• il y a 21 heures
Fils d’une des plus grandes familles de boyards (ses ancêtres s’illustraient déjà au XIIIème siècle, et l’on compte parmi eux aussi bien Alexandre Nevski que les maréchaux Sourvorov et Koutouzov…), le comte Cheremetiev, solidement campé dans sa quatre vingt quinzième année, nous reçoit dans son appartement de Paris auprès de sa femme Huguette - qui n’accepta de paraître à l’écran qu’au dernier moment. Les Cheremetiev, qui acquirent au fil des siècles une immense puissance terrienne et immobilière continuellement placée au service du tzar (c’est d’ailleurs elle qui, au XVIème siècle, mis les Romanov sur le trône...), prirent de plein fouet la Révolution communiste, qui emprisonna ou assassina la plupart de ses héritiers et organisa la confiscations de leurs biens. La grand-mère de Pierre réussit à gagner Paris avec six de ses huit enfants : pour nous, il relate leur installation en France, son enfance au Maroc, son amitié inattendue avec Mohamed V, ses études d’architecte boulevard Raspail (il sortit premier de sa promotion, et la France lui doit plusieurs monuments de renom) et par dessus tout le service de la musique, qui le conduisit, à la demande du maître lui-même, à diriger pendant près de 40 ans le Conservatoire Rachmaninov. Car ce prince infatigable (il fonda et présida longtemps l'Union internationale des compatriotes russes vivant à l'étranger, qui représente aujourd'hui les intérêts et protège les droits de 40 millions de personnes), qui nous confie avec une grande délicatesse quelques unes de ses vues sur le monde, la Russie, Vladimir Poutine et la France d’aujourd’hui (notamment son admiration pour Philippe de Villiers), ce pianiste, chanteur, à l‘occasion acteur, est avant tout un esthète, pour qui servir son peuple consiste à l’élever dans les arts et les œuvres de l'esprit - l’une de ses plus grandes fiertés est d’implanter des conservatoires dans plusieurs villes de Russie. "La tâche de la véritable aristocratie est de servir son pays" répète-t-il, avec un sourire où laisse poindre l’espoir, si mince en un temps ravagé par les oligarchies, que la tradition aristocratique est moins un souvenir qu’une promesse. Remercions M. Valentin Gaure d’avoir si bien su organiser cette trop courte mais très riche rencontre.
Transcription
00:00:00Mes chers amis, nous nous retrouvons et nous allons nous retrouver de temps en temps sur
00:00:08le pont des Arts, figurez-vous, pour quelques conversations liminaires avant nos conversations
00:00:14habituelles.
00:00:15De temps en temps, j'interviendrai sur ce site pour vous donner l'esprit de nos émissions
00:00:22et aussi pour répondre à quelques critiques.
00:00:26Je commence par une, on me dit que l'intervieweur parle autant que l'intervievée, mais justement
00:00:32c'est pas une conversation, c'est pas une interview, c'est une conversation et je pense
00:00:36que je laisse parler les interlocuteurs au moins autant que moi.
00:00:41Bref, alors pourquoi le pont des Arts ? D'abord parce que j'habite à côté et surtout parce
00:00:47que tout ce site a été profané par la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques qui a essayé
00:00:54de détruire le sens, le sens de ce que représente cette magnifique scène.
00:01:00On commence au pont d'Austerlitz, Notre-Dame, la Sainte-Chapelle que l'on voit en amont
00:01:06de la scène, derrière le Louvre, derrière moi l'Académie française, l'Institut de
00:01:15France et tout ce lieu, ça allait ensuite jusqu'au pont de la Concorde et au pont
00:01:21du Trocadéro, tout ce lieu a été profané par une espèce de modernité en toque pour
00:01:29en détruire le sens.
00:01:30Quel est-il ce sens ? C'est qu'il y a dans l'histoire de France des légitimités non
00:01:35démocratiques.
00:01:36C'est un peu le sens de ce que nous faisons avec ces conversations, pensant d'ailleurs
00:01:42que le salut viendra peut-être pour la France de la reconstitution d'une élite contre
00:01:47les oligarchies.
00:01:48On appelle élite très souvent des oligarchies, en réalité il faut recréer une élite, une
00:01:52élite de la pensée, c'est l'Académie française, une élite de la foi, c'est la Sainte-Chapelle,
00:01:58Notre-Dame, une élite, je dirais, royale, du service royal, c'est la légitimité non
00:02:06démocratique par excellence et la dignité du Louvre tranche avec un monument auquel
00:02:15la profanation de la cérémonie des Jeux olympiques n'a pas touché, c'est l'Elysée.
00:02:20L'Elysée qui est d'ailleurs en lui-même profanée, vous savez l'Elysée, lieu où
00:02:24siège le prétendu président d'une république qui n'en est plus, est au fond à l'origine
00:02:30une bonbonnière pour cocottes de luxe et de temps en temps transformée en boîte de
00:02:35nuit.
00:02:36C'est vous dire la déréliction de la légitimité démocratique qui hélas est grippée dans
00:02:41tous les sens, on le voit abondamment avec les rebondissements des débats parlementaires
00:02:48qui n'en sont plus.
00:02:49En réalité, ce que je voudrais montrer ici, c'est qu'il y a d'autres légitimités
00:02:55que démocratiques.
00:02:56Il y a tout à l'heure, nous allons l'entendre, une légitimité aristocratique incarnée par
00:03:03le comte Sherem-Etieffe, que vous allez entendre, qui est le descendant d'une des plus grandes
00:03:09familles de Russie, si puissante et si ancienne, elle remonte au brouillard du XIIIe siècle,
00:03:14les tsars ont toujours été, et peut-être l'actuel tsar de toute la Russie, ont toujours
00:03:18été jaloux de la famille Sherem-Etieffe, mais enfin qui a été capable de vendre des
00:03:23immeubles entiers pour financer l'effort de guerre en 1914, qui fut en profitable pour
00:03:27la France.
00:03:28Il s'est ensuite réfugié, le comte Sherem-Etieffe, en France, comme beaucoup de Russes, et je
00:03:34crois qu'avec sa magnifique faconde, il ouvre une page, non seulement de l'histoire,
00:03:41mais aussi de ce que peut-être, ce que fut en tous les cas pendant longtemps, l'aristocratie.
00:03:46Il n'y a pas que l'aristocratie d'ailleurs, héréditaire, il y a aussi une aristocratie
00:03:52de robe, les avocats, nous avons suivi une conversation avec Alexandre Varaud récemment,
00:04:00c'est aussi une noblesse, une élite qui ne tire pas sa légitimité du vote, et qui
00:04:09pourtant est très légitime, et surtout très précieuse au pays.
00:04:13Et d'ailleurs il ne faut pas oublier que les plus anciennes racines de la science politique
00:04:19européenne, posées notamment par Platon et Aristote, Aristote était un élève de
00:04:24Platon, on l'oublie toujours, on les oppose, c'est adieu, pensaient qu'un bon gouvernement
00:04:30devait combiner plusieurs légitimités, la légitimité démocratique, qui certes n'est
00:04:36pas en question, elle est d'ailleurs archidominante aujourd'hui, la légitimité royale, héréditaire,
00:04:42et qu'il appelait la légitimité monarchique, et la légitimité aristocratique.
00:04:49Et il est certain que quand on est devant l'Académie française, on a envie de montrer
00:04:58que toutes ces légitimités-là, elles ont à voir avec le temps, avec le temps long,
00:05:04avec la durée, qui est le maître mot de l'esprit conservateur, la durée de la Sainte-Chapelle,
00:05:09qui a été au fond le grand départ de Paris au XIIIe siècle, l'Académie française,
00:05:18je le répète, c'est une sorte d'autre sacré, puisque ceux qui sont élus à l'Académie
00:05:25française sont réputés immortels, c'est bien la preuve que la langue a une dimension
00:05:29sacrale en France, qui a été encore une fois tellement profanée.
00:05:32Alors, parlons aussi de la, comment peut-on dire, de la légitimité royale, nous avons
00:05:42fait deux émissions avec le comte de Paris, le prince Jean, chef de la Maison de France,
00:05:50précédées par deux émissions un peu explicatives de deux monarchistes, Hilaire de Crémier,
00:05:56président d'honneur de l'Action française, et Frédéric Ouvillois, qui est professeur
00:06:00de droit constitutionnel et qui s'en sait long sur la distribution des pouvoirs et qui
00:06:03est aussi d'inspiration monarchiste, il fait remarquer que la République c'est d'abord
00:06:08la res publica et que son fondateur en France, Jean Baudin, savait très bien qu'elle ne
00:06:13tenait debout cette res publica que par un roi.
00:06:16Alors, ça ne veut pas dire que tous les pouvoirs sont exercés par le roi, mais simplement
00:06:20il remet debout des institutions dont le moins qu'on puisse dire c'est qu'elles ont fâcheusement
00:06:25tendance à s'affaisser.
