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Les artistes sont-ils de bons personnages de roman ? C'est bien ce qu'il semble, à en croire les deux écrivains que reçoit Claire Chazal pour ce nouveau numéro de « Au bonheur des livres » : Grégoire Bouillier pour « Le syndrome de l'Orangerie » (Ed. Flammarion) et Guillaume Perilhou pour « La couronne du serpent » (Ed. de L'Observatoire), des livres particulièrement remarqués en cette rentrée littéraire et chacun d'une originalité captivante.Le premier s'intéresse aux fameux « Nymphéas » de Claude Monet, sous la forme d'une enquête (presque) policière, pleine d'humour, de science et de suspense : quel secret se cache donc derrière cette extraordinaire série de panneaux peints par l'artiste pendant des décennies ? Le second est tout aussi interrogatif et passionnant, en se confrontant aux mystères d'un créateur aussi génial et torturé que le cinéaste Luchino Visconti, au moment où il réalise « Mort à Venise » et recherche l'adolescent - sa victime - qui incarnera à l'écran le jeune Tazzio ...Deux regards sur l'art et ses faces sombres, et un échange particulièrement stimulant, drôle et vivant, sur ce que peut être le meilleur de la littérature aujourd'hui ! Année de Production :

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Transcription
00:00Retrouvez « Au bonheur des livres » avec le Centre National du Livre.
00:04Générique
00:23– Bienvenue dans l'émission littéraire de Public Sénat,
00:26je suis ravie de vous retrouver pour une nouvelle édition
00:28d'« Au bonheur des livres », vous le savez ici,
00:30notre souhait c'est de donner envie de lire des livres
00:33et bien sûr de découvrir ou de mieux connaître leurs auteurs.
00:37Alors nos deux invités ont été très remarqués
00:39en cette rentrée littéraire,
00:40comme d'ailleurs la plupart de nos invités,
00:42mais ils ont été remarqués par leur originalité.
00:44Après avoir parlé l'un et l'autre dans leurs précédents ouvrages
00:48d'eux-mêmes, on en dirait un mot bien sûr,
00:51ils se sont intéressés à de grandes figures de l'art.
00:54Alors il y a Claude Monnet pour Grégoire Bouillet
00:57qui est l'un de nos invités,
00:58qui publie « Le syndrome de l'orangerie » chez Flammarion.
01:01Et puis pour Guillaume Périlous, c'est le réalisateur italien
01:04Lucchino Visconti qui l'a intéressé.
01:07Et là c'est aux éditions de l'Observatoire,
01:09ça s'appelle « La couronne du serpent ».
01:11Alors je précise juste que votre livre Grégoire Bouillet
01:13il est toujours dans la liste du Renaudot.
01:15– En effet.
01:17– Voilà, alors je vous remercie beaucoup
01:18d'avoir accepté notre invitation,
01:20ça nous fait très plaisir de vous réunir
01:22et bien sûr de vous laisser la parole libre
01:24parce que chacun peut intervenir sur le livre de l'autre.
01:27Alors Guillaume Périlous, vous publiez donc votre deuxième livre,
01:30« Ils vont tuer vos fils », c'était le titre du premier,
01:34et je le disais c'était un livre plus personnel.
01:36« La couronne du serpent » nous emmène vers l'année 1970,
01:41au moment où Visconti prépare ce très beau film
01:44qui est « Mort à Venise » et qui va choisir,
01:46qui va chercher un adolescent très jeune,
01:49qui va trouver un jeune Suédois de 15 ans,
01:50Björn Andresen, pour jouer Tadzio, le héros de son film.
01:54Le film qui va bouleverser ce jeune garçon et toute sa vie,
01:57c'est ce que vous écrivez,
01:58et peut-être aussi un peu la vie du réalisateur.
02:02Alors Grégoire Bouillet, vous, vous proposez donc
02:04« Le syndrome de l'orangerie »,
02:06alors là qui va tenter de percer un mystère,
02:09et évidemment c'est tout à fait intéressant et passionnant.
02:12C'est celui des nymphéas, ces grands panneaux,
02:16ces grandes toiles peintes qui sont exposées au musée de l'orangerie,
02:19que l'on doit bien sûr à Claude Monet,
02:21et devant lesquelles, dites-vous,
02:23vous avez ressenti un certain malaise, quelque chose de bizarre,
02:26une impression sombre, un peu mélancolique,
02:28et vous allez mener l'enquête par l'intermédiaire de votre double
02:32qui s'appelle « Bimor », on va en parler.
02:35Alors, je disais, vous avez beaucoup écrit sur vous-même,
02:38un rapport sur moi, le dossier M, qui se décline en plusieurs livres,
02:41alors là, et qui ont d'ailleurs été souvent récompensés,
02:44pourquoi vous êtes arrêté sur cette enquête très mystérieuse
02:48et s'est passé quelque chose en vous, en allant à l'orangerie ?
