• il y a 7 mois
L'anthropologue au CNRS et spécialiste de la Nouvelle-Calédonie était l'invité du "8h30 franceinfo", jeudi 16 mai 2024.

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00:00Bonjour Benoît Trépied, la Nouvelle-Calédonie s'embrase, l'état d'urgence y est instauré, l'armée déployée,
00:06quatre personnes ont trouvé la mort pendant les émeutes, dont un gendarme tué par balle.
00:10Vous allez nous aider à comprendre comment on en est arrivé là,
00:13comment on en arrive à cette violence inouïe qui trouve ses racines dans l'histoire politique de l'archipel aussi.
00:19Mais d'abord ce constat, est-ce qu'on peut dire qu'on est au bord de la guerre civile en Nouvelle-Calédonie ?
00:24Est-ce que vous utilisez ces mots ?
00:26Ce qu'on peut constater c'est qu'il y a une situation qui est quasiment insurrectionnelle maintenant.
00:31Toute la question va être de savoir si la situation va continuer à dégénérer dans un cycle interminable de violence, répression, violence, répression, etc.
00:41Ou bien si les appels au calme vont être entendus rapidement.
00:46Ce qu'on sait c'est qu'il y a des appels au calme qui sont lancés par tous les responsables politiques de tous les bords,
00:52qu'il y a un travail de terrain effectué notamment par l'ensemble des structures militantes locales pour calmer les gens,
00:58pour essayer de retenir la colère.
01:02Donc on verra a posteriori si c'était le début d'une guerre civile ou pas, on ne peut pas le dire aujourd'hui.
01:05Il faut dire à quel niveau de violence on est.
01:07On a donc des morts par balle, des maisons incendiées, des attaques à la hache, des milices qui rôdent.
01:12C'est ce que racontent, rapportent les ministères de l'Intérieur.
01:15Une telle flambée de violence avec des morts de part et d'autre, c'est du jamais vu ?
01:20Si, c'est du déjà vu. Dans les années 80, il s'est passé exactement la même chose à partir de 1984.
01:25Les causes produisant les mêmes effets, c'est exactement le même système.
01:28Ça veut dire qu'on retourne 40 ans en arrière ?
01:30Complètement. Ce qu'il faut quand même dire, c'est que c'est tout sauf une surprise.
01:34Ça fait trois ans que tout le monde alerte le gouvernement sur le problème de sa méthode
01:39qui consiste à passer en force à la place de privilégier le consensus.
01:42C'est ce type de passage en force sans consensus qui a déclenché la guerre civile des années 80.
01:46À propos de passage en force, le fait de déployer l'armée, c'est évidemment pas neutre, ne serait-ce que symboliquement ?
01:51Évidemment. Déclarer l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie, là encore, ça s'est passé en 1985.
01:56C'est la même histoire et c'est directement lié à ce choix politique
02:03de ne pas discuter de façon impartiale et neutre avec tous les partis en présence.
02:08Mais on l'entendait, les soldats disent eux-mêmes qu'on n'est pas là pour faire du maintien de l'ordre.
02:11Le fait qu'il y ait des soldats en armes autour de l'aéroport, comment ça peut être interprété ?
02:15De part et d'autre, par les différents camps ?
02:18Ça renvoie, disons, à la militarisation du conflit.
02:23Et ça encore, ça fait écho non seulement à la révolte des années 80,
02:28mais bien avant à toutes les guerres coloniales qui se sont déployées en Nouvelle-Calédonie.
02:31Parce qu'en fait, tout le problème, c'est qu'il y a une situation coloniale qui n'est pas réglée.
02:34Et qu'on sait que, même si ça paraît anachronique de dire ça en 2024,
02:37mais qu'un contentieux colonial en Nouvelle-Calédonie se règle traditionnellement depuis 150 ans par l'armée française.
02:43On va revenir sur le fond de ce qui se passe, sur l'histoire politique de l'archipel.
02:49Mais quelles sont d'abord les forces en présence ? Qui sont les émeutiers ? De qui on parle ?
02:54J'ai du mal à le savoir, puisque je suis à Paris comme vous,
02:57donc je ne reçois que des informations lointaines, indirectes, par mes proches, etc.
03:02Ce qui semble apparaître, c'est que d'une part, il y a toute une partie de la jeunesse canaque urbaine
03:10qui était déjà, disons, sur les braises.
03:14Et depuis très longtemps, en Nouvelle-Calédonie, parce que la Calédonie est une poudrière depuis longtemps.
03:18D'une part, et puis d'autre part, il y a des espèces de milices d'autodéfense, des quartiers qui se sont constitués.
03:23Et comme la Calédonie n'est pas ailleurs un pays très armé, où il y a beaucoup d'armes à feu, cette situation dégénère.
