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Notre Débat Éco de la semaine : de quoi le RN est-il le nom ? On en parle avec Dominique Seux et Thomas Porcher.

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Transcription
00:00Le débat éco avec Thomas Porcher, professeur à la Paris School of Business et économiste
00:10atterré.
00:11Bonjour.
00:12Bonjour.
00:13Et bonjour Dominique Sow, éditorialiste aux Echos et à France Inter.
00:15Bonjour.
00:16Plus d'un tiers des électeurs s'apprêtent donc à glisser ce week-end un bulletin à
00:19Rassemblement National dans Lyon pour désigner leurs députés, c'est ce que montrent les
00:22derniers sondages.
00:23Un vote massif donc, dont France Inter depuis des semaines décortique les ressorts et notre
00:29dernier sondage d'Ipsos juste avant le premier tour nous apporte des éléments de compréhension
00:33avec notamment une mesure des sujets qui pèsent dans le poids du vote, pouvoir d'achat, immigration,
00:38santé pour la population générale, immigration, pouvoir d'achat, sécurité, c'est dans l'autre
00:43sens pour les électeurs RN, dans tous les cas il y a au moins un sujet de nature économique
00:48et c'est pour ça qu'on en parle aujourd'hui dans le débat éco, question toute simple
00:52donc pour commencer, est-ce que le ressort du vote RN d'après vous est économique
00:57ou non ? Thomas Porcher.
00:59Oui, pour moi il est économique, partout où des politiques libérales ont été appliquées
01:04vous avez l'extrême droite qui a fini par gagner, ça a commencé par être le cas des
01:07Etats-Unis où il y avait des très bons indicateurs et puis Trump a gagné en faisant une partie
01:12de sa politique sur la phobie migratoire avec le Mexique, puis vous avez le Royaume-Uni
01:17où le Brexit a été voté avec la phobie migratoire des Polonais, vous avez aussi la
01:22Hongrie où Urban est arrivé au pouvoir alors même que beaucoup de gens disaient mais regardez
01:26la Hongrie a fait des réformes sérieuses comparées au pays du sud de l'Europe, vous
01:29avez eu l'Italie avec Matteo Salvini où la France disait mais regardez l'Italie a fait
01:34le super job act de Matteo Renzi et des réformes et puis aujourd'hui vous avez le Pen avec
01:40les réformes qui ont été appliquées par Emmanuel Macron.
01:43Donc partout où des politiques libérales sont appliquées dans un contexte où l'économie
01:48ne fonctionne pas très bien avec des taux de croissance faibles, vous avez derrière
01:51l'extrême droite qui monte.
01:52Je pense que le rôle de l'économie est plus important qu'avant mais il est très
01:57loin d'être exclusif, c'est pas le principal, même le pouvoir d'achat c'est pas le principal
02:02déterminant du vote en faveur du Rassemblement National, quand on regarde les enquêtes,
02:07vous avez cité l'enquête d'Ipsos, elle est extrêmement claire.
02:10Quand vous interrogez, quand l'Ipsos interroge les électeurs aériens sur les raisons de
02:16leur vote, il cite dans la moitié des cas la sécurité, dans les deux tiers des cas
02:21le pouvoir d'achat, mais dans trois quarts des cas l'immigration, c'est exactement
02:25dans ce sens-là que ça passe.
02:27Au fond, vous savez il y a une vidéo de Bernard Tapie de 1990 qui a circulé ces dernières
02:32semaines sur les réseaux sociaux et qui dit, mais c'était en 1990 et les choses ont changé,
02:38qui dit au fond le FN à l'époque est une voiture-balai des frustrations, ça a commencé
02:44par la couche des gens racistes, ça c'est historique, et puis les frustrations petit
02:49à petit.
02:50Au fond, le vote aérien a été d'abord un bras d'honneur aux élites, puis c'est
02:57devenu une sorte, vous savez sur les réseaux sociaux on met des likes sur Twitter, sur
03:02TikTok, c'est des électeurs mettent des likes aux propositions en disant, ah c'est
03:07intéressant on va regarder, et puis ça se transforme en, est-ce que c'est une adhésion,
03:11protestation, adhésion, est-ce que, et aujourd'hui le ressort me semble-t-il le plus important,
03:17c'est on va jouer pour voir, on va voter pour voir, on va tester ce qu'on n'a pas
03:23essayé.