02:51– C'est exactement ça. – C'est ce que vous décrivez, d'ailleurs.
02:53– Le livre dit exactement ce qui s'est passé,
02:56c'est-à-dire qu'en bon parisien,
02:58je n'étais jamais allé voir les nymphéas de l'orangerie,
03:01et puis ma fille était de passage à Paris et elle voulait voir les nymphéas,
03:05donc on y va, et bien évidemment, quand on va voir les nymphéas de Monet,
03:10on y va avec plein d'a priori, c'est un chef-d'œuvre,
03:14c'est un chef-d'œuvre de l'impressionnisme,
03:15c'est une ode à la lumière, à la nature,
03:18il y a un sentiment de méditation intérieure aussi qui se dégage,
03:21et plus j'étais dans ces deux salles absolument fantastiques,
03:26plus je me suis immergé, et j'ai eu le sentiment que ce n'était pas du tout...
03:34En fait, ça m'a angoissé, pour dire le mot,
03:36c'est que ces grands panneaux m'ont angoissé,
03:39et c'était tellement contraire à l'idée que je me faisais
03:41du sentiment que j'allais avoir, que je me suis dit,
03:44ou bien c'est moi qui suis taré, ou bien je suis taré et complètement anormal,
03:48ou bien il y a effectivement quelque chose d'angoissant dans les nymphéas
03:53que l'on ne perçoit pas au premier abord.
03:55Et donc, c'est là où j'ai mis ma casquette de mon détective bimord,
03:59mon impère de Colombo, et c'est là où j'ai commencé à enquêter
04:05pour savoir c'était quoi ces nymphéas,
04:06et donc c'est une double enquête à la fois sur mon sentiment, mon angoisse,
04:10est-ce que mon angoisse n'est que la mienne,
04:12ou est-ce que dans les nymphéas, Monet a enterré un cadavre ?
04:17C'est-à-dire que l'impression que vous dites,
04:19pardon de donner mon avis personnel, mais je l'ai ressenti,
04:22c'est un peu bizarre cette crypte de l'orangerie.
04:24– Alors c'est drôle parce que plus l'enquête avançait,
04:27plus je me suis rendu compte qu'énormément de gens souffrent
04:29du syndrome de l'orangerie, ce malaise que j'ai.
04:30– Sans peut-être se l'avouer, oui.
04:32– Sans se l'avouer, oui, parce que les mots sont tellement forts,
04:35c'est des chefs-d'œuvre impressionnistes, nature, paix, méditation, etc.,
04:39qu'on n'ose pas avoir accès à ses propres sensations,
04:42surtout quand elles sont un peu contradictoires avec l'opinion en général.
04:46Et en fait, le projet du livre, c'était aussi ça,
04:48c'était quand on va voir un tableau, on ne sait pas trop ce qu'on voit,
04:54et donc on se précipite pour regarder le cartel, le nom de l'œuvre, l'histoire.
04:56– Et après, on réfléchit, on creuse un peu.
04:58– Et surtout, on réfléchit avec les mots qu'on a,
05:02ce qui fait qu'on se coupe de l'expérience visuelle,
05:04de l'expérience sensible, parce qu'on va, chef-d'œuvre,
05:07alors voilà, vous allez voir un Picasso et vous cherchez le chef-d'œuvre,
05:10vous comparez la toile au mot chef-d'œuvre,
05:12et en fait, on voit à travers des mots.
05:14Et moi, mon livre, c'était, si je supprime tous les mots
05:16et que j'essaye de mettre mes mots en rapport avec mon sentiment
05:21et ma sensibilité, ça donnerait quoi ?
05:24Et tout le livre s'articule là-dessus.
05:26– Alors bien sûr, vous allez creuser pour nous expliquer cette impression,
05:29et on découvre d'abord une chose, Grégoire Bouillet,
05:31c'est qu'on le savait peut-être, mais mal, que ces toiles-là de l'orangerie,
05:36qui d'ailleurs sont ensuite dévoilées par Georges Clemenceau
05:39après la mort de Claude Monet,
05:41elles ont été peintes dans une période bien particulière,
05:43la guerre de 14-18, un de ses fils est mort à la guerre,
05:48et son deuxième est engagé.
05:49– Alors, un de ses fils est mort juste avant la guerre,
05:52et son autre fils est sur le front.
05:53– Est sur le front, absolument.
05:54Et il a cette peur, il veut au fond communier avec la peur des soldats,
05:58et c'est ça, c'est l'état d'esprit dans lequel il va peindre ces panneaux.