03:29Pourquoi il y a beaucoup d'armes à feu ?
03:30Il y a beaucoup d'armes à feu parce qu'en Calédonie, la pratique de la chasse, c'est une pratique extrêmement répandue.
03:36Et pour le coup, c'est bien quelque chose qui rassemble toutes les communautés.
03:38Donc il y a énormément de fusils.
03:39En revanche, ce qui a été constaté depuis trois ans, et depuis que le gouvernement a fait dérailler le référendum,
03:44et en particulier dans les derniers mois, les dernières semaines, c'est que les armurées, elles ont été dévalisées.
03:48C'est-à-dire que c'est tout sauf une surprise.
03:50On voyait bien que la tension montait sur le terrain, et les appels à la sagesse au gouvernement ont été lancés de toutes parts
03:57pour calmer le jeu plutôt que de continuer.
03:59Ça n'a pas été choisi, on en voit les conséquences aujourd'hui.
04:01– Je prolonge la question de Salia sur les forces en présence.
04:04Comment est-ce que vous qualifiez, vous, cette cellule de coordination des actions de terrain,
04:08CCAT, qui a été qualifiée de voyous, voire de terroristes, par certains élus et certaines autorités localement ?
04:14– Gérald Darmanin lui-même, le ministre de l'Intérieur, parle ce matin d'organisation mafieuse.
04:18– Oui, alors d'une part, on connaît la capacité du gouvernement actuel à traiter beaucoup de ses adversaires politiques
04:23en termes de mafieux, voyous, terroristes.
04:25Ça rappelle aussi le fait que dans les années 80, encore une fois, Bernard Ponce, il parlait du FNKS comme un groupe terroriste.
04:31Donc on est dans la même logique.
04:32La réalité, c'est que la CCAT, c'est une organisation de mobilisation sur le terrain
04:39qui est une émanation des principaux partis indépendantistes
04:42et qui a été mise en place depuis à peu près six mois,
04:46suite au discours notamment d'Emmanuel Macron en juillet 2023,
04:49qui a explicitement dit à Nouméa que les trois référendums avaient réglé la question,
04:54que donc on allait ouvrir le corps électoral sans plus d'ouverture sur la discussion avec les indépendantistes.
05:01– C'est une organisation politique.
05:02– En pratique, ce que je veux dire, c'est que la CCAT, depuis trois mois,
05:05elle a multiplié les manifestations pacifiques qui étaient extrêmement familiales,
05:11qui étaient dignes, qui ont été des grands moments finalement d'affirmations identitaires.
05:16Il y a des troupes de danse qui sont allées, des familles entières, etc.
05:19C'est tout, sauf une bande de voyous.
05:20– Alors comment ça a dégénéré ?
05:22– Ça a dégénéré parce que l'État est passé en force.
05:24Mes mises en garde à l'Assemblée nationale et au Sénat ont été dites et répétées.
05:29Ce n'est pas moi qui le dis, et moi je suis un chercheur CNRS,
05:33donc je connais juste la situation.
05:34– Et vous êtes en lien avec les gens sur place, vous les aviez encore ces dernières heures
05:37au téléphone, notamment ces gens du CCAT.
05:39– Non, non, je ne suis pas en lien avec les gens du CCAT.
05:41– Non, non, ce que je veux dire c'est que vous aviez des gens sur place
05:43qui vous disent que les gens du CCAT ne sont pas non plus forcément dans la surenchère.
05:48– Non, c'est-à-dire que l'inverse, là, les infos que j'ai eues,
05:51c'est que les sections locales de la CCAT, les mamans, les papas, les familles,
05:56elles vont aller toute la nuit essayer de calmer les jeunes, de calmer le jeu,
05:59en leur disant que la lutte pour Kanaki c'est la discipline,
06:02ce n'est pas n'importe quoi, on ne brûle pas.
06:04– Avant d'entrer dans le dossier politique, on en parlera juste après le Fil info,
06:08cette question quand même des deux communautés qui peuvent s'affronter,
06:13les indépendantistes et les non-indépendantistes,
06:15et ce témoignage de Sonia Baques qui est la présidente de la province sud,
06:19elle, elle parle de racisme anti-blanc.
06:22Elle dit que son père, à elle, qui est d'origine portugaise,
06:25l'a vécu, là, pendant ces émeutes, parce qu'il est blanc, il a été visé.
06:29– Oui, alors, les accusations de racisme anti-blanc ou anti-Kanak,
06:34c'est quelque chose qui a marqué complètement l'histoire de la Calédonie,
06:37encore une fois parce que c'est une situation coloniale,
06:39je suis désolé de le répéter, mais de fait, c'est cette situation coloniale
06:43qui a construit des rapports antagonistes entre les communautés.
