Avec Emmanuel Todd, Historien et auteur de la BD "Il était une fois la famille : systèmes familiaux et idéologie" - Ed. Casterman
———————————————————————
▶️ Suivez le direct : https://www.dailymotion.com/video/x75...
Retrouvez nos podcasts et articles : https://www.sudradio.fr/
———————————————————————
Nous suivre sur les réseaux sociaux
▪️ Facebook : https://www.facebook.com/SudRadioOfficiel .
▪️ Instagram : https://www.instagram.com/sudradioofficiel/ .
▪️ Twitter : https://twitter.com/SudRadio
▪️ TikTok : https://www.tiktok.com/@sudradio?lang=fr
##EN_TOUTE_VERITE-2024-09-29##
———————————————————————
▶️ Suivez le direct : https://www.dailymotion.com/video/x75...
Retrouvez nos podcasts et articles : https://www.sudradio.fr/
———————————————————————
Nous suivre sur les réseaux sociaux
▪️ Facebook : https://www.facebook.com/SudRadioOfficiel .
▪️ Instagram : https://www.instagram.com/sudradioofficiel/ .
▪️ Twitter : https://twitter.com/SudRadio
▪️ TikTok : https://www.tiktok.com/@sudradio?lang=fr
##EN_TOUTE_VERITE-2024-09-29##
Category
🗞
NewsTranscription
00:00En toute vérité, chaque dimanche, entre 11h et midi, sur Sud Radio, Sécurité, économie numérique, immigration, écologie, pendant une heure chaque semaine,
00:13nous débattons sans tabou des grands enjeux pour la France d'aujourd'hui et de demain.
00:16Et ce dimanche, nous avons le plaisir de recevoir Emmanuel Todd.
00:20L'anthropologue viendra nous parler de « Il était une fois la famille »,
00:24la bande dessinée qu'il publie avec le dessinateur terreur graphique chez Casterman.
00:29Nous évoquerons également la situation géopolitique mondiale et notamment la menace nucléaire russe.
00:35Nous verrons que pour comprendre le bouleversement du monde actuel,
00:38il n'est pas inutile de connaître l'histoire et la culture des nations et notamment leur système familial.
00:44La guerre entre l'Occident et la Russie est-elle aussi un affrontement anthropologique,
00:50un conflit entre deux systèmes de valeurs irréconciliables ?
00:53Faut-il prendre au sérieux la menace nucléaire russe ?
00:56La fin de la guerre en Ukraine marquera-t-elle la chute de l'Occident ?
00:59Tout de suite, les réponses d'Emmanuel Todd en toute vérité.
01:07Emmanuel Todd, bonjour.
01:08Bonjour.
01:09Ravi de vous recevoir sur ce plateau.
01:12Nous allons parler d'abord de votre bande dessinée,
01:15plutôt de la bande dessinée de terreur graphique,
01:19le dessinateur qui met justement en dessin votre thèse sur les systèmes familiaux.
01:29C'est chez Casterman.
01:31On commencera par discuter de cela pour raccrocher à la géopolitique.
01:37Ce n'est pas raccroché.
01:39Mon rêve, ce serait que tous les gens du Quai d'Orsay, de l'Elysée, de Matignon,
01:45lisent cette BD qui leur permettrait de comprendre
01:49pourquoi ils ont foiré face à la Russie et à Poutine.
01:53Eh bien voilà.
01:54On verra justement le rapport qu'il peut y avoir entre les systèmes familiaux
01:59et les rapports géopolitiques mondiaux.
02:04Mais peut-être justement, expliquez-nous ce qu'est un système familial
02:09et pourquoi c'est aussi important pour connaître les peuples et les cultures
02:13et pourquoi le Quai d'Orsay devrait effectivement se pencher sur les systèmes familiaux
02:18avant de prendre des décisions géopolitiques.
02:20Diamo sur la BD parce que je ne voudrais pas que les gens soient trompés.
02:24C'est un livre drôle et terreur graphique, sur le plan scientifique, pour moi c'est nickel.
02:30J'ai tout contrôlé, c'est très sérieux.
02:32Les quatre types familiaux.
02:34Mais terreur graphique a mis en scène deux personnages totalement absurdes.
02:39Moi transformé en une sorte de méchant, savant, arrogant, vraiment insupportable.
02:47Ce n'est pas conforme à la réalité ?
02:50C'est pour moi de chercheur.
02:52En tant que chercheur, je ne suis pas très aimable.
02:54Mais je pense qu'en tant qu'homme ordinaire, je suis comme tout le monde.
02:57Je confirme que vous êtes très sympathique.
02:59Je n'irai pas jusque là, mais normal en tout cas.
03:02Terreur graphique, lui, c'est représenté en type qui vient pour essayer de se faire comprendre
03:08pourquoi ses enfants veulent toujours être égaux dans l'amour et les dons de leurs parents.
03:16Il s'est représenté en type qui vient pour apprendre,
03:20mais il a fait de lui-même une sorte de bonnet qui suit,
03:24une sorte de Watson face à Sherlock Holmes.
03:27A la fin, je lui ai demandé s'il était masochiste.
03:31Il m'a dit, écoute Emmanuel, tu n'as rien compris, c'est technique.
03:35Quand on a un duo comme ça dans une BD, il faut qu'il y ait ce genre de rapport.
03:41Ça s'est réussi. Il est vraiment drôle. On s'est bien entendu.
03:45En fait, les deux personnages sont projetés dans un voyage spatio-temporel
03:51dans les quatre grands types familiaux européens.
03:55Il y a la famille nucléaire égalitaire française,
03:59liberté des enfants, égalité des enfants.
04:03La famille nucléaire anglaise, la même liberté,
04:07capacité de partir tôt du foyer qu'en France,
04:11mais sans principe d'égalité entre enfants.
04:14La famille souche allemande et accessoirement japonaise.
04:18Là, il y avait un héritier unique qui prenait le bien familial.
04:22Une famille très structurée par les principes d'autorité et d'inégalité.
04:27On commence à sentir l'Allemagne, là.
04:30On commence à voir où je veux en venir.
04:33Et puis, la famille communautaire, là où tous les fils restent avec le père.
04:38Ils sont égaux.
04:40Et c'est le type russe, évidemment.
04:42Et donc, la théorie, très simplement, ce qu'elle dit, c'est que...
