• il y a 4 mois
Vincent Czeszynski, associé chez EY-Parthenon, est l’auteur du livre « Climat, 20 questions pour comprendre et agir », paru aux éditions Ellipses en juin 2024. La décroissance est-elle souhaitable ? Le carbone doit-il avoir un prix ? Les normes environnementales sont-elles trop nombreuses ? Voici les principales questions controversées auxquelles il répond dans SMART IMPACT.

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Transcription
00:00L'invité de Smart Impact, c'est Vincent Cezinski, bonjour.
00:10Bonjour Thomas Huguet.
00:11Bienvenue, vous êtes associé chez EY, partenaire responsable Industrie, Mobilité et Énergie,
00:16et vous publiez Climat, 20 questions pour comprendre et agir.
00:21Question toute simple pour démarrer, qu'est-ce qui vous manquait ailleurs
00:24pour vous donner l'idée ou l'envie d'écrire ce livre ?
00:27D'abord, merci pour l'invitation. Il y a deux questions dans votre question.
00:33D'abord, pourquoi le thème du climat ? Et ensuite, pourquoi un livre sur le climat ?
00:36Pourquoi le thème du climat ? C'est venu assez naturellement parce que
00:39dans mon métier au quotidien, on conseille les dirigeants d'entreprises
00:42sur leur stratégie de croissance et de développement,
00:44et que forcément, la question du défi climatique est nécessairement
00:47à prendre en compte désormais dans toute stratégie d'entreprise.
00:50Et puis à titre personnel, le débat est devenu complètement omniprésent,
00:53le sujet du réchauffement climatique, et il me semblait assez indispensable
00:57d'essayer de comprendre cette problématique qui est devenue absolument essentielle et passionnante.
01:01Donc ça, c'est pourquoi le climat. Maintenant, pourquoi un livre sur le climat ?
01:05De manière générale, je suis un peu frustré, voire même un petit peu agacé
01:08par la manière dont le débat peut être porté sur la place publique,
01:11parce qu'on le traite de manière un petit peu anxiogène,
01:13de manière un petit peu excessive, de manière un petit peu caricaturale.
01:17Je trouve qu'on prend des décisions sans prendre en compte
01:19l'impact de toutes les décisions qu'on va prendre,
01:21et c'est ce que j'ai essayé de démontrer dans le livre.
01:23Vous ne trouviez pas ça ? Parce qu'il y en a eu beaucoup des livres sur le climat.
01:27Il y en a beaucoup, il y en a plein d'excellents.
01:29J'ai dû en lire 40 ou 50 avant d'écrire le livre, donc j'en ai lu beaucoup qui sont très bien.
01:33Mais en fait, ce que j'ai essayé de faire, c'est d'avoir une vision complète et exhaustive
01:37qui va du diagnostic aux solutions, qui ne s'intéresse pas uniquement aux problèmes français.
01:41Parfois, on a tendance à considérer que la France est l'alpha et l'oméga
01:43et que les réponses qui sont adaptées à la France
01:45vont être aussi les réponses qui sont valables pour le reste du monde.
01:47C'est loin d'être le cas. Donc il faut avoir une vision globale.
01:49Il y a même des pays qui nous disent, vous êtes bien gentils, mais nous, on veut avancer, on veut croître.
01:53Vous avez, entre guillemets, épuisé la planète pendant des décennies et pourquoi nous, on ne ferait rien ?
01:58Exactement. Donc tout l'enjeu pour moi, c'est de trouver des réponses qui permettent de concilier
02:05croissance et développement durable, qui permettent aussi d'embarquer le reste des populations.
02:08On ne peut pas faire ce genre de transformation contre les populations.
02:11Et donc, il faut trouver une voie médiane, en fait.
02:13Des solutions efficaces et acceptables.
02:16Efficaces et acceptables.
02:17C'est important.
02:18On le voit en ce moment, il peut y avoir des problèmes de crise démocratique.
