L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 18 Mai 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 * Extrait *
00:07 Une première depuis 2011, une première depuis le début de la répression violente, sanguinaire,
00:12 initiée par Bachar Al-Assad contre son peuple.
00:15 Demain, le régime syrien sera représenté lors du sommet de la Ligue arabe organisée
00:19 à Jeddah, en Arabie Saoudite, tout un symbole qui marque le retour progressif de la Syrie
00:25 dans le jeu diplomatique international.
00:27 Comment le comprendre ? La Syrie a-t-elle réussi à mettre un terme à son isolement ?
00:32 Pour en parler, je reçois ce matin deux invités.
00:36 Leila Vignal, bonjour.
00:37 Bonjour.
00:38 Vous êtes géographe, professeure et directrice du département de géographie à l'École
00:42 Normale Supérieure, spécialiste de la Syrie et du Moyen-Orient, autrice également en
00:47 2020 de Warthorn, The Unmaking of Syria.
00:50 Et à vos côtés, Salam Khawakibi.
00:52 Bonjour monsieur.
00:53 Bonjour.
00:54 Vous êtes mythologue, directeur du CAREP, le Centre arabe de recherche et d'études
00:57 politiques ancien, directeur de l'Institut français du Proche-Orient à Alep, en Syrie.
01:03 Et pour commencer, Salam Khawakibi, une question.
01:05 Cette réintégration de la Syrie au sein du monde pan-arabe et au sein de la Ligue arabe,
01:11 est-ce que c'est un symbole de plus dans la réintégration de la Syrie dans le jeu
01:15 international ?
01:16 Je crois que c'est un symbole que les régimes qui se ressemblent se retrouvent enfin.
01:26 Les régimes qui réintègrent Assad au sein de la Ligue arabe, ils ne sont pas très différents
01:32 de lui.
01:33 Ils sont aussi acharnés contre leur population.
01:36 Ils ont tué avec des tronçonneuses leurs journalistes.
01:43 Vous parlez de l'Arabie Saoudite ?
01:44 Je parle de l'Arabie Saoudite.
01:46 Ils ont maté des soulèvements populaires pacifiques comme en Algérie.
01:52 Ils ont plus de 60 000 prisonniers politiques comme l'Egypte.
01:57 Ils financent toutes les contre-révolutions arabes comme les Émirats arabes unis.
02:03 Alors Assad se retrouve dans un milieu très amical, très réceptif de ses pensées.
02:13 Son écartement de la Ligue arabe n'était pas du tout un écartement basé sur des principes,
02:18 des valeurs, les droits de l'homme, etc.
02:21 C'était un écartement pour des différents, j'oserais dire, personnels entre lui et certains
02:28 leaders arabes décideurs de toute la région.
02:33 Et aussi une façon de montrer à la dite communauté internationale qu'on est contre la répression,
02:41 qu'on est pour une démocratie dans ce pays et on va faire le nécessaire pour vous faire
02:47 plaisir.
02:48 Donc il y avait quand même en façade du moins ces valeurs affichées par les autres pays
02:52 arabes depuis 2011 ?
02:53 Oui, surtout que c'était en écho aux réactions des pays démocratiques qui sont restés très
03:02 limités et qui sont restés aussi entourés par des discours que des discours depuis
03:10 l'éclatement de la révolution pacifique avant qu'elle se transforme en tuerie deux
03:15 ans après son dominance.
03:17 Léa Villanial, est-ce que vous faites au fond la même lecture de cette réintégration
03:22 de la Syrie au sein de la Ligue arabe ?
03:23 Est-ce que c'est pur cynisme, pur réel politique ?
03:27 Alors, vous avez mentionné le fait que cette réintégration au sein de la Ligue arabe
03:33 signifiait peut-être le début de la réintégration de la Syrie sur la scène internationale.
03:37 C'était comme ça que vous avez ouvert votre question à Salam Khawakibi.
03:40 Là, je pense qu'on n'y est pas du tout encore.
03:42 On pourra en parler.
03:44 Mais effectivement, ce qu'on voit, c'est que de toutes les manières, les pays arabes
03:49 qui sont 22 au sein de la Ligue arabe ne sont pas complètement homogènes, ne forment pas
03:54 un groupe homogène par rapport à cette question de la réintégration de la Syrie.
03:59 Il y a différents groupes qui se sont constitués avec le temps et effectivement, c'est les
04:03 pro-normalisations, il y a un groupe de pays qui a toujours été pro-normalisation qui
04:08 finalement maintenant a remporté la mise suite à un processus qui a été enclenché
04:12 depuis quelques années.
04:14 Et les opposants, les pays qui s'opposent encore à la réintégration de la Ligue arabe
04:19 ont finalement acté, notamment le Qatar, ont finalement acté le fait de la majorité
04:24 tout en gardant des réservations à titre national.
04:28 Par exemple, le Qatar a obtenu le fait de ne pas avoir à rétablir des relations diplomatiques
04:36 avec la Syrie.
04:37 Mais effectivement, il y a un très grand cynisme qui apparaît avec cette réintégration,
04:41 mais finalement d'une dictature qui rejoint un ensemble globalement composé d'États
04:47 autoritaires et d'autres dictatures dont les mains peuvent être effectivement ensanglantées
04:53 également.
04:54 - Et pour le point de Wakibi, ça vient d'être dit, au fond il y avait plusieurs groupes
04:57 de pays au sein de cette Ligue arabe.
05:00 Certains militent depuis plusieurs années pour la réintégration de la Syrie dans ce
05:05 groupe.