04:48Ça, c'est les fonds paysans.
04:51Ce dont je viens de parler, c'est la famille paysanne du 16e, 17e, 18e siècle.
04:56Ça a évolué depuis.
04:58Depuis, ça a changé et tout a explosé.
05:00En fait, ce que dit la théorie, c'est que quand les sociétés entrent en modernisation...
05:05La modernisation, c'est l'alphabétisation, c'est l'urbanisation, l'industrialisation, etc.
05:13La famille perd son rôle central, en fait, dans tout.
05:20Mais ses valeurs sont projetées et diffusent dans l'ensemble de la vie sociale.
05:25Et donc, les idéologies politiques qui s'imposent sont liées au système familial.
05:30C'est-à-dire, ce qu'on nous dit en France, on nous dit oui, 18e siècle, les philosophes, l'encyclopédie...
05:37Bon, liberté, égalité, les gens trouvent ça...
05:41En fait, la vérité, c'est que les principes de liberté et d'égalité,
05:44c'était le mode de fonctionnement de la famille des paysans du bassin parisien.
05:49Quand les mecs ont appris à lire et à écrire, ils trouvaient que c'était ça qui était sympa.
05:53Et donc, ils ont décapité le roi, tranquille.
05:56Et puis, on a l'advice de la République, c'était un peu chaotique, mais on est arrivé.
06:00– Mais ce n'est pas un peu déterministe, voire essentialiste, comme théorie ?
06:04– Oui, mais ça, c'est le problème avec les théories scientifiques.
06:07Souvent, il y a des choses qui sont déterminées par d'autres.
06:09Mais ce que ne dit pas la théorie, c'est que ça explique tout.
06:13Ça, c'est un truc qu'on n'a jamais compris sur mon travail.
06:16Et d'ailleurs, on a fait un effort...
06:18– Donc, ça n'explique pas tout, ça explique en partie un certain nombre de choses.
06:21– Rassurez-moi, cher Alexandre de Végot...
06:24– Je connais votre égo, donc j'ai parfois l'impression que vous voulez tout expliquer.
06:27– Cher Alexandre de Végot, je vais vous faire une révélation.
06:29C'est un scoop, je ne suis pas fou allié.
06:32Et donc, dans le livre d'ailleurs, et on a fait un truc, on était d'accord avec Terreur,
06:37qui admire beaucoup le Japon pour des raisons graphiques,
06:42moi qui aime beaucoup le Japon pour des tas d'autres raisons.
06:45On a mis le Japon avec l'Allemagne pour montrer que la famille n'expliquait pas tout.
06:52Puisque c'est les mêmes types familiaux,
06:54donc on va avoir le même type de société en modernisation hiérarchique,
07:00disciplinée, efficace sur le plan industriel, autoritaire,
07:06développant des idéologies ethnocentriques.
07:08Les frères ne sont pas égaux, donc on se modernise.
07:12Les hommes ne sont pas égaux, les peuples ne sont pas égaux
07:14et on sait à quoi ça mène.
07:16– À quoi ça mène pour l'Allemagne.
07:17– Simplement, on a aussi noté des différences, très sommairement et brièvement,
07:24mais la gestion des rapports d'inégalité et d'autorité dans les deux sociétés n'est pas la même.
07:30Les Allemands ont un principe de franchise.
07:34Si vous êtes dans une société inégalitaire où les gens sont francs,
07:39ça va être brutal, l'expression des rapports.
07:42Au Japon, il y a au contraire le souci, le courtoisie.
07:46Et donc il y a toutes sortes de différences.
07:48J'arrive à la fin à cette proposition, c'est un peu à la rigolade.
07:54La BD se permet quand même des simplifications,
07:56dire qu'il y a quand même des différences.
07:59Les Japonais sont Japonais à mi-temps et les Allemands sont Allemands à plein temps.
08:04Des choses comme ça.
08:05Donc non, évidemment que la famille n'explique pas tout,
08:09il y a une histoire.
08:11Et la famille russe, par exemple.
08:13– Allons-y.
08:14– Allons-y, c'est l'angoisse du moment.
08:16– Au cœur du sujet.
08:18– La famille russe, c'est…
08:20– Je dis au cœur du sujet,
08:22parce qu'il faut rappeler aux auditeurs que vous avez fait un livre il y a un an,
08:26ou peut-être même moins d'un an, qui s'appelait « La chute de l'Occident ».
08:29– C'est sorti en janvier dernier.
08:31– La défaite de l'Occident.
08:34Pour décrire justement les conséquences du conflit.
08:38– Pour prévoir.
08:40Quand je l'écrivais, il s'agissait de prévoir.
08:44Je l'écris au moment de la contre-offensive ukrainienne
08:48dont le Pentagone attendait des résultats extraordinaires.
08:52Et c'était prévoir puisqu'à l'époque, je disais,
08:56la défaite de l'Occident est certaine.
08:58Mais évidemment, maintenant que la défaite de l'Occident
09:01est en train de se réaliser,
09:03le livre est simplement une description de la réalité.
09:07– On y reviendra, mais justement, c'était pour amener la question de la Russie
09:10qui vous passionne.
09:12Donc le modèle familial russe, en quoi il est différent ?
09:16– Alors le modèle familial russe, c'est un modèle qu'on trouve aussi en Chine, au Vietnam,
09:20en fait dans tous les pays qui ont fait des révolutions communistes endogènes.
09:24C'est aussi celui de l'Italie centrale, où le parti communiste était très fort.
09:28Ou la bordure nord-ouest du Massif central, où il y avait des communistes en France.
09:32C'est un système, comment dire, vous avez le père, la femme,
09:36qui produisent des enfants.
09:38On garde les fils au domicile familial, on est en milieu paysan.
09:42Et au moment du mariage, les groupes familiaux échangent les femmes
09:46un peu comme des paquets, vous voyez.
09:49Et on a formation d'énormes unités domestiques à trois générations.
09:54Le père, ses fils, les épouses venues de l'extérieur, et les enfants.
09:58Et les valeurs fondamentales de ce système, c'est l'autorité bien sûr,
10:04puisque les fils adultes restent sous l'autorité du père,
10:07et l'égalité des frères.
10:09Le principe autorité-égalité.
10:11Quand ce système explose, ces valeurs sont relâchées dans la société,
10:15mais c'est les valeurs du communisme, l'autoritarisme et l'égalitarisme.
