Anne Lauvergeon : "J'ai mis 30 ans à tenir ma promesse à François Mitterrand"

  • il y a 3 mois
Jacques Pessis reçoit Anne Lauvergeon : elle a occupé de très hautes fonctions à l'Élysée sous la présidence de François Mitterrand. Elle le raconte dans un livre. Il s'intitule « La Promesse », parce qu'elle avait fait à Mitterrand la promesse de l'écrire un jour.

Découvrez plusieurs dates-clefs de la vie des plus grands artistes, auteurs et personnalités aux côtés de Jacques Pessis.
---
Abonnez-vous pour plus de contenus : http://ow.ly/7FZy50G1rry

________________________________________

Retrouvez nos podcasts et articles : https://www.sudradio.fr/

________________________________________

Nous suivre sur les réseaux sociaux

▪️ Facebook : https://www.facebook.com/SudRadioOfficiel
▪️ Instagram : https://www.instagram.com/sudradioofficiel/
▪️ Twitter : https://twitter.com/SudRadio
▪️ TikTok : https://www.tiktok.com/@sudradio?lang=fr

☀️ Et pour plus de vidéos des clefs d’une vie : https://youtube.com/playlist?list=PLaXVMKmPLMDQVk_MxJ_jFc3Az4Aqy_giC

##LES_CLEFS_D_UNE_VIE-2024-06-03##

Category

🗞
News
Transcript
00:00 Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Bessis.
00:03 Les clés d'une vie, celles de mon invité.
00:05 Vous avez travaillé au quotidien avec un homme qui, dans son jardin secret,
00:09 cultivait la fidélité, mais seulement en amitié.
00:12 Vous partagez cette qualité.
00:14 Un jour, vous lui avez fait une promesse que vous avez tenue
00:17 en écrivant un livre qui porte ce titre. Bonjour, Anne Lauvergeon.
00:20 Bonjour Jacques Bessis.
00:21 Alors, donc, La Promesse, effectivement, un livre chez Grasset qui sort,
00:25 qu'on va beaucoup évoquer aujourd'hui.
00:27 Vous avez eu le privilège de connaître François Mitterrand
00:29 et de le vivre au quotidien et vous le racontez.
00:32 Alors, le principe des clés d'une vie, c'est de parler de votre carrière aussi.
00:35 Donc, on va commencer par une séquence où on va parler de vous
00:38 avec une date qui ne correspond pas vraiment à vous, mais qui est importante.
00:42 C'est le 24 février 1969.
00:45 C'est ce jour-là que paraît dans le numéro 1 de Pif Gadget,
00:48 Le secret du soleil, la première aventure de Raon.
00:51 Ah, Raon.
00:53 Ah oui, Anne Méhraud, Anne Méhraud, quand j'étais petite.
00:56 Exactement. C'était un personnage préhistorique dans une fausse préhistoire.
01:01 Et vous aimiez ses aventures.
01:03 Ah oui, oui. Alors, je ne sais pas comment vous avez appris ça,
01:06 mais c'est vrai que j'aimais bien Pif Gadget.
01:07 D'abord, il y avait des gadgets, les piffys, les...
01:13 Les haricots sauteurs.
01:15 Qu'on faisait sauter en les chauffant.
01:18 Oui, oui, Pif Gadget, c'était...
01:20 Alors, il y avait le gré les 7-13 qui était un résistant, un jeune résistant.
01:26 Il y avait Raon, il y avait...
01:28 Alors, Raon, c'était l'homme de la préhistoire, c'était un sapiens,
01:32 mais avec des arcades sourcilières très, très proéminentes.
01:35 C'est-à-dire, on avait vraiment le sentiment qu'il était encore un peu néandertal
01:39 et à qui il arrivait des aventures extrêmes toutes les semaines.
01:42 Mais il s'en sortait toujours.
01:44 Toujours. Et ça a duré jusqu'en 2010, puisque le scénariste André Chéret est mort,
01:48 mais son fils Jean-François a pris la relève.
01:50 Alors, tout ça se passe à Orléans où vous êtes né.
01:52 Il y a un grand nombre de personnalités qui sont nées à Orléans, c'est incroyable.
01:56 - Alors, je suis né à Dijon. - À Dijon. Mais vous avez grandi à Orléans.
01:58 - J'ai grandi à Orléans, absolument.
02:00 - Et à Orléans, je ne sais pas si vous le savez, mais un certain Pierre Dumarchais
02:04 s'est inspiré d'Orléans pour prendre son nom, c'est Pierre MacOrlan.
02:08 - Ah, MacOrléans ! - Exactement, c'est ça.
02:11 - Ah non, je ne le savais pas.
02:13 - Alors, à Orléans, vous arrivez parce que votre père est professeur d'histoire
02:19 et enseigne la cagne à Orléans.
02:21 - Exactement. On est arrivé, j'avais...
02:24 On a fait... Donc, je suis né à Dijon, j'ai fait un...
02:27 On a fait un stop à Langres et très, très, très jolie ville d'hydro.
02:33 Et on est arrivé à Orléans, je devais avoir 5 ou 6 ans.
02:37 - Et votre père, ce qui est extraordinaire, il est devenu professeur
02:40 en ayant pris des cours du soir.
02:42 - Oui, il a commencé... Alors, c'est quelqu'un...
02:45 Mon père est ce qu'on dirait un surdoué dans un milieu très modeste,
02:51 qui grâce d'ailleurs quelque part à la guerre, à éviter l'école d'instituteurs
02:55 pour faire des études supérieures, je dirais, directes.
02:59 Et c'était un père, quand j'étais petite, qui était pas vraiment impressionnant
03:06 parce qu'il ne montrait jamais son savoir.
03:09 Mais il suffisait de lui poser une question, aussi complexe soit-elle,
03:13 pour avoir une réponse.
03:15 Et quand on disait "Ah, mais comment sais-tu ça ?" ou "Ah, formidable !"
03:18 il disait "Mais tout le monde le sait."
03:21 Pour lui, le savoir semblait, à l'enfant que j'étais, quelque chose d'évident
03:27 et finalement de facile.
03:28 - Oui. Et vous avez pris la relève avec vos deux frères
03:31 parce que finalement, vous avez été élevés tous les trois.
03:34 Vous avez deux frères sur le même plan, grâce à Solange, votre mère,
03:38 qui était assez féministe.
03:39 - Très féministe. Féministe dans le sens progressiste.
03:44 Il ne devait pas y avoir de différence, ce qui fait que, effectivement,
03:49 moi j'ai cru très longtemps que le problème homme-femme
03:55 dans le monde professionnel avait été réglé par la génération
03:58 qui m'avait précédée et que j'allais arriver dans un monde
04:01 où, effectivement, le jeu serait à égalité.
04:05 - Alors, les premières années, vous êtes une enfant sage qui va à l'école.
04:08 Vous êtes première à l'école jusqu'à la sixième, à peu près.
04:11 - Oui, c'est tout à fait juste.
04:13 C'est-à-dire, oui, j'étais la première.
04:15 Et puis, j'ai compris à partir de la sixième qu'être trop bonne en classe,
04:20 c'était une fausse bonne idée parce qu'on était moins populaires.
04:24 Donc, j'ai commencé à me mettre en roue libre
04:27 et j'ai été en roue libre jusqu'en première.
04:29 - Alors, vos très jeunes années aussi ont été marquées
04:33 par des soirées qui se terminaient avec ce feuilleton.
04:37 [Musique]
04:42 Bonne nuit, les petits. Vous avez été une fidèle de Nounours.