05:06 Au fond, la bascule c'est peut-être l'Arabie saoudite qui l'a enclenché en s'alliant d'une
05:11 part avec l'Iran, en tout cas en renouant des relations diplomatiques fortes avec l'Iran
05:15 il y a quelques semaines et en raffirmant sa volonté de redialoguer avec Bachar el-Assad
05:21 il y a quelques jours.
05:22 - Tout à fait.
05:23 Les efforts se faisaient par les Émirats depuis les Émirats arabes unis depuis 2018.
05:31 Mais ce qui a fait basculer la donne c'est l'acceptation de l'Arabie saoudite qui était
05:38 un petit peu liée aussi à la réconciliation avec l'Iran.
05:42 C'était une des conditions de l'Iran pour renouer avec l'Arabie saoudite.
05:47 C'était dans les coulisses, dans les papiers un peu qui circulaient d'une manière discrète.
05:54 C'était une des conditions qu'il faut renouer avec la Syrie.
05:58 Pas seulement l'appel de l'Iran à l'Arabie saoudite c'était pour avoir la paix dans
06:04 la région il faut reconstruire la Syrie parce que sinon le terrorisme va revenir et vous
06:12 allez souffrir.
06:13 Donc maintenant l'Arabie saoudite malgré sa réconciliation avec l'Iran elle a mis parmi
06:22 ses conditions ou préconditions quand elle a négocié avec la Syrie le fait de la nécessité
06:29 d'éloigner l'Iran de la scène décisive syrienne.
06:33 Ce qui ne se fera jamais.
06:35 Et le régime syrien depuis le Assad Per n'a jamais respecté aucun engagement au sein
06:44 de la Ligue Arabe voire au sein de la communauté internationale pour venir maintenant respecter
06:53 trois conditions qui ont été posées par l'Arabie saoudite.
06:58 L'arrêt du trafic de la drogue.
07:01 Le Cap Tagon notamment.
07:02 Le retour des réfugiés dans des conditions contrôlées et sans sanctions et sans sentiments
07:11 revanchards.
07:12 Et le troisième éloigner l'Iran du contrôle total de la Syrie.
07:20 Et ces trois conditions le jour même de la rencontre à Amman entre les ministres arabes
07:26 et les ministres syriens.
07:27 La Syrie a reçu le président iranien qui depuis 12 ans aucun président iranien s'est
07:33 rendu à Damas.
07:34 Ils ont signé avec lui huit contrats à long terme pour que l'Iran puisse contrôler
07:40 l'ensemble de l'économie syrienne.
07:42 Ils ont en même temps envoyé des millions de cachets de Cap Tagon en Arabie et en Jordanie.
07:51 On parle du jour même.
07:53 Et ils ont aussi arrêté des centaines de réfugiés syriens qui ont été envoyés
08:01 du Liban ou bien pour les amener notamment les hommes au service militaire ou en prison
08:07 parce que c'était des anciens manifestants.
08:09 Le Cap Tagon on rappelle que c'est cette drogue fabriquée à bon marché.
08:13 Des millions et des millions de pilules notamment fabriquées dans les zones dirigées par le
08:18 régime de Bachar el-Assad déversées dans l'ensemble du Moyen-Orient, notamment en
08:23 Arabie saoudite.
08:24 On l'appelle aussi la cocaïne du pauvre.
08:27 Est-ce que vous êtes d'accord au fond Leyla Vignal avec cette triple idée ?
08:31 L'ambition de l'Arabie saoudite c'est d'abord en renouant avec la Syrie, c'est d'abord
08:37 de contrôler la triple question du terrorisme des réfugiés de la drogue.
08:42 Oui, c'est à dire que ce qui est intéressant de voir dans tout le déploiement de ce processus
08:48 de réintégration, c'est qu'il y a eu dans les derniers mois une forme de conditionnalité
08:56 qui s'est dessinée.
08:57 Alors pour les pays qui ont favorisé cette réintégration, la conditionnalité pouvait
09:05 varier et effectivement pour l'Arabie saoudite et pour l'ensemble des pays arabes de façon
09:10 plus générale, c'est vraiment trois piliers importants.
09:13 Le Cap Tagon c'est plusieurs milliards de dollars.
09:16 C'est vraiment la bouée de sauvetage économique du régime syrien.
09:20 Aujourd'hui le budget de l'état syrien il a chuté à 3,3 milliards d'euros.
09:25 C'est vraiment un pays complètement ruiné.
09:27 Le Cap Tagon, je me permets de vous couper, ce serait entre 5 et 10 milliards de revenus
09:31 pour la Syrie chaque année et le premier produit exporté à l'étranger.
09:35 C'est effectivement économiquement extrêmement important et puis c'est surtout une carte
09:40 politique, une carte de nuisance politique.
09:42 Et le régime syrien a d'ailleurs montré qu'il était capable d'utiliser cette carte
09:47 vraiment à sa main en opérant des saisies de Cap Tagon à sa frontière depuis le début
09:54 du mois de mai pour montrer à ses pairs arabes qu'il était capable de le contrôler comme
09:59 justement de le laisser passer.
10:02 Il y a la deuxième question que vous avez évoquée qui est la question des réfugiés,
10:05 qui est une question brûlante dans la région, moins pour l'Arabie saoudite d'ailleurs
10:08 que pour le Liban et pour la Jordanie.
10:11 La Jordanie qui est aussi un des pays qui a été en faveur de cette normalisation à
10:15 la fois pour cette question des réfugiés, du retour des réfugiés syriens, mais aussi
10:19 pour des questions économiques parce que la Jordanie est effectivement économiquement
10:24 très liée à la Syrie, qui sont autant de questions comme Salam Kawakibi l'a rappelé,
10:31 par rapport auxquelles il est, je pense que les gouvernements arabes ne peuvent pas se
10:36 faire beaucoup d'illusions sur l'engagement de Bachar el-Assad de tenir ses promesses.
