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00:00Bonjour Yasmina Kadra.
00:01Bonjour.
00:02Derrière ce pseudo composé de deux prénoms empruntés à votre femme
00:06pour son soutien se cache à visage découvert un écrivain connu et reconnu
00:09depuis qu'il a décidé de faire valoir ses droits à la retraite
00:12après une carrière militaire bien remplie en Algérie.
00:14Ce choix était difficile à faire, mais judicieux, car votre plume
00:18devenue votre seule arme vous a d'ores et déjà permis de recevoir le grand prix
00:22de littérature en régal par l'Académie française et l'Institut de France
00:26pour l'ensemble de votre carrière en 2011.
00:28Les mots sont donc devenus le moyen de vous raconter, de nous raconter
00:31à travers des histoires de vie.
00:33Votre dernier ouvrage vient de paraître, le Cœur d'Amande, il s'appelle
00:37plutôt Cœur d'Amande, il y a le mot cœur dans ce titre.
00:40C'est vrai qu'il touche justement en plein cœur, il parle du cœur,
00:43il parle avec le cœur.
00:45Bref, vous êtes déjà autant livré finalement, Yasmina Kadra ?
00:50J'ai écrit ce livre pour une simple raison, faire du bien.
00:55C'est faire du bien, c'est un personnage qui m'a restitué à moi-même,
01:00qui m'a permis d'expurger pas mal de toxines et ça m'a fait rire,
01:05ça m'a fait pleurer à chaudes larmes.
01:07Voilà, c'est la vie, j'ai voulu vraiment...
01:10Et puis aussi, c'était une promesse.
01:12Depuis toujours, mon lecteur à français me demandait d'écrire un livre
01:16qui se passe en France.
01:18Vous avez parlé de tous les pays, presque tous les pays, le Moyen-Orient,
01:22l'Amérique latine, les Caraïbes, la Belgique, l'Allemagne.
01:26Mais quand est-ce que vous allez écrire un roman qui se passe dans l'histoire,
01:30dans l'histoire, qui se passe en France ?
01:32Voilà, il est là, le roman.
01:34Cette ouvrage, c'est d'abord aussi une déclaration d'amour à votre grand-mère.
01:37Vous parlez d'elle, Yasmina, et à toutes les grands-mères, en quelque sorte.
01:41C'est vrai que ces grands-mères, elles nous montrent parfois des chemins
01:45et elles sont essentielles, elles deviennent des piliers.
01:48C'est un peu votre cas.
01:49C'est en ça, d'ailleurs, que vous parlez de vous-même.
01:51J'ai adoré ma belle-mère.
01:53Je l'ai adorée, mais ce n'est pas possible.
01:55C'est une femme qui est partie trop vite pour moi.
01:5975 ans, elle était toute rayonnante, elle était toute belle.
02:04Et son absence, écoutez, il n'y a pas un matin où je ne pense pas à elle,
02:09quand je me réveille.
02:11Donc, j'ai voulu aussi rendre hommage à toutes les mamies,
02:14parce qu'elles sont le socle de toutes les tendresses.
02:17Et puis, elles ont aussi cette sagesse que nous, nous sommes tout le temps
02:22en train de courir après.
02:23Moi, je dis nous, parce que je ne suis pas encore grand-père.
02:26Tous mes amis sont grands-pères et moi, j'attends que mes enfants sortent
02:29de chez moi.
02:31Ils ne veulent pas sortir.
02:32Ils sont bien nourris, ils sont bien logés.
02:35Le message est passé, en tout cas, Yasmina Kadara.
02:38C'est un engagement des fictifs, quand même, à travers cet ouvrage
02:41que vous faites aux femmes.
02:43Déjà, ces deux prénoms, c'était un acte très fort.
02:45J'ai l'impression, justement, que les femmes ont façonné votre vie
02:48et que c'était important pour vous de garder le cap là-dessus.
02:52Oui, les femmes, vous savez, j'ai vu d'abord ma mère,
02:55qui a été une battante et elle était tellement seule dans la tourmente.
03:02J'ai vu son courage, sa longanimité,
03:05ce désir de ne jamais perdre de vue ses propres enfants.
03:10C'était Lyon.
03:11Et puis, j'ai vu aussi d'autres femmes en Algérie,
03:14qui, pendant, par exemple, la guerre de libération,
03:16elles étaient là.
03:17Elles ont fait des choses fantastiques.
03:19Mais le voile des machos a tout camouflé.
03:23Et c'est ce combat-là qui m'a permis, aujourd'hui,
03:26d'aller jusqu'au bout de mes rêves et de ne craindre rien.
03:29Rien, absolument.