00:06:26Alors, ces émissions avec le comte de Paris ont été émaillées d'avani, j'en demande
00:06:31bien pardon, c'est l'occasion de le faire à nos téléspectateurs, quand le prince Jean
00:06:36a parlé d'un philosophe qu'il suivait régulièrement, Gérard Leclerc, pardon à Gérard Leclerc,
00:06:43on a mis une photographie d'un autre Gérard Leclerc, qui se trouve être un journaleux
00:06:48d'ailleurs disparu, donc paix à son âme, et la photo n'était pas celle à laquelle
00:06:54on s'attendait.
00:06:55Il y a eu d'autres déboires pendant ces émissions, le prince a absolument voulu prendre
00:07:01pas sa place, si bien qu'il m'a légué le fauteuil qui lui était réservé et que
00:07:07j'étais un peu emprunté dans un cadre qui n'était pas tout à fait le mien.
00:07:12Bref, il y a eu beaucoup d'années croches dans ces conversations, ça ne les empêche
00:07:20pas d'avoir été suivi par pour l'instant un peu plus de 35 000 personnes, j'espère
00:07:24qu'on arrivera à 40 000 vues, ce qui prouve qu'il y a tout de même une attente, l'attente
00:07:29encore une fois, d'une légitimité qui échappe à la foire, puisque ça devient
00:07:33une foire, hélas, démocratique.
00:07:36Alors, j'ajoute que, poursuivant ces conversations, tout à l'heure, vous allez voir le prince
00:07:45Chéré-Méthièvre, nous illustrerons de plus en plus clairement, je pense, ce que
00:07:51peuvent être des éléments, des pousses de l'élite.
00:07:57Il y a l'élite de l'Académie française, représentée par l'Académie française
00:08:01et les autres académies qui composent l'Institut de France, qui tiennent leur pouvoir pour
00:08:07l'Académie française de leur plume, pour l'Académie des sciences ou l'Académie
00:08:10de médecine de leur savoir, et ça aussi, ça compte dans une république fut-elle couronnée
00:08:20de faire en sorte que toutes les élites, de différentes sortes, recréent une puissance
00:08:29nationale au moment où elles sont tellement arrasées, et encore une fois, la cérémonie
00:08:34des Jeux olympiques en a été une illustration criante et accablante.
00:08:39Voilà, poursuivons avec Chéré-Méthièvre, j'indique que le nouveau conservateur est
00:08:48désormais, je montre ce numéro, est désormais mensuel.
00:08:52Nous garderons la formule ancienne, mais pour deux numéros par an simplement, des volumes
00:08:58plus importants qui seront des dossiers de 140 à 150 pages comme nous l'avons fait
00:09:02jusqu'à présent, mais dans l'intervalle, nous publierons un mensuel d'un format plus
00:09:09réduit à 68 pages, je crois, qui permettront d'ailleurs d'abord de montrer que le nouveau
00:09:15conservateur est une réussite, puisque nous arrivons à nous mensualiser, à publier
00:09:20plus régulièrement, et ensuite qu'il existe un courant conservateur en France, qu'il
00:09:26faut le faire vivre, notamment dans son cadre, dans le cadre, encore une fois, qu'on a
00:09:30voulu profaner, mais qui reste le pilier ou parmi les plus importants piliers de la France,
00:09:37je répète, Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, le Louvre, l'Académie française, plus
00:09:42loin il y a d'autres joyaux de Paris qui sont des joyaux de la France et qu'il faut
00:09:50que nous illustrions et que nous recommencions à illustrer après une génération qui a
00:09:56tout oublié.
00:10:12Alors, je me demandais comment vous vous appelez, et vous me dites, en Russie, on m'appelle,
00:10:31je vais mal le dire, dites-le à ma place,
00:10:33Sheremetyev.
00:10:34Oui, mais votre titre.
00:10:37C'est peut-être votre Altesse, c'est-à-dire votre Altesse, vous êtes le descendant des
00:10:45plus grandes, certainement, l'une des très rares plus grandes, peut-être la plus grande
00:10:50famille de Russie.
00:10:51Une des plus grandes en tout cas, et nous avons une très très longue histoire qui a commencé
00:10:59avec mes ancêtres Kutuzov, le maréchal, avec Souvorov, et avec un des maréchaux Sheremetyev,
00:11:16oui, alors c'est le premier, c'est le premier qui est venu sur la Seine, donc de Russie,
00:11:28et c'était des gens formidables, c'était des gens assez libres, parce qu'ils avaient
00:11:35une énorme fortune, et donc je prends toujours un plaisir intense à aller visiter nos terres,
00:11:44visiter nos palais, visiter…
00:11:46Alors vos terres, je crois que c'est 880 000 hectares, quelque chose comme ça, vous
00:11:51avez vu ?
00:11:52À quelque chose près.
00:11:53Oui, c'est un des complices.
00:11:54À quelque chose près, un peu partout, bien sûr, mais le plus important c'est que nous
00:12:04étions utiles, et nous étions utiles d'abord parce que j'ai eu trois ancêtres maréchaux
00:12:11de la Russie qui ont gagné des batailles très célèbres.
00:12:17Notamment c'est grâce à eux que vous avez, comme vous le dites élégamment, raccompagné
00:12:20Napoléon à la frontière.
00:12:22Exactement, et le pauvre Napoléon il est parti de la cleu basse.
00:12:28En mauvais état, oui.
00:12:29La cleu basse.
00:12:30Qui ne vous a pas empêché d'épouser, peu après, enfin longtemps après plutôt, une
00:12:37de ses descendants, la princesse Napoléon.
00:12:39Absolument, absolument.
00:12:40Quelle magnanimité.
00:12:42Ma première épouse était une princesse Napoléon.
00:12:43Alors on en revient au chéri Métièvre, parce que vraiment, prenons le temps, si vous voulez
00:12:50bien, excellence, prenons le temps de faire l'histoire de cette famille tellement mêlée
00:12:56à l'histoire de la Russie, et je suis content que vous ayez dit pour commencer que la famille
00:13:00était utile, vous me racontiez hors caméra, mais vous allez vous le redire que par exemple
00:13:04Nicolas II, lorsqu'il a eu besoin de financer l'effort de guerre, tellement utile à la
00:13:09France d'ailleurs, en 1914, s'est tourné vers la famille chéri Métièvre qui a vendu
00:13:15de nombreux biens, notamment sur la côte d'Azur si j'ai bien compris, mais aussi
00:13:20des palais, pour financer l'effort de guerre national, c'est une famille au service de
00:13:29son pays.
00:13:30Oui, elle a été très utile.
00:13:32Dès le début.
00:13:33Très utile, parce qu'elle avait le pouvoir, d'abord, et les moyens, ensuite, et je me
00:13:43réjouis de tout ce que nous avons fait, mes ancêtres ont fait dans ce pays.
00:13:51Alors il faut dire que vous êtes musicien, chanteur, grand pianiste, votre mère le fut.
00:13:56Je n'exagère pas, grand pianiste non, mais pianiste, voilà, et nous avons surtout chanté.
00:14:05Et votre mère chantait.
00:14:07Mon père était, comment dit-on, maître de chapelle, et il a créé au Maroc, on y reviendra,
00:14:19il a créé au Maroc une église, à Rabat, qui existe toujours, et où j'ai été baptisé.
00:14:29Alors on reviendra, aux circonstances de votre naissance au Maroc, on reviendra aussi sur
00:14:35ce que vous avez fait pour Paris, à Paris, pour commencer, notamment donner une grande
00:14:41ampleur au conservatoire Rachmaninov, que Rachmaninov lui-même vous a confié d'une
00:14:47certaine façon, et ça consonne à votre goût de la musique, et avec l'idée du service,
00:14:54qui est toujours très passionnante, surtout dans une époque où les hommes politiques
00:14:59n'ont pas toujours le goût du service, n'est-ce pas ? Mais vous êtes très exemplaire.
00:15:03Est-ce qu'on peut remonter aux origines de la famille Cher et Métièvre ?
00:15:07Oui, parfaitement, l'origine de la famille, c'est le XIIIe siècle.
00:15:14Très lointaine, en effet.
00:15:15Et ça, on le doit à un boyard qui a été remarqué, et qui a fait énormément, et
00:15:28qui a eu des choses intéressantes, et qui en particulier a donné naissance au Cher et
00:15:41Métièvre, dont la carrière est partie de ce moment-là.
00:15:47C'est presque aussi ancien que les Romanoffs, enfin c'est…
00:15:51Ah, c'est beaucoup plus ancien.
00:15:53Oui, c'est ça que j'allais dire.
00:15:55Il n'y a pas une jalousie du tsar vis-à-vis des Cher et Métièvres ?
00:16:00On ne s'est jamais discuté, mais on était avant.
00:16:05Oui, oui, c'est ça.
00:16:07On était avant, mais bon, très liés, parce que la parentèle était facile entre ces
00:16:18potentats qu'étaient nos chers princes, et puis nous, nous étions des créateurs
00:16:31exceptionnels, exceptionnels.
00:16:34Et ma propre vie a commencé quand je me suis retrouvé en Russie, pour justement connaître
00:16:47la Russie.
00:16:48Quand vous êtes revenu, enfin quand vous êtes…
00:16:50Mais très, très, très loin, après les premiers géniteurs, qui étaient des hommes
00:16:59de guerre et aussi impliqués dans plusieurs batailles célèbres, et surtout, je vous
00:17:13ai dit tout à l'heure, nous avons accueilli bon vouloir, mauvais vouloir, Napoléon qui
00:17:21est venu nous attaquer, comme vous le savez, et puis Souvoroff, mon ancêtre, est responsable
00:17:32du départ, de la victoire aux Russes.