10:45 Promesses qu'il n'a pas faites d'ailleurs parce qu'il y a ces formes de conditionnalité
10:48 qui sont là, qui ont été discutées, mais finalement pour une réintégration sans condition
10:53 parce que rien n'a été acté officiellement par Bachar el-Assad.
10:59 Donc la question du retour des réfugiés depuis des années, c'est une question qui
11:03 est sur l'agenda de discussion régionale et internationale.
11:06 Le régime syrien n'a jamais fait le premier geste en faveur du retour des réfugiés et
11:13 on peut constater que les 8 millions de réfugiés syriens qui sont à l'extérieur ne reviennent
11:17 pas, c'est pour de bonnes raisons.
11:19 Et Salam Kawakibi rappelait effectivement la destination prison ou armée qui attend
11:26 notamment les hommes syriens qui sont à l'extérieur.
11:29 Salam Kawakibi, vous souhaitez réagir ?
11:31 Oui, pour répondre là-dessus, Assad lui-même devant des diplomates syriens, il a prononcé
11:40 une phrase qu'on n'a jamais entendue depuis 1933 qui parlait d'une société homogène.
11:46 Il a dit "il est vrai qu'on a perdu 8 millions de réfugiés qui sont partis de la Syrie,
11:53 c'est vrai qu'on a perdu 500 000 morts, mais au moins nous avons actuellement une
11:58 société homogène".
11:59 Et ça vous rappelle quelque chose en 1933.
12:02 Donc quand il parle d'une société homogène, il ne voudra jamais faire un déséquilibre
12:12 au sein de cette homogénéité et surtout que beaucoup de localités d'où venaient
12:18 ces réfugiés n'existent plus sur la carte.
12:21 Donc si admettons, ces réfugiés, le régime va leur donner des garanties, les Arabes vont
12:28 financer leur retour, mais ils retourneront où ? Et aussi le régime, depuis le début
12:36 de la révolution, il a travaillé d'une manière systématique à changer la donne
12:41 des banques graphiques.
12:42 Toute la zone qui entoure le Liban, qui était de petites villes et petits villages, la population
12:51 a été déplacée d'une manière méthodologique et remplacée par une communauté proche de
12:58 Hezbollah, c'est-à-dire des chiites.
13:00 Et donc de l'Iran.
13:01 Donc il y a toute une ingénierie démographique qui était vraie en Syrie.
13:08 Comment maintenant il va la changer ? Il ne la changera jamais.
13:11 Est-ce que le grand talent cynique de Bachar Al-Assad, Laila Vinyal, ça n'a pas été
13:18 aussi de profiter du tremblement de terre qu'a secoué la Turquie et la Syrie, qui
13:23 a fait des dizaines, des centaines de milliers de morts en Turquie et en Syrie ? Et au fond,
13:28 d'avoir réussi à susciter une forme de solidarité pan-arabe à ce moment-là ?
13:33 Alors, le séisme a évidemment joué aussi son rôle, en tout cas sur la scène diplomatique
13:40 et par rapport aux opinions publiques.
13:42 C'est-à-dire qu'il y a eu une instrumentalisation à la fois par les États arabes et par le
13:47 régime.
13:48 Effectivement, Bachar Al-Assad s'est présenté comme le protecteur de la Syrie et le distributeur
13:52 de l'aide humanitaire, ce qui n'est pas le cas sur le terrain.
13:57 Bachar Al-Assad a exigé que toute l'aide humanitaire d'urgence passe par ces canaux,
14:03 comme pour toute aide humanitaire.
14:04 Et en fait, ces canaux sont tout à fait inefficaces.
14:07 On parle d'un pays en ruine, avec un appareil d'État en ruine, et donc une capacité logistique
14:15 à apporter l'aide nulle.
14:17 Et puis, sans parler du fait que certaines régions, notamment la région d'Idlib, sont
14:20 contrôlées encore par des forces d'opposition et que donc il était hors de question que
14:24 cette aide humanitaire qui passait par Damas abonde ces régions.
14:28 Par ailleurs, du côté des États arabes, le séisme a été utilisé de façon très
14:34 intelligente en termes de communication politique en envoyant des messages de condoléances
14:43 à la Syrie.
14:44 Assad a passé d'ailleurs une semaine à lire tous ces messages de condoléances arrivant
14:48 de ses anciens frères ennemis.
14:50 Et puis, le séisme a permis une justification de ce mouvement multilatéral de normalisation
14:58 via l'aide humanitaire.
14:59 Il y a eu une espèce de course à la proposition d'envoi de biens, d'argent, de solidarité
15:07 en actes, etc.
15:08 Ce qui a permis, en tout cas dans le discours public, d'acter dans la sphère publique cette
15:15 normalisation qui était déjà engagée, comme on l'a rappelé.
15:18 Salam Kawa-Kibi, sur le séisme, vous êtes d'accord au fond sur le… Il y a eu un double
15:23 opportunisme côté syrien et côté des autres pays arabes ?
15:26 C'était l'occasion par excellence pour les pays arabes qui entretenaient des relations
15:33 sous la table avec le régime, notamment l'Arabie Saoudite, les Émirats et la Jordanie, de
15:40 faire ça en public.
15:41 Aussi, il faut souligner que l'aide humanitaire qui a été donnée au régime syrien, elle
15:49 est partie dans les réseaux de la corruption très bien organisée en Syrie.
