, c'est bon, magnifique. C'est même une petite immortalité, je crois.
13:20Vous êtes d'accord avec lui ?
13:22Oui, c'est très beau. Et je suis mille fois d'accord qu'on est ce qu'on lit, on est ce qu'on voit, on est les gens qu'on aime, on est les gens avec qui on parle.
13:30On est le temps qu'on utilise à faire telle et telle chose.
13:35Si on passe sa vie à regarder Instagram et à regarder des séries, fatalement, lorsqu'on aura une conversation avec quelqu'un, ce sont les seules références qu'on aura.
13:43Si on passe beaucoup plus de temps à lire, à voyager, à écouter l'autre, mécaniquement, on finit par avoir davantage d'informations qui sont sans doute dans un éventail beaucoup plus riche.
13:53Oui, mais ça demande un effort. C'est ce que vous répondent les jeunes aujourd'hui. Ça demande un effort. C'est plus facile d'aller sur les réseaux que d'ouvrir un livre.
13:59Alors que vous, qui êtes née, qui avez énormément voyagé dans votre vie, puisque votre mère était attachée culturelle et votre père romancier, qui avait vécu dans plein de pays,
14:08vous dites que la lecture, ça ne permet pas de voyager. Mais la lecture, c'est un refuge au chaos, justement. Au chaos du monde.
14:16Tout à fait. Pour un enfant, un adolescent comme moi, qui était un enfant du voyage, qui s'est retrouvé à être déraciné, parce que j'étais fils de diplomate de pays en pays, de frontières en frontières, de ville en ville,
14:25mais aussi de langue en langue, d'idiosyncrasie en idiosyncrasie, de syncrétisme en syncrétisme, j'avais l'impression d'être souvent déboussolé, d'être déraciné dans un lieu, d'être replanté ailleurs.
14:37Et de me perdre parfois dans les repères. Et en effet, je sais que certaines pages de livres, certains poèmes, certaines biographies ont été pour moi comme des mâts.
14:49Comme le mât d'Ulysse, qui s'attache pour être sûr de ne pas aller vers les sirènes, ça a été des repères, ça a été des havres, des refuges.
14:57Et je savais que les pages de García Márquez n'allaient pas changer si j'étais à Lisbonne ou si j'étais à Rome, et que dans 200 ans, le sonnet en X de Malarmé serait le même.
15:06Votre mère est un être tropical, vous aussi, il y a quelque chose de tropical et d'européen chez vous.
15:14Cette double culture que nous entendons ce matin et que vous exaltez et qui est belle, mais qu'on n'a plus trop le droit de dire.
15:22On va le dire en chuchotant, la double culture, c'est une richesse, mais pas trop en ce moment.
15:29Vous savez, c'est le repli sur soi, on a peur de l'autre, le rejet, c'est le patriotisme.
15:34Alors est-ce que vous pouvez dire que ça reste une richesse ?
15:37Je suis un homme métissé, je suis un homme de croisement, je suis quelqu'un qui a énormément voyagé et donc je me suis rendu compte que la force des frontières, c'est qu'elles sont poreuses.
15:48Je vis avec une danoise, mes filles ont trois nationalités, parlent trois langues, elles seront donc des filles de la tolérance et c'est les filles de demain.
15:56Et dans un monde où Trump gagne, dans un monde de xénophobie, dans un monde de racisme et dans lequel il y a des lois migratoires qui sont sévères,
16:04je pense qu'une littérature qui essaye justement de faire fondre dans un même creuset plusieurs cultures et se rendre compte que les mythes, les douleurs, les passions, les beautés, les deuils sont plus ou moins les mêmes.
16:19Elles sont universelles, parce que c'est votre famille vénézuélienne mais elle aurait pu être une fois une famille française où ça ressemble aussi à la famille marocaine de Layla Slimani.
