Pierre de Vilno revient pendant deux heures, sans concession, sur tous les sujets qui font l'actualité. Aujourd’hui, il revient sur les accusations de violences sexuelles contre l'abbé Pierre.
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00:00Europe 1 et Vous, 11h-13h, Pierre de Villeneuve.
00:04Vous écoutez Europe 1 et Vous jusqu'à 13h, il est 11h15.
00:07On a tous en tête ce qu'a fait l'abbé Pierre pour la France,
00:10ce qu'a fait l'abbé Pierre pour les pauvres en France.
00:13On a tous en tête cet appel l'hiver 1954,
00:17lorsqu'il dit justement à tout le monde,
00:21il prend la parole à la radio pour, comment dirais-je,
00:25sensibiliser la France entière à la pauvreté.
00:28C'est un hiver qui est extrêmement froid, il y a des gens qui meurent de froid dans la rue.
00:31On écoute un extrait.
00:32Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France,
00:36des pancartes s'accrochent où l'on lise, c'est simplement,
00:40toi qui souffres, qui que tu sois,
00:43entre, dort, mange, reprend espoir,
00:47ici on t'aime.
00:49L'abbé Pierre chante des abandonnés, chante des mal logés, des sans-abris.
00:54L'abbé Pierre, qui est décédé en 2007,
00:57fait l'objet d'accusations par sept femmes,
00:59dont une mineure au moment des faits d'agressions sexuelles commises
01:02entre la fin des années 1970 et 2005.
01:06Bonjour Louise Salé.
01:07Bonjour Pierre, bonjour à tous.
01:08Louise Salé du service Société d'Europe 1.
01:11C'est une nouvelle qui est tombée comme un effondrement
01:17d'une icône française.
01:18Après évidemment, ce qu'on va voir avec vous,
01:21c'est que c'est un rapport très détaillé
01:24qui annonce ces faits.
01:26Un rapport très détaillé,
01:28ça n'est pas juste une personne qui est venue témoigner
01:30et en prend son témoignage comme argent comptant.
01:33Ça a été un rapport avec une enquête,
01:37tout ça est vraiment très précis.
01:39Oui absolument, c'est à la fois Emmaüs,
01:42la Fondation Abbé Pierre,
01:43qui ont mandaté la militante féministe Caroline Dehaes
01:47et son cabinet spécialisé,
01:49le cabinet EGA,
01:50qui est spécialisé dans ces affaires de violences sexuelles,
01:53pour auditer de façon indépendante,
01:56auditionner de façon indépendante
01:58toutes les victimes qui ont décidé de parler.
02:01Ce cabinet a recueilli sept témoignages.
02:05Ce rapport se contente vraiment des témoignages.
02:08Il le dit, il rapporte ce que disent ces sept femmes,
02:12mais il ne va pas plus loin,
02:13il n'y a pas vraiment de mise en contexte.
02:15Ce sont les faits, rien que les faits,
02:17dit par ces femmes-là.
02:18Exactement, ce n'est pas un travail de justice,
02:20ce n'est pas une enquête judiciaire.
02:22Il n'y a pas de contradictoire,
02:23en plus Abbé Pierre est décédé depuis 14 ans maintenant.
02:26Absolument.
02:2717 ans pardon.
02:28Absolument, mais c'est un travail en tout cas
02:30que la Fondation et le mouvement Emmaüs
02:33ont voulu mettre en avant,
02:34parce que c'est tout simplement eux
02:36qui ont recueilli la parole de la première victime
02:39qui s'est exprimée auprès des responsables
02:42de l'association en juin 2023.
02:45Après ce témoignage,
02:46ils ont découvert qu'il y avait des faits
02:48qui étaient similaires
02:50et qui avaient été observés par d'autres,
02:53racontés, des paroles rapportées.
02:55Ils se sont dit qu'il fallait mettre de la lumière
02:57sur ces choses-là,
02:58qui étaient assez enfouies.
03:00C'est pour ça qu'ils ont aussi demandé
03:02à ce que ce soit une personne externe
03:04qui fasse ce travail-là
03:06et qui garantisse la confidentialité
03:09des propos rapportés
03:11et de l'anonymat de ces personnes.
03:13Donc la Fondation Abbé Pierre,
03:15vous les avez contactés,
03:17ils vous disent quoi exactement ?
03:19Que c'est un choc terrible,
03:20c'est une déflagration.
03:21Ils ont fait un communiqué
03:23qui dit que nous croyons ces victimes.