00:17:38Et Koutsousov, beaucoup, alors Koutsousov, oui, c'est aussi…
00:17:42On peut en parler de ce personnage Koutsousov dont vous êtes un descendant.
00:17:45Moi, je suis le descendant de Koutsousov.
00:17:47C'est ce personnage qui, après Borodino, a eu l'idée de génie, n'est-ce pas, de
00:17:53faire reculer les troupes pour Russes, pour attirer Napoléon dans un piège.
00:17:59C'était une façon de l'accueillir, d'une certaine façon, en lui montrant le pays,
00:18:03et notamment l'hiver russe, qui a fini par avoir raison de ses entreprises.
00:18:09Oui, Napoléon a eu tort de brûler Moscou, parce que Moscou, c'était une immense plateforme
00:18:23pour toutes nos familles, donc il fallait qu'il paye ça, et mon ancêtre Koutsousov
00:18:35et Souvoroff l'ont ramené à la frontière.
00:18:39Et il est parti, pas en bon état, le malheureux.
00:18:44Je ne sais pas si on peut passer en revue l'ensemble des siècles au cours desquels
00:18:50les Chérimétièvres ont servi la Russie, mais…
00:18:55Ça a démarré au XIIIe siècle, sans cesse.
00:19:00Ça a démarré au XIIIe siècle.
00:19:02Quelle est la région d'origine ? Parce que le mot « Chérimétièvre » vient d'où ?
00:19:07Je ne peux pas dire qu'on vient d'un point ou d'un autre, mais les Chérimétièvres
00:19:16avaient tellement de biens qu'ils étaient des agriculteurs, ils étaient des producteurs
00:19:23de tous les produits possibles et imaginables.
00:19:27Même moi, aujourd'hui, je profite de ce qu'ils ont fait il y a tellement longtemps.
00:19:35Parce que quand je vais, par exemple, à Ivanovo ou dans d'autres villes que j'ai fréquentées,
00:19:46je reviens toujours en apportant des nappes, en apportant des vêtements et des bonnes
00:19:57choses aussi, pour se mettre sous la dent.
00:20:01Et vous disiez que vous créiez des conservatoires aussi, c'est formidable, c'est-à-dire
00:20:05que pendant longtemps, vous n'avez pas pu aller en Russie, et vous contribuez au renouveau
00:20:09culturel d'une Russie qui a été un peu coupée de ses racines.
00:20:12Il n'y avait pas de conservatoire dans plusieurs grandes villes russes.
00:20:17Pour vous, ça vous choque beaucoup, ça.
00:20:19Et moi, j'en ai créé quatre.
00:20:22Donc ça, ça a été mon apport, je dirais, très discret, parce que personne n'est au
00:20:33courant, sauf quelques Russes.
00:20:37Mais créer des conservatoires de rien et sans ressources, j'ai tout offert.
00:20:45Oui, vous dites personne n'est au courant, mais vous jouissez d'une grande popularité
00:20:48en Russie.
00:20:49Il faut dire que nous avons brûlé la politesse à la télévision russe, qui viendra après
00:20:55nous vous rencontrer cette semaine, malgré votre âge très respectable, je ne sais pas
00:21:02si on peut le dire.
00:21:03Dépêchez-vous !
00:21:04Vous recevez beaucoup, et je crois que votre personnalité assez rayonnante est appréciée
00:21:11d'une très grande partie du peuple russe, de nouveau, après une coupure, n'est-ce pas ?
00:21:16C'était pas tout à fait vrai au départ, mais il pouvait pas se passer de tant de choses
00:21:28que nous pouvions apporter.
00:21:30Et justement, la musique a été sauvée dans quatre grandes villes russes, deux provinces,
00:21:39pas à Moscou.
00:21:40Avec Muglet, nous allons le plus souvent possible à Moscou et nous visitons des endroits qui
00:21:50nous appartenaient.
00:21:51C'est très intéressant parce que le renouveau de la civilisation traditionnelle, d'après
00:21:57ce que j'entends, passe pour vous par le renouveau de la musique, comme si la musique
00:22:02était un des nerfs essentiels nourriciers de la civilisation, qu'il fallait réactiver
00:22:07pour retrouver une civilisation traditionnelle.
00:22:09N'oubliez pas ce que je vous ai dit tout à l'heure, il n'y avait pas d'école ou
00:22:17de conservatoire en Russie, en province.
00:22:21Et forcément, moi j'ai eu l'occasion de créer quatre conservatoires que j'ai offerts
00:22:33aux dirigeants de Russie.
00:22:36Parce que la musique est au cœur de la Renaissance.
00:22:39La musique c'est beaucoup pour eux et pour moi.
00:22:43Muglet sait que j'étais musicien en Dursie et j'ai eu la chance d'avoir un père musicien
00:22:56et une mère musicienne.
00:22:58Et pourquoi ? C'est parce que un de mes ancêtres, Nicolas, a épousé une jeune serve, ce qui
00:23:10n'est jamais arrivé avant et jamais après.
00:23:13Et cette jeune serve avait une voix fabuleuse et elle a chanté jusqu'à la fin de sa vie,
00:23:25ce qui est arrivé très tôt.
00:23:27Elle a donné naissance à un de mes prédécesseurs et elle est morte un mois après des couches.
00:23:40Et cette jeune femme, et c'était la première fois qu'un citoyen, quand même important
00:23:55je dirais, pour ce que nous avons fait, épouse une serve.
00:24:01Et il a bien fait, parce que c'était le coup d'envoi d'une libération de la Russie.
00:24:14Donc je me considère comme un héritier dont les parents ont été utiles à la Russie.
00:24:21Alors il y a des hauts et des bas terribles, nous disions que vous étiez au Maroc, il
00:24:27faut revenir aux origines de cette pérégrination, évidemment tout le monde le sait, tout commence,
00:24:35le drame commence, avec ce soir d'octobre 1917, où les bolcheviques déboulent dans
00:24:45un des palais où logeaient vos grands-parents, avec votre père à Moscou, je crois que vous
00:24:53en avez un peu partout.
00:24:54Une douzaine de palais disiez-vous, à Saint-Pétersbourg, c'est terrible, vous aviez de la place.
00:25:00Mais enfin, voilà, cette scène que l'on imagine très bien, que vous racontez, vos
00:25:07grands-parents sont à table et arrivent par un escalier extérieur.
00:25:13Tous les mercenaires du coin, et ils passent par la porte de la salle à manger, parce
00:25:23que, la fenêtre de la salle à manger, parce qu'il y avait des marches extérieures par
00:25:32lesquelles ils sont montés et sont entrés dans la salle à manger.
00:25:36Mais pas d'assassinat, tout le monde est pris, est emmené en prison.
00:25:41Non, pas eux.
00:25:43Oui, parce que dans certains endroits c'était pire, vous savez.
00:25:47Par contre, je dois faire une petite remarque, il n'y avait pas d'assassinat de notre famille,
00:26:00mon grand-père et ma grand-mère ont donné naissance à huit enfants, et mon père était
00:26:06le cinquième.
00:26:07Donc après moi, après mon père, il y avait encore trois enfants.
00:26:14La révolution a donné l'envie à ma grand-mère de quitter la Russie, ce qu'on peut comprendre.
00:26:26Mais après quelques années d'emprisonnement tout de même.
00:26:31Ah oui, oui, bien sûr.
00:26:32Cinq ou six ans, me disiez-vous, tout de même.
00:26:34Huit ans.
00:26:36Ma grand-mère a voulu quitter la Russie plus vite que ce n'était permis.
00:26:44Et elle a été arrêtée avec ses enfants, et donc punie encore une fois, et les bolcheviques
00:27:02ont fusillé les deux aînés que ma grand-mère et mon grand-père ont produits dans les dernières
00:27:17années du XIXe.
00:27:19Oui, c'est ça.
00:27:20Et votre père était le cinquième, disiez-vous.
00:27:22Le cinquième, oui.
00:27:23Et lui aussi a fait plusieurs années de prison.
00:27:26Absolument, il a tout fait lui.
00:27:27Les huit années.
00:27:28Oui, il a tout fait.
00:27:30Mais c'est horrible pour beaucoup, beaucoup d'autres gens que nous.
00:27:37Bien sûr, ma grand-mère a perdu en plus ses deux aînés parce qu'ils ont voulu se rebeller.
00:27:52Eh oui.
00:27:54Et les bolcheviques les ont sur place.
00:27:57Il y a eu de toute façon beaucoup d'assassinats, vous avez été presque épargné d'une certaine
00:28:02façon.
00:28:03Mais votre père donc est parti dès qu'il a pu, et est arrivé en France.
00:28:08Oui.
00:28:09Pourquoi la France ?
00:28:10Parce qu'il y avait déjà pas mal de Russes qui sont arrivés à Paris.
00:28:14Alors donc Paris a accueilli des milliers de Russes, et mon père, lui, il avait une
00:28:22seule idée en tête, c'est de faire l'école d'agriculture de Rennes.