06:47Ensuite, ce qu'il faut bien comprendre, c'est que depuis 30 ans,
06:52c'est justement à éteindre le feu que se sont attelés
06:55tous les responsables politiques de tous bords,
06:57et que ce processus de construction d'une citoyenneté,
07:00d'un destin commun entre les anciens colonisés et les anciens colons,
07:03était en bonne voie, donc ça permettait un apaisement des tensions.
07:06Là où ça a changé, et là où tout a dégénéré,
07:09c'est pas qu'un surgissement de racisme anti-blanc ou autre,
07:14c'est que l'État n'a plus suivi la méthode qui avait permis le retour de la paix sur place.
07:18Alors précisément, ce point de bascule, on va l'évoquer avec vous,
07:21Benoît Trépied, dans un instant, juste après le Filinfo,
07:238h40, Mathilde Romagnan.
07:26Une réunion de suivi sur la Nouvelle-Calédonie, ce matin à Paris,
07:29autour d'Emmanuel Macron.
07:31Le Président propose aux élus calédoniens un échange par visioconférence.
07:35Le bilan des émeutés est de 4 morts, dont un gendarme.
07:38L'état d'urgence est en vigueur.
07:40Sur place, des centaines de gendarmes et policiers sont envoyés dans l'archipel.
07:44TikTok, réseau social utilisé par les émeutiers, est interdit.
07:48Selon le ministre de l'Intérieur,
07:50350 enquêteurs de la police judiciaire sont mobilisés
07:53pour retrouver Mohamed Hamra, prisonnier en fuite,
07:56après l'attaque d'un fourgon il y a deux jours.
07:59Deux agents pénitentiaires ont été tués.
08:01Les syndicats appellent à une nouvelle journée de blocage des prisons aujourd'hui.
08:06Le Premier ministre Slovaque, Robert Fico, est toujours hospitalisé.
08:11Mais ses jours ne sont plus en danger.
08:13Il a été opéré après avoir été touché par balle.
08:15L'assaillant, lui, a été arrêté.
08:17C'est l'un des films les plus attendus sur la croisette.
08:20«Mégalopolis», le dernier long-métrage de Francis Ford Coppola,
08:24est présenté aujourd'hui au Festival de Cannes.
08:26Le réalisateur américain a remporté la palme d'or il y a 45 ans pour «Apocalypse Now».
08:36Le 8.30, France Info, Jérôme Chapuis, Salia Braklia.
08:40Et nous sommes toujours avec Benoît Trépied, anthropologue chargé de recherche au CNRS,
08:43spécialiste de la Nouvelle-Calédonie.
08:45On parlait de ce point de bascule.
08:46Juste avant, le fil info expliquait comment tout cela a démarré.
08:50Cette réforme constitutionnelle votée par les deux assemblées,
08:52réforme qui vise à élargir le corps électoral pour les élections provinciales.
08:56Pourquoi ça a mis le feu aux poudres ?
08:58Alors parce que la question du corps électoral,
09:00elle est décisive en Calédonie.
09:02Déjà cette question qui avait mis le feu aux poudres dans les années 80.
09:05La Calédonie, c'est une colonie de peuplement où le peuple autochtone canin
09:09qui a été minorisé est devenu minoritaire sur sa propre terre.
09:12Et donc, il y a deux légitimités qui s'affrontent depuis 40-50 ans.
09:16D'une part, la légitimité du peuple canin qui dit,
09:18en tant que peuple colonisé, au nom du droit des peuples autochtones,
09:22au nom du droit des peuples à l'autodétermination reconnu par l'ONU,
09:25c'est à nous de décider du futur de cette île parce que c'est nous qui sommes colonisés.
09:29De l'autre côté, le latin français a dit non, pas du tout.
09:31Si la Nouvelle-Calédonie, c'est une terre française,
09:33donc en républicain, homme égal une voix,
09:35tous les français votent sur le futur de la Calédonie,
09:37même ceux qui viennent d'arriver depuis deux ans.
09:39La confrontation de ces deux légitimités a créé la guerre civile des années 80.
09:44C'est parce que chacun des deux camps a réussi à faire un compromis,
09:48c'est-à-dire les Kanakas, ouvrir leur droit à l'autodétermination
09:51à ceux qu'ils ont appelés les victimes de l'histoire,
09:53c'est-à-dire les descendants des colons,
09:54les gens qui sont devenus de ce pays plus ou moins malgré eux.
09:56D'une part, et que d'autre part, l'État a compris
09:59qu'on ne pouvait pas laisser voter tout le monde,
10:01qu'il y a eu un point d'accord, un point de compromis sur le corps électoral.