02:21Je pense que tout l'enjeu, justement, c'est de mettre en place des solutions
02:24qui permettent d'embarquer le reste de la population et d'être acceptés aussi par les populations.
02:28Alors, on s'est concentré sur trois thèmes. Il y en a plein d'autres dans le livre.
02:3420 questions, mais on en a choisi trois.
02:36Il y en a une qui est assez politique, d'une certaine façon, autour de la décroissance.
02:40Qu'est-ce que vous pensez de ce sujet ?
02:42Pour vous, c'est une idéologie ? C'est quoi la décroissance ?
02:45Alors, oui, d'une certaine manière, c'est une idéologie.
02:47On peut se poser la question de, est-ce que c'est possible ? Est-ce que c'est souhaitable ?
02:51Alors, c'est évidemment possible, mais je pense que ce n'est pas souhaitable à plein d'égards.
02:54Ni sur le plan économique, ni sur le plan social, ni sur le plan environnemental.
02:57Pour revenir sur la décroissance, je ne vais pas faire l'histoire de la décroissance.
03:01Mais c'est un courant qui est apparu il y a quelques décennies,
03:04qui est très fort et qui a un fort écho en France, notamment.
03:06D'ailleurs, le terme décroissance a été créé par un Français.
03:09On ne l'entend pas dans d'autres pays ?
03:12Si, on l'entend dans d'autres pays.
03:13Mais c'est vrai qu'il y a un écho et une case de résonance qui est particulièrement importante en France.
03:17Et en fait, c'est une philosophie, d'une certaine manière,
03:20qui est fondée sur un certain nombre de principes qui sont d'ailleurs assez justes, c'est certain.
03:24On ne tire pas le bonheur de la croissance économique, ça c'est vrai.
03:27Et c'est vrai aussi que le modèle sur lequel notre société est basée,
03:32c'est un modèle de croissance qui a été permis par l'accès à des énergies bon marché,
03:36qui ont permis de croître, de gagner en qualité de vie.
03:41Et donc tout l'objectif de la décroissance, c'est de se dire,
03:43à partir du moment où le problème de base, c'est un problème de croissance
03:47qui conduit à un excès de consommation énergétique,
03:50si on décroît, on diminue la consommation d'énergie, on résout le problème.
03:53Alors évidemment, c'est un peu plus compliqué que ça.
03:55Mais ça pose la question de l'impact du capitalisme sur la planète.
04:01C'est vrai que le marché n'est peut-être pas l'ennemi de la transformation environnementale,
04:05mais bon, il a accéléré le réchauffement en épuisant un certain nombre de ressources de la planète.
04:10Donc il faut quand même modérer ce capitalisme ou réinventer ce capitalisme.
04:15Vous êtes d'accord avec cette idée ?
04:16Il faut complètement le réinventer.
04:18Ce que je pense fondamentalement, c'est qu'on est à l'aube d'une révolution
04:22qui s'apparente à la révolution industrielle qu'on a pu connaître dans le siècle passé,
04:26si ce n'est qu'on va devoir piloter la transformation sur une échelle de temps beaucoup plus courte.
04:30Je pense qu'il y a beaucoup d'erreurs dans la pensée des croissantistes.
04:34Je pense qu'à la base, il y a d'abord une erreur d'ordre de grandeur et de justice d'ailleurs.
04:41D'ordre de grandeur parce que si on prend un pas de recul,
04:44évidemment aujourd'hui, dans le monde, il y a à peu près encore un milliard de personnes qui vivent dans des bidonvilles.
04:48L'idée, ce n'est pas de décroître ou de priver ces personnes-là de l'accès à des conditions de vie qui seront meilleures.
04:54Et donc on espère qu'il y aura de la croissance dans ces pays-là.
04:56Donc si on parle de décroissance, forcément, ça va être dans les pays développés.
04:59Donc les pays développés, essentiellement l'Europe et les Etats-Unis.
05:02Pour avoir là encore les ordres de grandeur, l'Europe et les Etats-Unis, c'est 20% des émissions mondiales.