06:01– Voilà, alors ça, c'était la première surprise,
06:03c'est-à-dire qu'à partir du moment où je commence à chercher des cadavres,
06:06ce que Monet aurait pu enterrer, qui ou quoi,
06:09la première chose, c'est effectivement,
06:10il commence les grands panneaux le jour de la déclaration de la guerre,
06:14et il les termine, il les donne à l'État français le jour de l'armistice,
06:17donc il y a vraiment une période qui est vraiment la période de la guerre,
06:20et quand on lit les biographies, bien souvent, c'est le contexte,
06:24mais ce contexte, en fait, il est complètement poreux,
06:26c'est-à-dire que Monet, pendant 4 ans, ses grands panneaux,
06:29au fil des événements qui se passent sur le front,
06:32et lui, il est sur le front de la peinture, il a 74 ans,
06:35évidemment, il ne va pas, mais son fils, qui est mort juste avant,
06:38et donc tout ça infuse dans sa peinture.
06:40Et on le sent, bien sûr, dans sa peinture.
06:41Vous vous rappelez aussi qu'il est en train de devenir aveugle,
06:44ou en tout cas de perdre une partie de la vie.
06:47Alors oui, il est atteint de la cataracte, il voit de moins en moins,
06:51alors il sera quasiment aveugle, quelques années plus tard,
06:55mais il a déjà les attaques de la cataracte,
06:59et alors ce qui est drôle, c'est que quand on regarde,
07:03alors c'est une découverte, que moi-même, je suis tombé des nues,
07:07c'est-à-dire que quand on regarde la disposition des salles de l'orangerie,
07:12en fait, quand on regarde les plans, et c'est Monet qui les a quasiment tracés,
07:16avec l'architecte Lefebvre,
07:18il voulait absolument cette disposition-là pour Sénat-Ferrat,
07:21en fait, ça ressemble à une paire de lunettes.
07:24Donc c'était tout à fait...
07:25– Oui, le tracé sur le sol de ces salles, oui.
07:27– Le tracé, on voit une paire de lunettes,
07:29on ne peut pas ne pas voir une paire de lunettes.
07:31– Ça c'est assez drôle, oui, ce qu'on n'aurait pas pensé du tout,
07:34ça c'est vraiment Bimor qui fait l'enquête.
07:35– Voilà, c'est Bimor.
07:36– Alors, bien sûr, je n'oblige personne à épouser mes hypothèses,
07:40moi j'ai juste avancé dans mon enquête sur mon concept.
07:44– Alors, ce que vous creusez aussi, c'est bien sûr pourquoi elle est nymphéa,
07:46parce que c'est vraiment une fleur qu'on voit à Giverny,
07:48quand on va, bien sûr, dans la maison de Monet,
07:51qu'il a fait pousser dans ses étangs.
07:53Et là, évidemment, ça fait allusion à sa première femme, Camille, qui est morte,
07:57dont il peint d'ailleurs, pas le portrait, mais le corps sur son lit de mort,
08:00et c'est tout à fait exceptionnel, cette peinture,
08:02elle est vraiment étonnante, elle est saisissante,
08:04et elle flotte, comme telle Ophélie,
08:09et évidemment, ça lui rappelle quelque chose de particulier,
08:12un tableau qu'il avait fait d'elle, un portrait,
08:15qui était entouré de drôles de bizarres objets qui ressemblaient à des dénuphars.
08:20C'est la fleur un peu mortiférante, je vais un peu vite, pardon.
08:23– Là, vous allez très vite, et vous donnez presque la solution.
08:26– Non, mais pardon, alors, je veux juste faire allusion à cette femme
08:28qui a été importante pour lui, qui était sa première.
08:30– Absolument, qui est sa première femme, qui a connu toutes les années de galère,
08:33parce qu'ils ont vraiment été dans la misère,
08:36la peinture de Monet n'a pas du tout été reconnue automatiquement,
08:41et en fait, ce qui était rigolo, c'est qu'au bout d'un moment, dans l'enquête,
08:44je me dis, parce que Monet a peint à peu près 400 tableaux de Nymphéa pendant 30 ans.
08:50– C'est ça, il faut savoir, 400 toiles de Nymphéa.
08:53– Et aucun peintre, enfin voilà, Cézanne n'a pas peint pendant 30 ans la Montagne Sainte-Victoire.
08:57– Non, il aimait les séries, Monet, il y avait la cathédrale de Rouen.
08:59– Il a inventé quasiment la série. – Voilà, les meules de foin.
09:02– Et alors, moi, je me suis posé une question stupide que personne ne se pose en fait,
09:07c'est pourquoi a-t-il peint des Nymphéas ?
09:10Pourquoi pas des marguerites, des coquelicots, des arbres ?
09:12– Qui est masculin, je le précise.
09:14– Qui est masculin.
09:15– Personnellement, pour moi, elle était féminine.
