Raphaël Glucksmann, député européen Place publique et tête de liste du Parti Socialiste aux européennes est l'invité du 7h50 de Sonia Devillers. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-06-mai-2024-9263034
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00:00 Il est 7h48, Sonia De Villers, votre invitée ce matin, est eurodéputée et tête de liste PS, place publique aux élections européennes.
00:09 Et je rappelle Nicolas qu'il défend les droits de la minorité ouïgour, qu'il est interdit de séjour en Chine,
00:13 qu'il a fait le choix de se retirer du réseau social détenu par la Chine TikTok,
00:17 et qu'il a présidé la commission spéciale sur les ingérences étrangères au Parlement européen,
00:22 dont les travaux ont porté, notamment, sur la Chine.
00:25 Bonjour Raphaël Glucksmann.
00:26 Bonjour.
00:27 Faut-il recevoir Xi Jinping en France ?
00:29 On peut le recevoir, on peut discuter avec tout le monde, mais pas de cette manière.
00:34 Pas en l'amenant dans le village de vacances de l'enfance, dans la maison de l'aïeule,
00:41 pas en donnant, comme le dit l'Elysée, un cadre amical à cette visite, parce que Xi Jinping n'est pas notre ami.
00:47 En plus d'avoir déporté le peuple ouïgour, réprimé les Tibétains, les Hongkongais, réprimé les opposants, menacé les Taïwanais,
00:55 Xi Jinping, c'est le principal soutien aujourd'hui de la guerre de Poutine en Ukraine.
01:00 D'une guerre qui menace la sécurité des Européens.
01:03 Sans l'aide de la Chine, la Russie n'aurait pas été capable de continuer cette guerre jusqu'à notre jour.
01:09 Dans une lettre ouverte que vous publiez, Raphaël Glucksmann, ce matin dans le journal Le Monde,
01:13 vous parlez de l'obséquiosité du chef de l'État français face à Xi Jinping.
01:18 On l'a vu dans la visite déjà.
01:19 Obséquiosité ?
01:20 On l'a vu, cette obséquiosité, dans la visite en Chine.
01:24 Et aujourd'hui, on a une visite qui reprend les traits d'une visite amicale.
01:29 Ce n'est pas notre ami Xi Jinping.
01:31 Et ce n'est pas en flattant les tyrans qu'on fait preuve de réalisme.
01:35 On a vu la stratégie d'Emmanuel Macron face à Vladimir Poutine, les invitations au fort de Brégançon,
01:40 la visite du musée de l'Hermitage, le tu, le toi, le camarade, l'ami.
01:45 Et le résultat ?
01:46 Eh bien, aucune influence, aucune déviation de la ligne offensive de Vladimir Poutine.
01:51 La même chose va se passer avec Xi Jinping.
01:53 Et Xi Jinping, c'est aussi non seulement l'homme de l'amitié sans limite, je le cite, avec Vladimir Poutine,
02:00 mais c'est aussi l'homme qui mène la stratégie commerciale de la Chine,
02:03 qui ratiboise nos industries, nos productions.
02:06 Raphaël Glucksmann, qu'attendez-vous de cette visite ?
02:09 Commençons par le bras de fer économique.
02:11 La Chine représente 40 des 100 milliards de déficit commercial de la France.
02:15 C'est colossal.
02:16 Donc ça dit l'ascendance de l'économie chinoise sur la nôtre.
02:19 Qu'est-ce que vous proposez pour rééquilibrer cette balance ?
02:22 La mise en place d'un protectionnisme européen, écologique.
02:25 Moi, j'étais avec les dirigeants de l'entreprise Sistovi,
02:28 qui produit des panneaux photovoltaïques, des panneaux solaires.
02:31 C'était une entreprise florissante.
02:33 Et la stratégie décidée par le régime chinois de casser les prix, de diviser les prix par 4,
02:38 eh bien, en quelques semaines, Sistovi a mis les clés sous la porte.
02:42 Et vous avez une stratégie chinoise qui est de ratiboiser les productions stratégiques européennes et françaises en particulier.
02:49 Vous savez, on avait des champions du panneau solaire,
02:51 des champions en France et en Europe.
02:53 Aujourd'hui, combien d'entreprises produisent des panneaux solaires en France ?
02:57 Il n'en reste plus qu'une.
02:59 Tout est contrôlé par la Chine et tout est décidé à l'échelon politique.
03:02 Alors justement, nous sommes des temps dépendants de la Chine,
03:05 vous venez de le dire, en matière de transition écologique.
03:07 Donc si on surtaxe les produits chinois, si on ajoute des droits de douane colossaux,
03:12 on va nous-mêmes en payer la facture.
03:14 On doit relancer nos filières de production.
03:16 Il faut réaffirmer notre autonomie stratégique.
03:19 Vous savez, sinon, ce qui va se passer sur l'éolien, c'est ce qui s'est passé sur le photovoltaïque.
03:25 Et la même chose arrivera sur les voitures électriques dont parlait Dominique Seux.