04:45 - Ah, ça, c'était les valeurs éducatives de ma maman.
04:49 Il fallait qu'on dorme.
04:52 Le sommeil était essentiel pour faire un enfant épanoui.
04:56 Et donc, j'avais droit à regarder Nounours et Pimprenel.
05:00 Et après, c'était au lit.
05:01 Nounours et Pimprenel, je crois que ça devait être à 7h30 ou 8h45.
05:04 - Oui, 19h50.
05:05 - 19h50, voilà.
05:07 À 20h, c'était dodo, avec une seule exception qui était la piste aux étoiles.
05:12 On avait le droit, à ce moment-là, de se coucher plus tard, une fois par mois.
05:16 - Oui, car c'était le mercredi soir et il n'y avait pas d'école le jeudi.
05:19 - Exactement. Donc, on regardait la piste aux étoiles, on regardait les artistes.
05:24 Non, on ne peut pas dire que j'ai été noyée dans mon enfance par la télévision.
05:29 C'était toujours à dos assez homéopathique.
05:32 - Voilà. Mais bonne nuit, les petits.
05:33 Il faut savoir qu'au départ, ça a démarré pour 12 épisodes.
05:36 Si ça a marché, il y en a eu 800.
05:37 Et qu'au départ, ils avaient appelé les personnages "Grosse Ours".
05:41 C'était "Petit Louis" et "Mirabelle".
05:43 Il y a eu des problèmes de droit.
05:44 Ensuite, c'est pour ça que Nicolas et Pimprenel sont nés, pour votre culture générale.
05:48 - Et j'apprends plein de choses aujourd'hui, c'est formidable !
05:51 - Alors, le bac se passe normalement.
05:54 Et alors, vous allez faire des classes scientifiques.
05:56 Et là, vous partez directement à Sceau, au lycée Lacanal.
05:58 - Oui. Alors, ce n'était pas que les sciences m'attiraient beaucoup à l'époque.
06:02 D'ailleurs, je pense que je dois être la seule agrégée de physique à avoir 8 au bac en physique.
06:09 Non, je n'aimais pas vraiment ça, mais je ne savais pas trop ce que je voulais faire.
06:14 Et on m'a dit une classe prépa, et puis ça permet de mûrir.
06:18 J'étais en avance.
06:21 Donc, je suis allé faire ça sans passion.
06:23 Et puis, j'ai eu la chance de rencontrer à Lacanal un professeur de physique,
06:29 Lucien Bourdelet, je le cite, qui m'a donné le...
06:33 qui m'a fait comprendre ce qu'était la physique.
06:35 - Oui. Et puis, je pense aussi que l'influence de votre père a été déterminante
06:38 parce qu'il a dit que vous étiez nu en physique.
06:41 Et ça vous a titillé.
06:42 - Oui, il m'a dit... C'était pire que ça.
06:45 Il a regardé mon bulletin scolaire en première, je crois,
06:49 premier trimestre, il regarde et il se dit "Oui, ben, t'es pas vraiment une scientifique."
06:54 Et alors là, j'ai dit... J'ai pas réagi, mais j'ai dit "In petto, toi mon coco,
06:58 je vais te montrer de quoi je suis capable."
07:00 - Voilà. Et résultat, vous avez été agrégée de physique.
07:03 Alors, vous avez fait aussi, je crois, Anneau-Verjon, Voltaire et La Source à Orléans.
07:07 - Oui, absolument.
07:08 - Vous êtes revenue à Orléans pour...
07:10 - Ah, je suis jamais revenue, non. Enfin, je suis venue voir mes parents et je continue.
07:14 J'y étais hier soir, d'ailleurs, chez mes parents à Orléans.
07:17 Mais non, non, je ne suis jamais retournée.
07:21 - Mais enfin, c'était vos études importantes puisque vous finissiez à Normal Sup.
07:25 - Oui, absolument. Mais à partir de la canale, je fais Normal Sup, oui.
07:29 - Et ensuite, c'est l'agrégation de physique.
07:33 Et vraiment, c'est l'une de vos rares distractions à cette époque.
07:38 Je sais ce que c'est.
07:39 Les Rolling Stones, ça aussi, ça faisait partie de votre culture personnelle.
07:50 - Ah oui, oui, oui. Et puis, "I can't get no satisfaction", je le ressentais un peu à l'époque.
07:56 En classe prépa, vous savez, vous n'avez pas une gigantesque satisfaction de vivre.
08:00 - Mick Jagger, d'ailleurs, devait au départ faire une école de sciences économiques très importante à Londres.
08:05 Et puis, il a mal tourné. Il a rencontré un copain sur un quai de métro,
08:08 Cass Richard, et ils ont fait les Rolling Stones.
08:10 - Absolument. Le destin, hein.
08:12 - Le destin, justement, pour vous, c'est qu'après l'agrégation de physique,
08:17 après Normal Sup, vous vous retrouvez à l'école des mines.
08:19 Ça aussi, c'était peut-être pas prévu au départ.
08:21 - Non. D'abord, je ne savais pas qu'existait le corps des mines.
08:25 J'ai découvert ça à l'école normale supérieure, puisque Georges Pompidou, en fait,
08:31 le corps des mines recrute les 10, 12 premiers de polytechnique.
08:35 Et puis, un, deux normaliens par an.
08:39 Et grâce à Georges Pompidou, j'étais normalien.
08:42 Et j'ai appris que ça existait.
08:44 Et je me suis présentée. Ils ont bien voulu me prendre.
08:48 - Mais l'école des mines, c'est une des premières écoles d'ingénieurs,
08:52 puisque c'est le 19 mars 1783, sur ordonnance du roi Louis XVI,
08:56 qu'elle a été créée dans le but de former des directeurs intelligents
09:00 pour les mines du royaume de France.
09:02 - Exactement. C'est vraiment beaucoup de choses.
09:04 Non, on a toujours tendance à penser que tout a été créé par Napoléon.
09:09 Et c'est vrai qu'il a été très créatif et créateur.
09:12 Mais Louis XVI avait déjà commencé l'école des ponts, l'école des mines.
09:17 Il a déjà commencé son œuvre.
09:19 - Et votre père est d'autant plus fier de vous
09:23 que vos deux frères aussi font Polytechnique et Centrale.
09:26 - Oui. Et on n'était pas vraiment des scientifiques.
09:29 Mon père était professeur en Cagne.
09:30 Il voyait donc beaucoup de passé de littéraire.
09:35 Et il nous a toujours dit...
09:36 Nous, on est nés quand même dans la foulée du démarrage du chômage de masse en France,
09:41 74-75.
09:44 Et donc, c'était pour être littéraire, pour faire des études littéraires.
09:48 Et sans sortir, il faut vraiment être très, très bon.
09:51 Et dans son œil, on voyait qu'on n'était pas forcément très, très bon.
09:55 Donc, on est allé faire des sciences.
09:56 Mais on est resté avec, tous les trois, avec un vrai intérêt littéraire.
10:02 - Oui, mais en même temps, ce qui est étonnant, c'est le travail que vous avez accompli.
10:06 Parce que pour faire toutes ces écoles, il faut travailler pratiquement jour et nuit, Anne Lauvergeon.
10:10 - Jour et nuit, non. Moi, j'ai été habituée à dormir.
10:13 Ça, c'est l'enseignement de ma maman.
10:15 Et j'y suis restée assez fidèle. Il faut dormir suffisamment les nuits.
10:19 Non, j'ai travaillé, oui.
10:20 Je pense que ce que je sais faire assez bien, c'est travailler efficacement.
