Après une quarantaine d’ouvrages, Jean-Marie Rouart, l’un des mieux connus de nos académiciens français qui fut deux fois directeur du Figaro Littéraire, consacre un livre étonnant à son père, le peintre Augustin Rouart, maître de ce "réalisme poétique" qui échappa à toutes les modes et dont il s’attache à faire reconnaître l’œuvre. L'occasion de revenir sur sa famille, qui cultiva pendant des générations les Beaux-Arts au point d’accumuler de somptueuses collections (on en aura un aperçu au fil de l’émission), mais aussi sur ses héritages intellectuels et moraux - ceux d’une France qui glorifia toujours la devise des gentilshommes "Vivre Libre", et dont il incarne à merveille le primat accordé à la littérature, et à la langue, dont il est un défenseur acharné contre les dévastations américaines, qu’il n’hésite pas à comparer à une colonisation - notamment contre le franglais. Regardant toutes choses au prisme de la littérature, il lâche au détour d’une phrase : "La Littérature fut l’essentiel de ma vie". Portrait d'un parfait chevalier des Arts et des Lettres...
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00:24 Merci beaucoup Jean-Marie Roy de nous recevoir chez vous. C'est rare pour nos émissions qui sont plutôt tournées au siège du Nouveau Conservateur.
00:35 Mais alors ça tombe bien, nous déménageons et donc nous vous élisons domicile pour une bonne heure dans cet appartement qui vraiment dit beaucoup de vous.
00:45 D'abord il est très beau, nos téléspectateurs peuvent voir un décor d'écrivain typique et encore vous me disiez que la plupart de vos livres sont en Corse.
00:55 Parce que les livres débordaient et vous n'avez pas pu tout garder. En tous les cas vous avez gardé beaucoup de tableaux et j'espère qu'on en verra grâce à notre technicien Maxime quelques-uns.
01:09 Puisqu'ils sont le sujet de votre dernier livre à paraître ce mois de mai 2023 consacré à votre père.
01:22 Votre père Augustin Roy, peintre, curieux personnage et votre ouvrage s'appelle "Entre père et fils".
01:32 C'est aussi les relations entre lui et vous, votre famille, nous allons le voir, très notable et vous-même et finalement votre enfance.
01:43 Alors, famille de peintres, on se perd un peu tellement qu'ils sont nombreux. Maurizio, Manet, beaucoup de collectionneurs, Henri Roy, il y avait une des plus belles collections de peintres impressionnistes je crois.
02:04 De tout, pas seulement impressionnistes. Un peu de tout. Avec Lascaise, il était... Ah oui, oui, oui, non, il était... C'est pour ça je crois.
02:13 C'était un formidable amateur d'art. Mais pour lui l'impressionnisme n'était pas une révolution. Pour lui l'impressionnisme, il a collectionné Manet et surtout Degas.
02:26 Mais vraiment, il y avait aussi des Corot qui étaient beaucoup moins... Voilà. Ce n'est pas impressionniste, mais beaucoup de tableaux, des Goya, des Velasquez.
02:38 Alors, vous êtes né, on peut le dire, pendant la guerre, la seconde guerre mondiale, dans une famille qui fait toujours penser à la formule de rêveuse bourgeoisie, c'est-à-dire bien installée, mais en déclin, on peut dire,
02:58 avec un père et une mère certainement adorables par leur singularité. Commençons par votre mère. Vous parlez plus de votre père, mais votre mère, vous en faites un portrait de sainte.
03:11 Votre père était plein de foucards, enfin de foucards de mélancolie et pas très bon gestionnaire de son héritage. Et votre mère a tout supporté avec un sourire, un fin sourire et beaucoup d'amour, en réalité.
03:29 Oui, j'ai eu beaucoup de chance d'avoir en effet des parents très aimants et des parents qui, en même temps, connaissaient les difficultés financières,
03:43 alors qu'ils appartenaient à une famille avec beaucoup de moyens, une famille très riche, la grande bourgeoisie. Mes deux arrières-grands-pères étaient très riches.
03:55 Et en même temps, c'était aussi des artistes. C'était crueusement une famille de grands bourgeois artistes, ce qui est quand même assez rare.
04:05 Et donc pour des raisons qui seraient trop longues à expliquer, donc mon père et ma mère vivaient chichement, ce qui est difficile quand on appartient à la bourgeoisie,
04:18 parce qu'il y a des habitudes. Voilà, il y a la première communion, le costume d'Etonne. Enfin vous voyez, c'est-à-dire qu'on est pris dans un système finalement bourgeois
04:32 en étant un peu déclassé. Donc votre allusion à rêveuse bourgeoisie est tout à fait juste. Et mon intérêt littéraire pour Driel-en-Rochelle est certainement venu
04:43 de cette identification que j'ai pu faire avec le caractère déclassé de Driel. Mais c'était des parents vraiment très aimants, très doux,
04:56 et surtout cimentés par ce goût de l'art, cette passion de quelque chose qui les dépassait, surtout mon père. Ma mère certainement souffrait,
05:09 mais sans rien dire, de cette difficulté pour une femme. Surtout que c'était une époque très difficile pour les femmes. C'était avant la machine à laver la vaisselle.
05:19 C'était même avant la machine à laver. Enfin vous voyez, c'était... Les années de la guerre et de l'après-guerre étaient très difficiles matériellement.
05:27 Et étrangement, je me souviens encore – vous voyez – pendant la guerre des bombardements et de cette angoisse qu'il y avait. Il y avait des sirènes qui appelaient
05:39 les gens à descendre dans le métro. Mais on quittait tout, on abandonnait tout. Et on se retrouvait dans le métro dans une espèce de... Et je vais 2 ans.
05:47 – Vous avez des souvenirs ? – J'ai des souvenirs, oui. J'ai des souvenirs de ces angoisses. Donc c'est pour vous dire à quel point...
05:55 Et j'ai le souvenir aussi de la présence de ma mère, tellement rassurante, en face d'un père qui, lui, était tout entier en angoisse. Voilà. C'est un homme qui était
06:07 très angoissé, un esprit de perfection poussé très très loin, qui le rendrait malheureux. C'est-à-dire cette vision de l'art que j'ai eue très tôt, puisque mon père a fait
06:20 énormément de portraits de moi. J'étais son... – Vous braquiez une lumière alors que vous étiez encore en berceau. – À la nuit, il me réveillait.
06:26 – Vous racontez cela. – Il me réveillait. – Pour pouvoir vous peindre alors que vous étiez enfant et même dans les anges.
06:33 Et je me souviens de cette lumière braquée. J'avais à ce moment-là 2 ou 3 ans. Vous voyez, c'était... Et je me souviens, la nuit, d'être réveillé, d'avoir vu mon père
06:43 avec son crayon en train de me peindre. Mais cette passion qu'il avait pour l'art était une passion douloureuse. Une passion douloureuse.
06:58 Et voilà. Donc c'était un personnage à la fois spirituellement très fort, très catholique, très... D'ailleurs, j'ai posé un peu plus tard en Christ.
07:07 En Christ. À l'âge de 18 ans, il m'a posé en Christ. Et un personnage douloureux, d'une très forte spiritualité et un amour de l'art alors extraordinaire.
07:20 – Qui fut sa joie quand même. – Qui fut sa joie, bien sûr. – Parce que vous voyez, il avait commenté. Mais il allait peindre ici ou là. Et il trouvait ce qu'il cherchait.
07:28 – Et que cherchait votre père en peignant son fils ? À plusieurs âges de la vie, d'ailleurs. À quelques mois, quelques années, il vous peignait encore quand vous avez 18 ans.
07:40 L'enfance, l'innocence de l'enfance ? – Vous savez, un peintre, et surtout un peintre dans la tradition picturale de mon père, qui était très éloigné de l'abstraction.