15:56 Et pour ce dire, il n'y a pas eu d'aide humanitaire qui a atteint les victimes, les
16:06 vraies victimes.
16:07 La majorité de l'aide humanitaire n'est pas arrivée aux vraies victimes.
16:12 On a trouvé beaucoup d'aide humanitaire avec les cachets des Nations Unies, sur le
16:17 marché noir, partout dans les villes contrôlées par le régime.
16:22 Moi, je ne parle pas de diplomatie de séisme, je parle du séisme de la diplomatie et je
16:30 crains que ça va dépasser les frontières des pays arabes pour atteindre l'Occident
16:36 et bientôt les États-Unis.
16:37 On parle beaucoup ces dernières semaines et particulièrement aujourd'hui de la réintégration
16:42 de la Syrie au sein de la Ligue arabe, puisque je le rappelle, Bachar Al-Assad participera
16:47 demain à sa première réunion depuis 11 ans, l'Eilat Vignal, au-delà du symbole.
16:52 Quel est le poids aujourd'hui de la Ligue arabe ? Est-ce que cette réintégration va
16:56 donner un poids nouveau, réel à la Syrie ?
17:00 Alors, la Ligue arabe, il ne faut évidemment pas s'imaginer que c'est l'Union européenne.
17:05 C'est une association politique qui a un certain nombre de programmes communs, notamment
17:11 en termes d'éducation, etc.
17:13 Mais ce n'est pas du tout un organe qui viendrait chapeauter une intégration régionale, économique,
17:22 politique, en termes de développement.
17:23 Donc c'est un organe dont les décisions sont finalement non liées à des applications.
17:36 C'est plutôt un forum de délibération assez impuissant.
17:41 La Ligue arabe n'a réglé aucun des problèmes de la région.
17:44 Donc c'est pur symbole selon vous ? C'est plus un symbole diplomatique ?
17:47 Alors, ce qu'il y a, c'est que c'est plus qu'un symbole diplomatique quand même.
17:53 Il faut imaginer l'état de l'opposition syrienne aujourd'hui suite à cette réintégration
18:02 et aussi le sentiment d'abandon accru que peut avoir la population syrienne qui a été
18:07 victime du régime en voyant ce processus de normalisation.
18:11 Mais effectivement, c'est un organe, la Ligue arabe, pour vraiment répondre à votre question
18:16 précisément, qui n'a pas d'instrument politique particulier, mais c'est un signal
18:24 très fort sur le plan politique et symbolique au niveau régional.
18:27 Merci à tous les deux.
18:28 On va poursuivre notre discussion sur la démarginalisation de la Syrie.
18:32 Ce sera à partir de 8h15 avec vous deux, Leïla Vignal et Salam Kawakibi.
18:37 France Culture, merci d'entamer votre journée à l'écoute de France Culture.
18:41 Il est 8h.
18:42 Demain, le régime syrien sera représenté lors du sommet de la Ligue arabe organisé
18:54 à Jeddah en Arabie Saoudite.
18:55 Tout un symbole et pour le comprendre, ce symbole, je reçois ce matin Leïla Vignal,
18:59 géographe, professeure et directrice du département de géographie à l'école normale supérieure
19:05 ainsi que Salam Kawakibi, politologue, directeur du CAREP, le Centre arabe de recherche et
19:10 d'études politiques, ancien directeur de l'Institut français du Proche-Orient à
19:15 Alep en Syrie.
19:16 Cette réintégration de Bachar Al-Assad à la Ligue arabe est d'autant plus impressionnante
19:23 qu'en 2013, c'était l'opposition anti-Assad qui avait pu occuper le siège de la Syrie
19:28 lors d'un sommet de la Ligue arabe à Doha au Dakar.
19:31 Comment a réagi Salam Kawakibi, cette opposition à la réintégration progressive de Bachar
19:37 Al-Assad et de la Syrie officielle à ce mouvement panarabe ?
19:41 Le choc apparemment est énorme mais il faut savoir que durant cette décennie, les dernières
19:50 douze ans, l'opposition syrienne s'est éparpillée et elle est devenue aussi à la
19:58 merci de plusieurs pays arabes, voire plusieurs forces régionales et internationales.
20:04 Ceux qui se retrouvent en Turquie vont subir la décision du prochain gouvernement turc
20:14 après les élections et les tendances vont à la normalisation aussi entre la Turquie
20:22 et le régime Assad, ça veut dire que l'opposition va se taire ou va quitter la Turquie.
20:27 Aussi, vous avez des opposants qui ont été à la merci de plusieurs pays du Golfe et
20:35 eux aussi, ils vont choisir l'exode vers des pays plus démocratiques pour pouvoir
20:42 exprimer leurs opinions.
20:43 Il n'y a plus d'opposition organisée, il n'y a plus d'instance de l'opposition
20:50 qui a les moyens de réagir.
20:51 Pour bien comprendre ce que vous dites, l'opposition notamment qui est installée à Doha au Qatar
20:56 devrait quitter le pays selon vous dans les semaines qui viennent ?
20:59 Non, non, à Doha non, parce que le Qatar ne normalisera pas.
21:04 Non, moi je parle de l'Arabie Saoudite et des Émirats et de la Turquie peut-être.
21:10 Tout dépendra des élections parce que l'opposition syrienne, même si elle soutient au fond
21:19 d'elle la démocratie en Turquie, mais en même temps elle sait que les démocrates
21:23 turcs vont chasser 3 millions de Syriens de la Turquie.