10:25 C'est-à-dire, quand je travaille, je suis à fond dedans et pas à moitié.
10:30 Donc, j'essaie d'être efficace.
10:32 - Et puis, surtout, les femmes n'étaient pas si nombreuses que ça, à l'époque, dans ces écoles.
10:37 - Elles n'étaient pas si nombreuses que ça.
10:38 Et j'ose dire qu'elles ne sont toujours pas si nombreuses que ça.
10:42 On est dans les écoles d'ingénieurs, on était monté à 20, 25%.
10:46 Là, on est redescendu avec la réforme blancaire,
10:50 puisque ce sont les jeunes filles qui, pour beaucoup, se sont dit faire de la géopolitique,
10:56 sciences économiques, laisser tomber maths et physique.
10:59 C'est plutôt une bonne idée parce qu'en général, elles sont plus mûres que les garçons.
11:03 Donc, elles sont plus attirées par des choses.
11:07 Le résultat, c'est qu'on a une chute des femmes dans les classes préparatoires
11:11 et dans les sciences en général.
11:13 Donc, on va devoir remonter à nouveau les pourcentages et ça va être difficile.
11:19 - Oui, ça, c'est le futur, mais on va revenir au passé avec une autre date, le 15 juillet 1991.
11:25 A tout de suite sur Sud Radio avec Anne Lauvergeon.
11:27 - Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
11:31 - Sud Radio, les clés d'une vie, mon invité Anne Lauvergeon.
11:35 On a commencé à évoquer votre parcours, on va y revenir.
11:38 Et puis, vous publiez "La Promesse", un livre étonnant chez Grasset sur François Mitterrand.
11:42 On va expliquer tout à l'heure pourquoi ça s'appelle "La Promesse".
11:45 Alors, j'ai trouvé une date intéressante, c'est le 15 juillet 1991.
11:49 D'après les archives de la télévision, c'est votre première télé.
11:53 Ça se passe à Londres.
11:54 Vous arrivez au sommet du G7 en retard avec Mitterrand, ce que souligne le journaliste.
11:59 - Ah !
12:00 - Et c'est la première fois que vous êtes à la télévision.
12:02 Et c'est vrai que ce jour-là, vous étiez en retard au dîner officiel.
12:05 - Ce n'était pas de mon fait.
12:06 - Non, on est d'accord.
12:08 - Mais je peux peut-être vous raconter pourquoi on était en retard.
12:10 - Exactement.
12:10 - On était en retard parce que, et ça je l'ai compris, j'ai mis du temps à le comprendre,
12:16 parce que pour moi, être à l'heure faisait partie des obligations.
12:20 François Mitterrand, quand il était devant un sujet compliqué à venir,
12:26 avait besoin de se retrouver, je dirais, de décanter, de prendre un peu de temps.
12:34 Et il aimait bien le faire au contact de la nature, si c'était possible.
12:37 Donc là, au lieu de prendre la voiture, les voitures,
12:41 le cortège qui l'attendait à la sortie de l'hôtel,
12:45 pour faire tout le tour de Green Park par l'extérieur et l'amener au lieu du dîner,
12:52 il a préféré partir à pied, à la surprise générale.
12:56 Et pourquoi ? Parce que ce dîner était un dîner très important.
13:00 C'était le dîner où on était en G7+1,
13:05 c'est-à-dire les dirigeants des sept pays les plus industrialisés,
13:10 plus Miraï Gorbatchev.
13:12 Et le sujet c'est, faut-il aider ou non l'URSS à se transformer,
13:20 ou faut-il les laisser dans leurs coins sans s'en occuper ?
13:24 Alors vous aviez un certain nombre de pays qui étaient pour les aider à faire cette transformation.
13:29 Il y avait le Canada, l'Italie, la France, l'Allemagne.
13:34 Et puis il y avait ceux qui étaient contre, c'était la Grande-Bretagne,
13:38 les États-Unis et le Japon.
13:40 Alors pour des raisons différentes, mais on les laisse,
13:45 Gorbatchev, on le laisse dans son coin.
13:47 Et François Mitterrand savait, en général dans ces sommets,
13:53 vous avez une demi-heure de cocktails debout, assirotés et du small talk,
14:00 et puis les choses commencent sérieusement à table.
14:03 Et aller passer une demi-heure, trois quarts d'heure à discuter en prenant l'apéritif,
14:08 ça l'agacait.
14:09 Donc il a remplacé une grande partie de l'apéritif par une promenade à travers Green Park.
14:15 Et ça, j'ai fini par comprendre, moi, en le voyant dans des occasions différentes,
14:21 c'était une façon de se reconcentrer sur comment est-ce qu'il allait essayer de convaincre
14:27 ses collègues de prendre la ligne française.
14:30 - D'ailleurs, il était tellement en retard, je crois, qu'il y avait une pendule
14:33 qui ne fonctionnait pas dans son bureau, qui venait du Pôle Nord, et jamais de montre.
14:37 - Alors il n'avait jamais de montre, non.
14:39 Alors il avait la montre de Jean-Louis Etienne,
14:44 la montre qui avait été au Pôle Nord avec Jean-Louis Etienne.
14:47 Il y avait aussi une petite horloge, toute petite, mais derrière son fauteuil,
14:52 donc il n'était pas très très utile.
14:54 Non, en fait, il était toujours à l'heure pour les choses auxquelles il devait vraiment être à l'heure.
15:03 Et en même temps, affaire de temps, il considérait aussi que l'instant présent,
15:10 quand il était intense, quand il était...
15:14 C'est vrai que chaque instant est unique.
15:17 On a toujours tendance, de manière un peu absurde, à courir après des choses,
15:22 à arrêter finalement un échange qui est pas...
15:24 Bon, c'est maintenant, c'est ici et maintenant.
15:28 S'amputer soi-même de moments forts, pourquoi ?
15:33 Et donc c'était aussi, je pense, une forme à la fois de liberté
15:37 et de vivre sa vie un peu différemment.
15:39 - Et ce qui est curieux, Anne-Lauvergeon, c'est qu'un jour,
15:41 le roi Hassan II du Maroc est en retard et François Mitterrand le prend très mal.
15:45 - Oui, là c'était quand même... Il y avait tous les chefs d'État et de gouvernement d'Afrique.
15:50 Il est arrivé, je pense, avec une heure et demie de retard.
15:54 - Ah oui, c'est beaucoup, oui.
15:55 - Et tout le monde l'attendait. Oui, c'était long quand même.
15:58 - Et vous, vous n'avez été en retard, Anne-Lauvergeon, qu'une seule fois
16:00 à cause d'une discussion prolongée avec Costa-Gavras.
16:04 - Ah oui, et ça, il aimait pas trop attendre.
16:07 On était en train de... C'était un dîner absolument extraordinaire, voyage en Grèce
16:12 avec les autorités grecques et puis un dîner offert chez lui par un mythiste théodorakis
16:21 avec Jules Dassin, Mélina Mercouri, il y avait Costa-Gavras qui avait accompagné le président.
16:28 C'était honnêtement un dîner extraordinaire.
16:32 Extraordinaire, c'est-à-dire que vous aviez tous les grands intellectuels grecs
16:36 qui étaient plus ou moins fâchés parce qu'ils avaient suivi,
16:39 après la période des colonels et la résistance qui avaient été leur point commun,
16:46 ils avaient suivi des évolutions un peu différentes, mais ils s'étaient retrouvés là.
16:50 Et c'est vrai que moi, je me suis attardée, j'ai pas vu le temps passer,
16:55 le cortège était parti et quand un cortège présidentiel part, vous savez,
16:59 vous pouvez toujours courir après, il s'arrête pas.
