• il y a 8 mois
Patrice Jean est écrivain. Auteur de neuf romans, il publie un essai aux éditions Léo Scheer (collection "Chez Naulleau"), intitulé "Kafka au candy-shop". Dans cet ouvrage, Patrice Jean dénonce la prise en otage de l’industrie du livre par la politique, entre profusion de textes"engagés" et censure galopante des auteurs antiprogressistes. Au micro de TVLibertés, Patrice Jean défend une autre ambition pour la littérature : celle d’un art autonome et authentique, à même d’apporter du relief à nos vies.

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Transcription
00:00 Bonjour à tous, bienvenue dans ce nouveau numéro du journal de TV Liberté.
00:11 Aujourd'hui, j'ai la joie de recevoir Patrice Jean.
00:14 Bonjour monsieur.
00:15 Bonjour.
00:16 Vous êtes écrivain, votre oeuvre est notamment faite de neuf romans et a été distinguée
00:23 par plusieurs prix littéraires.
00:24 Mais c'est pour un effet, nous vous recevons aujourd'hui son titre Kafka au Candy Shop,
00:31 publié aux éditions Léocher dans la collection Chénouleau, un ouvrage disponible sur notre
00:36 boutique en ligne tvn.fr.
00:38 Alors dans Kafka au Candy Shop, vous défendez Patrice Jean l'autonomie de la littérature
00:43 false mythantique.
00:44 Pourquoi vous est-il paru important de prendre la plume sur ce sujet ?
00:49 Ah, parce qu'il me semble qu'aujourd'hui, la littérature est trop souvent, comment
00:58 dire, assujettie à des opinions politiques, quelles qu'elles soient d'ailleurs, et je
01:03 crois moi qu'il y a une autonomie de la littérature.
01:07 J'avais envie de réfléchir à cette question et d'essayer de comprendre.
01:11 D'ailleurs pour moi-même, je ressentais intuitivement que la littérature c'était pas simplement
01:16 un prolongement narratif, romanesque, d'idées politiques préalables, mais qu'elle avait
01:23 sa vérité et son champ propre.
01:27 Et donc j'avais envie d'écrire un article là-dessus, et Eric Noulot m'a un jour appelé
01:37 en me demandant si j'avais pas plutôt envie d'écrire un essai.
01:40 Et j'ai réfléchi à sa proposition et j'ai finalement dit oui pourquoi pas, j'avais terminé
01:45 un moment, et je vais essayer de prolonger cette réflexion sur la littérature aujourd'hui,
01:51 et la littérature en particulier face au militantisme.
01:53 Y a-t-il selon vous Patrice Jean une sorte d'exception culturelle française dans ce
01:58 lien très étroit parfois entre littérature et politique ? Vous êtes également enseignant,
02:05 on pense beaucoup à ces séquences au collège, au lycée, traitant de la poésie engagée
02:11 ou de la littérature engagée.
02:13 Est-ce que c'est le propre de la France ou c'est un travers qui s'est vu partout ?
02:17 Je crois qu'il y a un lien entre littérature et politique dans beaucoup de pays, dans beaucoup
02:23 de langues.
02:24 Je suis pas sûr que ce soit une spécificité française.
02:27 L'engagement n'est pas quelque chose de méprisable, c'est pas ce que j'ai voulu dire.
02:34 En réalité, et peut-être que je me suis pas totalement fait comprendre, c'est aussi
02:40 de la part des lecteurs que la réception est politique.
02:43 Les écrivains ont bien sûr le droit de s'engager pour les causes qu'ils veulent défendre,
02:51 mais un engagement ne certifie pas que leur oeuvre est réussie.
02:56 La question littéraire est ailleurs si vous voulez.
03:01 On peut s'engager pour le communisme, pour la démocratie, mais peu importe au fond,
03:08 pour le lecteur, ce qui devrait l'intéresser c'est ce que l'écrivain a à dire de spécifique,
03:14 en dehors d'engagement que chacun peut avoir et revendiquer au-delà de toute littérature.
03:21 La beauté d'une certaine façon est forcément gratuite.