09:16– Voilà, mais moi aussi, je le dis d'ailleurs, au début, je pensais que c'était une Nymphéa,
09:20enfin une fleur.
09:21– C'est un Nymphéa, vous ne le saviez peut-être pas, Guillaume.
09:23– Et non plus.
09:24– Voilà, on apprend des choses.
09:27– Oui, mais moi-même, je n'ai pas cessé d'apprendre des choses sur Monet,
09:30sur la peinture, etc.
09:32Et en fait, la question de pourquoi des Nymphéas, en fait, il y a trois questions.
09:36D'abord, c'est quoi cette fleur ?
09:39Et en fait, je ne vais pas dévoiler, mais c'est un miracle darwinien,
09:42c'est une fleur tout à fait particulière.
09:45La deuxième question, c'est, c'était quoi un Nymphéa à l'époque de Monet ?
09:48Parce que pour nous, les Nymphéas, ce sont les Nymphéas de Monet.
09:50– Bien sûr.
09:51– C'est une fleur très, très belle, très magnifique, etc.
09:53Mais du temps de Monet, c'est une fleur qui a une très, très mauvaise réputation.
09:58Donc, ça, c'était aussi une surprise, c'est-à-dire qu'il a peint une fleur
10:00qui a une très, très mauvaise réputation, qui est un tue-l'amour.
10:04Enfin, voilà, je vends un peu la mèche, mais voilà, on découvre un peu ce qu'on…
10:06– Non, ça, on n'en savait pas.
10:07C'est joli, quand même, un Nymphéa.
10:08– C'est très, très joli, mais en fait, ça puise dans la vase, quand même,
10:12dans les eaux dormantes, enfin, Bachelard en parle très, très bien.
10:15Et puis, la dernière question, c'est, c'était quoi un Nymphéa pour Monet ?
10:19Et c'est là où, effectivement, ce que vous dites,
10:22c'est-à-dire que c'est totalement lié à sa femme, qu'il a profondément aimée,
10:25qui a été sa muse, son modèle, son seul et unique modèle, dans un tableau.
10:29– Oui, même si après, il va se remarier, bien sûr.
10:31– Il va se remarier après, une fois qu'elle est morte,
10:32mais donc, c'est aussi un livre sur le deuil et le chagrin,
10:35et comment le fantôme de l'amour défunt a infusé dans la peinture de Monet,
10:43et peut-être sans que lui-même ne le sache, c'est ça, plutôt.
10:46C'est-à-dire que moi, j'ai eu le sentiment qu'il y a un inconscient de l'autre.
10:48– Oui, c'est parce que vous révélez des choses que lui n'a pas…
10:50– Lui a toujours dit qu'il peignait la lumière, l'instant présent, etc.,
10:55mais jusqu'où savait-il qu'il peignait aussi autre chose,
10:58et notamment le deuil de sa femme, ça, ça reste ouvert, voilà.
11:03Mais moi, je pense que les œuvres ont un inconscient.
11:05– Mais on comprend, enfin, Grégoire en parle très bien,
11:07et quand on lit son livre, on va vraiment avec bimore,
11:10ou avoir de découverte en découverte, c'est assez fascinant.
11:13Et comme vous dites, ne serait-ce que les dates auxquelles il a peint ce tableau,
11:19si on ne le sait pas, on le regarde d'emblée de façon différente, ce tableau.
11:23– Guillaume, ça s'appelle La couronne du serpent,
11:27et vous nous emmenez donc à la découverte de…
11:32enfin, vous explorez le tournage d'un célèbre film qu'on a évidemment beaucoup aimé,
11:37je le disais, c'est votre deuxième livre,
11:41et ce Loukino Visconti, qui est l'auteur de Mort à Venise,
11:46va chercher un être qui va lui plaire,
11:49par sa beauté, par sa personnalité, bien sûr,
11:52et il va tomber sur ce Björn Andresen,
11:55et est-ce qu'on peut dire à ce moment-là
11:59que ce jeune garçon qui va tourner avec lui,
12:03est-ce que sa vie va en être radicalement modifiée ?
12:07– Oui, évidemment, immédiatement, si je puis dire, ou quasiment.
12:11Björn Andresen, c'est un adolescent de 15 ans
12:14qui à l'époque a déjà tourné dans un film
12:16qui s'appelait Une histoire d'amour suédoise,
12:18un film qu'on connaît peu ou pas ici,
12:21mais qui donc va accéder à cette immense gloire-là
12:24par le tournage de ce film,
12:27et je dis le tournage, mais ce qui m'a intéressé,
12:31et ce qui nous intéresse, si je puis dire, c'est la suite,
12:35c'est-à-dire que justement, tout s'est bien passé lors de ce tournage,
12:38et ça, ça m'a beaucoup intéressé,
12:41il dit que Loukino Visconti l'a protégé lors du tournage,
12:44et manifestement, ça a été le cas,
12:46rien n'a été déplacé, aucun geste évidemment,
12:51ni même aucune parole n'a été déplacée,
12:55mais en revanche, c'est la suite, c'est la réception du film,
12:58et c'est donc le regard qu'on a posé sur lui…
13:00– Il est sévère à Cannes, quand on les retrouve tous les deux
13:03sur cette tribune de Cannes, le regard de Visconti est devenu sévère.