07:54 – Il était très à l'écart des courants. – C'était un peintre figuratif. On l'a placé dans la catégorie des peintres du réalisme magique.
08:03 Et ce qui lui va assez bien. Non, ce qu'il cherchait, c'est ce que cherchent tous les artistes, c'est-à-dire atteindre le beau, atteindre la beauté
08:15 et atteindre, finalement, la vision qu'il avait de la beauté. Et cette vision, elle était née de son amour fou pour toutes les formes d'art,
08:27 mais particulièrement les peintres. Et ses modèles, c'était les peintres italiens, les peintres hollandais. Et c'était, disons, Holbein et Durer.
08:41 C'étaient ces deux dieux, vraiment. Et donc... – Plus que Picasso ou... – Ah non, Picasso, c'était pas du tout son univers.
08:49 – Il était très à l'écart des courants dominants de l'époque. – Très à l'écart, très à l'écart.
08:52 – Et il s'en fichait. Il y a une indifférence assez belle. – Oui, il s'en fichait.
08:57 – Il y a un retrait du monde, maintenant. – Ce qui est plus courageux, c'est d'avoir été à l'écart de l'impressionnisme,
09:04 qui avait été l'élément presque constitutif de ma famille, puisque non seulement mes deux arrières-grands-pères avaient été...
09:11 Mon arrière-grand-père, Henri Lerolle, sa fille a eu son portrait par Renoir. C'est la jeune fille au piano de Renoir.
09:19 Et puis il y a eu deux autres portraits par Renoir. Mon arrière-grand-père lui-même, Henri Lerolle, a été peint par Renoir.
09:25 Il était très ami de Renoir. Donc ils étaient très amis de Bertrand Rizeau, des impressionnistes. Et mon père...
09:31 – Bertrand Rizeau, je vous coupe, qui est de votre famille. – Qui est de ma famille. Enfin sa fille a épousé le frère de mon grand-père.
09:37 – C'est ça. Et on peut pas citer tous les noms. Il y a même Paul Valéry. C'est l'art montréal est là tout entier autour de vous, veillant sur vos balles.
09:46 – Ce qui est important, c'est ce qu'on fait par soi-même. Les familles, c'est très bien. Je ne renie pas ma famille.
09:54 Mais ce qui a été important pour moi, c'est d'essayer d'exister par moi-même. Voilà. Mais en ce qui concerne mon père,
10:01 je pense que ce qu'il cherchait, c'était le beau. Et finalement, il le trouvait à travers des modèles qui pouvaient être moi,
10:11 qui pouvaient être aussi des paysages ou des natures mortes. Et d'ailleurs, ici, il y a beaucoup de natures mortes de mon père. Voilà.
10:20 Donc c'était une... Je crois que c'est très difficile de savoir ce que cherche un artiste. Mais je peux dire que ce qui m'a inculqué,
10:32 justement, c'est cette forme de probité artistique et cette forme de passion artistique absolue.
10:41 – Vous dites dans un entretien au Nouveau Conservateur, donc je vous remercie, que vous, comme lui, ne cherchiez pas tant la nouveauté
10:48 que la vérité, c'est-à-dire la beauté. Il était très à l'écart du neuf, quoi.
10:54 – Ça me paraît absurde... – Oui, pardon. C'est vrai.
10:58 – ...pour un artiste de chercher la nouveauté. – C'est ça.
11:02 – Ça me paraît débile. Parce que... – C'est une débilité très, très fréquente.
11:07 – Mais c'est une débilité modère. – Et pas qu'en peinture. En politique aussi, je vous signale.
11:11 Mais dans tous les domaines. Non. Je crois que la vérité, elle est forcément nouvelle.
11:18 Parce que la vérité, c'est un choc. – Sans cesse nouvelle.
11:21 – À partir du moment où vous êtes vrai, vous êtes vraiment vous-même, il n'y a pas d'art sans vérité.
11:29 Alors quelquefois, cette vérité apparaît comme nouvelle. Bon, c'était le cas avec Manet. Ça paraît nouveau.
11:37 Mais ça apparaît... Par exemple, quelquefois, c'est pas visible. Regardez Stendhal.
11:43 Stendhal était extraordinairement moderne. Mais tout le monde considérait que c'était un petit maître du XVIIIe.
11:50 Voilà. Donc vous savez, cette idée de modernité, je trouve que c'est une idée la plus absurde de notre époque.
11:56 – Rassurez-vous. Elle est finie. Elle est complètement à plat, la modernité.
12:00 – Mais je crois ce que je crois. Et j'aime beaucoup la phrase de Salvador Dalí dans les cocus du vieillard moderne,
12:07 qui disait « Ô peintre, ne te préoccupe pas d'être moderne, tu le seras hélas forcément ». Bon.
12:15 Non. Donc mon père était vraiment obsédé. Vraiment, ses maîtres, c'était non seulement les maîtres de la Renaissance,
12:25 mais c'était aussi bien sûr Ingres. C'était deux gars. Voilà. C'était un homme qui était très épris du dessin. Voilà.
12:33 – Pour lui, le dessin comptait énormément. – Alors, ceux qui nous écoutent et nous regardent
12:39 voient défiler certaines toiles de votre père qui ornent la pièce dont nous enregistrons cette émission,
12:47 qui est d'une très très grande beauté, enfin, et lumineuse. Vous avez donc organisé plusieurs expositions.
12:57 Il y a beaucoup de toiles de votre père au Petit Palais. Il y a eu une exposition dans la mairie du 6e arrondissement
13:05 qui a eu grand succès. Et puis il y en a une bientôt dans le 8e arrondissement. Et ceux qui sont parisiens
13:11 ou qui sont en province et qui viendraient à Paris, je les invite vivement à aller voir cette exposition
13:16 qui est au mois de juin, je crois. – Mai.
13:18 – Au mois de mai. Au moment où paraît ce livre « Entre père et fils » chez Gallimard, où vous racontez tout ça
13:27 avec beaucoup d'illustrations. C'est bien que le livre est somptueux. Alors, mais ce père, il prend des idées fantasques.
13:34 Par exemple, comment se fait-il que lorsque vous avez 5 ou 6 ans, il vous confie à une famille de Noirs-Montiers
13:41 parce qu'il y a aussi chez vous beaucoup de paysages français ? Il y a le Béarn, il y a des châteaux que vous avez vus disparaître,
13:48 de belles maisons de votre famille. Une, je crois, à Sicihan-Bri. Noir-Montier a eu un sort aussi un peu triste.
13:59 Mais à Noir-Montier, tout à coup, vos parents vous confient un couple, Jeanne et le Japonais, de gens pauvres,
14:11 pleins d'amour, et qui vous... pendant des années, qui vous élèvent dans un cadre entièrement différent de celui auquel vous êtes habitués.
14:20 Racontez-nous un peu cette vie très frustre qui marque votre enfance, quand même. – Oui, bien sûr. Mais qui lui a donné de la magie.
14:29 Parce qu'en effet, c'est l'histoire du petit pousset. Un jour, mes parents ont décidé de me confier. Donc à l'épée chauve de Noir-Montier,
14:35 j'avais 4 ans, jusqu'à l'âge de 8 ans. Pendant 4 ans, je ne retrouvais mes parents que l'été. – Quand ils venaient à Noir-Montier.
14:43 – Quand ils venaient à Noir-Montier. Et je dois dire, au début, ça a été un choc un peu violent de ne plus avoir mes parents.
14:49 Et puis petit à petit, je me suis habitué, parce que j'étais adoré par cette famille qui n'avait pas d'enfants.
14:56 Et le paysage de Noir-Montier, surtout à cette époque-là, c'était avant le fil de fer barbelé et toutes les constructions en rime
15:05 qui, depuis, ont dénaturé cette île magnifique. Il y avait la plage, il y avait l'océan, le vent. Et puis des gens vraiment adorables.
