• il y a 8 mois
La Grande famine irlandaise se déroule entre 1845 et 1851. Un événement historique, dévastateur, qui nous permet de passer à la loupe la situation du pays à l’époque et les raisons d’une telle catastrophe.

Écriture : Benjamin Brillaud et Lucas Pacotte

Montage par Dead Will : https://www.youtube.com/channel/UCtLkNuzB2_j2z7SFdvkiCww

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Transcription
00:00Mes chers camarades, bien le bonjour ! Aujourd'hui encore, la faim dans le monde tue mais nous,
00:06en tant qu'Occidentaux, on a tendance à l'oublier encore puisque ça fait longtemps
00:09qu'en Europe, on n'en a pas été victime. Et pourtant, l'Europe aussi a pu prendre
00:15très cher dans le passé. J'aimerais donc vous proposer aujourd'hui de revenir ensemble
00:20sur la Grande Famine Irlandaise qui se déroule entre 1845 et 1851. Un événement historique,
00:28dévastateur, qui nous permet de passer à la loupe la situation du pays à l'époque
00:33et les raisons d'une telle catastrophe. C'est parti pour un épisode joyeux, plein
00:38de rire d'enfant et d'ours en peluche !
00:40La Grande Famine Irlandaise est l'une des dernières grandes famines européennes de
00:44l'Histoire. Elle a entraîné un million de morts et l'exil d'au moins un autre
00:49million d'Irlandais. Elle survient en pleine période de progrès de l'agriculture et
00:53de l'industrie, qui plus est dans l'état le plus riche et puissant du monde de l'époque,
00:58le Royaume-Uni. Il faut en effet commencer par rappeler que l'Irlande du XIXe siècle
01:02est totalement sous domination britannique. Elle fait partie du Royaume-Uni, comme l'Acte
01:07d'Union, entré en vigueur le 1er janvier 1801, le stipule.
01:10L'Irlande n'est pas pour autant assimilée parfaitement. La culture irlandaise reste
01:16bien différente de la culture britannique, à commencer par la langue, le gaélique irlandais,
01:20et la religion, le christianisme catholique. Pour les Britanniques, l'Irlande est donc
01:25dans une position paradoxale, très proche géographiquement et faisant partie intégrante
01:30du cœur de l'Empire, mais d'un autre côté toujours lointaine et étrangère.
01:34Comme souvent dans les désastres, on ne peut pas se contenter d'une cause unique. Si
01:39la grande famine a été meurtrière, c'est à cause d'une combinaison de facteurs bien
01:44particuliers. On va donc essayer de faire un état des lieux de la situation avant la
01:48catastrophe pour arriver à en démêler les différentes causes.
01:55Commençons par le commencement. En 1845, l'Irlande est en crise économique.
02:03Paradoxalement, les guerres napoléoniennes et le blocus continental au début du siècle
02:07avaient été bénéfiques pour l'Irlande, qui voit à cette époque son rôle d'exportateur
02:11agricole renforcé. On défrige de nouvelles terres pour étendre les cultures de céréales
02:16et alimenter la population de Grande Bretagne coupée du continent par Napoléon Bonaparte.
02:20La demande est forte pour les denrées alimentaires, les prix augmentent et beaucoup de paysans
02:25irlandais profitent de la situation. Mais avec la fin des conflits en 1815 et la réouverture
02:30des îles britanniques au commerce européen, la concurrence fait baisser les prix. Les
02:35agriculteurs, mais aussi les manufactures textiles irlandaises, en pâtissent. D'autant
02:40qu'en 1824, le libre-échange total est instauré entre la Grande Bretagne et l'Irlande
02:45et les industries anglaises, bien plus développées, écrasent le marché, précipitant rapidement
02:50les entreprises irlandaises vers le fond. Seule la région de Belfast au nord, qui
02:55se reconvertit habilement dans la production du lin et investit dans la mécanisation,
03:00parvient à rester compétitive. Le reste de l'île est contraint de se replier sur
03:04des cultures de subsistance ou d'aller chercher du travail ailleurs.