21:29 Alors ils préfèrent, contrairement aux intérêts peut-être de la Turquie, que Erdogan continue
21:35 à diriger le pouvoir parce qu'il a une position beaucoup plus modérée à l'égard des réfugiés
21:43 syriens qui dépassent les 4 millions quand même en Turquie.
21:47 Maintenant le risque c'est que les pays arabes qui réintègrent la Syrie au sein
21:54 de la ligue et qui vont relancer la coopération, notamment au niveau de la reconstruction,
22:03 arrivent à convaincre leurs alliés occidentaux de faire du même.
22:08 Et là ça va être vraiment, je crois que ça va être très difficile, notamment après
22:15 le vote du congrès américain il y a quelques heures d'une résolution qui sanctionne toute
22:23 normalisation avec le régime syrien.
22:24 Et aussi maintenant dans les pays européens, notamment la France et l'Allemagne, il y a
22:34 des procès contre le régime et ses symboles en liaison avec des crimes contre l'humanité
22:41 et crimes de guerre.
22:42 Donc ça va être vraiment très difficile, très paradoxal que ces pays occidentaux renouent
22:49 avec le régime syrien.
22:51 Mais rien n'est impossible en politique.
22:54 Léa Villanial, cette démarginalisation de la Syrie de Bachar el-Assad, est-ce que ça
22:59 correspond selon vous aussi à un effacement progressif à venir, presque fatal de l'opposition
23:07 syrienne ?
23:08 Alors je ne sais pas si...
23:10 L'opposition syrienne, elle est en position de grande faiblesse, mais depuis le départ
23:17 on est vraiment dans des ordres politiques tellement différents.
23:22 Est-ce que c'est le coup de grâce ?
23:23 Je voulais dire en un sens.
23:24 Est-ce que c'est le coup de grâce ?
23:26 Je ne saurais pas lire dans l'avenir, mais ce qu'il faut bien comprendre c'est qu'il
23:34 y a 8 millions de Syriens qui sont à l'extérieur, qui ne sont pas tous dans l'opposition.
23:38 Vous me posez la question de l'opposition politique.
23:41 Salam a bien décrit le fait qu'elle est très fragmentée.
23:44 Elle a été un moment unifié, elle a raté son moment d'unification dans des conditions
23:48 évidemment quand même assez hostiles.
23:50 Ensuite il y a 8 millions de Syriens dans le monde, essentiellement dans la région,
23:55 aussi dans les pays occidentaux, c'est-à-dire plus d'un tiers de la population syrienne
24:02 de 2011.
24:04 Cette Syrie de l'extérieur c'est aussi la Syrie.
24:08 Enfin il faut peut-être aussi comprendre la Syrie en dehors de son territoire.
24:14 C'est une diaspora extrêmement importante qui est structurée par des réseaux de solidarité,
24:19 par des réseaux économiques, par des réseaux culturels, par des réseaux politiques, dont
24:24 une partie est installée dans les pays démocratiques.
24:27 Et on voit bien la façon dont les personnes qui composent cette diaspora se réorganisent
24:35 avec les instruments aussi qui leur sont offerts dans les pays démocratiques.
24:38 Et Salam Khaoui Khibi mentionnait ces saisines des tribunaux européens qui sont faites au
24:44 titre de la compétence universelle.
24:46 En France, tout à fait récemment, en avril-mai, un tribunal a effectivement reconnu la capacité
24:53 des tribunaux français à se saisir de crimes de guerre perpétrés en Syrie au titre de
24:59 cette compétence universelle.
25:00 C'est ce genre de combat que raconte le magnifique documentaire "Les âmes perdues" de Stéphane
25:05 Malterre et de Garence Lequen qui est sur nos écrans actuellement.
25:10 Et qu'on a reçu à France Culture et dont France Culture est partenaire.
25:12 Parfait.
25:13 Et qui est un très très beau documentaire, très important.
25:15 Et qui montre que les recompositions de l'opposition elles sont multiformes et elles utilisent
25:23 aussi ce nouveau contexte de cette diaspora de guerre.
25:26 Je voudrais qu'on revienne un instant, on l'a évoqué dans la première partie de
25:29 cette discussion sur le Cap Tagon, cette drogue bon marché, facile à fabriquer, facile aussi
25:35 à faire circuler au Moyen-Orient, tant les frontières sont devenues poroses, notamment
25:40 autour de la Syrie.
25:42 Salam Khaoui Khibi, est-ce que la Syrie, comme on l'entend, comme on le lit parfois, est-il
25:47 devenu un véritable narco-état ?
25:49 Tout à fait.
25:51 Déjà la Syrie a contribué avec l'appui de Hezbollah libanais à développer le trafic
25:59 entre l'Amérique latine et l'Europe.
26:01 Il faut savoir que le réseau de Hezbollah en Amérique latine est très très développé
26:05 au sein de la diaspora libano-syrienne qui se trouve là-bas.
26:13 Mais aussi la Syrie, elle a toujours été, pas du tout une force politique ou une force
26:23 militaire réelle, mais elle avait toujours la force de nuisance.
26:27 Alors ça fait partie de cette philosophie.
26:29 La force de nuisance c'est toujours faire des petits coups par-ci, petits coups par-là,
26:35 deux attentats à Paris pour faire pression à Mitterrand, qui va se rendre à Damas en
26:39 1984, presque présenter ses excuses auprès des autorités syriennes parce que la Syrie
26:46 avait assassiné l'ambassadeur de France à Beyrouth.
26:49 C'est le surréalisme de la politique, notamment dans les pays démocratiques.