15:15 Et puis ce caractère, au fond, ce dénuement, on s'éclairait à la bougie. Il n'y avait pas de gaz, pas d'électricité.
15:25 – On vivait dans la cuisine. On a un grand poêle qui jouait un rôle énorme, parce que ce poêle sert à tout, tel que vous le racontez.
15:30 – On allait chercher l'eau dans le puits. Et ces pêcheurs, vraiment, qui racontaient beaucoup d'histoires.
15:39 Enfin c'était tout un univers que j'ai moi-même adoré, je veux dire. Et ça a été dur.
15:44 – Beaucoup plus que l'appartement du Montparnasse un peu triste.
15:49 – Voilà, du Louvre à Montparnasse, quand je suis revenu de Noir-Montier.
15:53 – À 8 ans. – Et là, j'étais confronté.
15:55 Au fond, je n'aimais pas tellement l'atmosphère des villes, d'autant plus que, comme j'avais été un peu chahuté dans mes études,
16:04 je dois l'avouer que j'étais complètement nul en classe. Nul en classe tellement nul qu'à un moment, au moment du passage en 6e,
16:15 le directeur du collège, Saint-François-Xavier, a dit qu'il fallait mieux... que j'étais un peu débile sur le plan scolaire,
16:23 qu'il fallait mieux me diriger vers l'apprentissage.
16:25 – Votre père était d'accord avec ça, d'ailleurs. – Et mon père était tout à fait d'accord.
16:28 Parce que nous avions un ébéniste dans la famille qui s'appelait Jacob Desmalters.
16:32 Et il trouvait très bien que je sois ébéniste. – Mais c'est encore de l'art, ça.
16:35 – Et c'est encore de l'art. Mais enfin, moi, j'ai refusé. Je voulais faire des études. J'ai toujours voulu...
16:39 Moi, je me rêvais en normalien, vous voyez. – Mais vous vous êtes toujours rêvé en écrivain,
16:44 parce qu'il y a une ténacité pour écrire, ensuite une ténacité pour publier, contre une certaine adversité, d'ailleurs.
16:52 Et ensuite, pour entrer à l'Académie française... – Non, parce que je crois... C'est peut-être mon père, justement,
16:59 par son seul défaut, enfin qui, pour moi, était un défaut, c'est-à-dire ne pas prendre sa vie en main
17:06 pour exister dans la société, qui m'a amené très tôt à me dire qu'il faut que je prenne ma vie en main,
17:13 donc je n'abdiquerai pas. Et ça a été le cas pour mes études. J'ai eu beaucoup de mal à avoir mon bac,
17:20 puisque je m'y suis pris à 5 reprises. Et ensuite, pour mon premier roman, quand j'avais 20 ans...
17:26 – C'est ce qu'on appelle la ténacité, oui. – J'avais 20 ans. Mon premier roman a été refusé par 13 éditeurs.
17:30 – C'est ça, c'est ça, c'est ça. – Mais j'ai eu quand même une intelligence de me comprendre
17:34 que ce refus tenait à la médiocrité du livre, parce que le livre était très mauvais, et que finalement,
17:39 c'était une chance. C'était une chance. – Et vous avez remis l'ouvrage sur son métier.
17:44 – Non, je l'ai jamais remis sur le métier. Il était raté. Bon, ça a été douloureux qu'il soit refusé.
17:50 – Ah, vous avez fait un autre ? – Mais bien sûr. Et là, j'ai attendu 10 ans.
17:55 Et quand ce livre a été accepté, à ce moment-là, j'ai compris que j'avais progressé. Et voilà.
18:01 Et celui-là a été digne d'être publié. Et quant à l'académie, c'est vrai, je me suis présenté, comme pour le bac, 5 fois.
18:07 Voilà. Mais c'était... – Et vous dîtes drôlement que vous étiez un peu inquiet le soir de votre élection,
18:11 parce que vous aviez eu plus de voix que Balzac. – Voilà. C'est ce que j'ai dit. Quand on m'a posé la question,
18:16 on m'a dit « Vous êtes... Enfin, vous êtes élu, vous êtes satisfait. » J'ai dit « Non, je suis inquiet.
18:19 J'ai eu 16 voix de plus que Balzac, qui avait eu 2 voix. » – Mon Dieu. Alors... Je sais pas si on parle tout de suite de l'académie.
18:28 Mais je voudrais quand même poursuivre le fil de votre vie, que l'on connaît assez facilement par vos livres.
18:36 Mais je sais pas si vous avez l'intention d'écrire des mémoires plus typiquement... Non, pas. Je vois, je vois. Vous dites non.
18:47 Comment est venu le... Alors il y a le journalisme. Il y a d'abord vos premiers livres. Il y a le journalisme.
18:51 Il y a le Figaro, qui joue un très grand rôle dans votre vie. D'abord, vous êtes un jeune journaliste un peu versé dans les choses politiques.
19:02 Et vous décrivez très jeune encore avec un petit peu de sens critique, beaucoup de recul en tous les cas.
19:10 Mais ça vous caractérise, comme votre père, d'ailleurs. Les mœurs sous Pompidou, Chaband-Elmas. Vous n'êtes pas très gentil avec Chaband-Elmas.
19:18 – Non, non, non, non, non, non. Au contraire, j'étais... – Ah bon ? – C'est peut-être le seul engagement politique que j'ai eu.
19:24 C'était en faveur de Chaband-Elmas. Non, non, j'étais très favorable à Chaband-Elmas. – Ah bon, bon, bon. Je me suis trompé.
19:30 Vous me taquinez un peu par-ci, par-là. – Ah oui. Mais j'ai toujours été critique.
19:33 – C'est comme Jean d'Ormesson, que vous connaissez au Figaro à ce moment-là. – Voilà. J'ai été égaliste et égaliste critique.
19:40 Mais je crois que l'amour, que ce soit homme, doit toujours être un peu critique. On doit toujours garder ses distances.
19:50 – C'est ça. C'est le recul, oui. Comment se fait-il que sa campagne que vous avez suivie en 1974 ait échoué,
19:58 parce qu'il finit à 15% alors qu'il était parti à 25% dans les sondages ? Vous avez suivi ça ?
20:02 – Bien sûr. Parce que j'étais journaliste politique à ce moment-là. Donc je l'ai tout à fait suivi.
20:07 Je crois que... On va pas refaire l'histoire. Je crois qu'il était, pour des tas de raisons, le rôle qu'a joué Jacques Chirac.
20:18 – Qui l'a trahi, tout simplement. – Oui. Et puis enfin, c'est toutes les divisions de la succession de De Gaulle.
20:25 – Oui. Que vous avez vécu douloureusement, au fond. Non ? Vous voyez, vous êtes gaulliste, mais vous avez vu le gaullisme dériver,
20:33 c'est le moins qu'on puisse dire, non ? – Non. Je dois dire... J'accepte la politique.
20:40 Et je ne suis pas... J'ai jamais été un militant politique au point de souffrir. D'autant plus que moi, je suis à la fois...
20:51 Disons, ma vision de la politique est très personnelle. Par exemple, j'ai eu une très bonne relation avec François Mitterrand,
20:57 qui aimait bien mes ouvrages, donc il m'invitait. On le voyait. Bon, j'ai eu une relativement bonne relation avec Valérie Giscard d'Estaing,
21:06 même si elles étaient plus barbelées, puisque j'avais reçu à l'Académie. Ça s'est pas très bien passé. Mais donc...
21:13 – Ah oui. C'est vous qui avez reçu Valérie Giscard d'Estaing, dans des conditions un peu controversées à la Guerre du français.
21:20 – Oui. J'avais un peu ironisé sur ses livres. – Sur son œuvre.
