À la veille des cérémonies des 80 ans du Débarquement en Normandie, RTL se pose la question : faut-il s'inquiéter pour la mémoire de la seconde guerre mondiale ? Nos enfants ne sont pas toujours bien renseignés sur cette période de l'histoire. Écoutez le débat entre Bruno Jeudy, directeur délégué de "La Tribune Dimanche", Rokhaya Diallo, éditorialiste au "Guardian" et au "Washington Post", et Etienne Gernelle, directeur du "Point".
Regardez L'invité de RTL Soir avec Julien Sellier du 05 juin 2024
Regardez L'invité de RTL Soir avec Julien Sellier du 05 juin 2024
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00:00 - Bonsoir ! - Julien Célier et Cyprien Signe
00:03 - Allez RTL bonsoir, les grands débats autour de la table, Etienne Gernel, Bruno Jeudy,
00:07 Rocaïa Dialo et nouvelles questions maintenant à la veille des cérémonies internationales
00:11 des 80 ans du débarquement en Normandie.
00:13 Est-ce qu'il faut s'inquiéter pour la mémoire de cette seconde guerre mondiale ?
00:16 - Depuis quelques jours dans cette émission, on recueille la parole de personnes âgées
00:21 qui étaient toutes jeunes le 6 juin 44, écouter Marguerite, 88 ans, qui s'est retrouvée
00:26 seule, enfant, à quelques kilomètres d'Utah Beach, sous les bombes à l'époque.
00:29 - J'en ai encore, 80 ans après, j'ai encore ces bruits d'obus qui tombent.
00:39 J'ai encore maintenant des moments d'angoisse en me disant je suis seule, on m'oublie.
00:45 J'en ai rêvé la nuit dernière, on m'avait oubliée.
00:49 - Ce sont des témoignages très précieux parce que cette génération a maintenant près
00:53 de 90 ans et parce que nos enfants ne sont pas toujours bien renseignés sur cette période
00:57 de l'histoire.
00:58 - C'est ce qu'Artelle a constaté auprès de lycéens parisiens aujourd'hui.
01:01 - Qu'est-ce qui s'est passé le 6 juin 44 ?
01:03 - C'est pas quand… Je sais plus quel pays avait… Est venu en France pour le conquérir
01:09 ou je ne sais plus.
01:10 - On peut faire des petites recherches et faire du semblant en vrai.
01:13 - Débarquement en Normandie ?
01:16 - Ah mais attendez, c'est la seconde guerre mondiale, c'est quand Charles de Gaulle
01:20 est venu pour récupérer la France aux Allemands.
01:22 - Du coup demain on célèbre quoi ?
01:24 - La liberté de la France ? J'en ai aucune idée.
01:27 - C'est les 80… - C'est les 90 non ?
01:29 - Ah oui.
01:30 - Les 90 ou 80 ?
01:31 - On célèbre les 80 ans du débarquement en fait.
01:33 - Ok.
01:34 Je ne savais pas du tout, vous venez de m'apprendre quelque chose.
01:35 - Voilà, propos recueillis par Anna Jozard pour Artelle, Etienne Gernel, ils vous surprennent
01:40 ces propos quelque peu…
01:42 - Non.
01:43 - Malvuciens.
01:44 - Non, c'est malheureusement pas surprenant parce qu'on sait qu'il y a quand même
01:46 une… Enfin c'est quand même significatif d'un effondrement d'une partie de l'enseignement
01:51 en France, oui bien sûr.
01:52 Et d'un effondrement de la qualité de l'enseignement, tout le monde le dit, c'est le niveau de recrutement
01:58 des profs.
01:59 Non non, c'est absolument terrifiant.
02:01 Après ça c'est le sujet de la qualité de l'enseignement en France, c'est pas normal
02:06 que des lycéens ne sachent pas ce qui s'est passé le 6 juin 44, c'est pas normal.
02:09 Donc ça veut dire que c'est un échec, c'est un échec collectif, un échec collectif
02:13 majeur.
02:14 Après il y a une autre question qui est plus politique, c'est sur la question de l'enseignement
02:16 de la Shoah et ce genre de choses.
02:17 Mais on voit bien qu'on a un énorme problème et ça, ce truc là, ça fait sourire un peu
02:22 et puis pas tellement en fait.
