Tous les jours de la semaine, invités et chroniqueurs sont autour du micro de Mickaël Dorian pour débattre des actualités du jour.
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00:00Il est 19h33 sur Europe 1, merci de nous rejoindre.
00:04Une médecin violemment agressée par des patientes, c'est le sujet dont on va parler maintenant.
00:09La professionnelle de santé aurait refusé de prescrire une ordonnance pour une personne qui n'était pas présente au moment du rendez-vous.
00:16Le parquet confirme qu'une enquête a été ouverte pour identifier les deux personnes mises en cause.
00:22Alors cette jeune médecin est bien sûr sous le choc, elle s'est vue prescrire quatre jours d'ITT
00:27et n'ose plus, on l'imagine, retourner travailler dans un quartier, Gillesboutin, où il n'y a déjà quasiment plus de médecins.
00:33Est-ce que vous imaginez la situation ?
00:35Oui, d'autant plus que, ironiquement, ça va être les mêmes personnes qui vont se plaindre ensuite qu'on les prive de tout dans leur quartier.
00:44Ils n'ont plus accès à la santé, plus accès à de quelconque structure censée leur procurer un accès à la culture ou autre.
00:53On a affaire à des personnes qui semblent incapables de gérer leur frustration.
01:00Je réclame, on ne me donne pas ce que je réclame, je casse, j'agresse.
01:05Il y a une absence totale d'intériorisation des interdits qui nous semblerait élémentaire.
01:11Face à ça, on peut penser effectivement à la réponse pénale, mais c'est évident qu'elle doit être faite.
01:20Mais il y a un problème plus profond ?
01:22Il est beaucoup plus profond et il est tellement abyssal qu'on est tenté d'être fataliste tant on est démuni en termes de moyens pour y répondre.
01:31Ça veut dire qu'on parle d'une médecin, d'une doctoresse, c'est également le cas pour des pompiers, pour les policiers, on n'en parle pas également,
01:39qui sont régulièrement visés et victimes d'agression, ça veut dire que ces personnes qui sont au service des citoyens, au service des gens,
01:49il y a quelque chose qui se passe dans la tête de ces personnes qui se disent que non seulement cette personne est à mon service,
01:54mais qu'elle doit faire tout ce que je veux finalement et tout ce que je lui demande.
01:58Nathan Devers ?
01:59Oui, alors la relation médecin-passant, c'est une relation que Platon a beaucoup étudiée, parce que précisément elle échappe à la démocratie.
02:08On n'est pas dans une relation de type d'égalité absolue et stricte.
02:11Quand je vais chez mon médecin, je ne suis pas un client, il n'est pas un commerçant, même s'il y a une dimension aussi de paiement et donc de gain d'argent pour lui,
02:20je vais chez quelqu'un qui a un savoir que je n'ai pas et qui vient me dispenser son savoir et donc il a une autorité.
02:26Et donc le médecin, il vient rendre un verdict à la manière du juge, il vient me dire « Madame, Monsieur, vous avez telle ou telle maladie,
02:33vous avez, oui ou non, le droit d'être en arrêt maladie, vous avez le droit d'avoir une ordonnance vous donnant accès à tel ou tel médicament ».
02:40Et ce que j'observe, et je pense que l'agression dont nous parlons est un peu le symptôme,
02:45c'est une disparition de la dimension de savoir dans la relation patient-médecin,
02:49où on accepte l'autorité du médecin fondée sur la compétence scientifique au profit d'une clientélisation, d'une ubérisation.
02:57Finalement, quand ces dames sont venues chez le médecin, pourquoi elles l'ont agressée ?
03:00Elles l'ont agressée parce que la médecin ne voulait pas donner une ordonnance pour une troisième patiente qui n'était pas là.
03:06Autrement dit, quand elles sont venues chez le médecin, c'était en état de cliente.
03:09Elles venaient pour acheter leurs ordonnances.
03:12Et quand le médecin lui dit « Non mais attendez, je ne suis pas une commerçante, je ne viens pas vous vendre des ordonnances. »
03:16« Vous n'êtes pas client, mais vous êtes patient. »
03:18Eh bien là, ça leur est insupportable.
03:20Il y a l'autorité dont vous parlez, mais il y a aussi le pouvoir finalement dont dispose le médecin, qui est celui justement de délivrer une ordonnance.
03:28On est dans un pays aussi où il y a un système de santé assez particulier,
03:34on a beaucoup de chance d'avoir ce système de santé où l'on rembourse aussi les médicaments.
03:39Ça veut dire qu'aujourd'hui, un médecin a ce pouvoir de délivrer une ordonnance qui va permettre à des gens d'obtenir gratuitement des médicaments.