03:30La seule personne qui est capable de m'interdire d'accéder à mes rêves,
03:34c'est moi-même.
03:36Est-ce que, justement, le fait de défendre les femmes comme ça,
03:38dans un monde qui est très conservateur, on ne va pas se mentir,
03:41vous provoque, par moments, des menaces ?
03:45Non, pas du tout.
03:46Au contraire, peut-être du mépris.
03:47Je me rappelle, quand j'étais à Koweït City,
03:50il y avait le premier ministre du Koweït qui m'a dit
03:53« Mais comment ça se fait, vous, un Algérien, un Arabe, berbère,
03:58officier et tout, et vous prenez un pseudonyme féminin ? »
04:01J'ai dit « C'est la seule façon pour moi d'avoir le courage
04:04et la dignité de regarder ma femme dans les yeux. »
04:06C'est tout.
04:07Moi, je suis comme ça.
04:08Je ne suis pas...
04:10Quelquefois, je prétends être féministe, mais la femme n'a pas
04:13besoin de moi pour se battre.
04:15Elle se bat très bien toute seule.
04:17Mais elle a besoin que je reconnaisse, au moins, son combat.
04:21Cette histoire, elle raconte l'histoire de Coeur d'Amende.
04:24Coeur d'Amende, c'est Nestor, surnommé Nes.
04:26Il est atteint d'un handicap.
04:27Je ne vais pas en dire plus, parce que le but du jeu,
04:29c'est quand même de lire cette ouvrage.
04:31Il se fait licencier par un patron qui peine, finalement,
04:35à payer ses traites.
04:38Et il vit chez sa grand-mère.
04:39Elle est vraiment son oxygène.
04:41En fait, c'est vous, Nes.
04:43Oui, il y a un peu de moi, bien sûr.
04:45Il y a un peu de moi, parce que je suis optimiste.
04:51J'ai traversé des moments très difficiles dans ma vie et je n'ai
04:54jamais fléchi.
04:55C'est-à-dire, il m'est arrivé...
04:57Bon, s'il m'arrive quelquefois de douter, je me ressaisis dans
05:02la seconde qui suit.
05:04C'est comme ça que j'ai réussi quand même à aller vers ce qui
05:07m'émerveille.
05:08D'un côté, il y a l'espoir.
05:10Oui.
05:12C'est très important, ça.
05:13Et l'autre, il y a les souvenirs.
05:14Oui.
05:15Est-ce que ce sont les deux points d'ancrage de cette ouvrage ?
05:20Les souvenirs, ça dépend.
05:21Les souvenirs, ça peut être des encres qui vous empêchent
05:27ou des amarres qui vous empêchent d'avancer.
05:30Mais l'espoir, c'est toujours un horizon qui est ouvert.
05:33C'est la conquête de l'endemain, avec une certaine sérénité,
05:37avec beaucoup d'attente, peut-être, mais ce n'est pas grave.
05:41Attendre, c'est bien.
05:42Espérer, c'est...
05:44Écoutez, quelqu'un m'a parlé de l'amour.
05:47J'ai dit, moi, je pense qu'il y a quelque chose de plus fort que
05:49l'amour, c'est le rêve.
05:50C'est le rêve.
05:51Même si on n'arrive pas à le réaliser, ce rêve nous permettra
05:55d'avancer dans la vie.
05:56Nes, son rêve, c'est d'écrire.
05:57Je ne vais pas en dire plus.
05:59Oui.
06:00Que vous apporte l'écriture, Yasmina Kana ?
06:02Tout.
06:03L'écriture, c'est d'abord un élan vers les autres.
06:08Un livre, je l'ai toujours défini comme une sonde que l'on lance
06:12dans le cosmos humain, en quête d'un écho.
06:14Et quand il y a un écho, ce n'est pas que le monde existe,
06:17c'est nous, c'est l'écrivain qui existe.
06:20Voilà, c'est bien, l'écriture et la lecture, ce sont des choses
06:24qui sont absolument nécessaires.
06:26Nous vivons un monde qui n'est pas toujours gentil avec nous-mêmes.
06:30C'est un monde qui ne sait pas obéir aux belles choses,
06:34qui ne sait pas s'attarder sur les belles choses.
06:36Il y a trop de conflits, trop de malheurs, trop de malentendus,
06:40trop de guerres qui reviennent et tout.
06:42Et d'un seul coup, on a un livre qui nous remet à notre place,
06:45qui nous restitue à notre humanité.
06:47C'est ça, la vraie vocation d'un être humain, c'est d'être utile
06:51à quelque chose.
06:52Et la vraie vocation d'un écrivain, c'est de rendre les gens heureux.