10:19Et surtout, ce qu'il faut voir, le modèle est dynamique.
10:22Parce que je ne dis pas, la famille et le communisme, c'est la même chose.
10:26Ce que je dis, c'est que quand la Russie se modernise,
10:29quand il y a l'abolition du cervage, quand les paysans apprennent à lire,
10:34c'était avant le communisme, la famille explose,
10:37l'individu est relâché, il est libre.
10:41C'était un système familial très dur, avec une dimension sadique.
10:45Mais l'individu est perdu aussi.
10:49Et donc l'individu va rechercher dans des substituts,
10:54mais remplaçant la famille.
10:57L'autorité, oui.
10:59Ça va être le parti communiste, ça va être l'économie centralisée,
11:04ça va être le KGB.
11:06L'institution la plus proche de la famille, c'est le KGB,
11:10parce qu'il s'occupe des individus de façon personnalisée.
11:14D'accord, Emmanuel Todd.
11:16On continue à en parler après une courte pause sur Sud Radio.
11:20Avec Emmanuel Todd, En Toute Vérité, à tout de suite.
11:27Nous sommes de retour sur Sud Radio avec Emmanuel Todd.
11:31Nous parlons de sa bande dessinée, de terreur graphique,
11:36mais qui reprend ses thèses sur la famille.
11:38Il n'était qu'une fois la famille, c'est chez Casterman.
11:43Et nous parlons aussi du lien entre les systèmes familiaux
11:47et la géopolitique.
11:49Avant la pause, nous en étions au système familial russe.
11:54Vous nous disiez que c'était un système familial
11:57fondé sur l'autorité et l'égalité,
11:59et que ça se retrouvait dans la société,
12:02que le substitut à la famille russe, c'était le KGB.
12:06C'était votre dernière phrase choc avant la pause.
12:10Le meilleur substitut.
12:12Le meilleur substitut.
12:14Le système familial russe explique l'évolution politique de la Russie,
12:18que ce soit le communisme, le poutinisme aussi.
12:21Il y a de temps.
12:23C'est une continuation du communisme, le poutinisme.
12:25C'est intéressant.
12:27Avec la Russie, on peut le faire pour tous les pays,
12:30mais vraiment combiner maintenant, avec le recul,
12:34l'anthropologie et l'histoire.
12:36Vous partez de la famille paysanne,
12:38avec ses valeurs d'autorité, d'égalité, de communautarisme.
12:41Vous la faites exploser à l'époque de l'alphabétisation universelle.
12:45Alphabétisation universelle, tout le monde sait lire et écrire.
12:49Idéologie simple, acceptable ou intériorisable par tout le monde.
12:55Vous avez le communisme.
12:57Mais sous le régime soviétique,
13:00vous avez un développement intérieur de l'éducation.
13:03Vous avez un développement de l'éducation supérieur, justement.
13:07Et vous avez quelque chose de beaucoup plus complexe
13:10qui désintègre le communisme.
13:13Parce que des inégalités entre les individus
13:16s'établissent sur le plan éducatif.
13:18Et vous avez l'effondrement du communisme.
13:21Mais après l'effondrement...
13:23Alors là, tout le monde s'était mis à attendre
13:26une démocratie libérale d'alternance de type anglo-américain.
13:30Alors tous les Américains lancés sur place
13:33militaient pour la privatisation de l'économie
13:36et une marche forcée vers ça.
13:38Mais ça, c'était...
13:40La famille nucléaire anglo-saxonne ou la famille nucléaire anglaise
13:44prédispose à la démocratie d'alternance.
13:47– Ce que vous voulez dire, c'est que les Occidentaux,
13:50les Américains à l'époque, et peut-être de manière générale,
13:53ne tiennent pas assez compte, non seulement des systèmes fallibles,
13:56mais surtout de l'histoire, de la culture des pays.
13:59– Oui, d'une mentalité qui existe et qui est atténuée, bien sûr.
14:03Elle ne va pas revenir dans le communisme,
14:06mais qui va produire un autre genre d'équilibre dans la société russe
14:11qu'on n'ose plus parler d'équilibre pour la société américaine,
14:15qui est plutôt en phase de pourrissement, mais quelque chose d'autre.
14:19Alors d'abord, on essaye et le signe et compagnie,
14:21ça donne une phase d'anarchie et de souffrance terrible.
14:24Puis, arrivée au pouvoir de Poutine, stabilisation de la société russe.
14:28Et bien entendu, la société russe se stabilise
14:31dans ce que j'appelle une démocratie autoritaire,
14:34parce que la population soutient le régime,
14:37mais parce que les minorités ne sont pas respectées.
14:40La minorité la moins respectée de Russie, c'est les oligarques
14:44qui ont été mis au pas, mais ça n'est plus le communisme.
14:49– Mais est-ce que vraiment la démocratie, c'est plus qu'autoritaire
14:53quand on met les opposants en prison, quand il n'y a pas du tout de contre-pouvoir,
14:57quand il y a un vote mais qu'il n'y a pas de débat politique ?
15:00– J'irais plus loin, l'une des questions que je me pose,
15:03en fait, dans mon bouquin, je n'ai pas assez,
15:06parce que comme tout le monde le savait, j'ai oublié de le rappeler,
15:09mais il y a un certain exercice de la violence,
15:15c'est-à-dire que les oligarques ont été battés par la violence.
15:18Au début de la guerre, une quantité quand même anormale
15:22de types travaillant dans le secteur pétrolier et gazier
15:25qui se sont suicidés, ont sauté par leurs fenêtres.
15:29Et donc il y a cette dimension de violence.
15:35Les oligarques américains, qui eux contrôlent le pouvoir
15:39et s'affrontent pour le pouvoir, ne sont pas menacés par ça.
15:43La question terrible que je m'étais posée, c'est que dans un système social
15:47très inégalitaire sur le plan matériel, la Russie est presque aussi inégalitaire
15:52que les États-Unis, est-ce que l'État peut garder le contrôle des choses
15:57sans violence de ce type ? C'est une vraie question de...
16:01pas de philosophie, mais de pratique politique.
16:05Mais la réalité, dans les classes moyennes, supérieures, russes,
16:10on va trouver plus de résistance à Poutine comme ici,
16:14mais la culture russe est là, donc l'acceptation d'un certain degré
16:19d'intégration par l'État, un certain niveau de répression,
16:24ça passe mieux qu'ailleurs, mais il ne faut pas oublier
16:28à quel point c'est différent du communisme.