03:07L'Irlande a l'un des taux de natalité les plus élevés d'Europe et sa population
03:17connaît une croissance fulgurante. En l'espace de 50 ans, entre 1750 et 1800, la population
03:24irlandaise double en passant de 2,5 à 5 millions d'habitants.
03:29Dans ce contexte de crise économique, la migration hors Irlande apparaît pour beaucoup
03:34comme une solution. Et quand je dis beaucoup, c'est pas un euphémisme. Dans les 30 années
03:38qui précèdent la famine, environ 1 million d'Irlandais émigrent aux Etats-Unis. Beaucoup
03:43rejoignent également les villes industrielles de Grande-Bretagne, quelques dizaines de
03:47milliers partent vers l'Australie. Malgré cette fuite massive, le cap des 7 millions
03:51d'habitants est franchi dans les années 1820 et lorsque la grande famine se déclenche
03:56en 1845, l'île compte près de 8,5 millions d'habitants.
04:02A cette crise économique et à cette démographie galopante s'ajoute une structure sociale
04:10très inégalitaire. Le sommet de la société irlandaise est constitué par environ 10 000
04:15propriétaires fonciers dont beaucoup sont des descendants de colons anglais et écossais
04:19du XVIe et XVIIe siècle. A cette époque, les campagnes militaires britanniques se sont
04:24accompagnées d'une redistribution des terres aux nouveaux arrivants. Ces grands propriétaires
04:29louent ensuite à de plus petits tenanciers des parcelles. Il existe ensuite plusieurs
04:33niveaux de sous-location, chaque locataire pouvant lui-même soulouer une partie de sa
04:38parcelle. Les paysans les plus pauvres, appelés smallholders, ne peuvent s'offrir qu'un
04:44minuscule lopin.
04:45Mais ce ne sont pas les moins bien lotis puisque les locataires vont ensuite faire cultiver
04:50les terres à des ouvriers agricoles qui, eux, ne profitent pas de la vente des produits
04:55et ne touchent qu'un faible salaire journalier pour leur travail. On retrouve donc tout en
04:59bas de l'échelle sociale entre 2 et 3 millions de prolétaires agricoles qui se déplacent
05:04souvent pour vendre leur force de travail au plus offrant. Ces petits paysans, soit
05:08le tiers de la population, a régulièrement besoin de l'aide publique pour s'en sortir.
05:12Ce sont eux, les plus fragiles, les miséreux en quelque sorte, qui seront le plus durement
05:18touchés par la famine.
05:19La menace d'une famine pèse déjà sur l'île depuis le début du 19e siècle. Entre 1800
05:30et 1845, l'Irlande a enregistré pas moins de 16 disettes à cause de mauvaises récoltes.
05:36Le mot disette ne veut pas forcément dire qu'il y a des morts, on parle plutôt d'une
05:40période où on ne mange pas vraiment à sa faim, ce qui va générer beaucoup de stress,
05:44d'inconfort et qu'on peut remarquer à la croissance assez ralentie des enfants qui
05:49la subissent par exemple.
05:50L'état central essaye de résoudre le problème en fournissant une assistance aux pauvres
05:54en échange de leur travail dans des camps de travail appelés les workhouses. Mais les
05:59conditions y sont tellement strictes qu'elles restent assez peu fréquentées avant la grande
06:03famine.
06:04Et puis le pays se relève toujours à peu près de ces mauvaises années, ce qui fait
06:07que malgré la récurrence de ces épisodes de disettes, personne ne s'alarme vraiment
06:12de la situation.
06:13Ces mauvaises récoltes sont la conséquence de l'adoption massive de la culture de la
06:21pomme de terre par les paysans pauvres irlandais. Et pour cause, la pomme de terre est un aliment
06:27extraordinaire, ses qualités nutritionnelles sont excellentes.
06:30En lui ajoutant un peu de lait et de poissons à l'occasion, elle fournit à elle seule
06:35un régime alimentaire sans carence. Et ça, inutile de vous dire que c'est assez un
06:40luxe quand on est pauvre !