03:25Aucune remise en question
03:27de la parole de ces victimes.
03:29Nous croyons ces victimes,
03:30ça nous bouleverse.
03:32Il y a aussi un travail de mémoire,
03:34disent-ils, à faire
03:35sur ce qu'était l'Abbé Pierre,
03:37parce que c'est forcément une nouvelle
03:39qui bouleverse un petit peu
03:41l'image de cet homme.
03:43Est-ce qu'ils sont inquiets sur la Fondation
03:45et notamment sur Emmaüs,
03:46parce qu'il y a plein de gens qui donnent ?
03:48Des affaires, de l'argent ?
03:50Est-ce qu'il y a fatalement
03:52des questionnements sur
03:54cette icône française
03:56qui d'un coup d'un seul tombe
03:58avec ses accusations ?
04:00Est-ce qu'il n'y a pas une inquiétude ?
04:01C'est des questions qui se posent,
04:02parce que c'est courageux
04:04de publier ça,
04:05mais effectivement ça va forcément
04:07avoir un impact
04:09sur les donations, ça c'est sûr.
04:11Mais ils en sont conscients.
04:13Mais en tout cas, ils voulaient mettre ça en avant.
04:15Ils voulaient que ça vienne d'eux.
04:17Donc la démarche est quand même très louable.
04:19Et puis par ailleurs, l'Abbé Pierre,
04:21ce n'est pas juste un surnom,
04:23ce n'est pas un nom de scène.
04:24L'Abbé Pierre, parce qu'il avait été ordonné prêtre
04:26juste avant la Seconde Guerre mondiale,
04:28l'Église a également réagi.
04:32Oui, elle a dit
04:34qu'elle apprenait avec douleur
04:37les témoignages.
04:38Ce sont les mots de la Conférence des évêques de France,
04:40qui tient à assurer, je cite,
04:43les personnes victimes de sa profonde compassion
04:45et de sa honte.
04:47Voilà, de sa honte que de tels faits
04:49puissent être commis par un prêtre.
04:51La Conférence redit sa détermination
04:53à se mobiliser pour faire de l'Église
04:55une maison sûre.
04:57Donc pareil,
04:59l'Église a honte,
05:01l'Église apprend avec gravité
05:03ces témoignages.
05:05En tout cas, il ne faut pas faire d'amalgame
05:07parce qu'effectivement, là,
05:09on a ces témoignages de femmes.
05:11Ce sont des femmes majeures. Il y a une mineure au moment des faits,
05:13qui a je crois 16 ou 17 ans,
05:15qui témoigne. Mais effectivement,
05:17quand on entend les affaires dans l'Église,
05:19il y a eu malheureusement,
05:21bien malheureusement,
05:23des affaires de pédophilie dans l'Église.
05:25Ce sont des choses, il ne faut surtout pas faire d'amalgame.
05:27Il y a beaucoup de...
05:29J'entends, je regarde les réseaux sociaux,
05:31des gens qui vont très franco
05:33sur les réseaux sociaux, sur les commentaires.
05:35Il faut quand même s'interroger. Et puis, encore une fois,
05:37ce sont les témoignages, vous l'avez dit,
05:39inabstractos de ces femmes. Il n'y a pas eu
05:41de travail contradictoire
05:43jusqu'à présent. Et bien sûr, vous pouvez témoigner
05:45au 01-80-29-21
05:47si vous voulez prendre la parole
05:49sur ce sujet. En attendant, je voudrais qu'on accueille
05:51Anaïs Zoua. Bonjour.
05:53Vous êtes psychologue
05:55à Errani, dans le Val d'Oise. Vous suivez
05:57justement des personnes traumatisées,
05:59victimes d'agressions sexuelles.
06:01On l'a dit,
06:03l'abbé Pierre est mort en 2007.
06:05Ce sont des faits qui, pour certains,
06:07remontent à la fin des années
06:0970. Et la question,
06:11Anaïs Zoua, revient à chaque
06:13fois, mais je vous la pose, pourquoi avoir
06:15tant tardé pour parler ?
06:19Je vais juste faire une petite précision.
06:21Effectivement, je suis psychologue
06:23à Errani, et également
06:25à l'association Médé, qui est une association
06:27qui s'occupe de jeunes femmes
06:29victimes de violences de tous types, dont les violences
06:31sexuelles. Alors, effectivement,
06:33c'est une question qui revient souvent.