16:32Les russes, d'abord c'est une économie de marché,
16:36et puis les russes ont la liberté de circulation,
16:40ils peuvent sortir s'ils veulent. L'une des grandes différences
16:44avec tous les régimes russes antérieurs, grosse surprise,
16:48c'est le premier régime russe qui ne soit pas antisémite.
16:52Et c'est pour ça, je me souviens qu'on avait fait tous les deux
16:56une émission dans les jours du coup d'État...
17:00– Tentative de coup d'État de Prigogine.
17:04– Ou de révolte de Prigogine, et moi j'étais là, paisible,
17:08en disant, mais non, c'est un petit phénomène de rien du tout,
17:12il ne va rien se passer, mais c'est pas parce que je suis poutiniste
17:16ou je ne sais quoi, ou d'un natureux,
17:20c'est parce que je voyais bien, et je vois toujours bien,
17:24que le discours en Occident c'est,
17:28Poutine impose un régime de fer à la Russie,
17:32Poutine est fou, Poutine est ceci, Poutine est cela.
17:36Non, pour moi, c'est la société russe qui a produit Poutine.
17:40En un certain sens, ils ont trouvé, à mon avis,
17:44l'être idéal pour la représentation de la Russie.
17:48L'être idéal pour la représenter, et donc la société russe
17:52a des capacités d'organisation, de discipline,
17:56et la raison pour laquelle les Occidentaux se sont cassés les dents sur la Russie,
18:00c'est que les sociétés, comme la société russe,
18:04qui garde des traces d'intégration de l'individu,
18:08on pourrait dire la même chose de la société allemande,
18:12qui n'est pas une société individualiste,
18:16qui n'a pas la même résistance à la pulvérisation individualiste
18:20que l'Angleterre, les Etats-Unis et la France n'ont pas.
18:24On peut commencer par l'Allemagne, l'industrie allemande résiste,
18:28l'industrie de l'Allemagne a un excédent toujours,
18:32comme d'habitude on dit que l'Allemagne est foutue,
18:36la vérité c'est que l'Allemagne s'en sortira économiquement,
18:40elle a toujours un excédent commercial, et c'est notre industrie qui disparaît.
18:44Ils se sont réorganisés, ce que donne la famille communautaire
18:48avec son principe de symétrie, c'est aussi une grosse capacité d'organisation,
18:52c'est comme une sorte de principe étatique,
18:56et donc la Russie garde une industrie, des ingénieurs, une armée.
19:00– Ce qui explique, c'était l'une des thèses de votre livre,
19:04sa bonne résistance par rapport aux moyens déployés
19:08par l'Occident dans cette guerre.
19:12– C'est ça, et puis surtout je pense que,
19:16en Allemagne on n'en parlera pas trop,
19:20je pense que les Allemands gardent tout à fait conscience d'être allemands,
19:24c'est comme les Japonais dans l'idée qu'il faut se dissoudre
19:28dans un empire universel, mais dans les systèmes nucléaires,
19:32l'idée nationale est pulvérisée.
19:36Aux États-Unis, on n'ose pas dire que c'est compensé par un délire mégalomane
19:40d'empire mondial sous direction américaine.
19:44– En même temps, « America first », c'est l'idée d'un nationalisme américain ?
19:48– Oui, mais la vérité c'est qu'avec son déficit commercial,
19:52l'Amérique vit au crochet du monde, c'est un système impérial,
19:56dont le cœur d'ailleurs est implosé avec des baisses de niveau de vie
20:00au cœur des États-Unis. En France, on a des élites,
20:04je veux dire, dire en France qu'on aime son pays,
20:08qu'on est patriote, qu'on est français, c'est une idée vraiment bizarre.
20:12Moi, je suis comme ça, mais je vois bien que je suis un peu isolé.
20:16Mais en Russie, en Russie…
20:20– L'idée de souveraineté est au cœur de la société.
20:24– Oui, c'est le principe fondamental, les gens spéculent sur le retour
20:28de la religion orthodoxe en Russie ou des choses comme ça,
20:32mais en fait, les Russes, ce n'est pas une nation très active et agressive,
20:36il n'y a pas de doute sur le fait qu'ils sont russes et l'idée fondamentale
20:40de souveraineté nationale qui anime le régime russe
20:44et correspond aux aspirations russes,
20:48et c'est pour ça que le régime ne tombe pas.
20:50– Est-ce que ce n'est pas plus que ça ? Parce que moi, j'étais dans cette idée-là,
20:54il y a quelques années, en observant ce que faisait le régime russe,
20:58est-ce que l'invasion de l'Ukraine ne vient pas démentir ça ?
21:02Et est-ce que finalement, vous parlez d'empire américain,
21:04mais est-ce qu'on n'a pas deux empires, l'un en face de l'autre ?
21:08La Russie, est-ce que ce que démonte cette guerre, c'est que la Russie
21:12est incapable de se vivre autrement qu'un empire ?
21:14– Non, alors là, la Russie fait très gros sur la carte,
21:18je reconnais que c'est le plus grand pays du monde.
21:20– C'est quand même le plus grand pays du monde.
21:22– C'est le plus grand pays du monde, mais sa population n'est guère supérieure
21:24à celle du Japon, donc le problème de la Russie,
21:26c'est d'occuper son propre territoire.
21:28– Alors pourquoi avoir envahi l'Ukraine ?
21:30– Du point de vue, pourquoi avoir envahi l'Ukraine ?
21:34Alors, si on fait de l'anthropologie…
21:36– Pourquoi menacer les Pays-Baltes ?
21:38– Les Pays-Baltes, c'est les Pays-Baltes qui le disent,
21:40ils n'ont pas envahi les Pays-Baltes.
21:42Cela vous projetez dans un futur qui, à mon avis, n'existera pas.
21:46– Je faisais partie des gens qui ne croyaient pas à l'invasion en Ukraine.
21:48– Non, l'idée que les Baltes…
21:50– Mais il y a des menaces.
21:52– Non, les Baltes disent qu'il y a une menace, mais pour le moment,
21:56on n'a pas vu, on verra.
21:58Quand les Russes auront réglé le problème ukrainien.
