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Xerfi Canal a reçu Marius Bertolucci, maître de conférences à l‘Institut de Management Public et de Gouvernance Territoriale à Aix-Marseille Université, pour parler de l'homme diminué par l'IA.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour, Marius Bertolucci.
00:11Bonjour, Jean-Philippe Denis.
00:12Marius Bertolucci, maître de
00:13conférence, Institut du
00:14Management Public et Gouvernance
00:15Territoriale, ex-Marseille
00:17Université, auteur aux éditions
00:19Hermann de L'Homme diminué par
00:20l'IA, un ouvrage
00:23absolument passionnant et qui doit
00:25être, qui doit faire
00:26débat, qui doit faire débat.
00:28Vous défendez des thèses très, très
00:29fortes dans cet ouvrage qui vient
00:31de remporter le prix Jacques Ellul
00:322024.
00:34Et enfin, vous êtes secrétaire
00:35générale de la Société
00:35Philosophie et Sciences de Gestion,
00:37la SPSG.
00:39Très belle recension de votre
00:41ouvrage en la revue Esprit par
00:42Annaëlle Martin.
00:43Je cite, petit passage,
00:45les nouvelles générations exposées
00:47en permanence aux stimuli des
00:49smartphones et sous l'emprise des
00:50réseaux sociaux montrent une
00:52grande vulnérabilité psychologique
00:54en intestent les taux de suicide,
00:55le cyber harcèlement et les
00:57troubles de dysmorphie corporelle.
00:59C'est ça l'homo algorithmus ?
01:01Oui, ça méritait au moins d'être
01:04élevé, l'algorithme, à côté du
01:05genre homo, parce que
01:07après l'homo economicus, après un
01:09monde où l'économie a été le
01:10facteur social total, désormais,
01:12c'est l'algorithme qui fait nos
01:14comportements, qui fait notre
01:15rapport à soi.
01:18Michel Desmourgers a une formulation
01:19qui est terrible, mais qui je trouve
01:20magnifique. Il nous dit, quand on
01:21nous pose la question, qu'est-ce
01:22qu'un crétin digital ?
01:23Il dit, c'est un
01:25enfant dont on a privé des
01:27possibilités de déployer son
01:28humanité par une surexposition
01:30aux écrans, la possibilité de se
01:31concentrer, de développer des
01:32émotions, etc.
01:35Vous avez évoqué les dysmorphies.
01:36Je lisais les études sortant des
01:38cabinets de chirurgie aux Etats-Unis
01:40et on voit que désormais,
01:41particulièrement les plus jeunes,
01:43viennent dans les cabinets, non pas
01:44avec une photo de star, comme
01:46avant, une photo de Brad Pitt, mais
01:48avec un égoportrait, pour ne pas
01:50dire selfie, de soi, modifié
01:52par les algorithmes.
01:53Et les chirurgiens disent, mais ces
01:54jeunes patients, clients plutôt,
01:56n'arrivent pas à se regarder dans un
01:57miroir pour dire ce qui ne va
01:59pas. Ils n'arrivent même plus à se
02:01regarder. Et donc, je considérais
02:03qu'il fallait parler du stade du
02:04smartphone. À la suite de Lacan,
02:05qui évoquait le stade du miroir,
02:07la construction du jeune enfant,
02:08grâce au miroir, désormais, on
02:10construit non pas seulement
02:12sa psyché, mais aussi son physique,
02:14son visage, par
02:16l'image que l'algorithme nous
02:17renvoie, image inatteignable.
02:19Car si Brad Pitt était difficile à
02:20atteindre, à minima, c'était un
02:21être humain. Désormais, la
02:23dysmorphie Snapchat, c'est la mode
02:25d'un algorithme qui
02:27provoque un tel mal-être,
02:29particulièrement chez les plus
02:31jeunes générations.
02:32Quatre blessures narcissiques qui
02:34nous amènent au CIPCOG.
02:36Voilà, le CIPCOG, cet
02:38homme diminué, le CIPCOG,
02:40cousin dégénéré du cyborg.
02:42Exact.
02:43J'adore ce genre de formule.
02:45Quatre failles narcissiques après
02:46les blessures coperniciennes,
02:48darwiniennes et freudiennes
02:49infligées par la science.
02:51L'être humain doit désormais
02:52composer avec intelligence
02:54artificielle.
02:55Oui, cette quatrième blessure
02:56narcissique, c'est le philosophe
02:57Marc Alizar qui récemment
02:59l'a développé.
03:00Et je tiens à dire que c'est peut-être
03:02la blessure narcissique de trop.