26:57 Et là la nuisance, c'est de dire aux voisins syriens, à la Jordanie, à l'Arabie saoudite,
27:02 aussi en partie au Liban et à certains pays du Golfe, de dire "voilà, j'ai la capacité
27:07 de rendre une part de votre population dépendante au Cap Tagon".
27:10 C'est déjà fait.
27:11 Les problèmes du Cap Tagon en Arabie saoudite sont des vrais problèmes.
27:16 Parce qu'il faut savoir que l'Arabie saoudite, c'est pas les Émirats ni le Qatar.
27:20 L'Arabie saoudite, c'est un pays riche, mais avec une forte population pauvre.
27:24 Et il y a une discrimination extrême au sein de la société saoudienne.
27:31 Et le Cap Tagon, c'est la cocaïne qu'on trouve à Dubaï.
27:37 En Arabie saoudite, c'est plutôt le Cap Tagon.
27:40 En Jordanie, avec la pauvreté, les camps des réfugiés, que ce soit palestiniens ou
27:44 syriens, aussi ça circule fortement.
27:47 Et ces deux pays se sont rendus compte du destin catastrophique que la continuation de ces
27:55 commerces réserve à leur population, à leur société.
28:00 Mais même dans les négociations qui se sont déroulées à Amman, en présence du ministre
28:05 syrien des Affaires étrangères, la question a été sur la table.
28:09 C'est-à-dire, vous voulez qu'on arrête le Cap Tagon ? Donnez-nous les moyens pour
28:13 reconstruire la Syrie, investissez dans notre économie pour qu'on arrête cette industrie.
28:19 Parce qu'il faut savoir que la Syrie, avant 2011, elle avait une industrie pharmaceutique
28:24 très développée.
28:25 Notamment grâce au secteur privé.
28:28 Toutes ces usines de médicaments, maintenant, se sont transformées en usines de Cap Tagon,
28:34 par ordre du frère du président.
28:38 - Du frère cadet de Bachar Al Assad, à la tête de la 4e division.
28:42 - Tout à fait, qui contrôle tous ces réseaux.
28:44 Et on sait très bien qu'en Syrie, même ouvrir une petite kiosque pour vendre des
28:49 journaux, il faut être associé avec l'un du clan, je ne dirais pas familial peut-être,
28:54 mais le clan bénéficiaire de ce système.
28:57 - Laïla Vignal, quel rôle joue, on a commencé à le dire un peu, mais quel rôle joue justement
29:02 le Cap Tagon dans les négociations, vous parliez tout à l'heure de conditions, dans
29:06 les négociations avec les autres pays arabes pour la réintégration de la Syrie sur la
29:10 scène internationale ?
29:11 - Voilà, c'est vraiment un sujet de préoccupation pour certains pays et notamment les pays,
29:17 la Jordanie qui pousse à la réhabilitation depuis quelques années, qui, les officiels
29:24 jordaniens ont fait du Cap Tagon un problème de sécurité nationale, c'est le vocabulaire
29:29 officiel.
29:30 Donc c'est vraiment très grave, très important.
29:31 Et effectivement, des garanties ont été demandées aussi à Saad sur sa capacité
29:40 de contrôler ce trafic.
29:42 - Est-ce qu'il reconnaît même son implication dans la production du Cap Tagon ?
29:46 - Donc là, est-ce qu'on n'est pas aussi dans un jeu de dupe ?
29:49 Alors tout le monde sait très bien que c'est le régime qui fabrique et qui contrôle ce
29:54 trafic.
29:55 Comme on l'a dit, le régime assadien a refusé toute forme de conditionnalité à sa réintégration,
30:01 alors que c'est ce qu'essayaient de faire les pays arabes.
30:05 Et le régime, effectivement, nie toute responsabilité, ce qui est un mensonge patent que tout le
30:12 monde connaît.
30:13 Donc vous voyez, il y a aussi toute une forme de jeu d'illusion.
30:17 Tout le monde espère que cette réintégration va pouvoir porter ses fruits, mais chacun
30:25 est extrêmement conscient du fait que la Syrie est d'une certaine manière dans une
30:30 position de force pour imposer sa réintégration sans finalement rien lâcher de ses leviers.
30:37 Comme on le disait au début de cette discussion, la Syrie dispose de quelques leviers, de quelques
30:42 cartes de nuisance.
30:43 Le Cap Tagon en est une, avec notamment la question des réfugiés qui en est une autre
30:49 très importante, puisque ça a des impacts régionaux.
30:52 La troisième étant le fait qu'elle est dans un partenariat très proche, très étroit
30:57 et renouvelé avec l'Iran.
30:58 On a parlé des pays arabes, on a parlé des pays qui appartiennent à la région du Moyen-Orient
31:04 de manière plus générale.
31:05 Je voudrais qu'on élargisse la focale en cette fin de discussion pour comprendre quelle
31:09 est l'implication d'autres pays, et notamment la Chine.
31:12 J'ai remarqué hier ce tweet absolument incroyable, c'est le mot, dans l'ambassade de Chine
31:18 en France.
31:19 Vous le cite, "Le retour de la Syrie dans la Ligue arabe prouve une fois de plus que
31:23 lorsque l'ombre des États-Unis se rétrécit, la lumière de la paix se répand".
31:28 Un commentaire, Salam Kawatibi.
31:30 Vous savez, l'ambassade de Chine à Paris, elle est célèbre pour ses déclarations cyniques.
31:38 Moi, j'ose dire, je félicite la Chine et la Russie de Poutine de leur cynisme, parce
31:46 qu'au moins, eux, ils étaient fidèles à leur engagement.
31:48 Ils sont engagés dès le début de la révolution syrienne à soutenir le régime.