10:04Et c'est ça qui a ramené la paix.
10:06Donc depuis qu'on sait ça,
10:08on sait pertinemment que toucher au corps électoral,
10:10sans un accord global et un compromis général,
10:13c'est déterrer l'âge de guerre.
10:15Tout le monde le dit et le répète depuis des années.
10:17Mais dans le fond, si on regarde bien la réforme constitutionnelle,
10:21il faut savoir en quoi elle consiste.
10:23En fait, le but, c'est d'élargir effectivement le corps électoral,
10:26permettre à ceux qui sont là depuis plus de dix ans,
10:28ceux qui habitent depuis plus de dix ans en Nouvelle-Calédonie,
10:31de pouvoir voter aux élections locales.
10:34On peut se dire, de ce point de vue-là,
10:36c'est démocratique et c'est plutôt une bonne chose.
10:38La Nouvelle-Calédonie,
10:40le processus de l'accord nommé 1,
10:42repose sur la construction d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie.
10:45Cette citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie,
10:47c'est la façon dont la Calédonie a choisi de se décoloniser,
10:50en réunissant le peuple kanak et les gens qui sont là depuis longtemps.
10:54Cette citoyenneté, elle repose précisément sur ce corps électoral.
10:58A partir de là, maintenant qu'on est au terme de l'accord de Nouméa,
11:01la question évidemment qui se pose, c'est
11:03qu'est-ce qu'on fait de ce corps électoral ?
11:05C'est-à-dire, finalement, qu'est-ce qu'on fait de cette citoyenneté calédonienne ?
11:07Donc il faut inventer une sorte de code de la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie,
11:11parce que comme dans tous les pays, il faut bien penser
11:13aux façons dont on acquiert la citoyenneté.
11:15Le problème n'est pas que les indépendantistes
11:17ne veulent pas qu'on touche au corps électoral, pas du tout.
11:20Ils disent, bien sûr qu'on va en discuter,
11:22mais à deux conditions.
11:24C'est que ce soit à l'intérieur d'une discussion globale
11:26sur qu'est-ce que devient ce pays,
11:28notamment l'autodétermination, d'une part.
11:30Et deuxièmement, que ce soit nous, les Calédoniens,
11:32loyalistes et indépendantistes,
11:34qui en décidions. Ce n'est pas à Paris
11:36de décider de ça, puisque là, ce qui s'est passé,
11:38c'est que l'Assemblée nationale et le Sénat
11:40ont voté ça, alors que l'immense majorité
11:43des parlementaires ne sont pas au courant
11:45du dossier calédonien et des enjeux que ça soulève.
11:47– Et c'est de ça dont on va parler tout à l'heure,
11:49avec Emmanuel Macron à l'Élysée, au cours de cette réunion
11:51qu'on a invoquée dans la nuit. – Avec les élus, oui.
11:53– Je ne sais pas, je n'ai pas eu Emmanuel Macron récemment,
11:55je ne peux pas vous dire. – Non, mais la question qui se pose,
11:57c'est est-ce qu'il y a des gens de bonne volonté
11:59aujourd'hui parmi les élus d'un côté et de l'autre
12:01qui sont prêts à rouvrir le jeu ?
12:04Puisque vous nous dites que ce jeu est complètement fermé
12:06du fait du vote de l'Assemblée nationale avant-hier.
12:08– Il y en a, il y a toujours eu…
12:10Alors oui, la réponse, clairement, c'est que oui.
12:12En fait, il n'y a personne parmi les élus locaux
12:14de Nouvelle-Calédonie qui veut un retour à la guerre civile.
12:17Ce qui s'est passé, c'est que depuis trois ans,
12:20en particulier les mouvements loyalistes les plus durs
12:24ont convaincu le gouvernement français,
12:26je ne sais pas dans quel ordre, mais que ça passerait,
12:28que la méthode du passage en force passerait.
12:30C'est ce qu'a dit le rapporteur Nicolas Messidorff,
12:32c'est ce qu'a dit Sonia Baquette,
12:33qui était quand même rentrée au gouvernement de Madame Borne,
12:35ce qui est un signe, si vous voulez, du changement.
12:37– Ça a été très mal interprété, oui.
12:39– Ou très bien interprété, ça dépend comment on voit les choses,
12:41mais en tout cas c'est assez transparent.
12:43– Donc ce qu'on comprend, c'est qu'il y a un gros problème
12:45de méthode au niveau du gouvernement pour mener à bien
12:47cette réforme constitutionnelle, là Emmanuel Macron dit,
12:50normalement quand les deux assemblées votent le texte
12:53dans les mêmes termes, je convoque dans la foulée
12:56le Parlement en congrès, mais là il va attendre un peu,
12:59il va attendre la fin du mois de juin, le temps que le calme revienne,
13:02qu'il puisse discuter avec tout le monde.