00:28:29Il est sorti de cette école, et tout de suite il est parti au Maroc, où il s'est installé.
00:28:39Il s'est marié en France, n'est-ce pas ?
00:28:42Oui, il s'est marié en France, effectivement.
00:28:45Et votre mère ?
00:28:46Il a ramené son épouse, ma grand-mère, au Maroc.
00:28:54À Porioté, disiez-vous.
00:28:57À Porioté, et ils ont suivi un nombre incomparable de nobles Russes qui se sont installés au
00:29:07Maroc.
00:29:08Oui.
00:29:09C'est une immigration qui a été heureuse, parce qu'ils ont trouvé leur métier, ils
00:29:20se sont installés, ils ont eu des enfants, nous nous sommes arrivés un peu plus tard,
00:29:26et nous sommes arrivés, moi je suis arrivé à deux.
00:29:30Personne n'était au courant, parce qu'il n'y avait pas de médecin, pas de sage-femme,
00:29:38pas d'aide.
00:29:39Il fallait se débrouiller tout seul, quand on essaie, il fallait laisser la maman faire
00:29:44ça tout seul.
00:29:45Et c'est ce qui est arrivé avec moi, parce que personne ne savait qu'il y avait un jumeau.
00:29:52Quand vous dites à deux, j'étais étonné, mais vous avez un frère ?
00:29:56J'avais un frère jumeau qui est né le 1er, c'est pour ça que je suis né en arrivant
00:30:03le second, et mes parents ont eu beaucoup de malchance, parce qu'ils ont perdu leurs
00:30:11enfants très tôt.
00:30:12De dysenterie amibienne, qui régnait au Maroc à cette époque, et on pouvait attraper
00:30:22ça n'importe où.
00:30:24Donc deux ailés qui naissent, qui en reste un, heureusement c'est moi.
00:30:33Vous étiez même à l'école, je crois, avec Hassan II, qui est devenu un de vos amis.
00:30:40Exactement.
00:30:41J'ai une histoire extraordinaire avec la monarchie marocaine, parce que le roi visitait
00:30:51un club de tennis dans lequel je jouais au tennis, l'Olympique Marocain.
00:30:56Araba.
00:30:57Araba.
00:30:58Et je suis devenu un bon tennisman, et un jour le roi est venu se promener à l'Olympique
00:31:11Marocain, et m'a vu.
00:31:14Mohamed V, le père d'Hassan.
00:31:16Mohamed V, bien sûr, et m'a vu.
00:31:19Et il est revenu me voir, et il m'a proposé de jouer avec lui au tennis dans son palais
00:31:30d'Araba, où j'allais tous les jeudis.
00:31:33C'était extraordinaire, parce que c'est en pleine nuit, éclairé le soir, tout est
00:31:45fait de modernité absolue.
00:31:48Et Mohamed V m'a accueilli très chaleureusement, et je suis devenu ami avec lui.
00:32:02Et c'était sympathique, c'était sympathique.
00:32:05Je crois que c'est vous qui m'avez raconté que votre intimité était telle que les costumes,
00:32:16les habits de Hassan, lorsqu'il grandissait et qu'il ne pouvait plus les utiliser, vous
00:32:23étiez donné.
00:32:24Il y a une grande proximité des familles.
00:32:26Vous savez pourquoi ? Parce que le roi avait une nurse russe.
00:32:31Ah.
00:32:32Il avait une nurse russe qui, voyant que les vêtements disparaissaient et qu'ils n'étaient
00:32:39pas utilisés par les gens qu'on aurait pu connaître, qu'elle prenait tout et
00:32:46elle apportait ça chez nous.
00:32:47Il a une très bonne image, Mohamed V, en France.
00:32:52C'était un personnage que de Gaulle aimait beaucoup.
00:32:55J'ai adoré Mohamed V.
00:32:56Il a fait un compagnon de la Libération, d'ailleurs.
00:32:59J'ai adoré Mohamed V, et je vous dis, il avait beaucoup de sympathie pour moi, puisqu'il
00:33:07faisait venir tous les jeudis au palais où il avait un cours de tennis extérieur, bien
00:33:14sûr, en pleine illumination pour pouvoir jouer.
00:33:20Et ce qui était extraordinaire, vous voyez un cours de tennis, c'est quand même très
00:33:25grand.
00:33:26À tous les mètres, il y avait un Marocain en tenue de gala pour ramasser les balles.
00:33:36Vous avez prolongé.
00:33:38Vous avez deviné.
00:33:41Et donc, c'était le luxe.
00:33:46C'est rarement atteint.
00:33:49Pour moi, c'était le luxe absolu.
00:33:51C'est assez amusant de penser chez les Brouillards au XIIIe siècle.
00:33:55Je jouais avec le papa et je portais les vêtements du fils.
00:34:01Vous avez entretenu des relations avec le fils ensuite, avec Hassan II.
00:34:05Ou moins.
00:34:06Oui, moins.
00:34:07Moins qu'avec le père.
00:34:08Moins, moins.
00:34:09Hassan II était différent, je crois.
00:34:11Il était différent.
00:34:12Très, très différent.
00:34:13C'était un osseur.
00:34:15Ce que vous n'étiez pas.
00:34:18Moi, j'ai pas eu le temps.
00:34:21Il était plus âgé que moi et c'était un bandit.
00:34:30C'était un personnage qui avait une conception de son pouvoir assez archaïque, on peut dire.
00:34:38Il y a des choses assez marrantes.
00:34:40Ils ont chacun laissé des traces positives.
00:34:44Et je dis, j'adore pas seulement le Maroc à cause du roi et de son fils.
00:34:52Et pour le peuple marocain.
00:34:53Mais pour le seul Marocain.
00:34:55Le seul Marocain.
00:34:56Et pour les Arabes, j'ai une grande affection.
00:35:00Alors la France, vous arrivez en France à quel âge après cette longue et belle enfance au Maroc ?
00:35:07En France, je suis arrivé en 54 mois.
00:35:15Et pour faire mes études d'architecte.
00:35:19Juste avant l'indépendance du Maroc d'ailleurs.
00:35:22Oui, pas très loin.
00:35:23Et je suis arrivé à Paris.
00:35:26J'ai fait de longues études.
00:35:31Ça a duré 6 ans, je crois, si je me souviens bien.
00:35:35Mais je suis tenu à la hauteur de mes ambitions.
00:35:41Parce que je suis quand même sorti major de promotion de l'école.
00:35:45De 400 élèves.
00:35:47À Paris même ?
00:35:49À Paris, oui.
00:35:50Boulevard Raspail.
00:35:52Je vais de temps en temps encore regarder cet endroit.
00:35:56Et nous avons une amie qui habite à 20 mètres de cette école.
00:36:00Ce qui est encore plus commode.
00:36:02Et l'école d'architecture a changé de profession.
00:36:10C'est plus de l'architecture.
00:36:12C'est plus de l'architecture.
00:36:14J'ai connu l'architecture de Paris là-bas.
00:36:19Avec bonheur.
00:36:21On avait beaucoup d'amis.
00:36:27Mon beau-frère aussi a fait la même école.
00:36:30Le mari de ma soeur est devenu architecte de la même école que moi.
00:36:36Et il est resté très peu de temps à Paris.
00:36:42Il est tout de suite parti au Maroc.
00:36:45Il a fait venir son épouse.
00:36:49Et c'était très bien comme ça.
00:36:53Vous êtes consacré à l'architecture.
00:36:56Une de vos innombrables passions.
00:36:59Mais je voudrais en revenir à la musique.
00:37:01Dans quelles circonstances avez-vous pris en main le Conservatoire Rachmaninov ?
00:37:07Parce que c'est une des choses nombreuses par lesquelles on vous connaît.
00:37:10C'est un bel épisode.
00:37:13C'est un épisode qui est intéressant.
00:37:16Parce que le Conservatoire était célèbre déjà depuis 20 ans.
00:37:21Par Rachmaninov, fondé par lui.
00:37:23Par Rachmaninov lui-même.
00:37:25Et d'autres responsables de la musique.
00:37:30Et nous sommes heureux d'être passés par le Conservatoire.
00:37:36Parce que par la suite, j'ai amené Muguet avec moi.
00:37:43Parce que je travaillais toujours au Conservatoire.
00:37:47Je me suis occupé d'un endroit merveilleux.
00:37:51Très bel endroit, il faut le dire.
00:37:53Magnifique.
00:37:54Magnifique.
00:37:56Le malheur vu que mon âge aidant, on a voulu me liquider.
00:38:05Et on m'a liquidé.
00:38:07Mais pas le Conservatoire.
00:38:08Et j'ai été sorti du Conservatoire.
00:38:11Qui a gardé une réputation, peut-être l'a-t-il perdu maintenant, de très bonne table, n'est-ce pas ?
00:38:17C'était non seulement le Conservatoire, où l'on donnait des concerts,
00:38:20où l'on apprenait la musique à des jeunes, débutants,
00:38:23où l'on encourageait les jeunes.
00:38:25Mais en plus, on y déjeunait et on y dînait très bien, je crois, non ?
00:38:30Oui, mais c'est un endroit sympathique.
00:38:33La cuisine russe est très bonne.