17:00 Donc, on est arrivé, on a trouvé un taxi, on est arrivé à l'aéroport avec Costa-Gavras
17:05 et effectivement, François Mitterrand n'adorait pas que les autres soient en retard.
17:10 – À ce dîner, il y avait Mélina Mercouri qui a fait une campagne
17:13 pour être députée extraordinaire dans les cafés
17:15 et si elle avait vécu, je pense qu'elle aurait été présidente de la Grèce.
17:18 – Oh, elle avait un charisme extraordinaire.
17:22 Moi, je pense qu'objectivement, quelque chose était passé entre nous
17:28 et elle vous appelait au téléphone sur des tas de sujets, elle parlait.
17:34 – Alors, elle était à l'époque très, très choquée par le fait que le nouvel État
17:42 qui s'appelait, s'était appelé la République de Macédoine.
17:46 Pour elle, la Macédoine, c'était la Grèce et la Macédoine du Nord d'ailleurs,
17:50 c'est la Macédoine du Nord et la Macédoine du Sud.
17:52 Mais comment pouvait-il revendiquer d'être la Macédoine qui était,
17:56 on aurait cru entendre Philippe II.
17:59 – Alors, le rapport au temps de François Mitterrand et Lovergeon,
18:02 il y a d'un chanteur, d'un duo peut-être plutôt, qui s'en est inspiré avec une chanson.
18:06 "Il faut laisser le temps au temps, et nos amours auraient 15 ans."
18:13 – Voilà, "Il faut laisser le temps au temps", Didier Barbedivien, Félix Grès,
18:16 leur second succès, et ils sont inspirés de François Mitterrand qui avait dit…
18:21 – "Il faut laisser du temps au temps".
18:23 – Alors, là, il y a une légende parce que certains disent que Edgar Ford l'a dit avant lui
18:27 et vous dites dans votre livre que c'est une phrase qui remonte à beaucoup plus tôt.
18:32 – Oui, moi, alors, "trouver l'origine", c'est une phrase qui finalement a fait mouche
18:41 parce qu'on est rentré dans des périodes, et c'est encore plus vrai aujourd'hui,
18:45 où on a le sentiment qu'on n'a jamais le temps, qu'il faut faire tout en immédiateté
18:50 et sans prendre la profondeur du temps.
18:52 Une bonne décision, elle peut être bonne si on prend le temps de l'expliquer,
18:58 si on prend le temps de la concertation, si on prend le temps du mûrissement,
19:02 elle peut être mauvaise sinon.
19:03 Donc, je trouve qu'il faut laisser du temps au temps,
19:06 c'est presque une provocation par rapport au monde dans lequel nous vivons.
19:10 – Oui, mais en même temps, ce n'est pas si mal que ça.
19:12 – Je pense que ça a un vrai fond.
19:14 – Alors, François Mitterrand a pris du temps, justement, pour vous engager
19:17 parce qu'au départ, après le parcours des mines,
19:20 vous avez travaillé dans différents endroits, usine Nord et autres,
19:22 vous ne vous attendiez pas du tout à rejoindre l'Élysée.
19:25 – Ah pas du tout, moi je ne m'y attendais absolument pas.
19:27 C'est un ancien de l'Élysée qui était directeur général de l'énergie des matières premières,
19:34 qui m'a demandé un jour, tiens, il y a un poste qui va se libérer, je le sais,
19:38 à l'Élysée, sur le commerce extérieur, l'économie internationale,
19:42 ce n'est pas vraiment votre profil, mais si ça vous intéresse, écoutez,
19:46 donnez-moi un CV, et je le ferai passer.
19:49 Et vraiment, ça s'est passé comme ça, c'est vraiment la bouteille à la mer.
19:52 Et je n'avais aucune des caractéristiques, je n'étais pas au Parti Socialiste,
19:58 je n'étais pas énarque, enfin bon, j'étais hors sujet, je dirais.
20:02 – Oui, mais vous aviez un point commun avec François Mitterrand,
20:04 ce sont vos origines à la campagne.
20:07 – Oui, alors j'avais des grands-parents nivernais.
20:11 – Voilà.
20:12 – Et ça, je pense que ça a peut-être compté.
20:15 – Oui, parce que finalement, vous avez souvent parlé avec lui
20:18 de ces régions qu'il adorait, parce qu'il adorait ces régions.
20:21 – Oui, alors je crois honnêtement qu'il a surestimé un tout petit peu au début
20:27 ma relation avec la Nièvre, moi je n'ai jamais vécu dans la Nièvre.
20:30 C'est beaucoup plus vrai aujourd'hui, parce que la famille Lauvergeon
20:35 a décidé que c'est moi qui récupérerais la maison familiale,
20:39 ce qui m'a fait incinérer beaucoup d'argent.
20:42 Mais oui, je suis plus nivernaise aujourd'hui que je ne l'ai jamais été.
20:48 – Mais ce qui est extraordinaire, c'est que vos grands-parents maternels
20:50 et paternels n'étaient pas d'accord sur François Mitterrand et Annelonge Bergeon.
20:53 – Ah pas vraiment, pas vraiment, moi j'ai vraiment grandi en stéréophonie.
20:58 Il y avait du côté de mon père, c'était un milieu très modeste, laïque,
21:05 alors plutôt gauche, mais ils étaient surtout très mitterrandistes.
21:09 Quand on avait dit "le François", on avait tout dit.
21:12 Et du côté de mes grands-parents maternels, que j'adorais tout autant,
21:18 alors là c'était des gens bourgeoisis, très catholiques, de droite,
21:25 et je me souviens de mon grand-père que j'adorais, qui disait,
21:31 "Mitterrand, Mitterrand, parce qu'on ne disait pas Mitterrand, Mitterrand,
21:34 si Mitterrand passe, je préférerais brûler mon argent dans la cour
21:38 que de leur donner, ça va être n'importe quoi, les chars soviétiques".
21:42 Enfin c'était, voilà, donc j'avais deux visions extrêmement différentes.
21:47 Ça c'est d'ailleurs une façon de gérer sa propre liberté.
21:50 – Exactement, et puis en plus, ils ont dû être surpris à une date
21:54 qu'on va évoquer dans quelques instants, le 1er février 1990.
21:58 À tout de suite sur Sud Radio avec Anne Lauvergeon.
22:00 – Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
22:03 – Sud Radio, les clés d'une vie, mon invité Anne Lauvergeon,
22:07 votre livre "La promesse" chez Grasset, un livre consacré à François Mitterrand.
22:11 Et donc on a parlé de vos débuts, de votre arrivée à l'Élysée,
22:14 et justement, le 1er février 1990,
22:17 je crois que c'est la date exacte de votre arrivée à l'Élysée.
22:20 – Ah, je suis terrifiée, terrifiée, je me souviens du…
22:25 Je traverse le pont Alexandre III,
22:29 j'ai toujours trouvé le plus bon pont de Paris,
22:31 je trouve ce pont absolument admirable,
22:33 avec un nœud au ventre, une souffrance,
22:38 qui va m'accompagner pendant au moins les 3 premiers mois,
22:42 c'est-à-dire, je me dis, je suis dans le syndrome,
22:45 qui paraît-il très féminin, le syndrome de l'imposteur ou de l'impostrice,
22:50 je suis persuadée qu'ils vont se rendre compte
22:52 de l'erreur qu'ils ont faite en me recrutant,
22:56 et j'ai une image en tête qui est celle du capitaine Dreyfus,
23:01 je m'imagine dans la cour de l'Élysée,
23:05 où ils vont m'arracher, je sais pas quoi d'ailleurs,
23:08 parce qu'il n'y a pas d'insigne,
23:10 mais je me dis, ça va se terminer comme ça,
23:12 ça va se terminer de manière horrible,
23:13 je suis stressée de manière épouvantable.