13:05C'est plutôt sage ce qu'il décide ?
13:07– Alors je pense que la vraie solution de sagesse,
13:09c'était de ne pas voter ce texte à l'Assemblée nationale,
13:12parce que qu'est-ce qui va se passer maintenant ?
13:14Maintenant le Président dit, vous avez en gros jusqu'à mi-juin,
13:17fin juin pour négocier.
13:18Les loyalistes eux, ils veulent l'ouverture du corps électoral,
13:21les indépendantistes ne le veulent pas dans ces conditions-là.
13:23Si jamais la discussion n'aboutit pas, qu'est-ce qui se passe ?
13:26Le corps électoral est ouvert par le congrès de Versailles,
13:29c'est-à-dire que la négociation là, elle est profondément déséquilibrée.
13:32C'est-à-dire que les loyalistes auront beau jeu de dire
13:34on ne parvient pas à avoir un accord, bon ben tant pis,
13:36il n'y aura pas d'accord, et donc c'est dégelé, et donc c'est notre position.
13:39C'est bien pour ça que ce qui a été dit et répété,
13:41même à l'Assemblée nationale pendant deux jours,
13:43c'est que voter ce texte, c'était dangereux pour la suite de la négociation,
13:47parce que ça a changé les bases du débat.
13:49Et ça a changé le rôle de l'État, c'est ça,
13:51ça faisait de lui un arbitre qui n'était plus impartial.
13:55Oui, mais ça, ça fait trois ans que ça dure,
13:57puisque suite à la deuxième consultation référendaire,
13:59en fait, il y a eu un changement de stratégie de l'État,
14:01au moment où Édouard Philippe a quitté Matignon,
14:04ce qui est sans doute pas un hasard,
14:05et lors du troisième référendum, qui a eu lieu pendant la crise Covid,
14:10en décembre 2021, les Canacks avaient demandé un report de six mois, neuf mois,
14:15pour avoir le temps d'enterrer leurs morts,
14:17de faire une campagne électorale de porte à porte
14:19pour aller chercher les derniers abstentionnistes,
14:21et donc pour avoir un scrutin qui aurait été incontestable,
14:24comme les deux précédents référendums de 2018 et 2020.
14:27C'est une histoire de six à neuf mois de délai.
14:30Aujourd'hui, on est à quatre morts,
14:32parce que l'État n'a pas voulu suivre une stratégie d'apaisement.
14:38– Le tout premier passage en force, c'était donc ce référendum.
14:41– C'est à partir de là que, et forcément, ce référendum,
14:44ce passage en force a fait que, suite à ça,
14:47pendant un an, il n'y a plus eu de discussion politique,
14:49parce que les indépendantistes ont dit
14:51« l'État est sorti de sa position de neutralité ».
14:53– Et les indépendantistes avaient boycotté ce troisième référendum.
14:57Il y a un détail qu'il faut souligner quand même, Benoît Trépied,
15:00c'est que jusqu'ici, vous l'avez dit,
15:02le dossier avait été en charge de Matignon, avec Édouard Philippe,
15:06là ce n'est plus le cas, c'est Gérald Darmanin,
15:08le ministre de l'Intérieur, qui s'en occupe.
15:10Il faut à tout prix que Gabriel Attal reprenne la main ?
15:12– Il faut à tout prix qu'il y ait d'autres acteurs qui reprennent le dossier.
15:16M. Darmanin, il est complètement discrédité auprès des indépendantistes,
15:19ça c'est sûr et certain.
15:20Ce qui est demandé avec force d'abord par les indépendantistes,
15:23et puis maintenant par énormément d'autres voix,
15:26et même citoyennes, c'est une mission de médiation
15:30qui est faite par des personnalités irréprochables,
15:33et donc qui ne sont pas liées très directement à ce gouvernement.
15:36– Ça existe ça ?
15:37– Donc à minima, il faut…
15:38– Mais c'est qui ?
15:39– Alors, écoutez, c'est assez simple,
15:41Édouard Philippe a été cité, Jean-Jacques Hervoas a été cité,
15:44c'est-à-dire des hauts fonctionnaires d'État.
15:48– Dans ses élus et dans sa ministre, l'un d'autres,
15:50c'est le ministre de la Justice, Jean-Jacques Hervoas.
15:52– Je veux dire, c'est même Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls et Édouard Philippe
15:55l'ont dit lors des débats,
15:57donc ce n'est pas une vue de l'esprit,
15:58et ce n'est pas une position des indépendantistes.