06:41Ramenée du Pérou par les conquérants espagnols, elle est introduite en Irlande à la fin du
06:45XVIe siècle. La simplicité de sa culture et ses bons rendements en font rapidement
06:50un aliment de base pour la population pauvre. La pomme de terre supporte l'humidité,
06:55les tourbières et les sols acides qui composent l'essentiel de l'île. Avec un peu de
07:00chance et d'habileté, on peut même obtenir 15 tonnes de patates à l'hectare.
07:04Un petit lopin de terre peut donc suffire à nourrir toute une famille, et là encore,
07:08c'est un luxe que les pauvres s'offrent bien volontiers.
07:11En plus de ses avantages déjà énormes, la pomme de terre se conserve très bien.
07:16Elle commence à s'abimer à partir de 9 mois, ce qui rend l'alimentation plus difficile
07:20seulement quelques semaines avant la nouvelle récolte.
07:23A partir de 1815 et les difficultés économiques qu'on a décrites, les céréales cultivées
07:28qui valent un peu plus cher sont systématiquement exportées pour payer le loyer des terres,
07:33et les paysans pauvres ne gardent donc que les pommes de terre pour leur subsistance.
07:36Au moment où se déclenche la famine en 1845, 800 000 hectares sont consacrés à la pomme
07:42de terre, soit 10% de la surface totale de l'île. C'est énorme !
07:47Pour 3 millions d'Irlandais du XIXe siècle, c'est patate le matin, le midi et le soir.
07:54Vous pourrez me dire, moi ça me va très bien, c'est même un rêve, de quoi ils
07:58se plaignent les mecs ? Attendez un peu la suite !
08:06Pour compléter le tableau de la situation juste avant la famine, il faut enfin noter
08:10un contexte de forte tension politique. Beaucoup d'Irlandais catholiques, soit environ 80%
08:15de la population, s'estiment défavorisés par la domination britannique. Ils demandent
08:20donc la fin de l'union avec la Grande-Bretagne et le retour d'un parlement national à
08:24Dublin. Cette contestation prend la forme de meetings et de manifestations qui réunissent
08:28jusqu'à plusieurs centaines de milliers de personnes dans les années 1840. Juste
08:33avant la famine, le gouvernement central de Londres observe donc avec un œil méfiant
08:37ces rassemblements qui restent pacifiques, mais qui menacent de prendre un aspect plus
08:41violent si rien n'est fait. Au milieu du XIXe siècle, le pays cumule
08:45donc plusieurs difficultés. Une démographie galopante et un fort ralentissement économique,
08:50une pauvreté profondément enracinée, des disettes récurrentes dues à la dépendance
08:55à un seul aliment de base et enfin une tentation indépendantiste qui alerte le pouvoir central.
09:01A ce cocktail explosif, il ne manque qu'une étincelle et c'est un champignon qui va
09:06déclencher la catastrophe.
09:12En 1845, le champignon Phytophthora infestans, qui prolifère sur les plantes pommes de
09:19terre, se répand en Europe, probablement importé des Etats-Unis. Cette maladie végétale
09:24que l'on nomme communément le mildiou cause sur le continent la perte d'une grande
09:28partie de la récolte et une famine qui a dû faire une centaine de milliers de morts,
09:32en particulier en Belgique et en Prusse.
09:35Mais lorsque le mildiou touche l'Irlande, les ravages sont plus importants encore. L'Irlande,
09:41avec son climat très humide, offre des conditions idéales à la propagation de la maladie.
09:46Le champignon prolifère rapidement et fait pourrir les précieuses tubercules. Résultat,
09:51la récolte de 1845 est décimée à 40%.
09:56Mais les ennuis commencent vraiment en 1846. En fait, on a déjà dit que le pays a déjà
10:01connu de nombreuses mauvaises récoltes et disettes, sans que c'est vraiment engendré
10:06une catastrophe pour autant. Sauf que cette fois-ci, les conséquences sont aggravées
10:10par les conditions climatiques. Il y a une sécheresse au début de l'été qui va
10:14ralentir la croissance des plants, et ensuite des pluies diluviennes associées au mildiou
10:20qui anéantissent la récolte. Et puis enfin, on va avoir un hiver particulièrement rigoureux.