21:25 – Voilà. Mais disons, pour moi, la politique n'est pas l'essentiel. Et j'ai pu avoir des amis de tous les bords politiques.
21:34 C'est pas ce qui me... Il me semble que la politique a tendance à séparer les hommes et que l'art les rassemble. Et ce qui m'intéresse, c'est l'art.
21:43 – Ça, c'est très net chez vous. Vous distinguez les opinions politiques des êtres et l'affection que vous pouvez avoir.
21:51 C'est en chrétien que vous parlez, d'une certaine façon. – Oui. Mais vous savez, je crois que si on est français, on est forcément chrétien.
21:57 – Oui. – Bon, on est forcément chrétien. Moi, je suis pas... – Tu es pas un dévot.
22:03 – Je suis pas du tout un dévot, puisque je suis pas très pratiquant. Et j'ai des tendances au paganisme et au polythéisme.
22:13 Donc vous voyez, je suis un chrétien un peu spécial. – Il y a des consignations possibles.
22:18 – Et je n'oublie pas que le christianisme est né aussi de la part de la Grèce. Donc je serais un peu un chrétien à la manière...
22:26 Ça serait un peu prétentieux de ma part, de Châteaubriand. Un païen à l'imagination catholique. Et puis vous savez,
22:33 quand on est confronté aux questions artistiques, on se rend compte de quelle importance. Que Courbet ait été républicain,
22:43 que d'autres peintres aient été monarchistes ou des écrivains. – On oublie tout ça.
22:48 – Parce que ça n'a aucun intérêt. C'est intéressant pour les moments que l'on vit, mais ça crée des divisions.
22:57 Les divisions ne m'intéressent pas entre les êtres. – Vous n'avez jamais songé à faire de la politique ?
23:04 – Non. J'étais toujours passionné par la politique, mais passionné... – En observateur.
23:09 – Puisque j'ai écrit plusieurs livres. – Les Feux du pouvoir, par exemple. Livres par lesquels je vous ai connus.
23:15 C'était le premier livre que j'ai lu. – Mais parce que ce qui m'intéressait dans la politique, c'est pour ça que j'ai choisi,
23:20 dès le départ, d'être un journaliste politique plutôt qu'un journaliste littéraire, c'était que c'est un centre d'observation passionnant,
23:28 parce que les passions étaient démultipliées. Mais ça, c'est peut-être mon côté peut-être un peu classique.
23:35 C'est-à-dire c'est peut-être l'influence de Corneille, de Racine, qui plaçaient leur tragédie dans ce contexte
23:44 où les passions sont plus intenses qu'autour du pouvoir. Ce qui m'intéressait, c'était la question du pouvoir.
23:51 – Les passions qui se déchaînent. – Les passions qui se déchaînent, que stimule le pouvoir. Voilà. C'est ça.
23:58 Mais c'est peut-être cette imprégnation historique. Si vous voulez, moi, je suis un lecteur de Plutarch.
24:04 Et j'ai l'impression qu'aujourd'hui, il n'y a plus beaucoup d'écrivains qui disent Plutarch.
24:08 – Ah, les Stobbes, si. – Mais donc cette imprégnation, si vous voulez, de cette époque... D'ailleurs, le XIXe siècle,
24:21 je peux dire tous les écrivains que j'aime, que ce soit Balzac ou Stendhal, ce sont des écrivains qui tournent autour du pouvoir.
24:29 La question du pouvoir est vraiment centrale chez eux.
24:32 – Vous dites à propos de Stendhal, qu'un livre a joué un grand rôle pour vous, c'est « Le Rouge et le Noir ».
24:37 – Oui, c'est vraiment le premier livre de Stendhal que j'ai lu très très tôt, vers 13 ans, 14 ans.
24:43 Et tout de suite, Stendhal m'est apparu comme un écrivain à la fois joyeux, désespéré, et un écrivain de l'ambition.
24:54 J'ai toujours aimé les écrivains de l'ambition.
24:57 – Alors dans ces années 70, d'abord pour commencer, vous avez vécu dans une chambre de bonne,
25:07 dont vous parlez souvent dans plusieurs de vos ouvrages, qui a beaucoup compté pour vous.
25:12 Non seulement parce que c'était une chambre de bonne, mais aussi parce que vous y receviez beaucoup, si je puis dire.
25:18 Pardon de cette brutalité, mais il y avait beaucoup de femmes autour de vous.
25:24 – De grandes amours en tous les cas. Vous les racontez.
25:28 – Oui, je les racontais. Mais notamment dans un livre que j'ai intitulé « Nous ne savons pas aimer ».
25:35 Mais vous savez, quel est l'adolescent à 18 ans qui vit dans une chambre de bonne, qui n'est pas amoureux ?
25:45 Moi, j'étais amoureux. – Ah mais je crois que vous êtes un grand amoureux.
25:48 – Je suis un grand amoureux, mais je pense que l'amour a beaucoup de liens, de connexions avec la littérature.
25:55 D'abord parce que je crois qu'il y aurait très peu d'écrivains qui n'ont pas... Les passions pour les écrivains,
26:05 c'est vraiment un élément essentiel. C'est constitutif de la littérature.
26:11 Et on pourrait dire que l'amour doit également beaucoup à la littérature.
26:15 Je crois que les gens ont aimé parce qu'ils ont lu des livres. Voilà. Et je crois que la naissance de l'amour...
26:22 – Et moi, ils lisent. Moi, ils aiment. – Mais c'est-à-dire qu'ils aiment d'une façon plus vulgaire
26:28 et plus brutale que s'ils avaient lu. Quand on a lu « La chartreuse de Parme », quand on a lu « Tristan et Iseult »,
26:35 on aime forcément d'une autre façon. Et je pense réellement que l'amour que nous éprouvons, eh bien il a gardé des impressions,
26:48 des couleurs, des parfums qui viennent des livres qu'on a lus. Voilà. Et je peux même vous dire que...
26:59 Parce que vous dites que j'ai connu un certain nombre de femmes comme tout le monde. – Vous avez un peu le reprocher.
27:06 Mais vous l'écrivez. – Comme tout le monde. Oui, je l'ai. Non, mais je l'ai écrit parce qu'écrire sur l'amour,
27:11 c'est aussi une façon de se connaître soi-même. Je crois que l'importance que j'ai accordée à l'amour,
27:19 c'est l'importance que l'autre accorde à Dieu. L'amour a été, comme disait un père de l'Église,
27:26 il dit « Dieu est la forme de mon espérance ». Eh bien l'amour a été la forme de mon espérance.
27:30 Tout ce que j'ai aimé, c'est à travers la littérature. Voilà. Et que la littérature a été vraiment l'essentiel de ma vie.
27:38 Et la grande chance que j'ai eue, c'est de pouvoir faire de cette passion une vie. C'est que j'ai pu à la fois vivre de mes livres
27:49 et de mes articles dans les journaux. Donc c'est une très très grande chance de la vie, c'est-à-dire n'avoir jamais eu le sentiment
27:57 un seul instant que je devais travailler. J'ai eu le sentiment de n'avoir jamais travaillé. – Ni le sentiment de l'ennui.
28:04 – Enfin jamais le sentiment de l'ennui. – Il y a trop de choses à lire pour trop s'ennuyer.
28:07 – Mais surtout, ce qui est quand même assez rare, c'est de se dire « Tiens, maintenant, il faut que je travaille ». Eh non.
28:13 Pas question. Comme votre père, d'ailleurs. Mais dites-moi, arrêtons-nous là-dessus. Que serait une vie sans littérature ?
28:21 C'est pas une question théorique. Beaucoup de nos contemporains ne lisent plus. Il faut les plaindre, il faut les exhorter.
28:28 – Non. Je n'aurais pas ce regard. – Bon, écoutez, je connais des jeunes qui refusent obstinément de lire.