16:00Il y a un certain nombre de gens dans le personnel politique en France
16:04qui connaît le dossier calédonien,
16:06ces gens-là ne sont plus écoutés au sommet de l'État,
16:08or c'est à ces gens-là qu'il faudrait faire appel,
16:10puisque la guerre civile de 84-88,
16:12elle a été stoppée grâce à la mission du dialogue,
16:15envoyée par Michel Rocard avec Christian Blanc à sa tête.
16:18Et des pasteurs, des responsables catholiques,
16:22des francs-maçons, des hauts fonctionnaires,
16:24et c'est ces gens-là, dotés d'une autorité morale,
16:27qui ont réussi à renouer les fils du dialogue et à ramener la paix.
16:29On est dans le même schéma aujourd'hui.
16:31Benoît Trépied, anthropologue chargé de recherche au CNRS,
16:33spécialiste de la Nouvelle-Calédonie.
16:34Vous restez avec nous jusqu'à 9h.
16:36On vous retrouve juste après le fil info, il est 8h50.
16:38Mathilde Romagnan.
16:40Le calme va être rétabli en Nouvelle-Calédonie,
16:43assure ce matin le ministre de l'Intérieur.
16:45Gérald Darmanin annonce l'arrivée de centaines de policiers
16:48et gendarmes à Nouméa d'ici demain soir.
16:50Il accuse aussi l'Azerbaïdjan d'ingérence dans l'archipel
16:54où l'état d'urgence est en vigueur.
16:56Les hémetons font quatre morts, dont un gendarme.
16:58Emmanuel Macron propose aujourd'hui un échange
17:01par visioconférence aux élus calédoniens.
17:03Les syndicats appellent encore à bloquer les prisons
17:06aujourd'hui après la mort de deux agents pénitentiaires
17:08dans l'attaque d'un fourgon il y a deux jours.
17:11Les syndicats attendent des engagements écrits
17:13du ministre de la Justice avant de cesser leurs actions.
17:16Le prisonnier est toujours en fuite.
17:18Interpol a lancé un avis de recherche.
17:21Les syndicats de sapeurs-pompiers appellent à la grève aujourd'hui.
17:25Ils demandent plus d'effectifs, de meilleures conditions de travail
17:29et une meilleure prise en compte des risques du métier pour leur santé.
17:33La liste des joueurs retenus en équipe de France
17:36pour le prochain Euro de football sera dévoilée ce soir à 20h.
17:40Le sélectionneur Didier Deschamps pourra prendre jusqu'à 26 joueurs.
17:44L'Euro commence le 14 juin prochain en Allemagne.
17:56Toujours avec Benoît Trépied, anthropologue chargé de recherche au CNRS,
17:59spécialiste de la Nouvelle-Calédonie.
18:02Dans ce contexte d'émeute, ce matin, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin,
18:06accuse directement l'Azerbaïdjan d'ingérence en Nouvelle-Calédonie.
18:11Qu'est-ce que vous en pensez ?
18:13Ce que j'en pense, c'est que comme on vient de l'expliquer,
18:15depuis trois ans, je ne crois pas que ce soit l'Azerbaïdjan
18:18qui ait dit à M. Macron de faire cette stratégie du passage en coup de force.
18:21Si l'État français s'est tiré une balle dans le pied dans la Calédonie,
18:24je ne suis pas étonné que ses adversaires politiques en profitent.
18:28Mais ce n'est pas ses adversaires qui ont tiré, en l'occurrence.
18:30C'est l'occasion.
18:31Ils soufflent sur les braises ? C'est possible, ça ?
18:33Moi, je ne suis pas expert en diplomatie, mais ça ne m'étonne pas.
18:36Je pense qu'effectivement, quand on a des rivalités diplomatiques,
18:38on souffle sur la base dès qu'il y a un problème.
18:40Ces soupçons d'ingérence, ils ont une réalité ?
18:42Pardon ?
18:43Ces soupçons d'ingérence, ils ont une réalité ?
18:44On parle de l'Azerbaïdjan, mais comme de la Chine ou de la Russie ?
18:47Je n'ai aucune idée sur ça.
18:50Vous n'avez pas de preuves là-dessus ?
18:51Non, je n'ai pas d'éléments sur la diplomatie.
18:53Mais ce que je sais, c'est que la crise telle qu'elle est,
18:56elle explose en ce moment,
18:58elle est complètement explicable et imputable
19:01à ce qui s'est passé, ce dont on discute depuis 20 minutes.
19:03Je ne vois pas en quoi ce serait...
19:06Et puis, c'est une excuse, en fait.
19:08Il faut bien comprendre que ce discours sur la Chine, l'Azerbaïdjan,
19:11là, c'est sorti depuis trois jours.