10:26Là clairement, c'est le début de la grande famine.
10:29Le mildiou frappe un peu moins en 1847, mais revient fortement les deux années suivantes.
10:35Le champignon ne laisse presque aucun répit aux petits agriculteurs irlandais dont les
10:39plantations sont anéanties pendant 5 années consécutives. De 15 millions de pommes de
10:44terre produites en Irlande en 1844, la production est divisée par 5 en 1846. C'est donc la
10:51survie de 3 millions d'Irlandais, dont la patate est le seul menu, qui est en jeu.
10:57A ce moment là, on pourrait s'attendre à ce que la réponse des autorités soit
11:00forte et rapide, afin de sauver la population. Mais dans la grande famine, c'est surtout
11:05la gestion de la crise, une fois déclenchée, qui va être absolument calamiteuse et qui
11:10va précipiter de nombreux Irlandais vers la tombe.
11:13En effet, les famines résultent toujours d'une combinaison de facteurs naturels comme
11:16une sécheresse ou une tempête, et de facteurs humains, c'est à dire des choix politiques,
11:21économiques ou encore des guerres. Dans le cas irlandais, le facteur humain, c'est
11:26à dire la réaction à portée, est la plus problématique. La responsabilité des Anglais
11:31a rapidement été pointée après la famine, dans un contexte de tensions entre les deux
11:36îles, qui perdurent d'ailleurs toujours aujourd'hui, dans une moindre mesure.
11:39Certains écrits sont allés jusqu'à accuser Londres d'un génocide, c'est à dire
11:44d'un massacre programmé des Irlandais. La tendance chez les historiens est aujourd'hui
11:48à réévaluer le rôle de l'administration anglaise, et en particulier à y jouter la
11:53responsabilité des riches fermiers irlandais, peu soucieux du sort de leurs compatriotes
11:57plus démunis.
11:58Accuser de génocide, c'est peut-être un peu fort vous me direz, mais pour comprendre
12:03pourquoi, il faut regarder d'un peu plus près les mesures adoptées par le gouvernement
12:07du Royaume-Uni.
12:08Plus que la maladie de la pomme de terre, c'est surtout l'incapacité à se procurer
12:11des denrées de substitution qui a provoqué la famine. On rappelle que le Royaume-Uni
12:16était l'état le plus riche du monde au XIXe siècle et n'aurait eu aucun mal à
12:20acheter à d'autres pays ou à faire venir de son empire de grandes quantités de céréales
12:25pour alimenter l'Irlande. Le premier river seulement du blé est importé d'Inde, et
12:30par ailleurs, pendant la Grande Famine, une partie des récoltes irlandaises étaient
12:33toujours exportées vers la Grande Bretagne, puis réimportées, plus chères, après spéculation.
12:40La magie du capitalisme quoi ! Mais bon, qu'on soit clair, cette quantité n'aurait sans
12:45doute pas pu être suffisante pour enrayer la famine. Mais ça en dit assez long sur
12:50le manque d'intervention de l'état. Cette non-intervention est même revendiquée par
12:55les économistes du régime. L'Angleterre est en fait le berceau de la théorie du libre-marché
13:00et le gouvernement se plaît à respecter scrupuleusement cette théorie. Selon lui,
13:05l'état n'a pas vocation à intervenir massivement parce que ça peut entraver la
13:09liberté d'entreprendre et de causer du tort à l'entreprise privée.
13:12Parmi les élites britanniques existe par ailleurs une conception assez malthusienne
13:16de la situation. Thomas Malthus, économiste britannique qui écrit au début du XIXe siècle,
13:22est rendu célèbre pour sa théorie économique sur la croissance de la population. Il observe
13:26que la population croît plus vite que les ressources et qu'il y a donc un risque de
13:30surpopulation. Sa solution ? Un contrôle de la population et le rejet d'une aide financière
13:36aux plus pauvres. Il considère finalement que la famine n'est rien d'autre que l'ultime recours
13:42de la nature pour résoudre le problème de la multiplication des humains. En plus de cette
13:46vision très extrême de la situation, les économistes anglais veulent profiter de la
13:50famine pour réorganiser le système de propriété de la terre en Irlande avec ses niveaux imbriqués
13:55de locataires et de sous-locataires, ce qu'ils jugent comme un frein au libre marché.