22:02Il y a une différence anthropologique en Petite-Russie,
22:06qui est une partie de l'Ukraine,
22:08il y a une autre partie de l'Ukraine.
22:10La géographie interne de l'Ukraine est une chose que j'étudie
22:14très en détail dans un chapitre de la défaite de l'Occident.
22:18Mais vous avez une partie intermédiaire, plutôt proche de la Russie,
22:24avec des structures familiales, également intermédiaires,
22:28communautaires mais souples.
22:30Et puis il y avait le Donbass, qui était juste simplement russe.
22:34Et en fait, la revendication ukrainienne, du régime ukrainien,
22:38qui voulait récupérer le Donbass,
22:40c'était de remettre sous son autorité des populations,
22:44la Crimée aussi, simplement russes.
22:46Donc le point de vue des Russes,
22:48c'est qu'ils ne sont pas du tout en train de construire un empire,
22:52c'est qu'ils sont en train de reconstituer les frontières
22:56de la Russie vraiment russe, avant le communisme.
23:00Quand Poutine parle de décommuniser l'Ukraine,
23:04c'est de faire disparaître cette carte aberrante créée par le soviétisme.
23:10– Merci Emmanuel Todd.
23:12On se retrouve après une courte pause sur Sud Radio.
23:15En toute vérité, on continue à parler de géopolitique mondiale.
23:20On s'intéressera également au changement de doctrine nucléaire russe.
23:24Qu'est-ce que ça signifie ?
23:26Vous nous répondrez après une courte pause Emmanuel Todd.
23:28À tout de suite sur Sud Radio.
23:30– En toute vérité sur Sud Radio, Alexandre de Vécu.
23:34– Nous sommes de retour en toute vérité sur Sud Radio avec Emmanuel Todd.
23:39Emmanuel Todd qui vient nous parler de sa bande dessinée
23:43qui vient d'être republiée chez Casterman.
23:46Il était une fois la famille.
23:48C'est fait avec Terreur Graphique qui illustre cette bande dessinée.
23:53– Il ne peut plus qu'illustrer, il a fait le scénario et le dynamisme.
23:57– Donc voilà, une bande dessinée de Terreur Graphique
24:00mais sur les thèses d'Emmanuel Todd, notamment les thèses sur les…
24:04– Sur un livret musical.
24:05– Sur les systèmes familiaux.
24:07On en parle depuis le début de cette émission.
24:11On fait aussi le lien avec l'actualité, avec la géopolitique
24:14et vous nous expliquez que finalement les rapports de force entre les nations
24:17dépendent de leur système familial ou plus largement de leur système de valeurs.
24:24On parlait notamment de la Russie dont le système de valeurs
24:28est très différent du système de valeurs occidentales.
24:31On est dans un point, peut-être dans un tournant de la guerre en Ukraine
24:41avec la Russie qui menace d'une certaine manière
24:45en expliquant qu'ils viennent de revoir leur doctrine nucléaire,
24:50en l'élargissant notamment.
24:52Comment vous interprétez ces menaces-là ?
24:55Est-ce qu'il faut les prendre au sérieux ?
24:58Est-ce que Vladimir Poutine pourrait riposter en utilisant des armes non conventionnelles ?
25:04– Je crois qu'il faut partir du contexte
25:06et c'est vrai qu'on n'est pas très bien informé en France.
25:10Si vous lisez le journal Le Monde par exemple,
25:14vous êtes dans une purée d'informations qui n'est pas très grave pour les citoyens finalement,
25:19pour ce qui concerne la politique extérieure,
25:21qui ne sont pas en première ligne, mais qui est très grave
25:24parce que même les élites, les gens qui décident,
25:26sont désinformés par le journal de référence.
25:31Mais le contexte actuel, c'est que les Ukrainiens sont en train de perdre la guerre
25:36et que les Russes sont en train d'avancer
25:38et qu'on ne sait pas quand l'armée ukrainienne va s'effondrer,
25:41quand le régime de Kiev va s'effondrer.
25:43– Il y a des frappes en profondeur de l'Ukraine malgré tout.
25:45– Oui mais ça c'est ce qu'on nous dit,
25:49mais la réalité c'est que les Américains sont arrivés…
25:53– Vous n'êtes pas sur le théâtre d'opération Emmanuel Todd ?
25:57– Non mais honnêtement, je vous jure que quand ils sont entre eux,
26:01les gens du Pentagone parlent comme moi
26:04et la plupart des sources sont ceux, sont celles,
26:07c'est des trucs qui viennent des think tanks autour de…
26:10Vraiment, je ne suis pas…
26:12Je veux dire, le niveau de désinformation, de non-conscience de ce qui se passe
26:19est tout à fait exceptionnel.
26:22Donc en fait, la question qui est posée aux Occidentaux maintenant,
26:26c'est est-ce qu'ils acceptent leur défaite ou est-ce qu'ils ne l'acceptent pas ?
26:33Alors ça devient vraiment compliqué parce que moi je pense
26:36que les objectifs russes ont changé et ont grandi.
26:39C'est-à-dire que là il ne s'agit plus simplement de récupérer le Donbass
26:43et, comment dire, par exemple, les interventions géniales des Britanniques
26:52pour aider les Ukrainiens à tirer des missiles sur Sébastopol en partant d'Odessa
27:00ont fait prendre conscience aux Russes du fait qu'il fallait qu'ils prennent Odessa
27:04s'ils voulaient être tranquilles.
27:06Et puis toutes sortes d'autres choses.
27:08Et mon sentiment, c'est que les Russes vont aller jusqu'au Dniepr
27:11et jusqu'à la partie de Kiev qui est sur le Dniepr et pas plus.
27:16Et ils sont, je donne, non pas du tout parce que je suis pro-russe
27:22mais parce que j'essaye de comprendre ce que font les Russes.
27:26Je pense que l'un des principes de la politique extérieure russe
27:30c'est qu'ils ont compris que les Américains, quand ils signent un accord,
27:36ne sont absolument pas fiables.
27:38On ne peut pas, les accords de Minsk, on ne peut pas discuter,
27:41il y a un principe de non-fiabilité dans le comportement des Occidentaux
27:45qui fait que les Russes sont contraints, je veux dire,
27:48d'atteindre des objectifs géographiques, stratégiques, indiscutables, définitifs
27:54et qui règlent la question.
27:56Bon, ça c'est difficile à accepter pour les Occidentaux, c'est très difficile.