19:12C'est des éléments de langage politico-médiatique qui circulent à Paris,
19:15mais c'est évidemment une façon de détourner l'attention
19:17sur la responsabilité du gouvernement.
19:19C'est peut-être plus ancien, quand même, Benoît Trépied,
19:21parce que vous l'avez évoqué, le discours du président de la République,
19:23à Nouméa, en 2023,
19:25où il faisait référence à l'ingérence chinoise.
19:28Il disait aux Calédoniens,
19:30si une base chinoise s'installait en Nouvelle-Calédonie,
19:37ce ne serait pas une indépendance que vous auriez là.
19:40Donc, ce souci de l'ingérence chinoise, elle persiste.
19:43Là, quand le gouvernement interdit TikTok dans l'archipel,
19:46c'est aussi un signe qu'il y a une peur de cette ingérence ?
19:50– Oui, alors, l'interdiction de TikTok, je ne sais pas si c'est ça,
19:55ou si c'est pour éviter…
19:56– Application chinoise, il faut le rappeler.
19:58– Oui, bien sûr, mais je ne sais pas si c'est un souci sur ça,
20:01ou si c'est pour éviter de diffuser les vidéos localement,
20:03qui circulent énormément.
20:04En revanche, ce qu'on peut dire, fondamentalement,
20:06c'est que les enjeux, ce à quoi vous faites allusion,
20:10c'est la stratégie indo-pacifique de la République française,
20:14qui consiste à dire que la France doit être un acteur majeur dans l'océan Pacifique,
20:17parce qu'il y a des rivalités très importantes,
20:19diplomatiques, avec la Chine, avec les États-Unis, etc.
20:21Le fait de penser aux intérêts de la Nouvelle-Calédonie à l'aune de la France,
20:25le fait de penser le dossier calédonien à l'aune de la grandeur de la France
20:28et de ses questions diplomatiques, c'est un réflexe, excusez-moi, impérialiste.
20:32C'est-à-dire que l'accord de Matignon, puis l'accord de Nouméa depuis 40 ans,
20:35ça a été de dire qu'on pense à la Calédonie
20:37à l'aune des intérêts de la Nouvelle-Calédonie.
20:40La Nouvelle-Calédonie, jusqu'à preuve du contraire, a été colonisée par la France, pas par la Chine.
20:44Ce qu'en disent tous les Calédoniens, c'est que le processus de décolonisation,
20:49il ne consiste pas à rompre avec la France, il consiste à renouveler la relation,
20:53à bâtir une relation entre deux peuples et deux pays souverains,
20:57amis, liés par une histoire calédonienne coloniale particulière qui est un fait,
21:02et de sortir d'un système de tutelle coloniale.
21:07Évidemment pas pour tomber dans un autre système de tutelle coloniale
21:10qui serait la Chine, l'Azerbaïdjan, la Russie, Poutine ou autre.
21:12Le problème, c'est entre le peuple kanak et l'État français.
21:16Le pari de l'accord de Nouméa, c'est de décoloniser avec une réconciliation
21:22entre le peuple kanak et les anciennes communautés,
21:24en renouvelant un nouveau rapport équilibré et décolonisé avec la France.
21:29Il est là l'enjeu, il n'est pas ailleurs.
21:30– Pardon, mais la fin de la colonisation, la décolonisation,
21:34ça aboutit forcément à l'indépendance ?
21:36– Non, précisément, l'ONU reconnaît que la décolonisation,
21:39ça peut être l'indépendance, mais ça peut être aussi une intégration
21:42pleine et entière dans la République, et ça peut être aussi
21:44un système d'indépendance-association, et précisément c'est ça qui est demandé
21:47par les indépendantistes, et qui semble être la solution de compromis
21:50qui permet de préserver les intérêts de tout le monde,
21:52c'est-à-dire le pays recouvre entièrement sa souveraineté
21:55et décide librement ensuite de confier certaines compétences
21:58à un autre État ami, et de créer une relation…
22:01Écoutez, l'indépendance-association, c'est Monaco avec la France,
22:05si ça vous donne une idée un peu plus précise,
22:07même si le contexte monégasque et calédonien
22:09est quand même très différent, mais…
22:11– Mais il n'y a que des exemples, c'est pas le Royaume-Uni
22:13avec ses anciennes colonies ?
22:14– Il y en a d'autres dans le Pacifique, des exemples comme ça,
22:16il y en a beaucoup dans le Pacifique, parce qu'en fait,
22:18il y a beaucoup de micro-États dans le Pacifique
22:21qui ont décidé de renouveler leurs relations
22:23avec l'ancienne tutelle coloniale, les Ilkouks avec la Nouvelle-Zélande,
22:26les États fédérés de Micronésie avec les États-Unis…
22:28– Vous donnez l'exemple de la France avec Monaco,
22:31juste sur les enjeux économiques, évidemment qu'ils ne sont pas les mêmes.
