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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marguerite Caton, bonjour.
00:08 Bonjour Guillaume et bonjour à tous.
00:09 Alors, la vieillesse ne va pas très bien mais la jeunesse, elle, va mal.
00:14 La jeunesse va mal, vous n'ignorez pas.
00:16 Les troubles psychiatriques sont même la première cause de mortalité chez l'enfant.
00:19 Le problème c'est que la pédopsychiatrie aussi va mal.
00:22 Manque de moyens, de personnel.
00:24 L'équation peut sembler insoluble mais vous êtes mathématicien Bruno Fadissar,
00:28 en plus d'être pédopsychiatre.
00:30 Bonjour.
00:31 Avec la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent que vous
00:33 présidez, vous avez mené une vaste étude auprès des professionnels et des usagers
00:37 pour réorganiser la profession.
00:39 Le rapport sera discuté mardi en présence de ministres.
00:42 En attendant, quel est votre premier constat ? D'abord, que les troubles que présentent
00:47 les jeunes ont changé et s'expriment différemment ?
00:48 Oui, la société a changé.
00:50 Il y a d'abord plus de pression scolaire, l'éco-anxiété et puis l'épidémie de
00:56 Covid a mis son grain de sel là-dessus.
00:57 Alors que certains indicateurs allaient mieux au début du XXe siècle, il y avait moins
01:02 de suicides chez les jeunes, avec un peu plus de souffrance psychique.
01:05 Le paradoxe était d'ailleurs difficilement explicable.
01:07 Mais là, depuis trois ans, ça se dégrade beaucoup.
01:09 Et dans le même temps, la question de la santé mentale s'est amplifiée au point
01:13 de prendre le pas sur la psychiatrie.
01:15 Comment distingue-t-on mal-être de maladie ?
01:17 Pour les autres maladies, en fait, ce n'est pas très compliqué.
01:20 Vous vous coupez un peu le doigt en faisant la cuisine.
01:22 Vous n'allez pas aux urgences, ni vous faire opérer par un chirurgien.
01:25 Vous mettez un petit sparadrap, vous vous faites consoler.
01:28 Et puis voilà, avec les chagrins de la vie quotidienne, ça devrait être pareil.
01:33 C'est un problème de santé mentale.
01:35 Ça n'a rien à voir avec la médecine ni avec la psychiatrie.
01:37 Mais si vous avez des idées de mort, si vous pensez même à un passage à l'acte,
01:43 il faut aller voir un médecin et un psychiatre.
01:44 Voilà, pour les besoins.
01:46 Si l'on se penche maintenant du côté des ressources de la discipline, Bruno Falissard,
01:50 on a parfois l'impression d'une guerre de tranchées entre les différentes pratiques.
01:54 Dites-nous, quelle place pour la psychanalyse aujourd'hui dans le soin des enfants et des adolescents ?
01:58 C'est vrai qu'il y a 30 ans, il y avait de la psychanalyse partout.
02:03 Et qu'il y en avait trop.
02:06 On est bien d'accord là-dessus.
02:07 Mais alors, 10 ans après, on met des neurosciences partout et c'est le même problème.
02:13 En fait, quand un enfant ne va pas bien, il est dans une famille, il est dans une école,
02:19 il est dans une société avec une culture.
02:21 Et il n'y a pas une seule science qui permet d'expliquer tout ça.
02:25 Pour être pédopsychiatre, il faut être cultivé, il faut lire beaucoup de choses,
02:29 de l'anthropologie, parce qu'aujourd'hui, on a des migrants non accompagnés.
02:32 Et pour comprendre pourquoi ils ne vont pas bien, il faut comprendre leur culture d'origine.
02:36 Oui, la psychanalyse, c'est utile, incontestablement.
02:41 Oui, les neurosciences, c'est utile, incontestablement.
02:43 Mais il y a autre chose dans la vie.
02:44 Et alors du coup, la psychanalyse, aujourd'hui, qu'est-ce que vous en faites ?