14:00Pour résumer ça du point de vue des économistes anglais, la crise serait donc une conséquence du
14:07manque de rationalité des Irlandais et un châtiment tout à fait mérité.
14:12Et puis il ne faudrait pas l'oublier, les Irlandais sont des hérétiques. A l'idéologie
14:17économique, il faut ajouter une opposition religieuse. Pour certains Anglicans, l'obédience
14:23majoritaire en Grande-Bretagne, le mildiou s'apparente ainsi à une punition divine contre
14:27les Irlandais majoritairement catholiques. Dieu montrerait sa désapprobation avec cette
14:32maladie qui prolifère sur les terres impies. Oui, la main de Dieu, c'est un champignon,
14:38mais je crois qu'on n'est plus à sa prère. Bref, on l'aura compris, il y a plusieurs aspects
14:43idéologiques qui contribuent à faire penser aux britanniques que c'est bien fait pour les
14:47Irlandais. Ils font trop d'enfants, ils ont un système de répartition des terres
14:51complètement archaïque et en plus, ils sont fidèles au pape. Ce qui fait qu'à Londres,
14:56en 1845, on ne se presse pas trop pour envoyer de la bouffe en Irlande. Avec un ton un brin
15:02paternaliste, on considère même qu'un peu de fermeté remettra ce peuple égaré
15:07dans le droit chemin.
15:08Les journaux londoniens de l'époque vont parfois plus loin et qualifient l'Irlande
15:12de mendiant, coupable d'imprévoyance, les caricaturant même à l'occasion en singe
15:17priant la Vierge Marie. Les Irlandais sont traités comme des indigènes des colonies
15:22de l'Empire, comme les peaux rouges par les Américains, bref, comme des sujets de
15:27seconde zone.
15:28Lorsque le gouvernement britannique se décide enfin à intervenir, c'est avec l'obsession
15:32de ne pas trop dépenser. Intervenir massivement serait paralyser le libre marché et l'aide
15:38apportée ne doit pas être une distribution gratuite. L'Etat britannique achète donc
15:42du maïs aux Etats-Unis et le revend en Irlande. Les Irlandais qui voudront se nourrir devront
15:47donc acheter la nourriture qu'on met à leur disposition. L'Etat s'engage juste
15:51à conserver des prix coûtants, c'est à dire à ne pas faire de bénéfice sur le
15:55dos des affamés.
15:56Alors là je dis bravo, franchement bravo, parce que ça c'est une mesure, des gouvernements
16:02comme ça on n'en voit plus, c'est courageux !
16:05Dans un second temps et devant la pérennité de la crise alimentaire, le système change.
16:10Il n'est toujours pas question de distribution gratuite aux gens qui meurent de faim mais
16:14puisque les Irlandais n'ont plus d'argent, ils devront mériter l'aide gouvernementale
16:18en travaillant dans des chantiers publics, des constructions de routes ou de ponts lancés
16:22pour l'occasion.
16:23En somme c'est boss ou crève quoi, techniquement c'est du travail forcé. Mais bon voilà,
16:28si on peut profiter de la détresse des miséreux pour les faire trimer 10h par jour et développer
16:32au passage des infrastructures, franchement pourquoi se priver ?
16:36Bien que très modeste, ces mesures empêchent l'île, le premier hiver, de sombrer dans
16:40la famine. Mais un changement de gouvernement à Londres en 1846 rebat les cartes. Ses dépenses
16:47sont jugées excessives et le programme d'aide est revu à la baisse alors même que la récolte
16:53est encore plus désastreuse. Les chantiers publics sont maintenus mais tellement d'hommes
16:57se précipitent pour y toucher le faible salaire que cela entraîne un abandon des terres agricoles.