22:34À Monaco, il n'y a pas les ressources en nickel qu'il y a en Nouvelle-Calédonie,
22:38et c'est en ça que la France est attachée aussi à la Nouvelle-Calédonie ?
22:41– Je ne suis pas… Alors en partie, très certainement,
22:44mais comme on le sait avec le Gabon et Elf, si vous voulez,
22:47l'indépendance n'empêche pas les relations économiques privilégiées, disons.
22:51Donc, il y a évidemment un enjeu du nickel,
22:54mais le cœur d'ailleurs de l'enjeu du nickel,
22:56il est précisément pour les calédoniens,
22:58qu'ils soient canins ou pas canins, qu'ils soient indépendantistes
23:00ou pas indépendantistes, à retrouver le contrôle,
23:04la maîtrise de cette ressource pour bâtir justement
23:08un pays sur une voie d'émancipation, de responsabilisation.
23:11Si cette émancipation, cette responsabilisation
23:14continue à se construire dans ce processus de décolonisation,
23:17il n'y a aucune raison que la Nouvelle-Calédonie rompe avec la France.
23:20En revanche, le passage en force paternaliste qui se passe en ce moment,
23:23c'est la meilleure façon de faire exploser les relations
23:26et de mettre le feu aux poutres comme on le voit en ce moment à nos mers.
23:28Mais parce que cette ressource du nickel qui est si importante pour le territoire,
23:31elle profite à qui aujourd'hui ?
23:32Alors, c'est un dossier compliqué.
23:34Il y a, si vous voulez, pendant toute l'histoire coloniale
23:37et pendant très longtemps, la grande majorité des ressources de nickel en Calédonie
23:41étaient exportées de façon brute à l'étranger pour être transformées
23:44et donc la création de richesse a été faite là-bas.
23:47Il n'y avait qu'une seule usine à nos mers.
23:49Le pari des accords de Matignon, précisément, ça a été de dire
23:53on fait des usines de nickel locales pour que la richesse reste locale
23:56et finance le pays sur une trajectoire d'émancipation.
23:59Cette logique d'investissement dans le secteur du nickel
24:03et de nationalisation, en quelque sorte, de ce domaine clé et stratégique,
24:07ça a été au cœur de la lutte indépendantiste.
24:10Ça a marché ou pas ?
24:11Et bien, si vous voulez, c'est un long processus et ça dépend des cours,
24:15mais ce qui est important de comprendre, c'est que ce discours
24:19a été notamment tenu parmi les indépendantistes en disant
24:22la lutte continue après 88, la lutte continue,
24:25mais elle se déploie sur d'autres terrains.
24:27On range les armes, les affrontements, les meurtres, c'est pas ça.
24:31Maintenant, la lutte pour nous, la décolonisation, c'est, ils disent,
24:34construire le pays, c'est-à-dire créer de la richesse,
24:37s'approprier les outils du nickel pour le bien commun de tous,
24:41parce qu'on a la chance, contrairement à d'autres pays ultramarins,
24:44d'être assis sur une ressource qui peut nous permettre
24:47une forme d'émancipation et d'être maître de notre destin.
24:50C'est cette lutte qui est portée. Il faut souligner qu'en ce moment,
24:53il y a une grosse crise économique dans le secteur du nickel
24:56qui fait que les usines, les trois usines, sont en grande difficulté
24:59et que de ce point de vue-là, il y a eu précisément au sein de l'État
25:03des discours de plus en plus importants en disant, écoutez,
25:06face à vos problèmes de trésorerie, il faut que vous ré-exportiez
25:09du minerai brut et que vous ne le transformiez pas sur place.
25:12Or, précisément, c'est un retour en arrière et ça, on ne le dit pas du tout
25:16en ce moment parce qu'évidemment, tout le monde est focalisé
25:18sur ces mafieux de la CCAT comme dit M. Darmanin.
25:20Mais ce qui se passe, c'est que toucher au pouvoir politique
25:23des gens du pays et des canards, mais toucher aussi au pouvoir économique
25:28et à la stratégie économique, c'est ce qui se passe en même temps
25:31en Nouvelle-Calédonie et ça n'a rien d'étonnant quand on reprend
25:35et qu'on met ça en perspective historique.
25:37La politique, l'économie, les enjeux identitaires aussi.
25:40Merci beaucoup de nous avoir aidés à comprendre cette crise complexe
25:43en Nouvelle-Calédonie. Benoît Trépied, chargé de recherche au CNRS.