06:35Pourquoi les personnes victimes,
06:37je vais parler en général, et puis
06:39des femmes que, moi, je rencontre, parce que je ne
06:41connais pas les victimes qui se sont
06:43exprimées concernant l'abbé Pierre.
06:45Alors, pourquoi est-ce que
06:47parfois, on met du temps à parler ? Tout d'abord,
06:49les violences sexuelles, que ce
06:51soient des agressions, des viols,
06:53on est dans ce qu'on appelle l'effraction de l'intime.
06:55On va toucher à ce qui est de plus
06:57intime chez l'individu, et
06:59évidemment, les victimes ont peur.
07:01Au moment des actes, elles ont honte.
07:03La honte, c'est ce qui exprime
07:05qu'on est relié à une communauté, et que
07:07quand on vient toucher à ce qu'il y a
07:09de plus intime en nous, et que
07:11l'étaler sur la place publique peut être
07:13effectivement très compliqué et très
07:15douloureux. Ensuite,
07:17ces faits-là, a priori, s'inscrivent
07:19dans une communauté,
07:21et l'agresseur, en tout cas l'agresseur
07:23supposé, en l'occurrence, est
07:25quelqu'un de médiatique, qui a
07:27beaucoup oeuvré, donc il y a plusieurs
07:29raisons qui peuvent expliquer qu'on mette du temps
07:31à parler. Déjà, au
07:33niveau du traumatisme que l'on peut
07:35vivre, que l'on peut ressentir, avec
07:37les effets de sidération, qui sont décrits par
07:39les témoignages recueillis par Caroline
07:41de Haas,
07:43cet effet de sidération, il va
07:45avoir pour effet de figer
07:47la personne, et puis derrière
07:49de l'isoler.
07:51Parler de ce qu'on a subi
07:53peut être extrêmement compliqué,
07:55parce qu'on se sent en grande situation de fragilité.
07:57Ensuite, souvent, on n'est pas cru.
07:59Parce que
08:01la personne qui agresse,
08:03que ce soit à l'intérieur d'une famille ou
08:05dans un endroit un peu
08:07plus public,
08:09ce n'est pas évident de détruire une image
08:11qui a été accolée à cette icône.
08:13Ce qui est terrible,
08:15ce qui est terrible, Anaïs,
08:17c'est quand vos propres parents ne vous croient pas.
08:19Tout à fait.
08:21Alors là, on est dans
08:23les violences intrafamiliales, ou alors
08:25des violences extérieures, et que les parents...
08:27Oui, je parle des violences extérieures, quand c'est le
08:29voisin ou le cousin qui est venu pour
08:31des vacances,
08:33etc. Et là,
08:35parfois, l'enfant ou
08:37le jeune adolescent se confie
08:39et les parents disent
08:41tu racontes des balivernes,
08:43ça n'a pas pu se passer,
08:45reprends-toi, etc.
08:47Et ça, ça a été
08:49porté au cinéma
08:51par le film L'échatouille,
08:53d'Anaïs Besco.
08:55Et c'est absolument terrible
08:57quand vos propres parents ne vous croient pas.
08:59Tout à fait.
09:01C'est ce qu'on va appeler le trauma par carence,
09:03c'est-à-dire que le défaut
09:05d'accueil de la parole
09:07par l'entourage proche va traumatiser
09:09la personne, va la retraumatiser.
09:11Donc on est sur des phénomènes où
09:13on ne peut pas entendre
09:15son enfant, ne peut pas entendre
09:17son petit-fils, parce que
09:19ça viendrait perturber un équilibre,
09:21quel qu'il soit. Soit l'équilibre familial,
09:23soit un équilibre
09:25dans l'investissement qu'on a
09:27au sein d'une communauté, au sein d'une société.
09:29C'est trop difficile,
09:31c'est une forme de déni
09:33et c'est très compliqué
09:35pour les victimes qui se retrouvent face
09:37à une fin de non-recevoir
09:39et derrière, la reconstruction
09:41est d'autant plus difficile.
09:43Donc la capacité qu'on a à accueillir cette
09:45parole, elle est primordiale.
09:47Aujourd'hui, la capacité a changé.
09:49Le fait que ça soit enfoui,
09:51plus c'est enfoui, plus
09:53on essaye d'oublier, plus on essaye d'oublier,
09:55moins on parle et le temps passe
09:57et après, évidemment.