03:24On entend souvent ça dans les reportages.
03:25Et donc je crois qu'on en est là, donc c'est bien au-delà de l'économie.
03:27Non, moi je pense justement que Bernard Tapie avait raison, parce que vous savez, quand
03:31vous êtes dans...
03:32Vous entendrez pas souvent dire ça je pense.
03:33Non mais je pense qu'il avait une analyse assez fine en fait des milieux populaires
03:41parce que lui-même venait justement d'un milieu populaire, c'est-à-dire que quand
03:45vous vivez dans un système où il y a une austérité budgétaire qui est appliquée,
03:49où vous avez des mesures qui font que votre sécurité dans l'emploi n'est plus la même
03:54qu'avant avec des lois de travail et que vous vous sentez de plus en plus précarisé,
03:58et bien vous pouvez très facilement trouver un coupable idéal qui est l'étranger.
04:02Je m'explique.
04:03Vous allez, vous avez un enfant, vous allez demander une place en crèche, on vous dit
04:06attention il n'y aura pas de place pour tout le monde, ah ben on est trop nombreux donc,
04:10donc il y a trop d'étrangers.
04:11Vous allez à l'hôpital, vous attendez longtemps, on va vous dire, oui vous attendez parce qu'il
04:14y a trop d'étrangers.
04:15Vous demandez un HLM, on vous dit, ah oui mais il n'y en aura pas pour tout le monde
04:18parce qu'il y a trop d'étrangers.
04:19Donc vous voyez, l'austérité budgétaire, la perte de protection sociale, la précarisation
04:24de l'emploi fait que nous trouvons très facilement un coupable idéal dans l'étranger.
04:27Ça c'est la première chose.
04:28Et la deuxième des choses, et je finirai, la deuxième des choses qui est importante,
04:32c'est qu'un certain nombre de gens des partis républicains ont légitimé le discours du
04:39Rassemblement National avec les lois immigration, la déchéance de nationalité, les questions
04:43de l'identité nationale sous Nicolas Sarkozy, des livres de Stephen Smith, La ruée vers
04:48l'Europe, où on nous expliquait que l'Europe allait être envahie d'immigrés africains
04:51qui ont reçu le prix du livre géopolitique en 2018, alors que les vrais scientifiques
04:57disaient que les modélisations faites par Stephen Smith étaient complètement farfelues.
05:01Donc vous voyez, il y a eu quand même une légitimation du discours de l'extrême droite
05:04qui fait qu'aujourd'hui, on peut dire très clairement, oui c'est l'immigration qui est
05:08le problème à tous les maux de la France.
05:10Dominique Seux, là c'est aussi la question de l'accès au service public.
05:13Oui, je ne suis pas d'accord avec cette analyse, je crois que si c'était la question économique
05:19et le pouvoir d'achat qui était le déterminant principal, les électeurs ou l'accès au
05:25service public, les électeurs iraient plus vers la gauche, qui promet par exemple la
05:29hausse du SMIC à 1600 euros par mois, qui est quelque chose d'extrêmement simple à
05:35comprendre.
05:36Ce n'est pas du tout le cas, donc ça veut dire que c'est beaucoup plus large, ça veut
05:39dire que votre analyse, je trouve qu'elle est un tout petit peu courte.
05:44Moi ce qui me frappe, c'est au fond, c'est la question des modes de vie, et je me réfère
05:50à un livre dont tout le monde a beaucoup parlé, mais dont il faut aller regarder l'annexe,
05:53c'est les ingénieurs du chaos, vous savez, de Giuseppe D'Ampoli, et il cite à la fin
05:58dans la version enrichie qui a été publiée après, donc c'est un essayiste italien,
06:04et il dit au fond, alors il parle des pays anglo-saxons, mais en fait ça s'applique
06:08à tous les pays dits occidentaux, il dit au fond, il dresse la liste des choses que
06:13les gens de la classe moyenne craignent de perdre depuis une dizaine ou une quinzaine
06:18d'années, et ça concerne majoritairement les lieux où le vote à Rennes arrive en
06:24tête, c'est-à-dire les milieux non urbains, périurbains, villes moyennes, petites villes,
06:30milieux ruraux.