00:38:35Alors, concierge Métièvre, restons un peu sur ce Conservatoire Rachmaninov,
00:38:41par lequel beaucoup de Parisiens vous connaissent et vous louent
00:38:46pour le travail que vous y avez accompli au fil d'une trentaine d'années, je crois.
00:38:51C'était une de vos œuvres.
00:38:53Un peu plus.
00:38:54Un peu plus, même.
00:38:56On retrouve la musique dont nous parlions tout à l'heure.
00:38:59Votre goût pour le développement de la musique,
00:39:02dont vous faites un des grands cœurs des civilisations, en réalité.
00:39:08Vous choisissiez aussi le programme des concerts.
00:39:11Enfin, comment faisiez-vous ?
00:39:13À l'époque, oui, bien sûr.
00:39:16J'avais une activité qui me prenait la semaine entière.
00:39:21Samedi, dimanche.
00:39:23Avec une prédilection pour les compositeurs russes, bien sûr.
00:39:27Mais pas seulement.
00:39:28Il y en a beaucoup et ils sont merveilleux.
00:39:30Ça, je peux vous dire que ce sont des personnages que je respecte.
00:39:37Il se trouve que certaines personnes, maintenant, dans un occidentalisme fou,
00:39:44disent, pardon, je ne voudrais surtout pas vous faire de la peine,
00:39:48mais disent comme ça, avec un certain aplomb, ridicule,
00:39:51que la Russie ne fait pas partie de l'Europe.
00:39:54C'est absurde.
00:39:55C'est tellement absurde quand on pense, par exemple,
00:39:58on ne va pas les énumérer, mais à la pléiade de musiciens,
00:40:02sans parler des poètes, sans parler des écrivains,
00:40:05sans parler évidemment des peintres, enfin des artistes de toutes sortes,
00:40:10qui contribuent puissamment à la civilisation,
00:40:14en tous les cas à ce concert de civilisation européenne.
00:40:17Oui, je crois que c'est malvenu.
00:40:21La Russie est très européenne, justement.
00:40:24La Russie a déjà connu la France bien avant la Révolution.
00:40:32Les relations au XVIIIe étaient très étroites.
00:40:35Il y a eu des guerres très importantes entre les Français et la Russie,
00:40:42en commençant par...
00:40:46On est souvent alliés aussi.
00:40:49Oui, heureusement.
00:40:52Il y a évidemment deux épisodes, le napoléonien et les guerres de Crimée,
00:40:56mais passons.
00:40:57Très souvent, nous nous sommes retrouvés,
00:41:00il y a une sorte d'amitié entre les deux peuples, français et russe.
00:41:04Ça ne m'étonne pas.
00:41:06Oui, elle est assez constante.
00:41:08J'ai même pensé à un certain moment, je ne sais pas si l'idée vous choque,
00:41:11que dans la vogue qu'a eue le communisme en France,
00:41:16je dis vogue pour utiliser ce mot,
00:41:18il y avait peut-être derrière une sorte d'affection pour la Russie,
00:41:22une vieille affection française pour la Russie,
00:41:24qui s'est reportée sur le communisme censé avoir pour capitale Moscou.
00:41:28Non ? J'exagère ?
00:41:30C'est possible, mais je n'ai pas du tout ressenti comme ça.
00:41:33Je n'ai pas du tout ressenti comme ça,
00:41:35parce que pour moi, la France a été le départ de toute ma carrière d'architecte
00:41:44et de la musique, en plus de celle que j'ai connue au Maroc.
00:41:50Nous étions, comme tous les Russes, nous étions des musiciens.
00:41:56Et les Russes sont des musiciens.
00:42:00Les Russes chantent, ils jouent de la guitare, ils jouent du piano,
00:42:04ils ont d'autres cordes à leur arc.
00:42:08Les Français ont une grande amitié pour la France, d'abord parce qu'elle les a accueillis.
00:42:17Les Russes ont une grande amitié pour la France qui les a accueillis.
00:42:20Et vice-versa.
00:42:22Mais les relations étaient déjà très nourries au XVIIIe, vous le disiez.
00:42:26A peu près tout ce qu'achetait la cour du Tsar au XIXe était acheté en France,
00:42:30en fait de faïence, en fait de mobilité.
00:42:33Pour les arts français, je dois dire que la Russie a été un mécène permanent
00:42:38pendant des décennies et des décennies.
00:42:41Est-ce qu'il en reste quelque chose ? Je crois que oui.
00:42:44Aujourd'hui, évidemment, un peu contrarié par les circonstances créniennes.
00:42:48On reste en bonne...
00:42:52Affection.
00:42:54Affection, oui, vous avez complètement raison.
00:42:58Et puis les Français adorent parler le russe avec un accent épouvantable.
00:43:04Ah, ne les découragez pas, Excellence, parce que si vous les découragez,
00:43:08on en aura encore moins.
00:43:10Mais c'est normal.
00:43:12Un Anglais ne peut pas parler russe non plus.
00:43:15Oui, ça je le bien crois.
00:43:17Les Allemands encore moins.
00:43:19En plus, ils ont attaqué la France souvent.
00:43:23Vladimir Poutine dit que la Russie est européenne, mais elle n'est pas occidentale.
00:43:27Ça me plaît assez.
00:43:29Je ne suis pas mécontent pour tout dire que la France puisse en dire autant.
00:43:33Il faut des nuances.
00:43:35Il faut des nuances.
00:43:37Mais la Russie a eu beaucoup de chances de trouver refuge après la Révolution,
00:43:44en commençant par mes parents,
00:43:48qui ont tiré la langue longtemps, les pauvres.
00:43:54Oui, je sais, beaucoup étaient chauffeurs de taxi.
00:43:57C'était une des professions qu'on a trouvées.
00:43:59Il y en a eu, oui, quelques-uns.
00:44:01Mais...
00:44:02Nous n'avons jamais touché à ce métier.
00:44:05J'imagine que votre famille, non, certes.
00:44:08Mais enfin, il y avait toutes sortes de Russes blancs, comme on a dit, à Paris,
00:44:13qui ont fait vivre des paroisses orthodoxes, célèbres dans Paris.
00:44:21Mais les Russes continuent, vous savez, à prendre une grande part dans la culture franco-russe.
00:44:29Vous en avez parlé.
00:44:31Il y a des organismes, des organisations.
00:44:35Il y en a plusieurs à Paris.
00:44:37Ce sont des clubs qui ont installé leurs membres dans la culture française,
00:44:49en même temps que la culture russe.
00:44:51J'ai oublié de vous demander, est-ce que c'est indiscret ?
00:44:53Je ne crois pas, mais la question me vient à l'instant.
00:44:56Quelles paroisses fréquentez-vous ?
00:44:59Oh, je n'ai pas de préférence.
00:45:03Tantôt une que tantôt l'autre.
00:45:05Je suis souvent à la rue de la rue.
00:45:10Je suis souvent au boulevard de la nouvelle cathédrale russe.
00:45:20Je suis souvent allé aux églises des environs de Paris.
00:45:31À Sainte-Geneviève-des-Bois ?
00:45:33Dans toute Sainte-Geneviève-des-Bois, entre autres.
00:45:35Mais là-bas, on y va pour se coucher.
00:45:37Oui, c'est le cimetière russe.
00:45:39Ma grand-mère repose au cimetière russe.
00:45:42Oui, bien sûr, bien sûr.
00:45:44Nous sommes allés, Miguel et moi, repérer notre emplacement futur.
00:45:50Ah bon, bon, bon.
00:45:51Mais attendez, la France et la Russie ont besoin de vous pour l'instant.
00:45:54Alors, avançons sur l'histoire produit heureusement,
00:46:03quelquefois il y a des bons et des mauvais tours,
00:46:07mais voilà que la Russie se libère du communisme
00:46:11et que vous pouvez retourner non sans émotions, j'imagine, en Russie.
00:46:17Oui, toujours avec beaucoup d'émotions.
00:46:19Et la première fois, c'était très bouleversant pour vous
00:46:21parce que c'était la découverte de votre patrie.
00:46:25Oui, mais bon, ça s'est bien passé.
00:46:28J'ai très vite organisé ma vie là-bas.
00:46:32Je fais partie de...
00:46:34À Moscou.
00:46:35À Moscou ou...
00:46:37Ou à Saint-Pétersbourg.
00:46:38À Saint-Pétersbourg, mais aussi en province.
00:46:42Comment faites-vous cette extraordinaire ?
00:46:44Pourquoi province ?
00:46:46Parce que j'ai créé quatre conservatoires.
00:46:51Oui, mais comment avez-vous...
00:46:53Et je les ai installés moi-même.
00:46:56Et je les ai créés moi-même.
00:47:00Avec mes ressources, c'est pas tellement facile.
00:47:03Donc il fallait trouver des financiers,
00:47:06il fallait trouver des maires de chacune de ces villes,
00:47:11leur soutien pour lancer un conservatoire cher à l'ETF.
00:47:16Et donc ça s'est fait.
00:47:21J'ai été récompensé.
00:47:24Et Muguet aime bien m'accompagner dans ces endroits-là.
00:47:33C'est prenant de découvrir un pays pareil avec son épouse.