28:01– Pour les Ukrainiens aussi, parce que s'il y a des discussions,
28:04vous parliez tout à l'heure de Donbass en disant que c'était une terre russe,
28:07on peut discuter aussi sur la Crimée.
28:09Pour ce qui est de Kiev, c'est autre chose.
28:11– Non mais la volonté ukrainienne va disparaître, qu'on ne se méprenne pas.
28:15Les Ukrainiens côté nationaliste anti-russes,
28:22qui ne sont pas la totalité de la population ukrainienne,
28:25puisque tout ce qui était russophone, etc. a été mis au pas en Ukraine,
28:30c'est un régime autoritaire l'Ukraine.
28:32Je veux dire, c'est des Ukrainiens ukrainiens,
28:35on montrait un courage admirable, le matériel américain était insuffisant,
28:40l'aide satellite américaine était très...
28:45Mais à mon avis, jamais des troupes américaines au sol
28:49n'auraient fait aussi bien face aux Russes que les Ukrainiens.
28:53Vraiment, mais ça, ça va se terminer, le régime est sous perfusion
28:59et la vraie question c'est est-ce que, même pas les Occidentaux,
29:03est-ce que les Américains acceptent leur défaite ?
29:06Parce que ça, ça va être terrible.
29:08Quand on va s'apercevoir que l'OTAN n'a été capable de rien,
29:15qu'on aura vraiment percuté que l'Amérique n'a plus l'industrie militaire
29:20qui lui permet de faire face,
29:22et quand on aura compris que la Russie ne veut pas aller plus loin,
29:27ce qu'on a devant nous, parce qu'elle n'a pas les moyens démographiques,
29:31elle n'en a aucune envie, aucune possibilité,
29:33ce qu'on a devant nous est une décomposition de l'OTAN.
29:36Donc en fait, l'enjeu de la guerre d'Ukraine,
29:39ça n'est pas du tout le territoire ukrainien.
29:42Je veux dire, c'est le système impérial américain ?
29:45Est-ce que c'est vraiment une défaite des États-Unis ?
29:47Parce que finalement, on voyait que Donald Trump critiquait de plus en plus l'OTAN,
29:53qu'il y a une partie des dirigeants américains
29:55qui trouvent qu'ils paient trop pour la défense des Européens
29:59et qui ont les yeux tournés plutôt vers le Pacifique finalement que vers l'Europe.
30:04Donc est-ce que c'est pas plutôt une défaite de l'Europe tout simplement
30:08qu'une défaite américaine qui, après tout, est moins directement concernée que nous ?
30:13– Ah non, une défaite de l'Europe certainement,
30:16une manipulation de l'Europe certainement,
30:19quelque chose de très dur pour l'Allemagne,
30:23puisque les Américains ont très consciemment coupé l'Allemagne
30:28de ses liens avec la Russie énergétique et autres.
30:32Les Américains ont joué contre l'Europe en fait.
30:37La grande angoisse des Américains, la grande angoisse stratégique,
30:40c'était le rapprochement, non pas tellement entre l'Europe et la Russie,
30:44qu'entre l'Allemagne et la Russie,
30:47ce qui, quand on dit ça maintenant, on a l'air d'être dans un monde de science-fiction.
30:52Mais souvenez-vous de la guerre d'Irak
30:54et des conférences de presse simultanées de Schröder, Chirac et Poutine.
30:58Ça a terrorisé les Américains, parce que là ils étaient éjectés du continent.
31:02Donc dans un premier temps, ils ont vraiment réussi,
31:05mais les Allemands, c'est la question qui est posée là.
31:08Le truc qu'il faut surveiller, c'est l'attitude des Allemands.
31:11Je ne pense pas qu'il y ait grand-chose à attendre des Français,
31:14vu le niveau et les moyens effectifs,
31:17et ça ne se présente pas mieux depuis,
31:20de toute façon on n'a même plus de vrai gouvernement,
31:22on est en roue libre ici, on a nos problèmes financiers.
31:26Mais l'attitude de l'Allemagne, dans les mois qui viennent,
31:30et dans la décision stop ou encore pour la guerre,
31:34va être tout à fait cruciale.
31:37Et donc c'est dans ce contexte, je reviens à la question,
31:40la question qui était la menace nucléaire russe.
31:43Pourquoi ne pas traiter la question, finalement ?
31:46La menace nucléaire russe, c'est parce que là,
31:49il y a ce débat à l'ouest sur
31:52va-t-on donner des missiles à longue portée aux Ukrainiens,
31:57pour qu'ils puissent tirer sur le territoire russe
32:00d'une façon beaucoup plus massive,
32:04avec pour résultat, pas tellement des résultats stratégiques
32:07importants pour les Ukrainiens,
32:09mais la perspective d'enflammer l'ensemble du continent.
32:13Ça serait le record pour les Américains.
32:15C'est-à-dire que les Américains, après avoir déclenché
32:17une guerre civile post-soviétique,
32:19déclencheraient une vraie guerre civile européenne,
32:21pour empêcher tout retour de la paix,
32:24accord entre les Russes et les Allemands et tout ça.
32:27On est dans ce contexte.
32:29Les Russes sont en train de gagner la guerre,
32:31on voit que certains pensent à envenimer les choses
32:35d'une façon supplémentaire,
32:37et ils avertissent qu'ils réagiront.
32:42Donc tous les débats russes,
32:46ou toutes les affirmations russes
32:48sur ce qu'ils feraient en cas de fourniture
32:53d'armes de longue portée à l'Ukraine,
32:57armes de longue portée qui ne peuvent être utilisées
32:59qu'avec les moyens de guidage et de repérage
33:02américains et secondairement britanniques et français,
33:06qui considéraient ça comme une déclaration de guerre.
33:09Je vois tout le monde dire, c'est Poutine,
33:13il est fou, comment peut-il dire des choses pareilles ?
33:17Mais imagine, nous sommes français,
33:19imaginez qu'on ait des problèmes avec l'Algérie par exemple,
33:22et qu'une puissance étrangère fournisse à l'Algérie
33:25des missiles qui lui permettent de tirer sur Montpellier ou Marseille,
33:28avec l'aide de ces moyens de guidage.
33:30On se considérait comme en guerre avec ce pays.
33:33C'est juste ce que sont en train de dire les russes.
33:35Emmanuel Todd, merci.