31:54 Ils ont tenu leur promesse.
31:56 Contrairement à tous les amis du peuple syrien qui se sont réunis en juillet 2012 à Paris
32:03 pour dire que la Syrie, le peuple syrien, la démocratie, les droits de l'homme, tout
32:07 ça s'est tombé à l'eau et on a sous-traité la Syrie par une décision d'Obama en 2013
32:15 à la Russie.
32:16 C'était explicite dans les négociations entre John Kerry, le ministre des Affaires
32:21 étrangères américain de l'époque, et Lavrov, le ministre cynique, encore une fois,
32:27 par rapport à l'Ukraine, à la Syrie, au reste du monde, de la Russie.
32:31 Et l'Europe, il n'y a pas d'Europe.
32:34 Au niveau des affaires étrangères, il n'y a pas d'Europe.
32:37 Il y a 27 politiques européennes diverses.
32:41 Il y a des pays qui n'ont jamais coupé leurs relations avec la Syrie.
32:44 Malgré la décision de Bruxelles, la Tchéquie n'a jamais retiré son ambassadeur, son ambassadrice
32:50 de Damas.
32:51 L'Italie, maintenant on a la Grèce.
32:53 On a des relations sécuritaires qui ne sont jamais interrompues entre la Syrie et les
33:00 pays européens pendant que les pays européens, en même temps, donnent de l'argent à la
33:06 société civile syrienne naissante pour satisfaire quelques demandes au niveau des droits de
33:12 l'homme, au niveau des droits des femmes, etc.
33:15 C'est-à-dire, avec une main, on soutient le régime politiquement.
33:19 Avec l'autre main, on donne des miettes à l'opposition.
33:23 Et on rappelle évidemment que la Chine et la Russie n'ont eu de cesse d'utiliser
33:27 leurs droits de veto pour empêcher toute décision effective.
33:30 17 fois.
33:31 17 fois en tout pour empêcher toute décision effective du Conseil de sécurité à l'organisation
33:35 des Nations Unies.
33:36 Leïla Vignale, une réaction ?
33:37 Oui, ce que je voudrais préciser, c'est que, parce que ça participe d'une posture
33:45 dite réaliste que l'on entend dans les forums internationaux autour de la Syrie,
33:52 de dire qu'il faut être réaliste.
33:53 Hafez Al Assad a gagné.
33:55 Alors, réengageons avec lui.
33:58 J'ai dit Hafez, vous voyez.
34:01 C'est un essai de lapsus.
34:04 C'est une continuité.
34:05 Donc, posture réaliste qui empêche de voir que réintégrer la Syrie ne règle pas la
34:15 question politique syrienne.
34:17 En fait, la question, la source de l'instabilité dans cette région, c'est ce régime qui,
34:23 pour durer, pour le coup, la poursuite complète de la politique de son père, pour durer,
34:32 est capable d'employer tous les moyens.
34:33 Et ce qu'on a vu au cours de la dernière décennie, c'est que durer à n'importe
34:38 quel prix, ça passe par la destruction de son pays, par le déplacement forcé de plus
34:44 de la moitié de sa population à l'extérieur, à l'intérieur, la ruine du pays.
34:48 Il s'agit de durer coûte que coûte, quand bien même ça serait durer sur un tas de ruines.
34:54 Donc, ce tweet hallucinant, comme vous l'avez, de l'ambassade de Chine, finalement fait
35:02 fi de cette problématique politique, du fait qu'on a un conflit politique profond en Syrie
35:10 qui ne va pas être réglé juste avec le maintien d'un dictateur sanguinaire à la
35:15 tête de ce pays.
35:16 Mais est-ce que c'est aussi, Laila Vignal, l'illustration au fond que la Chine est désormais
35:21 un acteur à part entière de la région, comme elle cherche à l'être au fond depuis
35:25 déjà plusieurs mois, même plusieurs années ?
35:27 En fait, la Chine, je pense que dans la région, n'a pas vraiment d'intérêt direct, d'intérêt
35:32 économique.
35:33 Il y a quelques investissements qui pourraient être faits, etc.
35:35 Là, on est aussi dans un jeu international.
35:38 La Chine est l'allié de la Russie.
35:40 Ce sont deux pays qui sont au Conseil de sécurité de l'ONU et qui ont toujours fait
35:44 bloc pour protéger leur allié syrien.
35:47 La Chine, de la même manière qu'elle, elle se tient aux côtés de la Russie dans le conflit
35:51 ukrainien, se tient au conflit aux côtés de la Russie aussi, au Proche-Orient.
36:00 Et c'est par un pays qui encourage, favorise les mouvements démocratiques.
36:06 Salam Khawa Khibli, vous êtes d'accord avec cette analyse ?
36:08 Tout à fait.
36:09 Et j'ajouterai que la Chine n'investira même pas un dollar en Syrie parce que la
36:15 Chine, malgré tout son discours politique pour les investissements économiques, elle
36:20 fait très attention au rendement.
36:22 Et sachant que la Syrie, il n'y a pas d'état de droit, il n'y a pas une justice indépendante,
36:27 ses investissements risquent de tomber dans les poches du régime.
36:31 Elle ne mettra même pas un sou, elle demandera à l'Europe, au pays du Golfe de payer la
36:36 reconstruction.
36:37 Un mot quand même pour finir, Salam Khawa Khibli, sur la population syrienne.
36:41 On rappelle l'état de cette guerre, 500 000 morts, des millions de déplacés.