00:47:39Vous avez ce polier de ressources,
00:47:41mais est-ce que vous avez pu récupérer une partie des biens de la famille ?
00:47:45Rien du tout.
00:47:46Rien du tout.
00:47:47On nous a jetés dehors.
00:47:48C'était sans indemnité, si je peux dire.
00:47:50On nous a complètement spoliés de tout.
00:47:53Mais l'État russe vous a aidés ?
00:47:55Vous avez rencontré Boris Eltsine ?
00:47:57Oui, bien sûr.
00:47:59Bien sûr, Eltsine avec son verre de vin.
00:48:04Jamais sans.
00:48:05Jamais sans son verre de vin.
00:48:07Je l'ai connu complètement pété.
00:48:10Je crois que beaucoup de gens comme ça sont dans ce cas-là.
00:48:14Il était vraiment bien pris par l'alcool.
00:48:17Parce que je crois qu'il était un peu dépassé par sa tâche,
00:48:20qui était immense dans une Russie qui ne se remettait pas.
00:48:23Il n'a pas très bien fini, je trouve.
00:48:25C'est dommage parce que c'était un brave homme.
00:48:28Les Américains avaient une grande influence sur lui.
00:48:30Ils ont dit que c'était un peu marionnette.
00:48:33Je ne connais pas ce côté-là.
00:48:35Non, non, mais il a exagéré.
00:48:39Parce que sur la fin de sa vie, il était complètement paumé.
00:48:43Oui, un peu manipulé aussi.
00:48:45Je regrette beaucoup ces accidents dans sa vie.
00:48:50Ce n'était pas très agréable.
00:48:52Alors arrive un ancien dignitaire communiste, il faut le dire,
00:48:56qui prend le pouvoir en l'an 2000, qui est Vladimir Poutine.
00:49:00Vous le rencontrez aussi ?
00:49:02Oui, oui.
00:49:04Comment regardez-vous ?
00:49:06Parce que, pour un cher Hervé Thieff,
00:49:09Poutine a une légitimité qui tient un peu du communisme,
00:49:13qui tient évidemment du service qu'il peut rendre à la Russie.
00:49:16Il est mal aidé dans ses différentes apparitions.
00:49:25Ce n'est pas si simple que ça.
00:49:27C'est un vrai communiste
00:49:30qui s'est fait une carrière magnifique.
00:49:35Il est milliardaire trois fois.
00:49:38Vous parlez de Vladimir Poutine ?
00:49:40Oui, oui, bien entendu.
00:49:42On ne le regarde pas comme ça en général.
00:49:44Ah ben si, il en a beaucoup.
00:49:46Je peux vous le montrer.
00:49:48Très bien, très bien.
00:49:50J'ai de la sympathie pour lui.
00:49:55Bientôt vous repartez en Russie,
00:49:57vous y allez avec beaucoup d'appétit l'un et l'autre,
00:49:59parce que la vie est beaucoup plus dynamique,
00:50:02beaucoup plus...
00:50:03C'est tellement différent.
00:50:05Oui, qu'on le croit en tous les cas plus qu'en France.
00:50:07On a droit à des endroits fabuleux.
00:50:11Il y a des musées extraordinaires,
00:50:16des restaurants corpulents extraordinaires,
00:50:20et des joies de vivre qu'on ne connaît pas ici.
00:50:27Entre la Russie que vous avez connue il y a vingt ans,
00:50:31vingt-cinq ans en la découvrant,
00:50:33et la Russie d'aujourd'hui,
00:50:35il y a un développement que les Français ne connaissent pas,
00:50:38mais assez extraordinaire.
00:50:40Oui, c'est surprenant, c'est surprenant.
00:50:43Non seulement à Moscou, mais dans plusieurs autres villes.
00:50:45Connaissant les Russes, ça n'a pas dû être facile pour eux.
00:50:50Parce que j'étais quand même mal vu pendant longtemps.
00:50:57Oui.
00:50:58Mais ça s'améliore, ça s'améliore.
00:51:01Regardez, Poutine, il vient tout le temps à Paris.
00:51:04Il vient très très souvent.
00:51:06Oui, mais vous ne voyez pas une grande différence
00:51:12entre la vie quotidienne à Moscou il y a vingt ans et celle d'aujourd'hui,
00:51:16parce qu'on pense que ce pays qui est en guerre, il faut bien le dire,
00:51:19est un pays anémié ou orienté vers l'effort de guerre,
00:51:24alors que la vie à Moscou est aujourd'hui,
00:51:27d'après de nombreux témoignages, assez facile et même vitalité rare.
00:51:32Vous avez complètement raison.
00:51:34D'abord parce qu'il y a des endroits qui sont absolument fabuleux,
00:51:41du point de vue architectural.
00:51:46Ma famille a construit, sur les derniers siècles,
00:51:51des palais exceptionnels, exceptionnels, qui sont toujours là.
00:51:56Très bien entretenus par les communistes, il faut dire.
00:51:59Ils ont été entretenus par les communistes,
00:52:02mais aujourd'hui c'est quand même des gens différents.
00:52:06Ils ont mis un peu de...
00:52:13D'argent.
00:52:14Dans leur façon de se comporter.
00:52:19J'ai un grand respect pour les Russes,
00:52:25non seulement parce que j'en suis un,
00:52:29mais il y a de très très belles choses.
00:52:31Très très très belles choses.
00:52:33Millette peut en être témoin.
00:52:36Nous visitons,
00:52:40nous avons de quoi nous loger dans différents endroits,
00:52:46aussi bien à Pétersbourg qu'à Moscou.
00:52:52Et dans les villes vers la Sibérie,
00:52:54il paraît que leur essor et leur dynamique sont exceptionnels.
00:52:58Je dois dire que je n'ai pas le temps.
00:53:0015 ans, vous êtes allé à 15 ans.
00:53:02Oui bien sûr,
00:53:04mais nos visites en Sibérie n'ont jamais eu lieu.
00:53:10On n'est jamais allé ensemble.
00:53:12Moi j'y suis allé plusieurs fois en commandement
00:53:19de certains besoins des Russes là-bas.
00:53:25Mais j'aime beaucoup la peinture russe.
00:53:31Même celle qui n'est pas très ancienne,
00:53:35parce qu'il y a eu des artistes russes exceptionnels.
00:53:40Vous pouvez nous citer quelques noms
00:53:42qui vous tiennent à cœur ?
00:53:44Écoutez, figurez-vous que non.
00:53:48Non.
00:53:49Parce que je n'ai pas de tableau du fameux…
00:53:58Lévitant.
00:54:01Lévitant, je n'en ai pas.
00:54:03C'est introuvable.
00:54:05Mais j'ai des tableaux.
00:54:09Quand vous viendrez à Moscou,
00:54:11mon appartement de Moscou est couvert de tableaux.
00:54:16J'ai acheté, partout où j'ai trouvé des belles choses,
00:54:19je les ai achetées.
00:54:21On en voit certaines dans votre appartement de Paris,
00:54:24où nous sommes.
00:54:27Nous sommes entourés de beauté ici.
00:54:29Elle peut être témoin.
00:54:31Elle est entrée dans un appartement
00:54:33où tous les murs étaient couverts comme ça.
00:54:37Deux tableaux russes.
00:54:39Et surtout, j'ai fait un…
00:54:50Pour les Russes,
00:54:53j'ai acheté des tableaux des années…
00:55:00des années, je dirais…
00:55:0250.
00:55:04Voilà, 50.
00:55:07Les Russes avaient du mal à faire leurs tableaux
00:55:10parce qu'ils n'avaient pas le droit.
00:55:12Ils allaient vendre, oui.
00:55:13Ils n'avaient pas le droit de faire ça en dehors des règles.
00:55:18Et ils peignaient dans les sous-sols.
00:55:22Ils peignaient jusque dans les sous-sols
00:55:25pour pouvoir faire leur…
00:55:26En cachette.
00:55:27En cachette.
00:55:29Et ça, j'ai participé à leur succès
00:55:36en achetant beaucoup.
00:55:38Tu peux le confirmer.
00:55:41Et en donnant.
00:55:43Comment ?
00:55:44Et en donnant aussi.
00:55:45Vous en avez donné à des musées ?
00:55:48Pas beaucoup.
00:55:49Pas beaucoup, ah bon.
00:55:50Non, non, non.
00:55:51Je suis assez…
00:55:53Collectionneur.
00:55:54Collectionneur.
00:55:55Et donc, j'ai tout gardé à Moscou
00:56:00dans un appartement que j'adore
00:56:02et que m'a offert la ville parce que…
00:56:08Ah tout de même, on a restitué…
00:56:10Pas à nous.
00:56:11Non, c'est pas à vous.
00:56:12C'est une compensation, d'accord.
00:56:15À votre disposition, un appartement.
00:56:19Disposition de très belles choses.
00:56:22Par exemple, à Moscou,
00:56:23je suis dans un immeuble de 7 étages.
00:56:28À droite, j'ai la Volga, la Moskvareka,
00:56:34mais je l'ai à pic.
00:56:37À vos pieds.
00:56:39Sur mon côté droit, je plonge dans l'eau.