33:37On continue à en discuter après une courte pause sur Sud Radio.
33:42On verra quel est, selon vous, l'issue de tout cela.
33:47Si on peut effectivement éviter un embrasement général.
33:52A tout de suite sur Sud Radio, En Toute Vérité, avec Emmanuel Todd.
33:56En Toute Vérité sur Sud Radio, Alexandre de Vécu.
33:59Nous sommes de retour en Toute Vérité avec Emmanuel Todd.
34:03La conversation portait sur sa bande dessinée,
34:07une histoire, il était une fois la famille,
34:10que vous pouvez lire, c'est publié chez Casterman.
34:15Mais la conversation a porté jusqu'à la menace thermonucléaire russe.
34:22On a vu le lien entre les deux pour ceux qui ont suivi l'émission.
34:27Pour moi, c'est collector.
34:29Passer d'une bande dessinée plutôt comique,
34:32au risque et à l'inquiétude réelle d'échanges thermonucléaires,
34:36je ne l'avais jamais fait.
34:38Très bien, on est l'émission des grandes premières.
34:42Le temps permet d'avoir ça, de développer une thèse.
34:48On est heureux que vous puissiez le faire sur Sud Radio.
34:52Emmanuel Todd, on parlait d'échanges thermonucléaires avant la pause.
34:57Votre BD nous permet de nous plonger dans la tête des différents peuples,
35:03notamment dans la tête du peuple russe.
35:06Vous nous expliquiez ce qu'il y avait dans la tête de Poutine.
35:09Vous nous expliquiez qu'il n'était pas fou,
35:11mais qu'il considérait que l'Occident lui avait déclaré la guerre.
35:16Est-ce qu'il pourrait mettre sa menace à exécution ?
35:21L'une des choses qui m'inquiète en ce moment,
35:28c'est la légèreté des commentaires.
35:31Ce qu'on entend...
35:34Je crois que les trucs les plus absurdes sont sur LCI.
35:37C'est la chaîne spécialisée dans l'absurdité russophobe.
35:41– Merci de nous mettre bien avec nos collègues et amis de LCI.
35:46– Mais j'aime mettre un peu de désordre.
35:49Pas tout le monde, il y a quelques militaires.
35:53On est dans cette situation où les militaires sont en général
35:57plus fiables, responsables et prudents que les journalistes.
36:02Je m'excuse de le dire.
36:04Mais on entend des gens qui disent, oui, cette histoire de lutte...
36:08– Il ne le fera pas.
36:09– Il ne le fera pas, il ne le fera pas.
36:11– C'est ce qu'on dit. Peut-être qu'on l'espère.
36:14– On dit, il ne le fera pas. Jamais il ne le fait.
36:17Mais c'est complètement idiot.
36:20Il y a des petits moments où ça n'est pas nécessaire,
36:24où il ne va pas déclencher un conflit,
36:29le gros de la Troisième Guerre mondiale.
36:32Mais fondamentalement, l'histoire de cette guerre,
36:35c'est que les Russes avaient prévenu qu'ils ne tolèreraient pas
36:40que l'Ukraine soit intégrée à l'OTAN.
36:43Et quand ils ont vu les Américains, les Britanniques
36:47en train de réorganiser l'armée ukrainienne
36:49et d'intégrer l'Ukraine à l'OTAN,
36:51la Russie est entrée en Ukraine.
36:53Donc quand on est à un tournant important,
36:56malheureusement peut-être les Russes sont totalement fiables.
37:01Donc en fait, la prudence minimale,
37:04ce serait de prendre ça au sérieux.
37:08L'une des choses qui me préoccupe en France,
37:12c'est l'absence de débat.
37:14L'absence de débat et l'espèce de latitude.
37:19La France est puissance nucléaire quand même.
37:22Et Macron, après avoir hésité,
37:25après avoir piaté avec Poutine pendant des heures,
37:29pour devenir ensuite l'un des plus hostiles,
37:32il est très instable ce garçon quand même.
37:35Et il met beaucoup de désordre déjà dans notre pays.
37:38On lui doit les gilets jaunes,
37:40on lui doit une dissolution de l'Assemblée nationale
37:43totalement loufoque.
37:45Et c'est le type qui est en première ligne
37:47pour les rapports avec la Russie
37:50dans une période de débat sur,
37:53alors, échange thermonucléaire ou pas échange thermonucléaire ?
37:58Je pense quand même que le moment est venu
38:00d'un débat au Parlement.
38:02Peut-être que les gens veulent faire la guerre à la Russie.
38:05Mais il faut qu'on soit conscient
38:07que si on aide les Ukrainiens techniquement
38:11à tirer sur le territoire russe systématiquement,
38:15c'est une déclaration de guerre à la Russie.
38:17Pourquoi pas ?
38:19Moi, personnellement, je ne suis pas pour.
38:22Mais il y a peut-être des gens qui pensent que c'est nécessaire.
38:25Mais il faut le faire.
38:26Si on prend une décision comme ça,
38:27mais que le Parlement en discute.
38:29Et là, on a une chance.
38:30C'est qu'on a un Parlement équilibré en termes de force.
38:33Je veux dire, il y a des partis qui sont frénétiquement pour la guerre.
38:38Il y en a qui sont hostiles.
38:40J'ai regardé les votes de cette motion
38:44totalement loufoque du Parlement européen
38:48qui a recommandé, lui,
38:50qu'on balance des missiles longue portée sur la Russie.
38:54Donc les partis qui sont actuellement au gouvernement
38:57ont voté tout ça.
38:59Je crois que le Rassemblement national a voté contre.
39:01Il faudrait vérifier.
39:02Je crois que certains l'ont.
39:03Les gens de LFI ou équivalents...
39:06– Ont voté contre, je suppose.
39:07– Non, ils sont abstenus.
39:08C'est un peu des chochotes, quand même.
39:10Mais moi, j'aimerais voir tous ces gens débattre.
39:15Pas du tout dans un contexte flou européen.
39:18– Oui, lointain.
39:20– Lointain et qui n'a pas de pouvoir.
39:22Parce que le Parlement européen, il vole des résolutions.
39:26Il crée une ambiance au maximum.
39:29Mais le Parlement français, c'est un peu plus sérieux.
39:32Le budget, c'est bien.
39:34Mais après tout, la guerre, c'est important aussi.
