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Xerfi Canal a reçu Marius Bertolucci, maître de conférences à l‘Institut de Management Public et de Gouvernance Territoriale à Aix-Marseille Université, pour parler de l'IA et des sciences de gestions.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour au prix Jacques Ellul 2024.
00:11Oui.
00:12L'homme diminué par l'IA, Marius Bertolucci, édition Hermann, félicitations Marius Bertolucci.
00:17Je vous remercie.
00:18Vous êtes maître de conférences à l'IMPGT, l'Institut de Management Public et Gouvernance
00:22Territoriale d'Aix-Marseille Université, un très bel ouvrage, édition et donc un
00:27prix parfaitement mérité.
00:29Évidemment, l'homme diminué par l'IA, tout est dit dans le titre, et vous développez,
00:35et de quelle manière ? Mais j'ai envie de vous poser une question, vous êtes chercheur
00:39en sciences de gestion et du management, Marius Bertolucci, et donc on se pose beaucoup de
00:42questions sur ce que l'IA va faire à la science, j'ai envie de vous poser la question
00:45de savoir ce que ça va faire aux sciences de gestion et du management.
00:48Oui, je consacre dans mon ouvrage un grand chapitre aux sciences et bien sûr j'évoque
00:53les sciences humaines et sociales et également les sciences de gestion.
00:56Ce que ça va faire, l'apocalypse.
00:59On est passé de la théorie à la corrélation, pourquoi ? C'est parce qu'à l'ère post-moderne,
01:06nos sciences n'ont plus de grands discours pour les légitimer.
01:08Si on fait un petit pas en arrière, pensons à Descartes, Descartes est dans les principes
01:13de la philosophie, l'image du savoir, toute la philosophie comme un arbre, le tronc étant
01:18la métaphysique, les racines pardon, le tronc la physique et les sciences, trois grandes
01:23branches, mécanique, morale et médecine.
01:26L'ensemble était structuré, était enraciné.
01:29Mais vient la post-modernité avec Lyotard 79 et il nous montre bien que désormais la
01:35science n'a plus un discours de légitimation et d'ailleurs la science, dès le départ,
01:38est en conflit avec les mythes, avec les grands récits qui la légitiment.
01:42Quelque part, la science a scié la branche sur laquelle elle était assise.
01:45Et donc ça, c'est le contexte assez global.
01:48Les sciences de gestion, avant d'y venir, je tiens à rappeler qu'en 2008, il y a un
01:51article extraordinaire dans la revue Wired de Chris Anderson qui nous dit, mais je dirais
01:56en français, je le critique en français, la fin de la théorie, le déluge des données
02:00rend la méthode scientifique obsolète.
02:02Je crois que profondément, nous y sommes et ça a un effet pour nous chercheurs en
02:06gestion.
02:07Un effet assez inquiétant.
02:10Alors finalement, ça veut dire risque d'obsolescence, ça veut dire dans les pratiques de construction
02:15de la connaissance, le rôle des revues, on l'a tous en tête.
02:18Oui, bien sûr.
02:19On sait que toutes les revues sont en panique là.
02:21Est-ce que Chad JPT est co-auteur ? Est-ce que vous avez écrit votre article avec Chad
02:24JPT ? Enfin voilà, c'est la panique générale.
02:26Science et Nature et d'autres ont suivi, ont écrit, on ne veut pas de Chad JPT dans
02:30les articles, mais ils ne le sauront pas.
02:32Wiley récemment a supprimé, je crois, un nombre très important de revues de son catalogue
02:38parce qu'ils se sont rendus compte qu'il y avait trop d'articles publiés et qu'en
02:42gros, on laissait faire.
02:43Il y a vraiment des catastrophes.
02:44Mais que pèsent nos méthodologies et nos revues face à la puissance algorithmique ?
02:48Quand on sait que les data brokers ont entre 5 000 à 30 000 points donnés par européen.
02:52Quand Anderson nous disait qu'avec les pétaoctets, la corrélation suffit, maintenant,
02:57on est à l'hexaoctet.
02:58On était en 2008.
02:59Le monde a inévitablement changé.
03:00Je crois que, et là, je cite pour le coup l'ouvrage, la démonstration par les causes
03:05cède la place à la monstration par les corrélations.
03:07Donc, il est vrai que la théorie et toutes nos habitudes, nos méthodes, me semble-t-il,
03:11deviennent obsolètes.
03:12C'est ce qui est très plaisant dans votre ouvrage, c'est ce qui est paniquant et très
03:14plaisant, c'est qu'il n'y a pas d'espoir, en fait.