23:16 – Est-ce que vous savez pourquoi vous avez été recrutée au départ, et comment ?
23:19 – Non, j'ai vu le secrétaire général adjoint, Christian Sauter,
23:25 j'ai vu Jean-Louis Bianco, secrétaire général,
23:29 j'ai eu le malheur de dire à Jean-Louis Bianco,
23:32 qui me demande, si on vous proposait le poste, est-ce que vous viendriez ?
23:37 Et je lui ai répondu, je répondrais, banco,
23:39 dire banco à Bianco, il faut le faire.
23:43 Je me dis, mais c'est du suicide en direct, c'est n'importe quoi,
23:46 donc non, je ne m'attends pas forcément,
23:48 et a posteriori d'ailleurs, je découvrirai qu'il y avait beaucoup de candidats,
23:52 ce que j'ignorais, et qu'il y avait beaucoup de candidats
23:55 qui étaient tous en charge du commerce extérieur,
23:58 dans les différents ministères, à Matignon, etc.
24:01 Donc des gens qui avaient, sur le papier,
24:04 une bien meilleure connaissance que moi du sujet.
24:06 – Mais résultat, en février, vous devenez chargée de mission
24:09 pour le commerce extérieur et l'économie internationale,
24:13 et en novembre, paf, promotion immédiate, secrétaire général adjoint.
24:16 – Oui, oui. – Et cher pas.
24:18 – Alors, ça s'est passé un peu en deux temps,
24:20 le président me propose de prendre la succession de Jacques Attali,
24:28 comme cher pas.
24:30 Alors là, re-imposteur, re-imposteriste, la catastrophe,
24:34 puis là, comme j'ai préparé avec Jacques Attali et Sommet,
24:37 je vois très bien ce que c'est.
24:40 Et puis, j'entends dire aussi qu'il veut me nommer secrétaire général adjoint,
24:45 alors je suis un peu soulagée, je me dis, bon, il a changé d'avis,
24:49 et en fait, il veut me nommer aux deux postes.
24:52 Donc, j'ai 31 ans, remplacer deux poids lourds de l'Élysée,
24:59 et prendre à la fois, le secrétaire général adjoint,
25:02 c'est lui qui fait, je dirais, chef de gare dans le système,
25:10 des nouvelles lois, etc., conseil des ministres et autres,
25:14 et puis tout ce qui est interne,
25:15 et puis, cher pas, c'est tout ce qui est international.
25:17 Donc, je me dis, c'est pas possible.
25:20 Et je lui explique que je ne peux pas prendre les deux.
25:22 Et il me donne un mois pour réfléchir, je reviens en disant non,
25:29 et il m'explique, mais non, mais vous, vous savez dire non avec le sourire.
25:34 Je vous dis non avec le sourire.
25:36 Et en fait, je suis sortie de cette négociation,
25:40 il m'a dit, la seule chose que j'accepterais, c'est que vous me disiez
25:43 que vous souhaitez avoir un enfant dans l'année,
25:46 ça je comprendrais très bien que ce soit contradictoire, mais sinon...
25:49 Voilà, donc je suis partie avec les deux charges,
25:52 et c'est vrai que ça a été quand même très rude.
25:54 - Oui, mais si vous a choisi aussi, c'est parce que vous êtes l'antitechnocrate,
25:58 et déteste les cuistres et les technocrates, François Mitterrand.
26:01 - Bah, je crois, oui, alors je sais pas si je suis l'antitechnocrate,
26:04 je suis comme une techno quelque part,
26:06 mais disons que je n'ai pas ni l'éthique, ni les préventions,
26:11 ni la façon un peu étroite de juger de tout.
26:14 Je pense que oui, j'essaye d'être...
26:16 Peut-être aussi une dimension un peu littéraire,
26:18 c'est-à-dire que j'essaye, toutes les notes que je lui ai faites,
26:21 j'ai essayé de les...
26:24 euh...
26:26 de les faire avec une certaine profondeur.
26:28 - Alors justement, vous devenez la faiseuse de notes spécialisées,
26:31 et vous ne savez pas au départ s'il lit vraiment,
26:34 et vous allez comprendre un jour à cause d'une faute d'orthographe qu'il les lit, Anne d'Auvergine.
26:37 - Mais une faute d'orthographe que j'ai sciemment introduite.
26:41 - D'accord !
26:42 - Sur une note sur la dette polonaise.
26:44 Vous comprenez que trois pages sur la dette polonaise,
26:46 c'est pas extraordinairement sexy.
26:49 Et comme les notes reviennent en général avec "vu",
26:53 bah vous vous dites "Est-ce qu'il l'a vraiment lu ?"
26:55 Et donc à la page 2, j'ai introduit un accord avec un participe passé et le verbe "avoir",
27:02 donc c'était pas terrible.
27:05 Et au merveille, ma note revient avec un "vu",
27:07 mais à deuxième page, la faute entourée
27:11 avec une flèche, et dans la marche, c'était marqué "Où !?"
27:16 Ah j'ai dit "Génial ! Mon piège a fonctionné, il est tombé dedans,
27:20 et il me lit ! Même quand je fais des notes sur des sujets vraiment pas très attractifs."
27:26 - Et au départ, Anne d'Auvergine, vous avez un bureau tranquille au deuxième étage,
27:29 et il vous demande d'être à côté de lui.
27:31 - Oui, Jacques Attali est parti pour la Baird à Londres,
27:38 et effectivement il me demande de m'installer.
27:40 Alors là, je dois dire que je n'accueillis pas cette décision d'été de cœur,
27:46 parce que dans mon deuxième étage, j'étais à peu près tranquille,
27:50 d'abord ça me permettait de monter et de descendre les étages,
27:52 c'était bon pour la gym,
27:56 et j'ai pas le choix, donc je m'installe à côté.
27:59 - Et résultat, il va venir en frappant toujours à la porte.
28:02 - Ah toujours.
28:03 - Un voisin extrêmement poli, extrêmement soucieux de votre domaine, de votre espace,
28:14 comme il est soucieux lui-même qu'on n'envahisse pas non plus son espace.
28:18 - Oui, et en même temps d'ailleurs, à n'importe quel moment,
28:20 il vous dit "Allez, on va aller déjeuner, on va aller dîner",
28:22 ça aussi c'est une tradition.
28:24 - Oui, c'est-à-dire que c'est ça qui est assez extraordinaire chez lui,
28:27 surtout que la maladie va finir par arriver,
28:30 c'est cette capacité à...
28:34 On rentre d'un voyage, tout le monde est fatigué, il y a eu plein de trucs,
28:39 allez hop, vous êtes libre, toujours vous êtes libre,
28:42 bien sûr je ne suis pas libre, mais je dis oui je suis libre,
28:45 vous êtes libre ce soir, allez hop on va dîner,
28:47 alors il monte des dîners comme ça,
28:50 4-5 personnes, 6-7, avec des gens très différents,
28:55 c'est en même temps, vous vous rendez compte, c'est passionnant,
28:59 j'ai eu des dîners, il aurait fallu, si j'avais pu,
29:02 il aurait fallu les enregistrer, les filmer,
29:04 c'était fantastique, avec des intellectuels, avec des politiques,
29:08 avec toutes sortes de gens différents.