17:02Au lieu d'être une solution, cette politique contribue à aggraver le problème, les paysans
17:07ne labourent et ne s'aiment plus assez.
17:10Ce sont finalement des sociétés privées qui organisent des distributions alimentaires
17:13gratuites, les soupes populaires. Ce sont notamment les Quakers, une secte protestante
17:19qui compte dans ses rangs de riches industriels irlandais, qui prend les devants. En plus
17:23de donner de la nourriture, les Quakers achètent et distribuent du matériel agricole, des
17:28semences, des cannes à pêche, ce qui contribue à sauver de nombreuses vies.
17:32Devant l'inefficacité de son système de chantier public pour empêcher les Irlandais
17:36de mourir en masse, le gouvernement du Royaume-Uni change d'avis et organise à son tour des
17:41soupes populaires en 1847.
17:43Mais les décideurs gardent toujours à l'esprit que cela ne doit pas encourager l'oisiveté
17:49et la paresse alors que la ration distribuée reste faible. Malgré cette avarice des autorités,
17:57cela fonctionne et les Irlandais meurent moins. Et comme la récolte de 1847 est plutôt
18:02meilleure, les distributions gratuites sont arrêtées à la fin de l'été 1847.
18:07Ah les types, c'est vraiment les champions de la gestion de situation de crise !
18:12Une nouvelle loi d'assistance est promulguée dans la foulée pour résoudre les problèmes
18:16alimentaires de l'Irlande. Mais encore une fois, ce n'est pas sans arrière pensée.
18:21En effet, la Poor Law, ou loi sur la pauvreté de 1847, conditionne l'aide alimentaire
18:27aux personnes qui possèdent moins d'un dixième d'hectare, soit 1000m2 de terrain.
18:32L'objectif ? Forcer les locataires des terres à céder leur baille pour pouvoir obtenir
18:36l'aide et favoriser du même coup la concentration de grands domaines, plus faciles à valoriser
18:41pour l'élevage, qui est plus rentable et nécessite moins de main d'oeuvre.
18:45Malheureusement pour les spéculateurs, mais surtout pour les paysans, ça a souvent l'effet
18:50inverse. De peur de perdre leurs terres et la maison qu'elles ont construite dessus,
18:55de nombreuses familles renoncent à bénéficier de l'aide alimentaire et se laissent doucement
18:59mourir de faim sur leur petit lopin. Et pour cela, l'Etat ne fera rien !
19:05Les autres qui s'entassent dans des work-house pour travailler et obtenir leur ration quotidienne
19:10développent des maladies qui se répandent avec la promiscuité et l'épuisement des
19:13corps. Choléra, typhus, dysenterie et j'en passe. La situation sanitaire est désastreuse
19:23à tous les niveaux et quelques 300 000 Irlandais meurent dans les camps de travail de l'Etat.
19:29On comprend pourquoi l'inaction britannique a été décrite comme coupable par de nombreux
19:35historiens. Les dépenses engagées pour aider l'Irlande sont bien, bien en dessous des
19:40réelles capacités financières du royaume à cette époque, on le rappelle, plus vastes
19:45empires de la planète. Les autorités britanniques n'ont pas vu ou n'ont pas voulu voir qu'en
19:52n'intervenant pas, elles anéantissaient une province fertile et prospère. La peur
19:57de trop dépenser a finalement été contre-productive car l'économie irlandaise s'est totalement
20:03effondrée, les terres ont été abandonnées, l'industrie naissante s'est crachée et
20:08le quart de la population a disparu, morte ou exilée.
20:12Entre 1845 et 1853, le gouvernement du Royaume-Uni dépense au total entre 7 et 10 millions de
20:19livres pour aider l'Irlande. Une broutille quand on les compare avec les 69 millions
20:24de livres engagés dans la lointaine guerre de Crimée entre 1853 et 1856 pour empêcher
20:31la Russie d'accéder au détroit de la Méditerranée.
20:34Alors, quel est le bilan humain de cette catastrophe ? C'est beaucoup, on ne va pas se le cacher,
20:44mais le compte des victimes se heurte à des méthodes de recensement de l'époque.