00:56:45Par exemple, c'est derrière les bâtiments
00:56:53les plus connus de Moscou
00:56:56qui sont le siège du gouvernement.
00:57:01C'est un plaisir de farfouiller
00:57:09pour trouver de bons auteurs.
00:57:12Ce fameux Kremlin qui était militaire à l'origine.
00:57:15J'ai eu de la chance parce que
00:57:17tout ce que j'ai acheté,
00:57:18j'ai acheté en sous-sol.
00:57:20C'est bien.
00:57:21D'abord parce que ça coûtait moins cher.
00:57:23Et puis ensuite, il y avait des peintres exceptionnels.
00:57:27Et où en est la musique russe aujourd'hui ?
00:57:31Elle est tonitruante.
00:57:35Elle sera toujours dans le cœur des Russes
00:57:41qui adorent la musique.
00:57:46Nous sommes entourés de musiciens
00:57:49à Moscou ou à Pétersbourg.
00:57:52Nous sommes fêtés par ces musiciens
00:57:56qui nous invitent à tous les spectacles
00:58:01que nous souhaitons.
00:58:04Et c'est un grand cadeau.
00:58:07Les jeunes écoutent beaucoup de musique plus occidentale, non ?
00:58:12Pas tellement.
00:58:14Non, non, non. Pas tellement.
00:58:16Ils ont un style bien particulier.
00:58:18Il faut venir nous voir.
00:58:21Il faut que les Français aillent découvrir la Russie.
00:58:24C'est pas si facile de voyager actuellement.
00:58:26Vous y arrivez facilement.
00:58:28On vous donne un passeport en trois mois.
00:58:35Oui, mais je crois qu'il faut faire des étapes.
00:58:37Pour l'instant, on ne peut pas faire Paris-Moscou directement.
00:58:40Si, si.
00:58:41Est-ce qu'il y a assez de Français qui vont visiter la Russie ?
00:58:44C'est pas facile actuellement,
00:58:46mais un jour ce sera plus simple.
00:58:48Il n'y en a pas des masses.
00:58:50Il n'y en a pas assez alors que la ville,
00:58:53c'est son activité qui m'a beaucoup frappé.
00:58:57Son dynamisme.
00:58:59J'ai vu dans des restaurants,
00:59:01enfin les restaurants qui ferment à 5h du matin,
00:59:03des hommes d'affaires danser par certains moments
00:59:08et puis ensuite se mettre dans un coin
00:59:10pour conclure un contrat à 3h du matin, à 4h du matin.
00:59:13C'est dans le monde entier comme ça.
00:59:15Je ne suis pas sûr que ça existe encore.
00:59:18Sans musique.
00:59:20Je parlais tout à l'heure de Poutine et de Kazan.
00:59:27Vous êtes sans doute très fiers.
00:59:29Il y a quelques jours, Kazan a accueilli le sommet des Brics.
00:59:34Comme si la Russie était un peu au cœur d'une sorte de basculement,
00:59:39le mot est devenu courant, général de la géopolitique mondiale.
00:59:43Je vois même cela comme un danger.
00:59:47Dites-nous pourquoi.
00:59:49Parce que les Russes emboîteront le pas
00:59:53de pas mal de pays qui souffrent actuellement
00:59:58et où elles règnent,
01:00:01comme par exemple les deux voisins,
01:00:05l'un communiste et l'autre plus ouverts sur la vie actuelle.
01:00:11Je n'ai aucune crainte
01:00:14pour ce qui concerne l'Église et sa vocation.
01:00:18Russes, parce que c'est tellement répandu
01:00:24qu'on est gâté par le nombre d'églises qu'il y a en Russie.
01:00:32C'est indispensable.
01:00:34La Russie ne peut pas se passer de la religion.
01:00:37Je vous pose peut-être une question qui vous paraîtra incongrue.
01:00:43Ce rapprochement tant voulu par des papes importants
01:00:48comme Jean-Paul II et Benoît XVI,
01:00:52entre nos deux églises, la catholique et l'orthodoxe,
01:00:58peut-être nécessaire d'un point de vue géopolitique,
01:01:01pour réunir ce que Jean-Paul II appelait
01:01:03les deux poumons de l'Europe, l'orthodoxie et le catholicisme.
01:01:07Ce sont des appréciations que je ne partage pas.
01:01:16Et je veux dire pourquoi.
01:01:18Parce que c'est tellement différent.
01:01:23C'est tellement différent.
01:01:26L'orthodoxie et le christianisme occidental,
01:01:32c'est pas la même chose.
01:01:36Il y a une richesse à tout point de vue
01:01:43chez les Russes et dans la religion orthodoxe.
01:01:49Nous ne sommes pas sur le même niveau,
01:01:54je dis une chose très grave là,
01:01:57sur le niveau de la croyance.
01:02:01Parce que nous sommes nourris dans une religion
01:02:06qui est pour la paix des gens.
01:02:15Vous croyez que l'église de Rome...
01:02:18Non.
01:02:20Non ?
01:02:21Non.
01:02:22L'église de Rome a cherché à s'introduire aussi,
01:02:27elle n'y est pas arrivée.
01:02:29Elle n'est pas question de s'introduire,
01:02:31elle est question de se rapprocher.
01:02:33Pour convaincre des gens ou un pays,
01:02:37il faut aller chez eux.
01:02:39Et ça, ce n'est pas si évident que ça.
01:02:42Vous avez raison, il y a une hétérogénéité des religions.
01:02:45Absolument, c'est très très différent.
01:02:48Et donc des représentations du monde,
01:02:51à travers les religions évidemment.
01:02:53Vous avez complètement raison aussi,
01:02:56mais moi je ne m'arrête pas à ça.
01:02:59Qu'est-ce qui rapproche au fond, c'est l'art ?
01:03:02C'est la musique, c'est la peinture,
01:03:04c'est l'art qui permet de communiquer plus facilement
01:03:07d'une civilisation à une autre ?
01:03:09Je ne dirais pas autant,
01:03:11parce que je ne me souviens pas
01:03:14que nous ayons eu tellement de rapports d'art
01:03:19avec les protestants.
01:03:22C'était quand même très sévère.
01:03:28Le protestantisme est sévère.
01:03:31Il a toujours été réjouté,
01:03:36ou longtemps en tout cas.
01:03:38Il ne l'est plus depuis une centaine d'années,
01:03:42mais il a été confronté à des difficultés
01:03:48simplement pour s'intégrer à la population.
01:03:52C'est vrai que du point de vue des arts,
01:03:55entre orthodoxes et catholiques,
01:03:58il y a plus de connivences.
01:04:00Absolument.
01:04:02C'est ce que je disais tout à l'heure.
01:04:04C'est normal, mais ils ont des qualités
01:04:07qui sont différentes.
01:04:09Vous avez été aussi acteur.
01:04:11J'allais oublier cet épisode,
01:04:13cette facette.
01:04:15Elles sont si nombreuses.
01:04:17Vous avez joué avec, dites-nous,
01:04:19avec quelques grands noms,
01:04:21grands réalisateurs.
01:04:23Je crois savoir Costa Gravras.
01:04:25Costa Gravras m'a fait jouer
01:04:27avec Romy Schneider.
01:04:31Qui est tombé amoureux de qui ?
01:04:33Pas moi.
01:04:35Ah bon ?
01:04:37Pas moi, parce qu'elle était déjà prise.
01:04:39Ah, certainement.
01:04:41Et puis c'était malvenu.
01:04:45Oui, enfin, elle avait de la charme.
01:04:47On ne peut pas faire du charme
01:04:49quand on est soi-même marié.
01:04:51Ah non.
01:04:53C'est défendu.
01:04:55C'est défendu par les règles.
01:05:01J'ai eu une enfance,
01:05:03une adolescence exceptionnelle,
01:05:05et j'ai chanté partout.
01:05:07J'ai beaucoup chanté.
01:05:09Mon père était nord.
01:05:11Ma mère était une fantastique
01:05:14soprane.
01:05:16Elle pouvait
01:05:18se mesurer
01:05:20avec n'importe
01:05:22quelle chanteuse mondiale.
01:05:24Mais quand je vous demande
01:05:26avec qui vous avez tourné,
01:05:28quand même, il doit y avoir quelque chose,
01:05:30puisque vous citez Romy Schneider.
01:05:32Il y en a d'autres, tout de même.
01:05:34Oui, Romy Schneider, c'est un événement.
01:05:36Rien que de la côtoyer dans un film,
01:05:38c'était un événement.
01:05:40C'était
01:05:42c'était beau de voir,
01:05:44parce que
01:05:46quand on est Romy Schneider,
01:05:48on a la beauté avec soi.
01:05:52C'est ma vie
01:05:54de musicien.
01:05:56C'est ma vie de...
01:05:58D'acteur aussi.
01:06:00De qui?
01:06:02Vous êtes aussi un acteur.
01:06:04Oui, oui, bien sûr.
01:06:06Mais moi, je suis seulement amateur.
01:06:08Oui, enfin, vous avez tourné
01:06:10dans plusieurs films, tout de même,
01:06:12qui ont compté.
01:06:14Ça ne se fait pas tout seul.
01:06:16On vient vous chercher.
01:06:18Mais maintenant, on ne vient plus me chercher
01:06:20parce que j'ai 95 ans.