03:25 Sans attendre que l'art et la beauté revendiquent cette autonomie de l'art, est-ce que ça
03:35 signifie qu'il y a forcément une dimension un peu gratuite, c'est-à-dire des couplets
03:39 de toute actualité, des couplets de toutes visées ?
03:43 Je crois que c'est Baudelaire, si j'en suis sûr, qui dit que dans toute oeuvre d'art
03:49 il y a une part immortelle ou éternelle, c'est celui-là, et une part plus liée à
03:56 l'actualité, liée à l'époque.
03:59 Donc forcément tout écrivain va décrire son époque, c'est la matière même de son
04:05 oeuvre ou de n'importe qui d'ailleurs, son époque, dans ce qu'elle a de périssable,
04:11 ce qu'elle a aussi d'éternelle, c'est-à-dire que l'être humain change, se modifie,
04:14 on n'est pas le même aujourd'hui au début du 21e siècle, les hommes ne sont pas les
04:18 mêmes, enfin les français, que ce qu'ils étaient au début du 19e, mais il y a quand
04:22 même quelque chose je crois qui reste, c'est-à-dire la condition humaine reste la même, les
04:28 passions, les désirs, notre condition face à la mort, l'amour, tout ça reste.
04:37 Et donc tout écrivain va essayer, à mon sens, de dire quelque chose sur ce qu'il
04:45 y a de permanent et de viser l'éternel tout en décrivant le périssable et l'éphémère
04:54 qu'il a dedans.
04:56 Donc la beauté, oui, la beauté quasi-platonicienne, elle est là, elle reste en dehors de tous
05:03 les régimes politiques.
05:04 Je crois que Baudelaire disait la modernité qu'il s'agit d'éternel dans le transitoire,
05:13 et alors sur la question de la modernité, vous étendez beaucoup en expliquant comment
05:20 elle compromet aussi la possibilité d'une vie intérieure et donc d'une vie authentique.
05:26 Iriez-vous jusqu'à dire que la modernité est des sens un peu totalitaires, d'une certaine
05:31 façon ?
05:32 Je pense qu'il y a une tentation totalitaire dans la modernité, mais peut-être aussi dans
05:38 toute société.
05:39 Mais ce qu'il y a de nouveau peut-être aujourd'hui, c'est justement Internet, ou tous les médias,
05:47 etc.
05:48 Je me souviens, quand je suis filmé chez moi, c'était impossible au 19e siècle de
05:51 savoir ce que tel ou tel écrivain pouvait faire chez lui.
05:56 Il y avait encore des zones où la vie privée était préservée.
06:01 Aujourd'hui, on rentre chez soi après avoir été dans un espace public, on allume l'ordinateur,
06:08 on prend son portable et à nouveau le monde est là, et à nouveau nous on peut être
06:13 présent au monde par la médiation des caméras, des micros.
06:19 L'homme moderne est de moins en moins dans une possibilité de solitude, de retrait et
06:25 d'écart.
06:26 En ce sens, peut-être que notre modernité favoriserait la...
06:31 Vous appelez la société totalitaire.
06:35 Alors, votre voix, j'ai vraiment très honnête, c'est aussi ce qui m'a plu dans celui-ci.
06:44 Je vous cite, je crois que c'est page 94, vous dites "en même temps, après avoir revendiqué
06:50 l'autonomie de la littérature par rapport aux politiques, si nous n'ouvrons pas les
06:55 yeux sur le mal qui réagit aujourd'hui, toute société, toute civilisation, nous restons
06:59 en deçà de la littérature et les produits qu'on appelle littérature ne le sont que
07:03 pour rire".
07:04 N'est-ce pas là aussi un peu un plaidoyer pour la littérature obligée ?
07:08 Je ne dirais pas...
07:13 Non, je ne crois pas.
07:15 Je pense que le regard de l'écrivain sur le mal dans la société ne sera pas le même
07:22 que celui du militant ou de l'homme politique.
07:24 C'est ça qui compte, c'est justement en quoi il a, avec une certaine forme de sensibilité,
07:32 un regard qui lui est propre, une façon d'exprimer la société.