20:49On dispose de chiffres fiables pour les années 1841 et 1851 car les recensements étaient
20:54organisés tous les 10 ans au Royaume-Uni. Entre les deux, les estimations sont assez
20:59floues. Les autorités alarmées par la famine en cours cherchent bien à connaître l'ampleur
21:03des dégâts, mais il est probable que les fonctionnaires chargés de cette mission aient
21:07sous-estimé les morts de faim. Les historiens se sont donc contentés des
21:11chiffres du recensement décennal auquel ont été soustraits les émigrants, dont on peut
21:15assez bien connaître le nombre grâce au registre des compagnies maritimes. Résultat,
21:201 million de morts entre 1846 et 1851 et 1 million d'exilés. En 6 ans, le quart de
21:28la population a disparu. C'est un véritable cataclysme démographique.
21:33Et à ça, bien évidemment, on pourrait ajouter les morts d'après 1851 qui ont contracté
21:38des maladies dues à la famine et ont patiemment agonisé pendant quelques années.
21:43En effet, la faim n'est directement responsable que d'un dixième des décès environ. Le
21:47reste des victimes succombe aux maladies qui sont favorisées par l'affaiblissement.
21:51Indemne, dysenterie, diarrhée, fièvre typhoïde, choléra, typhus, les défenses immunitaires
21:58des malnourris étant beaucoup plus basses, la sous-nutrition a entraîné en Irlande
22:02de véritables épidémies. Les maladies se propagent d'autant mieux qu'au milieu
22:06du XIXe siècle, dans une population miséreuse, l'hygiène est assez rudimentaire, pour
22:12ne pas dire pratiquement inexistante. Les quelques médecins qui s'affairent au milieu
22:17de la catastrophe utilisent encore des méthodes archaïques telles que des saignées ou prescrivent
22:21carrément du whisky aux mourants.
22:23Efficacité non garantie, n'en déplaise aux amateurs de Jack Daniels.
22:28Les dispensaires de l'île sont rapidement saturés et le gouvernement central ne décide
22:32de les renforcer qu'en 1851, alors que tout est déjà terminé. Pour calmer leur faim,
22:37les paysans se jettent sur toutes les herbes comestibles qu'ils peuvent trouver. Du pissenlit,
22:41de l'oseille, de l'ortie… Mais ce régime ne fournit que très peu de calories et aggrave
22:46même les cas de diarrhée et de dysenterie. Les Irlandais, au plus fort de la famine,
22:51ont très probablement eu recours au cannibalisme, puisque c'est le cas dans toutes les famines
22:55importantes. Mais ces pratiques sont mal documentées, probablement en raison du tabou
23:00total de cette pratique chez les catholiques. Seuls quelques archives judiciaires mentionnent
23:04quelques comportements anthropophages.
23:07Evidemment, la famine va accélérer les départs vers l'étranger. Mais cette émigration
23:11massive n'est pas due à la faim. On l'a vu, elle avait déjà commencé avant la famine,
23:18avec une fulgurante croissance démographique. Et c'est d'ailleurs pour rejoindre leur
23:21famille à l'étranger que la plupart des Irlandais vont partir pendant la famine.
23:25A partir de 1845, les migrations sont telles que l'Irlande, qui avait connu un boom démographique
23:31sans précédent, perd des habitants pendant presque un siècle après la grande famine.
23:35Au total, c'est sans doute 1,5 millions de départs qui ont été causés par la famine.
23:39Toutes les régions et toutes les classes sociales sont touchées, même si le phénomène
23:43est particulièrement accentué chez les paysans pauvres du sud et de l'ouest de l'île.
23:47Mais même une fois embarqués, les émigrants ne sont pas au bout de leur peine. Entassés
23:52par milliers, ils souffrent de conditions de voyage déplorables à tel point que sur
23:56ces navires, souvent appelés bateaux-cercueils, plusieurs dizaines de milliers d'Irlandais
24:00meurent des épidémies qui les suivent sur l'océan.