03:18Il n'y a que du réel.
03:19Je dis souvent que je ne suis pas là pour apporter la violence et la violence, c'est
03:23le réel.
03:24Si on prend l'exemple de gestion, il va falloir supporter le fait que, déjà, Chathgpt est
03:28un très bon analyste de données qualitatives.
03:30Il fait des analyses Monte-Carlo, Random Forest, des choses assez compliquées, d'ailleurs
03:35que je ne maîtrise pas en tant que chercheur qualitativiste, mais le qualitatif n'est
03:38pas à laisser de côté.
03:39Science, en septembre 2023, il faudrait quand même prendre acte, nous sommes actuellement
03:44en 2024, en juin.
03:46Science nous dit en 2023, en septembre, qu'on n'a plus besoin d'avoir des êtres humains
03:50pour faire des sciences sociales parce que l'LLM copie parfaitement le comportement
03:53humain.
03:54Depuis, les études ont montré que c'est bien le cas et les études sont publiées
03:57en simulant le comportement humain.
03:58Mais là, on est du côté des chercheurs.
04:00Si on prend Culture Pulse, qui est une start-up qui est mobilisée par l'ONU, d'ailleurs,
04:04pour gérer ce qui se passe dans le monde, Culture Pulse, il simule le comportement de
04:08plusieurs millions de personnes.
04:10On a des acteurs économiques qui simulent des pays entiers, des secteurs d'activité
04:17entiers.
04:18Donc, qu'est-ce que nous pesons, nous, avec nos quelques dizaines d'entretiens, au
04:22mieux, nos quelques centaines de questionnaires ? Je crois qu'on pèse plus grand-chose.
04:27On pèse plus grand-chose.
04:29Donc, l'obsolescence est là.
04:32Oui, mais en même temps, on l'a bien mérité, car les centres de gestion naissent dans
04:36l'atelier pour l'atelier, c'est Taylor, bien sûr.
04:39Sauf qu'aujourd'hui, me semble-t-il que si on veut caractériser les centres de gestion,
04:42j'ai un autre auteur en tête, c'est Baudrillard, et je le cite.
04:46« L'évolution logique d'une science est de s'éloigner toujours davantage de
04:50son objet, jusqu'à se passer de lui.
04:52Son autonomie n'en est que plus fantastique, elle atteint sa forme pure.
04:56» Je crois que, véritablement, nous y sommes.
04:59Je vais prendre un exemple qui a beaucoup marqué.
05:00J'ai fait une revue de littérature sur l'utilité des centres de gestion et le divorce entre
05:04la pratique et l'utilité.
05:05Je n'ai rencontré qu'un seul article où on a donné à des managers des articles
05:08de recherche et on leur a demandé « qu'est-ce que vous en pensez ? »
05:11Un seul article.
05:12Cet article-là, il risque de vous parler car il a été publié en 2017 dans une revue
05:15dont vous étiez le rédacteur en chef.
05:17Bien sûr, je parle de la revue française de gestion, un article de Soparno et d'autres
05:21ses collègues.
05:22Reçu sur ce plateau.
05:23Mais bien sûr, bien sûr.
05:24Et l'article, écoutez, nous dit ce que le bon sens nous permettait de dire.
05:28Les managers, pour eux, ils ne voient pas pourquoi on traite ces sujets-là parce que
05:32ça ne les intéresse pas.
05:33Autant de mots pour ne pas dire grand-chose, je reprends une des verbatimes qui était
05:35assez forte.
05:36Donc un désintérêt des managers.
05:37C'est parce qu'il y a des préconisations managériales et ce n'est pas toujours le
05:39cas.
05:40Elles sont trop générales, elles sont inutiles.
05:41Donc face à cette faillite des centres de gestion à être utiles, parce que s'il est
05:46question de comprendre les organisations, il y a les sociologues des organisations qui
05:48sont déjà là pour ça.
05:49La différence, c'est que nous voulons aider les organisations concrètes.
05:53En la matière, ça ne se fait pas suffisamment et donc il y a un problème à régler de
05:56ce niveau-là.
05:57Et là arrive l'IA avec ses promesses démiurgiques.
06:01Donc face à ça, je crois que nous sommes face à une situation de grande révélation,
06:04d'apocalypse pour les centres de gestion qui devront se réinventer ou peut-être disparaître.
06:08Le débat est sur la table.
06:11Je l'espère.
06:12Merci au Prix Jacques-Élile 2024, merci à vous, Marius Bertolucci.
06:16Merci beaucoup.
06:17Merci Jean-Philippe Denis.

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