02:47 La psychanalyse, ça permet de comprendre l'extrême complexité qui peut se passer
02:52 dans une famille.
02:53 Beaucoup d'entre nous avons des enfants et vous avez dû remarquer qu'on les adore,
02:59 mais que par moments, on les déteste aussi parce qu'on n'en peut plus.
03:02 Et comprendre cette ambivalence, la psychanalyse, ça rend service.
03:06 Et vous avez dit un mot des neurosciences.
03:07 Est-ce qu'il y a des applications aujourd'hui en psychiatrie ? En pédopsychiatrie, précisément.
03:11 Alors, il y a des applications pour comprendre certains troubles.
03:14 Notamment les sciences cognitives, on a montré qu'un enfant autiste, en fait, pour lui,
03:20 vous regardez dans les yeux, ce n'était pas sa façon à lui de rentrer en contact
03:24 avec vous.
03:25 Il va plus regarder votre bouche.
03:27 Et ça, quand vous connaissez cette information, parlez avec un autiste.
03:32 En fait, il vaut mieux le regarder le col de sa chemise que de le regarder dans les
03:36 yeux.
03:37 Donc, c'est utile.
03:38 Après, plus que ça, malheureusement, non.
03:39 Et c'est une curiosité.
03:40 Après 20 ans d'immenses découvertes en neurosciences, il n'y a pas d'application
03:45 concrète en pédopsychiatrie manifeste.
03:48 On a aussi parfois le sentiment d'un débat sans fin sur les traitements.
03:52 Plus de thérapie, mais lesquels ? Ou plus de médicaments ? Qu'est-ce qui ressort
03:56 de votre étude ? Est-ce qu'on sait évaluer l'efficacité des différents soins aujourd'hui
03:59 ?
04:00 Alors oui, bien sûr, comme dans le reste de la médecine.
04:02 Ça n'est pas simple, mais dans le reste de la médecine, ce n'est pas simple non
04:04 plus.
04:05 Et ce qui ressort, c'est qu'en fait, ce qui marche le mieux, c'est quand les professionnels
04:09 sont bien formés.
04:10 Voilà.
04:11 C'est un bon chantier aussi.
04:13 Alors l'enjeu de ce rapport, c'est de réorganiser les soins.
04:17 La pédopsychiatrie, de la redéployer dans un contexte d'explosion de la demande,
04:21 on l'a dit, mais aussi d'importantes difficultés de moyens.
04:23 Il faut peut-être que le pédopsychiatre commence par mieux s'appuyer sur les autres
04:28 professionnels, parce qu'il n'est pas seul.
04:30 Et puis, vous l'avez laissé entendre, le soin pédopsychiatrique, il est en fait pluridisciplinaire.
04:34 Absolument.
04:35 Il est systémique.
04:36 C'est toujours un soin d'équipe.
04:38 Alors, la question est d'autant plus sensible que nous sommes peu nombreux et que compte
04:44 tenu du délai qu'il faut pour former des pédopsychiatres, 11 ans, et de la crise de
04:49 la démographie médicale, ça ne va pas s'arranger dans les 20 ans à venir.
04:52 Donc, il faut que l'on accepte, nous pédopsychiatres, de consacrer notre pratique à quelque chose
04:59 de limité.
05:00 Mais heureusement, nous avons autour de nous des infirmiers, des psychologues, des orthophonistes,
05:05 des psychomotriciens, des éducateurs, des enseignants, etc. et qu'il faut former.
05:10 Je l'ai dit tout à l'heure, la formation, c'est essentiel.
05:12 Monter en gamme.
05:13 Il y a des infirmiers, par exemple, après 5, 6 ans d'expérience, qui ne demandent
05:18 qu'à se former davantage pour prendre plus de responsabilités.
05:21 Il faut les encourager.
05:22 Pareil pour les psychologues.
05:23 En France, il y a une hétérogénéité de formation des psychologues.