13:07– Oui, il dit, lors de la projection du film
13:10et lors de la conférence de presse qui suit la projection du film à Cannes,
13:13il dit aux journalistes, bon, il est à côté de moi, vous le voyez,
13:17il a désormais 16 ans, il est déjà un peu âgé,
13:20il était beaucoup plus beau avant.
13:23Donc évidemment, ce sont des choses qui sont inaudibles aujourd'hui,
13:25qu'on n'entendrait plus, et qui dépeignent une époque d'une certaine façon,
13:31et c'est encore une fois ce regard désirant,
13:34projeté sur un garçon qu'on pensait à même de le recevoir,
13:38qu'il a détruit, et évidemment, ce garçon était trop jeune pour…
13:41– Il faut préciser aussi, Guillaume Périlou, qu'il est jeune,
13:44et sa mère, il a perdu sa mère, il s'est suicidé,
13:47il est entouré de sa grand-mère, il est un peu protégé, finalement, lui-même.
13:52– C'est un point commun avec Monet, d'ailleurs,
13:54la disparition de la mère assez jeune, Monet, je crois qu'il avait 17 ans,
13:59Björn Andresen, il a 10 ans, sa mère se suicide quelques années avant le tournage,
14:03donc il va à ce tournage-là, dans ce contexte-là,
14:06sur un terrain pour le moins meuble et douloureux.
14:10– Mais ce qui est tout à fait remarquable dans votre livre,
14:13qui est moi ma passionnée, moi j'adore les propositions littéraires
14:17qui déjouent les conventions, voilà, et donc si on peut dire…
14:20– Oui, c'est là où on a tes portraits croisés.
14:22– C'est un fantastique travail de montage de courriers, de lettres,
14:25de Visconti, de Björn, de Maria Callas, il y a une galerie de personnages,
14:31et une berguerre qui est absolument incroyable,
14:33enfin, vraiment, j'ai découvert plein de choses,
14:35j'ai aussi appris énormément de choses, notamment une…
14:38Bon, bref, voilà, et donc ce travail de montage alterné,
14:43qui est très filmatographique pour le coup, donc ça correspond…
14:47– C'est vrai, oui, il s'agissait de…
14:49Je précise donc que c'est un roman épistolaire, on pourrait le dire comme ça.
14:53– Oui, parce qu'on est dans les lettres…
14:54– Et tout est inventé, donc ça je le dis bien,
14:57ce sont des lettres que j'invente et des passages de journaux intimes
15:00tout aussi inventés.
15:01– Et vous précisez d'ailleurs que Visconti écrit beaucoup de lettres à Tadzio,
15:06il les écrit mais ne les envoie pas.
15:07– Oui, oui, je… – Vous imaginez, bien sûr.
15:10– Bien sûr, bien sûr, parce qu'à un moment donné, oui, c'est ça,
15:13il y a une lettre qu'il écrit à Tadzio, à Björn Andresen donc,
15:18mais qu'il ne lui enverra jamais,
15:20il m'importait que chacun écrive, si je puis dire, dans son couloir,
15:23comme chacun est resté dans son couloir, social, culturel,
15:28ce sont deux personnes qui n'auraient jamais dû se rencontrer,
15:30si je puis dire, et entre qui la communication était impossible
15:35et n'avait presque pas lieu d'être,
15:37donc chacun écrit à ses proches mais jamais entre eux.
15:40– Alors vous dites, c'est ce regard désirant qui a peut-être perturbé,
15:45en tout cas laissé une trace dans la vie de ce Björn Andresen,
15:49il faut préciser Guillaume Périlou qu'après il n'a plus fait grand-chose,
15:52c'est un jeune qui est découvert, qui est dans la lumière,
15:55qui est d'une beauté renversante et puis après…
15:59– Au cours de sa vie, il va tourner dans une quinzaine de films à peu près,
16:03tous je crois en Suède, dans lesquels il va jouer plutôt des rôles secondaires,
16:10c'est quelqu'un qui dit avoir finalement une vocation manquée,
16:15puisque lui il aurait voulu être musicien.
16:17– Oui, pas forcément comédien.
16:19– Voilà, pas forcément comédien, ça c'était le rêve de sa grand-mère.