29:10 - Et puis vous découvrez les dîners du dimanche soir rue de Bièvre chez lui,
29:14 où il y a une table ronde assez particulière.
29:16 - Alors il y a des tables rondes comme ça dans beaucoup d'endroits,
29:19 il y en a une rue de Bièvre, il y en a une à...
29:22 à La Tché, il y en a une dans les appartements privés,
29:27 à l'Elysée, vous savez c'est des tables rondes finalement chinoises,
29:31 c'est-à-dire que vous avez une table à l'intérieur
29:33 et vous pouvez tourner la table pour partager les mets.
29:37 - Et donc là... - Ça il adore.
29:39 - Il adore. Et le dimanche soir c'est quand même la transition
29:43 avec cette seconde famille, avec Mazarine,
29:45 dont vous avez ignoré l'existence pendant des années, Anne Lauvergeon.
29:49 - Alors on m'a dit qu'elle existait assez rapidement d'ailleurs,
29:53 après mon arrivée il y a un des conseillers du service de presse
29:57 qui m'a expliqué qu'il avait une fille qui avait 13-14 ans,
30:03 et plus jeune, il allait dans une boulangerie avec elle,
30:08 elle lui disait "papa je veux un pain au chocolat"
30:11 et bon, c'est pas possible, si c'était vrai,
30:15 mais tout le monde le saurait, enfin bon.
30:17 J'étais extrêmement sceptique, jusqu'au moment où effectivement
30:21 un soir il me demande, il me dit "est-ce que vous pourriez vérifier
30:26 si une jeune fille, Mazarine Pinjot, a bien été reçue à l'école normale supérieure ?"
30:31 Alors je dis "quelle école normale supérieure ?"
30:34 "Fontenay, Fontenay Saint-Cloud, j'appelle, on me dit oui"
30:40 il revient, je dis "oui elle a bien été reçue"
30:44 alors il le savait, il me dit "vous ne serez plus la seule normalienne
30:49 de mon proche entourage"
30:51 et puis il repart vers son bureau,
30:55 et en fait il revient, et il peut pas le garder pour lui,
31:01 quand on connait la capacité de François Mitterrand
31:05 de tenir ses émotions, c'était quand même intense,
31:08 et fou de bonheur, il me dit "c'est ma fille"
31:11 - Voilà, c'est comme ça, mais vous savez,
31:13 moi Marlène Dietrich qui vivait chez elle recluse,
31:15 m'appelle un jour, elle me téléphonait, elle me dit
31:17 "vous savez que François Mitterrand a une fille,
31:19 Mazarine, personne ne le savait"
31:21 et je dis "mais Marlène, comment savez-vous ça ?"
31:23 et elle me répond "quand on a travaillé avec les services secrets
31:25 pendant la guerre, il en reste toujours quelque chose"
31:27 - Oh ! - Elle était au courant !
31:29 Alors il se trouve aussi qu'il y a eu d'autres femmes dans sa vie,
31:34 et il y a eu quelqu'un qui a beaucoup compté dans sa vie,
31:37 écoutez sa voix.
31:39 - Au cours de cette émission, nous avons eu deux interruptions de l'image
31:42 - Catherine Langeais, Marie-Louise Thérasse,
31:45 de son vrai nom. - Qui a été son premier grand amour,
31:47 ce que vous racontez dans ce livre.
31:49 - Un premier amour totalement ravageur,
31:51 c'est-à-dire que lui, il est tombé,
31:53 il est tombé le coup de foudre.
31:55 Il va avec son frère à un bal de l'école normale supérieure,
32:01 décidément il y a beaucoup d'écoles normales supérieures dans cette histoire,
32:05 elle est là, elle parce que son frère est rentré à l'école normale supérieure,
32:09 elle fait jeune fille, etc.
32:13 Il la voit et il tombe fou d'amour.
32:17 Donc ça va être, ça se passe en 1937 je crois,
32:23 - 37-38 oui.
32:25 - Et il n'a de cesse que de l'épouser, c'est obsessionnel.
32:31 - Mais malheureusement elle va partir vers un autre homme,
32:35 mais il va quand même garder des bons rapports puisqu'il téléphone un jour
32:37 à son ancien chef de cabinet, Jean Darcy,
32:39 en disant "vous êtes à la télévision maintenant,
32:41 est-ce qu'il y a une place pour elle ?"
32:43 C'est comme ça qu'elle va démarrer.
32:45 - Exactement. Ce qui est extraordinaire c'est qu'il a toute sa vie,
32:49 il lui envoie des fleurs le jour de son anniversaire,
32:53 le jour de leur fiançaille, puisqu'ils ont été fiancés.
32:57 - Pendant la guerre en 40, dans une commission.
32:59 - Finalement c'est ce que j'appelle le fidèle-infidèle,
33:07 il y a une fidélité totale, c'est-à-dire que pour lui,
33:13 Marie-Louise Terrasse, surnommée "Zou",
33:17 Zou va rester unique.
33:21 - Et puis il va épouser Daniel, après avoir vu une photo d'elle
33:25 chez Christine Gaudrenal, sa sœur.
33:27 - Oui, c'est incroyable.
33:29 Alors il va la rencontrer pour de vrai,
33:33 puisque lui dans son réseau de résistance, il s'appelle Morlan,
33:37 est menacé, un certain nombre de gens ont été arrêtés,
33:41 donc il part se mettre au vert chez les parents,
33:45 à la fois de Christine et de Daniel.
33:53 Et comme à chaque fois, d'ailleurs c'est très étonnant,
33:55 il séduit les parents.
33:57 Il avait séduit les parents de Marie-Louise Terrasse,
34:01 il séduit les parents aussi de Daniel,
34:05 qui elle au début le trouve vieux, pour elle, toute jeune,
34:09 et puis elle va finir par craquer.
34:13 - Il dira quand même un jour, et il vous l'a confié,
34:17 "je n'aurais jamais dû me marier".
34:19 - Ah oui, il était très ambivalent sur le mariage,
34:23 il admirait beaucoup ce qu'il appelait les vrais couples,
34:27 il admirait beaucoup les gens, vous voyez, typique,
34:31 une osse d'or, main dans la main, yeux dans les yeux,
34:33 qui s'aiment encore, etc.
34:35 Ça pour lui c'était extraordinaire.
34:37 Et en même temps, peut-être parce qu'il avait vu
34:41 beaucoup d'autres choses et vécu d'autres choses,
34:43 pourquoi se marier ?
34:45 - Oui, et effectivement il a vécu beaucoup de choses,
34:47 vous en racontez énormément dans ce livre,
34:49 dont on va continuer à parler à travers la date de sa sortie,
34:53 le 17 avril 2024.
34:55 A tout de suite sur Sud Radio, avec Anne Lauvergeon.
34:58 - Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
35:01 - Sud Radio, les clés d'une vie, mon invité Anne Lauvergeon,
35:04 on a parlé de votre carrière, de votre arrivée
35:06 chez Ensemble Mitterrand, et justement tout ça figure
35:08 dans un livre qui est sorti le 17 avril 2024,
35:12 il s'intitule "La promesse", il est chez Grasset,
35:14 et le titre n'a pas été choisi au hasard, Anne Lauvergeon.