07:38 Souvent quand même le militant a des a priori, enfin un système de pensée qui est là avant
07:45 d'être en lien avec la réalité.
07:48 Alors non pas que l'écrivain n'ait pas lui non plus ses a priori, c'est absolument
07:51 impossible, mais de la façon dont il va créer son œuvre, il va quand même essayer de,
07:59 si il veut qu'elle ne soit pas, notamment c'est vrai pour le roman, ce sur quoi Kundera
08:04 a beaucoup insisté à juste titre, s'il veut ne pas tomber dans un roman manichéen
08:09 et donc une œuvre d'art ratée, il est obligé quand même de donner quelques qualités à
08:15 ses adversaires ou à ses adversaires politiques.
08:17 C'est un des intérêts, je pense, de la littérature.
08:21 Et donc je pense que tout écrivain, oui, doit regarder le mal, mais le mal, à mon
08:28 sens, ce n'est pas simplement lié à une société déterminée.
08:33 Le mal n'a pas été inventé en 2024 en France, il est là depuis toujours, si j'ose
08:40 dire.
08:41 Donc regarder le mal, c'est regarder l'éternel.
08:43 Et la grotter.
08:47 Vous le décrivez vraiment très bien dans cet ouvrage.
08:50 Vous consacrez dans l'ouvrage un chapitre à la droite littéraire, un autre à la littérature
08:56 contre le progressisme, soulignant notamment combien il peut être difficile pour certains
09:00 auteurs jugés non conformes aujourd'hui idéologiquement de voir leur travail reconnu.
09:04 Où en est le combat culturel dit de droite en 2024 selon Patrice Jean ?
09:11 Oui, il en est, je pense que… je ne sais pas exactement.
09:18 Il est évident que, c'est ce que j'essaie de dire dans l'essai, que tout écrivain,
09:25 tout artiste qui se dit progressiste bénéficie des yeux de chimène.
09:31 La plupart des médias, pas la TV Liberté, mais les médias, et même pour le prix Nobel,
09:38 regardez Annie Ernaux.
09:39 Je pense que ces prises de position politique ne sont pas totalement indifférentes au fait
09:46 qu'elle ait eu le Nobel, même si c'est un très bon écrivain.
09:48 Donc, pour la droite, j'essaie d'expliquer dans l'essai, je ne me sens pas forcément
09:58 un auteur représentant la droite, justement parce que j'essaie de garder une part d'autonomie.
10:07 Après, je ne renie pas non plus d'avoir des idées qui parfois peuvent être considérées
10:15 comme de droite, mais je ne voudrais pas être réduit à ça.
10:19 Vous expliquez que ce sont beaucoup les autres, en réalité, qui vous ont catégorisé dans
10:27 ce champ-là.
10:28 J'ai jamais dit comme ça dans un livre.
10:31 Oui, je suis de droite, je vais écrire un roman de droite, je n'ai jamais dit ça.
10:35 Je pense que les autres m'ont qualifié ainsi parce que j'ai tendance quand même
10:41 à être très ironique avec la gauche, et notamment avec la gauche culturelle.
10:45 Mais si je le suis, c'est qu'elle est dominante.
10:48 Je pense que tout écrivain, c'est ce que j'explique dans mon livre, doit prendre
10:55 pour ennemi d'une certaine manière ce qui domine, ce qui écrase, ce qui empêche de
10:59 respirer.
11:00 Aujourd'hui, je pense que c'est plutôt dans le progressisme que les choses se passent.
11:05 Par exemple, on m'a dit à plusieurs reprises que des libraires refusaient de m'inviter
11:10 dans leur librairie pour des raisons politiques.
11:12 Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de libraires qui refusent d'inviter des romanciers
11:17 dit de gauche.
11:19 Et ça, c'est en parler avec quelques autres écrivains ou essayistes ou tout ce que vous
11:25 voulez, c'est quelque chose qu'on a tous remarqué.