16:22Chez lui, s'il vous plaît, il y a eu une double projection,
16:26si je puis dire, il y a eu le regard désirant qu'on a projeté sur lui
16:30et puis la projection que les adultes ou qu'une adulte avait mis en lui.
16:35Et ça, ça m'intéressait de voir qu'est-ce qu'on fait à cet âge-là
16:39et comment on regarde, comment on répond aux projections qui sont mises en lui.
16:43– Est-ce que vous diriez, et Grégoire Brouillet le rappelait,
16:47il y a aussi bien sûr des lettres à Helmut Berger
16:49parce qu'après il va préparer Ludwig qui sera le film suivant après mort à Venise,
16:53et là il a écrit à son amant puisqu'ils ont cette relation,
16:56mais est-ce qu'on peut dire que Visconti est quelqu'un
16:57qui a pu détruire globalement des acteurs, des compagnons ?
17:02– Oui, c'est en tout cas la vision que j'en ai et que je mets un petit peu en avant,
17:06notamment du fait qu'avec ce film de Ludwig,
17:11dans lequel il fait tourner Helmut Berger
17:13et qui est le film qui suivra effectivement mort à Venise,
17:16à l'issue de ce film, Helmut Berger va en être effectivement lui aussi modifié,
17:22si je puis dire, enfin atteint, il va aller jusqu'en hôpital psychiatrique.
17:26Donc Ludwig, c'est ce rôle dans lequel Helmut Berger a joué Louis II de Bavière,
17:31un roi fou, à force d'incarner au mieux ce roi fou,
17:37pour schématiser, on va dire qu'il l'est devenu aussi sur la volonté de son amant.
17:40Donc Luchino Visconti était dans cette manipulation-là aussi, si je puis dire.
17:47– Il faut dire un mot de la couronne, enfin du titre,
17:49parce que vous décrivez aussi de façon très passionnante la famille Visconti,
17:53les origines patriciennes de Luchino Visconti,
17:56et donc c'est les armoiries de la famille.
17:59– Oui c'est ça, il se trouve qu'effectivement pour écrire ce livre,
18:03je me suis évidemment appuyé sur des travaux de chercheurs
18:07et d'historiens très documentés,
18:10je pense à une biographie de Laurence Schifano notamment,
18:12et dans laquelle j'ai découvert effectivement que sur les armoiries des Visconti,
18:17qui ont régné sur la ville de Milan durant des siècles,
18:22comme dans toute famille aristocratique, il y a donc un blason,
18:25et sur ce blason figure un serpent couronné, pour représenter le duché,
18:29et dans la gueule de ce serpent se tient un enfant,
18:33donc c'était évidemment frappant.
18:35– C'était frappant, juste un petit mot,
18:37ce livre n'arriverait pas par hasard, Guillaume Périlou,
18:40et on a commencé à en parler, l'emprise de certains réalisateurs,
18:43c'est une chose dont on parle aujourd'hui,
18:45puisque chacun maintenant peut s'exprimer à tort ou à raison,
18:49mais s'exprime sur les relations hommes-femmes,
18:52sur les relations réalisateurs.
18:53– C'est une très bonne chose, bien sûr, que les gens s'expriment,
18:56que les actrices s'expriment, notamment, effectivement,
18:59évidemment, Judith Codrèche cette année beaucoup,
19:03Maria Schneider avait parlé aussi,
19:06Nathalie Portman encore l'année dernière disait le trouble
19:09qu'elle avait encore à évoquer, son rôle avec Luc Besson,
19:13ce sont des choses qui existent,
19:15là c'était aussi dans le cas d'un jeune garçon,
19:18et ce qui m'intéressait, encore une fois, j'y reviens,
19:21c'est que la destruction chez lui est née d'un regard, d'un seul regard,
19:26et cette question-là m'intéressait,
19:29puisqu'il n'y avait pas, si je puis dire, m'exprimer ainsi,
19:32besoin d'aller jusqu'à des gestes ou des paroles.
19:35– Ça c'est une supposition du romancier aussi, Guillaume Périlou.
19:37– Oui, bien sûr, c'est aussi ce qu'il dit lui, voilà.
19:41– Mais c'est aussi la force du livre,
19:42c'est-à-dire que, justement, il n'y a rien de répréhensible,
19:44tout est dans une perversité extrêmement aristocratique,
19:49extrêmement socialisée même.
19:51– Et qui vient aussi, si je puis juste ajouter,
19:54aussi, évidemment, de la volonté de Thomas Mann,
19:56puisque c'est l'adaptation de la nouvelle de Thomas Mann,
19:58et le trouble est déjà, évidemment, dans cette nouvelle de Thomas Mann,
20:01qui concerne un adolescent, voilà,
20:04et le personnage, le vrai garçon de qui Thomas Mann s'était inspiré
20:08pour écrire Taddio, avait dix ans.