06:31Et c'est quoi cette liste ? Ce que les gens de la classe moyenne craignent de perdre,
06:35vous avez les cheminées, les voitures diesel, les steaks, les sapins de Noël, les frontières,
06:40les cigarettes, les fast-foods, le père Noël, rouler à 130 km heure, la chasse, les combats
06:46de coqs, et la liste continue, c'est extrêmement éclairant, c'est une remise en cause des
06:52modes de vie.
06:53Je ne dis pas que l'économie n'existe pas, je ne dis pas que ce n'est pas à moi
06:55éditorialiste d'économie qui va dire que l'économie ne sert à rien, évidemment,
06:59mais je dis que c'est bien plus large, et même sur la question de la migration, même
07:05sur la question de la migration, on pourrait affiner, je crois, la chose.
07:09Le vote, ce n'est pas un vote anti-immigrés, c'est que les lois ne sont pas respectées.
07:15Nous, dans le monde agricole, on nous demande de respecter les normes matin, midi et soir,
07:19et quand il y a des personnes qui sont en situation illégale, elles restent là alors
07:23qu'elles n'ont pas reçu le permis, le droit d'asile, et donc c'est le deux poids
07:27de mesure qui pose problème.
07:30Là où je rejoins Dominique, il a raison là-dessus, mais son analyse ne regarde qu'une
07:40partie des choses et pas l'autre partie.
07:42Pourquoi ces gens s'attachent à ce que tu viens de dire, à ce mode de vie ? Parce
07:45qu'ils ont perdu tout le reste, ils ont perdu tout le reste.
07:49Dans ces endroits-là, les usines sont parties, les usines sont parties, les services publics
07:53sont partis, donc il ne reste plus que le mode de vie.
07:56Les votes du RN se concentrent majoritairement dans le nord-est, qui était dans des anciens
08:02bastons communistes, où il y avait beaucoup d'usines, et dans le sud-est, où il y avait
08:05énormément d'usines également.
08:06Donc on voit très bien que quand l'économie part, il ne reste plus effectivement que les
08:10modes de vie.
08:11Mais rappelons-le, ces 15 dernières années, nous avons vu un certain nombre de crises.
08:15Ces crises ne sont jamais reliées à l'immigration.
08:172008, crise financière, la plus grande crise depuis 1929, 1,5 million de chômeurs en plus,
08:23ce n'est pas dû à l'immigration.
08:24La crise des dettes souveraines, politiques d'austérité appliquées qui ont fait qu'on
08:27a un taux de croissance à 0% et qu'on ne crée pas suffisamment d'emplois, ce n'est
08:30pas à cause de l'immigration.
08:31Le Covid, ce n'est pas à cause de l'immigration.
08:34L'inflation, à cause du conflit entre la Russie et l'Ukraine, ce n'est pas à cause
08:37de l'immigration.
08:38Donc toutes les pertes de pouvoir d'achat, le chômage, ne sont pas dues à l'immigration.
08:42Et pour circonstanter la solution, ce serait de résoudre l'immigration.
08:47Je voulais vous poser en un mot, parce qu'on arrive à la fin, c'est vrai que le débat
08:49est un peu plus court aujourd'hui.
08:51Ce qui est intéressant dans notre sondage d'Ipso, c'est que selon cette étude, 80%
08:54des personnes qui ont voté RN au premier tour estiment que l'application du programme
08:58n'est pas souhaitable.
08:5987% que le parti, s'il arrive au pouvoir, appliquera une partie seulement de ses projets.
09:04Dominique, surpris ou non ?
09:05Juste en un mot.
09:06En un mot, non mais les électeurs, d'une manière générale, se disent que les programmes
09:10ne seront pas appliqués.
09:12En réalité, ils le sont dans la quasi-totalité des cas.
09:14Et que ce n'est pas souhaitable alors.
09:16Ils le sont, mais pas totalement.
09:18Donc, un certain nombre d'électeurs se disent qu'ils proposent ça et on aura la moitié
09:22et ce sera déjà pas mal.
09:24Et c'est pour ça que les votes vont dans ce sens-là.
09:28Thomas Porcher, pareil, en un mot.
09:29Moi, je pense que c'est la frustration et la volonté d'opposer les pauvres entre eux
09:33qui fonctionnent très bien.
09:34Et on reparle évidemment des élections législatives dans le débat 8h20 avec Yael Ghos, qui va
09:38rester avec moi en studio.
09:40Merci Dominique Seux, merci Thomas Porcher.
09:42On vous souhaite au passage un bon anniversaire, Thomas.
09:45Merci Marie.

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