11:27 Par contre, j'entends que ce n'est pas vrai que la droite domine, qu'avec ses news,
11:36 c'est une reprise en main des idées, de la culture.
11:42 Je pense que ce n'est pas le cas dans le monde de l'édition.
11:47 Par exemple, le projet de constitution d'un mastodonte autour du groupe Bolloré de l'édition,
11:55 vous ne vous inquiétez pas ? Vous ne vous dites pas qu'on est peut-être possiblement
11:58 en train de retomber dans les mêmes travers que ceux qui nous dénoncent habituellement
12:04 ?
12:05 Au contraire, vous dites que c'est une sorte de rééquilibrage plutôt salutaire.
12:09 Moi, je le vois plutôt comme un rééquilibrage pour l'instant.
12:12 Après, effectivement, on ne sait pas si ça peut entraîner des...
12:19 Je pense qu'on en est très loin pour fréquenter deux milieux qui sont des milieux dits culturels,
12:26 qui sont le milieu d'enseignement et le milieu d'édition.
12:28 Je ne vois pas pour l'instant de reprise en main par Bolloré des cerveaux.
12:35 Je dois dire que là, ça me fait quand même un peu rire.
12:39 Non.
12:40 Les choses sont vraiment claires.
12:44 Si vous allez dans des établissements scolaires, c'est très clair ce qui domine.
12:52 Et dans l'édition aussi, à part quelques îlots par-ci par-là, bien sûr.
12:59 Alors justement, vous êtes enseignant, vous avez donc pu observer au fil des ans l'évolution
13:08 peut-être dans la culture de l'esprit parmi la jeune génération.
13:11 Quels enseignements en tirez-vous ? Quelles sont les grandes forces ou les grandes faiblesses
13:17 de la génération de jeunes français qui vient dans leur rapport à l'esprit ?
13:22 Moi, je pense qu'il y a toujours des élèves qui sont très brillants, des élèves qui
13:30 lisent, des élèves qui sont curieux.
13:31 Après, il y a aussi tout l'aspect social, évidemment.
13:35 Ça a été dit maintes et maintes fois par les sociologues, qu'on est dans une certaine
13:42 classe disons bourgeoise, on a plus de chances de s'intéresser à la littérature, à l'esprit,
13:48 aux beaux-arts, au milieu.
13:49 Quoique, à mon avis, ça change un peu sur ce plan-là aussi aujourd'hui.
13:53 Dans ce que je vois de particulier aujourd'hui par rapport à l'époque où moi j'étais
13:58 adolescente, c'est évidemment les smartphones, Internet, etc. qui a vraiment supplanté le
14:06 livre, qui déjà était un peu moribond quand j'étais lycéen dans les années 80, mais
14:12 qui là aujourd'hui vraiment…
14:14 Par exemple, j'ai donné un livre à lire dans une classe seconde au mois de Bellamy.
14:23 Je suis persuadé qu'il y a trois ou quatre élèves qui ont lu sur 35 élèves.
14:28 C'est ça que je pense.
14:32 Dans la vie, l'esprit est quand même dangereux.
14:34 D'ailleurs, je leur explique aux élèves qu'il y a un danger parce que ce n'est
14:37 pas la même chose de regarder TikTok, de discuter avec ses copains sur Facebook ou
14:45 je ne sais quel réseau, et puis se confronter à un grand livre qui a été… se confronter
14:54 à Blaise Pascal, à Flaubert, ou Chateaubriand, ou à Goethe.
14:58 Vous voyez, ce n'est pas du tout le même enrichissement, la même perception qu'ils
15:02 auront du monde.
15:03 Forcément, ils vont avoir une vision beaucoup plus plate, sans relief et sans grand intérêt.
15:10 Parce que c'est ça au fond, la littérature et l'art, c'est une façon d'élever,
15:16 d'enrichir et de rendre nos vies plus riches.
15:19 Je ne suis pas sûr que là, Internet, etc., ait favorisé ça auprès des jeunes gens.
15:26 Pour nous, enfin pour qu'on ait plus âgé, c'est bien.
15:29 Je veux dire, Internet et les smartphones, c'est super.