28:34 – C'est vrai à toutes les époques. Vous savez, à mon époque, quand j'avais 18 ans, nous étions dans une quarantaine d'élèves dans ma classe.
28:47 Nous étions 4 à être vraiment des fous de littérature. Et encore aujourd'hui, vous savez, moi, j'ai quelques jeunes gens
28:56 et jeunes filles de 25 ans qui m'écrivent pour mes livres, qui quelquefois sont intéressés par ce que j'écris.
29:07 Eh bien je peux vous dire... Je me rends compte que ce sont des gens très cultivés. À toutes les époques, il y aura des gens qui...
29:14 Il y aura des gens qui ont vraiment de la littérature, qui deviendront des fous de littérature. C'est le climat général qui n'est pas favorable.
29:25 Et on le sent bien, puisque c'est le climat de la télévision, le climat... Les valeurs. Les valeurs sont les valeurs sportives aujourd'hui.
29:34 C'est le foot. Et on voit bien, il y a un matérialisme, parce qu'il y avait un lien très intéressant, sur lequel on n'a pas insisté,
29:45 entre le spirituel, le religieux et le littéraire. Voilà. — Et l'art, en général. — Et l'art, voilà. Et donc parce que c'est un lien immémorial.
29:55 Et c'est sûr que... Puisque l'art, au départ, a été... Si l'homme s'est mis à dessiner sur les parois d'une caverne,
30:04 c'est d'une certaine façon pour rendre hommage à un dieu, à une puissance supérieure. Donc il y a toujours eu un lien entre le spirituel et l'art.
30:13 Et aujourd'hui, nous sommes dans une époque très très matérialiste. C'est effrayant à quel point le matérialisme nous a complètement envahis.
30:24 Et ça, c'est vrai que la conséquence, c'est le caractère, la désaffection générale dans les familles.
30:35 — Comment l'expliquez-vous ? — Il y a aussi la disparition de ces grandes familles qui avaient une tradition artistique très forte,
30:44 qui invitaient... On le voit à l'époque de Paul Valéry, qui était invité partout, François Mauriac, qui avait des dîners chez des gens très riches,
30:53 la duchesse de la Rochefoucauld, Martin de Fels, Paul le Beaumont. Tout ce beau monde fortuné invitait les écrivains,
31:01 les faisait rencontrer avec des industriels. Enfin voilà. Il y avait un mélange qui n'a plus aujourd'hui,
31:05 puisque ces grandes familles, en général, sont parties. Elles sont parties à l'étranger. Elles ne sont plus là.
31:10 — Leur patrimoine un peu abandonné. C'est le cas du patrimoine familial. Vous m'avez dit... Je sais pas si je peux répéter cette phrase.
31:17 Vous m'avez dit ça hors micro. Elle est très cruelle. J'ai vu disparaître tout le patrimoine immobilier de ma famille.
31:25 — Oui. — Des maisons qui brûlent, des maisons qu'on vend. — Si vous voulez. Et je vous ai cité la phrase de Monterland.
31:34 « Il n'y a de stable que la disparition des choses ». Moi, vous savez, je ne vais pas me plaindre. Moi, j'ai vu en effet beaucoup de tableaux
31:42 que j'ai vus chez ma tante Julie. Elle avait 13 manets chez elle. Bon. Et beaucoup de choses chez mon grand-père,
31:49 chez mes arrière-grands-pères. Mais vous savez, je pense à tous ces gens qui ont tout perdu. Je pense aux Russes qui ont quitté la Russie,
31:58 qui ont tout perdu, aux tous ces gens qui ont été déplacés. Vraiment, il y a eu trop de gens qui ont tout perdu à beaucoup d'époques.
32:05 Moi, quand je crois l'important, c'est d'essayer d'être attaché à ce qu'on ne peut pas perdre. Et ce qu'on ne peut pas perdre, justement,
32:15 eh bien ce sont les livres, c'est la culture, ce sont les œuvres d'art qu'on peut regarder dans justement des reproductions.
32:24 C'est pour ça que j'ai donné beaucoup de tableaux dans les musées, parce que je pense que c'est ça qui est important.
32:30 C'est que les œuvres d'art puissent être à la disposition de ceux qui les aiment. Voilà. Mais je trouve que ce qu'il y a de formidable
32:41 dans la littérature, c'est que vraiment, un livre, c'est un élément magique qui vous permet à la fois de vous comprendre vous-même,
32:52 de comprendre tous ceux qui vous ont précédés et d'essayer de décrypter l'avenir. Donc voilà, c'est ce qui compte.
32:58 Les biens matériels qu'on peut perdre, ça fait partie de l'existence. Puis il y a un bien, un jour... De toute façon...
33:04 — Tous les siècles ont été destructeurs. — Et puis il y a un jour, on va tout perdre. C'est le jour où on meurt et il ne reste plus rien.
33:09 — Vos relations avec Jean Dormeson, donc, vous les esquivez. Elles ont été tumultueuses, parce que vous vous êtes beaucoup engagé aussi,
33:16 pour des causes, tout le monde sait. — Oui, mais pas seulement. Non, je crois que c'est, si vous voulez, une des relations...
33:21 J'ai écrit tout un livre, un dictionnaire amoureux de Jean Dormeson, où je raconte toutes les péripéties de cette amitié
33:28 qui a commencé très tôt à l'âge de 18 ans, puisque dans une famille où nous étions amoureux des deux sœurs. Bon, bon, bon. Et puis ensuite...
33:37 — Ah, c'était ça, votre amitié avec Dormeson ? — Oui. Non, c'est le départ. Mais comme il était plus âgé que moi, à ce moment-là,
33:44 je le voyais passer dans cette famille. Mais lui, il me voyait pas, si vous voulez. Et donc je l'ai retrouvé plus tard, quand j'ai écrit un article
33:57 dans le FIARO sur... Mais lui n'y était pas, sur Gabrielle Russier en 69, son professeure qui était amoureuse d'un élève et qui finalement s'est suicidée.
34:09 Et donc il m'a téléphoné et il m'a invité à déjeuner. Et c'est là qu'a commencé notre amitié. Et je l'ai proposé à certains des rédacteurs,
34:19 parce que j'étais militant à la Société des rédacteurs de FIARO, comme directeur de FIARO. Et il se trouve que cette proposition a marché.
34:26 Il est devenu directeur de FIARO. Et là, nous avons eu des problèmes, parce qu'il était pas fait pour être directeur de FIARO,
34:32 il était pas fait pour les choses matérielles. Et comme je m'étais beaucoup engagé dans des causes folles pour attaquer les compagnies...
34:39 J'avais attaqué les compagnies pétrolières qui mettaient la France en coupe réglée. Et là, lui, c'était un homme qui était beaucoup plus patronal,
34:47 et puis qui n'était pas pour le scandale. Voilà. Et donc nous avons eu des difficultés. J'ai oublié de quitter le FIARO.
34:54 Et puis nous nous sommes retrouvés un peu plus tard. Et puis à ce moment-là, il m'a aidé à revenir au FIARO à l'époque d'Air Sans.
35:03 Donc j'ai dirigé le FIARO littéraire. Alors là, notre amitié était sans nuages. Au contraire, c'est une des plus belles choses de ma vie,
35:12 parce que l'amitié de Jean Ramos-Sauve, c'est une amitié extraordinairement gaie. Voilà. Nous rions énormément.
35:19 On avait des conversations, comme vous imaginez, qui n'étaient pas médiocres, mais en même temps, dans le rire.
35:27 — Vous lui avez consacré un livre, d'ailleurs. — Et dans de beaux paysages, notamment en Corse. Et on se baignait ensemble dans la baie de Saint-Florent.
35:34 Et on riait tellement qu'on a failli se noyer plusieurs fois, parce que tellement on riait. — Ah bon ?