09:59Mais alors comment est-ce que tout d'un coup,
10:01ces femmes, en l'occurrence,
10:03dans l'affaire de l'abbé Pierre,
10:05se sont dit, bah tiens, en fait
10:07on va quand même témoigner.
10:09Quel a été le déclic pour dire
10:11bah tiens, on va quand même aller se livrer
10:13parce qu'on ne peut pas laisser passer ça.
10:15Louise Salé voulait intervenir.
10:17Je voulais juste rajouter
10:19un point sur ce point-là. Caroline Dehaze s'est
10:21exprimée et a dit, en fait, la première victime
10:23qui a parlé, c'est parce qu'elle a entendu
10:25les victimes qui se sont exprimées
10:27dans le cadre de la SIAZ, donc c'est la
10:29commission indépendante sur les abus sexuels dans l'église
10:31qui a rendu un rapport
10:33en 2021,
10:35estimant à 300 000 victimes.
10:37C'est le rapport sauvé. Voilà, exactement,
10:39le rapport sauvé dans l'église
10:41de violences sexuelles mineures
10:43depuis la fin des années 50.
10:45Et en fait, ce sont ces témoignages-là,
10:47cette libération de la parole-là,
10:49qui ont poussé cette femme à témoigner,
10:51qui ensuite a déclenché les autres
10:53témoignages qui ont été recueillis dans le rapport.
10:55On se sent moins seule
10:57quand il y a une autre personne qui parle.
10:59Oui, on est effectivement
11:01dans une société qui a changé
11:03de paradigme. Notre seuil de
11:05tolérance à la violence globale a changé
11:07et surtout aux violences faites aux femmes.
11:09Du coup,
11:11dans une société qui accueille
11:13un peu mieux la parole des femmes,
11:15effectivement, il y a un appel d'air
11:17où quand on voit des victimes s'exprimer,
11:19on va pouvoir se rompre justement
11:21cet isolement que mettent en place
11:23les violences sexistes et sexuelles
11:25et se dire, moi aussi, peut-être que
11:27je peux enfin déposer quelque chose
11:29dans l'espace commun et que ce soit reconnu
11:31à ce moment-là. Maintenant,
11:33quand on parle de psychotraumatisme,
11:35les choses peuvent être complexes. D'un côté,
11:37il y a des amnésies traumatiques.
11:39Ça existe. On oublie complètement
11:41certains faits. C'est surtout
11:43quand ça s'est produit dans la toute petite enfance
11:45et au niveau du cercle familial.
11:47Ensuite, on va parler de refoulements
11:49ou en tout cas de choses qu'on ne peut plus déposer
11:51parce que la société ne nous permet pas,
11:53parce que la figure emblématique
11:55qui nous a agressés est
11:57très difficile à attaquer. Je crois que quelqu'un
11:59dans le rapport de Caroline Dehaze parlait
12:01d'attaquer Dieu, finalement. Parler
12:03des violences de la bétière, c'est tout comme attaquer Dieu.
12:05Effectivement, on est
12:07en train de déconstruire un certain
12:09format sociétal organisé
12:11autour d'icônes. La bétière n'est pas le seul.
12:13Gérard Depardieu est aussi une icône
12:15et c'est très difficile pour des personnes
12:17qui ont été agressées par des icônes.
12:19C'est-à-dire que les icônes, c'est ce qui est
12:21guidé de toute substance. On n'est plus dans l'être humain.
12:23On est dans l'image et la représentation.
12:25On en a tous. Il est très
12:27inconfortable, notamment pour les personnes
12:29travaillant dans le social, mais pas que,
12:31de se dire que cet homme qui a construit
12:33effectivement énormément de
12:35dispositifs qui aident les plus démunis
12:37a pu, d'un autre côté aussi,
12:39agresser potentiellement
12:41des femmes. Pourtant,
12:43c'est la réalité même de l'humain.
12:45Merci Anaïs Voix d'avoir témoigné sur
12:47Europe 1. Merci beaucoup Louis Sellet
12:49de nous avoir apporté des détails sur cette affaire
12:51de l'abbé Pierre qui, bien sûr, bouleverse
12:53la France entière. Il est
12:5511h28, Trina. On revient dans un instant
12:57avec la politique. Avec Laurent
12:59Jacobelli, votre invité
13:01député RN, votre invité Pierre de Villeneuve.
13:03Et pour lui poser vos questions, vous nous appelez au 01 80
13:0520 39 21. C'est un numéro
13:07non surtaxé. A tout de suite sur Europe 1.