03:05Prenons un exemple, Lysidol,
03:07qui est le chercheur, le grand
03:08joueur de Go,
03:11qui a perdu contre AlphaGo en
03:122016.
03:13Immédiatement, il dit, bon,
03:15je vais continuer à jouer au Go.
03:17Sauf que deux ans plus tard, il
03:18annonce, même si je redeviens le
03:20numéro un mondial, je sais qu'il y
03:22aura toujours une entité plus forte
03:23que moi. Donc, qu'est-ce qu'il fait ?
03:24Il s'en va, il s'en va.
03:26Et d'ailleurs, dans le documentaire
03:27où on voit tout ce processus, on
03:28voit qu'il porte sur ses épaules le
03:30poids du monde.
03:31Il porte l'humanité.
03:32Il porte un des quatre arts nobles
03:34qu'est le Go, qui est humilié
03:36par la machine.
03:37Et là, je crois que c'est l'humanité
03:39parce qu'il ne restait plus grand
03:40chose comme dignité à l'homme.
03:41S'il n'y avait plus un discours
03:42divin pour nous assurer de notre
03:44grandeur dans ce monde, ni un
03:46discours issu des lumières, parce
03:47que les lumières s'éteignent à
03:48cause de l'IA. Je reprends une
03:49formulation de Rick Isinger, qu'on
03:51n'attendrait pas sur ce sujet-là,
03:52mais qui pourtant a vraiment pris le
03:53sujet à bras le corps depuis 2015
03:56jusqu'à sa mort récemment.
03:57À 92 ans, il découvre l'IA et il
03:59décide de combattre en la matière.
04:01Et donc, il nous restait
04:02l'intelligence à minima.
04:03Nous étions l'entité, l'espèce
04:05la plus intelligente
04:07de l'univers. Mais désormais, c'est
04:08remis en question.
04:10Beaucoup de points évoqués dans
04:12votre ouvrage.
04:13Outre cette quatrième blessure
04:15narcissique, une
04:16gouvernementalité algorithmique
04:19finalement évoluée dans un monde
04:21dataifié.
04:22On en est là, la religion des
04:24data, l'alliance
04:27d'un fanatisme computationnel
04:29et d'un capitalisme pulsionnel.
04:32Et tout ça qui nous amène tout
04:33droit vers une noblesse
04:33algorithmique.
04:35Quelques-uns, quelques seigneurs.
04:38Oui, de moins en moins nombreux.
04:40Exactement. Arthur Mensch de
04:41Mistral.ai disait récemment sur
04:42France Culture qu'il estimait
04:44à peu près à 1000 personnes en
04:46capacité de créer ces meilleures
04:48IAs. Donc, si on prend un peu de
04:49chose près, les personnes qui
04:50gravitent autour, peut-être qu'on
04:51est à 20 000, 30 000 personnes.
04:53Ce qu'il appelle la noblesse de
04:54l'algorithme, parce que la caste
04:55des managers va être balayée par
04:56l'IA, on a déjà des PDG qui sont
04:58des IAs.
04:59Et donc, ces personnes-là même de
05:00gérer ces algorithmes-là, qui
05:01élèvent leurs enfants sans
05:03écran et qui les protègent de
05:04cela. Donc, dans des écoles
05:05spécialisées, ils ont conscience
05:07que ces systèmes-là sont
05:08néfastes parce qu'ils le font
05:09pour que ça rende addictes les
05:10personnes. Ils savent très bien
05:11ce qu'ils font, ces gens-là.
05:12Et donc, cette noblesse
05:14de l'algorithme va se séparer
05:16du corps social d'autant plus
05:18que par sa capacité psychique et
05:19même physique, parce qu'une
05:20étude récemment a montré que les
05:21jeunes Français ont perdu 80
05:23pour cent de capacité physique par
05:25rapport à des enfants de, je
05:27crois, d'une génération, d'il y a
05:2815 ans. Donc, nos corps sont
05:30diminués, nos psychés sont
05:31diminués. Cette noblesse de
05:33l'algorithme-là fait
05:34sécession, la sécession des
05:35élites. Je crois que là, elle
05:36marche à plein régime.
05:38La lucidité et la blessure la
05:40plus rapprochée du soleil, dans
05:41le genre, vous êtes pas mal
05:42blessé quand même.
05:44Mais la blessure est restaurée
05:45par la force, je l'espère.
05:46C'était du René Char.
05:48Merci à vous, Marius Bartolotti.
05:50C'est passionnant, L'homme
05:51diminué par l'IA, édition
05:52Hermann.
05:53Merci, Jean-Philippe Denis.

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