35:39 — Vraiment, c'était... Le rire entre nous, c'était... Et je me souviens, à chaque fois qu'on se téléphonait, je sais pas, 3 fois par semaine,
35:47 mais dès qu'il appelait, sa voix, immédiatement, on avait envie de rire. Voilà. On avait... Mais vraiment, c'était d'une gaieté, d'une joie. Voilà.
35:56 — Mais alors au passage, vous avez signalé une de vos premières batailles contre les CEPAMAS, les compagnies pétrolières françaises.
36:04 Ça, c'est tout vous, parce que vous dites que vous êtes chrétien, très héritier de la Grèce et épris de la liberté. C'est-à-dire qu'au fond,
36:15 vous n'avez pas calculé les inconvénients que ça pouvait représenter pour votre carrière que de vous attaquer aux pétroliers.
36:20 Et vous y êtes allé. Et vous l'avez fait à plusieurs reprises, comme ça, avec beaucoup de liberté. — Oui, mais si on prend trop de précautions
36:28 avec soi-même, avec les choses, à ce moment-là, on ne fait rien. On ne fait rien. Et moi... — Bah il y a beaucoup de gens qui ne font rien.
36:34 — Oui, mais... Regarde. Mais si on ne fait rien, d'abord, on s'ennuie. Et puis être journaliste, si on n'est pas un journaliste qui a envie
36:44 de faire bouger les choses et d'aider les autres, à quoi ça sert ? Ça sert strictement à rien. On devient un petit fonctionnaire.
36:51 Et on sombre dans la médiocrité. Donc moi, c'était pas mon but. Donc à chaque fois, j'ai pris des risques. Je savais très bien que je prenais des risques.
37:01 Pendant un temps, on avait coupé une compagnie pétrolière. — La preuve, vous avez perdu le Figaro. — J'ai perdu le Figaro. Mais en même temps,
37:06 j'y suis revenu. Et ensuite, au bout de 20 ans, quand je me suis à nouveau engagé dans l'affaire Omar Haddad et que j'étais obligé
37:12 une nouvelle fois... J'étais viré du Figaro une deuxième fois. Je savais très bien que ça m'amènerait des ennuis. Mais cette passion pour la justice,
37:25 si elle n'existe pas, la vie n'a pas d'intérêt. La vie est fade. Et quand je suis passé... Parce que j'étais en plus condamné...
37:34 — Mais vous avez été condamné après à propos de... — ...condamné à 100 000 euros de dommages à intérêt.
37:37 — Omar Haddad. — J'ai été traité de tous les noms, de tous les noms, à la 17e chambre par les magistrats. Eh bien au fond, c'est une expérience.
37:45 Et je savais très bien, en m'engageant dans cette affaire, que j'aurais des inconvénients. Mais ces inconvénients, vraiment, je ne les regrette pas,
37:53 parce que ce qui compte dans une vie, c'est d'avoir assumé ces passions. Voilà. Ces passions. Et comme journaliste, ma passion,
38:02 c'est d'aider les gens qui étaient malheureux. Voilà. — C'est tout à fait votre père. Est-ce que vous vous rendez compte
38:08 qu'il y a quelque chose de très paternel dans votre manière d'être au monde, c'est-à-dire un peu d'indifférence aux conséquences matérielles,
38:15 mais vous poursuivez ce qui est l'essentiel de la vie avec beaucoup de détachement vis-à-vis de tout le reste ?
38:20 C'est le portrait que vous faisiez de votre père, enfin. — Oui. Sauf que lui... — Non. Lui, ça pouvait être grave.
38:25 — Est-ce que vous avez des conflits avec lui en passant ? — Je dirais que mon père n'était pas inséré dans la société. Et c'est peut-être...
38:34 Il m'alléguait deux choses. Une chose positive, c'était, disons, de l'amour de l'art. Se dire que la vie n'a aucun intérêt si on ne se concentre pas à l'art.
38:47 — À une passion. À une passion. — Ça, c'est... Vraiment, cette passion, ça, c'est... Il me l'alléguait. Mais il m'alléguait, sans s'en rendre compte,
38:54 autre chose, c'est d'être très différent de lui sur le plan de la société, de l'engagement de la société. — Ah oui. Ça, vous l'avez émis.
39:01 — Lui, il était en dehors de la société. Il ne la voyait pas. Il ne voyait pas la grande société. — Il n'allait pas sur la plage.
39:07 — Voilà. Il était complètement de façon solitaire, marginal. Et moi, j'ai réagi à ça parce que je ne voulais pas connaître la vache enragée.
39:18 À la fois, je voulais pas être riche. Je voulais pas être rentré à la banque Lazare. Je voulais pas devenir banquier ou notaire. Non, non.
39:27 L'argent ne m'a jamais beaucoup intéressé. Mais ce que je voulais, en tout, c'était m'engager dans la société. Et c'est pour ça que je suis passé
39:38 à un moment très rapidement dans la franc-maçonnerie. C'était vraiment un engagement... — Ah, vous êtes passé dans la maçonnerie.
39:43 — Oui. Mais très peu de temps. — Ça, c'était un engagement social, alors, pour le coup. — Oui, oui, oui. Mais...
39:47 — C'était une recherche de sociabilité. — Voilà. De sociabilité. Et donc... — Et ça a duré peu de temps, pas mal.
39:54 — Ça a duré 2 ans. Donc c'était... — Ça vous a barbé un peu, non ? — Non, la franc-maçonnerie, c'était pas fait pour moi.
40:00 Mais dans la mesure où j'appartenais à une famille qui était très hostile à la franc-maçonnerie, j'ai été très heureux de connaître
40:09 cette expérience, parce que ça a levé un tabou. Ça a levé... Voilà. Je me suis dit... Voilà. J'aime ne pas avoir d'a priori sur les choses.
40:18 — Très bien, très bien. — Mais enfin donc moi, je me suis jeté un bras-le-corps dans la société, si vous voulez. Le fait...
40:25 On n'arrive pas à l'académie si on est passé à côté de la société. Donc cette ambition, cette forme d'arriviste que j'ai,
40:36 je l'ai héritée bizarrement de mon père. — Oui, en réaction. — En réaction. — Mais écoutez, un arriviste ne fait pas ce que vous faites.
40:45 Un article violent contre les compagnies pétrolières... Vous avez eu affaire à un cas d'un pauvre personnage spolié qui vous a touché à Nice, je crois.
40:54 Et puis Ardad... — Omar Radad, en fait. — Omar Radad. Excusez-moi, j'ai estropié son nom. Là, vous vous êtes jeté un corps perdu contre la justice.
41:06 Donc ne parlez pas d'arriviste, s'il vous plaît, parce que personne ne fait ça quand il veut arriver. — Je dis « arriviste » pour que vous me disiez le contraire.
41:13 — Mais vous disiez même le contraire. — Non, pour le pas. Pour le pas, non. — Vous avez attaqué la justice, d'ailleurs. Vous êtes dur avec la justice française.
41:20 Vous trouvez qu'elle est souvent arbitraire, en réalité. Omar Radad n'était qu'un cas parmi d'autres. — Oui. Mais enfin disons...
41:29 Vraiment, dans ces combats, j'avais besoin de ces combats, parce que je trouve que ce qui est la faculté principale d'un homme, c'est l'indignation.
41:46 Et je crois que... — Ça, vous l'avez. — Voilà. Moi, cette indignation, je l'avais. Alors en s'indignant, on court quelques risques.
41:54 Mais on court encore plus de risques en restant dans son coin, dans cette forme d'égoïsme qu'encourage la littérature, le fait d'écrire.
42:06 Quand vous êtes un écrivain, vous êtes dans votre monde. — Et à la recueil. — Et vous avez tendance à, finalement, ne voir que ce qui intéresse cette œuvre,
42:15 comme une femme enceinte qui ne pense qu'à son enfant. Elle oublie tout le reste. — C'est encore une fois votre père, ça, qui est tout centré sur son art.