02:23 Je trouve que c'est effrayant.
02:24 - Pas tellement, d'autant que dans votre journal La Tribune Dimanche Bruno Jeudy, il y avait
02:28 ce sondage OpinionWay il y a quelques semaines, quasiment 40% des jeunes entre 16 et 24 ans
02:33 ne savent pas, vous l'avez évoqué, Etienne, ne savent pas ce qu'est la Shoah.
02:37 Ça veut dire que l'histoire finalement elle s'oublie vite, très vite, trop vite.
02:41 On en parlait avec Rietz à Touffe il y a une heure, ça fait partie des bulles de sa future
02:45 BD.
02:46 Comment on va faire pour se souvenir quand ces gens ne seront plus là ?
02:49 - Alors d'abord, tout ça, moi je suis consterné à chaque fois et le reportage là était
02:55 assez édifiant.
02:56 C'est un échec pour l'école ? Oui, c'est un échec pour l'école.
02:59 L'enseignement de l'histoire, ça va pas bien.
03:01 Il y a un problème aussi globalement de la société par rapport à la transmission,
03:10 y compris même dans les programmes de télévision.
03:12 Tout ça finalement, il n'y a pas assez.
03:14 Là il va y avoir quelques bons documentaires sur le 6 juin, sur le débarquement, très
03:19 pédagogique, ça va peut-être un peu aider certains à soit rafraîchir leurs souvenirs,
03:26 soit essayer de prendre conscience de ce qu'a été ce débarquement.
03:29 Rien ne remplace en plus la mémoire des survivants.
03:35 C'est pour ça que c'est très important de célébrer les 80 ans.
03:40 Parce que c'est la dernière fois peut-être qu'on a des vétérans et la transmission
03:44 par le témoignage, c'est ce qu'il y a de mieux.
03:45 Et la présence des vétérans, vous entendez ce matin le témoignage sur votre antenne
03:53 je crois d'Achille Muller, c'est formidable.
03:56 Donc ça, il n'y a pas mieux.
03:57 Il n'y a pas mieux et c'est très important.
04:01 Après l'histoire, là pour le coup, c'est un échec qui ne date pas d'aujourd'hui.
04:06 Ça fait déjà plusieurs années que le signal d'alarme est tiré en vain.
04:15 Il y a le niveau de recrutement, les salaires, il y a plein de choses qui rentrent en compte.
04:18 Oui, il y a plein de choses, c'est un ensemble.
04:19 À la fin, le résultat il est tragique.
04:22 Vous parlez d'enseignement, avant de vous laisser la parole, Roccaille, je vous propose
04:26 d'écouter Yanis Roder, prof d'histoire en collège à Saint-Denis, il est directeur
04:30 de l'Observatoire d'éducation à la Fondation Jean Jaurès.
04:33 Écoutez-le sur la méconnaissance et l'enseignement de la Shoah, il était notre invité il y
04:37 a quelques semaines dans l'émission.
04:38 Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que les élèves font exactement ce qu'ils
04:43 font avec leurs téléphones portables, ils font du scrolling.
04:49 À l'époque de la télé, je vous aurais dit du zapping, mais ils ne font même plus
04:52 de zapping, ils font du scrolling, ils passent d'un écran à l'autre.
04:54 Et en fait, comme on n'a pas vraiment le temps en classe de travailler profondément
04:59 sur les questions, c'est-à-dire d'y passer des heures et des heures sur des questions
05:02 qui sont importantes.
05:03 C'est combien d'heures ? L'enseignement de la Shoah pour une classe de troisième ?
05:05 Allez, c'est deux heures.
05:06 Deux heures ? Sur l'année ? Mais oui, bien sûr.
05:09 C'est deux heures, trois heures si vous êtes… voilà.
05:12 Moi j'en fais un peu plus parce que je suis un vieux prof.
05:14 Mais oui, mais c'est deux heures sur le nazisme ou trois heures sur le nazisme.
05:19 On est dans le zapping permanent.
05:21 Donc comment vous voulez que les élèves, qui eux-mêmes sont dans le zapping permanent,
05:25 une séquence ça dure 55 minutes un cours.
05:28 Vous avez le temps de s'installer, le temps de partir, le temps de deux, trois bêtises.