20:10Donc Thomas Mann lui-même a vieilli, si je puis dire, cet enfant.
20:14– Oui, c'est ça, et il va éclairer les derniers jours d'un grand…
20:19– D'un grand écrivain, dans sa nouvelle,
20:21que Visconti transpose en musicien dans son film.
20:25– Exactement.
20:26Alors, vous vous êtes attaqués tous les deux à des monuments,
20:31laissant un peu derrière vous des livres plus personnels,
20:35même si vous avez votre double, Grégoire Bouillet.
20:40Qu'est-ce qui s'est passé dans votre vie d'écrivain
20:42pour que vous alliez chercher comme sujet un monument de la culture ?
20:47– Ben, qu'est-ce qui s'est passé ?
20:50– Même si vous êtes parti d'une expérience personnelle,
20:52ça on l'avait bien expliqué.
20:53– C'est vrai, mes premiers livres,
20:55alors bon, il y a toujours un malentendu sur tous les livres,
20:57et on a beaucoup cru que je parlais de moi,
21:00mais en fait, je n'ai jamais parlé de moi,
21:02je suis toujours parti de moi pour aller vers.
21:05Et là, je fais un peu la même chose,
21:06c'est-à-dire que je pars de moi, de mon expérience sensible d'Énaphéa,
21:09pour aller vers Monet, vers la littérature, vers les autres, voilà.
21:13Donc moi, ma vie, c'est parce que je l'ai assez racontée, c'est bon,
21:18je pense que j'en ai assez fait, je peux passer à autre chose,
21:21et je suis content de passer à autre chose.
21:22La dernière fois, c'était un fait divers,
21:24une ancienne mannequin qui s'était laissée mourir de faim
21:28en écrivant le journal de son agonie,
21:30et j'ai fait 900 pages sur une enquête,
21:33avec Bimor et son assistante Penny.
21:36Donc voilà, le monde s'offre à nous,
21:39et de temps en temps, il cogne à notre vie.
21:42Il y a quelqu'un qui m'a dit, il y a des livres qui nous appellent,
21:46il y a des histoires qui nous appellent pour en faire un livre,
21:48et je pense que l'émotion que j'ai eue, bizarre,
21:53d'Énaphéa, c'est un livre qui cogne à ma vie d'un seul moment.
21:56Et pour vous aussi, Guillaume Périllo,
21:58parce que le premier livre, il y avait beaucoup de choses personnelles,
22:01bien sûr, c'était plus âpre, je dirais.
22:03Oui, bien sûr, je jouais avec le fait que le narrateur s'appelle Guillaume,
22:08ils viennent du même endroit que moi, etc.,
22:10mais c'était un procédé assez classique aussi,
22:13d'une sorte de double littéraire,
22:15dans lequel, effectivement, je peux dire, comme Grégoire,
22:19je partais de moi pour écrire quelqu'un d'autre.
22:22Et là, ce qui m'intéressait, c'était dans le prolongement,
22:25d'écrire aussi sur une adolescence, à grands traits piétinés, fracassés,
22:30et je l'ai tout de suite commencé après avoir fini le premier,
22:32j'étais dans le même élan, de la même idée, finalement.
22:35Je trouve que, là, mes deux romans se lient beaucoup sur ce point-là.
22:39Oui, bien sûr, je disais que vous vous attaquiez à deux monuments,
22:43et on l'a dit un petit peu,
22:44mais il y a eu beaucoup de travail de recherche pour l'un et l'autre.
22:48Il y a quelque chose qui consiste à creuser les biographies,
22:52les lettres, les correspondances qu'on peut trouver.
22:54Je crois qu'on a chacun une bibliothèque réservée aux livres qu'on a écrits.
22:58Absolument, bien sûr.
23:00En fait, c'est parce que c'est le réel qui est fantastique.
23:03C'est la réalité, j'appelle ça l'imagination de la réalité.
23:08Moi, c'est ça que j'essaye de capter.
23:10La réalité a une imagination incroyable.
23:12Et les livres, ils sont là pour essayer aussi de la capter,
23:16de la restituer et de l'élucider.
23:17Et de s'en éloigner un peu.
23:18Oui, de s'en éloigner et de l'élucider aussi.
23:21C'est-à-dire que derrière la figure de Visconti qu'on a tous,
23:25d'un seul coup arrive un autre Visconti.
23:27Derrière, on renouvelle le regard sur moi, Monette, toi, sur Visconti.
23:31Et c'est un peu le boulot des livres.
23:33Mais selon le regard, justement, qu'on a peut-être aussi en a priori,
23:37avant de plonger dans la vie de quelqu'un,
23:40on va trouver des choses qui vont résonner avec notre sensibilité, notre regard.