15:31 C'est vraiment une grande invention parce qu'on a accès à beaucoup de vidéos, beaucoup
15:35 d'émissions, beaucoup de textes qui étaient difficiles à trouver auparavant.
15:38 Mais pour ceux qui, dès leur plus jeune âge, sont soumis à cette façon de concevoir l'existence,
15:47 je pense que ça peut créer des dégâts.
15:49 C'est un mouvement qui vous semble irréversible du fait de l'innovation technologique, où
15:55 il est possible de réhériter ces déshérités.
16:00 Ça peut être un allié aux axes idéologiques.
16:03 Je ne sais pas.
16:05 Là, j'avoue qu'il m'arrive d'être très pessimiste en me disant que la littérature
16:11 est en train de virer ces dernières années.
16:13 Pour reprendre le titre d'un essai de Bruno Lafourcade, c'est "dernier feu".
16:19 C'est-à-dire qu'on est peut-être dans les derniers feux.
16:21 Je crois qu'il reste encore, et je sais que certains m'entrediront sur ce point, beaucoup
16:25 d'effets vains passionnants aujourd'hui.
16:27 En revanche, ce qui a rétréci, je crois, c'est le nombre de lecteurs et d'intérêts
16:34 pour ça.
16:35 Évidemment, les gens vont plutôt passer leur soirée sur Netflix ou discuter en ligne
16:41 plutôt que de lire "Les souffrances du jeune Werther" ou "Ma illusion perdue", par exemple.
16:51 Donc, on peut toujours penser qu'il y a un moment ou un autre, parce qu'il y a toujours
16:56 ça, c'est la loi de la vie, c'est la loi de l'usure, si vous voulez.
16:59 Donc, on peut toujours penser que dans 10 ou 20 ans, il y aura une sorte d'usure de ces
17:06 phénomènes qui ne seront plus des phénomènes de mode, qui seront plus nouveaux et que par
17:10 conséquent, il est possible qu'il y ait un retour à une culture plus profonde, les
17:15 livres, par exemple.
17:16 Mais c'est un pari.
17:18 Justement, vous analysez ce paradoxe entre le monde du livre avec tout ce que ce terme
17:25 peut évoquer aussi de dimension commerciale, de culture de masse et l'appauvrissement
17:33 en même temps de la littérature.
17:35 Considérez-vous que la littérature est fondamentalement aristocratique ?
17:40 Oui, c'est ce que disait, je crois que si d'ailleurs, on le sait, Gumbrovich disait
17:46 "L'art est aristocratique jusqu'à la moindre des hausses" et je crois que c'est vrai.
17:53 Je crois que l'égalitarisme dans la littérature, c'est la fin de la littérature.
18:00 L'égalitarisme dans la littérature, c'est de mettre sur le même plan, je ne sais pas
18:04 moi, un best-seller qui n'a pas de profondeur, qui est écrit platement, qui reprend tous
18:12 les clichés du jour avec un livre qui lui tente justement de briser ces clichés, qui
18:19 essaie d'apporter quelque chose de neuf.
18:21 Et donc cette attitude, si vous voulez, de briser avec les clichés est fondamentalement
18:27 aristocratique, au sens noble du terme si j'ose dire.
18:33 Parce que c'est ne pas vouloir répéter ce qu'on entend partout, c'est donc une littérature
18:42 qui répète ce qu'on entend partout, et d'ailleurs c'est ce que je reproche d'ailleurs
18:45 à une certaine littérature progressiste, est-ce que c'est vraiment encore une littérature
18:53 au sens plein du terme ?
18:55 On évoque beaucoup la crise de nos jours, la crise de la modernité, la crise financière,
19:03 la crise politique, etc.
19:04 Le moment actuel, la crise actuelle, n'est-elle pas avant tout une crise du langage ?
19:08 Oui, une crise de la langue certainement aussi.
19:11 La langue est... alors on pourra dire, je sais que les linguistes diront "non, non,
19:16 elle est toujours en évolution", mais lorsqu'on perd certains modes de conjugaison, lorsque
19:24 le vocabulaire s'appauvrit, on peut penser qu'il y a une crise des langages.