36:46 Qu'est-ce que peuvent espérer, je suis certain à peu près que ce n'est pas le
36:49 bon terme, qu'est-ce que peut espérer aujourd'hui la population syrienne à partir de cette
36:54 réintégration progressive de son pays dans le jeu international ?
36:57 La déception est immense, notamment dans les zones dites libérées, mais aussi à
37:04 l'intérieur des zones contrôlées par le régime.
37:06 Et comme toujours, la négligence, l'abandon de la population est laissé à son destin
37:16 et l'Europe devait être consciente de cela.
37:38 Maintenant, les "Boat People" vont être par centaines de milliers dans la Méditerranée
37:44 pour traverser ce lac de guerre vers le nord.
37:49 Il ne faut pas s'étonner un jour et dire "Oh là, d'où viennent ces migrants,
37:55 d'où viennent ces attentats ?"
37:56 Les Lavignales, dans les conditions que vous mettiez en lumière un peu plus tôt, conditions
38:02 avancées par les pays arabes pour la réintégration de la Syrie, notamment au mouvement panarabe
38:06 et à la Ligue arabe, est-ce que certaines conditions concernent directement la population
38:11 syrienne ou là encore c'est totalement effacé, absent des discussions ?
38:15 Non, c'est absent des discussions.
38:17 Je pense que ce n'est pas nécessairement un domaine d'intérêt pour les pays arabes.
38:23 Il y a cet espoir de la part des pays arabes qu'un certain nombre de problèmes vont
38:31 être réglés par cette réintégration.
38:34 Cette attente du régime syrien d'avoir des financements, ce qui est aussi probablement
38:39 extrêmement illusoire parce que des financements qui viendraient du Golfe pour la reconstruction
38:46 ou en compensation par exemple du contrôle du trafic de Cap Tagon se heurteraient aussi
38:53 au système de sanctions internationales qui touchent le régime syrien, notamment les
38:59 sanctions américaines au titre de la loi César qui vise des proches du régime.
39:07 César, on se rappelle que c'est le nom de ce photographe, ancien photographe du régime
39:12 syrien qui travaillait pour la morgue syrienne, qui avait photographié des milliers et des
39:16 milliers de corps assassinés par le régime et qui a fait fuiter l'ensemble de ces
39:22 photographies.
39:23 C'est ce que raconte notamment le film "Les âmes perdues" que vous avez évoqué tout
39:26 à l'heure ?
39:27 Absolument.
39:28 En hommage à cet homme extrêmement courageux, il y a cette loi César des sanctions américaines
39:37 qui a pour but d'accroître l'isolement de Damas et puis il y a également des trains
39:42 de sanctions de l'Union européenne.
39:44 Et tous ces trains de sanctions qui visent des proches du régime, qui visent des banques,
39:50 des entreprises, des organes étatiques, des secteurs entiers qui sont liés au régime
39:54 comme par exemple le pétrole mais qui permettent évidemment l'acheminement de biens, de
40:01 la vie quotidienne, ces sanctions ont un effet paralysant sur les investissements qui pourraient
40:11 avoir lieu en Syrie.
40:13 Donc il y a aussi une illusion autour du fait que cette réintégration de la Syrie pourrait
40:23 améliorer le sort de la population avec l'arrivée dans le pays de centaines de milliards de
40:30 dollars.
40:31 On parle depuis tout à l'heure de la réintégration progressive de la Syrie dans le jeu diplomatique
40:36 Salam Khawakibi.
40:37 C'est vrai que du point de vue occidental, notamment du point de vue européen et américain,
40:41 on en est encore très très loin.
40:42 On est très loin peut-être du côté américain.
40:47 Mais je crains qu'il y a des efforts, notamment des pays comme les Émirats et l'Arabie saoudite
40:57 au sein de leurs alliés européens pour renouer au moins au niveau diplomatique et de participer
41:05 à cette reconstruction.
41:07 Mais quand même, ils vont attendre notamment les résultats de cet accord entre la Ligue
41:17 arabe, entre les pays arabes et la Syrie pour voir si la Syrie va accepter de faire quelques
41:23 concessions.
41:24 Aujourd'hui, il y a des demandes à l'Arabie saoudite pour qu'elle intervienne auprès
41:29 du régime syrien pour libérer quelques centaines parmi les centaines de milliers de détenus.
41:36 Faire un geste, ça ne sera pas fait parce que, comme je vous ai dit, le régime syrien
41:43 ne compte pas du tout sur le retour des pays arabes tant qu'il y a l'Iran et la Russie
41:51 qui continueront à le soutenir, à exploiter ces sources aussi.
41:56 Parce qu'il faut savoir que le phosphate, c'est dans la main des Russes, que les porcs
41:59 aussi, ils ont été loués à la Russie pour 90 ans, même si une société française
42:06 rêve de prendre les porcs syriens et les investir dedans.
42:11 Mais c'est un rêve, c'est comme la carotte qu'on donne aux dupes.
42:17 Merci beaucoup à tous les deux d'être venus mettre la lumière ce matin sur cette
42:22 situation à la fois tragique et faite d'un cynisme éprouvant.
42:27 Les Lavignales rappellent que vous êtes géographe, professeur et directrice du département
42:31 de géographie à l'École Normale Supérieure, spécialiste de la Syrie et du Moyen-Orient,
42:35 recommande votre livre paru en 2021 intitulé "Wartorn, the unmaking of Syria" et Salam
42:42 Kawatibi, vous êtes politologue, directeur du CAREP, le Centre Arabe de Recherche et
42:46 d'Études Politiques, ancien directeur de l'Institut Français du Proche-Orient à
42:50 Alep.
42:51 Vous écoutez France Culture, il est 8h44.