39:39Donc le Parlement français pourrait discuter
39:43de savoir si on va être officiellement en guerre avec la Russie.
39:47– Vous craignez un embrasement,
39:50une forme d'escalade qu'on ne maîtrisera plus ?
39:54– En fait, depuis le début de cette guerre,
39:56moi, j'ai été...
39:58J'ai vu, j'ai pensé...
39:59Je voyais tout le monde très inquiet.
40:02Et j'ai plutôt été très calme.
40:07C'est-à-dire, au moment où les gens disaient
40:10« ça bascule dans un sens, ça bascule dans l'autre sens »,
40:13j'étais plutôt...
40:16J'avais vu pour l'affaire Prigogine,
40:18totalement agitée, ce truc,
40:21ou la contre-offensive ukrainienne.
40:24J'ai dit « non, elle va foirer,
40:26ils n'ont pas assez d'armement,
40:28puis les Russes prennent leur temps », etc.
40:30En fait, là, pour la première fois depuis le début de cette guerre,
40:36parce qu'on est au point culminant,
40:39au moment décisif de basculement,
40:42là, je suis un peu inquiet, vraiment.
40:44Là, j'ai une vraie inquiétude.
40:46Je pense que c'est vraiment le moment de réfléchir,
40:49c'est vraiment le moment d'accepter de voir la réalité de la guerre.
40:53C'est-à-dire, encore une fois,
40:55les gens qui sont anti-russes ont le droit de l'être.
40:59Moi, ça n'est pas mon cas.
41:01Moi, ça n'est pas mon cas.
41:03Je pense qu'une victoire de la Russie
41:05serait plutôt le retour de la paix en Europe,
41:08parce que je pense que c'est les Américains
41:10qui entretiennent le désordre,
41:12et je pense que la Russie n'a pas la capacité démographique
41:15et pas la volonté d'aller plus loin,
41:18et qu'au contraire de tout le monde,
41:20je pense qu'une victoire russe serait suivie,
41:22à la surprise générale, par le retour de la paix.
41:26Mais les gens ont le droit de penser autrement.
41:28Mais il faut débattre.
41:30Il y a des décisions, et fondamentalement,
41:33l'idée qu'on va peut-être,
41:35qu'on pourrait simplement,
41:37parce que les gens ne réfléchissent pas,
41:39ne s'informent pas,
41:41se racontent sans arrêt
41:43que les Russes sont absurdes, impuissants,
41:47ne comprennent pas que l'idée
41:49d'indépendance nationale est pour eux fondamentale.
41:52Ils ne le comprennent pas parce qu'elle ne l'est plus pour nous.
41:54Vraiment, ça serait grave.
41:56Il faut qu'on discute.
41:57Il faut vraiment que...
41:59– Vous êtes très dur avec les États-Unis,
42:02vous parlez d'impérialisme américain,
42:05tout de même une défaite de l'OTAN,
42:07dont on peut discuter l'influence.
42:12Est-ce que ce ne serait pas inquiétant pour l'Europe ?
42:16Parce qu'admettons que la menace russe n'en soit pas une,
42:19c'est ce que vous pensez,
42:20en tout cas pas une menace directe
42:22pour l'Europe au-delà de l'Ukraine,
42:25ce qui est déjà pas mal.
42:27Admettons cela, il y a d'autres menaces dans le monde,
42:30et l'Europe ne paraît pas pour le moment,
42:32qu'on le regrette ou pas,
42:34en mesure de se défendre seule.
42:36– Non mais l'Europe actuellement est mise dans une crise économique
42:39largement à cause de cette guerre.
42:41C'est un truc qu'on ne dit pas non plus.
42:43On est là à se lamenter sur nos situations économiques.
42:45– Elle avait commencé avant, la crise économique.
42:47– Et le désarmement de l'Europe a commencé bien avant.
42:50– Oui mais les sanctions économiques contre la Russie
42:53n'ont pas fait grand mal à la Russie finalement,
42:55ça lui a permis de recentrer son économie
42:57sur l'axe de la Volga et l'Asie.
42:59Ça a contribué considérablement à l'effondrement des...
43:03Genre ce qu'on vit en France actuellement,
43:05là on est en train de s'exciter sur le déficit commercial,
43:09budgétaire et autre.
43:11Tout ça a quand même un rapport avec cette guerre absurde.
43:19– Il nous reste 30 secondes Emmanuel Todd,
43:21peut-être une dernière question sur les États-Unis.
43:23– Et quand même sur les États-Unis.
43:25– Est-ce que ça change quelque chose Trump ou Kamala Harris ?
43:27– Non je voudrais... – 30 secondes.
43:29– Non parce que ça change rien,
43:31parce que Trump il est moins anti-Russe,
43:33il est beaucoup plus anti-Iranien
43:35et comme les Russes ont un principe de loyauté
43:38et que le partenariat russo-iranien est maintenant fondamental,
43:42jamais les Russes ne laisseront tomber les Iraniens.
43:44Donc ça sera pareil.
43:46Mais moi je voudrais terminer sur une chose,
43:48c'est un sujet sur lequel j'ai hésité,
43:50vasouillé pendant toute ma vie.
43:53Mes liens personnels sont plutôt avec le monde anglo-saxon.
43:56Donc c'était toujours un arrachement,
43:58de devoir critiquer, etc.
44:02Mais vraiment au stade d'accueil,
44:04et quand je vois ce qui se passe au Moyen-Orient,
44:06ce qui s'est passé en Irak,
44:08ce qui se passe en Israël, etc.
44:10Maintenant c'est extrêmement simple.
44:13Je vais terminer par un numéro comique
44:15pour être dans l'esprit de la BD.
44:17Je vais faire un genre prophète de l'Ancien Testament recyclé.
44:20Au terme d'une longue vie de réflexion,
44:24je suis arrivé à la conclusion
44:27que la destruction de la puissance américaine
44:31sera le début de la paix pour la planète.
44:35– Merci Emmanuel Todd qui prend donc ses responsabilités.
44:40C'était sur Sud Radio,
44:42En Toute Vérité, on se retrouve la semaine prochaine
44:45pour un nouveau numéro.
44:47Après ce numéro qui, je pense, va rester collector.
44:50Merci et à bientôt, je vous laisse avec les informations.
44:52– Merci à vous.
44:54En Toute Vérité sur Sud Radio, Alexandre De Vecchio.