42:24 — Excusez-moi. — Et moi, j'ai essayé de me détourner de ce caractère égoïste de l'écrivain. Égoïste, mais pas toujours,
42:33 parce que quelquefois, il pense à son œuvre, parce qu'il a la conscience de sa portée universelle. Et puis moi, je ne donne de leçons à personne.
42:42 Je peux très bien comprendre que des gens n'aient pas du tout envie de s'engager dans des combats sociaux. C'est pas mon cas, mais je le comprends très bien.
42:48 J'ai adoré Julien Gracq, qui n'était jamais lancé dans aucun combat social. — Il était en dehors de tout, oui.
42:53 — Mais autrement, ces combats, voilà. Moi, je suis très heureux de les avoir menés, comme Mauriac. Vous avez plusieurs fois cité Mauriac.
43:02 — Mais c'est vrai. Je me sens très... Je me sens un grand parenté. — Vous étiez proche de ce point de vue-là, de Mauriac.
43:06 — Il s'engageait vraiment dans les combats politiques, pour le coup, en jouant une partie de sa notoriété, en faisant beaucoup d'ennemis, en tout cas.
43:14 Vous vous êtes fait des ennemis avec ces affaires judiciaires dans lesquelles vous intervenez, non ?
43:18 — Oui, mais enfin, vous savez, il y a une grâce d'État qui fait que les coups qu'on prend, on s'en fiche. Voilà.
43:27 — Le résultat, c'est que vous entrez à l'Académie. Chose étrange, vous êtes élu pour la cinquième fois... Enfin, votre cinquième candidature,
43:37 2 jours après la mort de votre père, justement. Nous y revenons. Il ne vous a pas vu académicien. Et alors là, le combat continue,
43:44 parce que vous nous dites... Encore une fois, je fais référence à un entretien que vous avez bien voulu donner au Nouveau Conservateur.
43:51 À peine entré à l'Académie, vous vous engagez dans un combat qui était déjà en vous, mais dont vous faites un étendard.
43:58 C'est la défense de la langue française contre le franglais. Vous êtes un peu déçu de ce point de vue-là par le côté moins combattant
44:05 que vous aviez voulu de l'institution de Quai-Compty, n'est-ce pas ? — Non. Toutes les institutions ont leur pesanteur. C'est comme ça.
44:15 Et l'Académie française, qui a vraiment 3 siècles d'âge, est une vieille institution. Moi, je considérais que le combat amené aujourd'hui,
44:30 depuis 50 ans, depuis la libération, enfin, pour dire... Puisque c'est le moment où la civilisation américaine a envahi, finalement, la société française.
44:43 — Vous la pointiez, la civilisation américaine. — Voilà. Oui, oui. Et qu'on a bien vu l'invasion par les films américains, par Disneyland, par...
44:51 C'est invraisemblable. Je veux dire que pourquoi... — Par la télévision. — Par la télévision. Par tous les moyens, il y a eu une colonisation américaine.
45:01 Et avec cet aspect, sur le plan de la langue, très néfaste, l'arrivée du franglais dénoncé très tôt dans le livre d'Étiemble.
45:14 — Parlez-vous franglais ? En 1963 ou 1964 ? — Oui, très ancien. Et donc quand je suis rentré à l'Académie française, je pensais que l'Académie allait...
45:25 Ce qui était normal, puisqu'elle est chargée de défendre la langue française, eh bien immédiatement, être comme moi, vouloir à tout prix lutter contre cette invasion.
45:35 Et disons... Ça a été très modéré de son côté. Elle n'a pas répondu à ma passion... — Comme vous êtes gentil. Très modéré. Très modéré.
45:43 — Elle n'a pas répondu à ma passion comme j'aurais souhaité qu'elle le fasse. Mais qu'est-ce que vous voulez ? Je l'accepte en même temps,
45:50 parce que c'est une communauté. Et puis moi, j'ai trop montré que je voulais rentrer à l'Académie pour maintenant...
45:58 — T'apprécie. — ...jouer les déçus. Non, c'est normal. Mais ça m'a pas empêché d'écrire un certain nombre d'articles...
46:04 — Oui. Assez virulents. — Assez virulents pour dire à quel point je trouvais que les pouvoirs publics... C'est eux qui sont les vrais coupables.
46:14 — Mais c'est eux que vous voulez secouer, justement. — Oui. Eh bien les pouvoirs publics étaient indignes de laisser disparaître la langue française,
46:23 qui, dans quelques années, la langue que nous avons parlée deviendra une langue morte. Donc on est en train de voir mourir la langue française.
46:31 — Oui. Je vous ai vu plusieurs fois pessimiste sur le sujet. Nous glissons vers la situation anglaise, où vous savez que des auteurs du XIXe ou du début du XXe,
46:41 encore Mérédith par exemple, sont traduits en anglais moderne et sont vendus, si on lit encore Mérédith en Angleterre, dans une version traduite,
46:53 parce que c'est plus le même anglais à un peu plus d'un siècle d'intervalle. Ça arrivera un jour. La langue française, ça commence à arriver, d'ailleurs.
47:01 On traduit des classiques dans la langue d'aujourd'hui pour qu'ils restent accessibles. Ça veut dire que la langue s'étiole.
47:09 Mais même dans le discours politique, il y a beaucoup d'hommes politiques qui parlent une langue qu'on ne comprend pas, qu'on ne comprend plus,
47:18 puisque c'est une sorte de sabir avec un mélange de termes techniques et de termes franglais.
47:24 — Alors racontez-nous deux combats plus ou moins perdus au sein de l'Académie. D'abord, vous avez souhaité que... Lorsque vous avez...
47:34 Vous vous êtes rendu compte que les cartes d'identité seraient bilingues. Vous avez souhaité que l'Académie, cette fois, marque le coup de façon spectaculaire
47:43 et entreprenne une action en justice sur le fondement de la loi Toubon. — Moi, je n'étais pas le fer de lance de cette campagne sur la carte d'identité.
47:56 — Et qui était-ce, alors ? — C'était un ensemble d'académiciens qui... C'est pas moi. C'est pas moi. Il faut rendre à chacun...
48:03 — D'accord. Mais qui ? Vous ne vous souvenez pas ? — Mais en ce qui me concerne... Non, parce que moi, je considère que le combat était plus vaste.
48:10 — Oui, oui. — Le combat était... Et j'étais pas pour un recours en justice contre le Premier ministre. Voilà. Mais enfin bref, on va pas rentrer dans les détails.
48:19 Donc moi, le combat que je voulais que l'Académie mène, c'est le combat en faveur de la loi Toubon. Voilà. C'est ça, le coup de faire.
48:31 — À peine respecté. — Mais qui est pas du tout respecté. Et même les tribunaux... — Quelques fois, il y en a. Il y a des tribunaux qui retrouvent la loi Toubon
48:41 pour faire en sorte que les communications de tous les produits vendus soient aussi en français, avec au moins une traduction en français.
48:48 C'est la moindre des choses. Mais cette loi Toubon a été édulcorée. Elle est en train de passer à la trappe. Et ça, c'est la seconde bataille.
48:57 Alors là, pour le coup, elle vient de vous. Ne me dites pas le contraire. Vous avez suggéré qu'une commission fasse un état des lieux
49:08 de l'usage du français et du mésusage du franglais dans le monde politique et les institutions publiques.