16:27C'est-à-dire qu'on apprend, on découvre un pays mais c'est vrai que ça nous parle à nous tous, même si on ne vient pas du Vénézuélien, même si on n'a jamais mis les pieds.
16:35C'est tout à fait ça. Et Antonio Borja Romero, le personnage du livre, pourrait porter mille noms. Anna Maria pourrait porter mille noms également.
16:43Votre père a fui le Chili, il a été accueilli par la France et vous dites, je suis le fruit aussi de cette... et il a été le fruit d'un exil, certes, mais de la générosité de la France.
16:52Absolument. Mon père est Chilien, né à Santiago et quand il avait 17 ans, il est rentré dans les mouvements d'extrême-gauche révolutionnaire, le MIR.
16:58Il a été arrêté, torturé par la dictature de Pinochet dans un endroit qui s'appelle Villagrimal, qui est un centre de torture, puis envoyé en prison.
17:04Et dans les années 70, il est arrivé en France en tant que réfugié politique, en asile politique et on lui a donné un numéro de sécurité sociale, on lui a donné une maison, on lui a donné la possibilité d'une vie.
17:14Il a rencontré ma mère ici et c'est la raison pour laquelle aujourd'hui je vous parle en français.
17:18Donc vous pouvez imaginer que, étant un fils de réfugié politique, étant le fils d'une France qui a ouvert ses bras, d'une France qui a su accueillir et qui a su se rendre compte que,
17:27dans tous ces bateaux qui étaient en train d'arriver avec des ex-torturés et avec des migrants, il y avait là des petits Mozart, des petits Beethoven, il y avait là des petits Romagary, il y avait des Nabokov, il y avait des Beckett.
17:38C'est-à-dire qu'il y avait des personnes qui pouvaient humblement, avec leur force, contribuer au patrimoine culturel de la France.
17:46Et en ce sens, lorsque la France est généreuse, elle finit par s'alimenter et se nourrir et on ne lui ôte rien.
17:53Ne le dites pas trop fort.
17:55Les impromptus pour terminer, Miguel Bonnefoy.
17:58Garcia Marquez ou Pessoa ?
18:01C'est dur.
18:03C'est comme demander qui tu préfères, t'as ta mère ou ton père.
18:05Alors ?
18:07Vraiment, j'aurais beaucoup de mal à choisir.
18:11Alors Malarmé ou Baudelaire ?
18:15Alors Malarmé.
18:17Balzac ou Flaubert ?
18:19Flaubert.
18:20Houellebecq ou Despentes ?
18:21Despentes.
18:22Céline ou Hugo ?
18:23Hugo, de loin.
18:25Qu'est-ce qui vous indigne ?
18:27Dans la vie, en général, l'indolérance.
18:29Vous votez ?
18:30Oui, naturellement.
18:31Dans quel pays ?
18:32Je vote en France, je suis français.
18:34Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
18:37La fraternité.
18:38La dernière fois que vous avez pleuré ?
18:40Quand la naissance de mes filles.
18:43Et Dieu dans tout ça ?
18:44Dieu, je suis un athée ivre de Dieu.
18:48Il y a des chamanes dans votre livre.
18:50Il y a des mythes.
18:51Il y a le Fatoum, le Maktoum.
18:54Le Hananeke.
18:55Il y a beaucoup de choses.
18:57Le livre s'appelle Le rêve du Jaguar.
18:59Prix Féminin 2024.
19:01Grand prix du roman de l'Académie française.
19:03Et merci beaucoup, Miguel Bonnefoy.
19:05Votre livre, on le dévore.
19:07Quand je l'ai refermé, je n'avais qu'une seule envie.
19:09C'est de lire tous vos autres livres.
19:11Vous n'avez jamais rien lu de vous.
19:13C'est toujours un bonheur de découvrir un nouvel écrivain.
19:16Merci infiniment.
19:17C'est merveilleux.
19:18Merci beaucoup.
19:19Merci bien.
19:20Merci.

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