05:26 Figurez-vous qu'en France, c'est un des seuls pays où les psychologues ne sont pas
05:29 des professionnels de santé.
05:30 Ce sont des acteurs du soin.
05:32 Ce ne sont pas des soignants.
05:33 Vous voyez toutes ces petites querelles internes.
05:37 Il faut que ça cesse.
05:38 Il faut qu'on avance pour les patients.
05:40 Et puis, effectivement, il faut réorganiser le système de soins.
05:43 Parce qu'il y a une telle demande avec une telle attente pour des problèmes de santé
05:47 mentale, mais qui ne sont pas de la psychiatrie, qu'il faut qu'il y ait une première réponse,
05:52 peut-être dépsychiatrisée, peut-être démédicalisée, pour les familles qui sont en demande de soins.
06:00 Oui, c'est ça la grande proposition de votre rapport.
06:03 Démédicaliser le soin en santé mentale, laisser la psychiatrie à l'endroit des
06:09 soins les plus complexes, comment on pourrait le faire concrètement ?
06:11 Alors, c'est un peu brutal et c'est provocateur et c'est fait exprès pour ouvrir le débat.
06:16 Mais l'idée, c'est que nous avons l'impression d'abord que la société attend ça.
06:21 Ça va mal dans ma famille, j'ai l'impression que mon enfant ne va pas bien.
06:24 Mais j'aurais envie d'aller en parler à quelqu'un, mais qui n'est pas forcément
06:27 un psychiatre.
06:28 Et je pense que nous avons à tenir compte des évolutions de la société.
06:32 Et puis d'autant plus que nous ne sommes pas nombreux et que nous ne pouvons pas accueillir
06:36 tout le monde.
06:37 Alors après néanmoins, il faut faire attention.
06:39 Dans ces centres de premier recours en santé mentale, bien sûr qu'il y aura des pédopsychiatres
06:44 en supervision pour discuter des cas les plus sévères et à prendre en charge dans les
06:48 soins de second niveau.
06:49 Mais la question derrière ce premier niveau moins médicalisé, c'est quand même celle
06:55 de l'uniformité, de proposer la même offre de soins partout, d'avoir une tour de contrôle
07:01 quand même, même pour les différentes pratiques que vous avez évoquées, les différentes
07:04 professions.
07:05 Oui, alors là, il faut profiter du fait que notre système de soins pédopsychiatriques
07:10 est quand même bien structuré depuis sa création en 1972.
07:13 Il y a une sectorisation, c'est à dire pour 45 000 jeunes français, il y a un intersecteur
07:19 de pédopsychiatrie avec un centre médico-psychologique.
07:22 Et ça, ça permet de réduire les inégalités d'accès aux soins.
07:25 C'est quasiment unique dans le monde et tout le monde nous l'envie.
07:28 Et ça, ça permet quelque part de structurer l'offre de soins pédopsychiatriques à
07:32 l'échelon local.
07:33 Et c'est là que se développerait du coup ce guichet numéro un, ouvert à tous, où
07:37 on peut en fait venir demander conseil.
07:39 Alors ça serait un amont de ça.
07:40 Ça, ça serait la tour de contrôle, comme vous dites.
07:42 Et en amont de ça, il y aurait des structures maison des familles, maison des mille premiers
07:46 jours, maison des adolescents, où l'intervention des psychiatres serait beaucoup plus limitée,
07:51 mais serait sous la supervision de l'intersecteur.
07:53 Merci beaucoup Bruno Falissard, président de la Société française de psychiatrie de
07:57 l'enfant et de l'adolescent, donc mardi pour la journée mondiale de la santé mentale
08:01 de l'enfant et de l'adolescent.
08:02 Votre rapport sera discuté en présence du ministre Valtoux.
08:05 Merci d'être venu nous en parler ce matin.
08:07 Merci à vous.
08:08 6h39, les matins de France Culture.
08:14 Guillaume Erner.

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