03:46Ça veut dire, et c'est à mon avis la seule limite qui doit exister dans une démocratie, qu'il doit y avoir un pouvoir du savoir.
03:51Un médecin n'est pas mon égal.
03:52C'est mon égal, il vote, il a le même bulletin de vote que moi, mais il n'est pas mon égal dans son rapport au savoir.
03:58Et ça, c'est quelque chose qui est menacé.
04:01Qui est menacé par l'agression que vous mentionnez, qui est menacé de manière beaucoup plus large.
04:04Je regardais le succès d'un site comme Doctissimo.
04:06Qu'est-ce que c'est, Doctissimo ?
04:08C'est un site où, par flemme d'aller chez le médecin, j'écris le problème que j'ai, j'ai un petit bouton sur la main,
04:14et il y a des gens qui sont absolument ignorants qui viennent me dire « Monsieur, vous avez un cancer, il faut vous amputer, vous allez mourir demain matin, etc. »
04:23On l'a tous fait, dans le temps de verre.
04:25Bien sûr, c'est le charme aussi de Doctissimo, c'est ce qui rend ce site sympathique.
04:29Ça nous montre que la vie est très fragile, puisqu'on peut toutes les cinq minutes avoir des maladies très graves.
04:33Mais ça montre bien qu'on a, dans notre société actuelle, qui est une société où, par les réseaux sociaux, par le numérique,
04:39nous avons tous une parole publique qui est égale, la hiérarchie qui est impliquée dans la connaissance est une hiérarchie menacée.
04:47Et je donnerai un dernier exemple qui est assez contemporain, en temps de mon K-pop, de Variole du singe,
04:53qui est précisément, dans une épidémie pendant le coronavirus,
04:56on voyait très bien que sur les réseaux sociaux, la parole d'un spécialiste d'immunologie avait autant, voire moins de poids,
05:04que la parole d'un complotiste qui n'y connaissait rien et qui n'avait jamais fait d'études de médecine.
05:08Et ça, évidemment, c'est quelque chose qu'il faut interroger, sans renoncer à la démocratie.
05:12Ce serait gravissime de dire « on va donner la parole uniquement aux médecins ».
05:15Et on posera la question, justement, au professeur Yves Buisson, qui est épidémiologiste et qui va être avec nous dans un instant.
05:21Nous parlerons, justement, du M-pox, du monkey pox, la variole du singe.
05:26Juste une dernière question sur ce sujet, Gilles Boutin.
05:28Avant de préciser aussi qu'un rassemblement citoyen avait lieu à 18h devant le cabinet médical pour interpeller les autorités.
05:36Pourquoi est-ce qu'il est devenu dangereux aujourd'hui d'exercer la médecine de ville dans notre pays ?
05:40Même chose pour les infirmiers, les pompiers, les policiers, on en parlait ?
05:44Précisément parce que, comme le disait Nathan, il y a eu une rupture anthropologique dans le rapport à la personne qui détient un savoir.
05:51Mais ça, c'est pour la médecine !
05:53Pour la médecine, j'entends, mais la médecine est désormais confondue avec toute autre forme d'autorité.
05:59Et même un pompier est considéré comme participant de l'autorité, ce qui est totalement absurde puisqu'il est là pour éteindre des feux ou porter les premiers secours.
06:08Et on assiste à cette confusion qui est présente dans énormément d'esprits et on a pu le voir notamment dans les émeutes
06:13où tout ce qui était représentatif de la présence étatique,
06:20peu importe si c'était un lampadaire pour éclairer, ou bien une permanence, ou même une école, tout devait être cassé et brûlé.
06:27Ça interroge profondément sur le vide abyssal intellectuel des personnes qui se livrent à ces actes parce qu'elles ne réfléchissent pas en réalité.
06:36Nous, on peut essayer de les conceptualiser, mais elles, sur le moment, elles n'y pensent absolument pas.
06:40Et c'est ça qu'il faut interroger et la chose à laquelle il faut apporter une réponse.
06:44Et on a le sentiment que c'est un travail générationnel, c'est-à-dire qu'il faut reprendre en main tout le monde.
06:49Mais ça, c'est extrêmement compliqué puisque comment gérer des générations entières sans attenter aux principes les plus fondamentaux de respect et de la liberté
06:58tant qu'on n'est pas dans une réponse pénale ? On ne va pas obliger des gens à aller dans des centres de rééducation alors qu'ils n'ont a priori rien fait de répréhensible.
07:05Cependant, au quotidien, il y a ces comportements qui perdurent et qui sont validés par le bain culturel dans lequel ces personnes se trouvent.