05:33 Il reste 45 minutes de cours.
05:35 Vous faites trois fois 45 minutes sur la Shoah.
05:37 Qu'est-ce qui reste après ?
05:39 - Rokhaya Diallo, ça fait réfléchir sur nos programmes scolaires aujourd'hui ?
05:43 - Sur nos programmes scolaires et sur les moyens qu'on met en œuvre pour les diffuser.
05:47 Parce que je trouve que jeter des anathèmes sur les profs, c'est un peu facile quand
05:52 on connaît leurs conditions de travail.
05:53 Je pense qu'il y a énormément de personnels de l'Éducation nationale qui sont très,
05:56 très engagés pour transmettre le savoir.
05:58 Et quand on sait qu'un enseignant en France gagne deux fois moins d'argent qu'un enseignant
06:02 en Allemagne, on voit bien que c'est compliqué tout simplement de survivre en étant enseignant,
06:07 quel que soit le degré d'engagement qu'on a.
06:09 Donc ça c'est une vraie difficulté qui effectivement pousse l'Éducation nationale
06:14 à recruter des personnes qui ne sont pas formées pour enseigner et qui restent quelques
06:18 mois et qui abandonnent en cours d'année scolaire.
06:20 Donc ça pour moi c'est une difficulté qui est inhérente au choix politique qu'on fait
06:24 et au fait qu'aujourd'hui de plus en plus de Français d'ailleurs se tournent vers
06:27 l'enseignement privé, notamment ceux qui ont les moyens.
06:29 Et après je pense que je serais peut-être un peu moins pessimiste que ce que j'ai entendu
06:34 autour de la table.
06:35 Je pense qu'on est plusieurs comme ça à appartenir à une génération qui a été
06:38 scolarisée dans les années 80-90 et donc à une période où il y avait énormément
06:42 de personnes qui avaient une mémoire assez proche de la Deuxième Guerre mondiale et
06:45 qui étaient en mesure de nous l'exposer directement.
06:48 Et donc on a le sentiment que c'est la norme historique, sauf qu'en fait pour la plupart
06:52 des événements historiques on n'a pas de témoins vivants et donc la sensibilité
06:55 qu'on peut avoir par rapport à une transmission immédiate est différente et je trouve que
06:59 on va compenser ça par autre chose mais c'est normal que les élèves qui n'ont pas vu
07:03 de survivants de la Shoah leur témoigner directement de leur vécu ne comprennent pas
07:07 cet événement de la même manière que ceux qui, comme moi, ont eu la chance de les voir
07:11 devant eux.
07:12 Et je pense aussi qu'au-delà de l'éducation nationale c'est aussi le rôle de la culture
07:14 populaire de faire en sorte d'exister, de faire exister ces événements.
07:19 Et c'est vrai qu'on parle beaucoup de la Shoah, de la Deuxième Guerre mondiale, c'est
07:22 normal, mais il y a énormément de phénomènes français qui sont très peu enseignés et
07:25 très peu connus.
07:26 Je pense par exemple à la traite transatlantique française, on connaît très très bien les
07:30 chants de coton, le blues américain, mais les cannes à sucre, le rhum, les antilles,
07:34 etc. l'esclavage français on ne le connaît pas parce qu'on n'a pas de culture populaire,
07:37 parce que c'est pas enseigné correctement, faute de moyens.
07:39 Donc je crois que c'est vraiment une question plus globale qu'on doit se poser et vraiment
07:43 sur comment on transmet mais aussi dans la culture populaire, dans la littérature, dans
07:47 la fiction, dans la musique, etc.
07:48 - Roca Diallo, Étienne Janel, Bruno Jeudy, on prolonge dans un instant les grands débats
07:52 de RTL Bonsoir, peut-être 50% d'abstention aux européennes dimanche, pourquoi un tel
07:57 divorce entre les politiques et les français ? A qui la faute ? Qui a tué la politique
08:01 dans ce pays ? On va accueillir Nathalie Chuc, grand reporter qui signe le livre "Les Naufrageurs"
08:06 sur le sujet.
08:07 - Au point !
08:08 - Au point, bien sûr !
08:09 - Ah ! J'avais juste encore qu'à le dire !
08:10 - Julien Célier, Cyprien Cygni, RTL Bonsoir.