49:17 — Racontez-nous cette aventure. Elle s'achève ces temps-ci, d'ailleurs. — Oui. Donc il y a une commission. Un rapport est issu de cette commission remarquable,
49:30 d'ailleurs, qu'on peut se procurer sur Internet, sur l'invasion du franglais dans les institutions, c'est-à-dire voir comment
49:42 toutes les grandes institutions françaises ne parlent plus vraiment français mais parlent en franglais. Mais là où, à mon avis,
49:51 l'Académie a manqué de – disons – courage, c'est que moi, j'avais proposé qu'on soumette ce rapport...
50:01 — Au candidat. — Au candidat à la dernière élection présidentielle. — L'année dernière, en 2022.
50:05 Et disons pour des raisons que je ne comprends pas, parce que c'était la façon de populariser ce combat et de montrer à l'opinion
50:18 que nous étions conscients de la gravité de l'invasion du franglais. Eh bien l'Académie ne m'a pas suivi.
50:28 — Vous avez demandé une conférence de presse. Et vous n'étiez pas engagé pour populariser.
50:32 — Et c'est vrai que l'Académie freine un peu. Je ne sais pas pourquoi. C'est mystérieux. Mais sur les pesanteurs...
50:37 Vous savez, je suis pas là... Je suis pas en train de me plaindre. Je dis que c'est dommage pour l'Académie de ne pas saisir ce combat qui va de...
50:51 Puisque elle a été créée pour cette défense du français, quand ce français est menacé, et qu'elle ne mette pas tout son poids
51:00 dans la balance pour essayer de... Disons de lutter contre cette dérive mortelle.
51:09 — Alors nous arrivons hélas au terme de cet entretien. Mais j'aime beaucoup converser avec vous, je dois dire.
51:16 Vous l'avez fait 2, 3 fois, à Radio-Côte d'Ivoire, une de mes émissions. La question peut-être est un peu plus grave.
51:24 Pour finir, il faut défendre le français. Bien sûr, très menacé. Mais le français peut-il survivre longtemps sans la France ?
51:34 La grande question n'est pas. Aussi, la survie comme nation indépendante, libre parmi les nations du monde, comme disait le général de Gaulle,
51:45 n'est-ce pas là le cœur du cœur du cœur de ce qui nous reste à faire ? La langue suivra. Certes, la francophonie prend le relais.
51:55 L'Afrique... Enfin le français progresse en Afrique, etc., etc., bien qu'il perde un peu de son unité, justement,
52:03 que l'Académie a protégée pendant 3 siècles, même presque bientôt 4 siècles. Mais sans la France, si le socle est fêlé, c'est-à-dire la France,
52:12 qu'arrivera-t-il ? Et qu'avons-nous à faire ? Est-ce que nous avons à contempler, Jean-Marie Roy, ce qui va arriver ?
52:20 Vous savez la phrase de Bergson. « L'avenir n'est pas ce qui va arriver. C'est ce que nous allons faire ». Qu'est-ce que nous pouvons faire pour la France ?
52:29 Alors c'est vrai qu'il y a un lien extrêmement profond, difficile d'ailleurs à discerner, entre la France et la langue française.
52:40 Et pour moi, la beauté de la langue française, qui est la beauté esthétique, est en même temps... Puisque c'était la tradition, justement,
52:55 de l'Antiquité, la reprise par le christianisme, la vérité par la beauté. Mais il y avait une vérité, justement, dans cette langue française,
53:09 ce qui a amené tellement d'hommes à se convertir au français. Je pense à Ionesco, à Romain Gabri, à Churon...
53:19 — À Patrice, la langue française, à Polymer. — À Polymer, oui. Parce qu'ils avaient compris que c'était une langue très très belle, un chef-d'œuvre,
53:27 mais qu'en même temps, c'était une langue qui était porteuse de valeurs, principalement la valeur de liberté, la valeur d'universalité.
53:39 Et en même temps, elle avait cette valeur de tolérance. Voilà. Je crois que c'est les 3 mots qui sont la langue française, qui sont la France.
53:49 Et vous savez que la France, c'est quand même un pays qui a été le premier à interdire l'esclavage en 1315.
53:57 — Oui, oui, oui. Même avant, d'ailleurs. En tous les cas, rend libre. — Le solde de France rend libre l'homme qui le touche.
54:06 Donc c'est profondément cet esprit de liberté qui précède très largement la Révolution. Donc c'est pas la Révolution qui a donné ce sentiment de la liberté.
54:19 C'était en France. C'était vraiment quelque chose de français. Donc c'est juste... Je crois que c'est une erreur de la part du gouvernement,
54:29 du pouvoir actuel, ce qui concerne la francophonie, de chercher maintenant qu'il y ait plusieurs Français, qu'on accepte que la langue française
54:41 puisse être issue d'énormément de pays francophones. Non. Je crois que le français doit partir de la France, puisqu'il incarne,
54:52 si vous voulez, il y a un point central qui est cette source des valeurs françaises. — Voilà. Mais puisque c'est le socle, que faire pour elle ?
55:03 — Bon, attendez. Moi, je ne suis pas président de la République. — Je vous pose une question. — Non. Je crois que...
55:09 — La plus difficile qui soit. — L'important, c'est d'essayer de vrai... Déjà de s'aligner. Déjà de s'aligner et d'essayer autant qu'on le peut
55:21 de montrer que cette question de l'identité française, ce qui est tellement difficile à défendre, puisque nous sommes maintenant dans l'Europe.
55:29 Nous sommes à la fois dans l'Europe, mais en même temps, on construit un porte-avions de 12 milliards. Bon, c'est un peu bizarre.
55:37 Mais enfin on est en pleine contradiction. Mais on est dans l'Europe. Et vous savez bien que l'idée de nation s'effondre.
55:44 Et je crains que la langue française, que l'Europe n'aime pas la France pour cette raison. D'abord parce que c'est un État extrêmement fort.
55:54 C'est le plus ancien État. Et ensuite parce qu'il y a dans cette langue française une ancienneté. Il y a une magie dans le monde.
56:06 La France continue d'avoir une extraordinaire magie dans le monde. On l'a vue au moment d'ailleurs de l'invasion de l'Irak,
56:13 quand Villepin est intervenu aux Nations unies. — Vous étiez heureux. — On a vu... Non, mais...
56:19 Disons que c'était intéressant, parce qu'on a vu... — Le retentissement. — Mais ce combat que je mène, c'est pas un combat cocardier.
56:26 Moi, je suis pas vraiment étroitement lié à la France. Mais c'est parce que je considère que la France, justement, est une valeur universelle.
56:36 — Vous l'êtes par tous les ports de votre peau, lié à la France. Vous êtes extraordinairement français. — Oui. Non. Oui. Mais attendez.
56:41 Non, non. Je suis extraordinairement français. Mais vous ne m'empêcherez pas d'admirer énormément des peuples étrangers.
56:48 J'admire les Indochinois. J'admire... — Bien sûr. Mais... — Tout peuple... — Il faut s'aimer soi-même pour aimer les autres.
56:55 — Mais en même temps, je considère que perdre cet acquis formidable de la France et cette image formidable acquise au cours des siècles,
57:03 eh bien c'est vraiment du gâchis. Voilà. — Vous me faites penser à une phrase du général de Gaulle, pour finir, qui le disait à propos de l'euclésio, je crois.
57:14 « Tout écrivain qui écrit et qui écrit bien sert la France ». Et vous êtes un serviteur de la France exemplaire, Jean-Marie Roy.
57:23 Merci de nous avoir accordé cet entretien, de nous avoir reçus chez vous. Merci de nous avoir parlé de votre père et annoncer une exposition prochaine
57:31 à la mairie du 8e arrondissement de Paris. On peut voir aussi des tableaux de votre père au Petit Palais. Et puis on lira ce livre
57:40 « Entre père et fils », publié ces jours-ci aux éditions Gallimard. Tout est foisonnant chez vous. Continuez et servez la France par la langue,
57:50 comme vous le faites si bien. Merci encore pour votre accueil. — Merci.
57:56 (Générique)