03:28 La même chose arrivera sur les batteries.
03:30 Nous sommes face à une offensive qui est une offensive géopolitique.
03:34 Ce n'est pas la loi du marché.
03:36 Les productions chinoises reposent sur la mise en esclavage d'un peuple, le peuple ouïgour,
03:40 sur des subventions illégales, sur des stratégies de vente à perte.
03:45 Et nous, face à cela, nous avons fait preuve d'une naïveté sans nom.
03:48 Non seulement nous n'avons pas défendu nos principes, les droits humains,
03:50 mais en plus nous avons abandonné nos producteurs.
03:54 Et quand vous parlez avec les dirigeants de Sistovi, ils vous disent quoi ?
03:56 Nous avons été trahis par le politique.
03:59 L'Europe est un marché commun.
04:00 Ça ne dépend donc pas d'Emmanuel Macron.
04:03 C'est une décision européenne.
04:05 Vous êtes sûr que surtaxer les produits chinois, ça va faire consensus au niveau européen ?
04:11 Est-ce que ça va faire consensus au niveau européen ?
04:14 Est-ce que les Allemands par exemple vont épouser cette position ?
04:18 Moi je parle beaucoup avec les Allemands et avec en particulier le patronat allemand qui est divisé aujourd'hui.
04:24 Pourquoi ? Parce que le Mittelstand, tous ces PME allemands qui ont misé sur la Chine,
04:28 aujourd'hui se retrouvent complètement dans la même situation que nos producteurs,
04:33 menacés dans leur existence même par la concurrence déloyale chinoise.
04:36 Et donc il y a une pression au sein même des milieux économiques allemands
04:40 pour changer les politiques européennes.
04:42 Et moi ce que je veux c'est qu'on ne soit plus les dindons de la farce.
04:44 Vous savez qu'au Canada, quand il y a du dumping venant de Chine,
04:49 ils surtaxent à 235%.
04:51 En Europe, on surtaxe à 15%.
04:53 Ce n'est pas dissuasif.
04:54 On est aujourd'hui les derniers dans le monde à croire que la terre est plate
04:58 et que le marché peut tout régler.
04:59 Non !
05:00 Alors Raphaël Glucksmann, vous l'avez dit,
05:02 l'autre grand sujet de cette visite chinoise en France, c'est la guerre en Ukraine.
05:06 Pensez-vous qu'Emmanuel Macron a la capacité d'infléchir la position de la Chine ?
05:10 Peut-il par exemple dissuader Pékin de livrer,
05:13 de ne plus livrer directement à Moscou ?
05:16 Alors, pas des armes létales, certes,
05:18 mais des technologies dont l'armée russe peut faire usage.
05:22 Si l'industrie russe de défense a pu résister à nos sanctions,
05:26 c'est grâce à l'aide massive apportée par la Chine.
05:29 C'est un contournement des sanctions internationales sur la Russie.
05:31 Est-ce que la France peut jouer son rôle ?
05:33 Est-ce qu'Emmanuel Macron a le pouvoir ?
05:35 Non !
05:36 Voilà, c'est aussi simple que ça.
05:37 Il faut assumer le rapport de France.
05:39 Et penser qu'une offensive de charme
05:41 peut permettre de faire dévier la voie tracée par Xi Jinping,
05:45 c'est une illusion narcissique.
05:47 Et on fait la même erreur avec Xi Jinping
05:49 que celle qu'on a faite avec Vladimir Poutine.
05:51 On considère que ces gens sont influençables,
05:54 mais en réalité, ils sont des acteurs autonomes.
05:57 Et Xi Jinping a tout intérêt à ce que l'Occident et l'Europe s'effondrent.
06:01 Et donc, moi, ce que je veux vous dire, c'est que j'ai eu dans mon bureau
06:05 un diplomate européen en poste en Chine.
06:07 Et il est venu et il m'a dit "mais en fait, vous ne comprendrez jamais".
06:10 Et j'ai dit "vous ne comprendrez jamais quoi ?"
06:12 "Mais vous ne comprendrez jamais à quel point ils veulent notre débâcle".
06:16 C'est une hostilité idéologique extrêmement profonde.
06:19 Ce n'est pas simplement du commerce,
06:20 c'est une rivalité géopolitique, géostratégique.
06:22 Parlons justement d'influence.
06:24 Vous avez vous-même fait l'objet d'une campagne de désinformation
06:27 venant de comptes pro-chinois sur les réseaux sociaux.
06:30 Ça a été révélé récemment, vous accusant d'être, je cite,
06:34 "le cheval de troie des Américains et notamment de la CIA en Europe".
06:37 Au-delà de votre cas personnel, Raphaël Glucksmann,
06:39 faut-il s'inquiéter de ces opérations de manipulation
06:42 au cœur de la campagne européenne ?
06:44 Il faut s'en inquiéter, il faut s'en prémunir,
06:46 il faut cesser d'être naïf.