35:17 - Non, puisque c'est une promesse qu'il m'a demandé
35:22 d'écrire un jour sur ce que j'avais observé, vu, échangé avec lui, j'y étais assez récalcitrante,
35:36 parce que déjà avait commencé, c'était en 1994, avait commencé les Mitterrand et Moi ou les Moi
35:45 et Moi et Mitterrand et j'avais pas du tout envie d'ajouter quoi que ce soit là-dessus. Mais il
35:54 m'a dit "mais tu pourras le faire dans 20 ans, 25 ans, fais-le". Donc je me suis dit 25 ans,
36:03 oui pourquoi pas, donc j'ai dit oui. Bon j'ai mis 30 ans quand même. Oui, vous l'avez fait. J'ai
36:11 rempli ma promesse. D'ailleurs ce jour-là, le jour où il vous a proposé d'écrire ce livre,
36:16 c'est ce jour-là qu'il a commencé à vous tutoyer Anneau-Vergent ? Ah non, non, c'est pas ce jour-là,
36:22 non on se tutoyait déjà. En fait un jour, c'était lors d'un déjeuner, il me demande "on pourrait
36:32 peut-être se tutoyer ?" et alors là, je reste un peu muette et dans ma tête vient une idée,
36:41 parfois un peu impertinente, me vient l'idée de François Mitterrand au parti socialiste,
36:48 à l'Assemblée nationale, en politique on tutoie beaucoup, les gens lui demandaient très souvent
36:56 "on pourrait se tutoyer ?" et il répondait "comme vous voulez", qui était une façon très claire de
37:05 dire il n'en est pas question. Et je me dis je vais lui répondre comme vous voulez, histoire de
37:10 lui renvoyer. Oh puis je me suis dit quand même, c'est quand même une opportunité historique,
37:16 je vais quand même pas la gâcher pour faire de l'esprit. Voilà, donc en fait on s'est mis à se
37:23 tutoyer quand on était en tête à tête et quand on ne parlait pas travail, c'est à dire que quand
37:36 il était aussi, bon, quand il disait quelque chose qui ne lui plaisait pas ou autre, on repassait au
37:41 vouvoiement, on mettait la distance, voilà. Donc oui j'ai tutoyé François Mitterrand, ce qui est
37:48 plutôt rare puisque c'était quand même un privilège qui était plutôt celui de tous les gens qui
37:54 l'avaient connu très jeune, sa famille bien sûr. - Alors il se trouve aussi que dans ce livre vous
38:00 racontez Mitterrand au quotidien mais aussi le parcours de François Mitterrand et vous racontez
38:05 à nos vergeons qu'il a débuté comme journaliste et comme rédacteur en chef de Votre beauté et
38:10 qu'à l'époque il voulait être éditeur et être le rival de Gallimard. - Mais absolument, il rêvait
38:16 d'être éditeur. Alors c'était un peu Votre beauté, c'était une publication sponsorisée par L'Oréal.
38:22 Bon je pense pas que L'Oréal aurait voulu transformer Votre beauté en une édition surtout
38:29 d'oeuvres, j'imagine, un peu littéraires. Mais oui il a caressé cette idée et qu'il a échangé
38:37 d'ailleurs avec un certain nombre de personnes là-dessus. - Et il se trouve qu'à l'époque L'Oréal
38:41 avait lancé déjà un autre magazine, L'Oréal humoristique, qui est un complément de Votre
38:46 beauté en 1935 et je pense que ça n'aurait pas marché avec François Mitterrand. - Je ne pense
38:51 pas non plus, c'était pas le genre. - Alors il y avait aussi sa façon de vivre dans les maisons
38:58 car il était très attaché aux maisons et vous évoquez bien sûr L'Atchée mais il y a une autre
39:02 maison qu'on connaît mal, qu'il a louée pendant des années et qu'il aurait voulu acheter. - Oui
39:08 c'est celle de Champagne. Alors Champagne n'est pas en Champagne, Champagne est dans la Nièvre,
39:12 c'est un village qui est sur une colline au-dessus du canal du Nivernais et de Lyon, c'est un très
39:22 beau village, très très beau. Et il louait une maison qui n'avait pas le confort moderne mais
39:28 qui était intrinsèquement jolie, qui avait appartenu à un des sénateurs de la Nièvre. - Et il aurait
39:33 voulu l'acheter, il ne l'a jamais acheté, c'est l'un de ses regrets je crois. - Oui alors il ne l'a
39:37 pas acheté parce qu'au même moment il y a eu Osgore et Daniel qui voulaient absolument du soleil.
39:43 Le changement climatique de la Nièvre devient un endroit beaucoup plus ensoleillé qu'il n'a été,
39:49 mais enfin à l'époque elle voulait quelque chose d'autre. - Alors lui à Osgore il allait jouer au
39:55 golf et pas du tout sur la plage mais il y avait aussi l'hôtel de Vieux-Morvan qui est célèbre et
40:00 ce que vous racontez dans ce livre c'est que pendant ses campagnes il prenait le train par
40:04 tous les temps François Mitterrand. - Il me décrivait ce que je connais maintenant c'est
40:11 la roche migène, changement de train à trois heures du matin, je ne change pas le train à
40:16 trois heures du matin mais finalement être en triangle entre Paris, la Nièvre et Osgore c'était
40:26 effectivement très très exigeant. Mais François Mitterrand c'était quelqu'un qui voulait, on le
40:34 disait tout à l'heure, profiter de l'instant présent etc mais très dur avec lui-même aussi.
40:38 - Oui et il habitait à Paris rue Guinemer, je sais pas si vous le savez mais trois étages au-dessus
40:43 il y avait Marity et Gilbert Carpentier qui préparaient les émissions de radio. - Ah mais j'ai connu Marity et Gilbert Carpentier parce qu'ils avaient fait une émission
40:51 dans les sous-sols des anciennes carrières de la ville de Paris sur laquelle j'étais en charge.
40:59 C'est comme ça que j'ai rencontré un certain nombre de chanteurs qu'on avait fait descendre à 20 mètres de profondeur.
41:07 - Oui il faut savoir prendre de la hauteur. Alors ce qui est étonnant aussi, ce que vous racontez
41:12 Nino Verjon, c'est que François Mitterrand n'est jamais rentré dans un palais présidentiel avant
41:17 d'être élu. - Ah oui, 24 ans d'opposition à partir de 1958, d'opposition totale, c'est à dire
41:24 aucun palais de la république, aucune préfecture, c'est une opposition que personne n'assumerait
41:32 aujourd'hui. Moi j'ai vu tellement d'opposants féroces venir aux décorations à l'Elysée avec
41:39 "ah non, ne pas être écarté de ce qui se passe". Non, non, c'était une vraie opposition. - Vous appelez ces
41:47 gens-là les tournesols je crois. - Les courtisans, oui, il y a beaucoup de gens qui ont des fidélités
41:53 successives et parfois le changement est très rapide, c'est absolument extraordinaire. - C'est fabuleux.
41:59 Alors il se trouve aussi qu'en 74, Georges Pompidou meurt, il est chez l'IP, Roger Caz lui annonce la
42:06 nouvelle avant tout le monde, il sort avant de payer la note, Roger Caz tente de le rattraper en disant
42:11 "mets la note" et il répond "vous me l'enverrez au palais d'Elysée". Bon, il a fallu 7 ans pour qu'il y soit.
42:16 - Ah, je ne connais pas cette anecdote. - Elle est authentique et surtout c'est à Veselay je crois qu'il a pris
42:24 sa décision de se présenter en 74. - Oui, 74 et 81 et d'ailleurs il le raconte lui-même, ce qui pour un...
42:34 enfin, il faut imaginer le parti socialiste de l'époque, dire qu'on va à la Sainte-Madeleine de Veselay
42:43 pour savoir si on est candidat ou pas, c'est pas quand même, c'est pas très usuel. - Non.