01:06:22La preuve que si,
01:06:24puisque les télévisions courent après vous.
01:06:26Excellence.
01:06:28C'est d'une grande gentillesse.
01:06:30Pour clore notre conversation,
01:06:32dont je répète qu'elle pourrait être très longue,
01:06:34tant votre vie est riche,
01:06:36j'aimerais que vous nous disiez
01:06:38sans phare, avec votre
01:06:40franchise naturelle,
01:06:42habituelle, de quel oeil
01:06:44vous regardez la France?
01:06:46Dans quelle situation vous pariez
01:06:48être la France? Je disais, vous recevez,
01:06:50dans le lieu où vous nous recevez ce soir,
01:06:52quelques grands noms
01:06:54de la politique française. On passera
01:06:56de la littérature française.
01:06:58Beaucoup d'académiciens
01:07:00sont vos hôtes.
01:07:02Vous voyez à travers eux
01:07:04la situation
01:07:06de la France
01:07:08et de Paris
01:07:10qui n'est pas très brillante.
01:07:12Vous n'êtes pas inquiet pour l'avenir de la France?
01:07:14Ou de l'intelligence française?
01:07:16Je suis inquiet.
01:07:18Je suis très inquiet parce que
01:07:20je vois un tel désordre
01:07:22monter de tous les côtés.
01:07:24Et les Français ne sont pas
01:07:26raisonnables.
01:07:28On ne défend pas
01:07:30l'indéfendable.
01:07:32Et moi,
01:07:34je suis choqué par certaines
01:07:36réactions
01:07:38parce que
01:07:40je ne les partage pas.
01:07:42Et
01:07:44d'ailleurs, c'est très récent.
01:07:46C'est
01:07:48devenu plus dangereux
01:07:50aujourd'hui qu'il y a 3 ans.
01:07:52Je crois
01:07:54savoir que vous avez une grande admiration
01:07:56pour Philippe de Villiers.
01:07:58Vous partagez largement ses vues.
01:08:00Vous avez complètement raison.
01:08:02C'est un homme
01:08:04d'une force
01:08:06exceptionnelle
01:08:08pour raconter
01:08:10les choses.
01:08:12Et comme
01:08:14il a beaucoup d'alliés,
01:08:16moi, j'espère
01:08:18un jour le rencontrer
01:08:20parce que je ne l'ai pas encore rencontré.
01:08:22Et aller
01:08:24au pieu du fou.
01:08:26Et aller au pieu du fou.
01:08:28Voilà, on peut organiser quelque chose.
01:08:30Très bien.
01:08:32Il y a tout de même dans la politique française
01:08:34quelques lueurs d'espoir
01:08:36parce que vous êtes tout de même quelquefois
01:08:38assez sévère, vous ne le direz pas devant
01:08:40nous, parce que vous êtes trop bien élevé.
01:08:42Avec qui ?
01:08:44Pour des hommes politiques français,
01:08:46je vous ai entendu dire,
01:08:48avoir la dent dure
01:08:50d'aucun.
01:08:52La classe politique française, ne citons pas
01:08:54de nom, ne vous plaît pas
01:08:56toujours, n'est-ce pas ?
01:08:58C'est assez critique.
01:09:00Non, je ne peux pas dire ça.
01:09:02Il y a des gens
01:09:04dont je ne partage pas
01:09:06les
01:09:10les habitudes.
01:09:12Parce que
01:09:14nous avons
01:09:16connu autre chose.
01:09:18Nous avons simplement
01:09:20été élevés différemment.
01:09:22Et
01:09:24les français ont leur qualité,
01:09:26nous avons les nôtres.
01:09:28Moi j'aime bien partager
01:09:30ce que je sais,
01:09:32ce que je connais, que j'apprécie.
01:09:34Donc
01:09:36je suis architecte,
01:09:38j'ai été
01:09:40élevé pendant
01:09:42des dizaines d'années
01:09:44autour d'un
01:09:46projet
01:09:48que j'avais remporté
01:09:50et qui m'avait donné
01:09:52ma joie de vivre.
01:09:54Mais je suis
01:09:56aussi
01:09:58amateur
01:10:00de bonnes choses.
01:10:02Et de bons endroits.
01:10:04En France,
01:10:06on en trouve plus qu'ailleurs.
01:10:08Ça c'est sûr.
01:10:10Et puis
01:10:12j'ai épousé quand même quelqu'un
01:10:14qui était française.
01:10:16Ah oui. Alors voilà sur quoi
01:10:18nous pouvons nous quitter.
01:10:20Sur l'exemple
01:10:22que vous incarnez,
01:10:24vous et votre femme,
01:10:26d'une alliance entre la Russie
01:10:28et la France, profitable pour les deux
01:10:30parties on peut dire, et qui fait la
01:10:32joie et le bonheur de l'un et l'autre.
01:10:34Et des deux pays
01:10:36dont
01:10:38vous parlez. Je vais vous dire,
01:10:40cette femme
01:10:42est exceptionnelle.
01:10:44Je crois, oui.
01:10:46Elle est imbattable.
01:10:48Elle a
01:10:50souvent envie d'avoir raison.
01:10:52Souvent.
01:10:54Il faut que je m'incline.
01:10:56N'est-ce pas mon gars ?
01:10:58Tu aimes bien
01:11:00commander, hein ?
01:11:04Mais est-ce que ça ne vous paraît pas un beau symbole
01:11:06justement de ce que pourrait être l'alliance
01:11:08entre la France et la Russie ?
01:11:10C'est très nourrissier pour les deux parties, n'est-ce pas ?
01:11:12Elle a une si longue
01:11:14histoire déjà commune
01:11:16qu'ils se sont battus,
01:11:18les uns avec les autres.
01:11:20Français et Russes.
01:11:22Ils se sont battus,
01:11:24ils ont été
01:11:26vaincus parfois,
01:11:28plus souvent vainqueurs.
01:11:30Et Dieu sait si je peux
01:11:32en parler parce que
01:11:34je descends des plus grands
01:11:36maréchaux russes.
01:11:38Souborov,
01:11:40Kutuzov
01:11:42sont mes ancêtres.
01:11:44Et Sheremetyev.
01:11:46Bien entendu.
01:11:48Et ils ont été de grands
01:11:50commandants d'armée.
01:11:52Et...
01:11:56Mais ne parlons plus de la guerre, parlons de la paix
01:11:58et de ce que chacun peut apporter à l'autre, n'est-ce pas ?
01:12:00La paix, c'est nous
01:12:02qui la faisons.
01:12:04Voilà.
01:12:06Ça ne vient
01:12:08pas vers vous la paix.
01:12:10Il faut aller la chercher et la construire.
01:12:12Eh bien voilà encore une dernière chose
01:12:14à faire.
01:12:16Excellence.
01:12:18Je serai très très très
01:12:20honoré
01:12:22que
01:12:24vous me fassiez rencontrer
01:12:26notre
01:12:28ami commun.
01:12:30Philippe de Villiers.
01:12:32Que j'admire.
01:12:34Et Mugat aussi.
01:12:36Parfait.
01:12:38Nous avons encore beaucoup de choses à faire.
01:12:40L'avenir dure longtemps.
01:12:42Un peu se dépêcher.
01:12:44Pour moi en tout cas.
01:12:46L'avenir dure longtemps, quoi qu'il en soit.
01:12:48Merci beaucoup pour votre accueil.
01:12:50Merci beaucoup pour tout ce que vous nous avez dit.
01:12:52J'ai essayé d'être
01:12:54le plus simplement
01:12:56honnête
01:12:58et enthousiaste
01:13:00parce que je suis
01:13:02un enthousiaste de nature.
01:13:04Et
01:13:06peut-être Mugat ne pense pas
01:13:08toujours ça.
01:13:10Je la laisse
01:13:12avoir son aide.
01:13:14Et par-dessus tout, merci pour tout ce que vous avez fait.
01:13:16Ce qui est magnifique et je suis content
01:13:18de lever le voile
01:13:20sur une partie de tout ce que vous avez fait.
01:13:22Ça c'est très gentil.
01:13:24J'espère que les Français
01:13:26J'ai beaucoup fait.
01:13:28J'ai beaucoup fait.
01:13:30De la belle architecture, des beaux
01:13:32conservatoires.
01:13:34Mes conservatoires
01:13:36russes que j'ai créés
01:13:38parce qu'il n'y avait pas de musique
01:13:40dans leur ville.
01:13:42Même pas d'orchestre, même pas de chœur.
01:13:44Tout ça, je l'ai apporté
01:13:46à certaines villes de Russie
01:13:48qui sont
01:13:50importantes
01:13:52et inadmissibles
01:13:54sans musique.
01:13:56Et donc, merci beaucoup pour ce que vous avez fait.
01:13:58Notamment pour la France.
01:14:00Je suis très touché que vous
01:14:02nous ayez visité
01:14:04et donné
01:14:06un petit droit
01:14:08à la parole
01:14:10parce que nous sommes
01:14:12fiers d'être Français en même temps
01:14:14que fiers d'être Russes.
01:14:16Ce sera le dernier mot.
01:14:18Merci beaucoup Prince.
01:14:20Merci à vous.

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