05:06En admettant qu'on applique des politiques décroissantistes assez agressives,
05:12donc on arrête de prendre l'avion, on devient vegan, on arrête de changer ses smartphones tous les 3 ans,
05:17on chauffe les logements à 17°, on est très volontariste,
05:20on va économiser 40, peut-être 50% des émissions de CO2.
05:24Vous pouvez me dire que c'est beaucoup, mais c'est beaucoup au prix d'un certain nombre de sacrifices.
05:28Et puis finalement, on va résoudre que 50%, 20% du problème.
05:32Ce qui fait qu'on ne résout pas que 90% du problème.
05:34Et c'est là où est l'enjeu.
05:37C'est qu'il faut trouver des solutions qui permettent de changer les 90% restants.
05:40Mais alors, vous parliez de l'avion.
05:42Ce qui m'amène à la transition avec une autre question du livre, le prix du carbone.
05:47Pourquoi le carbone doit avoir un prix élevé ?
05:50Moi j'en déduis, les billets d'avion devraient être beaucoup plus chers.
05:53Oui. Et d'ailleurs, si vous avez pu le constater, sur les derniers mois,
05:58le prix des billets d'avion a quand même sensiblement augmenté.
06:00Oui, enfin il y a même encore de la marge.
06:02Quand on essaye de voyager en train, traverser l'Europe en train,
06:06ça va nous coûter beaucoup plus cher que de prendre un avion.
06:08Et c'est d'une certaine manière une aberration.
06:10Bien sûr que c'est une aberration.
06:11Je le pense fondamentalement.
06:12Il y a un économiste qui s'appelle Arthur Pigou,
06:15qui avait théorisé l'impact des externalités négatives
06:18que pourraient avoir les activités sur le reste de la sphère au-delà de l'économie.
06:23Et donc sur le principe, c'est simple,
06:25normalement il faudrait taxer ce qu'on veut éviter
06:27et subventionner ce qu'on veut encourager.
06:29Force est de constater que dans notre système économique actuel, on ne le fait pas.
06:32C'est-à-dire qu'on va taxer beaucoup, d'ailleurs le travail,
06:34notamment le travail des salariés les mieux rémunérés.
06:38On taxe le capital.
06:40On va même subventionner les énergies fossiles d'une certaine manière.
06:43Et aujourd'hui, le prix du carbone, c'est un débat qui n'a apparu que très récemment.
06:46Donc normalement, c'est dans cette direction-là qu'il faudrait aller.
06:49Mais si on agit sur le prix du carbone, il faut le faire au niveau mondial.
06:52Il faut le faire au niveau mondial.
06:53Sinon, il y aura forcément des distorsions de concurrence majeures.
06:56Énorme problème.
06:57Aujourd'hui, il y a à peu près 25% des émissions de carbone
07:00qui sont couvertes par des dispositifs de type taxe carbone
07:02ou marché de droit d'émission au carbone.
07:0425%.
07:05Donc il y a encore des progrès à faire.
07:08Il y a 20 ans, on était à 0,5%, maintenant on est à 25%.
07:11Il faut étendre la liste des secteurs auxquels ce type de dispositif s'applique
07:15et il faut étendre la liste des pays aussi qui sont concernés.
07:17Donc c'est le 1er sujet.
07:18Il y a un problème d'extension à l'échelle mondiale et de tous les secteurs
07:21qui sont couverts par les dispositifs de prix du carbone.
07:24Le 2e sujet, c'est qu'il faut que le prix du carbone soit suffisamment élevé
07:28pour inciter les entreprises à faire les investissements nécessaires
07:32pour la décarbonation.
07:33Le prix moyen aujourd'hui est 10 euros, 10 dollars à peu près.
07:37C'est très insuffisant pour pouvoir permettre ces investissements.