42:50 - Mais on comprend que Veselay, enfin moi je suis très sensible à l'ambiance de Veselay, à la force du monument,
42:58 alors en plus, je ne sais pas si vous y êtes allé récemment, mais il a été entièrement ravalé.
43:03 - Complètement. - Tout blanc, comme si c'était tout neuf.
43:08 - Et puis, alors justement, dans les choses importantes à part Veselay, il y avait le roche de Solutré,
43:12 alors il y a le chemin qu'on connaît quand on a vu de la télévision, mais il y a aussi le second parcours
43:17 que vous avez vécu avec les saucissonneries et le déjeuner qu'on ne connaît pas, Anne Lauvergeon.
43:21 - Ah mais il y a toujours des rituels dans les rituels, c'est-à-dire, alors les rituels pour François Mitterrand
43:25 sont très importants, alors effectivement la roche de Solutré où à partir de 1981, il y avait tous les médias
43:33 qui soit faisaient la lamentée, soit le retrouvaient en bas, mais une fois tout ça terminé,
43:38 il rejoignait une famille, je crois, de Saint-Etienne, pour saucissonner gentiment,
43:47 qui n'ont jamais, jamais rien dit à personne, donc vraiment la famille étendue, il y avait quand même beaucoup de monde,
43:56 et puis derrière, un restaurant, toujours le même, toujours le même menu, puisque c'est un rituel,
44:03 donc on est poulet à la crème et crème au chocolat, voilà, et puis il y avait aussi tout le rituel qui était associé,
44:14 qui était lié à la Martine, avec, bah, on déclamait des vers de la Martine, on allait sur le tombeau de la Martine,
44:22 donc l'aspect rituel pour lui était très important, alors c'était une façon de se souvenir,
44:29 c'était une façon aussi de, comment dirais-je, d'être fidèle à ce qu'on a été et à ce que les autres ont été,
44:37 par exemple ce qu'il faisait, alors je n'ai vu aucun de ses successeurs le faire,
44:44 c'est qu'il décorait dix à douze personnes dans les grands salons de l'Elysée, sans une note, sans rien,
44:53 des gens qu'il connaissait, des gens qu'il ne connaissait pas, et il leur faisait un discours sur leur vie, ce qu'ils avaient fait, etc.,
45:01 et ça aussi c'était un rituel qui pour lui avait valeur de test également, c'est-à-dire est-ce que je suis capable de me souvenir de tout,
45:13 il n'a jamais, il ne s'est jamais trompé sur rien, ses successeurs lisent un texte,
45:18 ce qui entre nous, quand vous êtes décoré vous-même, doit avoir une saveur un peu moindre.
45:25 - Nous sommes bien d'accord. Alors il se trouve aussi qu'il y avait un regret dans ces déjeuners assolutrés,
45:30 c'est qu'il aurait aimé entendre des chansons comme celle-ci.
45:33 * Extrait de "L'étoile des neiges" de Jean-Michel Blanquer *
45:41 - "L'étoile des neiges" qui est une chanson, on le sait peu, traduite par Francis Blanche,
45:45 qui travaillait à l'époque chez un éditeur et traduisait des chansons américaines.
45:49 - Ah ben je ne savais pas. Alors oui, il regrettait le temps des banquets républicains,
45:54 ou finalement des mariages, des événements, les gens à la fin se mettaient à chanter.
46:01 Alors il y avait "L'étoile des neiges", il y avait toute une série, et les gens chantaient ensemble,
46:08 chantaient juste, chantaient faux, mais il y avait une espèce de communion et de réalisation éphémère,
46:17 mais significative. Oui, il regrettait beaucoup que ça n'existe plus.
46:21 - Alors il se trouve aussi qu'il y avait... - Il y a les karaokés maintenant.
46:23 - Il y a les karaokés, c'est bon, toujours. Mais je le vois mal faire un karaoké.
46:26 Non, et puis il y avait un autre rituel très important, et ça c'était essentiel,
46:30 c'était les discours des vœux. Pour les vœux. Et ça, à nos vergeons, on ne le sait pas assez,
46:35 vous le racontez, François Mitterrand mettait plusieurs jours à écrire avec un waterman
46:39 les vœux aux français. - Pour lui, toute rédaction de discours importants
46:45 était un travail avec un papier, un stylo, un gros stylo waterman,
46:53 il y avait une grosse écriture en bleu outre-mer, et c'était un travail personnel.
46:59 Alors il pouvait vous demander des éléments, il pouvait les intégrer,
47:08 mais à la fin, c'est lui qui faisait. Et pour lui, c'était aussi un homme politique
47:14 qui doit travailler et donner de lui-même aussi dans la façon dont il a d'exprimer les choses
47:21 vis-à-vis des français. Et pour lui, il y avait les hommes politiques qui travaillent,
47:26 ou ceux qui finalement prennent ce que leur conseiller, alors aujourd'hui les conseillers-com,
47:32 les spin-doctors, les éléments de langage, ça c'était un terme qu'il détestait,
47:37 les éléments de langage, comme si on pouvait quelque part me donner ce que j'ai à dire.
47:43 Ben non. Et alors les projets de discours en général, ça se passait pour, je ne sais pas,
47:50 il allait à la mutualité agricole, mettons, dans un événement, bon, le conseiller en charge
47:56 lui préparait un discours, et alors là, on commençait, "ah mais, vous avez vu, vous avez vu,
48:04 c'est pas possible, c'est pas possible". Et pour lui, un discours, moi il m'a beaucoup appris,
48:08 c'est un sujet, un verbe, un complément, il faut que ça soit simple, le moins d'adjectifs possibles,
48:15 les adverbes, alors là c'est des trucs d'énarques, les adverbes, les non-obstants, les machins,
48:20 oh là là, stop, et puis le fait que vous parlez à quelqu'un, vous ne parlez pas à une espèce de concept,
48:30 vous parlez à des gens en vrai, qu'est-ce qui les intéresse vraiment, quel est ?
48:36 Et alors quand il se mettait à faire un discours, c'était un diesel, c'est-à-dire ça démarrait
48:40 un peu lentement, on se disait "oh là là, il a pas l'air bon", et puis voilà.
48:46 Et alors quand il était vraiment à l'aise, quand on sentait que bon, il mettait le coude sur le...
48:53 et alors là, ça y est, et il pouvait durer, et puis alors en général, effectivement, bon,
49:01 le discours était mis de côté, le célèbre discours qui termine devant le Parlement européen,
49:08 son dernier discours devant le Parlement européen, quand il termine par "le nationalisme, c'est la guerre",
49:13 c'était pas dans le discours, et il avait lâché son discours depuis belle durette,
49:17 parce que, et c'est ça qui marche, pour ça qu'il y a eu "standing ovation" général,
49:23 parce qu'il leur parlait de l'Europe, des nations, de ce qui était le plus important.
49:30 Alors moi je ferais pas de discours inutiles, je recommanderais à celles et ceux qui nous écoutent
49:34 de plus en plus nombreux à lire "La promesse" chez Grasset, ce livre où on a évoqué quelques sujets,
49:39 il y en a beaucoup d'autres. Merci d'avoir écrit, merci d'avoir tenu votre promesse,
49:43 parce que c'est une leçon d'histoire et une leçon d'humanité.
49:47 Merci Anne-Laure Vergon. - Merci infiniment, Jacques.
49:49 - Les Clés d'une vie, c'est terminé pour aujourd'hui, on se retrouve bientôt,
49:52 restez fidèles à l'écoute de Sud Radio.

Recommandée