06:48 Vous savez, pas loin d'ici, il y avait un commissariat secret
06:51 de la police chinoise, sur notre sol, dans notre capitale.
06:55 Vous avez des hackers, APT31, un groupe de hackers
06:59 lié au système chinois, aux services de sécurité chinois,
07:02 qui menacent nos infrastructures stratégiques,
07:04 qui attaquent nos industries stratégiques.
07:08 Face à cela, nos réactions sont extrêmement faibles.
07:11 Moi, j'ai présidé la commission spéciale sur les ingérences.
07:13 Et je peux vous dire que la Chine a mis ses pas dans ceux de la Russie.
07:18 Et qu'aujourd'hui, c'est une puissance de déstabilisation interne
07:21 de nos démocraties, qui cherche à influencer nos élections.
07:24 Et quand il y a eu la visite du président Macron à Pékin,
07:27 il avait dans son avion, dans sa délégation officielle,
07:31 messieurs Raffarin et Le Guenn, qui travaillent pour les intérêts chinois.
07:35 Et je pense que c'est foulé au pied, là, notre souveraineté.
07:37 Il faut que nos nations arrêtent de se faire traiter
07:40 comme des serpillères par des régimes autoritaires
07:42 dont les principes et les intérêts sont fondamentalement hostiles aux nôtres.
07:46 Alors, sur la question des eurodéputés,
07:48 et des politiques et des élus sous influence étrangère,
07:53 Manon Aubry, tête de liste insoumise, affirme qu'un quart
07:55 des députés européens sont payés par des lobbies,
07:58 des entreprises ou des gouvernements, en plus de leurs indemnités d'élus.
08:02 Elle propose d'interdire ces rémunérations annexes.
08:05 Qu'est-ce que vous en pensez ?
08:06 Interdire ces rémunérations annexes quand ça vient d'États étrangers,
08:09 de lobbies, oui.
08:11 Donc vous la soutenez ?
08:12 Interdire ces rémunérations, oui.
08:14 Interdire toute forme de rémunération, non.
08:17 Des droits d'auteur, un médecin, là ça ne fonctionne plus.
08:20 Elle vient de diffuser un tract ce week-end,
08:22 titré "Ces députés qui s'en mettent plein les poches
08:26 en plus de leurs indemnités d'élus".
08:28 Plusieurs photos, dont la vôtre, Raphaël Guzman,
08:30 avec la mention entre 12 000 et 60 000 euros.
08:33 Manon Aubry, elle, zéro euro.
08:35 Très bien, c'est des droits d'auteur versés par une maison d'édition indépendante.
08:39 Ce n'est pas la même chose que travailler pour Total
08:42 ou pour le gouvernement chinois.
08:43 Vous pouvez écrire des livres,
08:45 vous pouvez faire des conférences dans des universités,
08:48 mais vous ne pouvez pas travailler pour des intérêts
08:51 qui menacent la démocratie en Europe.
08:54 Ces gauches sont devenus donc irréconciliables.
08:57 La vôtre et celle de Manon Aubry ?
08:59 Il y a aujourd'hui des calomnies, des fake news, des campagnes.
09:02 Ils veulent nous attirer dans un combat dans la bouffe.
09:04 Ils, c'est qui ?
09:05 Les Insoumis.
09:06 Mais nous, nous n'oublierons pas une chose.
09:08 Notre ennemi principal, c'est l'extrême droite qui est à 40%.
09:11 Nous ne nous trompons pas d'ennemis.
09:12 Je sais que je suis leur cible principale, aux Insoumis, aujourd'hui.
09:14 La vérité, c'est que nous, notre cible, c'est l'extrême droite
09:17 qui menace notre démocratie, qui menace la construction européenne.
09:20 L'expression "les gauches irréconciliables" ?
09:23 C'est Manuel Valls.
09:24 C'est Manuel Valls.
09:25 Vous savez ce que Martine Aubry,
09:29 ce que Martine Aubry, maire PS de Lille, lui avait répondu à l'époque à Manuel Valls ?
09:32 Non.
09:33 Elle lui avait dit "il ne peut pas y avoir de gauche".
09:34 Ou alors, c'est qu'il y en a une des deux qui est passée à droite ?
09:37 Eh bien, très bien.
09:38 Nous, ce qu'on fait, c'est qu'on réveille la gauche humaniste pro-européenne
09:41 depuis le début de cette campagne et qu'il y a un enthousiasme
09:43 parce qu'enfin, les gens peuvent respirer.
09:45 Ils peuvent voter pour leurs convictions, en accord avec eux-mêmes.
09:49 Et cet enthousiasme-là, c'est la renaissance de la gauche de Delors.
09:52 C'est la renaissance de la gauche de Badinter, d'une gauche pro-européenne
09:55 qui va être la grande surprise de cette élection
09:57 et qui est un antidote à la brutalisation du débat public
10:00 qui a lieu actuellement.
10:01 On n'en peut plus de cette brutalisation.
10:03 Ce sera le vote contre la haine et contre la brutalisation.