07:40Il faudrait que le prix du carbone soit à peu près à 80, 100 dollars,
07:43ce qui est à peu près le prix du carbone qu'on pratique en Europe,
07:46mais ce n'est pas du tout le cas dans le reste du monde.
07:48Avec quelles conséquences sur le prix des produits ?
07:50Et là, on arrive jusqu'au consommateur et à l'acceptabilité dont on parlait tout à l'heure.
07:54Il y a un écueil dans le prix du carbone.
07:58Ça a plein d'effets positifs.
08:00La plupart des économistes sont pour.
08:01Il y a eu une pétition de 2600 économistes, 28 prix Nobel.
08:04Il y a un très large consensus, mais il y a des conditions de mise en œuvre.
08:08Il ne faut pas que ça alourdisse la facture des entreprises ou des particuliers de manière excessive,
08:14parce que sinon, il y a un risque de mise en difficulté d'un certain nombre de populations plus fragiles.
08:19Ce qu'il faut faire, je parlais des taxes ou des subventions pigouviennes,
08:23il faut repenser le système fiscal.
08:25Peut-être qu'à la place de taxer excessivement le travail,
08:28il faut peut-être moins taxer le travail, plus taxer les émissions polluantes.
08:32C'est un premier point de vigilance qui est quand même assez important sur le sujet.
08:36Il nous reste une minute trente, on va quand même parler des normes,
08:39parce que c'est un chapitre passionnant dans votre livre.
08:42Je suis partagé là-dessus, parce que si on prend la transformation environnementale,
08:46heureusement qu'il y a eu des lois, la loi AGEC, la responsabilité élargie des producteurs.
08:51Sinon, l'économie circulaire ne se mettrait pas en place.
08:53Comment on équilibre ça ?
08:55C'est un arbre à double tranchant.
08:57Il faut le manier avec précaution.
08:59Il y a plein de succès liés à la mise en place de normes.
09:03Le trou dans la couche de zone, par exemple, a été résolu grâce au protocole de Montréal en 1987.
09:07On a résolu le problème grâce à la norme.
09:09Je pense que demain, on pourra pratiquer l'étiquetage carbone.
09:12Il y a quelqu'un qui s'appelle Guillaume Poitrinal qui est un fervent partisan de ça.
09:15Je pense que ça fait partie des normes qu'il faut mettre en place.
09:18Maintenant, dans le bâtiment, par exemple, il y a eu une accumulation de normes
09:21extrêmement dévastatrice, je pense, pour le secteur.
09:24Il y a la ZAN, la RT 2012, la RE 2020, il y en a beaucoup, beaucoup.
09:28Ça a conduit à gripper le marché.
09:31Là encore, ça a été bien étudié.
09:33Il y a Robin Rivaton qui avait publié un très bon rapport sur le sujet.
09:36Mais force est de constater qu'on n'a pas su appréhender l'ensemble des impacts
09:39que cette succession de normes allait pouvoir provoquer.
09:42Et donc, dernière question, je rallonge un peu.
09:47Vous l'avez dit tout à l'heure, mais je trouve ça vraiment intéressant,
09:50parce que là, on est dans une période de flou politique, on va dire ça comme ça.
09:54Tester une loi avant de la rendre définitive, ça devrait être la base.
10:01Alors, idéalement, oui.
10:03Ce que je pense, c'est qu'il faut au moins être agile.
10:05C'est-à-dire que quand on met en place une nouvelle loi, une nouvelle réglementation,
10:09déjà, il faut faire un impact, il faut évaluer l'impact coût-bénéfice.
10:12Et il faut être capable d'ajuster assez rapidement la règle ou la norme
10:16si, d'aventure, les technologies changent, les contraintes changent, l'environnement change.
10:20Donc, il faut être agile dans la mise en place des normes et des réglementations.
10:23Merci beaucoup. Je rappelle le titre de votre livre,
10:26pour comprendre et agir, c'est aux éditions Ellipse.
10:31Merci beaucoup pour l'invitation.
10:32On passe à notre débat, le dialogue social au service de la transition.

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