19:29 C'est pas la même chose de voir le monde avec 5000 mots par exemple que de le voir
19:34 avec 500.
19:35 Là c'est un peu comme ce que je disais tout à l'heure, la perception qu'on a de la
19:39 vie n'est pas la même.
19:41 Je prends souvent cet exemple, c'est de dire que moi par exemple qui n'ai pas une
19:46 grande connaissance du vocabulaire de la faune et de la fleur, si je me promène en forêt,
19:52 je verrais moins de choses qu'un type qui lui sait reconnaître un chêne, je sais pas
19:59 moi, tel champ d'oiseau.
20:01 Lui marchera dans une forêt beaucoup plus nuancée, beaucoup plus riche que moi, qu'il
20:09 voit des arbres, lui il verra des proies identifiées à chaque arbre.
20:13 Donc la crise du langage, oui, pour reprendre la question, je pense qu'il y a un appauvrissement,
20:20 quoi qu'en disent les linguistes, qui eux de toute façon, d'une certaine manière,
20:26 n'ont pas normalement dans leur position, si j'ai bien compris, et peut-être que je
20:29 me trompe, à juger et évaluer de la richesse d'une langue, ils ont simplement à l'étudier,
20:35 et quand on formule un jugement sur une langue, de certaine manière on sort de la posture
20:42 scientifique pour essayer de se dire mais au fond, quelle langue est plus riche, celle
20:48 d'un type qui travaille, enfin d'un gamin de banlieue qui n'a pas beaucoup de vocabulaire,
20:54 ou celle d'un écrivain du 19e siècle comme Balzac ?
20:57 Moi, on ne me fera pas croire que celle de Balzac est équivalente à celle d'un n'importe
21:03 qui d'aujourd'hui.
21:04 Patrício, ma dernière question, pour reprendre aussi le titre de votre ouvrage, comment exfiltrer
21:12 d'une certaine façon Kafka du Candy Shop ?
21:15 Comment l'exfiltrer ? Si j'avais la solution, je l'aurais donné dans le livre, mais je
21:25 ne sais pas.
21:26 Vous aurez beaucoup de pistes sur la réappropriation de la langue, de l'écrit, l'acceptation
21:35 aussi d'une culture authentique ?
21:36 On ne peut qu'encourager.
21:39 Moi, je pense qu'il faut avertir peut-être, ce que je viens de dire juste maintenant,
21:43 c'est que renoncer à la littérature, aux arts, c'est forcément une vie plus pauvre
21:51 je crois, mais c'est une vie quand même.
21:54 Les chimpanzés et les chats qui n'ont pas de vocabulaire, qui n'ont pas d'art, ont
21:59 peut-être une vie passionnante, j'en sais rien.
22:01 Mais il me semble que l'être humain, lui, ce qui fait sa spécificité par rapport aux
22:07 animaux, c'était justement sa pensée.
22:09 Je crois que c'est Pascal qui dit que la pensée, c'est vraiment le propre de l'homme.
22:14 Mon pensée fait la grandeur de l'homme, je ne sais plus exactement.
22:16 Mais c'est parce que nous pensons, nous sommes des hommes.
22:24 Et donc, il faut absolument cultiver ça, autrement c'est une véritable catastrophe.
22:28 Et la littérature est un mode de la pensée, à mon sens, aussi valable que les autres
22:35 modes scientifiques.
22:37 Merci beaucoup, maîtresse Jean.
22:40 Merci beaucoup de votre invitation.
22:42 Merci à vous, Plédo, Noyer, pour la littérature et pour la vie intérieure, Kafka au Candy
22:48 Shop, la littérature face au militantisme, disponible sur la boutique tbl.fr, un ouvrage
22:55 paru aux éditions, Léo Cher dans la collection, chez Nolo.
22:59 Merci à tous de nous avoir suivis.
23:02 N'hésitez pas à partager cette vidéo autour de vous.
23:05 Et à très bientôt sur TV Liberté.
23:07 [Générique]

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