24:03Ce qui arrive dans les villes sur la côte est des Etats-Unis reforment des quartiers
24:07à majorité irlandaise et la diaspora irlandaise devient alors un atout important pour ce
24:12nouveau pays, qui a grand besoin de main d'oeuvre.
24:15Aujourd'hui, on estime que plus de 10% des habitants des Etats-Unis ont des origines
24:19irlandaises.
24:20Autre conséquence de la grande famine, l'accélération du déclin de la langue irlandaise gaélique.
24:26Et oui, parce que cette langue est surtout parlée dans les régions du sud et de l'ouest,
24:30les plus pauvres et donc celles qui ont compté le plus de morts et d'émigrés.
24:35La dernière conséquence de cette famine, c'est une conséquence qui est un peu moins
24:38visible.
24:39Un déficit de mémoire, un manque de récit collectif de cette tragédie.
24:43Et ce manque est en partie dû à l'exil des populations concernées et à l'absence
24:48de reconnaissance de cette catastrophe par l'Etat.
24:50La grande famine est en fait revenue sur le devant de la scène qu'avec son 150e anniversaire
24:55en 1895.
24:56A cette occasion, il y a eu de nombreux travaux d'historiens qui se sont penchés sur la
25:01et qui ont renouvelé ce débat, en particulier autour de la question de la responsabilité
25:06anglaise à l'époque.
25:07Mais pourquoi on a oublié pendant toutes ces générations ? Et bien peut-être parce
25:13que les gens étaient tellement choqués qu'ils n'ont même pas réalisé et qu'ils ne
25:17pouvaient pas réaliser, tout simplement, un genre de syndrome post-traumatique à l'échelle
25:21d'un peuple.
25:22Peut-être que ce phénomène pourrait avoir été accentué par la dépossession des paysans
25:26de leurs terres, auxquels les souvenirs familiaux étaient attachés.
25:30Et en y ajoutant l'exil d'un million d'habitants, on comprend pourquoi une mémoire orale de
25:35la grande famine a finalement eu beaucoup de mal à se constituer.
25:38Tony Blair, premier ministre du Royaume-Uni en 1997, a reconnu officiellement que le gouvernement
25:44du Royaume-Uni au XIXe siècle n'a pas fait le nécessaire pour endiguer ce qu'il a
25:48appelé une « terrible tragédie humaine ». La gestion de la crise par le gouvernement
25:53de l'époque reste toujours polémique et les nombreuses tensions entre le Royaume-Uni
25:57et la République d'Irlande ont été ravivées par le souvenir de la grande famine.
26:01Ce qu'il faut retenir de cette histoire, c'est qu'en pourcentage de la population
26:05tuée, environ 12%, la grande famine irlandaise est de loin la plus meurtrière de l'époque
26:12contemporaine, même si des famines en Chine et en Inde ont fait, en quantité absolue,
26:17bien plus de victimes.
26:18Et il faut ajouter à ça que la famine irlandaise n'est pas survenue dans un contexte guerrier,
26:23ce qui est généralement le cas, et que l'île était une province centrale du plus grand
26:27et du plus riche empire du monde à cette époque.
26:30Mais surtout, on retient que les catastrophes ne sont pas uniquement causées par les éléments
26:34naturels, ce sont bien davantage les conséquences de mauvais choix, qu'ils soient dus à des
26:38idéologies verrouillées et des préjugés comme dans le cas irlandais, ou plus généralement
26:42au manque de protection des populations vulnérables.
26:45Depuis 2008 en Irlande, un jour de souvenir a été institué, c'est le National Famine
26:51Commemoration Day.
26:52Il entend rappeler que les catastrophes sont évitables, à condition de le vouloir.
27:00C'est la fin de ce tableau assez dramatique que nous avons dressé de la Grande Famine
27:05Irlandaise.
27:06Merci à Lucas Pacotte pour la préparation de l'émission et merci à tous d'avoir
27:09suivi cet épisode.
27:10On se retrouve très bientôt sur Nota Bene et sur Tiktok et Instagram, on fait plein
27:15de programmes super sympas en ce moment !
27:22Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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