23:48Dans le cas de Visconti, effectivement, c'est marrant ce que tu dis,
23:52parce que le fait est que la vie de Visconti est tellement romanesque.
23:57Oui, bien sûr.
23:57Que je crois n'avoir rien augmenté dans mon roman,
24:01des événements qui ont traversé sa vie
24:03et qui sont tellement superlatifs qu'il n'y avait pas beaucoup à augmenter.
24:07Oui, c'était un film qui vous avait marqué dès que vous l'avez vu.
24:12Oui, que j'ai vu à 15 ans et que j'ai vu à l'âge qu'avait l'acteur.
24:15Et donc c'est ça aussi qui m'a beaucoup marqué,
24:17parce que là, pour moi, j'avais une projection immédiate
24:22de voir cette adolescence qui avait mon âge.
24:26Et en même temps, ce dont je me souviens bien,
24:28c'est de ne pas avoir compris le film.
24:30C'est-à-dire que m'en est resté un flou et un malaise
24:35qui, sans doute, est aussi délibéré.
24:37Je pense que ça plairait à Visconti de savoir…
24:39Il y a deux malaises.
24:40Oui, c'est drôle, j'aime bien.
24:43Et voilà, un sentiment diffus dans lequel je me suis replongé
24:50il y a quelques années à l'occasion de la diffusion
24:53d'un portrait documentaire de Björn Andresen.
24:55Et j'ai compris ce malaise, j'ai compris en voyant ce portrait
24:58et ce que pouvait dire Björn Andresen de ce que le film lui avait fait,
25:02pourquoi j'avais été moi-même dérangé, si je puis dire.
25:05Vous auriez été dérangé aussi par la vision de ce film,
25:08ça vous avait marqué ?
25:09Moi, je m'en souviens très très peu, j'ai quelques déflashes,
25:13mais je me souviens de dire Bogart sur la plage.
25:17Voilà, j'ai adoré quand Guillaume raconte le tournage
25:22et comment il faut que le sens des cheveux…
25:26La peinture.
25:27Je ne sais plus combien de prises,
25:29c'est un truc effrayant à filmer.
25:32Et puis je me souviens de la disparition dans un éblouissement de lumière,
25:36la dernière image de Tadjo.
25:38Avant de refermer cette émission, quelques coups de cœur,
25:44puisque bien sûr cette rentrée littéraire, je le disais, est très riche
25:47et vous y participez, merci encore d'être venu parler de vos livres.
25:51On a parlé de cinéma, de Visconti, de peinture avec Monet,
25:55eh bien voici un autre livre qui revient sur une grande artiste,
25:59c'est tout de même Brigitte Bardot,
26:02sur ce personnage si singulier, un peu hors norme.
26:07On vient de fêter ses 90 ans et c'est l'occasion de lire ou de relire
26:10la biographie rééditée en poche de notre confrère Yves Bigot.
26:15Et puis dans un tout autre registre, le recueil de Jean Frémont,
26:19qui est un galeriste réputé, un écrivain aussi très subtil,
26:22qui publie Probité de l'image, alors là, chez un éditeur indépendant,
26:27et c'est bien de le saluer, qui s'appelle L'Atelier Contemporain à Strasbourg.
26:31Alors ce sont des textes de rencontre avec des artistes et leurs œuvres,
26:36Alé Chinsky, Kiki Smith, David Hockney bien sûr,
26:39et Del Adnam aussi, une très jolie peintre très intéressante, c'est très beau.
26:45Et puis alors pour ma part, moi j'ai beaucoup aimé
26:47Le Sentiment des Crépuscules, chez Robert Laffont, de Clémence Boulouc,
26:53qui parle de monde finissant, celui de Stéphane Zweig et de Sigmund Freud,
26:58deux juifs qui ont dû fuir, bien sûr l'Allemagne nazie, leur Autriche natale,
27:02et qui se retrouve à Londres avec une rencontre improbable en 1938
27:06entre Freud, Zweig et Salvador Dali, un détenant du surréalisme
27:12qui voulait absolument se faire cette rencontre,
27:14il est avec Gala Samuse, et puis bien sûr lui il représente la vie,
27:18le monde de demain, le futur, et eux le monde d'hier.
27:22Voilà, ça s'appelle Le Sentiment des Crépuscules, c'est très intéressant.
27:25Merci infiniment à vous deux d'être venus.
27:28La Couronne du Serpent et Le Syndrome de l'Orangerie,
27:31c'est le titre de vos deux livres, Guillaume Périlou et vous Grégoire Bouillet,
27:35merci beaucoup, vous pouvez retrouver cette émission bien sûr en replay
27:38sur la plateforme de Public Sénat, publicsenat.fr,
27:42on se retrouve très vite pour une nouvelle édition d'Au Bonheur des Livres.

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